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Balance de « l’humain » au stade gazeux du luxe : le diagnostic d’Yves Michaud

31déc

Pour continuer à réfléchir sur l’état présent de l' »humain« , tel que le présentent des phénoménes d' »aisthesis »  comme ceux qu’analyse Yves Michaud en son blog de Libération « Traverses« ,

et poursuivant lui-même sa réflexion de son opus de 2003 : « L’Art à l’état gazeux _ Essai sur le triomphe de l’esthétique« ,

voici

ces réflexions-ci,

en réponse à certains des « commentateurs« 

de son tout récent article « Le Luxe à l’état gazeux« , in Libération, en date du 29 décembre dernier, avant-hier :

Le luxe à l’état gazeux

Luxe et art ont une signification qui se recoupe(nt) sur certains points intéressants. Le luxe renvoie à l’idée d’abondance, de profusion, mais aussi de décoration et d’ornement, avec une connotation ambivalente de louange et de dénonciation. « Luxe » et « luxure » sont des doublets.

Il y a aussi, dans l’idée de luxe, celle d’un écart par rapport à la règle et à la ligne droite: le mot « luxation » vaut pour les articulations abimées et a la même étymologie. Or l’art et l’ornement ont aussi une origine étymologique indo-européenne qui en fait un écart et un ajout par rapport à la nature : l’art est ce qui se superpose et s’articule à la nature. C’est sur ce point qu’art et luxe se rejoignent : le luxe et l’art sont des ajouts décoratifs ou ornementaux, qui ne sont ni naturels ni indispensables, qui impliquent une déviation par rapport au naturel ; et souvent même un excès, avec la dépense somptuaire qui va de pair. Toutes les cultures associent art, dépense, artifice et excès non naturel.

De fait, toujours et partout l’art a été un luxe : non seulement parce qu’il va au delà du nécessaire, mais aussi parce qu’il met en œuvre des matériaux précieux, des habiletés techniques rares et coûteuses ; et qu’il est destiné à des usages précieux, qu’ils soient religieux ou séculiers. La fameuse « Salière » de Benvenuto Cellini fabriquée en 1542-1543 pour François Ier, coûta à l’époque 1000 écus d’or. On n’est pas très loin du crâne en platine de Damien Hirst (« For the Love of God« ) de 2007, avec ses 8601 diamants, vendu pour 74 millions d’euros.

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Ce lien d’excès et d’artifice entre art et luxe persiste aujourd’hui avec la corrélation entre nouvelles formes de l’art et nouvelles formes du luxe.

Pour ce qui est de l’art (au sens des arts visuels), il consiste de moins en moins en « œuvres« , pour  la bonne raison que se sont généralisées les stratégies « à la Duchamp » de production de ready-mades ; et que tout peut faire œuvre, y compris l’infime ou l’invisible. L’art consiste _ avec ou sans insister ? _, en fait _ c’est le cas de le dire ! _, de plus en plus, en expérience _ voilà : et de la part de qui ? de l’artiste qui le propose ? du public qui en fait l’« expérience » ?.. _ d’environnements et d’effets multi-sensoriels où sont réunis stimuli visuels, sonores, odeurs, ambiances et atmosphères dans des installations _ d’artistes (affirmés tels)…

Dans le même temps, la hiérarchie _ reconnue, grosso modo, socialement _ des arts a changé, avec un retour au premier plan de l’architecture, un développement du design, y compris comme design sonore, et le succès grandissant d’arts mineurs comme la cuisine, les parfums, la mode, le maquillage. L’art est devenu _ sociétalement ; sinon sociologiquement… _ un art d’environnement ou encore « ambiantal« .

Ces changements vont de pair avec une nouvelle forme d’expérience de l’art _ voilà ! _, distraite et flottante _ de la part du public, cette fois ; mais s’agit-il ici d’un « Homo spectator » (selon Marie-José Mondzain) ? et en un « Acte esthétique » (selon Baldine Saint-Girons) ?.. L’empirisme d’analyse d’Yves ici s’amuse, vraiment, beaucoup ! J’entends d’ici son rire empiriste ! La valeur principale au cœur de l’art est désormais _ sociétalement et sociologiquement : Pierre Bourdieu, l’inénarrable analyste de « La distinction _ critique sociale du jugement« , en 1979, éclate lui aussi de rire de dessous la tombe ! _ celle du divertissement _ « entertainment » ! dans le vocabulaire des entrepreneurs des studios de Hollywood, chaînes de télévision en pagaille, et autres vendeurs de « temps de cerveau humain » disponible… _ et du plaisir _ l’appât minimal et basique ; jusque dans le commerce de la pornographie… _ réunis dans un hédonisme _ voilà la philosophie qui a le vent en poupe : le plaisir est bien son carburant ! _ sans engagement _ surtout pas ! car alors, adieu Berthe !..  _ ni moral ni politique ; ou alors tellement léger _ quelques secondes : pas trop de temps à perdre, non plus, quand même… just for the fun _ qu’il n’est plus un engagement. L’expérience est celle d’une cénesthésie (complexe de sensations) débouchant éventuellement sur des partages _ tout de même : un minimum de connivences (langagières) comme « autorisation« , de fait, d’un minimum, cependant, de « légitimité » de l’éprouvé, même aussi « léger » et aussi peu « engageant » : les autres partagent-ils mon point de vue ? ouf ! me voilà rassuré ! la solitude (de l’éprouvé), ou « a-normalité« ,  étant rien moins que terrifiante : « monstrueuse«  !.. _ d’émotions. L’expérience esthétique contemporaine est une expérience diffuse, l’expérience d’un environnement saisi de manière inattentive et distraite, perçu _ juste _ « en passant«  _ dans la rue, par exemple ; et si possible « passante« , « passagère », la rue : sinon, pas de vérificateur (de conformisme) ! Quel effroi ! et quelle inutilité, aussi… Elle est fortement dépendante de moyens technologiques très avancés _ vive (et vivement, aussi !) la caution du « moderne« , de l’« up-to-date » ! _ et largement répandus, avec une base de production industrielle évidente _ l’invisibilité, la non-exhibition, n’ayant pas la moindre fonctionnalité ; et les exemples (les dits « people » : ils ont tellement besoin du regard populaire ! ainsi que de l’audimat : sinon ils seraient plus nus que nus…) venant de haut !

