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William Marx et le concept dangereux d' »identité sexuelle »

31jan

L’entretien, hier soir mardi 30 janvier 2018, au Studio Ausone, de William Marx, récent auteur d’Un Savoir gai (aux Éditions de Minuit) avec son collègue universitaire Jean-Michel Devésa _ un peu trop doctoral en son ton à mon goût, et pas assez libre (ou libéré) : surtout en pareil sujet… _
m’a laissé sur ma faim,
en n’interrogeant jamais, si peu que ce soit, l’évidence d’une « identité sexuelle »
_ qui est un très dangereux cliché selon moi, encourageant, volens nolens, les violences tellement sures d’elles-mêmes (et férocement décomplexées en leur déchaînement) de l’homophobie : mais oui ! _
évidence trop bien partagée dans l’idéologie dominante,
et thèse proclamée aussi d’un bout à l’autre des discours des deux intervenants, hier soir, sans la moindre analyse un tant soit peu auto-réflexive de leur part… ;

en n’interrogeant jamais, donc, l’évidence
de leur commune thèse
d’une « identité sexuelle », hétérosexuelle comme homosexuelle, et massive _ sinon universelle.


Les trois sobres (et très courtes) questions du troisième intervenant dans le public _ et que je ne connais pas _,
au terme des longs échanges entre William Marx et Jean-Michel Devésa,
furent, pour moi, en leur directe et frontale pertinence, la contribution la plus lucide de toute la soirée !


Allant d’emblée, et enfin, questionner l’essentiel :

l’identité (ou pas) sexuelle, la bi-sexualité (etc.), le quid du top et bottom de la pénétration coïtale…


Mais Jean-Michel Devésa _ pas assez questionnant _ n’a guère aidé William Marx sur cette voie de l’interrogation-analyse d’une « identité sexuelle »
que j’aurais personnellement apprécié de voir et entendre vraiment _ et sérieusement _ explorer…


Et je ne vois même pas non plus, hélas,

ce que la spécialité « littéraire » de Jean-Michel Devésa a pu apporter, sur ce pourtant bien intéressant et riche plan littéraire-là, aussi, à l’échange :
rien
(ou si peu : la très rapide mention seulement du Tricks de Renaud Camus : paru en 1979, et pas en 1988, date de sa re-publication seulement ; et les dates importent fichtrement !!!)
sur les regards des écrivains assumant plus ouvertement leur orientation homosexuelle, dominante ou pas, exclusive ou pas : ces nuances, capitales, n’ont quasiment pas été abordées, affrontées…


Et cela, alors même que, sans paraître en avoir vraiment conscience, les deux intervenants étaient proches, l’un comme l’autre, vers la fin,
de se contredire _ mais oui ! _,

quant à cette thèse d’une « identité sexuelle »,


en envisageant _ enfin ! _ davantage de plasticité et de nuances et ouvertures

dans l’histoire

(singulière pour chacun ; et pas seulement grossièrement collective ; et surtout massivement idéologique…)

des pulsions et désirs sexuels,
eux-mêmes mal distingués d’ailleurs, et par les deux intervenants, des élans affectifs et amoureux :


comme si nous pouvions passer sans difficultés et instantanément des uns _ pulsions et désirs sexuels _ aux autres _ élans affectis et amoureux _,
c’est-à-dire du sexuel à l’affectif :


cela méritait au moins examen, et un peu précis et attentif,

tant dans l’entretien d’hier soir,

que dans le petit essai de William Marx, aussi et surtout…


L’amour a paru ainsi passer à la trappe
au profit du batifolant libertinage…


Même si, par ailleurs et d’autre part, William Marx distingue bien clairement et très justement, cette fois, les fantasmes et les actes.

Dont acte.



La sexualité _ toujours singulière en l’histoire souvent un peu complexe de chacun _ est bien plus complexe elle-même et variée qu’une affaire d’identité massive et fermée une fois pour toutes !!!


Et native, probablement, dans ces représentations-là,

qui courent tant les rues.
Et qui font les dégâts que l’on sait ; et d’autres que l’on ne sait pas.


Classer comme être classé est le plus souvent faussement rassurant.

Panurgique.


Il suffit, déjà, de lire Freud pour mesurer, de la sexualité, bien des enjeux existentiels, à l’aune de toute une longue vie déployée :
depuis ce que Freud nomme les « stades » de la « sexualité infantile »,
et en abordant très précisément ce que celle-là devient en ses, parfois riches, parfois pauvres _ par fixations névrotiques surtout, mais aussi, parfois, perversions forcées _, métamorphoses adultes…


Dans le petit aparté post-conférence que j’ai pu avoir avec William Marx,
je lui ai reproché, avec sans doute un peu d’excès, de ne pas assez nous livrer, en son essai, d’éclairages sur l’histoire de son propre devenir sexuel, et en sa singularité (si elle existe) :

si William Marx parle, en effet, et de manière tout à fait intéressante et précise, détaillée ici,

de sa lente et tardive
_ « Tu ne découvris en effet la masturbation que vers la fin _ soit en 1983 ou 84 _ de ta dix-septième année », page 140 _
prise de conscience, eu égard aux normes alors en cours, de l’éclosion de ses pulsions sexuelles

(et homosexuelles : et cela par contraste frontal avec deux coïts avec une femme :
« A l’âge de vingt-deux ans _ en 1988 donc _, pour en avoir le cœur net, tu voulais voir ce que donnerait l’amour _ ou plutôt le sexe ! l’expression, déjà paraît un peu curieuse… _ avec une femme : l’acte _ coïtal _ fut accompli, et par deux fois même, mais sans désir et sans plaisir particulier _ mais est-ce là vraiment significatif ? A la différence du libertinage, un vrai désir, a fortiori un amour authentique et véritable, ne se décrète pas, ni ne s’improvise ainsi. Ce fut la preuve _ mais que vaut celle-là ? Est-elle, aussi partielle, réellement probante ? _ que tu attendais : tu n’aimais et ne désirerais jamais que des hommes, et tu en pris ton parti. Tu crus enfin en ton désir. Ta vision du monde en fut changée. Quelques semaines plus tard, tu déclaras ta flamme _ mais est-ce tout à fait du même ordre ? _ à celui _ Erwann ? William Marx reste flou là-dessus… _ qui deviendrait le compagnon de ton existence _ là il nous livre une confidence _, et autour duquel tu tournais _ voilà ! _ depuis de longs mois déjà », pages 140-141 : amour et coït font, au moins tout d’abord, deux ! _) ;

il s’en tient, toutefois, en ce petit essai, à cette pour ainsi dire « pré-histoire » de sa sexualité réalisée _ il aura 52 ans cette année 2018 _ ;
il n’aborde jamais le vécu même de ses relations homosexuelles effectives _ il évoque seulement sa déclaration à Erwann (s’agissait-il de lui ? son nom apparaîtra à la page 154 de l’essai) : « celui qui deviendrait le compagnon de ton existence », vient-il d’écrire à la page 141 _,
comme ont pu le faire, de manière très détaillée (et passionnante, et chacune en son genre spécifique),

