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Ferrare, quand tu nous tiens… : Italo Calvino, Giorgio Bassani, Michelangelo Antonioni et l’ultra-raffinée civilisation ferraraise des Este : affinités et philiations…

16déc

Hier vendredi 15 décembre, de 17 h à 20h, au château de Thouars, à Talence,

à la très aimable invitation de Stefania Graziano-Glockner qui préside la dynamique Association talençaise « Notre Italie »,

j’ai assisté  à une belle soirée d’hommage _ principalement en italien : quel plaisir !!! _, à l’occasion du centenaire de la naissance (à Santiago de Las Vegas, à Cuba, le 15 octobre 1923), d’Italo Calvino (décédé à Sienne, le 19 septembre 1985).

Au cœur de cette bien amicale soirée talençaise,

une conférence-conversation _ en direct de chez lui, à Ferrare _ de l’historien Gianni Venturi _ longtemps « co-curatore » du « Centro Studi Bassaniani » de Ferrare _ intitulée « Italo Calvino – Giorgio Bassani. Relations, contiguïté et différences entre 2 classiques de la contemporanéité« , à propos des riches liens littéraires entre Italo Calvino _ dont vient tout juste de paraître, traduit en français par l’ami Martin Rueff, le passionnant « Le Métier d’écrire : correspondance (1940-1985)«  _ et Giorgio Bassani (Bologne, 4 mars 1916 – Rome, 13 avril 2000), éminent ferrarais _ auteur de l’immortel « Roman de Ferrare« , réunissant : I. Dans les murs ¤ II. Les Lunettes d’or ¤ III. Le Jardin des Finzi-Contini ¤ IV. Derrière la porte ¤ V. Le Héron ¤ VI. L’Odeur du foin ¤ _, et grand ami de cet autre éminentissime ferrarais qu’est Michelangelo Antonioni (Ferrare, 29 septembre 1912 – Rome, 30 juillet 2007) _ auteur du magnifique et encore bien trop méconnu (!!!) « Al di là delle nuvole«  (1995), avec sa sublimissime séquence d’ouverture ferraraise (d’après son propre « Ce Bowling sur le Tibre« , de 1984…)… _,

nous a replongés dans la merveilleusement raffinée et infiniment riche civilisation ferraraise de la cour des ducs d’Este (1471 – 1598),

dont l’âme et l’esprit subtilissime continuent, depuis 1598, de nourrir et vivifier en secret, quasi tacitement, de son indélébile empreinte magicienne l’âme artiste _ poésie (Le Tasse (Sorrente, 1544 – Rome, 1595) : L’Arioste : Reggio, 1474 – Ferrare, 1533), musique (cf notamment mes récents articles à propos d’Adriaen Willaert (Rumbeke, 1470 – Venise, 1562), Cipriano de Rore (Renaix, 1515 – Parme, 1565), Luzzasco Luzzaschi (Ferrare, 1545 – Ferrare, 1607), etc. : tous ayant profondément marqué la musique en la Ferrare des Este ; ainsi que le natif de Ferrare (et élève de Luzzasco Luzzaschi) Girolamo Frescobaldi (Ferrare, 1583 – Rome, 1643)… ; par exemple mes articles des 1er, 2, 3 et 4 septembre derniers : « «  ; « «  ; « «  ; et « « …), peinture (l’école ferraraise de peinture : Cosme Tura (Ferrare, 1430 – Ferrare, 1495), Francesco Del Cossa (Ferrare, 1436 – Bologne, 1477), Ercole De Roberti (Ferrare, 1450 – Ferrare, 1496), Dosso Dossi (Mirandola, 1485 – Ferrare, 1542), etc. ; et au XXe siècle, Filippo De Pisis : Ferrare, 1896 – Milan, 1956), littérature, cinéma, photographie _ si singulière et profonde, ultra-raffinée et labyrintique, des Ferrarais…

Cf mon essai inédit « Cinéma de la rencontre : à la ferraraise _ ou un jeu de halo et focales sur fond de brouillard(s) : à la Antonioni« , en 2007

_ cf notamment mon récent article «  » du jeudi 31 août 2023…

Par là,

par son amitié avec Giorgio Bassani comme avec Michelangelo Antonioni,

tous deux consubstantiellement et indéfectiblement ferrarais,

Italo Calvino, bien qu’ayant surtout vécu à San Remo et Turin, a quelque chose, lui aussi, telle une marque _ par « affinité« , dirait le cher François Noudelmann (en son « Les Airs de famille : une philosophie des affinités« ) ; par « philiation« , dirait la chère Marie-José Mondzain (en son « Accueillir : venu(e)s d’un ventre ou d’un pays« )… _ secrète mais reconnaissable, de cette singularité magique _ et subtilement aristocratique _ ferraraise…