De ce point de vue, il devient difficile de faire la différence entre œuvre à proprement parler _ en dur ? durable ? et par quels facteurs, donc ?.. on doit se le demander aussi… _, décoration, environnement et expérience de consommation commerciale. Ceci va de pair dans nos sociétés de consommation et de plaisir avec une esthétisation _ soft, très soft… _ de la vie qui touche de plus en plus de domaines : la mode, le design, l’esthétique corporelle, la cuisine, la culture physique, la chirurgie esthétique, le secteur du luxe et jusqu’aux beaux sentiments _ affichés, sinon ça n’en mérite pas la peine ! _ qui sont devenus obligatoires sous peine d’incorrection politique ou morale _ car voilà le nouveau standard (d’intégration/exclusion) !

Dans l’idée courante, l’industrie du luxe produit sous des noms _ magiques ! _ de marque prestigieux des objets _ de prix d’achat conséquent ! _ faits de riches matériaux travaillés par des artisans exceptionnels pour des élites _ mais qui « le valent bien » vraiment, elles ! Pas seulement au niveau du slogan à l’adresse de tout un chacun acheteur de produits seulement « dérivés« , selon le slogan (efficace !) de l’Oréal, la marque de Liliane Béttencourt… Il faut déjà réfléchir qu’une somme _ réunie, rassemblée, pas seulement amassée _ d’objets fait un décor et un décor une ambiance, comme celle que l’on trouve quand on visite les demeures des « grands collectionneurs«  _ type Pierre Bergé et Yves Saint-Laurent…

Les industriels du luxe poursuivent cette production, notamment à destination de leurs nouveaux marchés, ceux qui ont le mieux résisté à la crise, les marchés des pays émergents d’Extrême-Orient ou des Émirats arabes.

Il y a cependant un écueil très dangereux _ de banalisation ! _ pour les firmes comme pour les consommateurs, celui de la production industrielle de produits de luxe, qui deviennent en réalité ce qu’on appelle des « produits dérivés » et donc des produits de grande consommation _ la plus large possible : chiffre de vente oblige ! _, même si demeure le fétichisme _ sinon, pas d’achat ! _ de la marque.

Le secteur des parfums est, à cet égard, exemplaire, puisque les parfums sont pour la plupart produits par des maisons prestigieuses de haute couture dont les produits propres _ les vêtements _ sont inabordables _ of course ! et off course_ pour le consommateur moyen : la femme qui achète un parfum Saint-Laurent ne s’habille en général pas _ c’est ici un euphémisme _ de robes originales Saint-Laurent _ vivent (et prospèrent) les conduites magiques de « participation » imaginative…

Comme variante de cet écueil, il y a cet autre danger _ pour les finances des détenteurs de droit des « marques » ! pas pour ceux qui se parent des ersatz… _ qu’est la contrefaçon : elle se répand elle aussi de manière industrielle _ appât des gains obligent ! _ au même rythme que la production originale ; et elle ne peut guère être combattue qu’au nom de principes juridiques dès lors que tous les produits dérivés se rapprochent les uns des autres au point de se confondre _ aïe ! _ pour des raisons de production de masse _ il faut donc maintenir soigneusement les « distinctions » marquées dûment autorisées, labélisées…

Des enquêtes récentes sur les produits que les personnes de revenus supérieurs associent _ imaginativement sociétalement _ avec le luxe aux USA, en France et au Japon témoignent d’un changement significatif de la perception _ sociétale _ du luxe, et qui s’accorde avec ceux à l’œuvre dans les arts visuels _ dûment estampillés, eux, probablement, du moins : le doute s’y insinuerait-il donc ?..


Certes les Français comme les Américains associent encore l’idée du luxe à des objets comme les voitures, les bijoux, les œuvres d’art, les vêtements, les montres, mais ils associent aussi le luxe avec avions privés, yachts, hôtels, villas, voyages, parfums, clubs réservés, toutes choses qui renvoient à des expériences _ voilà ! _ comme celles du voyage, du tourisme, de l’évasion rapide et rare _ et chère. Le luxe, c’est en ce sens l’expérience de la vie légère et rêvée _ exotiquement _, une qualité d’expérience rare réservée à des happy few _ pouvant se les payer (ou faire offrir) ; jusqu’à en faire étalage ; cf le bling-bling des people au pouvoir dans ce que sont devenues nos malheureuses démocraties ! _, en échappant _ ouf ! vive la « distinction«  bourdieusienne… _ aux objets banals produits en masse pour les masses. La plupart des industriels du luxe confirment cette évolution : face à l’industrialisation de produits qui sont au bout du compte très proches, qui sont de toute manière banalisés et n’ont plus de luxe que la marque _ aïe ! _, il leur faut désormais soit vendre ces produits comme des expériences _ subtiles ! _ particulières, soit vendre des expériences luxueuses tout court.

La publicité du marketing expérientiel _ un concept bien intéressant ! _vend non pas des parfums pour parfumer, mais des expériences de parfums Dior, ou Saint-Laurent, ou Prada _ mazette !

