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Les apports de la table ronde de Bègles sur ce qu’a été, à Bordeaux et à Paris, Mai 68

01mai

En mon très bref article d’hier après-midi

je m’étais contenté d’annoncer la table ronde d’hier soir, à la salle Jean-Lurçat, à Bègles.

Voici ce jour, un rapide aperçu sur ce que j’en ai pour ma part retiré,

à travers un courriel _ qui n’a rien de personnel _ adressé à l’excellent Nicolas Patin :

Cher Nicolas,

c’est avec le retard d’une nuit de sommeil
que je m’avise de bien repenser (et y méditer un peu…) à vos échanges d’hier soir à Bègles.

Ce fut très riche, et donc intéressant.

Le seul (petit) « cheveu sur la soupe » de cette rencontre (et échanges impromptus) étant
l’incongruité, là, du modérateur (Xavier Mauduit, né le 21 octobre 1974),
totalement hors de l’affaire, lui,
venu qu’il était de (et est resté sur) une toute autre planète _ la planète médiatique ! _ que celle de vous quatre, les intervenants (témoins et historiens) consultés ;
et n’’aidant en rien à y comprendre quoi que ce soit,
lui-même n’y entendant rien ; et ne faisant guère d’efforts, non plus pour y comprendre vraiment quelque chose…
Seuls la lumière du projecteur et la portée du micro semblaient l’intéresser…

C’est vous qui auriez donc dû faire ce travail de modérateur,
et à partir de votre propre (riche, lui, et expert) questionnement !

Mais Xavier Mauduit n’est _ ainsi que sa situation présente _
que trop représentatif de l’état des acteurs de la scène médiatique télévisuelle !!!
Et de sa fonction de leurre « poudre aux yeux »…

Même si votre position, Nicolas,
_ celle d’historien
(et forcément, par essence, a posteriori
de ce qui mérite parfaitement ici le nom d’ « événements », survenus assez improbablement malgré tout,
au moins dans le tissu qui s’est formé peu à peu de leur suite, de leur « aboutement » :
d’où le terme de « hasard » prononcé à plusieurs reprises, et à très juste titre, par Laurent Joffrin !) _

même si votre position d’historien, Nicolas (vous qui êtes né le 26 février 1981),
différait, forcément aussi, de la position de témoins _ voire d’acteurs _ des faits
des trois autres intervenants :
Joëlle Dusseau, née le 5 juillet 1947 ; Noël Mamère, né le 25 décembre 1948 ; Laurent Joffrin, né le 30 juin 1952.

Ce sont les témoignages de leur vécu singulier des événements _ Fabrice à Waterloo ?.. Ou un peu plus ?.. _
qui auraient sans nul doute mérité d’être développés et creusés…
Ce fut l’apport propre et probablement le plus fort de la soirée _ à mes yeux du moins.

Acteur (-actrice) des faits, c’est en effet le cas de Joëlle Dusseau à Bordeaux ; qui est historienne aussi (y compris de ces faits, en son Mai 68 à Bordeaux) :
j’ai lu et son Marquet, et son Henriot… Vous savez que j’ai fait des recherches fouillées sur Georges Portmann…

Et sans doute « acteur des faits » est-ce aussi, au moins un peu, le cas de Laurent Mouchard-Joffrin, alors élève au lycée Lavoisier, dans le quartier latin,
en tant qu’il fut membre du Comité d’Action Lycéen ces journées de mai-juin 1968.

Son père, Jean-Pierre Mouchard, est demeuré un proche de Jean-Marie Le Pen…

Mais Laurent Joffrin n’a pas parlé de ce contexte familial _ sinon que ce milieu « était de droite »
Ni non plus des 2 livres qu’il a écrits autour de Mai 68 :
Mai 68 _ une histoire du mouvement (Points, 2008)
C’était nous (Robert Laffont, 2004) : un roman…
Il y a donc là quelque chose qui continue probablement de le travailler…
De fait, il a lui aussi été très bien hier soir ; car très présent en permanence…

Noël Mamère était, lui _ à Sarlat ce mois de mai-là _ plus extérieur _ aux événements bordelais…

A part ça,
vous-même avez été, cher Nicolas, et comme d’habitude, parfait :
de compétence, de sérieux, de clarté (dans la synthèse comme dans l’analyse),
ainsi que d’humour _ mêlé à votre omniprésente et judicieuse rigueur.

