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Un atelier familial Bach jubilatoirement effervescent : ce que nous en révèle de merveilles en gestation le flamboyant CD « Little Books _ Johann-Sebastian Bach » du magnifique magistral Francesco Corti

07mai

C’est le double CD « Winged Hands _ The Eight Great Suites & Overtures _ George Frideric Handel » Arcana A499 _ enregistré à Lonigo en février 2021 _,

qui m’a fait _ enfin ! _ découvrir _ comment avait-il échappé jusqu’alors à mon attention ?.. _ et admirer ce prodigieux musicien _ un génie de l’interprétation la plus vivante et la plus juste ! _ qu’est l’arétin Francesco Corti _ toscan, il est né à Arezzo en 1984.

Et le très vif plaisir de ce splendide CD Handel m’a conduit à rechercher illico presto à me procurer le précédent CD _ enregistré à Crema en mai 2019 _ de ce claveciniste toscan, paru peu avant, lui aussi, chez Arcana :

le CD « Little Books _ Johann-Sebastian Bach« , soit le CD Arcana A480.

Et je dois dire que, à l’écoute en boucle de cette nouvelle galette discographique, je suis confondu d’admiration devant, ici et à nouveau, autant de présence, de vie…

ainsi que de la plus parfaite justesse de compréhension tellement intime des œuvres si merveilleusement interprétées

par ce splendide maître _ d’à peine 35 ans lors de l’enregistrement de ce sublime CD « Little Books _ Johann-Sebastian Bach« _ qu’est Francesco Corti.

Vite, vite, découvrir de précédentes réalisations discographiques de cet interprète prodigieux !!!

Quels sont donc les secrets de cette subjuguante maestria musicale de Francesco Corti ?…

Et pas seulement dans l’interprétation de Bach

que, déjà, j’éprouve _ jusqu’à ce point ! _ la bien peu banale impression de percevoir en vérité pour la première fois ! _ rien moins !..

Voilà ! 

Avec ce naturel, cette fluidité, cette joie

à la fois si profonde en même temps que très légère, en sa douce mais magistralement affirmée si juste intensité…

Et c’est vraiment stupéfiant de ressentir cela,

et à ce degré et hauteur-là…

Quelle maestria,

mais qui s’efface complètement au plus grand service de l’œuvre elle-même ! Et rien qu’elle !

Comme quoi le medium de l’interprétation, ici musicale _ et que ce soit au concert ou au disque _,

constitue un décisif maillon déclencheur et passeur de la rencontre-perception vraie avec une œuvre

demeurée, elle, et jusqu’à nous, sur du simple et fragile _ et quasi muet, pour qui ne sait pas, ou sait mal, le lire vraiment _ papier…

Magique transfiguration-réincarnation de l’interprétation quand elle sait confiner au génie…

_ et sans le moindre m’as-tu vu – l’ai-je bien descendu ?, que l’on m’entende bien !..

Une dernière remarque à propos de ce stupéfiant et si évident CD « Little Books _ Johann-Sebastian Bach » de Francesco Corti :

au-delà de la magistrale grâce inouïe de cette interprétation de Francesco Corti ;

et du choix de l’instrument lui-même, un magnifique clavecin du facteur Andrea Rastelli (de Milan, en 1998) d’après un Christian Vater  (de Hanovre, en 1738)

_ et sans rien dire de la parfaite prise de son de ce CD Arcana _ ;

il me faut ici souligner que c’est l’art même de composer le programme (inédit) de ce disque

qui lui aussi est tout simplement merveilleux :

en plus de 5 chefs absolus d’œuvre de Johann-Sebastian Bach lui-même en son atelier de musique,

que sont les BWV

815a (un Prélude _ à visionner et écouter ici _),

815 (un tout premier état de la Suite française n°4 en mi majeur),

998 (un Prélude, Fugue et Allegro en mi majeur),

992 (le Capriccio sopra la lontananza del fratello dilettissimo en si majeur)

et 691 (la transcription du chant « Wer nun den lieben Gott lasst walten« )