On n’a pas été assez attentif à certains comportements en apparence seulement bizarres ou excentriques qui font entrer dans le monde de l’expérience tout court _ mais une expérience rare _ difficile d’accès _ considérée comme nouveau luxe, par exemple les premiers balbutiements du tourisme spatial. Seules quelques personnes peuvent s’offrir (et songent pour le moment à s’offrir) ces voyages en orbite qui coûtent des dizaines de millions de dollars. Le luxe ici, c’est celui d’une expérience réservée à quelques-uns seulement, comme dans le temps on s’achetait un « baptême de l’air » en avion ou en hélicoptère, voire, il n’y a pas si longtemps, une escapade en Concorde menant de Paris à Paris via le survol aussi rapide qu’absurde de la côte atlantique de la France.

La fascination pour les privilèges _ voilà : l’inverse de l’égalitaire ; cf le « Qu’est-ce que le mérite ? » d’Yves Michaud ; et mon entretien avec lui dans les salons Albert-Mollat le 13 octobre dernier ; ou mon article sur tout cela : « Où va la fragile non-inhumanité des humains ?«  _, pour les « listes« , pour les carrés réservés, les clubs exclusifs _ fermés aux autres ! renvoyés à leurs misérables pénates de ploucs ! _, pour les traitements différenciés des consommateurs selon leur pouvoir d’achat _ au niveau même des cartes bancaires _ relèvent aussi de ce transfert de la qualité de luxe sur des expériences rares et réservées _ qui en leur fond _ voilà un critère assez intéressant… _ peuvent être aussi inintéressantes _ tiens-donc : selon quels critères ? et quels « fondements » ?.. ah ! ah ! _ que l’expérience ordinaire _ trop « commune » ; pas assez « branchée«  _ ouverte à tous, mais dont la condition de rareté exclusive fait toute la précieuse différence _ rien que structurelle ; de comparaison strictement « idéelle«  : sans contenu ; et sans fond ! Voilà l’authentique misère se pavanant en transports et résidences « de luxe« … Quand ces rois-là _ cf le magnifique conte d’Andersen « Les Habits neufs du roi«  _ sont plus nus que nus !!!

Toujours selon ces enquêtes, les Japonais demeurent, en revanche, étonnamment traditionalistes, puisqu’ils continuent d’associer prioritairement le luxe aux montres, aux sacs à main, aux automobiles, aux bijoux, aux habits et aux chaussures. Il faudrait cependant prendre en compte qu’ils ont une conception de l’art et des expériences esthétiques fortement différente des nôtres, faisant depuis bien longtemps place à des qualités sensibles qui ne sont pas des qualités d’objets _ en dur _, mais d’expériences _ justement… _ et d’environnements (le vieux, le fragile, la beauté de l’âme intérieure ou celle de la nature en train de changer) _ de l’homo spectator ; et de l’actus aestheticus, si je puis dire ; en un contexte plus prégnant, in fine, que le seul objet envisagé en lui-même…

Au fond, de même que l’art est devenu gazeux, le luxe aussi se transforme ou, mieux, se vaporise en expériences _ gazeuses… Le parfum, si central dans l’esthétique de Baudelaire _ certes ! _, mérite de retrouver aujourd’hui la place pivot qu’il devrait tenir dans toute conception de l’expérience esthétique en général _ y compris authentique ; je renvoie ici aux œuvres-maîtresses de mes amies Baldine Saint-Girons, « L’Acte esthétique« , et Marie-José Mondzain, « Homo spectator » : des must !

Même si la formule est à l’emporte-pièce, on peut dire : «Finis les objets _ en dur _, bienvenue aux expériences _ gazeuses _ _ soit le statut de privilège du « singulier » jusque dans la sensation la plus évanescente : soigneusement présentée (à acheter : cher !) comme « hors-normes« 

Photo © AFP (La Salière de Benvenuto Cellini)
Photo © Reuters (Crâne de diamants de Damien Hirst)

Rédigé le 29/12/2009 à 12:34 dans Arts

Commentaires

« L’expérience » une fois morte et nous avec, il y a quelque chose de pathétique et de profondément morbide dans la recherche de différenciation des zombies parallèles que nous sommes, à travers le culte de qualités d’expériences qui ne doivent rien à l’attention que l’on y porte, comme la question de la dérive le proposait et l’engage, mais à une fuite en avant dans le calculable que l’on thésaurise, avec l’avidité de celui qui toujours inquiet de ce qu’il risquerait de manquer reste étanche aux effets de présences qui s’offrent à lui, dans le plus simple appareil et d’un splendide dénuement.

Rédigé par : bénito | 30/12/2009 à 14:03

C’est ce très remarquable « commentaire« -ci, de Bénito, que je souhaiterai « commenter » un peu en détail ici même, maintenant :

«  »L’expérience » une fois morte, et nous avec » : devons-nous nous résigner à ce « constat«   ? Que Georges Didi-Huberman qualifierait sans doute d’« agambien » ; mais estimerait d’un pessimisme excessif : « à mieux gérer« , selon une autre expression, encore, après celle de « destruction de l’expérience« , de Walter Benjamin, que cite Didi-Huberman.

