Posts Tagged ‘lecture

le regard de la musicologue sur le regard du philosophe (Bachelard) sur l’activité féconde de l’imaginer

12juil

Ceci

serait comme une conclusion un peu synthétique à la seconde partie de mon article précédent, A propos de la poïétique, deux exercices d’application : Jean-Paul Michel et Gaston Bachelard,

je veux dire un bilan de ma lecture de l’essai de la musicologue Marie-Pierre Lassus _ celle-ci est maître de conférences HDR en musicologie à l’université de Lille-3… _ Gaston Bachelard musicien _ Une philosophie des silences et des timbres

Le titre lui-même de l’essai, déjà, fait un peu difficulté :

ce serait par pur quiproquo qu’un tel essai se retrouvât au rayon « musique«  (ou au rayon « Beaux-Arts« ) d’une bibliothèque _ comme d’une librairie, aussi.

Car le terme « musicien » est pris ici métaphoriquement par Marie-Pierre Lassus :

Gaston Bachelard n’est pas (du tout ; en rien) compositeur de musique ;

ni _ ou trop peu _ non plus, praticien de quelque instrument que ce soit (de musique ; ni même d’une voix s’adonnant au chant !)… Il semble avoir renoncé à toute pratique instrumentale _ peut-être le violon… _ au décès de sa femme, en 1920 _ il avait trente-six ans.

Si la « thèse » de Marie-Pierre Lassus (les expressions qui suivent se trouvent aux pages 15 et 16 du livre)

est bien que

« cet art«  _ la musique ! _ fut le véritable fantôme de son imagination _ œuvrante en Gaston Bachelard : jusque, et surtout, dans l’écriture de ses essais de poïétique : la part probablement la plus originale de sa recherche de pensée, de son travail d’analyste-philosophe : consacré à l’« imaginer«  (ou « rêver«  ; cf, en forme de synthèse, sa Poétique de la rêverie, publiée en 1960… _,

le « clair-obscur » _ irradiant _ de son être,

sa partie vibrante _ et, ainsi, inspirante… ; rien moins ! _ ;

ce qui amène Marie-Pierre Lassus à se demander illico, page 16 :

« Mais qu’est-ce que la musique pour ce poète ? _ l’auteur devrait ici un peu plus et mieux distinguer le caractère poétique de l’écrire (et penser) de Gaston Bachelard d’avec l’objet de l’analyse visé par celui-ci : la Poiesis, à l’œuvre dans l’activité féconde de l’« imaginer«  (que Bachelard nomme aussi, ou baptise, « rêverie« , ou « rêver«  _ Comment écrire ce pur mouvement de la vie ?«  ;

et aussi, encore, page 20, à pointer

que

Bachelard « possédait des dons exceptionnels _ de perception ? d’écoute ? _ de musicien

qu’il a su mettre à profit dans son écriture au style _ = rythme ? _ inimitable » ;

au point que, toujours page 20,

« le philosophe _ analyste de la poiesis _ était _ rien moins que _ habité _ hanté, donc, avec la plus grande fécondité : celle du « génie« , dirait un Kant… _ par cette pensée _ creusante, labourante, fécondante : voilà ! _ musicale,

tellement intégrée à son discours, qu’elle fut pour lui une seconde peau«  _ celle qui ressent, en tout cas, en vibrant de (et par) toutes ses pores ; pas seulement un étui translucide et élastique pour les organes… ;

« la musique était pour Bachelard de l’ordre de l’expérience immédiate« , page 21.

il n’empêche qu’il ne s’agit pas là d’un travail de musicien-compositeur de la part de Gaston Bachelard ;

non plus, d’ailleurs que

d’un travail de poète _ même si tout au long de l’essai Marie-Pierre Lassus parle de la « poésie de Gaston Bachelard«  _ ;

mais de poïéticien…


Par exemple, page 23,

après avoir affirmé que,

à partir d’une « poésie induite » de la musique, « Bachelard a découvert le secret de l’activité poétique, d’origine musicale,

qui doit créer son lecteur et le vivifier«  _ oui ! _,

et noté, dans l’élan, que

« de fait, après une lecture _ de notre part, comme de la sienne à elle, l’auteur de cet essai… _ de Gaston Bachelard,

l’effet éprouvé est comparable à celui qui anime l’auditeur à la sortie d’un concert

ou à l’écoute d’un disque

qui l’a é-mu : on se sent plus vif, plus actif,

et on a la même _ voilà _ impression d’entrer _ mais oui ! _ dans un monde _ riche et cohérent en ses diaprures _ de mouvements et de forces _ c’est bien là LE facteur décisif ! en effet ! _,


Et Marie-Pierre Lassus d’en conclure :

« De là cette magie de l’écriture bachelardienne

_ voilà l’objet de l’analyse de la musicologue ici : ou comment la « poésie«  (en acte !) du style de Bachelard est l’instrument approprié (et efficient) à l’objet de sa recherche analytique (philosophique) : comprendre la poïesis œuvrante de l’« imaginer«  ;

objet traqué par notre philosophe bourguignon sous les espèces variées sensibles et plus ou moins mouvantes (et chatoyantes) de l’air, du feu, de l’eau et de la terre _

qui est le résultat d’une activité intense _ du poïéticien _, transmise au lecteur par l’intermédiaire du texte _ écrit _ et de sa musicalité » _ rien moins !!! page 23.

Et, page 24 :

« Chez Bachelard, « l’excès de vie »

_ Marie-Pierre Lassus emprunte l’expression à la page 40 des Fragments pour une Poétique du Feu, œuvre posthume (inachevée) de Gaston Bachelard, établie et publiée par les soins de sa fille Suzanne Bachelard en 1988 : « si nous pouvions faire sentir que dans l’image poétique brûlent un excès de vie, un excès de paroles,

nous aurions, détail par détail, fait la preuve qu’il y a un sens à parler d’un langage chaud _ voilà : une lave en fusion ! dirais-je, pour ma part… Bachelard mettant l’expression « langage chaud«  en italiques ! _,

grand foyer _ autre métaphore _ de mots indisciplinés

où se consume de l’être,

dans une ambition quasi folle _ de la part du poïéticien qu’il se fait alors… _ de promouvoir un plus-être, un plus qu’être« … :

curieusement, Marie-Pierre Lassus interrompt sa citation à « excès de vie«  : et manque le reste ! si merveilleux ! si lumineusement parlant de l’ambition du style même de Gaston Bachelard à l’œuvre, à l’écritoire ! _ ;

Chez Bachelard, « l’excès de vie », donc _ je reprends le fil de ma citation initiale _,

perçu dans le fil (et l’élan) des « images poétiques«  à déchiffrer-analyser,

provient de son expérience _ sonore (timbres et silences compris)… _ de musicien«  _ toujours cet usage ambigu…

Et d’ajouter, toujours page 24 :

« Bachelard a conservé dans sa poésie _ encore un autre usage ambigu !!! _ cet arrière-plan musical _ à relief et développements _ qui le caractérise »…

Là où l’intuition de Marie-Pierre est beaucoup plus heureuse _ que ces ambiguïtés de formulation et d’usage des termes de « musicien«  et « poète«  _,

c’est dans l’exploration ultra-fine de ce qui demeure de « musical » dans le style philosophique d’écrire et de penser _ mais est-ce dissociable ? _ de Gaston Bachelard s’essayant à l’exploration _ « quasi folle » ?.. _ du poïétique _ opération de « de promouvoir un plus-être, un plus qu’être«  : ces expressions sont cruciales !.. On eût apprécié que Marie-Pierre Lassus s’y arrête, les relève, les retienne, en en déduise (davantage qu’elle ne le fait : trop vite, et trop en passant) ce qu’elles impliquent et de la méthode et de l’ambition quant à l’ontologie (et au rapport de soi et de l’exercice à affiner de ses sens à l’être) _ :


« En répertoriant tous les noms de musiciens, musicologues et chanteurs cités dans ses livres,

nous avons trouvé des révélations sur sa manière _ générale autant que particulière et singulière _ d’entendre », page 24.

« Il nous est apparu ainsi que

la discontinuité

qui est au fondement de la pensée bachelardienne

rejoignait une notion centrale dans la musique du début XXème siècle« 

_ et « parmi les contemporains de Bachelard, Claude Debussy nous est apparu le plus proche en tant que créateur d’une nouvelle manière d’écouter la musique _ celles des choses, ou de l’être, ou du moins de ses flux, de ses ondes, aussi ?.. auxquels se rapporter, soi et ses sens… _ au XXème siècle« , ajoutera l’auteur, Marie-Pierre Lassus, page 25… _

: « loin de se soumettre à une continuité supérieure, d’essence mélodique (comme le pensait H. Bergson),

le temps _ musical, tout autant que bachelardien _ y est toujours jaillissant,

et non donné d’avance

_ ici je renvoie à mon article (du 10 mars 2009) : « la poétique musicale du rêve des “Jardins sous la pluie”, voire “La Mer”, de Claude Debussy, sous le regard aigu de Jean-Yves Tadié« , une lecture de l’essai remarquable de Jean-Yves Tadié : Le Songe musical _ Claude Debussy

En musique, cela correspond au rythme

qui surgit de cet ensemble _ si riche en la complexité qualitative sensible et mouvante, sans cesse « altérée« , activement et ultra-finement « variée« , de son tissu déroulé… : cf ici l’analyse magnifique de Bernard Sève : L’Altération musicale _ ou ce que la musique apprend au philosophe… _ constitué par les sons _ ou, mieux, « les timbres« _ et les silences« , pages 24-25…


Avec ce résultat, page 25, que,

si « le temps est essentiellement affectif » _ la citation est empruntée par Marie-Pierre Lassus à L’Intuition de l’instant (page 39) _,

« la poésie _ de l’écrire, tel que se l’assigne Gaston Bachelard (en sa poïétique), selon Marie-Pierre Lassus _ doit être polyphonique et verticale,

comme la musique et l’homme«  _ cf ici L’Air et les songes (page 283) ; voir aussi L’Intuition de l’instant (page 224)…

Au passage, cela m’évoque la thèse de l’« angularité«  que formule l’assez génial, lui aussi, Henri Van Lier, en son Anthropogénie, paru récemment, aux Impressions nouvelles ; cf le bel article sur ce livre (et ce philosophe hors des sentiers battus : Henri Van Lier), par Robert Maggiori, le 6 mai 2010 dans Libération : « Le tour de l’homme« 

Chez Gaston Bachelard aussi, nous avons affaire et à une anthropologie, et à une « anthropogénie«  ! Je note au passage seulement ici cette remarque de Robert Maggiori à propos des aperçus de Van Lier sur la voix : « Pour la voix, Van Lier ne se contente pas de voir les modifications anatomiques du visage et de la cavité buccale qui ont permis son apparition : il fait une théorie du ton, du timbre _ voilà ! _, du son, du chant, du rythme _ nous y sommes !!! _, des instruments musicaux, une histoire de la musique dans le monde grec, l’Inde ou la Chine, une sémiotique du signe musical, une étude de ses fonctions incantatoires, de la magie, du chamanisme, etc.« … Avec cette thèse : « la chance de l’Homme, c’est qu’il fait des angles »… A comparer avec les intuitions de Bachelard sur ce que la verticalité vient apporter (humainement) à l’horizontalité ; et l’importance décisive, ou cruciale, du rythme… Fin de l’incise Van Lier…


Par là, « l’esthétique bachelardienne et l’esthétique sino-japonaise _ Marie-Pierre Lassus y renvoie de façon judicieuse, notamment via l’œuvre de Tchouang-Tseu ! elle y revient à plusieurs reprises en ce livre ; et la page de couverture du livre présente trois illustrations (« Libellules à fleur de l’eau«  ; « Papillon poudré émergeant des fleurs«  ; et « Les Phénix chantent en harmonie« ), d’après des planches extraites du Fengxuan xuanpin, « un des manuels de cithare qin présentés dans la compilation Qinqu jicheng (introduction à l’étude du qin) dite QQJC, pp. 407 et 398«  _ partagent une même conception du monde fondée sur les éléments de la Nature dans laquelle tout est signe pour l’homme, appelé à en déchiffrer les mystères« , page 26.

Aussi, « en tant qu’imaginaire commun à l’humanité, la Nature, et ses mouvements, fut aussi le point de départ de la musique de Debussy (fervent amateur des estampes japonaises) et de la poésie (sic) bachelardienne« , toujours page 26.


Et Marie-Pierre Lassus d’annoncer qu’elle précisera en le détail des analyses de son livre « en quoi consiste l’universalité de son « esthétique concrète »

et ce que signifie, d’autre part, l’expression de « conscience créante » en regard de la notion d’activité issue de son expérience musicale (sic),

créatrice d’une poétique _ oui ! _ conçue comme une « philosophie de l’acte » ou « philosophie de vie en action »« ,

pour aboutir à cette proposition séminale, page 27 :

« C’est à cette source musicale _ en amont _ que Bachelard revient toujours _ en son écrire ! (ou style) _, en sollicitant _ en aval _ la mémoire sensorielle du lecteur qui, au contact de ses livres _ et à son tour : en lisant vraiment ! _, se reconstruit _ voilà ! _ en apprenant _ en le lisant ! donc… _ à bien respirer (ou à chanter).

Ce faisant, il a ouvert une voie nouvelle à la pensée _ poïétique : dont l’objet d’exploration (=visé) est la poiesis_ et a suivi d’autres chemins que les voies _ traditionnelles, déjà tracées et déjà empruntées par certains _ théoriques _ Aristote distinguait theoria, praxis et poiesis _ ou esthétiques _ en tant que déjà configurées, formées, sinon formatées…

En concevant _ c’est du moins l’hypothèse de travail ici de Marie-Pierre Lassus _ la musique comme une phénoménologie _ en acte (et en œuvres ! en résultant…) _ liée à une expérience humaine _ se faisant et défaisant, et métamorphosant sans cesse : à son plus vif, du moins… _,

il s’est intéressé à ce qui est au fondement _ radical ! _ de la relation _ vivante _ entre les êtres et les choses.

La musique, telle qu’elle est envisagée _ implicitement _ par Bachelard à travers _ principalement _ sa pratique d’écoute,

n’est pas un domaine réservé aux seuls spécialistes et musicologues. Elle fait partie _ de même que la poésie (des poètes ; ainsi que de quelques uns, aussi, des prosateurs…) _ de la vie« …


Alors, « elle est chez lui à l’origine d’une ontologie,

ou d’une « poétique de la relation »

pouvant permettre à l’homme de mieux habiter _ hölderliniennement ! « en poète » ! _ le monde,

à condition de se faire lui-même _ eh ! oui ! sans le craindre, mallarméennement… _ instrument, « harpe éolienne » _ cf le final musical éolien de Vendredi in le Vendredi et les limbes du Pacifique de Michel Tournier… _, à l’écoute des sonorités des êtres et des choses« …


Et Marie-Pierre Lassus de proposer, au final de son « Coup d’archet » d’introduction à son essai,

d' »inviter le lecteur à écouter cette action secrète de la musique sous les mots _ voilà ! c’est ce que signifie le mot « style » ! _

et à les vivre comme le recommandait Bachelard afin de mieux s’éprouver lui-même« , page 28 ;

et mieux penser (musicalement et poétiquement) en le ressentant mieux (ainsi !)

ce qui n’est pas nécessairement visible (= repérable ; ni calculable : ainsi un rythme n’est-il certes pas une cadence mécanique programmable !) :

tels les timbres et les silences, par exemple ;

et les rythmes…

Une dernière chose sur cet essai, Gaston Bachelard musicien _ Une philosophie des silences et des timbres, de Marie-Pierre Lassus :

si le livre ne donne pas lieu à une réelle et claire synthèse en son final, ainsi que je le relevai en mon article précédent,

c’est que l’écrire même de Gaston Bachelard _ à l’instar de celui d’un Montaigne, ou d’un Nietzsche, et de quelques autres de ce même acabit, tel un Pascal aussi… _ ne s’y prête guère,

me semble-t-il…


Et se révèlent infiniment précieuses à cet égard
,

alors,

les remarques de Suzanne Bachelard, sa fille, en Avant-Propos : Un livre vécu (de la page 5 à la page 24) au livre posthume de son père, dont elle a établi une version qu’elle a proposée (au lectorat un tant soit peu curieux) en janvier 1988 : les Fragments pour une Poétique du Feu :

« Quand mon père entreprenait la rédaction d’un livre, après des lectures nombreuses et des notes accumulées,

il commençait par le commencement _ futur, définitif _ du livre _ achevé et proposé ainsi à la lecture du lecteur à venir _,

il ébauchait _ voilà ! _ l’introduction,

plus exactement _ et la précision a toute son importance ! on va s’en aviser… _ le commencement de l’introduction,

parfois avec une note marginale : « un début possible ».

Il travaillait par reprise et rectification. Il ne raturait pas _ mais re-commençait… Il annotait le déjà écrit et récrivait.

Nombreuses sont _ ainsi _ les pages où n’étaient marquées que les premières phrases

auxquelles il attachait _ voilà ! un « départ«  ! _ une valeur dynamique _ de propulsion du penser : de l’écrire comme du lire !

Je me souviens qu’en lisant les Monologues de Schleiermacher il me parla avec admiration du « grand coup d’archet » par lequel commence le livre : « Keine köstlichere Gabe vermag der Mensch dem Menschen anzubieten, als war er im Innersten des Gemüths zu sich selbst geredet hat ».

Écrire les premières pages, c’était prendre son élan _ oui ! se lancer… _,

se donner confiance _ comme c’est juste ! la joie du résultat de l’essayer !

Ces pages ébauchées,

la ligne d’intérêt _ la piste _ suffisamment définie pour être un premier guide _ un premier phare, fût-ce rien que la lueur vacillante d’une lanterne, ou la flamme gracile d’une chandelle ; avec son encouragement ! _,

il se mettait à la tâche, dans un continuel va-et-vient entre l’introduction et les chapitres du livre.

Cette fois _ -ci : pour ce qui ne put pas aller plus loin que des Fragments pour une Poétique du Feu _,

le livre projeté est resté, pour reprendre une expression de mon père, « en chantier ».

Le livre n’est pas resté seulement inachevé. Le livre s’est fait _ aussi ! ou plutôt est demeuré… _ plusieurs. Les intérêts _ les pistes commencées de tracer et explorer… _ se sont multipliés, entrecroisés.

Le choix (éditorial ! impératif !) _ difficile _ est resté ouvert.


Plus loin, page 17,

Suzanne Bachelard note aussi, à propos de l’exploration de l’image du Phénix,

à partir de cette citation de son père : « Pour écrire un livre sur le Phénix il faudrait être maître d’une riche érudition. Il faudrait devenir un historien instruit des mythes et des religions » :

Mon père n’en avait ni la possibilité _ temporelle : il vieillissait _ ni fondamentalement le goût. D’autres intérêts _ d’autres pistes _ l’animaient _ voilà le terme moteur !

Pourtant un regret était _ à demeure et obstinément _ actif _ toujours ce vecteur dynamique ! _ de ne pas être assez instruit.

Éternel écolier _ voilà le sort valeureux de ceux qui ont l’âme sempiternellement curieuse ! _,

mon père aimait _ encore et toujours ! _ apprendre.

On peut noter dans ses livres maintes évocations de l’enfance. Ces évocations sont le signe, non pas d’une nostalgie d’un état _ comme induré _ d’enfance,

d’une nostalgie de l’innocence _ dépassée _,

mais bien plutôt d’une nostalgie des capacités _ voilà ! ludiques ! joyeuses… _ de l’enfance,

capacité d’émerveillement de l’enfant rêveur et libre,

mais aussi capacité d’apprendre _ voilà _ et de se transformer _ ou les métamorphoses de l’épanouir passionné ! 

Le désir se renouvelait constamment de lectures de livres érudits _ à la fois ouvreurs d’autres chemins, encore, et rassureurs de connaissances elles aussi joyeuses…

Transparaissait une tension _ voilà _ entre l’audace de l’imagination libre _ ouverte à de l’altérité et créatrice : génialement peut-être… _

et le contrôle _ plus rigoureux _ d’une pensée instruite _ par-dessus l’ignorance première.

Était en jeu également le besoin de rassurer un imaginaire qui se voulait excessif« …

Voilà…

Une quête sans fermeture d’horizon, de la part de Gaston Bachelard…

C’est de là que m’est venue l’affect (= l’impression première) d’un certain piétinement de la démarche de Marie-Pierre Lassus, en son livre ;

comme si celle-ci (ou plutôt celui-ci, ce livre !) ne nous livrait qu’un état encore un peu trop frais, pas assez (éditorialement) reposé ou muri (= épanoui), de sa propre découverte à elle (= la chercheuse), peu à peu,

du « chantier » infiniment ouvert, et laissé ainsi, de la Poétique (fastueuse en ses audaces comme en sa densité, parfois !) de Gaston Bachelard : des années trente à sa mort, le 16 octobre 1962…

Le dossier est ainsi très riche ; et son exploration par Marie-Pierre Lassus

vaut assurément le détour, déjà…

Merci de ce travail

patient, ample et probe !