Ce samedi 16 décembre 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Découvrir au CD une oeuvre opératique de Nicola Porpora, la Sérénade « L’Angelica », créée à Naples le 4 septembre 1720 ; avec cette merveille qu’est l’air (avec accompagnement de violoncelle seul), de Medoro : « Bella diva all’ombre amiche »…

07juin

En poursuivant ma découverte-exploration de l’œuvre musical de Nicola Porpora (Naples, 1686 – Naples, 1768),

 

j’ai pu me procurer le double CD de la Sérénade pour six voix et instruments, sur un livret _ pour sa toute première réalisation… _ de Métastase (Rome, 1698 – Vienne, 1782), et créée à Naples au palais du prince Antonio Carmine Caracciolo, le 4 septembre 1720, intitulée « L’Angelica » _ ou bien encore « Angelica e Medoro« , d’après l’Arioste (Reggio Emilia, 1474 – Ferrare, 1533)… _,

soit le double CD Dynamic CDS 7936.02…

Et je tiens à mettre en valeur ici qu’à la plage 20 du second CD de ce double album Dynamic,

se découvre un air absolument sublime, « Bella diva all’ombre amiche« , d’une durée de 11′ 19, du personnage de Medoro, interprété ici par Paola Valentina Molinari, avec un sidérant accompagnement de violoncelle _ mais le livret n’indique hélas pas le nom du violoncelliste… _ qui illustre magnifiquement le très éminent savoir du violoncelle qui caractérise Nicola Porpora.

Voici quatre articles,

en date respectivement

du 2 août 2021 pour celui de Maurice Salles « L’Angelica — Martina Franca » sur le site de ForumOpera,

du 20 août 2021 pour celui de Gilles Charlassier « L’Angelica de Porpora, arc-en-ciel pastoral et vocal à Martina Franca » sur le site de PremièreLogeOpéra _ avec cette expression-ci, que je relève : « Paola Valentina Molinari confie à Medoro tous les charmes et les délicatesses du lyrisme, portés par  une évidente beauté dans le chant » : absolument !.. _,

du 13 février 2023 pour celui de Pierre Degott « En première mondiale, L’Angelica de Porpora en DVD » sur le site de ResMusica,

et du 2 avril 2023, pour celui de Jean Lacroix « L’Angelica de Porpora, première mondiale en vidéo » sur le site de Crescendo _ avec cette conclusion-ci : « Etant une première en vidéo, L’Angelica de Porpora mérite l’attention. Mais on pourrait très bien se passer de l’aspect visuel, sans pour cela moins apprécier la sérénade. Il faut savoir que, simultanément à cette parution, le label Dynamic a mis sur le marché cette même production sous la forme d’un coffret de deux CD. Il est donc tout à fait possible de savourer l’œuvre en se contentant de l’audition sans images. Le choix est laissé au mélomane » Et pour ma part, j’ai choisi « l’audition sans images« _,

permettant de préciser diverses réceptions _ en live, à la scène, par le DVD ou par le CD… _ de cette « Angelica e Medoro » de Nicola Porpora… 

Et, surtout,

voici, enfin déniché, un lien au podcast de l’interprétation de cet admirable air de Medoro, « Bella diva all’ombre amiche« , superbement interprété par Paolina Valentina Molinari, sous la direction de Federico Maria Sardelli, tel qu’enregistré live au Festival de Martina Franca, lors de ces représentations de « L’Angelica » du 30 juillet au 3 août 2021…

Ce mercredi 7 juin 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Le revival discographique des joyeux « Paladins » de Jean-Philippe Rameau (2)

31mar

Voici qu’après mon article «  » du 26 février dernier,

ResMusica, sous la plume de Jean-Luc Clairet, publie ce jour une chronique intitulée « Les Paladins de Rameau par la Chapelle harmonique : première intégrale discographique« , consacrée à ce marquant CD du label Château  de Versailles – Spectacles, par la Chapelle harmonique sous la direction de Valentin Tournet…

 

Valentin Tournet parachève le travail commencé par Jean-Claude Malgoire en 1990 (2 CDs Paul Vérany) et poursuivi par Konrad Junghänel en 2010 (2 CDs Coviello Classics) avec cette parution inespérée d’une véritable intégrale (3 CD Château de Versailles Spectacles) de l’avant-dernier opéra de Jean-Philippe Rameau.