« il y a quelque chose de pathétique et de profondément morbide _ = un symptôme de nihilisme ! parfaitement !!! et gravissime… _ dans la recherche de différenciation _ si dérisoirement vaines !

et il faut en effet, et très énergiquement, en éclater de rire !!! montrer le degré astronomique : kakfaïen (cf son immense  « Journal« ) ! bernhardien (cf son autobiographie si géniale, ainsi que le magnifique opus ultimum « Extinction«  ) ! kertészien (cf  ce chef d’œuvre absolu qu’est « Liquidation« ) ! de leur « ridicule«  ! _

il y a quelque chose de pathétique et de profondément morbide dans la recherche de différenciation

des zombies _ oui : il faut le proclamer sans cesse ; jusqu’à courir le crier sur tous les toits de la planète : ce ne sont rien que des « zombies« , ces pauvres fantôches qui se pavanent à « faire« , aux micros et devant les caméras des journalistes (complices pour la grande majorité d’entre eux ! des « chiens de garde« , dirait Nizan…), « les importants » ! _

des zombies 

parallèles _ qui ne se rencontrent jamais ; même et surtout en des fantômes de rapports amoureux ; cf le lacanien : « il n’y a pas de rapports sexuels » ; cf aussi le judicieux et très clair « Éloge de l’amour » d’Alain Badiou, ainsi que mon article récent sur cette conférence (donnée à Avignon, avec Nicolas Truong, le 14 juillet 2008), le 9 décembre dernier : « Un éclairage plus qu’utile (aujourd’hui) sur ce qu’est (et n’est pas) l’amour (vrai) : “L’Eloge de l’amour” d’Alain Badiou«  _

que nous sommes » :

que nous sommes, sinon déjà devenus,

du moins en train de devenir, bel et bien, en effet ; si nous n’y résistons pas si peu que ce soit ! un peu plus, davantage, en tout cas, que nous ne le faisons, bien trop mollement, pour la plupart d’entre nous !..

A preuve,

cette incise :

hier même, à mon envoi de l’article commentant la belle et forte indignation de Henri Gaudin quant à l’indigne, en effet, « restauration » qui menace un des plus sublimes hôtels parisiens du règne de Louis-le-Juste (en 1640, ou 42), à l’étrave si belle de l’Île Saint-Louis : « Le courage d’intervenir d’un grand architecte, Henri Gaudin : le devenir de l’Hôtel Lambert dans une société veule« , que voici :

De :   Titus Curiosus

Objet : Un article à propos de l’Hôtel Lambert

Date : 28 décembre 2009 17:28:12 HNEC
À :   Barocco

Voici l’article
en hommage à l’Art du siècle de Louis XIII :
http://blogamis.mollat.com/encherchantbien/2009/12/26/le-courage-dintervenir-dun-grand-architecte-henri-gaudin-le-devenir-de-lhotel-lambert-dans-une-societe-veule/
Titus

Ps :
voici aussi _ il n’y a là rien de vraiment « personnel«  (à éviter de rendre public sur le blog)…  _ le mot que je viens de recevoir de Marie-José Mondzain _ à laquelle j’avais adressé ce même article _ :

merci cher Titus
grâce à vous je lis des livres que je ne penserais jamais à lire
j’écoute des musiques que je n’aurais jamais connues sans vous
oui je lis vos longues phrases et je m’y retrouve très bien !
plein de  vœux chaleureux et d’amitié fidèle

mjm

un ami,

très remarquable entrepreneur de produits artistiques de la plus haute qualité _ il s’agit de ce qui se fait de mieux aujourd’hui dans l’offre musicale _, a répondu ceci à l’envoi de cet article à propos de l’Hôtel Lambert » :

De :   Barocco

Objet : Rép : Un article à propos de l’Hôtel Lambert

Date : 30 décembre 2009 15:02:07 HNEC
À :   Titus Curiosus

Cher Titus,
Merci de ton envoi, toujours pertinent et impertinent. On y voit que tu n’as pas perdu l’espoir, ce qui n’est pas mon cas…
Le dicton de saison : meilleurs vœux !
Amitiés,

Barocco

Nous en sommes donc là en notre belle France… Fin de l’incise ;

et retour au commentaire mien du « commentaire » par bénito de l’article d’Yves Michaud !

« il y a quelque chose de pathétique et de profondément morbide dans la recherche de différenciation des zombies parallèles que nous sommes,

à travers le culte _ voilà _ de qualités d’expériences

_ des individus les ressentant, fugitivement, en leur subjectivité, seulement : ce qui fait le fond, rien moins de la thèse d’Yves Michaud _

qui ne doivent rien _ ni ces « expériences« -ci, ni leurs « qualités« -là… _ à l’attention que l’on y porte

_ et c’est là, ce point-ci de l’« attention«  !, tout le point décisif de l’analyse très fine de bénito ! _ ;

comme la question de la dérive _ qui intéresse Bénito sur son propre blog… _ le proposait

_ en marquant l’affaiblissement, précisément, de cette « attention« -ci en question : fuie ! esquivée ! voire anesthésiée, carrément, dès qu’elle engage à si peu que ce soit :

de l’ordre de ce qu’une Baldine Saint-Girons qualifie si justement d’un « acte » proprement « esthétique » !.. ;

et donneur, lui, « l’acte esthétique«  vrai,

non pas de « plaisir« ,

mais, proprement

_ à mille lieux de l’hédonisme et du dilettantisme (que dénonçait le grand Étienne Borne _ 1907 – 1993 _, en son lumineux « Problème du mal« , en 1963, aux Presses Universitaires de France… _,

donneur de « joie » :