Pour ne rien dire de vos trésors d’invention pédagogique !

Votre seul (petit) défaut (et dont vous êtes parfaitement innocent !) : ne pas avoir été un témoin ou un acteur des faits mêmes (les événements) de ce mai 68,
sur le vif (de la bataille),
mais seulement un essayant d’être
autant que faire se peut _ puisque que vous êtes spécialiste surtout de l’Histoire allemande ; cf votre récent Krüger, un bourreau ordinaire _, et pour quelques soirs de ce printemps 2018,
un peu leur historien aussi ; et forcément _ du fait de la discordance des dates et des impossibilités en résultant… _ historien a posteriori…
Ce qui n’est certes en rien _ par cette possibilité même de simultanéité _ un défaut pour un historien, justement !!!

Vos lumières _ de contextualisation et dé-contextualisation : permettant l’intelligence de l’enchaînement même, extrêmement complexe, et comportant aussi du hasard, des faits advenus _ sont toujours très précieuses !
Et en cela, vous êtes un acteur nécessaire et éclairant _ par votre léger déport lumineux dans le dialogue avec les témoins et acteurs de l’Histoire _ d’un tel échange…

Bien à vous, Nicolas,

Francis


Pour qualifier de deux mots

cet échange de deux heures de la table ronde du Centre Jean-Lurçat de Bègles, hier soir :

passionnant et instructif, donc.

Et les plus jeunes parmi le public

de ce 30 avril 2018

n’étaient pas les moins attentifs et curieux d’apprendre

et comprendre

ce qui advint _ « une libération« , proposa Laurent Joffrin _

il y a tout juste cinquante ans…

Ce mardi 1er mai 2018, Titus Curiosus – Francis Lippa

Ce soir, à 18h 30, Table ronde salle Jean Lurçat, à Bègles : « Mai 68″

30avr

Dans deux heures, à 18 h 30, salle Jean Lurçat à Bègles,

une prometteuse Table ronde, à propos de Mai 68 :

Image

Ce lundi 30 avril 2018, Titus Curiosus – Francis Lippa

 

Mai réhabilité ? ou pas ?

01mar

Ce soir 1er mars 2018,

une intéressante chronique de Laurent Joffrin, dans Libération,

intitulée Mai Réhabilité.

La voici :

C’est un pavé dans la mare nostalgico-réac : Mai 68, contre toute attente zemmourienne, est populaire. Dans un sondage publié par le Nouveau Magazine littéraire, qui défend courageusement la culture progressiste malmenée de toutes parts, on apprend que 79% des personnes interrogées pensent que Mai 68 a eu des conséquences positives _ bien que très générale (et vague), la formule comporte du sens. Après tant de philippiques, de dénonciations, de pseudo-démythifications _ à la Luc Ferry et consorts _, le chiffre apporte un démenti cinglant aux procureurs de la révolte. A bien y réfléchir, cette surprise _ voilà _ s’explique. Il faut pour la comprendre, revenir à la réalité _ historique, en son contexte très précis _ de la révolte, et non aux interprétations cacophoniques qui ont fleuri depuis.

Mai fut une révolte culturelle à l’origine : la jeune génération, étudiante, d’abord, ouvrière ensuite, ne supportait plus les coutumes autoritaires et les préjugés surannés qui dominaient la société française _ en effet. Comme personne ne souhaite, en fait, y revenir _ à cette situation -là d’avant… _, en dehors que quelques éditorialistes passéistes _ proprement réactionnaires _, la libération des mœurs et le refus des hiérarchies autoritaires ont été massivement ratifiés par les Français _ il le semble.