Titus Curiosus, ce 12 juillet 2010

Retour de bouteille à la mer : (passionnante !) réponse de Christophe Pradeau à ma lecture de sa « Grande Sauvagerie »

19juin

A l’envoi de mon tout récent article « Cultiver (en son regard !) la lumière de la luciole et subvertir la carole magique : l’enchantement de l’écrire de Christophe Pradeau« ,

Christophe Pradeau,

l’auteur de La Grande Sauvagerie, aux Éditions Verdier _ dont on peut écouter la très intéressante présentation dans les salons Albert-Mollat, le lendemain de la réception du Prix Lavinal, à Lynch-Bages, en dialogue avec Véronique, sa fervente lectrice (l’entretien, riche, comme l’œuvre en ses 154 pages denses, de multiples ouvertures, dure une bonne heure) _,

répond sur le champ,

et d’une manière merveilleusement circonstanciée…

Je livre ce message, infiniment précieux _ sans rien de personnel, ni d’indiscret, on va le voir _, de l’auteur,

livrant ici quelque coin des plus « intime »_ sinon secret _ de la « fabrique » même de sa « fiction » :

cette  fiction

s’étant « faite » (et, ainsi qu’il l’énonce, « faisant désormais seule autorité«  en son livre tel qu’il existe, en l' »achèvement » de ses 154 pages),

mais aussi, « continuant« , encore, en quelque sorte, de « se faire« ,

« de creuser« ,

continuant de « pousser » quelques sillons (ou plutôt, en le terreau, l’humus noir nourrissant, quelques nouvelles radicelles d’un processus de déploiement d’une « arboration » foisonnante…)

en le terreau-territoire, donc, de son imagination d’auteur-roi de sa fiction « fictionnante » ;

mais aussi en celles, « fictionnées« , elles,

mais en mouvement continué ! vivant ! ému ! encore (= mobilisée ! _ et mobilisatrice !),

de ses lecteurs les plus (ou mieux) attentifs, du moins… _ puisqu’il (= l’auteur) nous (= les lecteurs) accule _ et combien brillamment ! _ à l’exercice _ vivant ! je le répète ! _ de tenter de résoudre, à notre tour, l' »énigme » que constituent, encore, pour nous, les blancs, les lacunes, sinon, même, peut-être, quelques contradictions de ce que le roman (tel qu’il est présentement _ et dorénavant ! _ figé en les 154 pages du livre achevé et disponible, entre nos mains) nous livre,

à travers le récit rétrospectif (lui même tout vibrant de mille émotions toujours mouvantes… ; et parfois approximatif) de sa narratrice, Thérèse Gandalonie,

à la façon des proliférantes racines du (très) grand arbre rouge,

« acclimaté« , lui aussi _ je veux dire comme l’ont été, en cet enclos de La Grande Sauvagerie, sur un promontoire rocheux du Limousin, les lucioles, importées, transplantées et « naturalisées«  (page 147),  elles, de Toscane, par Antoine Lambert) _, en Limousin, des rivages d’Amérique,

par un autre de la « tribu » Lambert, le cousin (d’Octave et Antoine, ou plutôt, quoi

que plus âgé qu’elle, d’Agathe, née, elle, en 1909) Alban, assez âgé, lui, pour être mobilisé à faire cette Grande Guerre et finir fauché par la mitraille, un des tout derniers jours de celle-ci, à l’automne, et peut-être même, un des premiers jours de novembre, 1918…

_ une période qui tout particulièrement m’intéresse, eu égard à la préparation « en cours«  (elle me « travaille«  aussi, continument…) de mes deux contributions au colloque Lucien Durosoir (1878-1955)  de Venise, à l’« Institut de la musique française romantique » (ou « Fondation Bru-Zane« ), les 19 et 20 février 2011 ; je vais en reparler, puisque vient de sortir une nouvelle « pépite«  merveilleuse Alpha, en l’espèce du troisième CD de l’interprétation intégrale de l’œuvre musical de Lucien Durosoir, que met en œuvre l’éditeur d’Alpha, mon ami Jean-Paul Combet, en l’espèce du CD Alpha 164 Jouvence, par l’ensemble Calliopée : éblouissant !!! j’en reparle sur ce blog très bientôt !!! _,

à la façon des proliférantes racines du (très) grand arbre

rouge :  le « cèdre » dit  « rouge« ,

ou « thuya géant » ;

je lis le passage (et en son souffle : celui de la narratrice, Thérèse Gandalonie), aux pages 137-139 de La Grande Sauvagerie :

« Pendant qu’Agathe poursuivait son récit _ ce soir de 1990, en son domicile de la rue de Babylone, à Paris _, je voyais,

ce qui s’appelle voir, image intrusive _ ou la réussite de la poiesis de la parole humaine en sa capacité (de semaille de graines de vie) d’« enchantement« _, presque effrayante par sa force de persuasion _ en effet ! _,

je voyais, donc,

Jean-François _ le Rameau qui avait eu la folie de s’affronter, corps et biens perdus, à la « réalité« , lui, de la « grande sauvagerie » (sans majuscules, elle !) des territoires les plus blancs (et pas que sur les cartes d’alors !) d’Amérique (et du Nord)… _

pousser _ lui, donc ! _ ses racines _ on lit bien : les « racines » de Jean-François (Rameau) lui-même ! _

dans la tête de ses enfants _ dont Jean-Guillaume, le père de Jeanne-Marie, qui épouserait ensuite Jérôme Lambert : ceux qui (en « une dizaine de voitures« , à « la fin octobre 1822« , page 136) se transplanteraient de Bourgogne en Limousin… _,

à la façon patiente de cet arbre géant de la Colombie britannique,

le cèdre rouge,

dont il était le premier européen sans doute à avoir donné une description,

dont il avait dessiné, et c’était très certainement la plus belle aquarelle des Carnets,

le racinage,

la façon dont les racines s’insinuent à travers les roches les plus compactes,

pouvoir de pénétration plus irrésistible, plus redoutable, mystérieux, nocturne et silencieux, que le fracas _ même : dissolvant, lui _ des vagues contre les falaises.

Agathe voulut bien acquiescer :

l’image ne lui semblait pas très juste pourtant, et elle ne l’était certes pas,

mais vigoureuse ;

et puis elle allait au cœur :

elle m’apprit que, dans les dernières années de la Belle Époque _ peu avant 1914, donc _, l’un des descendants de Jean-François,

Alban Lambert,

un cousin qu’elle aimait comme le grand-frère qu’elle n’avait pas eu _ elle s’entendit moins bien avec son propre petit frère, Léonard, né en 1912, lui… _

un cousin mort à la guerre, l’avant-veille de l’armistice,

devait planter,

sans rien savoir _ pourtant _ des pages du Journal que je venais d’évoquer

_ et « inventé » quelques années plus tard seulement : « à l’automne 1936« , par un certain John Fleming (page 109), d’abord ; puis lors d’« une publication savante« , par les soins d’« un (sien) ancien camarade d’études, le Dr Anders« , quand « fut annoncée en mai«  1938 cette « découverte«  (page 11) ; mais surtout « l’été 1954« , lors de « la mise aux enchères des manuscrits«  et « l’acquisition décriée des douze carnets de cuir rouge par une université américaine«  (celle de Yale : les carnets quittant alors le Québec ; et le Canada), « pour voir le nom de Jean-François Rameau refaire surface » planétairement alors (page 111 aussi) _,

deux magnifiques spécimens de cèdre rouge

ou, comme on dit plus volontiers aujourd’hui, de thuya géant :

on peut encore les voir, du moins, se reprit-elle, était-ce encore le cas lors de son dernier séjour à Saint-Léonard, dans le parc de La Grande Sauvagerie, derrière la tour de l’observatoire. »

Et c’est là que se situe, page 138, le passage

déjà cité en mon compte-rendu précédent de La Grande Sauvagerie,

sur la constitution, par la « légende« , de la famille Rameau-Lambert, en une véritable « tribu » :

« la légende de Jean-François…« , l’expression se trouve page 138.

Voici donc ce courriel passionnant :

De :   Christophe Pradeau

Objet : RE: Article de mon blog Mollat sur « La Grande Sauvagerie »
Date : 18 juin 2010 01:24:46 HAEC
À :   Titus Curiosus


Cher Titus Curiosus,

je trouve vos messages et votre article au retour d’un séjour de quelques jours à X… Merci infiniment pour cette belle lecture, si impliquée et si précise à la fois, qui, par la façon qu’elle a d’accompagner le texte commenté, de se glisser dans ses recoins et ses interstices, dans ses blancs et lacunes, de digresser, de revenir en arrière, de piétiner et d’aller de l’avant, m’a rappelé l’écriture si singulière de Péguy _ mazette ! _, notamment dans ses essais sur Hugo ou sur la trilogie de Beaumarchais (ce merveilleux livre posthume que l’on connaît sous le titre de Clio) ; ou encore, moins connu et nettement moins accompli mais vraiment étonnant, le commentaire linéaire intégral de Madame Bovary par Léon Bopp _ inconnu de moi jusqu’à ce jour : grand merci, Christophe !

Vous avez presque toujours touché juste _ merci ! _, jusque dans le choix des illustrations. L’horloge de la « Maison Renaissance » de Lubersac flotte bien quelque part, en effet, derrière celle du Vieux Logis de Saint-Léonard ; et la Thérèse des Âmes fortes _ Christophe a écrit, comme j’avais, moi aussi, failli le faire : Âmes mortes ! mais là, ce n’est pas de Giono, mais de Gogol, qu’il s’agit ! _ derrière Thérèse Gandalonie _ je m’en réjouis, tant j’apprécie, et c’est encore un euphémisme, ce Giono-là : celui aussi d’Un Roi sans divertissement, Noé, Deux Cavaliers de l’orage, Les Grands chemins, Ennemonde et autres caractères, L’Iris de Suse : quel (jubilatoire) magicien du récit !.. Et en creusant un peu, j’ai découvert, alors, que Christophe Pradeau a réalisé un Jean Giono, paru aux Éditions Ellipses en 1998…

Pour ce qui est des précisions demandées…

Je n’ai pas constitué de chronologie précise, qui aurait préexisté au livre à la façon d’un plan _ et d’un cadre (ou d’une cage) a priori _, et je n’en ai pas établi a posteriori pour m’assurer _ Christophe n’a pas ce type d’« inquiétude«  maniaque… ; par là, il est tout à fait dans la descendance (poïetique) d’un Giono ! pour ne rien dire d’un Faulkner… _ de la cohérence de l’ensemble ; j’avais intuitivement _ cela devant largement « suffire« … ; la priorité étant la coulée (et plus encore le coulant) du flux… _ le sentiment que cela tenait, globalement… Mes premiers lecteurs – les lecteurs si précieux du premier cercle amical – l’ont fait pour moi et m’ont permis de corriger deux ou trois incohérences _ sans nulle gravité : Thérèse qui raconte n’est pas une machine ; ni une exégète (d’elle-même) maniaque… _ de détail : je croyais que cela avait été fait pour avril 1954-avril 1956… _ une discordance signalée entre les pages 62 et 16… Sans doute un problème de report sur les 3es et dernières épreuves… Il reste toujours des choses de ce type dans un livre et c’est assez rageant…

Pour ce qui est des liens familiaux. Marie-Lou _ la tante protectrice de Thérèse, dont le jardin au figuier généreux lui est (chaleureuse !) terre d’asile _ est, abusivement, qualifiée d’ « épouse morganatique » parce que, fille du bas pays, issue d’une famille paysanne d’une modeste aisance, elle épouse le frère de la mère de Thérèse _ voilà ! _, rejeton d’une famille prospère du haut pays

_ le jeu bas/haut – haut / bas est important dans l’économie du roman de Saint-Léonard : dès la première page, où tout « dévale« , tantôt abordé d’en-bas (à grimper, avec ses pieds : « Elle (la « lanterne des morts » : fascinante ! pas encore nommée par la narratrice, Thérèse, en cette toute première phrase, déballée par son récit, du livre !) domine le village, lui-même haut perché avec ses raidillons coupe-jarrets, ses monte-à-regret cabrés vers le ciel« …), tantôt vu d’en-haut (par un regard non essoufflé, alors ; mais le corps peut se mettre, et, bien vite, à se laisser aller à courir ! en fonction de l’âge, surtout… : « l’emmêlement têtu, le ruissellement (surtout : tout se met à couler !) gris bleu de ses toitures d’ardoises, ses étagements de balcons, de tourelles en encorbellement arrimés aux redans du rocher, avec l’ample retombée (voilà !) de ses jardins en terrasses, ses volées de marche dévalant (ça s’accélère ! la course vite emporte…) la pente, impatiente (voilà !) de se faufiler au milieu du quant-à-soi des vergers,

Cliquez sur l'image pour obtenir d'autres clichés

entre les hauts murs de granit, gainés de mousses et de lichens, alourdis par le débord cornucopien (à foison !) des arbres en espalier, la plénitude (oui !) tentatrice (paradisiaque !) des reine-claudes, des figues fleurs (les voici déjà !) , des sanguinoles ou des pavies, tunnels d’ombres et de feuillages le long desquels on dégringole (voilà, voilà ! de plus en plus vite, par l’effet de l’attraction gouleyante de l’ivresse de la pente avalée…) en criant à tue-tête pour déboucher enfin, hors d’haleine, échevelés, les joues en feu, au milieu des éclats de rire des berges, des courses trébuchantes sur les bancs de galet, face à l’éclaboussement (cézannien ! et zolien : cf les rives de l’Arc tout au bas de la pente d’Aix-en-Provence !)

http://www.isere.grenoble.snes.edu/spip/IMG/jpg_Paul_Cezanne_Baigneuses_1874_jpg-2.jpg
des corps nus dans l’eau froissée de soleil
« 
… : c’est superbe ! quel bonheur d’écriture !)…
_,

Marie-Lou est, abusivement, qualifiée d’ « épouse morganatique » parce que, fille du bas pays, issue d’une famille paysanne d’une modeste aisance, elle épouse le frère de la mère de Thérèse, rejeton d’une famille prospère du haut pays,

famille bourgeoise déjà, affranchie _ elle _ des servitudes _ lourdes _ de la terre. Je n’ai pas imaginé de prénom à cet oncle maternel de Thérèse, l’époux de Marie-Lou _ il demeure seulement (rien qu’) une « fonction » : comme pas mal des personnages masculins, ici… _, mais j’avais pensé lui donner le nom de Decay _ un mot de la famille de « descente » ; cf « décadence » (en anglais, « to decay«  signifie « se gâter« , « pourrir« , « partir en ruines«  : « déchoir« , donc… Il est censé avoir fait l’acquisition de la maison aux arcades et du jardin au figuier _ celui de la « chute« , au Paradis, dans la Genèse… _ quelques années après la mort d’Antoine, maison dont la famille Lambert, les héritiers d’Antoine, se défont, on ne sait pourquoi _ non plus _, au profit d’une famille du bourg, les Decay _ mais de telles transactions ne sont pas dénuées d’importance à l’échelle d’un petit pays… _, pas plus qu’on ne sait dans quelles circonstances Antoine a pu l’acquérir et à qui il l’a acheté _ le souci de l’auteur (quant à la « fabrique«  de son « monde« ) va assez loin, on le voit ; jusque dans ce qu’il choisit de délaisser : dans l’ombre (= sans focalisation trop nette). Pas de lien de famille donc entre Thérèse et les Lambert, du moins dans mon esprit, mais le texte autorise, bien entendu, à en imaginer et je l’ai voulu ainsi _ bravo ! La grand-mère de Thérèse, dont la mort la touche tant, est sa grand-mère maternelle : donc la mère _ aussi _ du mari de Marie-Lou. Cette dernière _ la bonhomie généreuse et la faconde de sa silhouette n’étant pas sans me rappeler celles de l’« Ennemonde » de Giono, sans sa « patte«  de carnassier, toutefois… _ est une sorte de figure de substitution sur laquelle se reporte l’amour de Thérèse pour son aïeule. Le père de Thérèse est laissé _ lui aussi _ dans l’ombre parce qu’il en est une _ c’est dit ! _ : d’une famille un tout petit peu moins aisée _ une différence infinitésimale suffisant ! _ que les Decay, d’un caractère moins bien trempé que celui de sa femme, il passe le plus clair de son temps _ fuyant comme la truite de montagne, à la peau un peu gluante quand on veut la saisir, ou tenir _ à la pêche… J’imagine tout ce que sa femme a pu dire _ certes ! _ sur les Gandalonie ! _ un nom qui me paraît proche de celui des « Vandales« , qui passèrent jadis par là aussi, avant de se poser et fixer en Vandalousie… Ai pensé, je m’en aperçois en vous écrivant, aux Dodson du Moulin sur la Floss.

Bien entendu, tout ce que je viens d’écrire est pour ainsi dire virtuel puisque seul le texte fait autorité _ bien sûr ! Ce sont des données qui m’ont été utiles pour écrire le roman _ en la gestation pétulante et pétillante : festive, de sa « fabrique«  _ mais que j’ai retirées – comme un échafaudage – ou qui sont restées en suspension _ c’est aussi bien intéressant, cela _, tout au long de l’élaboration du livre, dans le blanc de la page _ que le lecteur bien attentif ne peut que deviner : il est jubilatoirement passionnant de pouvoir, ainsi, glisser un œil dans ce « chantier de construction«  tout frais et si vivant : frémissant encore… Lire alors aussi est frémir…

Merci encore de m’avoir offert le plaisir de replonger _ merci ! _ avec vous au plus intime _ voilà ! mais c’est moi qui vous suis infiniment reconnaissant de l’éclairer ainsi ! en son frémissement ainsi « continué« , « retrouvé » par vous, l’auteur, en la lecture du « commentaire« … : le chantier de l’activité fictionnante se poursuivant par là, non seulement en le lecteur, mais même, ici, en l’auteur, lecteur du « commentaire« _ de La Grande Sauvagerie. J’ai retrouvé, en effet, en vous lisant, une saveur, une qualité d’intimité _ merci de me le faire, à votre tour, ainsi, partager ! _, inséparable de l’écriture, du livre en chantier _ mais oui ! _, mais dont, le livre publié, il s’agit de faire son deuil, à moins que certaines lectures ne vous la restituent _ la lecture, bien sûr, est (toujours, mais surtout à son plus vif) une reviviscence… C’est un plaisir rare et troublant, que je vous dois _ doublement merci (beaucoup) à vous, Christophe !

C’est pour cela que s’adresser à l’auteur, et continuer la « conversation« , en quelque sorte, qu’il a proposé d’entamer avec vous, lecteur, en vous offrant (à l’opération risquée, vôtre, de la lecture) « sa bouteille à la mer » (qu’est le livre : fictionné), est l’occasion de lui témoigner un peu de la (magnifique) reconnaissance (et gratitude) de cette joie pure de lire, en sa richesse, du lecteur ! admis à « collaborer« , en quelque sorte, à son tour _ à la façon de l’interprète musical de la partition écrite, notée… _, à partir des perches que lui tend (ou ne lui tend pas, avec des blancs et des lacunes, ou des ombres, volontaires), en ses phrases, l’auteur, à un jeu (comme « de l’oie«  : en partie ouvert par les hasards organisés et à moitié imprévisibles de la partie : la retombée des dés et le jeu qu’elle vient soulever…) ; à un jeu, donc, de perspicacité, au plaisir d’élucidation (jamais achevée, en effet) des « énigmes » (patentes) du récit lui-même, organisé ainsi et pour cela (ces portes ouvertes sur des pistes diverses devenant possibles…), du livre…Avec quelle densité et profusion ici : proprement « cornucopienne«  ! en effet !

il me semble que l’adjectif, présent en l’ouverture (assez audacieuse par là ! vis-à-vis de tant d’« indiligents lecteurs« , près de quitter, dès pareil seuil, le livre _ de fiction, le roman _, qu’ils viennent à peine d’entrouvrir !..) du récit de l’universitaire, désormais émérite, qu’est Thérèse, page 11, à propos des « hauts murs de granit« , enserrant les « vergers«  de Saint-Léonard (ou Saint-Robert, son modèle dans la réalité du territoire, si l’on préfère), « gainés de mousses et de lichens«  : « alourdis par le débord _ voilà ! _ cornucopien des arbres en espalier«  (et combien ce « débord« , fructiforme, ou fruitier, est superbe !),

revient une autre fois : je viens de le trouver, page 51,

à propos de « la langue » et de « la veille patiente« , dans les « bibliothèques de la Nouvelle-Angleterre dont les portes restent ouvertes jour et nuit«  : « où s’entretient sans discontinuer, tous les jours de l’année, jusque dans les heures les plus hostiles du petit matin, le feu vacillant des lectures buissonnantes, la veille patiente de ceux qu’on appelle, dans la langue cornucopienne de la Renaissance (voilà !), les Lychnobiens (ceux qui vivent à la lueur des lanternes)« … Fin, ici,de mon incise sur ce généreux, un peu rare aujourd’hui, adjectif : « cornucopien, cornucopienne« 

Bien amicalement,

Christophe Pradeau

Dans la curiosité festive de votre prochain opus…

Titus Curiosus, le 19 juin 2010

Post-scriptum :

Lui ayant demandé son blanc-seing

à la publication de notre (modeste) échange,

voici le petit mot (de réponse)

que je reçois ce matin, il est 5 heures, de Christophe Pradeau :

Cher Titus,

Je ne vois pas d’inconvénient à publier ma réponse à votre article et le commentaire qui l’accompagne.

Merci encore…

Vous avez une façon d’écrire d’une tonicité réjouissante et communicative.

Bien amicalement,

Christophe Pradeau

« Wow » ! _ soufflerait le cher ami Plossu…

C’est moi qui suis le débiteur :

de la richesse proliférante, « cornucopienne« , donc

(mais contenue : retaillée _ sans perdre le souffle, tout au contraire, pour mieux affûter ses fulgurantes, ou terribles, envolées : tout respire ! _, retaillée au burin, au ciseau, au stylet, à la plume _ michel-angelesque ! sur la blancheur du marbre chaleureux, en fusion (en sa merveilleuse fondante autant que consistante plasticité…) de vos mots ! _ d’exigence artiste ! cf le « en espalier » de la taille des arbres des vergers de Saint-Léonard !)

de votre « monde« ,

cher Christophe,

celui qui jaillit et sourd de votre écriture _ et « le style, c’est l’homme même » ! _ :

en une densité qui continue d’échapper _ et donner à profusion : en votre générosité (« cornucopienne » ! donc…) d’auteur-écrivain : oui, vous l’êtes ! _ fruits, fleurs, feuilles, rameaux _ eh ! oui ! _, branches et frondaisons splendides, caressés (et soulevés) par le vent et la lumière , dans l’univers d’en-haut,

et racines et radicelles (à champignons !), dans l’univers « souterrain« , ou d’en-bas, dans le terreau et le terrain et le territoire :

tous, frémissants qu’ils s’agitent (et que vous percevez ! si merveilleusement, en votre écriture !)