Renaud Camus en ses Journaux
_ je l’ai découvert, pour ma part, en 1987, à partir de mon très vif goût de Rome, en son Journal romain (1987) : la répétition hyper-compulsive de ses échanges sexuels (bien peu réciproques, il est vrai) m’a alors beaucoup surpris et étonné ! et informé, aussi, sur des pratiques sexuelles que j’ignorais du tout au tout… _,

et surtout René de Ceccatty en ses admirables Jardins et rues des capitales (1980), puis Une Fin (2004),
à propos de ses (assez courts, au final) épisodes de frénésie sexuelle en sa vie, lors de sévères _ et tragiques, même _ déserts amoureux…


Jardins et rues des capitales est un chef d’œuvre absolu, en ses trois admirables et époustouflantes parties : Hugues, Jacques ; Samuel en Samantha ; et Roma-Fanfilù
Je recommande très vivement sa lecture !

Le terme de « savoir » dans le titre de ce petit essai qu’est ce Un Savoir gai
me paraît, tout de même, assez excessif ;
participant de cette envahissante manie des calembours qui a colonisé depuis près de quarante ans les médias,
et qui est susceptible d’attirer les chalands aux yeux des éditeurs calculant leurs potentiels chiffres de vente…


Car ce n’est pas d’un vrai savoir qu’il s’agit là ;
seulement de représentations _ voilà : d’opinions _, plus ou moins répandues, et plus ou moins à tort ou raison…

Bref, nous restons sur notre faim…

Déjà, cet essai devrait être bien plus étoffé ; et du côté des expériences vraiment personnelles et singulières de l’auteur…


Sinon,

comme phénomène, voire symptôme, d’ordre social et idéologique,

et à tel moment donné _ comme aujourd’hui _ de l’Histoire,


le panurgique, si commun _ mais en même temps si contagieux et dangereux ! _, est bien moins riche et intéressant à décrypter :

il est à seulement à démonter, déconstruire et radicalement _ si c’est possible ! _ détruire ;

en tout cas affaiblir,

ou ridiculiser…

Même si _ ou parce que _ une des fonctions principales de l’idée de « nature », telle du moins qu’elle fonctionne dans les idéologies,

est de renforcer la représentation (humaine, culturelle) d’une immutabilité et universalité plus ou moins de fait _ ses rares exceptions, très minoritaires, forcément, constituant alors de simples anomalies monstrueuses, des ratés… _,

et de lui octroyer, en surplomb _ et la renforçant encore, si jamais besoin s’en faisait sentir à certains… _ un fondement « sacré » qui vienne comme pleinement _ et sans contestation aucune _ la légitimer, de droit absolu.

Au détriment de la variété et des créations de la fantaisie et de la liberté.


Ce mercredi 31 janvier 2018, Titus Curiosus – Francis Lippa

« L’Indignation, une passion morale à double sens » : un appendice à l’anthropologie politique de Michaël Foessel

08août

Mardi dernier 4 août, Michaël Foessel,

maître de conférences à l’Université de Bourgogne,

et conseiller de la direction de la Revue Esprit,

et auteur des très remarquables La Privation de l’intime _ mises en scènes politiques des sentiments, paru en octobre 2008 aux Éditions du Seuil,

et État de vigilance _ Critique de la banalité sécuritaire, paru en avril 2010 aux Éditions Le Bord de l’eau,

et qu’il a présenté dans les salons Albert-Mollat le mardi 18 janvier dernier, dans le cadre de la saison 2010-2011 de la Société de Philosophie de Bordeaux _ dont voici un comte-rendu (avec podcast intégré de la conférence) : Sur un lapsus (« Espérance »/ »Responsabilité ») : le chantier (versus le naufrage) de la démocratie, selon Michaël Foessel _

vient de publier dans la rubrique Rebonds de Libération,

un excellent article,

qu’il me plaît de répercuter ici,

avec de légers _ espérons ! _ commentaires :

L’indignation, une passion morale à double sens

Le titre du best-seller de l’année 2010 (Indignez vous ! de Stéphane Hessel) est paradoxal. On s’est étonné qu’un homme parvenu à un tel âge prodigue des leçons de révolte ; en réalité, le mystère est d’abord grammatical : peut-on conjuguer la colère à l’impératif ? Parler de l’indignation comme d’un devoir, c’est oublier qu’il s’agit d’une passion et que l’on ne commande pas aux sentiments comme aux pensées. Exiger d’une personne qu’elle s’indigne apparaît aussi peu censé que de l’obliger à aimer ce qu’elle avait tenu jusqu’ici pour insignifiant.

Pourtant, d’Athènes à Madrid, c’est sous la bannière de l’«indignation» que les manifestants se sont regroupés. Que les Indignés aient investi des places publiques démontre _ au moins par l’exemple _ qu’il existe entre la politique et certains sentiments un rapport privilégié. L’indignation ne se commande pas, mais une révolution ne se décrète pas non plus, elle advient à la manière d’un événement imprévisible. Les Indignés ont montré que cet événement révolutionnaire, même lorsqu’il ne se déploie pas jusqu’à son terme, a d’abord lieu dans les consciences.