« La musique est d’un ennui redoutable. Rameau a paru radoter, et le public lui dit qu’il est temps de dételer. » En 2022, l’on se désolidarise bien évidemment de cette critique de 1760 venue cueillir à chaud la première représentation des Paladins. Heureux fut-il que Rameau ne prît pas la mouche après cet avis assassin à l’endroit du dernier opéra qu’il présenta à son public, car c’eût été priver la postérité des géniales Boréades à venir. Si le succès délaissa bel et bien Les Paladins, supprimé de l’affiche après 15 représentations, ce fut pis pour Les Boréades, jamais représentées _ en effet… _ du vivant de son auteur, où pourtant (piqué au vif ?) il s’était de toute évidence dépassé. Certes, le pénultième opéra n’est pas irrigué de la même eau que l’ultime : pas un numéro des Paladins ne se hisse à la hauteur de l’Air pour les Saisons et les Zéphyrs, de l’Entrée de Polymnie des Boréades. Mais il dégage du déversoir de danses qu’il est une somme de trouvailles orchestrales, une énergie dont la très pop version Christie/Montalvo/Hervieu (DVD Opus Arte) fit une fête mémorable au Châtelet en 2004.

C’est dans ce maelström que plonge le jeune ensemble de Valentin Tournet. L’ambition affichée de sa Chapelle Harmonique (« renouveler l’approche de grandes œuvres… s’intéresser à des versions moins connues ») convainc davantage cette fois qu’à Beaune en 2019 (avec une version révisée, par Rameau soi-même, des Indes Galantes sans l’Entrée des Fleurs). Les Paladins version Tournet (deux heures cinquante au lieu des une heure trois-quarts de Malgoire) sont même plus qu’intégraux, puisque gratifiés de l’addendum de cinq pièces retirées par le compositeur avant la première et de l’Ouverture remplacée consécutivement à l’arrivée à Paris en 1759 de cornistes plus expérimentés. Une prise de son très aérée met en valeur le chœur haut en couleurs, les bois acidulés et joueurs, les cordes veloutées et fougueuses d’une phalange parfois tentée par la précipitation (péché mignon de jeunesse ?), ainsi qu’un arsenal percussif destiné, dixit Valentin Tournet, à « accentuer le caractère dynamique des danses…. une pratique selon toute apparence usuelle à l’époque. »

Les Paladins, en fait une comédie lyrique _ voilà _ , sont la réponse de Rameau à la Querelle des Bouffons (tenants du sérieux de la tragédie lyrique à la française, comme Rameau, versus ceux du bouffe à l’italienne – Rousseau). Le compositeur dijonnais, déjà visionnaire avec sa Platée de 1745, enfonce le clou de son indiscutable protéiformité. Rire ne lui fait pas peur. Choquer non plus : dans ses Paladins, sa version, adaptée par Duplat de Monticourt, du conte de La Fontaine inspiré de l’Arioste Le chien qui secoue de l’argent et des pierreries, le rôle de la fée Manto est confié, comme la plus célèbre des grenouilles, à un chanteur : l’intrigue convenue (un barbon amoureux d’un tendron amoureux d’un bellâtre) se teinte d’une ambiguïté qui interroge forcément lorsque ledit barbon, pour parvenir à ses fins, est contraint de jurer sa foi amoureuse à un homme.

Manto n’apparaît qu’au troisième Acte : de l’Ariette gaye Le Printemps des amants, ou encore le conquérant De ta gravité, Philippe Talbot s’empare avec l’assurance et la musicalité qui sont sa marque. Il aurait pu aussi bien incarner Atis, le jeune premier, attribué à l’impeccable ramiste qu’est une fois encore Mathias Vidal. L’amoureuse de ce dernier est Sandrine Piau, dont la ductilité vocale fait merveille en Argie. Elle délègue la suivante Nérine, qu’elle incarnait au Châtelet, à la pétillante Anne-Catherine Gillet. Nérine préfigure une certaine Blonde mozartienne, comme le garde-chiourme Orcan (impeccable Florian Sempey) un certain Osmin _ de « L’Enlèvement au Sérail« . Complétant cette excellente distribution française, Nahuel di Pierro croque d’une bonhomme noirceur Anselme, le barbon berné par les Paladins.

Moins expérimentés que Christie jadis, moins spectaculaires que Kossenko récemment _ en son superbe « Achante et Céphise« … _, Les Paladins de Tournet imposent la verdeur et l’enthousiasme de la jeunesse. Une jeunesse parfaitement accordée à celle d’un compositeur qui, même sous la surface d’intrigues rebattues, ne radote _ en effet _ jamais.