Mai fut aussi, et c’est ce qui fait sa singularité parmi les mouvements contestataires de l’époque, une vaste révolte ouvrière _ oui _, avec à la clé la plus grande grève de l’histoire de France. Plus lucides que bien des analystes, les Français s’en souviennent et approuvent _ probablement _ tout aussi massivement les revendications présentées à l’époque : de meilleurs salaires, une plus grande liberté syndicale, des rapports patrons-salariés moins rigides, une réduction du temps de travail, une association des travailleurs à la marche de l’entreprise. Là encore, personne ne souhaite revenir en arrière _ pas même les ultra-libéraux d’En Marche ?…

Cette approbation ultramajoritaire des conquêtes de 68 _ c’est à discuter-méditer ! _ fait passer au second plan les réserves que suscite l’événement : les errements d’un certain individualisme libertaire, qui donne involontairement la main à l’idéologie libérale _ certes _, les schémas révolutionnaires plaqués _ grossièrement _ par l’extrême gauche sur ce vaste mouvement qui réclamait surtout des réformes _ probablement _, un anti-gaullisme mécanique _ rigide _ qui faisait bon marché du rôle historique de l’homme de la France libre, l’idée naïve et courte selon laquelle une société peut se passer de tout héritage _ oui. Ces excès, au vrai, n’étaient pas au cœur de la révolte _ vraisemblablement. Ils en étaient les scories, les illusions, les outrances _ sans doute. L’essentiel n’était pas là : il s’agissait d’exiger une société plus juste et plus libre _ oui… Le reste n’était que palinodies transitoires complaisamment gonflées par une certaine pensée réactionnaire _ oui. Manifestement _ est-ce aussi évident, cependantt ? _, les Français l’ont compris.

 

Nul doute que ces interrogations vont s’amplifier  dès maintenant, en cet anniversaire d’un demi-siècle.

Pour ma part, je me sens toujours le jeune homme comme j’étais ce mois de joli mois de mai – là…

Ce jeudi 1er mars 2018, Titus curiosus – Francis Lippa

Une remarquable contribution de Thomas Piketty au questionnement sur une nécessaire et urgente reconstruction de l’U.E.

29juin

Dans l’édition électronique du Monde du 28 juin,

le Blog de Thomas Piketty met en ligne une très remarquable contribution (intitulée Reconstruire l’Europe après le « Brexit ») au questionnement sur une nécessaire et urgente reconstruction de l’Union Européenne, tragiquement encalminée depuis bien trop longtemps…

La voici, avec quelques farcissures :

Reconstruire l’Europe après le « Brexit »

Avouons-le : jusqu’au petit matin du 24 juin 2016, personne ne croyait vraiment que les Britanniques allaient voter pour le « Brexit ». Maintenant que le désastre est arrivé, il est tentant de se sentir découragé, et d’abandonner tout rêve _ utopie positive et programmatique, plutôt : je n’apprécie pas du tout le mot « rêve«  en tel emploi… _ de refondation démocratique et progressiste _ voilà ! _ de l’Europe. Il faut pourtant persévérer et reprendre espoir _ oui ! il le faut ! _, car il n’existe pas d’autre option _ qui soit acceptable ; et a fortiori désirable _ : la montée des égoïsmes nationaux et de la xénophobie en Europe nous conduit tout droit à la catastrophe _ oui, suicidairement. Reprenons le fil des événements, et voyons _ avec un minimum de méthode _ ce qu’il faudrait changer et _ d’abord _ clarifier pour reconstruire l’Europe après le Brexit.

Cela a déjà été dit et redit : dans bien des cas, le vote Brexit exprime davantage un vote contre l’immigration et la mondialisation _ choses distinctes _ qu’un vote contre l’Union européenne en tant que telle. Cette attitude de repli xénophobe, que l’on connaît bien en France avec le vote FN, et maintenant aux Etats-Unis avec le vote Trump, même si l’insularité britannique a aussi ses spécificités, a quelque chose de profondément nihiliste et irrationnel _ oui _ : ce n’est pas en stigmatisant toujours plus les travailleurs immigrés et les pays et cultures étrangères que l’on va résoudre les problèmes, bien au contraire.

Et ce n’est évidemment pas en se plaçant en dehors du seul cadre européen existant de délibération collective, aussi imparfait soit-il, que le Royaume-Uni va trouver sa voie.

Renforcement des tendances inégalitaires de la mondialisation

Tout cela est vrai, mais il faut préciser deux points. Tout d’abord, ce vote est également une réaction au fait que les institutions européennes, toutes entières tournées vers le principe d’une concurrence toujours plus pure et plus parfaite entre territoires et entre pays, sans socle social et fiscal commun, n’ont fait objectivement que renforcer _ hélas _ les tendances lourdement inégalitaires de la mondialisation à l’œuvre au cours des dernières décennies.