Pour que l’inédit devienne possible, il faut que le monde tel qu’il va apparaisse intolérable. Or, l’indignation est une passion morale : elle saisit sur un mode affectif la différence entre ce qui est _ selon l’ordre du fait _ et ce qui devrait être _ selon l’ordre du droit. C’est là sa supériorité sur la raison dont la tendance _ la pente native _ consiste à tout expliquer _ c’est-à-dire justifier _ : les plans d’austérité par le poids de la dette, les licenciements par les exigences de compétitivité ou les politiques sécuritaires par les risques terroristes. Les peuples s’indignent lorsque ces raisons _ alléguées _ ne suffisent plus à convaincre. Dès lors, ce n’est pas seulement la psychologie des hommes qui change, mais leur perception _ factuelle, hic et nunc _ du monde. Les excès _ = abus _ du pouvoir apparaissent _ enfin _ en plein jour et les appels à se montrer «raisonnables» sont perçus _ alors _ comme des provocations cyniques _ intolérables.

L’indignation est une manière nouvelle de regarder _ et juger _ le réel. Ceux qui éprouvent cette passion ne voient pas toujours _ au-delà de l’appréciation _ ce qu’il faudrait faire _ pratiquement _, ils perçoivent en revanche très clairement ce qui ne peut plus _ de droit _ durer. Rien de surprenant, puisqu’on entre dans le problème de la justice à partir de l’expérience _ ressentie, éprouvée _ de l’injustice. On a raison de faire de l’indignation le point de départ de la résistance : les indignés se retrouvent, sans le vouloir, dans le camp des adversaires de l’ordre établi.

Loin de tout lyrisme révolutionnaire, l’indignation constitue un critère négatif pour l’action publique _ étatique. Comme l’écrit Spinoza : «N’appartiennent pas au droit politique _ = sont illégitimes _ les mesures qui soulèvent l’indignation générale.» Rien ne permet de dire qu’une mesure politique est juste _ = légitime _ parce qu’elle est voulue par la majorité _ légale. En revanche, une loi qui suscite la réprobation de tous _ soit, le peuple ! _ est nécessairement _ le peuple étant (en droit) souverain ! _ injuste _ illégitime ! On peut _ de fait _ gouverner par la crainte ou par l’espérance _ ou encore avec l’apathie des gouvernés _, pas en transformant le peuple en une armée _ soulevée _ d’indignés _ nous en avons un exemple aujourd’hui en Syrie…

L’indignation est une passion pour notre temps. Elle correspond à une époque qui ne croit plus dans les utopies positives _ de modèles d’État-société à construire : cf Ernst Bloch, Le Principe-Espérance ; ou Cornelius Castoriadis, L’Institution imaginaire de la société _, mais est encore _ pour longtemps ? _ capable de se montrer sensible aux injustices les plus criantes _ quand celles-ci arrivent à être encore ressenties… Dans des démocraties désenchantées et en crise, il est devenu difficile de communier _ dynamiquement _ autour de valeurs positives. Faute d’«avenir radieux», il nous reste la certitude _ encore révoltante _ que le présent est inacceptable.

Si l’indignation désigne le sentiment d’une dignité _ voilà le terme crucial : cf Kant : les Fondements de la métaphysique des mœurs _ perdue et à reconquérir, elle demeure pourtant une passion triste _ non tournée vers l’accomplissement d’un épanouissement, selon Spinoza. Détournée de son sens _ de rétablissement de la justice contre l’injustice factuelle éprouvée et avérée _, elle mène au lynchage autant qu’à la révolution. Aux deux, parfois. On _ le quotidien (répété) de la majorité des médias à l’appui de certains pouvoirs qui y cherchent une justification _ nous somme de nous indigner devant les faits divers _ dont l’avènement médiatique fut celui de la presse du XIXe siècle _ plutôt que _ voilà l’opération de détournement _ devant les injustices collectives, au risque d’entrer dans une recherche _ de mentalité magique _ du bouc émissaire. «Indignez-vous !», c’est aussi le discours des politiciens sans scrupule qui présentent _ comme le torero au taureau la muleta _ le port de la burqa ou les fraudes aux minima sociaux comme les véritables objets du scandale _ et pas les détournements de fonds à grande échelle (surtout très opportunément légalisés ; et inscrits durablement dans les mœurs). Le citoyen d’aujourd’hui est invité quotidiennement à la révolte, mais à condition que celle-ci demeure particulière _ et pas générale, ni universelle _ pulsionnelle _ seulement _, donc antipolitique _ et sans amplitude d’effets.

La politique commence lorsque les individus sont en mesure de hiérarchiser _ en valeur _ leurs amertumes et de transformer leurs passions tristes en occasions de créer _ dynamiquement et constructivement. Pour que l’indignation devienne une passion politique, il faut donc qu’elle se distingue des petites colères du quotidien qui isolent _ voilà : chacun pour soi ; et pas de Dieu pour personne _ l’individu en le condamnant au ressentiment _ cf l’analyse qu’en fait Nietzsche _ et à la défense de ses intérêts privés. A l’inverse, l’indignation _ un sentiment de l’ordre du droit _ possède un potentiel politique parce que, ainsi que Spinoza la définit, elle désigne l’exaspération éprouvée pour _ c’est-à-dire contre _ celui qui fait du mal à un «être semblable à nous». On ne s’indigne pas du tort qui nous est fait personnellement, mais de celui qui est imposé à nos semblables _ éprouvés comme faisant partie de la catégorie d’« autrui« , en sa dignité (universelle) de « personne«  C’est seulement à ce moment que les autres cessent d’être des concurrents pour devenir des alliés _ stratégiques _ potentiels _ dans la logique utilitariste (proliférante depuis Adam Smith).

Il est donc crucial de distinguer l’indignation spontanée de la colère artificielle. La première éclaire les peuples alors que la seconde rameute les foules _ habilement (lire ici Machiavel) instrumentalisées. Autant le scandale médiatique nous fixe sur le particulier (un crime, un exemple de corruption, le comportement privé d’un homme public), autant l’indignation collective permet de saisir le général _ ou plutôt l’universel _ dans le singulier. Cette passion opère lorsque les dérives de la finance ou encore la dureté des lois sur l’immigration deviennent visibles dans la précarité d’une existence _ malmenée un peu trop visiblement. L’indignation donne corps _ via l’imageance _ aux abstractions : plutôt que de vitupérer contre les agences de notations, elle s’émeut d’un monde qui leur accorde _ au quotidien durablement institué par les habitudes installées : une seconde nature ! _ un tel pouvoir.