_ tel Lucrèce ;

je n’ai encore rien dit (quelle faute ! mille pardons !) de ce que vous en faites, aux pages 86 :

« j’entends la pluie d’atomes chantée par Lucrèce« 

et 87 : « plus rien ne compte que les entrechoquements d’atomes, ces écarts et pas de côté (oui ! le clinamen décisif !) qui sont tout à la fois la genèse et l’apocalypse (en effet : « à la fois« , oui ! d’un seul et même mouvement, en la richesse infinie de ses métamorphoses rebondissantes complexes !), le début et la fin (l’alpha et l’oméga !), toutes choses mêlées, confondues dans la même (giboyeuse !) pluie fine de printemps« 

(celle-là même rencontrée, avant-guerre certainement, par la merveilleuse Marie-Lou, elle, à la page 60 du récit de sa nièce Thérèse Gandalonie, en ce que cette dernière nomme, avec tant de justesse, une de ses « heures enchantées » (jusqu’à donner son titre au « chapitre troisième » : « Les heures enchantées« ) :

« elle _ Marie-Lou, donc _ avait fini par pénétrer pourtant dans la lumière, par se glisser (voilà ce qui est requis de nous, vivants humains : ce banal, mais décisif geste de courage ! que tant, telle la mère de Thérèse, se refusent, eux, rigidement, d’accomplir !) dans le ruissellement dansant du spectre. Le monde s’était replié, resserré sur lui-même ; tout n’était plus qu’entrechoquements, retombées erratiques et joyeuses (mais oui ! car la joie « est«  spacieuse ; cf Jean-Louis Chrétien ! en son décisif La Joie spacieuse _ essai sur la dilatation : je le recommande éminemment !) de petits grains de couleurs. Lou s’abandonna, la bouche ouverte, prise d’une envie folle de courir et de crier, de chanter sa joie et sa peur, et incapable d’articuler un son, de faire le moindre geste, offerte (oui ! telle une Danaé à la pluie d’or…) tout entière (oui !) à la pluie lumineuse qui s’enroulait autour d’elle (magiquement et naturellement ! les deux vont de pair : et le poète le « voit«  ! telle la Thérèse du livre de Christophe !!!), qui l’enlaçait, la pénétrait comme l’eau la terre meuble, l’entraînant corps et âme (oui ! et elle ne l’oubliera plus !) dans une ronde où elle se démultipliait (voilà : en se dépliant…) à l’infini et finissait (se décentrant ainsi de son « quant-à-elle-même » trop social-bête, en se livrant à cette altérité !) par se perdre ( bien heureusement ! une grâce !) de vue«  (pour se déployer « corps et âme« , donc, à jamais…) ;

ensuite :

« pas un bruit, si ce n’est le glou-glou des rigoles, le travail obscur, l’odyssée invisible de l’eau, le lent ruissellement, la lente traversée des épaisseurs d’humus vers le silence étale des nappes phréatiques«  : ce bonheur d’écriture et de vérité-là se savoure à la page 61 de La Grande Sauvagerie…),

« plus rien ne compte que les entrechoquements d’atomes, ces écarts et pas de côté

qui sont tout à la fois la genèse et l’apocalypse, le début et la fin,

toutes choses mêlées, confondues dans la même pluie fine de printemps, donc

_ je reprends ici l’envol du récit de Thérèse, cette fois (après celui _ que Thérèse rapporte, en sa mémoire, ou plutôt évoque et reconstitue, avec, aussi, ses nouveaux mots à elle… _ celui de Marie-Lou, avant-guerre, elle, à la page 60) de Thérèse, cette fois, et maintenant !, la plume à la main de ce livre, à la page 87 :

« ce livre que vous lisez, dont je suis tout près d’écrire le dernier mot« , dira Thérèse Gandalonie à la page finale de La Grande Sauvagerie, page 154… _,

de celles (ces « choses mêlées, confondues dans la même pluie fine de printemps« , donc)

qui exaltent, libèrent toutes les odeurs, tous les parfums (et aussi les saveurs) de la terre,

une petite pluie pénétrante (et fécondante !) qui contient en elle (oui !) l’infinie diversité des formes et des existences » _ eu leur incessant jeu (tant héraclitéen qu’ovidien !) de « métamorphoses«  tant obscures, immergées dans la nuit ou reléguées dans l’ombre, que luminescentes : il faut apprendre, aussi, à les recevoir et accueillir, au lieu de les nier et refuser, dénier, pour savoir en toute simplicité, et vérité, les percevoir !.. ;

même si la nièce Thérèse a semblé, un temps, moins habile ou douée pour cela que sa tante (ni Decay, ni Gandalonie, en son enfance des « fonds humides« , elle ; voire des « fosses à purin« , dont elle s’extrait et s’extirpe, « grimpée sur le talus », déjà, page 57…) Marie-Lou ;

Thérèse ayant dû, elle, passer par, et accomplir quelques larges détours : tant dans l’espace et le temps (l’histoire autant que la géographie) que dans les « curiosités«  (toujours singulières) d’une culture, ultra-fine, incorporée peu à peu, dans l’éclairement patient de quelques lumineux livres ; encore lui a-t-il fallu, aussi, oser s’essayer à l’exercice (insu ! pour commencer) de bien, bien les lire… _ :

comme je vous suis, cher Christophe,

en ce lucidissime lucrécianisme !..

qui n’est pas sans m’évoquer aussi l’enchantement « électrique«  si follement généreux et déployé d’un Walt Whitman ! en son magistralement magique Feuilles d’herbe !.. ;

et fin ici de l’incise lucrécienne ! _,

tous

(fruits, fleurs, feuilles, rameaux, branches et frondaisons splendides, caressés, et soulevés, par le vent et la lumière, dans l’univers d’en-haut, et racines et radicelles (à champignons !) continuant leur poussée, dans le monde inverse d’en-bas) _  je reprends et poursuis pour l’achever enfin ma propre phrase ! _

frémissants qu’ils s’agitent,

parties prenantes, et combien ! _ on l’a perçu _, du circuit de la vie,

et féconds…

Merci ! de tout cela ! Christophe…

Cultiver (en son regard !) la lumière de la luciole et subvertir la carole magique : l’enchantement de l’écrire de Christophe Pradeau

16juin

« Prendre la mesure du monde » _ si vaste et si profond ! _ à partir de l' »appui » d’une enfance (granitique et forestière) en Limousin (du côté de Lubersac, pour les vacances, au moins) :

tel est le défi _ superbe ! _ d’écriture

auquel à choisi de s’affronter Christophe Pradeau en son opus magnifique (quel livre dense et riche et musical !) : La Grande Sauvagerie, aux Éditions Verdier _ et tout récent « Prix Lavinal » du « Printemps des lecteurs » de la librairie Mollat : la réception ensoleillée du Prix eut lieu au village de Bages, des mains de Jean-Michel Cazes, jeudi 3 juin dernier.

C’est le roman de la naissance,

compliquée, retardée par des obstacles _ encore trop douloureux pour être frontalement énoncés, expliqués, en son récit maintenant même par la narratrice, la soixante advenue, pour elle, à la page 39 : « à la veille de devenir une petite vieille : cheveux enneigés, poitrine racornie, fessier effondré, yeux vitreux injectés de sang, peau tavelée, varices, cors au pied, gestes tremblés, démarche chaque jour un peu plus mal assurée, lenteur, universelle lenteur comme une glu dans laquelle vous êtes prise« , soit sa plus formidable obsession (l’auteur, lui, Christophe Pradeau n’a, à ce jour, que trente-neuf ans !) _, mais finalement impuissants à l’étouffer,

d’une curiosité,

principalement intellectuelle (et affective, familiale, mémorielle surtout ;

pas amoureuse ou sexuelle : la narratrice restant très elliptique quant à ses amours :

après une très rapide évocation, page 32, de la « suavité irréelle » _ voilà ! peut-être parce que bien rare en un pays bien rude… _ de « l’âge des premiers rendez-vous« ,

une allusion, page 83, à une liaison de trois mois, probablement en 1969, l’année de ses vingt-trois ans, un amour, qui la transporte d’Istanbul, où elle résidait alors, dans le quartier de Galata

_ « Istanbul, où je vécus plusieurs mois, à Galata, dans le jardin d’hiver d’un appartement enchanté _ déjà ! _ d’où le regard s’envolait (une figure majeure de l’idiosyncrasie du personnage ! à la Claude Simon : Le Vent…), porté par les vents étésiens _ quelle chance ! _, fasciné par la violence des courants, la profondeur des ténèbres sous l’écume gris bleu du Bosphore _ en ses mortels vortex… _  charmé (toujours le regard ! plus même que la narratrice elle-même : une « contemplatrice« , en fait, se tenant à quelque distance, ici sur le bateau, devant lequel les « choses vues«  défilent, sans que le reste de son corps s’y mêle ! ; sa « mobilisation«  est celle du regard !) par la nonchalance des caïques, le défilé lent des yalis, leurs façades embrumées par les moucharabiehs, les femmes pensives sur les balcons de bois sombre, penchées,  un mazagran de café dans le creux de la main, au dessus du puits d’encre des eaux fonds (du Bosphore : vertigineusement magique !), debout sur les pontons nacrés de coquillages et de vase, silhouettes minuscules errant (verlainiennement) parmi les terrasses délabrées des parcs _ somptueux, en effet, là _, sous les frondaisons centenaires des pins, des platanes _ j’ai moi aussi constaté leur splendeur stambouliote ! _ , des arbres de Judée ; certains jours de la mi-août, quand la lumière se fait si intense, purifiée des ondoiements huileux de la canicule, que tout, et jusqu’à la ligne d’horizon, se rapproche brusquement _ et sans lunettes _ de vous (tiens ! tiens ! ô le vertige !), j’ai pu croire, Orithie consentante abandonnée au Vent du nord (avec la majuscule !), que rien n’arrêterait mon regard (toujours lui ! à l’avant, en estafette, du reste-du-corps fantassin, plus exposé encore aux blessures, lui ! que la pupille ou l’iris des yeux !) jusqu’au débouché du corridor _ en élévation, sinon lévitation ! _ où m’attendait le spectacle (toujours à regarder-contempler à un peu de distance !) de la brusque floraison d’un détroit en mer intérieure, dépliement des vagues en corolles de colchiques, diaprures, irisations allant se perdre dans les lointains, vers la Crimée (ô le beau nom féminin ! et ce qu’il charrie d’images les plus noires !..) et ses anciens comptoirs gênois, en direction de Caffa, ses rats noirs (les voici !) et ses cadavres buboniques (pestiférés, donc ! pardon du pléonasme !) enroulés comme des fœtus dans le giron des catapultes » ;

voici alors la chute, et la révélation très elliptique d’un bref amour (de trois mois) : « Je quittai Galata sur un coup de tête pour me perdre de vue (voilà ce que c’est de cesser de privilégier son regard !) en Argentine, sur les hauts plateaux du Chubut, enlevée par des bras moins fermes (hélas pour la narratrice !) mais tout aussi inconstants (hélas encore !) que ceux de Borée _ le vent du Nord _, avant de retrouver, trois mois plus tard, mon nid d’alcyon sur (= au-dessus de ! une position recherchée, nous en aurons confirmation à d’autres reprises, dont l’appartement new-yorkais de la narratrice, donnant directement sur l’East-Side River…) les eaux du Bosphore, mais pour lui dire adieu presque aussitôt : il était plus que temps de regagner la France«  _,

une allusion à une liaison de trois mois, un amour (entre cette Orithie, elle, et un Borée, l’autre, donc) qui la transporte d’Istanbul

rien moins qu’en Argentine,

un peu au nord de la Patagonie, où se situent ces « hauts plateaux du Chubut«  (dont nous ne saurons pas davantage ! _ cf le « En Patagonie«  de Bruce Chatwin (et mon article « la traversée du siècle d’un honnête homme (et beau garçon) en quelques fécondes rencontres d’artistes-créateurs en des capitales cosmopolites : le parcours de Peter Adam de Berlin à La Garde-Freinet, via Paris, Rome, New-York et Londres » sur le livre de Peter Adam « Mémoires à contre vent » qui évoque sa furtivité et sa discrétion personnelles, au passage…) ; ou « Le Lièvre de Patagonie » de Claude Lanzmann (et mes sept articles de l’été 2009, à partir de « La joie sauvage de l’incarnation : l’”être vrais ensemble” de Claude Lanzmann _ présentation I« …) ; ou les contes de ma cousine Silvina Ocampo, l’épouse de mon cousin Adolfo Bioy… _ ;

une autre allusion à cet épisode malencontreux de « haute solitude » argentine (« étrangère à un lieu, des habitudes, des coutumes« ), se trouve à la page 49 : « lors des quelques mois que je devais passer, une dizaine d’années plus tard (que l’épisode du Mas Fargeau, lors du recensement de 1965 _ les repères fluctuent, au gré des indices du récit de son passé par la narratrice…), dans un dénuement _ voilà ! _ que plus jamais je ne connaîtrais par la suite _ = rétrospectivement _, sur les hauts-plateaux du Chubut, compagne d’aventure fourvoyée dans une histoire _ d’amour ? ou simili… _ qui ne m’était de rien » : on appréciera la richesse du nuancier de ces expressions…

et une autre, enfin, non moins brève, page 85, quant à un autre amour (sans guère de suites, non plus : la narratrice demeurera célibataire et sans enfants _ du moins le semble-t-il…) :

« Je renouai, de fait, à New-Haven _ où se situe l’université de Yale : Christophe Pradeau y a lui-même séjourné ! en son cursus universitaire… _, dans l’une de ces universités alourdies de lierre où le présent semble moins éloigné qu’ailleurs des Pilgrim Fathers et des « colonies perdues », avec des études d’histoire de l’art _ la narratrice ne s’y attarde pas trop en son récit _ que j’avais maintes fois reprises et abandonnées au hasard de mes années d’errance (entre juillet 1967 et août 1970 : elles lui paraissent une « décennie«  !), avec la ferme intention de les couronner cette fois par la rédaction d’une thèse sur l’architecte américain Franck Lloyd Wright, dont je m’entichai (intellectuellement quasiment…) lors d’un séjour à Chicago,

en m’attardant, tout à la joie inattendue, par nature toujours inattendue _ certes ! non recherchée ! à accueillir seulement ! il s’agit d’une grâce donnée à fonds perdus ; sans calcul d’aucune sorte ! _, d’aimer et d’être aimée (c’est dit ! page 85, donc : sans nulle autre considération !),

au milieu des splendeurs automnales (d’« été indien« , ou « été des Indiens » ! page 99 : à contempler ! elles aussi…) d’Oak Park. Je vivais à New-Haven depuis deux ans déjà (nous sommes donc en 1972 alors…) et m’apprêtais à commencer un PhD

quand je fis, dans les stacks de la Sterling Library, la découverte que j’ai dite« , un peu plus haut, aux pages 53 et 62 de cette narration par Thérèse Gandalonie d’une partie (la plus intellectuelle, ou seulement cérébrale : à propos de la « tribu«  des Lambert, issus de Jean-François Rameau, mort d’« expérimenter« , à son entier corps mal défendant, la « grande sauvagerie » du Grand Nord américain) de son histoire à elle, qui vient s’embrouiller, « inextricablement mêlée«  qu’elle est « à la leur« , selon une expression de la page 82, à celle des Lambert-Rameau :

quand je fis, dans les stacks de la Sterling Library, la découverte

d’« un petit livre bleu nuit abandonné sur le plateau d’un chariot de reclassement« 

Je poursuis ici la lecture de ce « tournant » du roman, pages 53-54 :

« Je savais que quelque chose n’allait pas _ mon regard (toujours lui !) m’en avait tout de suite averti _ mais je n’arrivais pas à dire quoi. Était-ce que le nom de l’auteur

_ « Le petit livre bleu nuit portait la signature d’un historien (lucquois) dont l’œuvre n’avait cessé (nous sommes ici alors en 1972, à Yale ; et la notation, page 62, est à prendre on ne peut plus à la lettre !!!) de m’accompagner

(au point que dès qu’elle se mettra à « voyager« , à ses vingt-et-un ans, une fois « passée de l’autre côté, dans le camp des vies mobiles et des curiosités indiscrètes« _ les deux sont liés, à la page 36 _, elle « ne manquera pas » de se rendre, et très vite, à Lucques, « se recueillir«  devant la façade, seulement, de la demeure de ce chercheur très éminent (d’abord pour elle), en forme d’hommage quasi filial (au moins intellectuellement) très ému de sa part (comme si « sa lecture«  de « lui«  constituait l’acte, en forme de « passeport« , de sa véritable naissance (non biologique, cette fois : culturelle !) au monde ! ; « je me figurais, dit-elle, page 53, près d’être déglutie par la boue, par l’hostilité indistincte _ voilà _, sans rien _ jusque là _ à quoi me raccrocher _ c’est décisif _, et empoignant soudain et comme en désespoir de cause, une touffe de mes cheveux, et tirant, tirant de toutes mes forces, et me hissant, à force de tirer, comme si le pouvoir m’était donné _ grâce à lui, enfin ! _ d’être à la fois la sage-femme et le nouveau-né, la main experte et le corps glaireux«  ;

cf son récit de cela, aux pages 66-67 :

« Lorsque, à vingt-et-un ans, j’entrepris à mon tour de voyager, ivre de curiosité _ voilà ! _, je ne manquerais pas d’aller me recueillir à Lucques, devant la façade gaufrée de bossages rustiques derrière laquelle le grand historien, qui m’avait éveillée à moi-même et au monde (voilà ! rien moins !!!), avait écrit le meilleur de son œuvre, à commencer par son grand livre sur le Déluge« … ; fin de l’incise lucquoise !)

Le petit livre bleu nuit portait la signature d’un historien dont l’œuvre n’avait cessé de m’accompagner, donc,

depuis que j’avais eu la révélation, en le lisant, avec peine, dans une espèce de fièvre heureuse, au cours d’une semaine caniculaire de fin juillet _ je venais tout juste de fêter mes dix-sept ans (en 1963, donc, selon mes calculs de lecteur un peu curieux (et donc assez attentif : à déchiffrer les indices laissés…) : la narratrice sortait de Première et allait passer en Terminale au lycée ! je me souviens que, personnellement, ce fut la lecture du Bruit et la fureur de Faulkner qui me fit procéder à ce genre de « comptes«  en décryptant un roman : je devais être en Première quand je le découvris ; je venais de m’abreuver juste auparavant à Sanctuaire ; et je poursuivrais par Lumière d’août ! Que d’enchantements ! fin de mon incise faulknérienne…) _

j’avais eu la révélation, donc,

que l’ennui léger (un défaut de la vision : une invasion de mouches optiques à un excès de luminosité, contracté face à la blancheur aveuglante des salines contemplées du haut des remparts d’Aigues-Mortes) obscurcissant ma vie depuis quelques mois, s’aggravant les dimanches après dîner (ou déjeuner de midi ?) en somnolence accablée, n’était qu’une brume passagère qu’il ne tenait qu’à moi de traverser (par la lecture !) pour entrer de plain-pied dans la vie (soit un élément tout simplement décisif dans l’économie du roman, et le parcours de vie, donc, aussi, les deux allant de pair, de la narratrice !). Assise en tailleur, adossée au figuier

(d’un jardin dont nous nous finirons par apprendre, tout à la fin, in extremis, la révélation, page 153, de l’importance en sa vie : quand d’une des deux lunettes de l’Observatoire (astronomique) qu’avait édifié, en contrepoint de la lanterne des morts, Octave Lambert, en son Domaine de « La Grande Sauvagerie« , sur la hauteur surplombant les toits d’ardoise et les jardins en terrasse du village de Saint-Léonard, la narratrice découvrit _ proustiennement ! cf la célèbre remarque de Proust sur les opérations de focalisation inverses des télescopes et microscopes !, en son sublime Temps retrouvé ! _, au bout de la-dite lunette, qui n’en bougeait plus (« J’essayais bien de faire pivoter la lunette sur son axe (…) mais l’objectif restait obstinément fixé sur le figuier« …) : « un banc plus qu’aux trois quart enseveli sous les branches chargées de fruits d’un figuier, celui-là même sous lequel _ c’est l’arbre de la connaissance d’Adam et Ève dans la Genèse ! _ je contractai, il y a cinquante ans, le goût de lire« …)

adossée au figuier,

mon attention allait du livre (de l’historien de l’art italien), de Paolo Uccello à Nicolas Poussin, de l’immense hostilité verdâtre de leurs Déluges _ sublimes ! les deux _, au spectacle léger du vent _ salvateur : mobilisateur… _ autour de moi, dont j’observais la façon malicieuse _ oui ! _ qu’il avait de s’immiscer sous la nappe _ familiale ! _ dominicale » (au point que « un coup de vent plus fort que les autres arracha la nappe«  qui « en un instant avait franchi le mur du jardin » « pour s’échouer dans les branches des cerisiers du presbytère« …), peut-il se lire page 63…

« Je savais que quelque chose n’allait pas (quant à ce livre italien découvert par le plus grand des hasards à la bibliothèque Sterling de Yale) _ mon regard (toujours lui !) m’en avait tout de suite averti _ mais je n’arrivais pas à dire quoi.

Était-ce que le nom de l’auteur (un grand historien d’art italien vivant à Lucques, donc) n’allait pas (mais en quoi donc ?) avec le titre ?