Francesco Corti a admirablement choisi aussi,

pris au sein de ces si précieux pour nous « Petits Livres » de musique manuscrits constitués par Johann-Sebastian Bach pour son propre usage et celui des membres de sa famille _ au premier chef son fils aîné Wilhelm-Friedemann, et sa seconde épouse Anna-Magdalena, mais bien d’autres encore… _,

les superbes pièces suivantes de compositeurs qui ont retenu, à un titre ou un autre, mais toujours musicalement, l’attention de Bach :

de son prédécesseur à Saint-Thomas de Leipzig Johann Kuhnau (1660 – 1722) :

la très belle et inspirante Suonata Quarta (extraite des 6 Sonates bibliques) « Hiskia agonizzante  e risanato » ;

de Johann-Adolf Hasse (1699 – 1783) :

l’amusante et distrayante _ »une chansonnette« , disait fort justement Bach… _ Polonaise en sol majeur BWV-Appendice 130 ;

de son maître, à Lunebourg, le grand Georg Böhm (1661 – 1733) :

le grandiose et éblouissant Prélude en sol mineur,

suivi ici de la Fugue et du Postlude qui l’accompagnent ;

de l’admiré maître français François Couperin (1668 – 1733) :

le tendre Rondeau « les Bergeries », extrait du « Second Livre des Pièces de Clavecin« , en si majeur BWV Ans. 183 ;

et de son très cher ami _ et parrain de Carl-Philipp-Emanuel…Georg-Philipp Telemann (1681 – 1767), transcrite ici, et merveilleusement, par Bach pour le clavecin seul :

cet autre chef d’œuvre absolument splendide et rayonnant de joie qu’est l’Ouverture pour orchestre en mi majeur TWV 55:Es4.  

Chapeau, l’artiste,

Francesco Corti !!!

Tout coule de source _ la source Bach… 

Et bien sûr à suivre…

Ce samedi 7 mai 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

Michel Corboz (1934 – 2021) : un chef de choeur qui a marqué son époque…

04sept

La nouvelle de la disparition, avant-hier jeudi 2 septembre, à l’âge de 87 ans, du chef de chœur (et d’orchestre) suisse _ fribourgeois, de la région de Gruyère : il était né à Marsens le 14 février 1934… _ Michel Corboz,

me touche

et me rappelle ses contributions à l’exploration d’un vaste répertoire musical _ Monteverdi, Carissimi, Bach, Marc-Antoine Charpentier, etc. _,

avec de remarquables contributions discographiques _ une centaine d’albums ; dont certains réalisés à Lisbonne, à la Fondation Gulbenkian… _,

principalement pour le label Erato…

Je me souviens aussi, à cette malheureuse occasion,

de Michel Daudin _ décédé à l’âge de 66 ans, le 1er septembre 2017 ; il était né à Chambéry le 1er septembre 1950 ; cf mon article  du 10 décembre 2018 _,

qui avait accompagné Michel Corboz en quelques unes de ses réalisations :

Michel Daudin avait en effet été l’élève, puis l’assistant, de Michel Corboz, ainsi que chanteur (basse) dans l’Ensemble Vocal de Lausanne ;

et il parlait avec affection de son maître, Michel Corboz…

Ce samedi 4 septembre 2021, Titus Curiosus – Francis Lippa

De ce que c’est qu’un « maître » de philosophie _ quand s’effondre l’Ecole…

07déc

Sur le passionnant et riche _ à foison _ « Portraits de maîtres _ les profs de philo vus par leurs élèves« ,
recueil d’une pléïade de contributeurs

_ d’Alcibiade (et Pierre Laromiguière, Jules Lagneau et Alain) à Frédéric Brahami, Barbara Stiegler et Pierre Bergounioux parmi un peu plus d’une soixantaine) _,
sous la direction de Jean-Marc Joubert & Gibert Pons, aux Editions du CNRS (paru au mois d’octobre 2008)

Un témoignage non seulement très riche, mais plus que nécessaire et sans prix

à un moment _ comme il en est d’assez « récurrents » (de la part de ceux que « trop penser » dérange !) _ de particulière « déconstruction » de l’Ecole, sous divers prétextes (vertueux) d’efficacité et économie

en temps de compétitivité commerciale exacerbée et de « vaches (particulièrement) maigres » (pour certains ; pas pour tous…)…

Après _ au chapitre d’entrée : « Quelques maîtres du passé » _ de fort beaux et très puissants textes issus des plumes de Platon (« le portrait de Socrate par Alcibiade« , in « Le Banquet » de Platon),
de Taine (le portrait de « Pierre Laromiguière » (1756-1837), in « Les Philosophes classiques en France » d’Hippolyte Taine _ 4ème édition en 1876 à la Librairie Hachette),
d’Alain (des « Souvenirs concernant Jules Lagnaud« , in « Les Passions et la sagesse » d’Alain)
et de Georges Bénézé (« Généreux Alain« ),
ainsi que de Michel Alexandre (« Rencontre d’Alain« , in un numéro spécial d' »Hommage à Alain » de la N.R.F? en 1952 ;

la principale partie concerne les « Maîtres d’ici » _ 59 articles _ ;
suivie d’un appendice « Quelques maîtres d’ailleurs » (qu’en France, et au nombre de 4)…