Sur la Porta _ Puerta, madrilène ; et non milanaise, ou romaine _ del Sol, les Indignés sont parvenus momentanément à passer de la solitude au commun _ en route vers un « peuple » ?.. Certes, l’indignation fonde une communauté de la souffrance et non une communauté de l’espérance. Mais ce «pâtir ensemble» est le préalable _ voilà _ de toute action politique sérieuse, de tout «agir ensemble» _ pour passer de l’éthique au politique… Les revendications concrètes et l’exigence de justice émergent à partir de la certitude _ cruciale _ d’appartenir au même monde _ condition d’une vraie démocratie ; à rebours des fascismes méprisants qui ont ces derniers temps le vent (mauvais) en poupe… Contre la vision _ ultra- _ libérale de la liberté _ comme licence de suivre ses pulsions : à la Calliclès, dans Gorgias de Platon _, les Indignés font l’expérience de ce que la liberté des uns commence _ voilà : c’est une construction collective pratique (forte et fragile à la fois) : elle a ses avancées et ses reculs ; rien n’est acquis ; la régression de la barbarie menace ! _ là où commence, et non pas là où s’arrête, celle des autres _ à suivre !


Michaêl Foessel

Avec les commentaires (redondants)

de Titus Curiosus en vert

Titus Curiosus, le 8 août 2011

 

 

 

Mario Vargas Llosa et la « cité perverse » selon Dany-Robert Dufour

18oct

Comme pour illustrer l’analyse que l’excellent Dany-Robert Dufour,

l’auteur de « L’Art de réduire les têtes _ sur la nouvelle servitude de l’homme libéré, à l’ère du capitalisme total« , en 2003, « On achève bien les hommes _ de quelques considérations actuelles et futures de la mort de Dieu« , en 2005 et « Le Divin marché _ la révolution culturelle libérale« , en 2007 _ tous d’excellente lucidité _,

propose ce mois d’octobre-ci, 2009, avec « La Cité perverse _ libéralisme et pornographie«  (chez son éditeur Denoël) _ dont s’impose l’urgence, et pas rien que médiatico-circonstancielle (sur ce terrain, un clou chassant très vite l’autre : « tournez-manèges !« …), de la lecture !

voici, ce dimanche 18 octobre 2009, un article fort intéressant _ sur un regard autre que franco-français, en quelque sorte ; même s’il n’est pas non plus du point de vue « de Sirius« _ de Mario Vargas Llosa _ l’auteur de « La Ville et les chiens« , en 1963, et de « La Maison verte« , en 1966 ; ainsi que de « Conversation dans la cathédrale« , en 1969… _, en « tribune libre » de El Pais :

« Desafueros de la libido« ,

avec pour sous titre »Los casos del cineasta Roman Polanski, el ministro de Cultura francés, Frédéric Mitterrand, y el primer ministro italiano, Silvio Berlusconi, nos muestran el eclipse de toda moral« …

Le voici en espagnol :

« El cineasta Roman Polanski fue detenido en Zúrich, durante un Festival de Cine que le rendía un homenaje, por la policía suiza, a pedido de la justicia de Estados Unidos, debido a una violación cometida en 1977 (hace 32 años) en Hollywood, delito que el propio Polanski reconoció, antes de fugarse de California en pleno proceso cuando el tribunal que lo juzgaba aún no había pronunciado sentencia. Ahora, mientras espera que Suiza decida si acepta el pedido de extradición, se multiplican las protestas de cineastas, actores, actrices, intelectuales y escritores de Europa y América por el « atropello« , exigiendo su liberación. La moral de la historia es clara : emboscar, emborrachar, drogar y violar a una niña de 13 años, que es lo que hizo Polanski con su víctima, Samantha Geimer, a la que atrajo a la casa deshabitada de Jack Nicholson con el pretexto de fotografiarla, es tolerable si quien comete el desafuero no es un hombrecillo del montón sino un creador de probado talento (Polanski lo es, sin la menor duda).

Uno de los defensores más ruidosos del cineasta polaco-francés (tiene ambas nacionalidades _ Roman Polanski est né Raymond Roman Liebling le 18 août 1933 à Paris, de parents polonais immigrés) ha sido el ministro de Cultura de Francia, señor Frédéric Mitterrand, sobrino del presidente François Mitterrand y ex socialista _ appréciation qui est à nuancer : seulement « radical de gauche« , il y a un certain temps ; pour ne pas dire un temps certain _ que abandonó las filas de este partido _ non ! lui-même semble nier avoir été jamais encarté au parti socialiste…  _ cuando el presidente Nicolas Sarkozy lo llamó a formar parte de su Gobierno _ Frédéric Mitterrand avait déjà accepté sa nomination par le Président Sarkozy à la tête de la prestigieuse Villa Médicis, à Rome… De même, il avait fait savoir son vote en faveur de Jacques Chirac aux élections présidentielles de 1995 ; son oncle François Mitterrand étant encore de ce monde… No sospechaba el ministro que poco después de formular aquella enérgica protesta se vería en el corazón de una tormenta mediática parecida a la del realizador de « El cuchillo en el agua » _ « Le Couteau dans l’eau« , co-écrit avec Jerzy Skolimowski, et son premier long métrage, en 1962 _ y  » El pianista » _ « Le Pianiste« , « Palme d’or«  au festival de Cannes, en 2002.

En efecto, hace pocos días, la hija del líder del Front Nacional, Jean Marie Le Pen, Marine Le Pen, inició una ofensiva política contra el ministro Mitterrand, recordando que en 2005 éste publicó un libro autobiográfico, « La Mauvaise vie«  (« La mala vida« ), en el que confesaba haber viajado a Tailandia en pos de los chicos jóvenes de los prostíbulos de Patpong, en Bangkok. La confesión, muy explícita, venía adornada de consideraciones inquietantes, por decir lo menos, sobre los efectos turbadores que la industria sexual de adolescentes en el país asiático provocaba en el autor: « Todo ese ritual de feria de efebos, de mercado de esclavos, me excita enormemente« . La hija del líder ultra francés, y algunos diputados socialistas _ Benoît Hamon, Manuel Valls, Arnaud Montebourg, etc... _, unidos por una vez con este motivo, se preguntaban si era adecuado que fuera « ministro de Cultura » de Francia alguien que, con su conducta, desmentía de manera categórica los declarados empeños del Gobierno francés por erradicar de Europa el « turismo sexual » hacia los países del Tercer Mundo como Tailandia donde la prostitución infantil, una verdadera plaga, golpea de manera inmisericorde sobre todo a los pobres.