Face à l’absence de réponse démocratique et progressiste _ oui _, il n’est pas étonnant que les classes populaires et moyennes finissent par se tourner _ en désespoir de cause _ vers les forces xénophobes. Il s’agit d’une réponse pathologique _ oui, et toxique : léthalement masochiste (et sadique) _ à un abandon bien réel. Née d’un projet de projet de marché commun adapté à la reconstruction et à la croissance des années 1950-1970, la construction européenne n’a jamais su se transformer en force efficace de régulation _ pondérée : voilà ! _ du capitalisme mondialisé et financier en plein essor depuis les années 1980-1990.

Ensuite, la vérité oblige à dire que le UKIP ou le FN ne sont pas malheureusement pas les seules forces politiques à avoir succombé à la montée des égoïsmes nationaux et à l’irrationalité collective au cours des dernières années. En particulier, c’est l’égoïsme à courte vue et la montée du « chacun pour soi » _ oui _ qui expliquent la gestion catastrophique de la crise financière par les pays de la zone euro depuis 2008.

Les gouvernements de centre droit et de centre gauche (CDU, UMP, PS) qui se sont succédé au pouvoir des deux côtés du Rhin portent de ce point de vue une écrasante responsabilité historique _ oui _, qu’il faudra bien reconnaître un jour. En Allemagne, le discours tenu depuis bientôt dix ans n’a quasiment pas varié d’une virgule : si les autres pays de la zone euro faisaient la même chose que nous, adoptaient les mêmes réformes, se comportaient avec la même fiabilité et la même vertu, etc., alors tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Discours irrationnel

Le problème de ce discours moralisateur, donneur de leçons et nationaliste est qu’il est totalement irrationnel. Non pas qu’il n’y ait quelques bonnes choses à apprendre dans le modèle industriel et social allemand, évidemment. Le problème est que si chaque pays de la zone euro avait appliqué la même politique de déflation salariale généralisée, et se retrouvait aujourd’hui avec le même excédent commercial gigantesque de 8 % du PIB, totalement inédit dans l’histoire depuis la révolution industrielle, alors par définition il n’existerait personne au monde pour absorber un tel excédent.

Les responsables allemands se refusent toujours à expliquer à leur opinion cette réalité factuelle, évidente pour le reste du monde et pour l’histoire : à savoir que leur haut niveau d’activité économique et d’emploi a été obtenu pour une bonne part au détriment des voisins _ oui. Avec plusieurs monnaies, il aurait suffi de dévaluer fortement les monnaies du sud de l’Europe ; mais à partir du moment où l’on faisait le choix de conserver la monnaie unique, alors il aurait fallu – et il faut toujours – relancer massivement les salaires et l’investissement public en Allemagne, et mettre en place une union fiscale et budgétaire _ une priorité !

Quant à la France, qui aime se servir de l’Allemagne comme d’une mauvaise excuse pour ne rien faire, la vérité est que c’est parce qu’elle a bénéficié des mêmes taux d’intérêt ultra faibles que son voisin allemand, qu’elle a choisi de laisser tomber l’Europe du Sud. Conséquence de tout cela : les responsables de la zone euro ont imposé des politiques d’hyper-austérité qui ont fait replonger la zone dans une récession absurde _ voilà _  en 2011-2013, à rebours du reste du monde, et dont on se remet à peine.

Boulet pour l’Europe

C’est ainsi que la zone euro est devenue un boulet pour l’Europe, ce que les tenants du Brexit n’ont pas manqué d’exploiter dans la campagne qui s’achève : à quoi bon rester avec des pays qui nous tirent vers le bas, et qui se sont montrés incapables de gérer correctement leur union monétaire ? L’euro devait marquer la transformation du marché commun en union politique, capable de nous protéger face à la spéculation des marchés, première étape vers une puissance publique permettant de réguler _ voilà _ le capitalisme du XXIe siècle. En réalité, l’euro est devenu la machine infernale qui menace de tout faire dérailler.