« Profs de philo » ? « Maîtres« ? L’intuition de départ de Jean-Marc Joubert
_ « Directeur du département de Lettres Modernes de l’ICS« , à La-Roche-sur-Yon _
allait vers les premiers ;

mais le titre _ « bien meilleur » ! (page 9) _ de « Portrait de maîtres » lui a été suggéré par son ami
_ « et complice » : co-animateur de l’entreprise éditoriale ; critique d’art, photographe, et professeur de philosophie au lycée d’Ussel & à l’Université de Limoges ; dont le préambule est de belle qualité… _
Gilbert Pons :

les articles des contributeurs ayant tendance à se focaliser plus ou moins sur ce « qualificatif » _ toujours un peu problématique _ de « maître », envers un élève ;

ou envers un disciple ;
depuis que nous avons appris, de Kant
(dans la « Critique de la raison pure« ) que :

« On ne peut apprendre aucune philosophie ;
car où est-elle,
qui la possède
et à quoi peut-on la connaître ?

On ne peut qu’apprendre à philosopher ?« 

Nietzsche, lui, nous donnant à entendre, par son Zarathoustra,
ou ailleurs _ ainsi dans la préface du « Gai savoir« ,
que l’unique sagesse à « gagner »
est, non de « suivre » la voie de son maître,
mais de « découvrir la sienne
 » :
« Vademecum _ si tu veux vraiment me suivre _, vadetecum » _ c’est toi-même qu’il te faut « découvrir » et apprendre à « inventer »-« suivre »…

How to teach
how to learn


A titre d’exemple, ce petit échange hier
_ j’ai commencé par « grapiller », en relevant les noms de maîtres personnellement connus ;
ainsi que de leurs élèves, que je connais aussi _
avec un des contributeurs : l’excellent Frédéric Brahami :

De :      Titus Curiosus
Objet :     Camille Pernot
Date :     6 décembre 2008 19:30:33 HNEC
À :       Frédéric Brahami


Quel bel (et juste) article sur ce que peut être le « charme » d’un enseignement philosophique,
à travers ce superbe portrait de Camille Pernot,
cher Frédéric !


Pour moi qui ose écrire sur la « délicatesse » du « rencontrer » _ et son « non-art » !

cf le titre de ma conférence samedi prochain à Aix, à la NonMaison : « pour un nonart du rencontrer » !.. _,

….

de même que je me suis risqué à quelques remarques-réflexions sur l’intime (à travers le beau livre de Michaël Foessel « La Privation de l’intime« )
cf mon article du 11 novembre : « la pulvérisation maintenant de l’intime : une menace envers la démocratie »


et sur le « care«  _ et la traduction (discutable…) de « sollicitude » _ (à travers le livre de Fabienne Brugère : Le Sexe de la sollicitude)
cf mon article du 26 novembre : « pour prolonger la conférence d’hier soir de Fabienne Brugère »


quelle magnifique leçon, cher Frédéric…

Je ne sais si se trouve encore aisément « La politesse, et sa philosophie« 

_ parue au PUF, en 1996 _,
mais voilà quelque chose qu’il me plairait assurément de déchiffrer bien attentivement.

Merci pour ton (pas petit) talent (d’attention) !

Bien à toi,

Titus

Sur la conférence bordelaise _ à mon initiative _ de Bernard Sève,
encore ceci :
l’article du 14 novembre : « Jubilatoire conférence hier soir de Bernard Sève : sur le tissage de l’écriture et de la pensée de Montaigne »


La réponse de Frédéric :

De :       Frédéric Brahami
Objet :     Rép : Camille Pernot
Date :     6 décembre 2008 21:28:16 HNEC
À :      Titus Curiosus


Merci à toi. Tu sais que M. Pernot est mort, je suppose.
à un de ces jours, peut-être
fred


Et la mienne :

De :       Titus Curiosus
Objet :     Notices (sur Camille Pernot)
Date :     6 décembre 2008 22:25:12 HNEC