El ministro Mitterrand, sin dejarse arredrar por lo que él y sus defensores consideran una conjura de la extrema derecha fascista y un puñado de resentidos del Partido Socialista, compareció en la hora punta de la Televisión Francesa. Explicó que « había cometido un error, no un delito » y que, naturalmente, no pensaba renunciar porque « recibir barro de la ultraderecha es un honor« . Aseguró que no practica la pedofilia y que los chicos tailandeses de cuyos servicios sexuales disfrutó ya no eran niños. « ¿Y cómo sabía usted, señor ministro, que no eran menores de edad?« , le preguntó la entrevistadora. Desconcertado, el señor Frédéric Mitterrand optó por explicar a los televidentes la diferencia semántica entre »homosexualidad » y « pedofilia« .

La defensa que han hecho políticos e intelectuales franceses del ministro de Cultura se parece mucho a la que ha cerrado filas detrás de Polanski, y hermana también, cosa significativa, como a los críticos, a gente de la derecha y la izquierda. Se recuerda que, cuando el libro salió, el propio presidente Sarkozy alabó la franqueza con que el señor Mitterrand exponía a la luz pública los caprichos de su libido, y afirmó: « Es un libro valiente y escrito con talento« . Con todo este chisporroteo periodístico en torno a él, es seguro que « La Mauvaise vie » (« La mala vida« ) se convertirá pronto en un best-seller _ certes… Tal vez no obtenga el « Prix Goncourt« , pero quién puede poner en duda que lo leerán hasta las piedras _ bel hispanisme ! Nadie parece haberse preguntado, en todo este trajín dialéctico, qué pensarían en Francia de un ministro tailandés que confesara su predilección por los adolescentes franceses a los que vendría a sodomizar (o a ser sodomizado por ellos) de vez en cuando en las calles y antros pecaminosos de la Ciudad Luz _ Paris. Moral de la historia : está bien practicar la pedofilia y fantasías equivalentes _ à mieux élucider, tout de même ! _ siempre que se trate de un escritor franco y talentoso y los chicos en cuestión sean exóticos y subdesarrollados _ soient à peu près les arguments (mais tus, non signifiés à lui noir sur blanc) qui ont probablement valu son exclusion d’antenne (de « collaborateur régulier« , tout du moins) de France-Culture (de l’émission de Philippe Meyer « L’Esprit public« ) à Yves Michaud, il y a dix jours : le lendemain, ce dernier réitéra son « appréciation«  des faits de l’affaire de droit « Polanski«  au micro de Nicolas Demorand, face à Alain Finkielkraut, lors du 7-10 de France-Inter, le vendredi 9 octobre : chacun peut en juger sur pièces…

Comparado con el cineasta Polanski y el ministro Mitterrand, el primer ministro de Italia, Silvio Berlusconi, es, en materia sexual, un ortodoxo y un patriota. A él lo que le gusta, tratándose de la cama, son las mujeres hechas y derechas y sus compatriotas, es decir, que sean italianas. Él ha hecho algo que de alguna manera lo emparienta con los 12 Césares de la decadencia y sus extravagancias descritas por Suetonio _ en sa « Vies des douze Césars«  _ : llenar de profesionales del sexo no sólo su suntuosa residencia de Cerdeña llamada « Villa Certosa » sino, también, el Palacio que es la residencia oficial de la jefatura de Gobierno, en Roma _ le Palazzo Chigi, piazza Colonna ; à moins que ce ne soit sa résidence privée à Rome, le Palazzo Grazioli, via del Plebiscito… Los entreveros sexuales colectivos y seudo paganos que propicia han dado la vuelta al mundo gracias al fotógrafo Antonello Zappadu _ en janvier 2009 _, que los documentó y vendió por doquier. Al estadista le gustaba disfrutar en compañía y en una de esas extraordinarias fotografías de « Villa Certosa » ha quedado inmortalizado el ex primer ministro checo, Mirek Topolanek _ du parti ODS, le principal parti de la droite tchèque ; le 24 mars 2009, son gouvernement est renversé par une motion de censure ; et cède la place le 8 mai à un gouvernement intérimaire dirigé par le social-démocrate Jan Fischer, du principal parti de centre-gauche… _, quien, de visita en Italia, fue invitado por su anfitrión a una de aquellas bacanales, donde aparece dando un salto simiesco, desnudo como un pez y con sus atributos viriles en furibundo estado de erección (¿lanzaba al mismo tiempo el alarido de Tarzán?), entre dos ninfas, también en cueros. ¿La moraleja en este caso? Que si usted es uno de los hombres más ricos de Italia, dueño de un imperio mediático, y un político que ha ganado tres elecciones con mayorías inequívocas, puede darse el lujo de hacer lo que a sus gónadas les dé la reverendísima gana

_ à confronter aux expressions de la « quatrième de couverture » de « La Cité perverse _ libéralisme et pornographie » de Dany-Robert Dufour : « Pornographie, égotisme, contestation de toute loi, acceptation du darwinisme social, instrumentalisation de l’autre : notre monde est devenu sadien. Il célèbre désormais l’alliance d’Adam Smith et du marquis de Sade. A l’ancien ordre moral qui commandait à chacun de commander ses pulsions, s’est substitué un nouvel ordre incitant à les exhiber, quelles qu’en soient les conséquences« , annonce ainsi Dany-Robert Dufour

Hablar de escándalo en estos tres casos sería impropio. Sólo hay escándalo cuando existe un sistema moral vulnerado por el hecho _ le concept crucial ! en ces diverses polémiques _ escandaloso. Eso es lo que subleva a toda o parte de la sociedad. Lo que vemos, en estos episodios, es más bien el eclipse de toda moral _ voilà ! _, simples espectáculos _ eh oui ! devant les caméras… _, utilizados, por quienes los defienden o los condenan, no en nombre de principios y valores sobre los que existiría alguna forma de consenso social _ qui « s’effrite«  _, sino de intereses políticos _ brutement pragmatiques _, reflejos condicionados ideológicos _ avec de moins en moins le temps de réfléchir, questionner _, frivolidad _ dangereuse en proportion de ses effets séducteurs _ y una chismografía mediática que los redime de toda connotación ética _ voilà le tour de passe-passe _ y los convierte en diversión _ doublement gagnante par ce qu’elle montre autant que par ce qu’elle cache _ para el gran público _ c’est moi, bien sûr, qui souligne… Para la cultura imperante, sólo es lícito condenarlos desde un punto de vista estético y sostener, sin caer en el ridículo, que es una vulgaridad violar niñas, ir a Tailandia como hace la plebe a alquilar muchachos y contratar hetairas para las fiestas palaciegas ¡y luego hacerlas candidatas al Parlamento Europeo! Todo eso revela _ seulement _ mal gusto _ mais tous les goûts ne sont-ils pas, n’est-ce pas, dans la nature ?.. _, una imaginación sexual burda y cochambrosa _ et pas davantage…