Que faire aujourd’hui ? Question vitale ! Il faut tout d’abord clarifier _ et c’est difficile à la plupart… _ le fait que l’Union européenne ne peut se réduire à une vaste de zone de libre circulation des marchandises, des services et des capitaux, sans aucune contrepartie _ voilà ! _ fiscale, sociale et réglementaire _ eh ! oui… Pour être durable, la croissance économique a besoin de services publics, d’infrastructures, de systèmes d’éducation, de recherche, de santé, d’échanges universitaires, de péréquation régionale, d’égalité des chances _ oui, oui ! _, et tout cela à un coût _ auquel tous doivent contribuer !

Le Royaume-Uni va maintenant chercher à obtenir un statut analogue à celui de la Norvège, de l’Islande et de la Suisse. Il est plus que temps de rappeler aux Britanniques – et cela aurait pu changer le cours des choses si cela avait été fait plus tôt par les gouvernements allemands et français, en toute transparence – que cela _ forcément ! _  ne se fera pas gratuitement.

La Norvège et l’Islande font partie de l’Espace économique européen (EEE), ce qui leur garantit un accès plein et entier au marché commun. Mais ces deux pays doivent en contrepartie appliquer la quasi-totalité de la législation de l’Union, et acquitter une contribution à son budget (voisine de la contribution britannique actuelle, si on l’exprime en pourcentage du PIB), tout cela sans participer à la prise de décision collective. Il faudrait d’ailleurs en profiter pour appliquer les mêmes règles à la Suisse, qui bénéficie actuellement d’un statut privilégié (sa contribution budgétaire est moitié moindre) _ tiens, tiens ! Information intéressante…

Sanctions contre le dumping réglementaire

Surtout, au-delà de la question de la contribution budgétaire permanente des pays non membres de l’Union souhaitant bénéficier du marché commun, il est temps de mettre sur la table la question des sanctions _ voilà, et sévèrement _ applicables aux pays pratiquant le dumping réglementaire, et en particulier aux pays qui n’appliqueraient pas des règles strictes en matière de transparence financière et de lutte contre l’optimisation fiscale _ une Révolution !

Il n’est pas normal que l’on ait dû attendre les sanctions américaines pour que le secret bancaire suisse commence (timidement) à être remis en cause. Les calculs de Gabriel Zucman (La richesse cachée des nations, Seuil 2014, traduit en de nombreuses langues _ mon lien donnant accès à une vidéo de 6′ 12 de Gabriel Zucman présentant le travail ce ce livre _) montrent que les bénéfices apportés à la Suisse par le secret bancaire sont équivalents à ce que coûterait au pays des droits de douane de l’ordre de 30 % appliqués par ses trois principaux voisins (Allemagne, France, et Italie).

La même question _ voilà _ va se poser pour la place financière de Londres et les paradis fiscaux de la couronne britannique. Il faudra évaluer rigoureusement les dommages imposés aux autres, et appliquer des sanctions en rapport _ exacts _ avec ces montants.

Bénéficier du marché commun tout en siphonnant la base fiscale des voisins

Tant que l’on n’est pas prêt _ il y faut une volonté ! en plus d’une intelligence… _ à imposer des sanctions de ce type, alors il ne faudra pas s’étonner que des pays choisissent _ le calcul d’intérêt bien compris _ de prospérer en dehors de l’Union européenne : s’il est possible de bénéficier du marché commun, tout en siphonnant tranquillement _ voilà le cynisme dénué de la moindre mauvaise conscience _ la base fiscale des voisins, pourquoi se priver ? Le système légal et politique dans lequel s’est enferrée _ si bêtement _ l’Europe, qui repose in fine sur une sacralisation _ idéologique _ de la libre circulation et du marché libre, sans contrepartie sérieuse _ hélas _ en termes de régulation _ tempérée _  collective _ facteur important, lui aussi _, nous conduit tout droit _ si nous ne faisons rien _ à des « Brexit » en série.

Ensuite, si l’on souhaite sauver la zone euro, il va falloir fondamentalement changer son cours. Après la victoire électorale de Syriza en Grèce en janvier 2015 (elle-même conséquence du refus obstiné des Européens d’engager la restructuration de dette pourtant promise au précédent gouvernement grec _ tiens, tiens ! _), les dirigeants de la zone euro ont fait le choix absurde _ voilà _ de vouloir humilier le pays _ petit et faible _, afin d’éviter que d’autres électeurs ne soient tentés par l’aventure.