Jean-Philippe Rameau (1683-1764) : Les Paladins, comédie lyrique en trois actes sur un livret de Duplat de Monticourt.

Avec : Sandrine Piau, soprano (Argie) ; Florian Sempey, baryton (Orcan) ; Anne-Catherine Gillet, soprano (Nérine) ; Nahuel Di Pierro, basse (Anselme) ; Mathias Vidal, ténor (Atis) ; Philippe Talbot, ténor (Manto) ;

La Chapelle Harmonique, direction : Valentin Tournet.

3 CD Château de Versailles Spectacles.

Enregistrés dans la Galerie des Batailles du Château de Versailles en décembre 2020.

Livret de 160 pages trilingue (français, anglais et allemand).

Durée totale : 164:59

Ce jeudi 31 mars 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

 

Re-création de l’opéra « Il Palazzo incantato di Atlante » (1642), de Luigi Rossi (1597 – 1653)

29sept

Une très intéressante interview _ Leonardo Garcia Alarcon confiné dans le palais enchanté de Rossi _ du chef Leonardo Garcia Alarcon

par Charlotte Saulneron dans le numéro de ce jour de ResMusica,

à propos de le re-création _ à Dijon, Nancy et Versailles _ de l’opéra de Luigi Rossi (Torre Maggiore, près de Foggia, 1597 – Rome, 19 février 1653)

« Il Palazzo incantato di Atlante« ,

sur un livret de Giulio Rospigliosi (Pistoia, 27 janvier 1600 – Rome, 9 décembre 1669 ), futur pape Clément IX (20 juin 1667 – 9 décembre 1669),

un opéra qui fut créé le 22 février 1642, à Rome, au théâtre du splendide Palazzo Barberini _ Maffeo Barberini (Florence, 5 avril 1568 – Rome, 29 juillet 1644) étant alors le fastueux et flamboyant pape Urbain VIII (6 août 1623 – 29 juillet 1644) _ ;

me donne l’occasion de me pencher un peu sur l’importance de Luigi Rossi dans l’histoire de la musique,

à la fois en Italie et en France…

Leonardo García Alarcón confiné dans le Palais enchanté de Rossi

Après les opéras de Cavalli, comme Eliogabalo présenté à l’Opéra de Paris en 2016, Il Giasone à Genève et Erismena au Festival d’Aix-en-Provence en 2017, puis El Prometeo d’Antonio Draghi en 2018, ou encore La Finta Pazza de Francesco Sacrati à l’Opéra de Dijon en 2019, voici la nouvelle redécouverte _ oui _ italienne de Leonardo García Alarcón, qui sera présentée début octobre à l’Opéra National de Lorraine, puis à l’Opéra Royal de Versailles, après avoir été créée en ligne, pandémie oblige, à l’Opéra de Dijon : Il Palazzo Incantato de Luigi Rossi.


ResMusica : Très habitué à exhumer des ouvrages lyriques baroques, comment avez-vous découvert Il Palazzo Incantato de Luigi Rossi ?

Leonardo García Alarcón : J’ai découvert le manuscrit d’Il Palazzo Incantato à la Bibliothèque du Vatican vers 1999-2000. J’étais en train d’étudier la musique de Marco Marazzoli, un harpiste _ et compositeur (Parme, 1602 – Rome, 26 janvier 1662), installé à Rome en 1626 _ qui travaillait avec Luigi Rossi, quand je suis tombé sur ce manuscrit tout à fait par hasard. Je n’ai _ hélas _ pas retrouvé à l’époque des écrits ou des textes de différents musicologues qui puissent me parler plus de l’œuvre que je venais de découvrir. J’ai commencé autour de 2006-2007 à me rendre compte qu’il y avait un intérêt dans l’œuvre de Luigi Rossi en commençant à m’intéresser à sa musique qui se trouvait à la Bibliothèque nationale de France. Quand finalement l’Opéra de Dijon m’a proposé de monter Il Palazzo Incantato, j’ai pu demander la copie de ce manuscrit que j’avais vu en 1999 au Vatican. C’est en se basant sur ce manuscrit que l’on a construit notre partition.

RM : Pourquoi avoir choisi cet ouvrage monumental pour le faire revivre sur scène ?