La generación a la que pertenezco _ Mario Vargas Llosa est né le 28 mars 1936 à Arequipa, au Pérou : il a donc soixante-treize ans _ dio varias batallas : por la revolución, el comunismo, la emancipación de la mujer, la libertad religiosa y la libertad sexual. Parecía que, habiendo perdido todas las otras, por lo menos en Occidente habíamos ganado esta última. Episodios como los que resumo en esta nota muestran que creer semejante cosa es una ilusión. ¿Qué clase de libertad sexual hay detrás de las villanías de este trío? Abusar de una niña de 13 años, gozar con adolescentes que son esclavos sexuales por culpa del hambre y la violencia y convertir en un burdel el poder al que se ha llegado mediante el voto de millones de ingenuos, son acciones que hacen escarnio de la libertad que precisamente clama porque en la vida sexual desaparezca esa relación de amo y esclavo que, en estos tres casos, se manifiesta de manera flagrante. La libertad sexual es en ellos una patente de corso que permite a quienes tienen fama, dinero o poder, materializar de manera impune sus deseos _ tout simplement « pervers« , les qualifie, après Freud et la psychiatrie classique, Dany-Robert Dufour _ degradando _ sadiquement (ou masochistement : relire Freud ; ou le « Vocabulaire de la psychanalyse«  de Laplanche et Pontalis… _ a los más débiles. Apuesto mi cabeza que los tres héroes de estas historias reprobaron escandalizados las violaciones y abusos sexuales de niños en los colegios religiosos que han llevado al borde de la ruina a la Iglesia Católica en países como Estados Unidos e Irlanda, por las sumas enormes con que han debido compensar a las víctimas. Ni ellos ni sus defensores parecen conscientes de que sus proezas son todavía menos excusables que las de los curas pedófilos por la posición de privilegio que tienen y de la que abusaron, envileciendo _ en effet : car la liberté n’est certes pas la licence ; relire dans « Gorgias » de Platon les raisons de Socrate face à Calliclès !.. _ con sus actos la noción misma de libertad. Cuánta razón tenía Georges Bataille cuando _ cf « L’Érotisme«  _ pronosticaba que la supuesta sociedad « permisiva » serviría para acabar con el erotismo pero no con la brutalidad sexual. »


A méditer par tout un chacun !


Titus Curiosus, ce 18 octobre 2009

Post-scriptum :

sur l’exhibitionnisme (et ses actuelles instrumentalisations !),

lire l’excellent « La Privation de l’intime » de Michaël Foessel ; 

cf mon article du 11 novembre 2008 sur cette « pulvérisation maintenant de l’intime _ une menace envers la démocratie« …

Sur l’éthique de professeur : la protestation de dignité de Jacky Dahomay

19déc

En appendice à mes deux précédents articles « De ce que c’est qu’un “maître” de philosophie _ quand s’effondre l’Ecole… » (le 7 décembre) et « Sur le “rencontrer” _ philosophique : le point de vue du “prof de philo”  » le 12 décembre), à propos du très, très riche Portraits de maîtres _ les profs de philo vus par leurs élèves, sous la direction de Jean-Marc Joubert et Gilbert Pons, aux Editions du CNRS (paru au mois d’octobre 2008)

_ auquel manquent un « portrait« , par un Jean-Paul Michel, de Jean-Marie Pontévia ; et un « portrait« , par un Daniel Truong-Loï, de Bernard Sève, à mon humble goût, tout du moins _,

je veux joindre ce très bel article (dans la rubrique « Rebonds« ) de Jacky Dahomay

_ qui fut mon condisciple sur les bancs de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Bordeaux vers 1965-66… _

dans l’édition de Libération d’avant-hier 17 décembre ( à la page 36) ; en commentaire de sa démission du Haut Conseil à l’intégration

(un très bel article auquel je me permets de joindre 11 (belles, à la seule exception de la toute première) « réactions » de lecteurs sur le site du journal

(http://www.liberation.fr/societe/0101306133-le-cynisme-des-chiens

& http://www.liberation.fr/societe/0102306133-reaction-sur-le-cynisme-des-chiens ) :

17 déc. 6h51 Le cynisme des chiens

Jacky Dahomay professeur de philosophie à la Guadeloupe, démissionnaire du Haut Conseil à l’intégration.

Le récit ahurissant fait par un enseignant du Gers concernant l’intrusion dans sa classe de gendarmes et d’un chien, m’a littéralement bouleversé. Et j’ai pleuré. De rage bien entendu. Je suis un vieil enseignant, à la veille de la retraite. Ce métier a été ma seule vocation. Je me suis toujours tenu pour le seul maître dans ma classe après Dieu (s’il existe bien entendu !) et personne n’y entre sans mon autorisation, ni chef d’établissement, ni inspecteur, ni ministre et, a fortiori, ni gendarme ni chien. Impossible ! A moins d’un cas de force majeure grave que le chef d’établissement devra m’expliquer au préalable. Je le dis donc tout net : si une telle chose m’arrivait, je donnerais l’ordre aux élèves de désobéir. Telle est mon éthique de professeur.

J’estime ma mission d’enseignant plus haute que ma propre sécurité. En vérité, depuis quelques années, les enseignants s’accommodent de bien de choses inacceptables. Oublient-ils ce principe républicain qui veut que l’instruction publique vise aussi à former des citoyens incommodes ? Comment en est-on arrivé là ? Tout se passe aujourd’hui comme s’il y avait une redoutable confusion des rôles, des institutions comme de leurs fonctionnaires. De toute évidence, au niveau des responsables de l’Etat comme au sein de la population, il y a confusion entre l’espace public propre à l’école et d’autres formes d’espaces publics ou communs. Or, l’école n’est pas publique au sens où peuvent l’être les chemins de fer, les télécommunications ou la place du marché. Cela fait des années qu’on croit bien faire en ouvrant l’école sur l’extérieur. La rue y est entrée, avec son lot de désagréments. Si la rue peut enrichir l’expérience, seule l’école donne une véritable instruction. Comment des vérités aussi élémentaires peuvent-elles avoir été oubliées ?