Certes je savais qu’il _ le pronom (« il« ) est mis ici en italiques ! avec quelle intention ? de quoi est-ce l’indice qui nous est, discrètement, proposé à déchiffrer ainsi ?.. et par qui , l’auteur, Christophe Pradeau ? la narratrice, Thérèse Gandalonie ?.. _ n’avait pas écrit ce livre _ comment le savait-elle ? et pourquoi ne l’avait-il donc pas écrit, « lui« , « ce livre« -là ?.. mystères !!! Cela faisait partie de mon trouble, mais ne suffisait pas à l’expliquer

_ ce jour-là de 1972 (= « un soir de  blizzard que je m’étais attardée plus que de raison (celle des trop étroitement rationnelles horloges !), dans l’espoir d’une accalmie qui ne viendrait pas, dans l’emmêlement _ un délicieux labyrinthe ! où se perdre afin, peut-être, de parvenir à « se trouver » !.. _ de coursives, de passerelles suspendues, d’échelles et de monte-charges, d’une de ces bibliothèques de la Nouvelle-Angleterre (l’université de Yale, à New-Haven, se trouve dans le Connecticut) dont les portes restent ouvertes jour et nuit, où s’entretient sans discontinuer, tous les jours de l’année, jusque dans les heures les plus hostiles du petit matin, le feu vacillant (mais vaillant : ou la luminescence d’autres sortes de lucioles que celles acclimatées par Antoine Lambert, de Toscane, à La Grande Sauvagerie limousine : celle du regard s’éclairant et de mieux en mieux éclairé des lecteurs de livres !) des lectures buissonnantes (= tous azimuts), la veille patiente (activement : voilà !) de ceux qu’on appelle, dans la langue cornucopienne de la Renaissance, les Lychnobiens (ceux qui vivent à la lueur des lanternes _ coucou les revoilà, les « lanternes des morts » du tout début du roman ! _ ). ») ; fin de l’incise du rappel de l’année, 1972, et du lieu, « les stacks de la Sterling Library« , selon une expression de la page 85… _

Cela faisait partie de mon trouble mais ne suffisait pas à l’expliquer

_ je reprends l’énoncé par la narratrice, page 53, du début de la découverte de son sésame (ou début de fil d’Ariane) ; car elle a l’intuition que la révélation viendra de sa lecture d’un livre :

« J’entretenais, sans trop me l’avouer _ dit-elle aussi, page 52, la narratrice a alors vingt-six ans _, la certitude parfaitement déraisonnable, transposition dans le monde des adultes de je ne sais quelle superstition enfantine _ cf déjà La souterraine, le premier opus romanesque fictionnel de Christophe Pradeau ! _, qu’un livre (j’avais écrit un « monde » !) m’attendait, caché parmi les centaines de milliers à jamais indéchiffrables ou indifférents, un livre écrit non certes à mon usage exclusif mais pour lequel il y avait dans ma vie une place réservée. (…) J’étais en quête d’un livre dont je ne savais rien, si ce n’est qu’il m’arracherait à ce retrait

_ familial et limousin : ce terme de « retrait » est important, en sa timidité à combattre et surmonter ! Page 67, la narratrice dira aussi, en mettant la main, à la bibliothèque Sterling, de Yale, sur le petit livre à « la reliure bleu nuit » : « J’avais le sentiment grisant et un peu inconfortable d’être sur le seuil d’une pièce défendue » : interdite ! voilà ! _,

qu’il m’arracherait à ce retrait,

ce quant-à-soi (figé : tel le sommeil, sous l’effet de quelque « carole« , telle celle dont fut victime la Belle au bois dormant des Contes de ma mère l’oye de Perrault : la narratrice évoque, en plus de ce conte, à la page 25 et de celui de La Barbe bleue, à la page 61, l’inspiratrice, Dorothea Viehmann, de ceux des frères Grimm, à la page 95, ainsi que celle, Arina Rodionovna, qui « enluminerait les nuits de Pouchkine enfant« , à la page 34 ; une « carole magique« , c’est quasi un pléonasme, telle celle qu’infligea la fée Viviane à Merlin, le privant ainsi, en ce « cercle«  immobilisateur, de sa propre puissance d’« enchantements«  : l’expression « carole magique«  se trouve page 85 :

« plus je progressais dans ma lecture (des deux articles se rapportant à Saint-Léonard dans « le petit livre à la reliure bleu ciel«  du magicien de Lucques), plus je sentais se refermer autour de moi la carole magique dont je croyais bien pourtant avoir pour toujours brisé le cercle _ voilà ! _ en fuyant au loin, à des milliers, des dizaines de milliers de kilomètres de Saint-Léonard. Je sus immédiatement que j’étais faite _ comme un rat ! _, condamnée à tourner en rond dans la ratière _ la voilà _ jusqu’à ce qu’on _ quelque prédateur supérieur ! _ se décide enfin à me briser l’échine« , pages 34-35 ;

à la façon dont Octave « épouillait La Grande Sauvagerie«  des lucioles que son frère Antoine y avait (de Toscane) « acclimatées«  (en Limousin) : « elles émettaient un bruit sec quand on les brisait sous l’ongle du pouce«  ; si bien qu’« au matin, lorsqu’Octave rentrait se coucher, il avait le bout des doigts vaguement lumineux« , page 150 ; « il restait longtemps, penché sur la cuvette de la salle d’eau, à regarder ses mains avant de les plonger, d’un geste brusque, d’une violence rentrée _ là aussi _, toute tournée en dedans _ voilà ! _, dans l’eau bouillante, encore frémissante, qu’Annette ou la mère de celle-ci avait versée dans la vasque de porcelaine blanche« , page 150 aussi)

qu’il m’arracherait à ce retrait
ce quant-à-soi dont je n’arrivais pas à trouver la sortie,

à l’impossibilité où j’étais de dire nous _ nous tous, entre nous tous… _ sans rougir,

tellement j’avais le sentiment depuis que mamie nous avait abandonnés _ la date de sa disparition n’est pas laissée à déduire d’indices (en 1957 ? quand Thérèse est envoyée à Aigues-Mortes « éloignée pour (la) déshabituer de mamie » ?.., page 16)  ; non plus que celle (trois ans auparavant) du décès de la sœur aînée de Thérèse, sa « ur Anne«  « qui ne voyait rien venir du haut de sa tour abolie«  _de n’être plus autorisée à me réclamer d’une aventure _ familiale _ commune

_ et la mère de Thérèse, surtout, s’acharnant à détruire, « avec une obstination sauvage _ voilà ! _ que je ne lui connaissais pas encore«  (tiens ! tiens !), page 18, en les brûlant, tous les papiers (ou « papillotes« ) que sa mère avait préservés et conservés,

notamment des articles de journaux (datant de 1934) ; dont Thérèse ne parvient à sauver que des bribes...

Si bien que Thérèse :

« Je me crus longtemps incapable de lui pardonner le regard sans compassion qu’elle avait posé sur la morte,

la brutalité _ voilà ! _ avec laquelle elle avait entrepris de déraciner _ rien moins ! _ sa mémoire,

affectant, entreprenant la souche à coups de masse _ mazette ! _, de faire comme si mamie n’avait jamais été parmi nous (…).

Maman avait décrété une fois pour toutes et pour chacun que l’histoire de nos vies continuerait sans hoquet, sans hiatus,

avec les mêmes mots qu’elle l’avait fait trois ans plus tôt à la mort de sa fille aînée,

mais sa résolution avait, cette fois, une âpreté, une intransigeance _ voilà ! _ dans le ton qui coupaient _ bigre ! _ le souffle« , lit-on aux pages 21-22…

Se découvre ainsi peu à peu comme un secret de famille,

dont la clé ne sera jamais explicitement, noir sur blanc, donnée par Thérèse Gandalonie,

qui n’en propose (ou laisse transparaître) que des commencement d’indices,

et surtout au dernier chapitre,

quand nous découvrirons que »le jardin au figuier » luxurieusement abondant de la tante Marie-Lou _ comment est-elle apparentée aux Gandalonie ? par quels liens se trouve-t-elle la belle-sœur de la mère de Thérèse ?.. cela reste flou… _ était celui qu’arpenta les trois dernières années de sa mélancolie de vie, Antoine Lambert,

après sa « rupture » de cohabitation irréversible avec son frère jumeau (mais « aîné« , tout de même !), Octave.

Ainsi lit-on, d’abord page 37, et au détour d’une phrase,

cette remarque-ci de Thérèse à propos du « parcours » (ascensionnel : vers « les hauts« …) de sa famille,

à l’occasion de sa participation, « l’été de ses dix-huit ans« , en juillet 1965, aux opérations de « recensement du canton« , vers « les bas » marécageux des fonds de l’Auvézère :

c’était une « occasion inespérée de voir s’incarner tous les lieux que je ne connaissais que par leur nom, déchiffrés sur les cartes d’État-major ou sur les panneaux de la signalisation routière, ou saisis au vol dans les conversations, le tohu-bohu de toponymes dont était fait pour moi le pays _ alentour _ de Saint-Léonard et que j’étais bien incapable de situer vraiment _ voilà ! _ les uns par rapport aux autres, je veux dire autrement que sur une carte, dans une réalité _ oui ! _ faite de broussailles et de pêcheries, de chemins de traverse dissimulés sous les fougères ou la bruyère, de tourbières _ en effet ! _ et de haies d’épines infranchissables,

faute d’avoir été initiée à la réalité _ voilà : à parcourir à pied ! et par son corps, en ses muscles _ de la campagne

autour du bourg où ma famille,

qui avait réussi depuis peu à s’extirper _ voilà ! _ de l’existence boueuse des hameaux,

vivait retranchée, depuis deux générations,

accrochée de toutes ses forces aux hauteurs minérales _ surplombantes, elles _ conquises de haute lutte _ oui ! _,

que nous ne quittions pour ainsi dire jamais,

si ce n’est pour quelques brèves échappées, toujours les mêmes ;

campagne dont je devais me contenter _ toujours ! indéfiniment ! _

de scruter avidement _ mais oui ! _ le mystère _ en forme informe de troubles tourbillons (et torsades) _,

des heures durant,

du haut _ à distance, ainsi _ de la motte féodale où j’étais assignée à résidence« , aux pages 36-37, donc…

Puis, aux pages 57-58, ceci :

« Un soir de printemps, alors que Marie-Lou, arrachée à la boue de son hameau _ voilà ! _ par la grâce d’un mariage morganatique _ avec quel mari, donc ? Pourrait-ce être Antoine Lambert ? _ venait tout juste de monter _ voilà ! _ à Saint-Léonard,

de s’installer _ largement _ dans la grande maison sous les arcades,

acquisition récente de sa belle-famille _ qu’est-ce donc à dire ? s’agit-il de la famille des Gandalonie ? ou bien de celle de la mère de Thérèse ? ou bien encore de celle des Lambert, en l’espèce d’un mariage avec un époux de quarante ans plus âgé qu’elle ? Et Antoine est né, lui, en 1871… _,

dont elle ferait son royaume _ avec jardin luxuriant de palais _

et où elle me donnerait si volontiers asile _ en situation de tempête ou de guerre (intestine) _ ,

insoucieuse des reproches, des remarques perfides, de la jalousie rentrée _ elle aussi : pour quelles sombres raisons, donc ?.. _ de sa belle-sœur _ par quels liens précis de famille ? cela demeure imprécisé par Thérèse (et par Christophe Pradeau) _,

bien décidée à ignorer, fut-ce contre vents et marées, l’interdiction qui lui serait faite de m’ouvrir sa porte,

un jour que maman et moi nous nous étions affrontées plus sauvagement _ voilà ! _ que de coutume ;

interdiction que Marie-Lou traita en riant de baroque,

un mot que jamais je n’avais entendu dans sa bouche et que jamais plus je ne lui entendrais dire ;

un soir donc, c’était dans les dernières semaines de la guerre… » etc.

_ en 1944 : comment entendre donc le rapport entre l’expression d’« installation récente » à Saint-Léonard (du fait et de « la grâce d’un mariage pour ainsi dire morganatique« , et de « l’acquisition récente » par « sa belle-famille«  de « la grande maison sous les arcades« ) ?.. Thérèse nous laisse dans l’indétermination… Quid de la justesse des dates ? et de l’inconcordance flottante, ainsi, des temps?..


Enfin, il y a les confidences de la dernière des Lambert, Agathe (la fille d’Octave, rencontrée par Thérèse au tout dernier chapitre), soit lors de leur unique rencontre à Paris, en 1990 _ semble-t-il _, au domicile d’Agathe, « dans son appartement de la rue de Babylone« , page 126 ; soit en leur correspondance suivie et nourrie (« nous nous écrivions chaque mois de très longues lettres qui prolongeaient en tous sens _ voilà ! _ des récits dont nous savions par avance qu’ils resteraient inachevés, que nous échouerions à leur donner une fin« , page 151) : « plus d’une centaine » de lettres « que nous avons échangées la dizaine d’années que dura notre amitié épistolaire » : ces révélations, d’une écriture beaucoup plus linéaire que celle des chapitres qui les ont précédées, font l’essentiel du tout dernier chapitre « Un trou à la nuit« , en une expression poétique (empruntée au langage populaire, en 1822) dont la signification est magnifiquement plurivoque !

Un peu plus tard, encore, Thérèse « eut le sentiment de tomber au fond d’un puits« , page 152, quand, d’une des deux lunettes (la méridienne !) de l’observatoire astronomique d’Octave Lambert (mort en 1938 : « on découvrit son corps, déjà en voie de putréfaction, allongé sur le siège de cuir rouge qui commandait la lunette méridienne, dans le secret d’un observatoire où il n’avait plus laissé pénétrer personne depuis le scandale«  de la fuite de son fils « tout juste âgé de dix-sept ans« , « Léonard, le frère cadet d’Agathe, l’héritier du nom, l’espoir de la famille, brillant sujet qui secondait déjà son père à l’observatoire« , page 148, « avec la jeune femme qu’avait épousée Antoine deux ans plus tôt, au retour de sa dernière expédition dans la mangrove indonésienne« , toujours page 148, « le 9 mai 1929″…), ce qu’elle aperçut la transit d’effroi…

« Les deux frères n’avaient plus échangé un mot depuis plus de deux ans _ à dater de ce 9 mai 1929 ! _ quand Antoine, à la stupéfaction de tous, quitta La Grande Sauvagerie pour s’installer _ en 1931, ou 32 _ à Saint-Léonard« , apprend-on page 150.

« J’eus beau batailler avec Agathe, l’étourdir de questions et d’objections, il fallut bien à la fin que j’accepte, comme elle m’y invitait, de reconnaître dans la maison où Antoine s’installa, le royaume de Marie-Lou,

la maison élue entre toutes

qui incarnait pour moi l’esprit d’enfance, le plus cher, le mieux aimé, le plus secret de mes lieux de mémoire », page 150.

« Antoine y mourut, moins de trois ans plus tard _ en 1934, probablement… _, emporté par une embolie pulmonaire, à l’âge de soixante-cinq ans _ ce qui donne, maintenant, à la lecture, en 1936 : il était né en 1971… Il y vécut seul avec une jeune femme de quarante ans sa cadette _ Marie-Lou ? « extraite«  de son « hameau marécageux«  d’origine ?.. Née en 1911, elle aurait été la contemporaine d’Agathe, née en 1909… _, dont il ne prenait même pas la peine de dissimuler, au grand scandale des bien pensants, qu’elle ne se contentait pas de tenir son ménage, mais partageait aussi bien volontiers son lit« , page 150 toujours…

« Je sentais monter en moi une irrépressible envie de vomir, déclare alors Thérèse, page 154, à l’idée que j’avais hérité d’Antoine et d’Octave _ en leur inimitié _ cette lunette restée braquée après leur mort sur la maison qui fut pour moi celle des jours heureux, à l’idée qu’elle m’avait tenue enfermée _ en un regard virtuel, ou en quelque « carole«  _, vingt ans durant ; et je n’avais pas été sans obscurément le soupçonner _ même _, dans la prison d’un regard«  _ virtuel…

Cependant,

« hier, en me promenant sur le boulingrin ensauvagé _ qui n’est pas sans m’évoquer celui (bien peigné) des promenades « enchantées«  de la marquise de Sévigné en son château des Rochers, en Bretagne… _, lentement reconquis par la broussaille,

alors que je venais de saluer, comme je ne manque jamais de le faire chaque soir, en manière de rituel, ma vieille amie la centauresse,

j’aperçus une toute petite lumière,

tic-tac fébrile, intermittent,

froissement furtif dédoublé, de farfadet ou de gobelin _ souvenir ou résurgence, je ne sais, des lucioles

qu’Antoine avait su naturaliser (en Limousin) sur les hauteurs de La Grande Sauvagerie _ ;

elle disparut presque aussitôt dans les sous-bois mystérieux, pour nous à jamais inconcevables, de la bruyère,

si vite que je suis incertaine si je l’ai vraiment vue

mais sa lumière demeurera en moi _ voilà ! _ :

je ne désespère pas

de la cultiver _ mieux encore ! c’est une activité ; ainsi qu’une méthode : un art ! _ dans mon regard _ d’où le titre de mon article pour rendre compte de ce si beau La Grande Sauvagerie _,

de l’acclimater _ c’est aussi une affaire de pratique régulière ; et d’accommodation _ dans les profondeurs aériennes _ musicales ! _ du vitré« , page 154 _ et nonobstant la maladie des mouches

La Grande Sauvagerie est ainsi le roman de la naissance, compliquée, retardée par des obstacles (et des tabous), mais finalement impuissants à l’étouffer,

d’une curiosité (mobile !)

celle d’une femme, Thérèse Gandalonie, née au mois de juillet 1946 _ ce n’est pas explicitement précisé, mais on peut en cerner à peu près l’année (et Thérèse passe le bac en 1964… : à l’âge de dix-huit ans ; et l’été dans la foulée, elle participe, de son initiative, aux opérations de recensement du canton) _

Le récit proposé par l’auteur est en effet celui d’une narratrice : « moi, Thérèse Gandalonie« , se lit-il dès le premier (long et dense : deux pages ; mais excellemment rythmé : ô combien musical ! ;

enfin un auteur (français) qui n’a pas le souffle court !!!

tel le jubilatoire Mathias Énard, en son époustouflant Zone ! cf mes 2 articles sur celui-ci : « Emérger enfin du choix d’Achille !.. » et « Le miracle de la reconnaissance par les lecteurs du plus “grand” roman de l’année : “Zone”, de Mathias Enard« … ;

mais très différemment de lui, aussi… ; deux vrais styles ; chacun en sa pleine « nécessité » !!!) ;

dès le premier paragraphe, soit à la page 12 :

« Aujourd’hui encore,

à chaque fois que le sujet revient dans la conversation,

il y a toujours quelqu’un pour proposer comme une hypothèse personnelle _ hum ! hum ! _

l’idée, assez largement partagée pourtant,

que l’horloge _ celle de « la Place _ la place municipale s’entend, mais on disait la Place«  alors… (il s’agit de l’horloge du « Vieux Logis,

et son toit à la Mansart« , lira-t-on, encore, page 117,

avec « son horloge, la girouette qui la surmonte« ) : page 11 _,

aujourd’hui encore _ donc : je reprends _,

à chaque fois que le sujet revient dans la conversation,

il y a toujours quelqu’un pour proposer comme une hypothèse personnelle _ quelle mode ! _

l’idée, assez largement partagée pourtant, que l’horloge

l’occulte _ le prétendu « occulté«  (par l’horloge) étant l’énigmatique « lanterne des morts« 

lanterne.jpg

par l’évocation de laquelle commence, page 11, immédiatement, le récit de Thérèse :

« Elle (= la « lanterne des morts« , donc) domine le village, lui-même haut perché«  ; et qui donne son titre, « La Lanterne des morts« , à la première partie (pages 11 à 73) du roman ; la seconde et dernière (pages 77 à 154) s’intitulant, elle, « L’Observatoire«  _ ;

Aujourd’hui encore, à chaque fois que le sujet revient dans la conversation, il y a toujours quelqu’un pour proposer comme une hypothèse personnelle l’idée, assez largement partagée pourtant, que l’horloge l’occulte,

qui est encastrée _ cette « horloge » (toute moderne, en quelque sorte), donc _ dans les combles du Vieux-Logis,

sonnant les quarts, les demies et carillonnant les heures,

entretenant au plus profond des sommeils l’image _ toute de confiante modernité ! _ de roues dentées et de tempêtes de sable dans des ampoules de verre.

C’est ce que j’ai longtemps cru, comme tout le monde _ poursuit la narratrice (qui ne va pas tarder à se nommer, quatre lignes plus bas) _ ;

ce que je répondais aux voyageurs _ on ne disait pas alors « touristes« , en ces années cinquante-soixante : il semble, à un peu calculer, que Thérèse ait vu le jour à Saint-Léonard au mois de juillet 1946… _ qui répugnaient à prendre la route sans l’avoir ne serait-ce qu’entraperçue.


C’est ce que je continuerais
_ on remarquera la préférence donnée ici au conditionnel ! _ à prétendre des années après que j’aurais découvert _ à quelle date ? à quelle époque de son enfance-adolescence ? _,

moi Thérèse Gandalonie,

qu’il n’en était rien _ en matière d’« occultation » des « repères«  _ ;

et que, sur ce point comme sur tant d’autres _ voilà à quoi peut « servir » la littérature en façon de « formation » (non didactique !) de la « jugeotte » (plus large que la raison, trop étroite, elle, de la modernité de la « techno-science« , donc) de tout un chacun d’un peu plus « éveillé » ou d’un peu plus subtilement « curieux » (que pas mal d’autres)… _,

il ne fallait pas accorder une confiance aveugle _ voilà l’œuvre de la crédulité ! _ aux rengaines _ et autres « clichés«  (ce mot est le dernier du chapitre 2, page 50) rapportés et compulsivement partagés _ qui faisaient le fonds des bavardages quotidiens.