À :       Frédéric Brahami

J’ignorais que M. Pernot était mort :
les notices du livre sont si rudimentaires, qu’elles en sont, carrément, « déficientes ».
Tout au plus, peut-on le deviner, car la notice (page 372) emploie pour M. Pernot l’imparfait…

Je vais rédiger un article demain sur mon blog mollat
sur ce livre (« Portraits de maîtres« )

à la fois symptomatique de notre présent,
et bel hommage à ce qui demeurait encore de « qualitatif » (à travers les personnes de ces « maîtres« ) dans l’Ecole
qu’on est en train présentement d’allégrement démolir…


J’ai plaisir en tout cas à lire certains « portraits » _ notamment de ceux que j’ai pu connaître personnellement (Ferdinand Alquié, Eric Blondel, Etienne Borne, Bernard Bourgeois, François Dagognet, Jacques Derrida, Christiane Menasseyre, Jean-Claude Pariente, André Pessel) _,
de même que l’écriture et le style (de penser) de certains des « portraitistes », dont toi (et Pierre Bergounioux, Barbara Stiegler, Frédéric Worms)…

Titus

En fait, la table des matières fournit quelques dates (de naissance et de décès) ; mais pas systématiquement !..

Bien sûr,
les initiateurs de ce très beau projet ont _ un peu aléatoirement _ reçu réponse, ou pas, des « élèves » (de « maîtres« ) qu’ils avaient sollicités ;
et de qualité un peu variable ;
certaines
_ et même beaucoup _ sont magnifiques :

outre celles de Barbara Stiegler (« la philosophie comme discipline érotique« ) à propos de son professeur (en khâgne à Henri IV, en 1990) Pierre Jacerme _ pages 255 à 259 _ ;
et de Frédéric Brahami à propos (du « charme _ proprement _ philosophique« ) de Camille Pernot _ pages 139 à 142 _,
sur le « charme philosophique », donc :

en cette dernière, de Frédéric Brahami, je relève ceci :

« Le trait le plus marquant

_ du « charme proprement philosophique » de Camille Pernot _

en était l’identité de la précision et de la distance.
(…) C’était la précision elle-même qui mettait à distance l’objet du cours. Je me souviens d’une séance sur l’animal chez Descartes.
(…) A mesure que l’exposé doctrinal se construisait dans une rigueur sans faille, c’étaient les failles de Descartes qui venaient au jour.
Ce n’était pas l’incantation des grands mots attendus et bien-pensants sur la nécessité de penser par soi-même,
mais la droiture intellectuelle,
la netteté de la précision,
l’attachement au détail toujours reporté à l’ensemble,
qui engendrait, par la pure efficacité de l’analyse, la distance critique.
 »

Ou, à propos de David Hume :
« Ainsi le mot obvious

ne signifiait-il plus évident, comme les traducteurs sont plus ou moins obligés de le rendre :
s’y manifestait toute une philosophie de la rencontre,
de l’apparaître,
de l’événement même ;

et la phrase que Hume avait ironiquement écrite dans un anglais scrupuleusement facile et apparemment transparent,
se métamorphosait en une autre phrase, dans laquelle les catégories fondamentales, comme celles d’évidence et de vérité,
se détachaient de leur ancrage classique,
de leur milieu « cartésien »,
et devenaient inquiétantes par leurs implications.

L’évidence n’avait plus rien à voir avec la saisie tranquille d’une intuition intellectuelle indubitable par un esprit maître de soi,
elle résultait de la force d’une rencontre
qui faisait violence à l’esprit
en lui imposant son autorité.

C’était d’une efficacité parfaite, parce que c’était encore l’union des qualités contraires :

la profondeur de la pensée dans la transparence« …

Quelle acuité, cher Frédéric !

Et, en conclusion de l’article de Frédéric, encore ceci :

« Il peut paraître paradoxal de parler de l’enseignement d’un maître de philosophie en témoignant de l’efficacité de son charme

_ philosophique !
Le charme relève de la magie, de la fascination,
de tout ce contre quoi, en somme, lutte la philosophie.

La philosophie, c’est la raison ; et la raison désenchante le monde. C’est vrai.

Mais ce n’est vrai que d’une vérité générale, cela ne vaut que dans les manuels scolaires.
Car nous savons tous,
nous qui avons été marqués par un professeur,
que la philosophie n’a pris un sens vivant pour nous
que par la force affective qu’enveloppait une présence.

L’intelligence de l’acuité n’est pas sèche ;
et la distance elle-même,
ce qu’on appelle en anglais
carelessness,
est un délicat affect philosophique.« 

Fin

_ superbe (parce qu’aussi belle que juste, et juste que belle !) _

de l’article de Frédéric Brahami, page 142.