Admettons qu’un policier ait toute légitimité pour procéder à des fouilles dans les aéroports et dans la rue (à condition bien sûr que cela ne s’adresse pas qu’aux basanés !). Cela lui donne-t-il pour autant le droit de se substituer à l’autorité du maître dans sa classe ? On a du mal à distinguer entre le maître qui impose une domination et le maître qui exerce un magistère. Et comme ce principe s’est perdu, le maître-chien, fût-il gendarme, se sent autorisé lui aussi à prendre la place de l’enseignant à l’école. Et quand un magistrat se permet de croire que la peur du gendarme introduite brutalement à l’école est ce qui préservera les élèves de la délinquance on se demande, bien que n’étant pas gaulois, si le ciel n’est pas tombé sur notre tête ! La peur et la répression ont remplacé la mission éducative de l’école. Quel échec ! Sait-on simplement que lorsque le chien et le gendarme se substituent à l’autorité du maître à l’école, c’est que les loups hurlent déjà aux portes de nos villes. Il s’ensuit en général un bruit de bottes sur les trottoirs.

Mon cœur donc gronde de colère et qu’on le laisse faire ! Il y a des moments où la raison raisonnante devient impuissante et laisse place à l’indignation. Toutefois, des chiens, préservons-nous de leur rage et de leur cynisme. J’emprunte cette expression, «le cynisme des chiens», à Chateaubriand qui, dans ses « Mémoires d’outre-tombe« , l’utilise pour qualifier les révolutionnaires qui, sous la Terreur, bons pères de famille, emmenaient leurs enfants se promener le dimanche en prenant soin de leur montrer en passant le dada des charrettes qui conduisaient des citoyens à la guillotine. Le cynisme est dans la contradiction voulue et assumée opposant les grands principes humanitaires qu’on affiche et la pratique quotidienne du massacre de citoyens.

Aujourd’hui, nous avons affaire à une autre forme de cynisme. Dans le spectacle que donne à voir par exemple le gouvernement actuel de la France. Le président Nicolas Sarkozy le premier. Son cynisme consiste à affirmer une chose et son contraire. Dans son agitation ultramédiatisée, il procède à une «désymbolisation» constante des institutions de la république. Il y a bien là un travail d’affaiblissement de l’autorité de ces dernières. Pour parodier Hannah Arendt _ l’auteur de, par exemple « La Condition de l’homme moderne » _, disons qu’il y a aussi perte d’autorité quand les adultes refusent d’assumer le monde dans lequel ils ont mis les enfants, les vouant ainsi à une culture de la violence. Le refus de l’éducation est l’étalage de la répression et le culte de la sécurité. C’est ce refus de l’éducation qui pousse à vouloir incarcérer des enfants de 12 ans. Reste maintenant à obliger des psychiatres à inventer une substance antiviolence qu’on inoculerait aux femmes enceintes, sans leur consentement bien entendu.

Tout cela est grave, très grave. La démocratie _ c’est-à-dire le suffrage universel ; et dans des conditions d’information, d’explication et de (large) débat suffisamment honnêtes ! _ ne fait pas toute la légitimité d’une république. Un pouvoir tyrannique peut se mettre en place « démocratiquement ». L’Histoire, comme on le sait, ne se répète pas et les formes de totalitarisme à venir sont forcément inédites. Nous sentons bien qu’une nouvelle sorte de régime politique, insidieusement, se met en place. Quand, à l’heure du laitier, un journaliste est brutalement interpellé chez lui, devant ses enfants ; quand des enfants innocents sont arrachés de l’école et renvoyés dans leur pays d’origine ; quand une association caritative est condamnée à de lourdes amendes pour être venue en aide aux sans-abri ; quand… Même si nous n’avons pas encore tous les éléments théoriques permettant de penser ce régime inédit, il se présente déjà avec des signes certains de la monstruosité. Face à tout cela, le Parti socialiste, principal parti d’opposition, se déchire lamentablement. L’heure serait-elle venue, pour nous enseignants du moins, d’entrer dans la désobéissance civile ?

Je ne parle peut-être pas d’outre-tombe, mais je suis d’outre-mer. Comme beaucoup d’Antillais, j’ai aimé une certaine France malgré l’esclavage et la colonisation, malgré Vichy et la collaboration. Cette France qui, à deux reprises, a su abolir l’esclavage, celle des droits de l’homme et des valeurs universelles. Celle dont l’école, malgré ses aspects aliénants pour nous, a su donner le sens de la révolte à un Césaire _ l’auteur de, par exemple, « Cahiers d’un retour au pays natal » _ ou à un Fanon _ l’auteur de, par exemple « Les Damnés de la terre« . Qu’il faille dépoussiérer cette vieille école républicaine ne signifie pas qu’on doive la jeter avec l’eau du bain. Est aussi à réviser cette identité républicaine hypocrite qui a du mal à s’ouvrir à la diversité. Et quand on constate que Monsieur Brice Hortefeux, ministre de cet affreux ministère de «l’Intégration, de l’Identité nationale et de l’Immigration» aux relents franchement vichyssois, se permet de réunir, à Vichy précisément, les ministres européens chargés des questions d’immigration, on peut légitimement penser qu’il y a là une continuité conservatrice inquiétante. Ce ministre a rendu visite le 10 décembre au Haut Conseil à l’intégration. Je n’y étais pas. J’ai démissionné du HCI. Cette France, qui vient ou qui se met en place sournoisement, je ne l’aime pas. Devrions-nous alors, d’outre-mer, faire dissidence ? Je ne sais pas. Ce qui est sûr en tout cas c’est que la plus grave erreur serait de se dire, comme à l’accoutumée, que les chiens aboient et que la caravane passe.

Voilà pour cet important article publié par Jacky Dahomay.

L’écrivain Edouard Glissant s’est associé à Jacky Dahomay.