« joie » où s’exprime, se déploie et s’épanouit, aussi _ et c’est même essentiel ! pour l’« humanité«  même de la personne !!! _, quelque chose des qualités propres (en expansion alors) du sujet singulier qui les vit, qui les sent et ressent (et les « expérimente« , ainsi que l’exprime superbement la langue précise et éclairante de Spinoza :

en ces occurrences, un peu rares, certes, là, mais il nous revient de le « découvrir » personnellement, et de l’« apprendre« , et « cultiver » _ cf ici aussi l’immense Montaigne, en ses « Essais« , tout spécialement le dernier, qui ne s’intitule pas tout à fait pour rien « de l’expérience« , au chapitre 13 de son livre III !… _ « découvrir« , « apprendre » et « cultiver » par nous-même : « nous sentons et nous expérimentons que nous sommes éternels«  ;

en ces « joies« -là ! où nous passons, on ne peut plus et on ne peut mieux effectivement, à une puissance supérieure ; ainsi que le détaille Spinoza en son « Éthique » (V, 23)…) ;

car c’est du « déploiement » même de nos « qualités » propres et singulières qu’il s’agit bien à l’occasion des joies de ces « expériences » épanouissantes de « rencontres« -là !  » ;

fin de l’incise sur la « joie » même de l’« acte esthétique«  _,

Je reprends donc le fil de la phrase de Bénito :

il y a quelque chose de pathétique et de profondément morbide dans la recherche de différenciation des zombies parallèles que nous sommes, à travers le culte de qualités d’expériences qui ne doivent rien à l’attention que l’on y porte

comme la question de la dérive le proposait

et l’engage _ on ne peut plus concrètement ; empiriquement _,

mais à une fuite en avant _ oui ! infinie… et pour rien… : dans la pure vanité du vide... _

dans le calculable que l’on thésaurise » _ voilà la fausse-piste et l’impasse proposée par la pseudo modernité capitalistique ; là-dessus lire Locke, qui, en père-fondateur de la « pensée libérale«  moderne, en « crache » carrément, et noir sur blanc, le morceau (en son « Essai sur l’entendement humain« , en 1689) à propos des astuces pour faire « travailler » (d’autres que soi) en (les) faisant « désirer » (quelque hypothétique, seulement fantasmée, « consommation«  du pseudo « objet du désir« ) en perpétuelle « pure perte« , ou insatisfaction empirique ! Lire donc un peu (et/ou un peu mieux) les philosophes pour comprendre mieux notre présent ; plutôt que bien des économistes qui vous embrouillent tout, au jeu du bonneteau… _,

« avec l’avidité de celui qui

toujours _ mais mal _ inquiet de ce qu’il risquerait de manquer _ c’est là le leurre du piège même si bien décrit par Locke _

reste étanche _ l’adjectif est superbe, bénito ! _ aux effets de présences _ mais, oui : cf ici le magnifique travail, en 1991, de George Steiner : « Réelles présences _ les arts du sens« … ; mais cf aussi les travaux de Georges Didi-Huberman sur la scintillance vibrante des images pour nous _ qui s’offrent à lui,

dans le plus simple appareil

et d’un splendide dénuement« 

_ c’est absolument superbe de justesse ; et me rappelle le plus éclairant des analyses les plus récentes de Georges Didi-Huberman, justement, tant dans « Quand les images prennent position« , à propos de Brecht, que dans « Survivance des lucioles« , que je viens juste de terminer de lire : à propos de Pasolini, notamment, outre Walter Benjamin et Giorgio Agamben _ Pasolini suivi tout au long du parcours de son œuvre, et d’écrivain comme de cinéaste. Un livre très intéressant en la finesse précise de ses éclairages !..

Voilà qui en une phrase unique dégage l’essentiel _ à mes yeux du moins : c’est cette position-ci  que j’estime (et à un rare point de perfection, même !) juste ; et partage !

Le reste des « commentaires » va probablement un peu moins, ou un peu moins bien, à l' »essentiel » !

Les voici, néanmoins :

Excellent !

Rédigé par : Newsluxe | 29/12/2009 à 19:19

Sur la tension « luxe » (gazeux) / « œuvre » (dure), cf mon article « http://blogamis.mollat.com/encherchantbien/2009/12/26/le-courage-dintervenir-dun-grand-architecte-henri-gaudin-le-devenir-de-lhotel-lambert-dans-une-societe-veule/ »

Titus Curiosus

Rédigé par : Titus Curiosus | 29/12/2009 à 18:09

A relier avec le concept de « destruction de l’expérience » chez Walter Benjamin ; puis Giorgio Agamben ;
ainsi que la « réplique » à cette expression _ en fait des « nuances« , plutôt… _ de la part de Georges Didi-Huberman en son tout récent « Survivance des lucioles » : afin d' »organiser le pessimisme« , comme il le présente…
Pour ma part, je « résiste » (à ces « faits de société« , sinon « de mode » ! de l’ordre du « gazeux« , cher Yves !) sur la « ligne« , voire la « pierre de touche« , plus « dure » _ est-ce là une illusion idéaliste ?.. _ de l’œuvre…
Suis-je en cela hors « empirisme » ?..
En tout cas, je renâcle…

Titus Curiosus

Rédigé par: Titus Curiosus | 29/12/2009 à 17:52

Intéressant. Je ne trouve guère toutefois d’allusion, dans cette longue réflexion, à l’art musical _ et donc au luxe musical, puisque selon YM les deux notions entretiennent des liens assez étroits.

Rédigé par : Sessyl | 29/12/2009 à 17:41

le luxembourg a surement la même racine.

Rédigé par : Salade | 29/12/2009 à 16:32

bravo! pour le texte, le luxe c’est surtout un mélange de style et d’intelligence, surtout d’intelligence

Rédigé par : romain | 29/12/2009 à 15:54

J’ai l’impression que les commentaires sur ce blog seraient un luxe : du simple fait de leur rareté.
La fosse d’aisance d’un bidonville suburbain serait-elle de l’art, un ready made ?

Rédigé par : JPL | 29/12/2009 à 14:10


Voilà !

Voilà de quoi méditer sur et le devenir des Arts, et le devenir de l’expérience esthétique _ en ses acceptions contradictoires, même !