Ce choix a en partie payé, puisque Podemos n’a pu faire mieux que jeu égal avec le PSOE lors des doubles élections espagnoles de décembre 2015 et juin 2016. Sauf que l’Espagne est aujourd’hui ingouvernable _ le PP ayant gagné des voix là même où ses dirigeants sont les plus corrompus _, et que les dirigeants français et allemands se retrouvent maintenant confrontés un peu partout _ en effet _ avec la montée du populisme de droite et du nationalisme, au Royaume-Uni comme en Pologne et en Hongrie _ surtout, mais pas seulement. Cette menace est autrement plus dangereuse _ oui _ pour l’Europe que le défi posé par la gauche radicale, qui dans le fond ne fait que formuler une demande de bon sens : la restructuration des dettes publiques européennes est inévitable et doit être organisée _ voilà _ au plus vite _ ce que François Hollande avait promis comme une de ses priorités, mais n’a pas fait. Il aurait mieux fallu tenter de s’appuyer sur Syriza, Podemos, le PSOE et l’ensemble des partis de gauche radicale ou non, qui ont le mérite d’être fondamentalement proeuropéens _ oui _, par comparaison aux populistes de droite _ en effet.

Il est navrant de constater qu’aujourd’hui encore, les dirigeants européens continuent _ eh ! oui _ d’exiger de la Grèce qu’elle dégage un excédent primaire de 3,5 % du PIB pour les décennies qui viennent, tout cela dans un pays dont le niveau d’activité économique est un quart un plus faible qu’en 2008, et où le chômage a explosé, ce qui n’a strictement aucun sens _ voilà. Il est normal de demander à un pays un léger excédent, de l’ordre de 0,5 % ou 1 % du PIB, mais pas davantage. La décision vient de nouveau d’être repoussée à la fin de l’année, et il y a fort à parier que ce ne soit pas la dernière fois _ ha bon….

Moratoire sur les dettes européennes

Plus généralement, il est urgent de mettre en place un moratoire sur les dettes européennes, tant que la zone n’aura pas retrouvé une croissance robuste, et de lancer un programme d’investissement _ voilà _ dans les infrastructures, la formation et la recherche. Le secteur privé a aujourd’hui peur d’investir, comme le montrent les taux d’intérêt négatifs actuellement appliqués, et sans relance publique il existe un risque réel que la zone euro s’éternise _ s’encalmine _ dans un régime de croissance molle et d’inflation quasi-nulle, voire négative.

L’histoire démontre qu’il est impossible de réduire un endettement public élevé dans de telles conditions, et qu’il vaut mieux avoir le courage _ qualité rare _ de restructurer clairement les dettes lorsqu’elles deviennent impossibles à rembourser pour les nouvelles générations (ce dont a d’ailleurs bénéficié fortement l’Allemagne lors de l’annulation de sa dette dans les années 1950 _ tiens, tiens _ ). La création monétaire et le développement de nouvelles bulles sur les prix des actifs ne résoudront pas le problème à la place des gouvernements, bien au contraire.

Enfin, si l’on souhaite véritablement avancer _ voilà ; mais les conservateurs veulent rarement avancer ; et encore moins ainsi et sur ces terrains-là… _ sur toutes ces questions, alors le débat institutionnel _ et sur les rouages (à mettre en place) d’une démocratie effective _ ne pourra être évité. On peut toujours bricoler des compromis dans l’urgence _ celles des prurits de la com’ de très court terme _ à partir des institutions actuelles. Mais à terme, si l’on souhaite pouvoir adopter démocratiquement _ voilà _ et sereinement un plan de relance au sein de la zone euro, une restructuration des dettes, un impôt commun sur les bénéfices des sociétés, etc., alors une refondation démocratique s’impose _ que oui ! Mais là n’est certes pas le vœu de tous…

Il existe une théorie _ ah ?! _ selon laquelle les institutions européennes auraient atteint une sorte de perfection indépassable _ ah ! l’ironie… _ avec le traité constitutionnel européen _ rejeté pourtant _ de 2005 (finalement adopté en 2008 avec le traité de Lisbonne), et que tout irait pour le mieux si les responsables politiques nationaux et les opinions publiques se saisissaient enfin de ces institutions merveilleuses et cessaient d’être stupidement europhobes.