Quant à la contribution de Barbara Stiegler (à propos des « séances » de cours _ « musicales » !.. _ de Pierre Jacerme,

je lis (page 256) :

« Du côté de la partition,

nous avions toujours accès au meilleur,
c’est-à-dire aux plus grands textes.
Du côté de l’interprétation, ce que nous entendions ressemblait à une lente rhapsodie,
apparemment libre et décousue.
Pierre Jacerme savait prendre son temps
pour laisser venir sa lecture,
qu’il semblait inventer devant nous,
comme un pianiste invente chaque fois son interprétation, ici et maintenant,
et ce en dépit des innombrables
« répétitions » qui le prémunissent seulement de l’improvisation
et jamais de l’invention.


La parole de Pierre Jacerme ne visait ni les effets (du théâtral),
ni le brio ou la virtuosité (du prétoire),
ni l’autorité (de la parole politique).

C’était la parole lente
et comme étouffée
d’un travailleur souterrain,
s’épuisant à forer les profondeurs d’une question
jusqu’à atteindre son point brûlant et incandescent
: les contradictions en fusion,
constituant, pour lui et nous, la seule matrice possible de la pensée philosophique.


Parce qu’il n’ y avait jamais de « message » dans la séance que nous vivions,
parce qu’en un sens il n’y avait aucune « démonstration » défendant une thèse positive avec les ressources habituelles de l’argumentation rationnelle,
parce que ce à quoi nous assistions
était bien plutôt un forage des profondeurs à la recherche des tensions internes du sous-sol,

la matière sonore qui coulait dans nos oreilles
ressemblait plus à de la lave en fusion
qu’à un cours structuré
avec ses parties et ses sous-parties, ses arguments et ses contre-arguments.


Bref,
nous étions comme des chairs ayant à organiser le flux, elles-mêmes en première personne,
situation hautement philosophique

que je retrouvais quelques années plus tard,
précisément dans ces termes,
du côté de Nietzsche décrivant les amours de Dionysos et d’Ariane
« …

« Car il s’agissait, en effet, d’amour.
Je me souviens que Pierre Jacerme lui-même nous avait montré avec insistance,
commentant le
« Ménon » de Platon,
que la philosophie ne pouvait être qu’une
« discipline érotique ».

L’éros devait, pour que la séance se déroule, exister de part et d’autre :
du côté du texte et de son interprétation,

qui avaient besoin d’oreilles aimées et amies qui les entendent et les reçoivent,
du côté des oreilles elles-mêmes, qui avaient besoin d’aimer le flux saturé de contradiction
pour le supporter
et prendre le risque de s’y exposer.


Or, comme dans le « Ménon« , l’éros n’allait pas sans les conflits violents d’un corps à corps.
Comme dans toute pratique érotique,
nous faisions l’expérience,
parfois pénible et douloureuse,
d’une haute circulation affective.

(…) Cette circulation affective
avait de tout autres enjeux que psychologiques.
Elle prenait sens
sur le fond d’une pratique intensive de l’
« amour du lointain ».

Avide de lointain et d’étranger,
Pierre Jacerme s’efforçait de nous initier par intermittences à la lumière dépaysante des contrées les plus lointaines
:
celles notamment des
« primitifs » d’Océanie et d’Asie, deux continents qu’il connaissait et qu’il aimait,
et qui jetaient leur lueur lointaine
et, pour nous,
« tout autre »,
sur la Grèce et sur l’Occident.


Je découvris plus tard que cet effort
prolongeait fidèlement l’ambition de Nietzsche :
« Enseigner l’éloignement vers l’étranger (« Entfremdung« ) dans tous ses sens »,
en vue de « creuser des fossés » brisant « l’égalisation » des modes de pensée (in « Fragment posthume« , 1855 36 (17) )

Je ne voudrais _ non plus que ne pourrais _ conclure cet article
sans
saluer tendrement Simone Gipouloux,
mon professeur de philosophie de Terminale,
qui m’a donné ce même désir (de l' »amour du lointain« ) du philosopher,
comme sens de la non-inhumanité ;

ainsi que le cher souvenir de Jean-Marie Pontévia,
maître en æsthétique

cf, qui demeurent, ses « Ecrits sur l’Art et Pensées détachées » (aux Éditions William Blake and Co)…

Titus Curiosus, ce 7 décembre 2008

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