Titus Curiosus, ce 31 décembre 2009

le métier d’historien versus les instrumentalisations des récits : l’apport de Georges Bensoussan présentant lumineusement le « Dictionnaire de la Shoah »

10nov

Lumineuse conférence hier soir dans les salons Albert-Mollat de Georges Bensoussan

_ le podcast offrant à percevoir les moindres si éclairantes, aussi, variations de son ton, de sa voix… : la conférence est très remarquable ! et avec elle, la légitimation de ce « Dictionnaire«  ainsi « présenté«  _

venu « présenter » le « Dictionnaire de la Shoah« , dans la collection « à présent » aux Éditions Larousse (et paru au mois d’avril 2009), qu’ont « dirigé » les historiens Georges Bensoussan lui-même (responsable éditorial du Mémorial de la Shoah

_ cf par exemple son admirable « Un nom impérissable _ Israël, le sionisme et la destruction des Juifs d’Europe, (1933-2007)« , paru le 10 janvier 2008 : un livre indispensable pour comprendre l’Histoire d’Israël !.. _ ),

Jean-Marc Dreyfus (spécialiste de l’aryanisation des biens juifs), Édouard Husson (spécialiste de l’Allemagne nazie) et Joël Kotek (spécialiste d’histoire contemporaine), avec les contributions de 74 auteurs en tout (historiens pour la plupart, mais pas seulement ; parmi lesquels je relève les noms de Myriam Anissimov, Annette Becker, Boris Cyrulnik, Patrick Desbois, Antoine Garapon, Francine Kaufman, Jacques Sémelin, Pierre-André Taguieff, Yves Ternon, Tzvetan Todorov et Michel Zaoui…)…

L’honneur et la nécessité _ pédagogique au sens le plus large ! _ d’un tel « Dictionnaire » est de faire l’état « historien« 

_ présent : la collection de la librairie Larousse s’intitule, précisément, « à présent » !.. _

de la question des « faits« , eu égard au dernier état _ à ce jour de 2009 _ des recherches en cours _ elles continuent, bien sûr ! _ des Historiens, donc, et travaillant de par le monde ; pas rien que dans l »univers » franco-français :

ainsi Georges Bensoussan remarque-t-il que longtemps, en France, l’enquête historienne elle-même a « négligé » de prendre pour « objet » l’extermination des Juifs d’Europe, focalisée qu’elle était d’abord sur la « question » franco-française _ demeurée brûlante ! « un passé qui ne passe pas » !.. _ de Vichy, de la collaboration et de la résistance ;

ainsi Georges Bensoussan note-t-il qu’en 1970 un important colloque sur la période de la guerre en France (1939-1945), tenu sous la houlette du très sérieux René Rémond _ l’auteur de l’important « Les Droites en France« , paru en 1954 (aux Éditions Aubier) _ faisait l’impasse, alors, sur le sort des Juifs ; il a fallu attendre la parution en France du livre de Robert Paxton « La France de Vichy (1940-1944)« , traduit de « Vichy France : Old Guard and New Order« , paru aux États-Unis en 1972, pour qu’enfin la recherche historiographique française se tourne vers cet « objet » de recherche… cf aussi la parution en France du livre de Michaël Marrus et Robert Paxton « Vichy et les Juifs« , en 1981 (aux Éditions Calmann-Lévy)…


Et cela, face au rouleau compresseur médiatique _ si redoutablement performant, lui… _ de la presse, d’Internet, des représentations communes qui courent les rues ; bref des « pouvoirs » et « idéologies » de tous ordres ; ainsi que de leurs manipulations et instrumentalisations diverses, qu’a détaillées aussi très judicieusement Georges Bensoussan,

à commencer par la _ « bien-pensante » et si contente de soi… _ « moraline » : il n’existe hélas pas qu’un seul négationnisme ; le plus répandu _ et débordant des « meilleures intentions«  _, s’ignorant… :

les voici :

_ l’instrumentalisation israëlienne (de type « la forteresse assiégée« , à la Massada, qui donne le « syndrome Begin« , dit Georges Bensoussan…) ;

_ l’instrumentalisation des Juifs fils de déportés (car on n’est pas « déporté » de père en fils ; cela ne donne aucun droit à une parole « politique » sur la « Shoah » elle-même…) ;

_ la généralisation indue (et catastrophique par les confusions qu’elle engendre) du concept de « génocide » ;

_ la « nazification » de l’adversaire (et le déferlement des amalgames !) ;

_ et, encore, la délégitimation de l’État d’Israël « au nom » de la Shoah même (l’État d’Israël étant né, est-il affirmé et répété, de la Shoah…) ; les idées reçues demeurant beaucoup plus fortes que toutes les idées rationnelles ;

cf le « Un nom impérissable _ Israël, le sionisme et la destruction des Juifs d’Europe, (1933-2007) » de Georges Bensoussan, que j’ai déjà cité…

Georges Bensoussan montre ainsi, on ne peut plus lumineusement, la fonction préciosissime d’un tel « dictionnaire d’historiens » : divers et « débattant » entre eux (parfois longuement !) des articles : ainsi l’entrée »Pie XII« , d’Édouard Husson, le second en longueur de ce dictionnaire (pages 399 à 404), après l’entrée « Auschwitz » (pages 109 à 116) ; dépassant même l’entrée « Shoah » (pages 495 à 499), a-t-il fait l’objet, nous dit Georges Bensoussan, de quatre rédactions successives, sous les discussions, même âpres parfois, entre les quatre « directeurs » de l’ouvrage ; mais bien des articles ont-ils été ainsi « affinés » et réécrits par les auteurs à la suite d’échanges avec l’équipe éditoriale…