LGA : Il me semble très important de connaître Il Palazzo Incantato parce que l’œuvre de Luigi Rossi occupe une place conséquente _ certes !!! _ dans l’histoire de la musique, pas seulement au sein de la musique romaine ou de la musique italienne, mais aussi dans l’histoire de l’opéra français _ bien sûr ! En effet, en 1646, on lui commande l’Orfeo qui va devenir _ rien moins que _ la première commande d’un opéra en France. Il s’agit d’un grand compositeur qui avait une grande admiration pour l’œuvre de Claudio Monteverdi ; on garde même des copies de plusieurs pièces de Claudio Monteverdi de la main de Luigi Rossi _ voilà. J’ai pensé que c’était nécessaire, notamment d’un point de vue historique _ au moins… _, de mettre en lumière ce compositeur et cette œuvre composée en 1642, quelques mois plus tôt que l’Incoronazione di Poppea de Claudio Monteverdi composée la même année à Venise.

RM : Comment caractérisez-vous l’écriture et le sens de la dramaturgie de Rossi dans Il Palazzo Incantato ?

LGA : Je vais commencer par une petite anecdote : on parle toujours de « Pur Ti Miro » dans l’Incoronazione di Poppea, comme le premier duo d’amour de l’histoire de l’opéra, mais en réalité c’est le duo d’amour entre Bradamante et Ruggiero à la fin d’Il Palazzo Incantato qui est le premier duo d’amour de l’histoire. C’est notamment pour cette raison que je pense qu’il y a encore des pages à écrire et à analyser sur la relation entre ces deux pièces qui, d’une certaine façon, incarnent l’esthétique romaine et vénitienne de l’opéra _ voilà. Je suis aujourd’hui convaincu que ce Palazzo Incantato a même pu influencer _ rien moins que _ la décision de donner l’Incoronazione di Poppea à Venise en 1642. D’une certaine façon, ce Palazzo Incantato incarne tout ce que l’Incoronazione de Poppea critique sur le plan moral. Enfin, il ne faut pas oublier que l’Incoronazione de Poppea correspond au premier opéra historique de l’histoire, mais Il Palazzo Incantato est le premier opéra où on utilise un livret basé sur l’Orlando furioso de l’Arioste, qui met aussi en scène quelques personnages historiques comme Orlando.

Giulio Rospigliosi, le librettiste d’Il Palazzo Incantato, futur pape Clément IX, a réalisé une adaptation du passage du Palais enchanté d’Orlando Furioso, qui permet déjà à Luigi Rossi d’organiser son discours musical. Le compositeur possède vraiment un génie particulier pour décider quel type de forme musicale va accompagner un texte poétique _ ce qui est d’une immense importance musicale, forcément… Du temps de l’écriture de l’opéra, on est au moment où les récitatifs montéverdiens basculent _ oui… _ vers une sorte d’arioso, c’est-à-dire un récitatif cantabile, qui va être aussi _ en effet _ la particularité du récitatif de Francesco Cavalli _ Crema, 14 février 1602 – Venise, 14 janvier 1676 _ à la même époque à Venise. Ce récitatif va amener Lugi Rossi à composer dans Il Palazzo Incantato des airs qui vont se développer avec des ornements, une sorte de « pré-aria », c’est-à-dire des arias à l’état primitif de ce que va devenir l’aria à partir de 1660-1670, comme l’aria da capo napolitain qui donnait _ donnera _ la possibilité à l’interprète de montrer toute la pyrotechnie vocale dont il était capable et qui va faire _ bientôt, alors _ des castrats la gloire de l’Italie à travers toute l’Europe. Ici dans cet opéra, on peut voir d’une manière très subtile comment les récitatifs se transforment peu à peu _ voilà.

On remarque également que dès le prologue, l’orchestre accompagne à six et à sept voix écrites, une richesse inouïe qu’on pouvait seulement se permettre _ pour des raisons financières _ à Rome. On a aussi dans cette œuvre des chœurs avec un orchestre double, voire même des triples chœurs, chose que l’on n’avait jamais entendue à l’opéra _ du moins _ au XVIIᵉ siècle. Il Palazzo Incantato est un opéra qui anticipe tout ce que l’on va faire à la fin du XIXᵉ siècle, qui utilise tous les moyens mis à disposition. Il ne faut pas oublier qu’on est à la Cour de Barberini à Rome _ oui ! _ où l’on dispose aisément de ces doubles orchestres et de ces triples chœurs, ainsi que de tout un casting de plus de 22 rôles solistes à l’époque, alors que cela était inimaginable pour Venise. Luigi Rossi a utilisé tous ces moyens de richesse, de complexité aussi, pour choisir des formes très contrastantes, mais qui permettent justement au discours dramaturgique d’avancer avec une variété de styles extraordinaire _ voilà.