Une fois rappelé, ce que les guides touristiques ne précisaient jamais ou presque, que l’accès en est interdit _ cette « lanterne des morts«  étant incluse dans les murs d’une propriété privée : le Domaine de « La Grande Sauvagerie«  _,

et qu’il leur faudrait de toute façon se contenter

_ un mot assez important : la narratrice apprenant (un peu plus tard : page 36) à cesser de « se contenter«  ainsi :

« Mon enfance prit fin le jour où je compris _ surprise que j’ai longtemps (cependant encore) éprouvée en moi comme une trahison _ que j’étais passée de l’autre côté,

dans le camp _ voilà ! _ des vies mobiles et des curiosités indiscrètes » :

ce fut « l »été de (s)es dix-huit ans« , lors de sa contribution (volontaire) à l’opération de recensement du canton, en 1965 ;

elle qualifiera aussi sa nouvelle « curiosité insatiable« , page 65, de rien moins que de « faim de loup«  qui lui « brûlait le ventre«  :

la révélation, au Mas Fargeau, pages 42 à 50 (et qui concerne le défi d’un « ça ne s’écrivait pas«  qu’oppose à sa question, à propos du prénom du « petit dernier« , quant à la parole en patois, le père de famille _ de « onze enfants, quatre garçons et sept filles« , page 44 _, à la page 46), est proprement bouleversante ; je n’en transcris ici que la conclusion :

« J’avais vu _ au cœur de la forêt toute voisine, résume-t-elle en conclusion de son « expédition«  _ un monde autre que le mien,

et pourtant suffisamment proche _ c’était celui, pour moi désormais inhabitable, de mes aïeux, d’ancêtres dont je ne savais plus rien, pas même le nom _ pour que le choc de l’incompréhensible _ en l’énigme (brûlante) de sa si proche altérité même ! _ résonne indéfiniment _ voilà _ en moi :

impossible de m’en détourner ou de le tenir à distance,

de le circonscrire ou _ même _ de _ seulement _ l’émousser

en le réduisant _ voilà encore ! _ aux dimensions oublieuses d’un cliché » :

quelle écriture ! quelle vision ! quelle pensée ! chapeau l’écrivain !.. ; il s’affronte au défi d’énoncer l’irréductible ; et il y réussit sublimement ! ;

se découvrant une irréversible et irrémédiable ! curiosité : « de loup«  ! _

et qu’il leur faudrait de toute façon se contenter, donc,

de la regarder à bonne distance,

cette intrigante et fascinante « lanterne des morts«  sise en un domaine privé,

j’indiquais bien volontiers aux étrangers _ au village de Saint-Léonard _ comment s’y prendre pour la voir au plus près _ de ce qui leur était accessible, du moins ! _ : traverser le quartier de l’église et gagner les hauteurs du village (…). Nulle part ailleurs le village ne s’ouvre aussi largement vers le nord : il faut se contenter _ encore ! _ de coup d’œils furtifs _ au lieu de regards accédant à la précision de détails mieux parlant : tel le relief des (remarquables) sculptures (dont, tout spécialement, une « centauresse« ) des chapiteaux de la lanterne qui ne se laisse pas même deviner (à tout uniformément « figer dans un noir et blanc charbonneux« , page 14) sur les cartes postales ;

cf les remarques de la narratrice (bien des années plus tard, et dans une tout autre « position«  à l’égard du Domaine « interdit » (de visite) autrefois, aux pages 118-119 :

« je préférais de beaucoup rester ici _ voilà ! _ à observer la ronde des heures sur les toitures d’ardoises _ des maisons du village en contrebas (désormais) _ (…) adossée à la lanterne des morts et comme confondue en elle, la peau grêlée sous ma robe légère par le contact du granit, avec au-dessus de ma tête, veillant sur moi, la grâce insondable _ voilà aussi… _ de la centauresse, le sourire que je lui découvrais (maintenant), qu’aucune photographie n’avait su me montrer, parce qu’aussi bien sans doute il faut pour l’apercevoir prendre le temps (eh oui !) de tourner autour de la lanterne, d’épouser (baroquement en quelque sorte !) la torsion (voilà !) qui donne vie (soit l’œuvre de tout art vrai ! son chant ! sa danse ! son mouvement tournoyant nous introduisant, enfin, au réel !) à toutes ces figures sculptées, que l’on peut croire entassées à la va comme je te pousse dans l’étroitesse malcommode des chapiteaux, mais qui gagnent, à être ainsi recroquevillées, à se voir imposer les plus étranges postures, une force de propulsion (comme c’est parfaitement pensé ! et dit !) telle qu’il suffit de les effleurer _ mais avec comme une « mozartienne tendresse » (cf encore l’expression à la page 132, à propos de l’interprétation par Erich Kleiber des Noces de Figaro gravée au disque ! : « un feu qui crépite, suprêmement gai et secrètement mélancolique », « pour la plus libre et la plus aérienne, à la fois la plus méridienne et la plus nocturne des Folles journées...« ) _ ;

telle qu’il suffit de les effleurer du regard

pour les retrouver l’instant d’après fichées à tout jamais (car tel est le pouvoir de l’Art vrai !) dans votre mémoire« … ; fin ici de l’incise consacrée aux pages 118-119… _,

il faut se contenter de coup d’œils furtifs _ je reprends l’élan de la phrase de la narratrice (et de Christophe Pradeau), page 12 _,

coupés par un mur,

gênés par un treillis de branchages« , page 12 _ j’y reviens donc : c’est le point de départ de l’« énigme«  qui ne sera résolue qu’à la fin du récit de La Grande Sauvagerie

C’est que « s’il multiplie les points de vue sur la vallée, aménagés en promenades où il fait bon bavarder le soir sous les tilleuls,

le village,

avec ses façades uniformément tournées vers les séductions méridionales,

affecte d’ignorer le relief _ mais pas que lui ! nous le découvrirons au fur et à mesure du récit de Thérèse Gandalonie… _ auquel il est adossé,

l’amas d’éboulis, l’horizon fermé par la roche abrupte, les arbres sombres de la Grande Sauvagerie _ le Domaine incluant cette « lanterne des morts« , donc, dans l’enclos de sa propriété _, et, en position de léger surplomb _ favorisant la visibilité le plus loin possible dans le pays alentour du feu entretenu, à ce dessein de « repérage des égarés«  (par un gabiou à demeure, en sa cabane) à son sommet _, la lanterne (donc !)

http://mw2.google.com/mw-panoramio/photos/medium/15869791.jpg

signalée par les guides : une tour de granit un peu courtaude, rongée par la mousse, d’un appareillage fruste, sans grâce«  _ seulement ainsi aperçue, du moins, de (trop) loin, ou (trop) mal rendue par les photographies (pas assez soignées en leur focalisation, ni leur grain) des cartes postales.

Le récit de la narratrice saura revenir judicieusement là-dessus, en détaillant bien plus justement (et avec cette  « tendresse«  même que nous venons de percevoir, à la page 118, puis à la page 132…) le relief « suave«  des sculptures des chapiteaux et particulièrement le mouvement (« sa grâce insondable » !..) de la « centauresse« 

A cette « idée assez largement partagée », selon l’expression de la page 12, en ce qui concerne l’ordre de priorité des « repères » _ lanterne des morts (archaïque) versus horloge (moderne) de la Place : sur une maison Renaissance… _ que se destinent les humains,

répondra ceci, à la page 115,

en conclusion, cette fois, de l’avant-dernier chapitre,

et à propos de Jean-François Rameau _ un peintre d’ex-voto, surtout, « cousin à la mode de Bretagne du grand Rameau«  : Jean-Philippe, le musicien, auteur des plus beaux opéras de la tradition française ! _ s’étant affronté à l’énigme _ américaine : québécoise, au départ de Montréal et du Saint-Laurent _ de la « grande sauvagerie » _ sans majuscules, cette première fois ! _,

au point de livrer

(grâce à la « gibecière que l’on avait retrouvée près de lui et les quelques pages du Journal qu’elle contenait encore » _ surtout : remis plus tard à sa veuve, Marie Rameau, à Beaune, en Bourgogne, « par un nommé Paul Garenne, maître-teinturier de son état, qui avait bien connu le peintre d’ex-voto à Montréal« , page 133 _ quand ce dernier fut découvert et retrouvé, « le 7 mai 1763 » _ page 108 _ par « un groupe d’enfants jouant sur la berge d’un bras mort du Saint-Laurent » : en « un canoë qui dérivait doucement au fil de l’eau« … _ page 105)

au point de livrer _ à tricoter (et broder)… _

cette expression, en forme de « légende » rassembleuse d’une « tribu » (plus qu’une famille !), à ce qui sera sa descendance, descendue de Bourgogne (Beaune) en Limousin (le Saint-Léonard du roman) ;

où elle traversa le village « un matin tempétueux de la fin octobre 1822« , « dédaignant d’y faire halte, pour s’installer quinze kilomètres plus loin, aux Mayéras, une grosse bâtisse abandonnée depuis plus de vingt ans, qui avait appartenu, avant la guillotine et les aristocrates à la lanterne, à une dynastie de maître de forges« , page 136 ;

« Deux jours plus tard, on observa une demi-douzaine d’hommes en habit qui allaient et venaient sur le rocher avec des gestes de géomètres. Les travaux commencèrent peu après par lesquels les Lambert prirent officiellement possession du rocher haut-perché sur l’Auvézère

qui deviendrait, de leur seul fait, La Grande Sauvagerie« , toujours page 136 ;

« c’est Jérôme et Jeanne-Marie qui auraient baptisé les lieux, en souvenir de Jean-François, dont la mort glorieuse, ou à tout le moins tenue _ et plus encore proclamée _ pour telle, avait grandi _ voilà ! _ avec les années à la hauteur d’un mythe fondateur« , page 137…

« Et moi _ c’est Thérèse Gandalonie qui parle de son travail de déchiffrage (des carnets) et d’édition (du livre) à New-Haven-Yale : « Il m’avait fallu un peu plus de cinq ans pour venir à bout de l’édition du Journal« , de 1973 à 1978, page 121, pour ces Carnets de Jean-François Rameau _ qui le déchiffrais,

mêlant sa mémoire à la mienne,

comment aurais-je pu soupçonner que les carnets de cuir rouge de Jean-François

me reconduiraient _ on lit bien : à la page 115, donc _, au prix d’un très long _ en temps (plus de « quarante ans d’errance« , l’expression se trouve à la page 32 : soit d’août 1970 à passé 2001, ou davantage…) comme en espace (de par le monde et à travers mers et océans : Thérèse travaillant et résidant alors en permanence aux États-Unis : à l’université de Yale, à New-Haven, dans le Connecticut, de 1970 à 1978 ; puis, ensuite, et continument, à New-York, pour « un poste d’enseignement« , page 121) _ détour ;

comment aurais-je pu soupçonner _ et nous, lecteurs, donc ! _

que les carnets de cuir rouge de Jean-François me reconduiraient, au prix d’un très long détour,

vers le Saint-Léonard de mon enfance,

qu’ils m’introduiraient sur les hauteurs si longtemps _ proustiennement, en quelque sorte, dans le mouvement même du Temps retrouvé : quand se rejoignent pour s’ajointer (et se fondre, voire confondre) « le côté de Guermantes«  et « le côté de chez Swann«  _ crues inaccessibles _ durant l’enfance de Thérèse, jusqu’à son départ de septembre 1964 (de Saint-Léonard et du Limousin) _ de la Grande Sauvagerie,

au pied du monolithe noir _ l’immémoriale (archaïque) « lanterne des morts«  ! _ qui veille sur les maisons endormies,

inquiétant et bienveillant tout à la fois,

plus haut dressé dans le ciel,

plus universel

repère _ voilà ! c’est de cela qu’il s’agit au fondamental ! _

et plus efficace

que l’horloge de la Place municipale _ en sa (relative) modernité ;

idem quant aux « lunettes«  de l’Observatoire astronomique d’Octave Lambert (1871-1938) ! _,

que j’entends _ de la chambre aux glycines du Domaine : mais cela n’a pas été réellement dit, détaillé, explicité encore, ni vraiment déchiffré par nous (à de menus et rares indices), les lecteurs : cela fait partie de l’« énigme«  qui aimante (tout du long !) la curiosité, à son tour (après celle de Thérèse, la narratrice, en soixante ans de vie de « recherche«  en Histoire de l’Art : à Yale, puis à New-York), du lecteur de ce très riche et merveilleux roman qu’est La Grande Sauvagerie _, au moment même où j’écris ces mots _ écrit donc Thérèse Gandalonie _, sonner la minuit ?« …

C’est que Thérèse avait « appris de bonne heure à reconnaître la signature même du réel » à de « foudroyants renversements de perspective« , écrit _ superbement ! (et proustiennement ; il faudrait citer aussi Giono, et sa Thérèse et son « contre«  des Ames fortes…) _ la narratrice, dès la page 34.

De même qu’un peu auparavant, pages 28-29, faisant le point sur ses premières interrogations quant au Domaine de « La Grande Sauvagerie« , vers 1960-1961 (Thérèse a quatorze-quinze ans au terme du récit du premier chapitre, celui intitulé « Cache-cache« ),

et même si « je ne fus rien moins qu’éclairée, à vrai dire, par les anecdotes répétitives et les souvenirs confus dont on s’ingénia à nourrir _ très partiellement et très insuffisamment _ ma curiosité _ toute débutante, alors…

Les récits _ en effet qu’elle osa commencer encore timidement à solliciter _ s’entremêlaient et se se contredisaient ; les noms se superposaient en s’excluant mutuellement ; j’avais l’impression d’être enfermée _ _ dans un labyrinthe _ oui : pas la géométrie (simplifiée !) du boulingrin du Domaine ! il me rappelle celui de Madame de Sévigné en son château de Bretagne ! celui où elle se promène certaines nuits « enchantées« , à la clarté de la lune… _ de données incompatibles qui ruinait _ pour lors, du moins… _ l’idée même de certitude _ désirée.

Alors, lorsque l’oppression se faisait trop forte _ de la part de sa mère, tout particulièrement ! jusqu’au « baroque«  ! comme la alla la qualifier un jour la tante Marie-Lou, à la page 58… _, je me glissais, le plus furtivement possible, jusqu’à mon poste de guet, d’où je voyais bien que rien ou presque ne concordait entre ce que j’avais sous les yeux et ce que l’on me racontait. Je n’en chérissais que davantage ma découverte. C’était une cachette superlative, creusée dans l’épaisseur même des choses _ voilà _, un secret dont je devais rester l’unique dépositaire. (…) Vous étiez _ nous confie-t-elle, en nous prenant à témoins ! _ ailleurs, retiré dans une forteresse inviolable, d’où vous ne sortiriez que par votre libre volonté, aux aguets _ voilà ! _ dans un bastion _ avancé _ qui commandait de troublants couloirs perspectifs _ voilà encore davantage ! nous progressons… _, tout un réseau _ à percer à jour ! _ de communications entre le passé et le présent _ encore indéchiffrées… Je restais immobile à regarder _ d’en-bas _ La Grande Sauvagerie, oublieuse de l’heure, les yeux écarquillés, comme s’il y avait quelque chose à déchiffrer que je ne distinguais pas _ = pas encore ! _, une histoire défaite _ quelle juste intuition ! déjà, pour une gamine de quatorze-quinze ans… _, oubliée de tous _ = refoulée, plutôt ; tue ! _, mais qui était là, pourtant, en suspension _ oui _, infusée dans le paysage«  _ entre « lanterne des morts«  et « observatoire«  : c’est superbe ; cela lance l’intrigue vers l’espoir de la résolution (par Thérèse ; puis par nous, à sa suite !) de quelque « énigme« , dès la fin du premier chapitre, « Cache-cache« , aux pages 28-29.

Tout un apprentissage ; et une résistance aussi !

C’est ainsi que de la fresque du Déluge de Paolo Uccello, au Chiostro Verde, de Florence (telle qu’elle est commentée par le « reclus de Lucques«  (l’expression se trouve page 84), en son livre découvert par Thérèse « au cours d’une semaine caniculaire de la fin juillet _ je venais tout juste de fêter mes dix-sept ans » (ce qui donne, si mes calculs sont justes, 1963),

Thérèse tire un enseignement de « résistance« , page 66 :

« Malgré toute la détresse représentée, je trouvais, surmontant la sensation première de vertige, un réconfort inattendu dans le sentiment que nous avions le devoir de lutter, de ne pas céder sans combattre (voilà !) mais de nous hisser, ne serait-ce qu’un instant, sur la scène (c’en est une ! et elle nécessite de s’y exposer !), faite de mémoire et d’oubli (en l’acte même de l’œuvrer de l’artiste ! si on le prend en son sens métaphorique, cette fois), ballottée par le temps, que l’Uccello nous donne à voir, avec une franchise et une grandeur fortifiante, comme notre lieu propre (voilà !) : l’arène tempétueuse de l’aventure humaine«  : rien moins !

soit une vocation !.. et bien plus que vitale !

Et c’est ainsi que « sur le tard, page 62,

de la lanterne des morts était née petit à petit une autre histoire, secrète celle-là, plus troublante, que personne jamais ne me raconterait, qu’il me faudrait (voilà !) inventer _ c’est-à-dire découvrir en une enquête, méthodique et opiniâtre, de la « curiosité«  ! avec la grâce d’un minimum de chance, aussi ! énonce Thérèse _, en recueillant (patiemment et même follement) indice sur indice _ à la Carlo Ginzburg… _, en recoupant les sources, en ajointant les fragments, en les emboîtant tant bien que mal ;

tessons brisés de la réunion desquels

résulterait la solution d’une énigme

dont j’ai eu les premiers soupçons en avril 1956

_ ou plutôt 1954 ?.. le « 16 avril 1954«  : cf aux pages 15 et 16 ce que révélaient « de simples coupures de journaux«  qu’avait mises de côté la grand-mère de Thérèse : « ce matin du 16 avril 1954, la lanterne triompha et pour toujours des réserves d’indifférence feinte qui m’avaient si longtemps protégée d’elle. Je ne devais plus dès lors cesser de la sentir en moi, présence étrangère, un peu douloureuse, mais si durablement mêlée à ma vie qu’aucune force ne saurait aujourd’hui l’exciser sans faire voler en éclats ce que je suis devenue. Elle est incrustée dans mon regard«  _

en lisant, donc, de vieilles coupures de journaux _ préservées et conservées, pour elle, par sa grand-mère _, mais qu’il m’aura fallu près d’un demi-siècle avant d’être capable de la résoudre ;

et de me décider à mettre en récit le drame secret qui s’enroulait en elle

comme le serpent dans le couffin d’osier« , page 62…

Avec Christophe Pradeau,

en ce magnifique de richesse et densité (et musicalité : nous percevons le souffle de Thérèse, jusqu’en ses non-dits) La Grande Sauvagerie,

un écrivain de première grandeur, et avec quelle maîtrise, est d’ores et déjà ici, à chanter !

Titus Curiosus, ce 16 juin 2010

la situation de l’artiste vrai en colère devant le marchandising du « culturel » : la poétique de Michel Deguy portée à la pleine lumière par Martin Rueff

23déc

C’est sur le modèle de « l’artiste en colère » du « Charles Baudelaire _ Un poète lyrique à l’apogée du capitalisme » (traduit en français par Jean-Yves Lacoste en une parution chez Payot en 1982 ; et rééditée enPetite bibliothèque Payoten 2002) du magnifique Walter Benjamin _ travail hélas interrompu par l’exil et la mort prématurée du philosophe à Portbou le 26 septembre 1940 ; il était né à Berlin le 15 juillet 1992 _

que Martin Rueff vient de rendre le plus bel hommage _ celui d’une analyse méthodique fouillée d’une sublime lucidité ! _ qui soit au poète (et philosophe) _ dont vient de paraître, en date du 23 octobre 2009, « La Fin dans le monde« , aux Éditions Hermann, dans la collection « Le Bel Aujourd’hui«  _ inflexible et exigeant _ au point, bien involontairement de sa part (cf le plus qu’éclairant « grand cahier Michel Deguy » qu’a dirigé et publié Jean-Pierre Moussaron, aux Éditions « Le Bleu du ciel« , à Bordeaux, en 2007), d’en « terroriser«  plus d’un encore aujourd’hui !.. _ qu’est le très grand Michel Deguy (né en 1930) ;

en même temps que « sous » l’intuition de l’analyse philosophique impeccable _ autant qu’implacable _ de Gilles Deleuze (1925-1995) en son opus _ probablement _ majeur, « Différence et répétition« , paru en 1968 :

avec ce très grand travail de fond, à l’articulation _ ultrasensible ! _ de l’intuition poétique et de l’analyse philosophique, que constitue « Différence et identité : Michel Deguy, situation d’un poète lyrique à l’apogée du capitalisme culturel« , aux Éditions Hermann, dans la collection « Le Bel Aujourd’hui« 

Car l’œuvre de Michel Deguy _ faut-il, seulement, l’indiquer ?.. _ est une œuvre tout uniment de poésie et de philosophie :

de poésie avec _ ou à partir de _ la philosophie ;

de philosophie avec _ ou à partir de _ la poésie…

Or, la tradition installée _ culturellement : à creuser… _ française

regarde d’un assez mauvais œil _ et sans pouvoir, décidément, se défaire de ce vilain travers opacifiant, qui lui nuit tant !.. en lui collant ainsi tellement, telle une taie, l’aveuglant… _ les transversalités, les transgressions de genres, les « passages » de « frontières« …

Et ce n’est certes pas un hasard que ce soit le « trans-frontières« , à maints égards, qu’est Martin Rueff :

entre littérature

(et poésie : ce n’est certes pas non plus pour rien que Martin Rueff est _ ou soit ? _ lui-même poète ; je veux dire connait _ ou connaisse _ l’expérience irremplaçable de l’écriture même de la poésie !!! Cf, par exemple, son récent « Icare crie dans un ciel de craie« , aux Éditions Belin, en 2008 ; ou/et son « Comme si quelque« , aux Éditions Comp’Act, en 2006 : succulents de délicatesse hyper-lucide ! On n’écrit, ni ne pense, à partir de rien ! Et à partir du phraser poétique vrai n’est en effet pas peu…)


entre littérature (et poésie, donc) et philosophie

_ son « L’Anthropologie du point de vue narratif (modèle poétique et modèle moral de Jean-Jacques Rousseau) » est à paraître aux Éditions Honoré Champion ; c’est de cet important travail que s’est nourrie la riche conférence « Le Pas et l’abîme, ou la causalité du roman gris » que Martin Rueff a donnée à la Société de Philosophie de Bordeaux le 8 décembre dernier ; cf mon article précédent, du 12 décembre : « L’incisivité du dire de Martin Rueff : Michel Deguy, Pier-Paolo Pasolini, Emberlificoni et le Jean-Jacques Rousseau de “Julie ou la Nouvelle Héloïse” » _ ;

entre France (Paris) et Italie (Bologne) où il réside _ à la fois ! _ ;

et enseigne (aux Universités de Paris-7-Denis Diderot, et de Bologne _ si prestigieuse : fondée en 1088, cette université qui a pris le nom de « Alma mater studiorum«  en 2000, est la plus ancienne du monde occidental (1116, pour l’université d’Oxford ; 1170, pour l’université de Montpellier ; 1250, pour celle de Salamanque ; 1253, pour la Sorbonne _) ;

entre la langue française,

dans laquelle il écrit (ses travaux personnels, si j’ose ainsi m’exprimer !) : « poésies » et « essais« ,

et la langue italienne,

qu’il traduit (si utilement) :

le poète Eugenio De Signoribus (né en 1947, à Cupra Marittima, dans la province d’Ascoli Piceno, dans la région des Marches) : « Ronde des convers« , aux Éditions Verdier, et dans la collection si belle « Terra d’altri« , à la direction de laquelle Martin Rueff a succédé au grand Bernard Simeone, que la mort nous a pris si précocement (1957-2001) ;

le philosophe Giorgio Agamben (né en 1942, à Rome _ et lecteur intensif de Walter Benjamin, dont il a été, en Italie, l’éditeur des œuvres complètes _) : « Profanations« , « La Puissance de la pensée« , « L’Amitié« , « Qu’est-ce qu’un dispositif ?« , « Nudités » ;

l’historien _ magnifique lui aussi ; et pas seulement historien, non plus _ Carlo Ginzburg (né en 1939, à Turin ; et fils de Natalia et Leone Ginzburg) : « Nulle île n’est une île« …)…

ce n’est, donc, pas tout à fait un hasard que ce soit le « trans-frontières« , à maints égards, qu’est Martin Rueff qui se soit attelé à cette tâche importante de mieux servir le travail « ressassant » et inlassablement « creuseur«  _ à la façon, mais en son genre, des « vieilles taupes » de l’Histoire, selon Marx… _ de Michel Deguy, en le mettant splendidement lumineusement en perspective,

et dans son parcours _ poétique ! même si aussi philosophique… _ singulier,

depuis « Meurtrières« , en 1959 (aux Éditions Pierre-Jean Oswald _ ce premier recueil, difficilement accessible, nous est re-donné intégralement dans le « grand cahier Michel Deguy » de Jean-Pierre Moussaron, aux Éditions « Le Bleu du ciel« , en octobre 2007, aux pages 302 à 329…), et « Fragment du cadastre« , en 1960 (aux Éditions Gallimard, collection « Le Chemin« , que dirigeait Georges Lambrichs),

jusqu’au « Sens de la visite« , en 2006 (aux Éditions Stock), et « Desolatio » et « Réouverture après travaux« , en 2007 (aux Éditions Galilée)