Et le chantier (de la recherche historienne), bien sûr, demeure grand ouvert _ notamment, mais pas seulement non plus _ en fonction des variations de disponibilité (avec des « ouvertures » à éclipses…) des archives des différents États : notamment, la Russie, la Biélorussie, l’Ukraine, les États baltes ; et le Vatican…

Un outil d’information et de travail basique que ce « Dictionnaire de la Shoah » pour le plus large public

désireux d’une information historique

tant soit peu sérieuse…


Titus Curiosus, ce 10 novembre 2009

Sur la recollection dérangeante du « dossier » « Fumée humaine » : la contribution littéraire de Nicholson Baker à la curiosité historique sur la seconde guerre mondiale

25juin

Avant de me mettre à lire « Human smoke« 

que m’a chaleureusement recommandé dès sa parution, le 14 mai 2009, le toujours d’excellent conseil David Vincent,

voici, sur cet opus, un petit dossier d’articles mettant « l’eau à la bouche« …

En commençant, comme souvent, par un article d' »El Pais« , le 22 juin :

 « El mal estaba en todas partes« 


Nicholson Baker muestra en « Humo humano« 
_ qui vient de paraître aussi en traduction française (par les soins d’Éric Chedaille) aux Éditions Christian Bourgois le 14 mai dernier : le titre originel, « Human smoke« , a été conservé… _ cómo la pulsión destructiva de la II Guerra Mundial no era sólo de un bando _ El autor rinde homenaje al pacifismo

JOSÉ MARÍA RIDAO _ Madrid _ 22/06/2009

Desde que, con motivo de la conmemoración del medio siglo del final de la II Guerra Mundial, la investigación historiográfica empezó a confundirse con el denominado « trabajo de memoria« , la idea de que el conflicto más devastador de todos los tiempos revestía los caracteres de una lucha escatológica, de un combate contra el Mal Absoluto, ha ido ganando terreno. Poco a poco, la indagación sobre los procesos políticos, diplomáticos y económicos que condujeron a la guerra se fue abandonando en favor de una reflexión de otra naturaleza, a medio camino entre la filosofía y la teología, y en la que lo más relevante es responder a la pregunta de por qué el ser humano fue capaz de tantas atrocidades como tuvieron lugar entre 1939 y 1945. Podría tratarse, sin duda, de una reflexión interesante, incluso necesaria, pero a condición de que no parta del equívoco que Nicholson Baker denuncia en su ensayo _ sic ! _ « Humo humano« , que acaba de publicar en España Debate _ et en France les Éditions Christian Bourgois _ : ese genérico ser humano que se libró a la destrucción y el asesinato en masa no se encontraba únicamente en las filas del nazismo, sino también, en mayor o menor medida, en cada uno _ voilà... _ de los bandos enfrentados.

Churchill: « Estoy a favor de emplear gas tóxico contra tribus incivilizadas »

El abogado Roosevelt propuso reducir el número de judíos en la Universidad

El propósito declarado de Baker es saber si la II Guerra Mundial fue una « guerra buena » _ une « guerre juste« , disons-nous… _ y si, hechos todos los balances, « ayudó a alguien que necesitara ayuda« . Tal vez la sensación de que, al emprender esta tarea, se vería obligado a nadar a contracorriente de un relato historiográfico que consagra a Churchill y a Roosevelt como héroes haya llevado a Baker a plantear su obra, no como un volumen de historia al uso, sino como un texto coral _ polyphonique _ en el que son los protagonistas quienes toman la palabra. El autor, por su parte, se ha limitado a seleccionar _ en un dossier purement historiographique + un montage _ las declaraciones, los artículos de prensa, las cartas o los diarios en los que los protagonistas se expresan en primera persona, añadiendo de vez en cuando breves comentarios sobre el contexto y, siempre, la fecha de los documentos _ cf mon article du 14 avril 2009 sur le livre de Georges Didi Huberman, « Quand les images prennent position _ LŒil de l’Histoire 1« , à propos de l’extraordinaire (et trop méconnu encore !!!) montage de documents photographiques, principalement, par Brecht en son livre « L’ABC de la Guerre » : « L’apprendre à lire les images de Bertolt Brecht, selon Georges Didi-Huberman : un art du décalage (dé-montage-et-re-montage) avec les appoints forts et de la mémoire activée, et de la puissance d’imaginer«  El resultado es perturbador, como si, de pronto, hubieran sido convocados a escena todos los silencios _ oui ! cf sur ces silences, aussi, le plus que passionnant livre à paraître à la rentrée de Yannick Haenel, à propos du livre magnifique de Jan Karski : « Mon témoignage devant le monde (histoire d’un secret) » : « Jan Karski » !.. _, todos los equívocos imprescindibles para que la historia de la II Guerra Mundial se pueda seguir contando como hasta ahora.

Baker no expone una tesis, la ilustra _ par sa seule récollection (+ montage) de documents authentiques. Y para ello concentra la mirada _ le principal est dans la focalisation _ sobre dos de los dramas mayores del conflicto : el sistemático bombardeo de poblaciones civiles y las iniciativas, o mejor, la absoluta ausencia de iniciativas oficiales, para salvar a los judíos perseguidos por el nazismo. En realidad, la posición de Baker, la tesis que se propone ilustrar en « Humo humano« , sólo queda fijada en la dedicatoria con la que concluye un breve epílogo de apenas dos páginas : « Dedico este libro« , escribe Baker, « a la memoria de Clarence Pickett y otros pacifistas estadounidenses y británicos. Jamás han recibido realmente el reconocimiento que se merecen. Intentaron salvar refugiados judíos, alimentar a Europa, reconciliar a Estados Unidos y Japón e impedir que estallara la guerra _ cela, c’est sans doute une autre Histoire… Fracasaron, pero tenían razón« .