Bicaméralisme de façade et machine à faire détester l’Europe

En vérité, les institutions européennes actuelles sont gravement dysfonctionnelles _ tiens donc… Elles reposent sur un bicaméralisme de façade : d’un côté, le Conseil européen des chefs d’Etats (et ses déclinaisons au niveau ministériel : Conseil des ministres des finances, Conseil des ministres de l’agriculture, etc.) ; de l’autre, le Parlement européen (élu directement par les citoyens _ mais sur des listes nationales _ ). En principe, les textes législatifs européens doivent être approuvés par ces deux chambres. En pratique, l’essentiel du pouvoir est détenu par le Conseil européen et les Conseils ministériels, qui le plus souvent doivent statuer à la règle de l’unanimité (notamment sur la fiscalité _ forcément ! on ne badine pas avec cet amour-là… _, ce qui empêche toute avancée réelle), et qui, dans les rares cas où s’applique la règle de la majorité, continuent toujours de délibérer à huis clos _ tiens donc…

En vérité, le Conseil européen est une machine à dresser _ c’est bien intéressant ! _ les intérêts nationaux les uns contre les autres, une machine à empêcher _ voilà _ toute possibilité de faire émerger des délibérations démocratiques et des décisions majoritaires au niveau européen _ qu’on ne s’étonne pas de la panne de démocratie ici, et par là même !.. A partir du moment où vous demandez à une personne (chef d’Etat ou ministre des finances) de représenter à elle seule 82 millions d’Allemands ou 65 millions de Français, ou encore 11 millions de Grecs, il est impossible d’avoir une délibération démocratique apaisée aboutissant à la mise en minorité de l’une ou l’autre de ces personnes.

C’est ce système institutionnel _ voilà _, doublé de multiples règles visant à contourner la démocratie (unanimité sur la fiscalité, règles automatiques sur les critères budgétaires), qui produit l’inertie et l’incapacité d’agir _ voilà _ en Europe. Chacun défend ce qu’il croit être ses intérêts nationaux, et en vérité personne _ des citoyens : désactivés ! quand font aussi défaut les lanceurs d’alerte…  _ n’en sait rien, puisque tout cela se passe à huis clos. Ces Conseils européens nous annoncent régulièrement au milieu de la nuit qu’ils ont sauvé l’Europe, avant que l’on ne se rende compte dans la journée qui suit qu’ils ne savent _ même _ pas eux-mêmes ce qu’ils ont décidé. Cette structure institutionnelle est une machine à faire détester l’Europe _ voilà !

Evolutions possibles

Face à ce blocage, plusieurs évolutions sont possibles _ et nécessaires à au moins envisager et commencer à tracer. Certains europhiles proposent de réduire drastiquement le rôle du Conseil européen et de confier l’essentiel du pouvoir au Parlement européen (voir par exemple Laurent Joffrin il y a quelques jours _ le 26 juin dernier, l’article était intitulé L’Europe du peuple _ dans Libération). Cette solution a le mérite de la simplicité. Mais elle a l’inconvénient de faire totalement l’impasse sur les institutions politiques nationales, ce qui risque fort de provoquer l’hostilité _ et le blocage _ de ces dernières et les « Brexit » en cascade.

Il me semble plus prometteur d’imaginer une forme originale de bicaméralisme européen, fondée d’une part sur le Parlement européen (élu directement par les citoyens _ mais il faudrait aussi que ce ne soit plus sur des listes nationales ! _ ), et d’autre part sur une chambre parlementaire composée de représentants des Parlements nationaux, en proportion de la population de chaque pays et des groupes politiques présents dans chaque Parlement.

Cette chambre parlementaire comporterait par exemple une quarantaine de membres du Bundestag, une trentaine de membres de l’Assemblée nationale, etc., et se réunirait environ _ et débattrait _  une semaine par mois, pour trancher notamment les décisions budgétaires et financières engageant directement les contribuables nationaux : choix du niveau de déficit budgétaire au sein de la zone euro, supervision du Mécanisme européen de stabilité, budget de la zone euro, restructuration des dettes, etc.