_ « La Fin dans le monde » n’étant pas alors encore paru : ce sera, aux Éditions Hermann, dans la collection « Le Bel Aujourd’hui«  aussi (que dirige Danielle Cohen-Lévinas), le 23 octobre 2009… _

et dans notre Histoire générale,

à partir du « modèle d’analyse de situation civilisationnelle » _ si j’ose pareille expression _ que Walter Benjamin a échafaudé, à la fin de la décennie 1930, pour « situer« , déjà, Charles Baudelaire (1821-1867), en son « Charles Baudelaire _ Un poète lyrique à l’apogée du capitalisme« …

J’ai déjà signalé la (double) « incisivité » et de Michel Deguy, et de Martin Rueff ;

et leur singulière acuité d’attention

_ civilisationnelle, politique, « culturelle«  (avec les pincettes des guillemets : sur l’usage, spécifiquement, des guillemets (et autres tirets ; dont j’use et abuse !) par Michel Deguy, lire la passionnante analyse de Martin Rueff aux pages 407 à 420 (sur « la syntaxe de Michel Deguy« ) de ce décidément richissime « Différence et répétition » !.. _

à l’état et qualités du devenir de la civilisation :

ce n’est certes pas pour rien que sur le tout dernier _ et très récent : de tout juste deux mois ! _ essai de Michel Deguy, « La Fin dans le monde« ,

 je n’ai jusqu’à présent rien lu _ ni recension, ni même seulement mention factuelle _ dans aucun journal, ni revue : il a fallu la rédaction de mes articles (de ce blog !) et l’opération de « mise » de liens avec les collections de livres disponibles à la librairie Mollat pour que je « découvre » cette parution (en date du 23 octobre dernier : il y a donc exactement deux mois aujourd’hui) !

Et cela, outre la difficulté propre _ occasionnelle ? devenue consubstantielle ? à méditer !.. _ à la « réception » (par le lectorat, au-delà de son cercle de proches : à partir de celui des pairs !) de l’œuvre entier de Michel Deguy,

et dont il se plaint, non sans humour _ mais pas non plus sans amertume _, à Jean-Pierre Moussaron, dans la _ très précieuse, vraiment ! Michel Deguy ne « se livrant » (un tout petit peu) lui-même pas très souvent… _ préface, intitulée « Autobio« , en ouverture du « Grand cahier Michel Deguy« , aux pages 6 à 10, à propos de ce que lui même nomme son propre « ressassement » :

« Je me répète, et sans doute exagérément _ pour qui ? Et littéralement, un peu plus souvent qu’à l’heure«  (page 6) ;

en précisant (page 7) :

« Peut-être le plus intéressant, dans cette affaire de ressassement _ voilà donc le terme ! _ tient-il à la composition ; à mon tournemain _ à « former » : patiemment, sans précipitation ; en apprenant à bien « accueillir« , « réceptionner« , même, en toute sa variété (de surprise), la « circonstance« … : c’est délicat ; et demande toute une vie ; au point que c’en est peut-être, bien, en allant jusque là, la principale « affaire«  _, à ma façon de construire _ bien y penser !

Affaire d’abord, de progrès lents en pensée _ dont acte ! _, de tardive _ ne fait-on pas, maintenant, l’éloge des vins de « vendanges tardives » ?.. _ maturation ; voyage au long cours _ certes ! tout un charme… _ ; avance un mot puis l’autre ; assure le pas _ voilà ! d’abord sans assurance… _ ; recommence ; rebrousse et repars _ assurément ! à la godille !.. entre les mottes de terre grasse ; et en sautant aussi de sillon en sillon…

Ensuite : de la série. C’est comme en peinture et en musique _ oui : d’un Art à un autre, apprendre l’art très délicat, lui aussi (poïétique !), de « transposer«  avec le maximum de justesse (finesse, délicatesse, donc) de la « semblance« … ; sur un schème parent, lire « L’Altération musicale _ ou ce que la musique apprend au philosophe » de l’excellent Bernard Sève… _ : sériels, leit-motive, thème et variations, reprise ; sérialité _ par exemple chez Bach ; et le père, et les fils. L’esprit de série organise non seulement une séquence, un ensemble, mais _ surtout, telle la fine cerise sur le beau gâteau _ à l’échelle de l' »œuvre », en finalise l’unification _ et la « mise en place » de ce qui vient, ainsi, « s’ajointer« , et qui se découvre alors, « sur ce tard« , seulement… : il y faut donc tout cet assez long temps (de vie à vivre ; et ainsi, finalement, vécue) ; à commencer par la chance, inégale, d’« avoir vécu«  suffisamment longtemps, donc (et peut-être aussi, en sus, un peu « appris«  ; ce qui est loin d’aller de soi, si l’on peut en juger : autour de soi…) Cela, c’est-à-dire « durer«  un peu, de fait n’est pas uniformément donné à tous… : la mort faisant son ménage entre les locataires (éventuellement) concurrentiels du viager ! Sur la perte des aimés, cf le déchirant « Desolatio«  _,

L’esprit de série organise non seulement une séquence, un ensemble, mais à l’échelle de l' »œuvre », en finalise l’unification

secrètement et explicitement _ les deux : au lecteur, « indiligent« , dit notre Montaigne !, d’être un tant soit peu attentif ! sinon, « qu’il quitte le livre !« , avertissait en ouverture de ses « Essais » ce sublime Montaigne… ; un vrai grand livre se mérite aussi un tant soit peu… _ :

entre la structure et la multiplicité effective, pièce par pièce, item par item,

c’est la récurrence _ qui demande donc (voire exige, mais sans jamais le manifester directement…) un minimum de patience ; et l’accueil (hospitalier !), de la part du lecteur, tant de la pure et stricte « neuveté« , que de la « reprise » ; jamais tout à fait strictement identique, « indiscernable« , à la première occurrence pour soi, lecteur… _,

la hantise _ aussi (obsessionnelle ?), de l’échec (final) : de la sècheresse ; du tarissement ; de (l’idée de) la mort (là où le don du temps s’interrompra, se brisera, irréversiblement, cette fois-là) : quand, chaque fois que (nous) fait défaut assez de confiance… Avec la grâce efficace de son élan.

De l' »idée fixe« , disait Valéry, aux Variétés… On la reconnaît.

Le toujours-recherché se découvre au gré de la rencontre _ à qui le dit-on ? Cf mon propre article : « Célébration de la rencontre » ; plus joyeux, lui… Je ne trouve pas, je cherche.« 

Soit un texte majeur ! que cet « Autobio« , aux pages 6-7 du « grand cahier Michel Deguy« … Merci à Jean-Pierre Moussaron de l’avoir sollicité ; et obtenu ainsi…

Et fin de l’incise sur les difficultés de la « réception«  (générale et particulière) de l’œuvre de Michel Deguy

_ « le constat de l’échouage ne me quitte jamais« , page 7 ; peut-être du fait d' »une sous-estimation de la part des autres, qui _ décidément… _ ne me préfèrent pas« , encore page 7 (en note en bas de page : « préfèrent » étant surligné !) _,

en dehors, cependant, de son cercle  _ « infracassable« , lui : ce n’est certes pas peu ! page 12 _ d’amis très fidèles ; dont Martin Rueff (cf le colloque que celui-ci organisa à Cerisy : « L’Allégresse pensive » (dont les actes sont publiés aux Éditions Belin)…

Il existe, j’y reviens donc maintenant, un vrai problème _ endémique ! _ de diffusion de l’information, à travers les filtres _ trop « intéressés » ! pas assez « libres » (= désintéressés) ! les 9/10èmes du temps _ de la presse, des medias ;

et c’est fort modestement

_ eu égard à mon lectorat ! que je ne ménage certes pas non plus par la longueur invraisemblable (!) de mes articles, en plus de mon usage (ou abus ?) des guillemets, tirets, gras, parenthèses : à en donner le vertige, m’a même (gentiment) soufflé l’ami Nathan Holchaker ! _

que je m’étais décidé, pour ma (toute petite) part, à répondre favorablement à la demande de l’équipe directionnelle de la librairie Mollat d’ouvrir ce blog, « En cherchant bien« , ou « les carnets d’un curieux »

_ sur ce qu’est un « carnet« , lire ce qu’en dit, et combien magnifiquement !, Michel Deguy lui-même dans « P.S. : Du carnet à l’archive« , aux pages 193 à 195 du « grand cahier Michel Deguy » !.. J’en partage, et comment ! toutes les analyses et conclusions !

j’en prélève et exhausse, au passage, cette remarque-ci, page 193 : « Si je travaille en carnet, c’est pour ne rien laisser passe de l’inchoatif, insignifiant même _ mais cela est toujours à voir ; et à réviser… _ de la pensée naissante _ voilà ! La crainte est de perdre à jamais quelque vérité ; crainte d’amnésies partielles inguérissables«  _ d’une vérité l’ayant, tel l’Ange, croisé et « visité« , en vitesse (supersonique !), et si discrètement !.. Et c’est aussi cela, « Le sens de la visite«  ; cf cet opus majeur (paru aux Éditions Stock) que Michel Deguy nous a donné (à tous, les lecteurs amis potentiels) en septembre 2006…

que je m’étais décidé, donc,

d’ouvrir ce blog

le 3 juillet 2008, afin de « re-médier« , fort modestement, certes _ et même probablement très illusoirement : à la Don Quichotte brisant des lances devant (plutôt que sur, ou que contre…) les moulins à vent des hauteurs de La Mancha… _, à cette « difficulté » de « médiation » d’une authentique « culture »

_ hors champ du pseudo (= faux ! mensonger ! contributeur d’illusions !) « culturel » :

une des cibles si justifiées de Michel Deguy ! Ce « culturel«  qui se conforte, grassement, à rien qu’« identifier« , reconnaître, à la « Monsieur Homais«  (de « Madame Bovary«  : Flaubert : expert en bêtise de fatuité !) ; au lieu de se laisser déporter par le jeu des différences actives de la « semblance«  et de la « différance« 

Et j’en partage ô combien ! le diagnostic avec Martin Rueff, qui en fait _ de ce « culturel« -ci… _ le décisif chapitre II (de base !) de son essai (de la page 59 à la page 96) :

car c’est bien ce « culturel« -là que désigne l’expression cruciale du sous-titre de l’essai : « à l’apogée du capitalisme culturel » ;

là-dessus, lire, aussi, les travaux (lucidissimes) de Bernard Stiegler et de Dany-Robert Dufour : par exemple « Mécréance et discrédit _ l’esprit perdu du capitalisme« , pour le premier ; et « Le Divin marché _ la révolution culturelle libérale« , pour le second… _,

à partir d’une « curiosité » qui soit « vraie » et réelle _ c’est-à-dire, pour « réelle« , effective : au fil des jours, et des mois, des saisons, des années ; au fil renouvelé (c’est une condition sine qua non !) du temps ! encore une problématique cruciale et de Michel Deguy, et de Martin Rueff ! _, et pas marchande ou de propagande (ni de divertissement ; d’entertainment !) : je dois être bien naïf, encore à mon âge (et en cet « âge » : du « capitalisme culturel« ) !..

Fin de l’incise.

et ce n’est certes pas pour rien que le dernier essai de Michel Deguy

s’intitule « La Fin dans le monde« …

Le plan de l’essai « Différence et répétition » de Martin Rueff :

Après un « Avertissement«  qui explicite le projet de l’essai et ses enjeux terriblement concrets _ et dont rend compte la quatrième de couverture

que voici :

« Les questions des spécialistes de la poésie ne sauraient être étrangères _ voilà la mission ! casser cette « étrangèreté«  préjudiciable (à la connaissance ; et à la re-connaissance, aussi, de ce qui vaut « vraiment«  !)… _ au public le plus large. J’ai voulu mettre face à face _ oui _ ceux qui ont fini par se tourner le dos : les poètes et leurs lecteurs professionnels, chagrins de la désaffection du grand public, le grand public, irrité _ lui _ de la difficulté des propositions de la poésie contemporaine. Je me suis demandé pourquoi l’art moderne _ plastique au premier chef _ avait réussi à imposer ses visions _ en formes d’images ?.. _, et pas la poésie. Il fallait donc s’expliquer, et expliquer ce que font les poètes _ voilà !

En consacrant une étude à Michel Deguy, l’un des plus grands poètes français contemporains, je me suis donc proposé de procéder comme un critique d’art : me situer _ en cette enquête _ sur le plan même _ poïétique ! _ de la création d’un inventeur de formes _ ce qui « fait » et « réalise » l’humanité effective ! à la place des « fantômes » et « zombies » en quoi on nous « vampirise«  et réduit…

Je me suis demandé ce qui faisait la singularité de Michel Deguy. J’ai trouvé que sa poésie et sa poétique rencontraient la question _ notamment philosophique _ qui a dominé la pensée et l’existence _ rien moins ! _ depuis une bonne cinquantaine d’années : celle du rapport de l’identité et de la différence. Comme il est hautement révélateur que cette rencontre ait d’abord _ du fait de sa position « en première ligne » ? _ eu lieu en poésie _ oui ! par son hyper-sensibilité extra-lucide fulgurante à son meilleur ! _, j’ai compris que la « question » du rapport poésie et philosophie était mal posée. » MARTIN RUEFF

I. Différence et identité _ pages 37 à 58.

II. Le culturel _ pages 59 à 96.

III. La poésie _ pages 97 à 192.

IV. La poétique profonde _ pages 193 à 230.

V. Le poème _ pages 231 à 406.

Suivis de deux « Annexes«  :

_ Identité et différence dans la prose _ pages 407 à 426.

_ Identité et différence entre les langues : attachement en langue et fidélité en traduction _ pages 427 à 440.

 L »approche » de Martin Rueff se fait de plus en plus précise _ et c’est passionnant de le suivre ! _ :

du « cadre » le plus général (bien concret et bien historique ! nous « emportant » !.. à analyser et faire mieux connaître !)

_ ne perdons pas de vue qu’il s’agit de « comprendre« , en l' »éclairant« , une « situation » artistique (« en tension » ; mais quel Art vrai n’est pas « en tension » ?.. sauf qu’ici la « tension » devient de plus en plus « terrible«  : celle d’« un poète lyrique« , et en l’occurrence, Michel Deguy, tout uniment poète et philosophe !, « à l’apogée du capitalisme culturel » (assez peu soucieux de l’exigence de vérité de la poésie ; pas davantage que de l’exigence de vérité de la philosophie : sinon pour ses propres usages « culturels« …), qui se déploie de plus en plus allègrement depuis 1950 jusqu’à aujourd’hui, et tout spécifiquement en ce nouveau « millénaire«  sans contre-poids (politique, notamment !) au marchandising mondialisé… ; pour une « tension » plus « terrible«  encore, en ses violences « déchaînées« , du moins, cf le travail irremplaçable (!) de Claude Mouchard : « Qui, si je criais…? Oeuvres-témoignages dans les tourmentes du XXème siècle« , paru aux Éditions Laurence Teper le 3 mai 2007…) _

_,

aux actes très précis par lesquels,

se démarquant du « culturel« ,

le poète (et philosophe) Michel Deguy cerne sa conception _ tant théorique que pratique : indissociablement ! et il est d’abord un écrivant de poèmes ! _ de la poésie

et d’une « poétique profonde » ;

pour analyser au plus près _ vers à vers, et avec quelle lucidité ! _ ce qui se construit dans « le poème« , item après item, œuvre après œuvre, de 1959 à aujourd’hui _ cela fait cinquante ans de cette écriture « creusante«  _, du poète…

Michel Deguy : « Poème, qu’il prolonge le moment de l’éveil ! Le vent aux sabots de paille sur le seuil !«  _ in « Poèmes de la presqu’île« , en 1961.

Martin Rueff commente : « Poème éveil à l’inattendu survenu en surplus d’affluence ; poème disponibilité aux différences du temps rendues simultanément actuelles« , page 385.

Michel Deguy : « Le présent, dit-il, est ce qui s’ouvre. Donc n’est pas sur le mode de ce qui contient, ou maintient en soi ; mais est ce qui est disjoint, déhiscent, disloqué, frayé _ venteux, inspiré«  _ in « Donnant donnant« , en 1981.

Martin Rueff : « Le poème saisit _ oui ! _ le lecteur au présent de la langue _ voilà _ et, par lui, la langue semble comme « rendre présent » _ oui, et en sa dérobade même _ le présent lui-même : frisson lyrique, intensité par où le poète touche, émotion quand la poésie rencontre _ oui _ le rythme profond de l’existence _ c’est tout à fait cela ! La proposition lyrique, énoncée au présent de l’indicatif, rassemble les présents et les offre au lecteur« , page 385 _ pour qu’il les fasse aussi, en cette parole énoncée, prononcée, proférée, siens… C’est superbe de vérité !

Avec cette conclusion-ci, de tout l’essai, page 406 :

« Il y a bien une raison poétique _ ni déraison, ni flatus vocis, ni mensonge… _ qui est aussi la raison des poèmes. Écrits au présent de la circonstance _ qu’il fallait « accueillir«  _, ils inaccomplissent _ en leur mouvement même, émouvant (lyrique !), de profération _ l’accompli _ des faits, des gestes (de la vie) _ pour ineffacer _ un peu, toujours _ le devenu incroyable _ une formulation de Michel Deguy sur laquelle Martin Rueff a bien fait porter toute la force de son analyse.

Martin Rueff évoque aussi, à cet égard (capital !) de l’« ineffacer le devenu incroyable« , la « réception«  active (= créatrice à son tour), par Michel Deguy du film « Shoah«  de Claude Lanzmann

(fruit de douze ans pleins de « penser au travail« , filmique, d’image-mouvement, du cinéaste qu’est devenu Claude Lanzmann, en sa propre lente maturation d’artiste-créateur !

_ cf là-dessus mes 7 articles de cet été 2009 à propos du « Lièvre de Patagonie«  : de « La joie sauvage de l’incarnation : l’”être vrais ensemble” de Claude Lanzmann _ présentation I« , le 29 juillet, à « La joie sauvage de l’incarnation : l’”être vrais ensemble” de Claude Lanzmann _ dans l”écartèlement entre la défiguration et la permanence”, “là-haut jeter le harpon” ! (VII)« , le 7 septembre… _)

: le magnifique « Au sujet de Shoah, le film de Claude Lanzmann« , que Michel Deguy a publié aux Éditions Belin, dans la collection « L’Extrême contemporain« , en 1990…

La poésie dresse _ oui ! _ la lucidité _ oui ! _ de ses « visions » et de ses « imageries logiques » contre _ oui : avec « incisivité » !.. _ les mythes de la littérature rendus puissants _ hélas, comme armes de propagande du marchandising ! _ par l’indifférence _ terriblement affadissante _ culturelle _ nihiliste : d’où la situation moribonde de la poésie aujourd’hui auprès du plus large « public«  (?) d’« humains« , « se dés-humanisant«  petit à petit, ainsi « dé-poïétisés«  eux-mêmes (cf les admirables, vraiment ! « Homo spectator«  de Marie-José Mondzain et « L’Acte esthétique«  de Baldine Saint-Girons) ;

telle la grenouille très progressivement (= insensiblement ; sinon elle s’échapperait en sautant très vite hors du bocal !) ébouillantée, sans en prendre, ainsi, jamais véritablement conscience : sans rien ressentir ; car on ne ressent que « différentiellement«  !

Porteuse de nouvelles différences _ se renouvelant par sa propre inlassable curiosité ! _, la promesse _ de vérité proprement ressentie _ des poèmes sans illusion _ de Michel Deguy :

« sans illusion«  bien (réflexivement) ressenti, cela aussi ! grâce à cette « poétique profonde » (et profondément mélancolique, aussi, dans son cas : sans la moindre auto-complaisance ! quant au savoir du devoir, un jour, cesser de vivre ; du ne pas avoir encore, indéfiniment, du temps à soi, ou à donner à d’autres, devant soi…)

grâce à cette « poétique profonde »

pas à pas mise en œuvre… _

Porteuse de nouvelles différences, la promesse des poèmes sans illusion, donc,

n’est pas vaine« …

C’est contre cette terrible force d’asphyxie de ce qui illusionne (depuis pas mal de temps : en l’ère, sinon même « à l’apogée« , « du capitalisme culturel » ; en l’ère du marchandising déchaîné…)

que Martin Rueff a mis la force d’analyse de son essai de « situation« 

d' »un poète lyrique » tel que Michel Deguy…

Grand merci, Martin, pour nous tous,

tellement « endormis« , « anesthésiés« , par cet appendice « culturel » de la déshumanisation 

et cela,

ô combien risiblement!,

pour le profit si vain _ abyssalement ridicule ! _ de quelques marchands ; et profiteurs _ de quoi jouissent-ils donc tant ? du jeu mesquin (et sadique) de leur « nuire«  ?.. _ de « pouvoir » !