RM : Le nombre conséquent de solistes, les doubles et triples chœurs et les ballets : ce n’est pas vraiment dans l’ère du temps avec la pandémie qui a notablement impacté le secteur ! De quelle manière s’est menée la transposition de cet ouvrage lyrique sur scène, autant musicalement que scéniquement ? Avez-vous fait des concessions dans cette période si particulière ?

LGA : Quand vous me parlez de pandémie, ma première pensée se tourne vers la pandémie de 1642 qui a ravagé l’Italie entre 1641 et 1642, mais vous évoquez sûrement celle du Coronavirus ! La décision de monter Il Palazzo Incantato s’est prise naturellement bien en amont de la période que l’on est en train de vivre, mais Laurent Joyeux et l’Opéra de Dijon ont décidé de maintenir cette création, tout autant que Matthieu Dussouillez à l’Opéra National de Lorraine, qui est co-producteur de ce spectacle. Cela a été pour nous une véritable chance.

Ainsi, on a simplement agi comme à cette époque, c’est-à-dire que les différents acteurs du projet se sont contrôlés régulièrement pour identifier les personnes éventuellement infectées au sein de l’orchestre, des chœurs, comme des solistes. Heureusement, on n’a eu aucun cas positif. Par contre, on a vivement ressenti que la pièce était écrite pour décrire l’époque dans laquelle nous évoluons aujourd’hui, soit un Palais enchanté où tout le monde est confiné _ voilà ! _, où personne ne peut se rencontrer, empêchés par Atlante. Pour nous, Il Palazzo Incantato est devenu un _ stupéfiant _ miroir de notre vie quotidienne, avec des métaphores et des figures allégoriques quasi-permanentes. D’ailleurs, lors de sa création, nous étions presque dans un palais enchanté à l’Opéra de Dijon, seuls sur scène et sans public. On pensait que nous étions aussi manipulés par Atlante !

Mais la concession la plus difficile à faire pour moi a été que les chœurs soient masqués. Quand un chœur crie ou s’exprime d’une manière tellement exacerbée que dans l’écriture de Luigi Rossi, cela est très difficile. A part cela, je ne me souviens pas d’avoir fait d’autres concessions, et on ne m’en a pas demandé d’en faire. La seule qui nous manquait, c’était le public : cela sera rétabli à Nancy dans les prochains jours !

RM : Le travail d’une production lyrique se mène à deux, avec un metteur en scène. Quelles grandes lignes directrices avez-vous définies avec Fabrice Murgia ?

LGA : Avec Fabrice Murgia, notre seule ligne conductrice a été le livret _ c’est capital, en effet… D’une certaine façon, l’esthétique sur scène, et même mes choix d’interprétation, sont anecdotiques par rapport à la force dans nos âmes que provoque le livret et le discours proposé par celui-ci. Notre ligne directrice a été d’être toujours fidèle à ce qu’aujourd’hui, c’est-à-dire en 2021, provoque un livret de ce type : de quelle manière sommes-nous bouleversés aujourd’hui _ voilà _ par les propositions d’un tel livret ; dans quel sens partage-t-on encore le même type d’émotions qu’un être humain de la moitié du XVIIᵉ siècle ? Nous n’avons pas perdu de temps à essayer de raconter une histoire qui n’est pas celle qui est écrite dans le livret ou bien proposée par le compositeur…

RM : Si vous aviez à présenter l’ouvrage en quelques mots…

LGA : L’histoire nous rappelle le combat entre Tancrède et Clorinde _ narré par L’Arioste en son Orlando furioso. Le magicien Atlante, protecteur du Sarrasin Ruggiero, cherche à le protéger de son amour envers la chrétienne Bradamante, en construisant un palais enchanté où seront englouties toutes les personnes s’en approchant. Ce palais est une sorte de sédatif _ voilà _ des désirs, un sédatif de l’âme. Finalement, beaucoup d’amour et beaucoup de couples sont absorbés par ce palais, générant de fait plusieurs histoires parallèles. Mais Atlante n’empêchera pas la rencontre entre Ruggiero et Bradamante, celui-ci devenant même le miroir de celui qu’il souhaite protéger d’un amour interdit, comme une sorte d’hologramme. Bradamante va entendre chanter ainsi deux Ruggiero, sans savoir lequel est le vrai. C’est pour cette raison que ce palais enchanté est d’une certaine façon, le miroir de nos vies, avec le fait de ne pas savoir si cette vie est vraiment notre vie ou bien si nous sommes en train d’être rêvé par quelqu’un d’autre. Mais le plus important dans tout cela est que la réalité, le désir, et l’amour, ne peuvent pas être arrêtés, même par un magicien de la puissance d’Atlante.