Dans un message parvenu hier à «Libération», celui-ci _ auteur de, par exemple (avec Patrick Chamoiseau) « Quand les murs tombent, l’identité nationale hors la loi » _ s’adresse ainsi au président du Haut Conseil à l’intégration :

« J’ai le regret de vous présenter ma démission de membre du Haut Conseil à l’intégration. Celle-ci s’appuie sur ce qui a été prononcé par mon collègue, Jacky Dahomay, avec qui je suis en complet accord. »

Réactions des lecteurs (sur le site de « Libération ») :

scarlett    Lamentable
Vous _ vraisemblablement à ml 69… _ n’avez rien compris, ou vous faites exprès d’être ignoble ? « Qui ne dit mot consent« , dit un proverbe connu. Fallait-il que ce collègue reste pour cautionner un gouvernement qu’il réprouve ? Il y aura toujours de nouveaux Papons pour obéir aux ordres . Qu’ils se déshonorent ! Le véritable honneur est du côté de ceux qui disent NON ! Alors, bravo collègue philosophe. Des textes comme le vôtre nous vont droit au cœur !
Jeudi 18 décembre à 18h53

plb    merci
Monsieur,
Vous écrivez ce que je n’ai pas su écrire, je n’ai pas de talent pour exprimer ma révolte, ma colère, mon indignation. J’ai pleuré, je n’ai pas dormi, j’ai alerté tous ceux qui peuvent agir autour de moi.
J’étais enseignante, prof d’Histoire en collège. Quand nous parlions de la Résistance, je disais à mes élèves de 3e qu’il fallait savoir désobéir aux ordres iniques…
Comme vous, je pense que les chiens et les gendarmes n’ont rien à faire dans l’espace que nous remplissons, les élèves et nous. Lorsque, parfois, je laissais la porte ouverte parce qu’il faisait trop chaud , ils me disaient : « Fermez la porte , Madame... » Parce que ce lieu où nous rencontrions Guy Moquet, Guernica, le peuple de la Commune, ce lieu où ils apprenaient les principes de la République, des Droits de l’Homme, des luttes pour la paix, ce lieu où les murs étaient couverts de phrases de Voltaire, de Montesquieu, d’articles de loi, de photos, de doc’ qu’ils alimentaient, qu’ils surveillaient… Ce lieu _ de parole « libre », confiante, sans espion(s) à la porte _ était devenu le leur, un lieu un peu sacré…
Certains me demandaient des comptes lorsque je rajoutais une phrase, certains rêvaient parfois au lieu de travailler, et soudain me posaient des questions sur telle loi, tel droit, tel homme ou femme. Rien n’était jamais considéré comme « hors sujet » puisqu’il s’agissait de former des citoyens, des adultes en devenir…
Nous nous sommes parfois demandé ce que nous ferions si une rafle se produisait comme dans le film « Au revoir les enfants  » de Louis Malle. Ils étaient tous convaincus que je ne laisserais personne « les prendre ». Je leur répondais qu’on ne sait pas, que personne n’est sûr d’être un héros, que certains seraient sans doute plus courageux que moi. Mais je me disais toujours que, non, je ne pourrais pas laisser faire, que je m’interposerais. Parce que c’est notre devoir, parce que je n’aurais pas pu trahir leur confiance _ voilà le mot capital. Comme vous, je n’ai jamais autorisé quiconque à franchir le seuil de la classe sans mon accord préalable.
Une mission, oui, assumée pendant trente sept ans. Je n’ai eu d’autre ambition que de rester fidèle à cette vocation et cette éthique dont vous parlez si bien. Merci, monsieur. 
Pierrette LE BERRE, professeur d’Histoire et Géographie à la retraite
Jeudi 18 décembre à 18h00

albrecht    merci
magnifique ! Merci M. Dahomay ! c’est exactement la lettre que je rêvais de lire après (entre autres) le récit de cet instituteur, qui m’a, moi aussi, fait pleurer.
Jeudi 18 décembre à 17h56

Thibault    Luttons
Enfin une voix qui dit les choses telles qu’elles sont. Ah ! Si seulement les éditorialistes de Libération pouvait eux aussi avoir la lucidité de Jacky Dahomay et cesser de voir Sarkozy comme un sincère républicain qui fait ce qu’il peut pour redresser la France. Mais écoutez donc Dahomay et…
Jeudi 18 décembre à 15h44

leon darpa    résistance
Il est rassérénant de lire de plus en plus de ces réactions indignées, motivées, tellement bien écrites… Cette terrible et inquiétante confusion dont parle Mr Dahomay fait son œuvre tranquillement et sûrement, comme une rouille invisible et inexorable… Je le renvoie à sa surprise…
Jeudi 18 décembre à 14h06

teletat    intégration
Merci Monsieur, mais qui est encore capable d’abandonner sa chaise de privilégié ? Surtout pas à France Télévision.
Jeudi 18 décembre à 12h35

PHI    Émotion
Je suis très ému par ce texte, par sa beauté comme sa clairvoyance. Oui, nous voyons venir un totalitarisme « édredon », étouffante protection d’une France qui sent le renoncement, la lâcheté, la fermeture à l’autre…   
Jeudi 18 décembre à 12h30

Dom    Bravo
Bravo Monsieur pour ce texte, puisse-t-il inspirer de nombreux autres citoyens…  
Jeudi 18 décembre à 10h54

ted34    Bravo!
Bravo pour ce texte magnifique !    
Mercredi 17 décembre à 22h54

Voir    L’intelligence
J’ai aimé ce texte sobre et intelligent. Je lui ai accordé du crédit = confiance _ car la démission montre symboliquement que l’attraction des ors de la république, si elle peut éblouir les plus faibles ou les plus veules, ne sauraient acheter les esprits intégres.  
J’espère que la publicité qu’il mérite sera faite à ce texte et qu’il sera suivi de réactions publiques qui nourriront la réflexion collective sur l’enseignement ainsi que sur les insidieuses dérives de notre société. 
Mercredi 17 décembre à 22h10

ml69    Zut alors…
Mais comment va t on pouvoir faire les testings maintenant ? et puis les revues de livres d’histoire pour les adapter à la diversité ? J’adore les personnes pensant que leur démission va enfin déciller les yeux des « mal-pensants ». Que d’égo mal placé. La politique de la chaise vide est la première manifestation de la stupidité. Il ne va pas nous manquer le philosophe…

Mercredi 17 décembre à 21h05

Quelque chose serait-il en train de changer, frémir, bouger, dans la république de France ?..


Titus Curiosus, le 19 décembre 2008

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