Peut-être bien que, socialement du moins, « money is time » ;

mais le temps et le vivre _ qui nous sont octroyés déjà biologiquement par une certaine « espérance de vie« , même (et parfois dans des proportions de variation considérables !) variable socio-historiquement… _ méritent-ils d’être « ainsi » _ qualitativement veux-je dire _ vendus ?  

C’est de cela que Kafka _ par exemple en son « Journal«  _ savait _ et combien ! inextinguiblement !.. _ rire !

Cf aussi,

après le « Tout est risible quand on pense à la mort » de l’incomparable Thomas Bernhard _ cf son indispensable autobiographie (« L’Origine » ; « La Cave » ; « Le Souffle » ; « Le Froid » & « Un enfant » ; item après item…) ; ainsi que son ultime sublime roman-cri : « Extinction _ un effondrement« ,

aujourd’hui Imre Kertész :

lire son immense terrible « Liquidation » !

Merci, cher Martin Rueff,

de ce beau travail,

quant au devenir de l' »humain » ; en « situation » d' »anesthésie » (telle la grenouille ébouillantée lentement)…

La poésie n’est pas, non plus que la philosophie, des plus mal placés

pour le penser (et ressentir) « en vérité« …

A fortiori quand, comme avec Michel Deguy, ainsi que vous-même,

elles vont de concert !!!

Titus Curiosus, ce 23 décembre 2009

Le livre va-t-il « survivre » à Internet ? une « alerte » et une stratégie de « riposte » de Bruno Racine (cf aussi Roger Chartier…)

31oct

Un très intéressant article dans l’édition de ce samedi 31 octobre du « Monde » _ « Il ne faut pas édifier de ligne Maginot«  _ « sous la plume » (ou par les doigts sur le clavier…) de Bruno Racine, Président de la Bibliothèque nationale de France ;

juste après une « libre opinion » passionnante dans ce même « Monde » il y a quatre jours _ intitulée « L’avenir numérique du livre«  _ par Roger Chartier,

Président du Conseil scientifique de la Bibliothèque nationale de France, ce très grand « historien des pratiques culturelles (qui) a pris pour objet principal de son étude la lecture, ainsi que le livre sous l’Ancien Régime et dans les temps modernes, y compris dans leurs aspects les plus matériels (diffusion, sociétés de pensée, bibliothèques, académies, imprimeries, etc.)« , auteur des « Origines culturelles de la Révolution française«  (aux Éditions du Seuil, 1990, réédité depuis), suivi de nombreux travaux scientifiques comme « Culture écrite et société. L’ordre des livres (XIVe -XVIIIe siècle) » (aux Éditions Albin Michel, 1996) ou « L’Histoire de la lecture dans le monde occidental » (avec Guglielmo Cavallo, aux Éditions du Seuil, 1997-2001)…

et dans le champ des explorations lucidissimes d’un Bernard Stiegler _ par exemple dans l’important « Pour en finir avec la mécroissance«  (avec les contributions éclairantes d’Alain Giffard et de Christian Fauré, aux Éditions Flammarion en 2009) ; cf mon article du 31 mai 2009 : « Très fortes conférences…«  _

et d’un Régis Debray en son « labourage » méthodique de la « médiologie » _ « Cahiers de médiologie : une anthologie« 

Voici cette contribution à l’action de connaissance, ainsi qu’au débat, de Bruno Racine, ce jour _ avec mes farcissures ! (ou sans : « Il ne faut pas édifier de ligne Maginot« , au choix…) _ :

« Après avoir bouleversé les industries de la musique et de l’audiovisuel, la lame de fond numérique _ voilà la « révolution en marche » !.. pas rien qu’un tsunami ponctuel ! une irréversible fractale qui modifie sans retour toute la géographie installée des continents !.. _ aborde au rivage du livre. Ne pleurons pas la fin d’un monde : l’histoire de l’écrit _ cf Roger Chartier et Régis Debray, passim _ est jalonnée d’évolutions techniques _ successives ; Bernard Stiegler renvoie régulièrement au travail-maître de Sylvain Auroux « La révolution technologique de la grammatisation« , paru aux Éditions Pierre Mardaga, le 1er avril 1995… _ qui en ont modifié le support, le contenu et les modes de lecture _ un objet d’analyse passionnant ! et aux enjeux (« civilisationnels« ) assez considérables (cf Bernard Stiegler…) que ces « modes de lecture«  ; ainsi que leur(s) « déstabilisation« (s) _, entraînant dans leur sillage les mutations culturelles et économiques successives qui fondent _ de fait ? de droit ? _ notre civilisation _ pouvant aussi l’effondrer ?.. Et ce ne sont pas (jamais) tout à fait les mêmes (personnes, classes, institutions, États, etc… : en tout cas des forces qui avancent leurs pions, se taillent des territoires…) qui en « profitent«  ; ou en subissent les conséquences… Des batailles féroces se livrant sur ces « champs » : « réformes«  (et « contre-réformes« ), « révolutions » (et « contre-révolutions« ), etc… Nous assistons aujourd’hui à une nouvelle étape de cette histoire. Les maillons traditionnels de ce qu’il est convenu d’appeler en France « la chaîne du livre » s’en trouvent bousculés _ et doivent y réagir ; envisager, sinon une riposte, du moins une stratégie, non seulement de « survie » plus ou moins « précautionneuse« , mais d’« adaptation« , ou plutôt « accommodation«  (un distinguo crucial !) offensive ; de « mise à profit » (et « conquête » !) : en déterminant, au-delà simplement des moyens à mettre en œuvre, les finalités (essentielles !) à servir ; et selon quelles priorités (ou hiérarchie) !!!

L’arrivée en Europe du Kindle d’Amazon, l’annonce par Google de l’ouverture prochaine d’un service de librairie en ligne _ et à rien moins que l’échelle du monde : instantanément, quasiment, ainsi « googelisé » ?.. _ et, bien plus largement, la révolution de l’accès au savoir _ sans tri ? sans le tamis de quelque « krisis » (= une « critique« … ; relire, après le « Socrate«  rendu à jamais (en dépit de ses propres arguments : éternisés, in « Phèdre« , contre l’écrit !) accessible, en sa « voix« , par les « Dialogues«  de Platon (qui envisage et œuvre pour une autre forme de pouvoir ! que celle de Socrate…) ; relire, donc, Kant : sa décisive « Critique du jugement«  !..) ? _ rendue possible par les nouvelles technologies de l’information et de la communication _ Bernard Stiegler préfèrant, quant à lui, substituer à ces expressions (« obsolètes« , dit-il) celles de « technologies cognitives et culturelles«  _ suscitent des inquiétudes _ voire des paniques _ parmi lesquelles il importe de faire le tri _ voici l’apport que se propose de nous offrir en cet article Bruno Racine. Le numérique invite à reconsidérer la définition même de l’objet livre _ peut-être : en sa matérialité physique, manipulable : tourner ses pages au rythme de lecture et de notre œil et de notre intellect, du moins… _ et à repenser l’écosystème _ vaste, riche, complexe ; matérialisé, lui aussi, notamment, en des murs d’« entreprises«  ayant pignon sur rue ; investies dans de la pierre aussi… _ qui s’est construit autour de lui. La numérisation massive des fonds conservés par les bibliothèques _ oui ! _ et l’usage qui en est fait _ plus encore : il s’agit bien sûr de « services » (plus ou moins publics ou privés, aussi : les enjeux socio-politiques en sont considérables ! et « civilisationnels« , je ne dis pas !!! cf le jeu des forces qui s’y empoignent, à commencer électoralement ! mais à quels degrés de conscience ??? bien divers…)… _ par des opérateurs privés _ nous y voici ! et voilà ce qui mobilise aujourd’hui, en cet article-ci, et la réflexion et la plume de Bruno Racine _ transforment notre rapport _ à tous et à chacun : lecteurs alphabétisés (et plus ou moins « cultivés« , au participe passé, et « se cultivant« , au participe (actif et créatif !) présent !.. y compris ces « oisifs qui lisent«  que Nietzsche, en son indispensable (« Ainsi parlait Zarathoustra _ un livre pour tous et pour personne« , Livre premier, chapitre « Lire et écrire« ), disait « haïr«  !.. : « je hais les oisifs qui lisent«  ; et « se crétinisent« , pourrions-nous préciser ; même si des moyens beaucoup plus performants en vitesse (audio-visuels) ont été depuis mis en place pour y aider… _ au patrimoine écrit _ que gèrent, notamment, des bibliothèques telle que celle (Nationale de France) dont Bruno Racine a présentement la responsabilité politique…


Parallèlement, les liseuses, téléphones intelligents et ordinateurs de poche se multiplient et offrent des supports de lecture supplétifs _ voilà _ du livre papier dont on aurait tort toutefois de prédire la disparition prochaine _ en effet : à preuve par l’exemple : une librairie performante comme la librairie Mollat est, en ce temps de crise, assez richement « achalandée«  ; on afflue en ses nombreuses allées… Enfin, la place prise dans l’économie de la culture par les grands opérateurs privés du numérique _ voilà ! _ et leur pénétration rapide _ oui _ des marchés français et européens abolissent les frontières des métiers du livre _ certes _ et en ébranlent les fondements économiques et juridiques _ un fait très important : une dynamique qui ignore le vide en s’y engouffrant…

Prenons garde à ne pas tomber dans la déploration prématurée _ sans rien faire contre ce qui la menace ? cf à nouveau Bernard Stiegler, « Pour en finir avec la mécroissance » et « Prendre soin _ de la jeunesse et des générations » ; même si celui-ci ne se tient certes pas dans le registre de la « déploration«  ! ni de l’inactivité !.. ce n’est pas un « mélancolique«  _ de la mort de la lecture attentive _ s’en soucier, cependant : à l’école ! tellement esquintée, cette école ; si peu (et mal) centrée sur l’activité exigeante et formatrice d’actants authentiquement dynamiques !.. _, de l’agonie des circuits de distribution et de médiation classiques _ l’édition, les librairies _, voire de la fin programmée de l’exception culturelle française _ assez mal en point sous les coups de boutoir des auto-prétendus « réalistes » « aux manettes«  en France comme à l’Union Européenne (et ailleurs aussi…)… _, sans voir aussi dans cette nouvelle donne _ offerte et imposée par les applications avancées de ces applications inventives et pragmatiques, elles-mêmes, du numérique _ un formidable élan vers des formes d’expression, de création et de partage inédites _ en effet ! à commencer par un blog tel que celui-ci !..

Nouvelle donne

Il n’y a là nul angélisme : le numérique interpelle _ dynamiquement ! _ la chaîne du livre et ses acteurs traditionnels _ et met au défi les ressources du « génie » (= l’ingéniosité ; appuyée sur l’ingénierie…) pour y « répondre » efficacement : autrement que par quelque « ligne Maginot » (en 39-40 ; lire ici Marc Bloc : « L’Etrange défaite«  : admirable analyse de la défaite…), si l’on s’appuie déjà sur la métaphore (militaire) du titre de l’article, mise en avant par Bruno Racine en son titre ici… La législation sur la propriété littéraire et le système de rémunération des auteurs ne pourront rester immuables _ sans doute. La question du prix du livre numérique, les modalités de réutilisation et de partage des fichiers, leur protection et leur sauvegarde, ou encore l’interopérabilité de leurs formats constituent autant d’enjeux majeurs _ certes ! _ qui doivent faire l’objet d’une concertation _ dont l’ordre est à préciser ! _ avec les pouvoirs publics _ à quel échelon ? que sont-ils ? que valent-ils (en terme de « démocratie« , veux-je dire…) ? _ et ne peuvent _ en droit ? selon quels fondements ? une question aussi « à creuser » d’urgence ! au secours Antoine Garapon ! et Mireille Delmas-Marty ! _ faire les frais _ certes ! _ de règles imposées _ sans répliques… _ par les seuls opérateurs privés _ qui ont aussi le bras assez long politiquement (cf les lobbies de Bruxelles, aussi ; et d’ailleurs…). La nouvelle donne numérique _ s’installant ainsi très vite _ implique de redéfinir _ et très urgemment _ les liens qui unissent ces acteurs _ certes ! « embarqués« , volens nolens, sur un même bateau… La Bibliothèque nationale de France (BNF) s’y est attelée depuis plusieurs années _ dont acte, Monsieur le Président…

Le signalement d’ouvrages de l’édition contemporaine dans « Gallica« , qui met en place une offre légale et payante de contenus sous droits, participe d’une volonté d’établir de nouveaux modèles économiques _ oui _ et de contribuer à fédérer _ certes : un concept utile… (en phase de faiblesse…) _ la chaîne du livre français. Les discussions menées _ maintenant _ par la BNF avec des partenaires privés s’inscrivent dans le dialogue nécessaire _ vitalement ! _ avec les nouveaux acteurs du numérique _ partenaires de « négociations«  devenus (bien) « obligés«  _ et ne constituent en aucun cas un renoncement _ nous notons bien le distinguo… _ à ses missions de service public _ officielles ; statutaires _ qui consistent notamment à diffuser ses fonds patrimoniaux _ un bien public fondamental, en effet.

Qu’ils s’appellent Google ou Amazon, les géants du numérique ont su _ de fait ! _ séduire l’internaute _ sur un marché d’offre « libre«  Ils font peur parce qu’ils sont dotés de moyens financiers sans commune mesure _ sur le marché de fait (voire la « guerre« ) de la concurrence _ avec les nôtres, et parce que leurs desseins, en profondeur _ voilà le principal : les finalités sous-jacentes ; et le plus souvent masquées : hors d’atteinte des décisions (et d’abord débats) politiques authentiquement (ou même pas, d’ailleurs !) « démocratiques«  !!! _, diffèrent de nos attentes. Alors, menace, concurrence ou complémentarité ? Tout dépendra du rapport de forces _ voilà ! et celui-ci dépend de ce que font (et avec quel succès) ou ne font pas (ou font mal) les divers « acteurs » de ce jeu (qui s’impose à eux) en situation (au départ du moins) défensive ; réagissant (avec un petit temps de retard) aux offensives d’autres, plus entreprenants et avec de remarquables succès… Ce qui est certain, c’est que l’on ne répondra pas à ce défi _ en effet _ en édifiant d’improbables « lignes Maginot« , comme l’a dit le ministre de la culture, Frédéric Mitterrand _ le ministre de tutelle de Bruno Racine ; et dont l’oncle avait pu lire le « Vers l’armée de métier » d’un certain Charles de Gaulle, publié en 1934...

En France et en Europe, les libraires, les éditeurs, les bibliothèques sont loin d’être démunis _ certes _ : leur histoire, leur savoir-faire, leurs fonds sont des atouts de poids, mais ces atouts risquent d’être très amoindris _ voilà une donnée conjoncturelle, ou circonstancielle, si l’on veut, importante en une « guerre de mouvements » comme celle qui fait l’objet de l’article (et des soins, sur le terrain, plus encore !) de Bruno Racine… _ si chacun agit en ordre dispersé. La lame de fond numérique n’a pas encore _ voilà _ déferlé sur la chaîne du livre _ dont les maillons ont une « solidarité » factuelle ! _, mais tous les signes précurseurs sont là _ avec la conséquence que « à bon(s) entendeur (s), salut !«  Si, grâce à l’engagement de l’Etat et de l’Union européenne, les différents acteurs savent s’unir _ est-ce donc un « savoir » difficile ? y aurait-il, aussi, « des loups » déjà « dans la bergerie«  ?.. _ sur des positions communes _ et lesquelles ?.. _, il sera possible de faire prévaloir _ voilà ! _ la diversité des contenus _ une donnée factuelle, sinon « de droit« , importante jusqu’ici des cultures européennes _ et le rayonnement de notre culture » _ menaçant, lui, d’être de plus en plus « éteint«  ; toutefois, on peut aussi s’inquiéter du précédent de ce que déjà la France ou l’Europe n’a (ou n’ont) pas su faire dans l’immédiat après-guerre sur le front de l’industrie cinématographique (face à  l’entreprise « Hollywood« ) ; je me souviens bien d’avoir entendu, il y a quelques années à Mérignac, au « Pin Galant« , une intervention particulièrement judicieuse sur ce fait historique-là de Catherine Lalumière, lors d’une « rencontre« , autour de l’« Europe de la culture« , organisée par Sylviane Sambor (et le « Carrefour des Littératures« ) ; étaient présents aussi, je me souviens, José Saramago et Eduardo Lourenço…

Titus Curiosus, ce 31 octobre 2009

Post-scriptum :

A cet article (d' »alerte«  :

en faveur d’une action véritablement « commune » des acteurs concernés)

de Bruno Racine,

je joins ici l’article de Roger Chartier cité plus haut,

« L’avenir numérique du livre«  _ toujours avec mes farcissures ;

ou sans : « L’avenir numérique du livre« , au choix…) _ :

« Googlez « google » sur Google Recherche dans www.google.fr : l’écran indique la présence du mot et de la chose dans « environ 2 090 000 000 » documents. Si vous n’êtes pas inquiet du sacrilège, renouvelez l’opération en googlant « dieu » : « environ 33 000 000 » de documents vous seront alors proposés.

La comparaison suffit pour comprendre pourquoi, ces derniers mois ou ces dernières semaines, tous les débats à propos de la constitution de collections numériques ont été hantés _ voilà ! _ par les incessantes initiatives _ de légitimité à examiner _ de l’entreprise californienne. La plus récente, annoncée il y a quelques jours à la Foire du livre de Francfort, est le lancement de la librairie numérique payante Google Edition, qui exploitera commercialement une partie des ressources accumulées dans Google Books.

L’obsession « googlienne« , aussi légitime soit-elle, a pu faire oublier certaines des questions fondamentales _ ce sont celles-là que Roger Chartier commence dans cet article-ci à inventorier _ que pose la conversion numérique _ cf « La Grande conversion numérique«  de Milad Doueihi, aux Éditions du Seuil _ de textes existant dans une autre matérialité, imprimée ou manuscrite. Cette opération _ de numérisation _ est au fondement même de la constitution de collections numériques permettant l’accès à distance des fonds conservés dans les bibliothèques.

Bien fou serait celui qui jugerait inutile ou dangereuse cette extraordinaire possibilité offerte à l’humanité. « Quand on proclama que la bibliothèque comprenait tous les livres, la première réaction fut un bonheur extravagant », écrit Jorge Luis Borges _ in « La Bibliothèque de Babel« , dans le (grand !) recueil « Fictions«  _ ; et c’est une même immédiate félicité que produit la nouvelle Babel numérique. Tous les livres pour chaque lecteur, où qu’il soit : le rêve est magnifique, promettant un accès universel aux savoirs et à la beauté _ wow !

Il ne doit _ cependant _ pas faire perdre raison. Le transfert du patrimoine écrit d’une matérialité à une autre n’est _ certes _ pas _ en effet _  sans précédents _ historiques. Au XVe siècle, la nouvelle technique de reproduction des textes _ par l’imprimerie _ se mit massivement au service _ forcément ! _ des genres qui dominaient _ déjà _ la culture du manuscrit : manuels de la scolastique, livres liturgiques, compilations encyclopédiques, calendriers et prophéties.

Dans les premiers siècles de notre ère, l’invention du livre qui est encore le nôtre, le codex, avec ses feuillets, ses pages et ses index _ un tournant décisif _, accueillit dans un nouvel objet les écritures chrétiennes et les œuvres des auteurs grecs et latins. L’histoire n’enseigne _ cf déjà Hegel… _ aucune leçon, malgré le lieu commun, mais, dans ces deux cas, elle montre un fait essentiel pour comprendre le présent, à savoir qu’un « même » texte n’est plus le même _ voilà !!! _ lorsque change le support de son inscription ; donc, également, les manières de le lire et le sens que lui attribuent ses nouveaux lecteurs _ soient ses « réceptions » actives ; soit toute une « constellation«  vibrionnante cruciale (= « contextuelle«  mouvante…) tout « autour«  de ce « texte« 

Les bibliothèques _ professionnellement, en quelque sorte… _ le savent, même si certaines d’entre elles ont pu avoir, ou ont encore, la tentation de reléguer loin des lecteurs, voire de détruire, les objets imprimés dont la conservation semblait assurée par le transfert sur un autre support : le microfilm et la microfiche d’abord, le fichier numérique aujourd’hui. Contre cette mauvaise politique, il faut rappeler que protéger, cataloguer et rendre accessible (et pas seulement pour les experts en bibliographie matérielle) les textes dans les formes successives ou concurrentes qui furent celles où les ont lus leurs lecteurs du passé, et d’un passé même récent, demeure une tâche fondamentale _ une mission de « droit«  universelle… _ des bibliothèques _ et la justification première _ voilà ! _ de leur existence comme institution et lieu de lecture _ publics ! et « universels«  (« de droit«  !)…

A supposer que les problèmes techniques et financiers de la numérisation aient été résolus ; et que tout le patrimoine écrit puisse être _ très effectivement _ converti sous une forme numérique, la conservation et la communication de ses supports antérieurs n’en seraient pas moins _ elles aussi _ nécessaires _ « de droit«  ! donc… Sinon, le « bonheur extravagant » promis _ aux « lecteurs » les plus curieux et boulimiques, du moins ; tels un Borges ; ou un Bioy… _ par cette bibliothèque d’Alexandrie enfin réalisée se paierait au prix fort de l’amnésie _ on ne peut plus effective : dans les têtes de millions de personnes !.. pas aussi curieuses, ni boulimiques qu’un Borges… _ des passés qui font que les sociétés sont ce qu’elles sont.