RM : Et si vous aviez à retracer brièvement l’aventure de cette nouvelle production ?

LGA : Le grand défi de cette nouvelle production était de pouvoir donner une pièce avec un livret aussi complexe _ comme toujours à cette époque ! Cf par exemple les opéras de Cavalli… _ que celui-ci, de le rendre intelligible par un spectateur sans qu’il soit contraint de le lire avant le spectacle, et de lui faire comprendre immédiatement les enjeux les plus basiques. En cela, Fabrice Murgia a réalisé un travail extraordinaire que j’admire en tous points de vue, parce qu’on arrive vraiment, du début à la fin, à percevoir une trame, un fil rouge _ voilà : c’est essentiel… _ , qui permet de lire les histoires de chaque protagoniste à l’intérieur de ce palais et de comprendre l’histoire globale sans se perdre. Désormais, le plus grand défi pour cette création à Nancy sera la rencontre avec le public ; c’est cette respiration qui nous a manqué à Dijon et que nous offre habituellement le public.

Aussi, une dernière chose : la vidéo, dans ce spectacle, joue un rôle très important. C’est une sorte de quatrième dimension, une dimension à part car les personnages, même à l’intérieur du palais, sont filmés ; de cette manière, on vit une réalité qui est celle de la scène. Une autre réalité se superpose : celle qui se passe à l’intérieur du palais et qui est reflété dans un écrin avec deux cadreurs qui filment de manière presque permanente les personnages. C’est d’une richesse telle qu’on a été inspiré comme s’il s’agissait d’un décor d’opéra, un décor émotionnel alimenté par les visages des chanteurs qui expriment les émotions les plus intenses.

Crédits photographiques : Leonardo García Alarcón © Franck Juery

Un recul un peu panoramique sur certains des débuts _ ailleurs qu’à Venise : à Rome et à Venise _ de l’opéra en Europe _ même si l’on constate la formidable circulation, à cette époque comme à d’autres, des œuvres, des idées, et des hommes, à travers l’exemple ici de Luigi Rossi…

Ce mercredi 29 septembre 2021, Titus Curiosus – Francis Lippa

Comment interpréter Gesualdo et son irradiante singularité ?..

05déc

Carlo Gesualdo da Venosa

(Venosa, 8 mars 1566 – Gesualdo, 8 septembre 1613)

est un de mes compositeurs préférés !


Mais combien sont rares les interprétations de ses œuvres

vraiment satisfaisantes

_ et réellement idiosyncrasiques ?..

Longtemps, de ses six livres de Madrigaux,

ne m’a exclusivement agréé

que l’interprétation du Quintetto Vocale italiano, d’Angelo Ephrikian

_ avec les chanteurs Karla Schlean (soprano), Clara Foti (mezzo-soprano), Elena Mazzoni (contralto), Rodolfo Farolfi (ténor), Gastone Sarti (baryton) et Dimitri Nabokov (basse).

Puis,

m’a beaucoup plu _ voire même comblé ! _,

livre à livre,

celle de La Compagnia del Madrigale,

pour les livres 6, 3 et 2

_ de même, d’ailleurs, que la totalité de leurs CDs : chaque fois, une extase…

Les chanteurs en sont Rossana Bertini, Francesca Cassinari (sopranos), Elena Carzaniga (alto), Giuseppe Maletto, Raffaele Giordani (ténors) et Daniele Carnovich (basse). 

Alors que m’horripilaient

toutes les autres interprétations,

tout particulièrement du fait de la non-italianité criante des chanteurs.

Alors quand est paru,

le 28 novembre dernier,

l’article de Jean-Charles Hoffelé sur son blog Discophilia

intitulé D’amour à mort,

ai-je été quasi blessé

de la chronique très négative _ et non argumentée ! _

portée par ce critique que j’apprécie beaucoup en général

à l’égard

et de La Compagnia del Madrigale,

et de leur CD du 2e livre de Madrigaux de Carlo Gesualdo ;

notamment par la comparaison faite par Hoffelé

avec le double album

que les Arts Florissants, dirigés par Paul Agnew

_ avec les chanteurs Miriam Allan et Hannah Morrison (sopranos), Lucile Richardot et Mélodie Rubio (contraltos), Sean Clayton (ténor), Edward Grint (basse) et Paul Agnew lui-même (ténor) _,

ont consacré aux Livres 1 et 2 des Madrigaux de Gesualdo !