On peut imaginer pour cela différentes règles de majorité qualifiée, qui dans tous les cas seraient plus satisfaisantes que la situation actuelle, où chaque Parlement national dispose de facto d’un droit de veto _ facteur d’immobilisme _, ce qui pose de redoutables problèmes de légitimité démocratique _ aïe ! _ (Bundestag contre Parlement grec, etc.) et conduit le plus souvent au blocage. En donnant la possibilité aux députés nationaux de siéger les uns aux côtés des autres _ voilà _ et de prendre des décisions majoritaires _ à risques à assumer _, à l’issue de délibérations publiques et démocratiques, on peut au moins espérer faire des progrès _ en effet _ dans la bonne direction.

Démocratie parlementaire

Cette forme originale de bicaméralisme diffère des structures classiques de bicaméralisme (Assemblée/Sénat en France, Bundestag/Bundesrat en Allemagne, Chambre/Sénat aux Etats-Unis) et correspond, me semble-t-il, au caractère unique _ singulier _ de la construction européenne, qui s’appuie sur de vieux Etats-nations qui ont réussi à construire au fil des décennies des formes extrêmement élaborées d’Etat social, en s’appuyant sur la démocratie parlementaire dans le cadre national.

Il ne me semble ni réaliste ni souhaitable de prétendre bâtir une souveraineté parlementaire européenne en contournant _ purement et simplement _ les Parlements nationaux, qui malgré tous leurs défauts, demeurent les structures démocratiques essentielles qui ont permis depuis des décennies de voter des prélèvements et des budgets sociaux représentant des dizaines de points de PIB, avec à la clé, une progression du bien-être social et une amélioration des conditions de vie inédites dans l’histoire du monde. Il paraît plus judicieux de transformer progressivement _ voilà _ les législateurs nationaux en co-législateurs européens _ oui _, en les contraignant à prendre _ enfin _ en compte l’intérêt général européen _ voilà _, et en les empêchant de se contenter de se plaindre _ toxiquement _ de l’Europe.

Le débat est ouvert, et il mérite des discussions _ puis des décisions _ approfondies. Il faut également éviter qu’il s’arrête trop vite sur des malentendus. Trop souvent, lorsque l’on évoque cette question du rôle des Parlements nationaux, on entend les réactions énervées des europhiles, et notamment des proches du Parlement européen, qui voient de telles propositions comme un insupportable retour en arrière.

Un véritable pouvoir législatif en lieu et place du Conseil européen

De fait, avant la première élection au suffrage universel du Parlement européen, en 1979, ce dernier n’était qu’une Assemblée parlementaire composée de représentants des parlements nationaux, avec un rôle purement consultatif. Mais la proposition défendue ici est totalement différente : il s’agit de donner à cette chambre parlementaire issue des Parlements nationaux un véritable pouvoir législatif _ effectif _, en lieu et place du Conseil européen (qui ne sera jamais une véritable chambre législative). Ce qui, dans le fond, permettrait de renforcer la logique parlementaire _ oui _ défendue par le Parlement européen, et constitue sans doute la seule façon de dépasser les blocages actuels.

Mais les vieux démons ont la vie dure, et il est à craindre que ces réactions ne disparaîtront pas de sitôt. Il y a quelques jours, Jean-Pierre Chevènement, éternel défenseur de l’Europe des nations, proposait dans Le Monde de renforcer le pouvoir du Conseil européen (qui est pourtant tout sauf un lieu de délibération démocratique), tout en suggérant que le Parlement européen soit issu des Parlements nationaux (ce qui ne manquera pas d’agacer les euro-parlementaires), sans toutefois préciser sous quelle forme et avec quels pouvoirs.

Certains membres du Parlement européen, comme par exemple Yannick Jadot ou Henri Weber, proposent une solution mixte, avec un Parlement de la zone euro, composé pour partie de parlementaires européens et nationaux. Cela ne me semble pas être la solution la plus lisible, mais le débat est légitime.

En tout état de cause, ce débat sur les institutions européennes est fondamental _ oui _, et il ne doit pas être réservé aux experts du droit et des constitutions : il concerne tous les citoyens _ oui ! _, de même que les débats sur l’impôt ou sur la dette _ oui, oui ! Ces questions ont trop longtemps été abandonnées _ hélas _ à d’autres, avec les résultats que l’on sait. Il est temps que les citoyens de l’Europe se réapproprient _ voilà _ l’avenir.

Une passionnante contribution _ à partager ! _ de Thomas Piketty.

Titus Curiosus, ce mercredi 29 juin 2016

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