Et ce d’autant plus que la numérisation des objets de la culture écrite qui est encore la nôtre (le livre, la revue, le journal) leur impose une mutation bien plus forte _ aujourd’hui _ que celle impliquée _ jadis _ par la migration des textes du rouleau au codex. L’essentiel _ nous y voici !!! _ ici me paraît être la profonde transformation de la relation _ à effectuer ! par le « lecteur«  effectif… _ entre le fragment et la totalité _ cette dernière se trouvant alors « oubliée« , effacée des esprits ainsi « oublieux« 

Au moins jusqu’à aujourd’hui, dans le monde électronique, c’est la même surface illuminée de l’écran de l’ordinateur qui donne à lire les textes, tous les textes _ identiquement, ainsi… _, quels que soient leur genre ou leur fonction _ sans nul « relief« , ni « hiérarchie«  Est ainsi rompue la relation _ effective… _ qui, dans toutes les cultures écrites antérieures, liait étroitement des objets, des genres et des usages _ avec reliefs et hiérarchies, précisément ; rappelés par la matérialité même des « supports » et des « cadres » (de l’opération de « lecture« ) forcément sensiblement perçus… C’est cette relation qui organise les différences immédiatement perçues _ voilà ! par des personnes qui en soient (vraiment !) ; soient des « lecteurs« , et pas de simples « déchiffreurs » (d’« informations« ) _ entre les différents types de publications imprimées _ proposées ! _ et les attentes _ esquissées, avancées, construites _ de leurs lecteurs _ actifs _, guidés dans l’ordre ou le désordre des discours par la matérialité même _ voilà ! _ des objets qui les portent _ matériellement _ cf dans cet « ordre de choses« , la difficilement résistible expansion actuelle des feuilles de journaux « gratuits« 

Et c’est cette même relation qui rend visible _ au « lecteur«  un peu plus que « déchiffreur«  _ la cohérence _ et « consistance«  aussi … _ des œuvres _ au-delà de la « page«  lue _, imposant la perception _ par le « lecteur«  _ de l’entité textuelle _ intégrale _, même à celui qui n’en veut lire que quelques pages. Dans le monde de la textualité numérique, les discours ne sont plus inscrits dans des objets _ matériels spécifiques : le livre, la revue, le journal, etc… _, qui permettent de les classer, hiérarchiser _ voilà _ et reconnaître dans leur identité propre _ voire singulière. C’est un monde de fragments décontextualisés, juxtaposés _ épars, quasi brisés (schizophréniquement…)… _, indéfiniment recomposables _ en d’infinies alternatives (kaléidoscopiques !) dénuées le plus souvent de tout « relief« _, sans que soit nécessaire ou désirée _ ni même seulement envisagée !.. par qui « déchiffre«  à la va-vite… _ la compréhension de la relation qui les inscrit _ voilà ; et les « relie » avec une certaine « consistance » ainsi... _ dans l’œuvre dont ils ont été extraits _ ou « coupés«  (« schizés« …) : la signification même de la réalité (et « consistance« , donc) d’une « œuvre » pouvant aller, même, jusqu’à être « perdue de vue« , « noyée« 

On objectera qu’il en a toujours été ainsi dans la culture écrite, largement et durablement construite _ in concreto _ à partir de « recueils » d’extraits, d' »anthologies » de lieux communs (au sens noble de la Renaissance), de « morceaux choisis« . Certes. Mais, dans la culture de l’imprimé, le démembrement _ voilà ! la « mise en pièces«  par charcutage… _ des écrits est accompagné de son contraire _ tout aussi effectif _ : leur circulation _ physique _ dans des formes qui respectent leur intégrité et qui, parfois, les rassemblent _ toujours physiquement ; pour commencer, du moins… _ dans des « œuvres« , complètes ou non. De plus, dans le livre lui-même, les fragments sont nécessairement, matériellement, rapportés à une totalité textuelle, reconnaissable _ matériellement, donc _ comme telle..

Plusieurs conséquences découlent de ces différences fondamentales _ entre le jadis (le codex, puis le livre imprimé) et le maintenant « numérique«  L’idée même de « revue » devient incertaine, lorsque la consultation des articles n’est plus liée à la perception immédiate d’une logique éditoriale _ entreprise par un éditeur ou une équipe éditoriale : « responsable« … _ rendue visible _ in concreto _ par la composition de chaque numéro ; mais est organisée à partir d’un ordre _ seulement _ thématique _ inerte _ de rubriques. Et il est sûr que les nouvelles manières de lire _ le plus souvent proches du déchiffrage minimal… _, discontinues et segmentées _ kaléidoscopiques _, mettent à mal les catégories qui régissaient le rapport _ activement pensé, lui… _ aux textes et aux œuvres, désignées, pensées _ voilà ! _ et appropriées dans leur singularité et cohérence _ et mises en relation à des « auteurs« , responsables de leur signature, en bout de « ligne«  de ces diverses opérations et « acteurs« 

Ce sont justement ces propriétés fondamentales de la textualité numérique et de la lecture face à l’écran _ tels étant les facteurs à prendre ici en compte _ que le projet commercial de Google entend exploiter _ à divers égards. Son marché _ c’est là sa logique dominante ! _ est celui de l’information _ ponctuelle (et rapide : « Time is money«  ; comme « Money is time« ) ; pas celui de la pensée, de la méditation, de la réflexion, de la culture critique « filée« Les livres, tout comme d’autres ressources numérisables, constituent un immense gisement _ quasi immédiatement disponible _ où elle _ cette « information« , donc _ peut être puisée _ et livrée telle quelle, plus ou moins (et plutôt plus que moins…) brute… Comme l’a écrit Sergey Brin, l’un des cofondateurs de l’entreprise _ Google _ : « Il y a _ en soi, déjà là… _ une fantastique quantité _ juteusement intéressante ! _ d’informations dans les livres. Souvent, quand je fais une recherche _ au moins thématiquement « active » !.. _, ce qui se trouve _ déjà ; « placé«  là (pas n’importe comment !) par un « auteur«  : en effet !.. _ dans un livre est cent fois au-dessus de ce que je peux trouver sur un site électronique » _ faute de « vrais » « auteurs » ; de « vraies » « personnes« , commenterais-je…

De là, la perception immédiate et naïve de tout livre, de tout discours comme une banque de données _ la métaphore est déjà parlante… _ fournissant les « informations » à ceux qui les cherchent. Satisfaire cette demande et en tirer profit, tel est le premier but _ pragmatique à très court terme (faute de « patience«  sollicitée…) ; et très juteux : pour l’entreprise au premier chef ! _ de l’entreprise californienne ; et non pas construire une bibliothèque universelle _ à la Borges de la nouvelle de « Fictions«  _ à la disposition de l’humanité.

Google ne semble d’ailleurs pas très bien _ technologiquement _ équipé pour le faire, à en juger par les multiples erreurs de datation, de classification et d’identification produites par l’extraction automatique _ certes : algorithmique… _ des données et relevées avec ironie par Geoffrey Nunberg _ dans son article « Google’s Book Search: A Disaster for Scholars«  _ dans The Chronicle of Higher Education du mois d’août _ le 31 août précisément. Pour le marché de l’information, ces bévues sont secondaires _ statistiquement négligeables eu égard à la somme (= foultitude !) des « services rendus«  informationnels… Ce qui importe, c’est l’indexation et la hiérarchisation des données et les mots-clés et rubriques qui permettent d’aller au plus vite _ le temps et l’argent pressent !.. _ aux documents les plus « performants » _ « thématiquement » (et non « problématiquenent« , pour reprendre un distinguo très utile d’Élie During _ cf mon article du 17 avril 2009 : « élégance et probité d’Elie During…« … ;

voici la citation : « La pensée a une forme, mais elle doit se comprendre dans toute son extension, de façon à y inclure formats et dispositifs, gestes et procédés _ disait Elie During _ : c’est là le facteur décisif ; ce qui distingue irrémédiablement une problématique (effective : dynamisante !) d’une thématique (inerte ; et par là stérilisante, plombante : aveugle et sans filiation en aval) ; problématique où se donne à ressentir (et retentir, pour commencer) la complexité en jeu des modalités actives de l’espace et du temps, tout d’abord » ; fin de la citation de cet article du 17 avril…),

selon la satisfaction « de fait«  (et non « de droit«  !..) des « usagers« 

Cette géniale découverte d’un nouveau marché _ fructueux pour l’entreprise initiatrice _, toujours en expansion, et les prouesses techniques qui donnent à Google un quasi-monopole sur la numérisation de masse ont assuré le grand succès et les copieux bénéfices _ voilà ! tel étant l’« étalon«  de mesure de la valeur (marchande) ! _ de cette logique commerciale. Elle suppose la conversion électronique de millions de livres, tenus comme une inépuisable mine d’informations  _ voilà…

Elle exige, en conséquence, des accords passés ou à venir avec les grandes bibliothèques du monde _ principaux « lieux«  (et aisément repérables !) de ce « gisement« _, mais aussi, comme on l’a vu, une numérisation d’envergure _ c’est la « somme » totale qui « compte«  ; on ne regarde pas tant au « détail« … ; le raisonnement, quantitatif, fonctionne sur de « grandes masses«  _, guère préoccupée par le respect _ et selon quelles normes de droit ? là où tout, « sans tabous« , « se négocie » et « se marchande«  _ du copyright ; et la constitution d’une gigantesque base de données, capable d’en absorber d’autres et d’archiver _ aussi : vive la capacité mémorielle simplement algorithmique !… _ les informations les plus personnelles sur les internautes _ = un gigantesque fichier (à exploiter, comme à vendre…) de clients potentiels !.. _ utilisant les multiples services proposés par Google.

Toutes les controverses actuelles _ qui agitent les divers « acteurs » de ce « jeu«  aux enjeux capitaux ! du devenir et du « livre«  et de la « lecture«  elle-même… _ dérivent de ce projet premier _ de Google. Ainsi, les procès faits par certains éditeurs (par exemple La Martinière) pour reproduction et diffusion illégales d’œuvres sous droits ; ou bien l’accord passé entre Google et l' »Association des éditeurs » et la « Société des auteurs » américains, qui prévoit le partage des droits demandés pour l’accès aux livres sous copyright (37 % pour Google, 63 % pour les ayants droit)… Ce « settlement » inquiète _ en effet _ le Department of Justice puisqu’il pourrait constituer une possible infraction à la loi antitrust ; et il reviendra le 9 novembre devant le juge new-yorkais chargé de le valide _ puis à la Cour suprême des Etats-Unis…

Ou encore, le lancement spectaculaire de Google Edition, qui est, en fait, une puissante librairie numérique _ « en ligne« _ destinée à concurrencer Amazon dans la vente _ on ne peut plus effective… _ des livres électroniques. Sa constitution a été rendue possible par la mainmise de Google _ déjà _ sur cinq millions de livres « orphelins« , toujours protégés par le copyright _ certes _, mais dont les éditeurs ou ayants droit ont disparu _ et ne se plaindront donc pas ! _, et par l’accord qui légalisera _ par transaction « amiable«  _, après coup, les numérisations pirates _ d’abord « illégales » ; mais plus ensuite de cela : merci les avocats et les juges…

Les représentants de la firme américaine courent _ donc _ le monde et les colloques pour proclamer _ urbi et orbi _ leurs bonnes intentions _ rhétoriques _ : démocratiser l’information ; rendre accessible les livres indisponibles ; rétribuer correctement auteurs et éditeurs ; favoriser une législation sur les livres « orphelins« . Et, bien sûr, assurer la conservation « pour toujours » d’ouvrages menacés par les désastres qui frappent les bibliothèques _ comme le rappelle _ si opportunément : à la bonne heure !.. _ Sergey Brin dans un article _ « A Library to Last Forever«  _ récent _ le 8 octobre _ du New York Times, où il justifie l’accord soumis au juge par les incendies qui détruisirent la bibliothèque d’Alexandrie ; et, en 1851, la bibliothèque du Congrès _ de Washington : « pour durer éternellement«  ; enfin !.. ô la merveilleuse « assurance«  (contre la mort même)…

Cette rhétorique _ juridique, commerciale et idéologique : oui ! relire ici la force de la mise en garde de Socrate in le plus que jamais pertinent (et urgent) « Gorgias«  de Platon… _ du « service du public » et de la « démocratisation universelle » ne suffit _ hélas _ pas pour lever les préoccupations _ de droit, surtout _ nées des entreprises de Google. Dans un article _ « Google & the Future of Books«  _ du New York Review of Books du 12 février et dans un livre très bientôt publié « The Case for Books : Past, Present and Future » (Public Affairs), Robert Darnton convoque les idéaux des Lumières pour _ nous _ mettre _ tous _ en garde contre _ l’impérialisme de _ la logique du profit _ non désintéressé _ qui gouverne les entreprises googliennes. Certes, jusqu’ici une claire distinction est établie entre les ouvrages tombés dans le domaine public, qui sont accessibles gratuitement sur Google Books, et les livres sous droits, orphelins ou non, dont l’accès et maintenant l’achat sur Google Edition sont payants.

Mais rien n’assure que dans le futur l’entreprise, en situation de monopole _ avec ce qui en découle pragmatiquement… _, n’imposera pas _ de fait, et selon ce que devient, de par le monde (et les États…), la « Justice«  _ des droits d’accès ou des prix de souscription considérables _ en l’absence de concurrence effective alors… _ en dépit de l’idéologie _ doucereuse, sirénique… _ du bien public et de la gratuité qu’elle affiche _ généreusement _ actuellement. D’ores et déjà, un lien existe _ bien _ entre les annonces publicitaires, qui assurent les profits considérables _ voilà ! _ de Google, et la hiérarchisation _ essentiellement comptable… _ des « informations » qui résulte de chaque recherche _ d’« utilisateurs » internautes… _ sur Google Search _ certes : beaucoup le « savent«  déjà ; mais pas tous ; pardon pour l’euphémisme !..

C’est dans ce contexte _ historique : de court comme de long (et très long) terme : brûlamment « actuel«  donc !.. _ qu’il faut situer les débats suscités par la décision _ d’ores et déjà advenue _ de certaines bibliothèques de confier la numérisation de tout ou partie de leurs collections à Google, dans le cadre d’une convention ; ou, plus rarement, d’un appel d’offres _ concurrentiel, lui… Dans le cas français, de tels accords et les discussions ouvertes pour en signer d’autres ne concernent jusqu’à maintenant que les livres du domaine public _ ce qui, on l’a vu, ne protège pas les autres, scannés dans les bibliothèques américaines. Faut-il poursuivre dans cette voie ?

La tentation _ pragmatico-économique _ est forte dans la mesure où les budgets réguliers _ fort minces ; et le plus souvent en fortes baisses !.. _ ne permettent pas de numériser _ in concreto_ beaucoup et vite. Pour accélérer la mise en ligne, la Commission européenne, les pouvoirs publics et certaines bibliothèques ont donc pensé _ jugé… _ qu’étaient nécessaires _ plus qu’utiles : judicieux, financièrement d’abord… (et par là « légitimes«  !.. dans « le monde tel qu’il va«  désormais ; « réalistement« , donc !.. au moins eu égard à la pression des « comptables«  !..) _ des accords avec des partenaires privés et, bien évidemment, avec le seul qui _ de fait _ a _ présentement _ la maîtrise technique (d’ailleurs gardée secrète _ forcément !..) autorisant des numérisations massives _ inutile de le nommer… Au nom du « réalisme«  pragmatique le mieux entendu…

De là, les négociations, d’ailleurs prudentes et limitées, engagées entre la Bibliothèque nationale de France (BNF) et Google. De là les désaccords _ se faisant jour, de-ci, de-là… _ sur l’opportunité _ ou « légitimité » ?.. selon quels « fondements » ?.. _ d’une telle démarche, tant en France qu’en Suisse, où le contrat signé entre la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne et Google a entraîné une sérieuse discussion (_ « Google dévore les livres« _ Le Temps du 19 septembre).

A constater la radicale différence qui sépare les raisons, les modalités et les utilisations des numérisations des mêmes fonds lorsqu’elle est portée par les bibliothèques publiques et _ c’est là l’autre terme de l’alternative ! _ par l’entreprise californienne, cette prudence est plus que justifiée ; et pourrait, ou devrait, conduire _ par prudence quant à la détermination de qui dispose du « final cut » !.. ; et de qui s’en dessaisit… _ à ne pas céder à la tentation. L’appropriation privée _ voilà ! _ d’un patrimoine public, mis à disposition d’une entreprise commerciale, peut apparaître comme choquante _ bel euphémisme…

Mais, de plus, dans de nombreux cas, l’utilisation par les bibliothèques de leurs propres collections numérisées par Google (et même s’il s’agit d’ouvrages du domaine public) est _ d’ores et déjà _ soumise à des conditions _ acceptées par contrat signé par elles : un « passage«  par quelques « fourches caudines » ?.. _ tout à fait inacceptables, telles que l’interdiction d’exploiter les fichiers _ ainsi _ numérisés _ « de leurs propres collections« , donc !.. _ durant plusieurs décennies ; ou celle de les fusionner avec ceux d’autres bibliothèques. Tout aussi inacceptable _ eu égard au droit public des démocraties : dont le « souverain » demeure (en théorie) « le peuple« _ est un autre secret : celui qui porte sur les clauses _ notamment financières ; mais pas seulement, loin de là… _ des contrats signés avec chaque bibliothèque.

Les justes réticences _ avance donc Roger Chartier, s’en faisant ici le rapporteur… _ face à un partenariat _ cf Jean de La Fontaine : « Le Pot de terre et le Pot de fer« , « Fables« , V, 2… ; et « Les Animaux malades de la peste« , VII, 1 ; voire « Le Chat, la belette et le petit lapin« , VII, 16 _ aussi risqué _ telle la signature d’un chèque en blanc ?.. _ ont plusieurs conséquences _ quant à des mesures de garanties préventives à prendre impérativement et d’urgence ! D’abord, exiger _ pour les éventuels contrats à passer : mais comment l’obtenir concrètement, au-delà de (vagues, si elles sont seulement énoncées…) « promesses«  qui ne seront guère (ou pas du tout !) tenues… ; on ne peut plus cyniquement… _ que les financements publics des programmes de numérisation soient _ de la part des gouvernements des États ! _ à la hauteur des engagements, des besoins et des attentes _ des usagers les mieux exigeants _ ; et que les États _ que deviennent-ils donc, eux-mêmes, au fait (!), par les temps qui courent ?.. _ ne se défaussent pas sur des opérateurs privés _ comme cela se pratique pourtant de plus en plus ; et s’affiche même comme « ligne politique«  « saine«  !.. _ des investissements culturels à long terme qui leur incombent _ l’acceptent-ils donc ? ces États ?.. et devant les « peuples » ? dont ils ne sont, in fine, que les « représentants«  (strictement contractuels, « mandatés«  ; et pour une période strictement limitée) ?..

Ensuite, décider des priorités _ sans abandonner un tel pouvoir de décision (du choix de ces « priorités« …) à d’autres ; et contrôler ce qu’il en advient… _, sans nécessairement penser que tout « document » a _ en soi _ vocation à devenir numérique ; puis, à la différence du « gisement d’informations » googlien, construire _ d’intelligence « la meilleure » (en consultant « vraiment » des « autorités » « culturelles » incontestables compte tenu des formidablement majeurs ! enjeux « civilisationnels«  !) ; pas seulement l’intelligence performante technologiquement ; ou rien que rentable financièrement… : il s’agit là rien moins que de la responsabilité des « valeurs«  de référence de notre « monde commun«  à bâtir (cf Cornélius Castoriadis : « L’Institution imaginaire de la société » ; ou Bernard Stiegler : passim : par exemple « Mécréance et discrédit«  _ des collections numériques cohérentes, respectueuses des critères d’identification et d’assignation des discours qui ont organisé et organisent encore la culture écrite et la production imprimée _ un point capital !

L’obsession, peut-être excessive et indiscriminée, pour la numérisation ne doit pas _ non plus _ masquer un autre aspect de la « grande conversion numérique », pour reprendre l’expression du philosophe Milad Doueihi _ cf « La Grande conversion numérique« , aux Éditions du Seuil _, qui est sans doute, avec Antonio Rodriguez de las Heras _ l’auteur du livre électronique « Los estilitas de la sociedad tecnológica« , notamment… _, l’un de ceux qui insistent sur la capacité de la nouvelle technique à porter des formes d’écriture originales _ vraiment ! _, libérées des contraintes imposées, à la fois, par la morphologie du codex et le régime juridique du copyright _ c’est un facteur intéressant… Cette écriture palimpseste et polyphonique, ouverte et malléable, infinie et mouvante _ ce peut-être une richesse de vraie « création«  de la part du « génie » humain, en effet ; et de ses capacités formidables de « progrès«  (authentique !)… _, bouscule les catégories qui, depuis le XVIIIe siècle, sont le fondement de la propriété littéraire.

Ces nouvelles productions écrites, d’emblée numériques _ tels les blogs… _, posent dès maintenant la difficile question _ concrète et hypertechnologique _ de leur archivage et de leur conservation. Il faut y être attentif _ aussi ! _ ; même si l’urgence aujourd’hui _ et la priorité, selon Roger Chartier _ est de décider comment et par qui doit être faite _ et surveillée (contre des « abus«  de droit humain authentique) : l’enjeu (de « pouvoir« ) est, et au plus beau sens du terme, « politique«  !!!.. il concerne la Cité (mondiale, désormais…) d’un monde « commun«  et vraiment « humainement«  « partagé«  _ la numérisation du patrimoine écrit ; en sachant que la « république numérique du savoir » _ son concept est utile autant que beau ! _, pour laquelle plaide avec tant d’éloquence l’historien américain Robert Darnton _ de lui, par exemple : « Édition et sédition : l’univers de la littérature clandestine au XVIIIème siècle« , aux Éditions Gallimard… _, ne se confond _ décidément _  pas _ tristement réductivement… _ avec ce grand marché de l’information auquel Google et d’autres proposent leurs produits ».

Roger Chartier est professeur au Collège de France.

Chercher sur mollat

parmi plus de 300 000 titres.

Actualité
Podcasts
Rendez-vous
Coup de cœur