D’AMOUR À MORT

La Compagnie del Madrigale s’est lancée voici quelques années dans une intégrale toujours en cours _ manquent encore les livres 1, 4 et 5 _ des Madrigaux de Gesualdo, je croyais l’entreprise salutaire _ certes ! _, après tout on n’avait pas vraiment d’alternative au geste expressionniste _ oui, éblouissant ! _ déployé par Angelo Ephrikian et ses chanteurs qui avaient enregistré dans des conditions difficiles la version princeps de l’ensemble des Livres.


Hélas, les nouveaux venus faisaient bien pâle figure _ ah ! non !!! _ et ce dès le premier disque, étrange que Glossa n’ait pas préféré confier une entreprise si périlleuse à La Venexiana _ tellement décevante, elle, depuis le départ de ses membres qui allaient fonder La Compagnia del Madrigale… Quel ensemble pourrait concilier le style musicologiquement juste avec l’expression si intense _ oui _ devinée _ oui _ par la petite troupe dépareillée d’Ephrikian ?

Une divine surprise m’attendait à la poste dans une enveloppe d’harmonia mundi, un joli double album qui semble le premier volume d’une intégrale des six Livres selon Les Arts florissants emmenés par Paul Agnew.


Leur parcours Monteverdi m’avait bluffé _ pas moi ! _ ; dès Baci, soavi, e cari qui ouvre le Libro primo, les mots éclatent, assaillant les notes _ c’est vrai _ ; les affects brillent ; tout le feu du baroque italien exalte _ oui _ les couleurs et les accents de ces six voix, faisant résonner cette alliance coupante comme une pointe de diamant entre le mot et la note qui donne à la musique de Gesualdo ses vertigineuses _ en effet ! _ propriétés expressives. Car ici les mots dansent, dans la clarté aveuglante qu’impose Paul Agnew conduisant de son ténor ces efflorescences de sons.

Admirable, jusque dans la sensualité trouble de bien des pages qui ne sont pas sollicitées _ artificiellement _ mais simplement exposées dans leurs singulières harmonies _ oui. Lorsque l’on sait qu’à mesure que les Livres s’accumulent, cette langue si libre se radicalise encore _ oui _, je peine à me dire qu’il faudra attendre les prochains volumes, je les voudrais tous pour m’immerger enfin dans ce corpus de chefs-d’œuvre _ assurément ; et sans postérité.


LE DISQUE DU JOUR

Carlo Gesualdo (1566-1613)
Madrigaux à 5 voix, extraits des “Libro primo” et “Libro secondo

Les Arts florissants
Paul Agnew, direction

Un album de 2 CD du label harmonia mundi/Les Arts florissants HAF8905307.08

Photo à la une : le ténor et directeur des Arts florissants – Photo : © DR

J’avais renâclé à me procurer ce double album des Arts Flo (et Paul Agnew), redoutant un certain défaut d’italianité de leur part…

J’ai bien voulu cependant tenter l’expérience…

Et n’ai pas été déçu, bien au contraire,

d’avoir écouté le conseil de Jean-Charles Hoffelé.

Même si je ne change _ pas du tout ! _ d’avis sur La Compagnia del Madrigale !

Je dirai simplement que

du Livre second des Madrigaux de Gesualdo,

nous disposons là

de deux interprétations qui diffèrent

quant à leur regard sur le parcours même de création du compositeur :

entre la tonalité des œuvres de la période de Ferrare (1594 – 1596),

pour les quatre premiers Livres,

et celle de la période de Gesualdo (1611 – 1613),

pour les deux derniers _ sublimissimes…

La Compagnia del Madrigale se refusant, elle, à interpréter les premiers Livres de Madrigaux de Gesualdo

de la manière qui conviendra aux deux derniers…

Quant à l’appréciation de Jean-Charles Hoffelé

sur la valeur des précédents CDs de La Compagnia del Madrigale

_ leurs merveilleux et magiques Monteverdi (les Vespro), Marenzio (les livres 1 et 5 de Madrigaux), De Rore (Vieni, dolce Imeneo)

et l’album Orlando furioso : madrigaux composés sur des poèmes de l’Arioste… _,

je ne la partage _ ni ne comprends _ pas du tout !!!

À quoi peut donc tenir cette exécration musicale ?

Je me le demande bien…

Ce jeudi 5 décembre 2019, Titus Curiosus – Francis Lippa

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