« Humo humano » establece un implícito paralelismo entre la guerra total que inspira la estrategia de todos los contendientes en la II Guerra Mundial y los ataques aéreos en los territorios coloniales. Es entonces cuando aparecen por primera vez protagonistas como el futuro jefe del Bombing Command, Arthur Harris, y el también futuro primer ministro británico, Winston Churchill. « Estoy decididamente a favor de emplear gas tóxico« , escribe Churchill al jefe de la Royal Air Force, « contra tribus incivilizadas« . La confianza del primer ministro en la eficacia del bombardeo contra civiles, aunque ya no con gas tóxico, que había sido prohibido, se mantiene intacta al iniciarse la II Guerra Mundial, sólo que ahora Churchill pretende que la lluvia de fuego que descarga sobre las ciudades de Alemania transmitan el mensaje de que los alemanes deben rebelarse contra Hitler. Con el implícito y aterrador corolario de que, si no lo hacen, se convierten en cómplices del dictador.

Los textos que reproduce Baker recuerdan que el antisemitismo no fue sólo un sentimiento alimentado por el nazismo, sino un clima general _ là-dessus, lire de Georges Bensoussan : « Europe, une passion génocidaire« , aux Éditions Mille et une nuits, en 2006… Cuando aún era un simple abogado, el futuro presidente Roosevelt se dirigió a la Junta de Supervisores de Harvard proponiendo que se redujera el número de judíos en la Universidad hasta que sólo representaran un 15%. Y Churchill, entretanto, publicaba en febrero de 1920 un artículo de prensa en el que decía que judíos « desleales » como Marx, Trotski, Béla Kun, Rosa Luxemburgo y Emma Goldman habían desarrollado « una conspiración mundial para el derrocamiento de la civilización« . Creía, sin duda, en la existencia de « judíos leales« , a quienes exigía en ese mismo artículo que vindicasen « el honor del nombre de judío« , pero la obsesión antibolchevique le jugó la mala pasada de elogiar, también en la prensa, a Mussolini, de quien se declaró « encantado por el porte amable y sencillo » y « por su actitud serena e imparcial« . E incluso a Hitler, de quien, dejándose influir por los comentarios de los que lo conocían, estima que era « un funcionario harto competente, sereno y bien informado de porte agradable y sonrisa encantadora« . En contraposición, Trotski « era un judío. Seguía siendo un judío. Era imposible no tener en cuenta este detalle« .

Es probable que quienes defienden la interpretación de la II Guerra Mundial como una « guerra buena« , como una lucha escatológica contra el Mal Absoluto, reprochen a Baker la selección de los textos que ha incluido en su provocador « Humo humano » . Pero, aun así, esos textos seguirán estando donde están, y obligan, cuando menos, a repensar _ oui ! _ la relación entre la historia y el tan traído y llevado « trabajo de memoria« .

JOSÉ MARÍA RIDAO

A l’inverse de cet éloge,

voici, maintenant, une « critique » de « Human smoke » par l’excellent Philippe Lançon, dans le cahier « Livres » du « Libération » de ce jeudi 25 juin,

en un article intitulé « Updike dans la peau« 

en « contrepoint » à un éloge, il est vrai, d’un (vieil) hommage d’il y a maintenant vingt ans, à ce maître d’écriture que fut pour lui John Updike,

« Updike et moi« ,

de ce même Nicholson Baker à John Updike, donc _ lequel vient de disparaître le 27 janvier 2009 _,

mais un Nicholson Baker plus jeune, lui aussi (forcément !) de vingt ans (il avait trente deux ans en 1989) :

en effet, cet « Updike et moi » fut écrit en 1989-90 ;

et s’il a paru aux États-Unis en 1991, et fut traduit assez tôt, ensuite, en français (par Martin Winckler),

l’éditeur Julliard renonça cependant alors à le publier ;

ce livre devant surtout, ou du moins d’abord, sa parution actuelle, dix-huit ans plus tard, en traduction française (aux Éditions Christian Bourgois)

d’abord, et hélas, à l’événement du décès de John Updike, le 27 janvier dernier.

Le jeune Nicholson Bake, né le 7 janvier 1957, avait, en 1989, trente-deux ans …

Voici ce que dit Philippe Lançon, donc, de ce « Human smoke » :

Ecot. Le nouveau livre de Baker, « Human smoke« , est surprenant mais moins intéressant _ que « Updike et moi« , pour Philippe Lançon… C’est une elliptique et édifiante anthologie parfaitement écrite, et une performance : 500 pages de faits et déclarations réels, inventoriés puis miniaturisés sans commentaire, à la manière des « Crimes exemplaires » de Max Aub, qui permettent de suivre, de 1917 à 1941, non pas seulement la remontée vers la guerre, mais le spectacle du goût des Etats pour le crime et la guerre. Baker cherche à montrer, par ses microrécits, que tout se tenait : les méchants hitlériens et les vilains staliniens sont aussi les produits d’une enchère dans laquelle les démocraties ont versé leur écot. Il n’a pas tort, mais on ne peut pas dire qu’on l’ignorait, et la démonstration, bien que composée avec le sens du contraste et de la progression, tourne à l’amas d’anecdotes _ j’en jugerai en le lisant… Ses sources sont citées, page par page, en particulier les journaux de l’époque. On y verra que, si la presse attisa bien des passions tristes, elle fit d’abord son travail : de l’anticolonialisme, de l’antisémitisme et des expériences meurtrières les plus imaginatives, tout fut aussitôt dit, écrit et relaté. Mais le monde ne voulait, simplement, pas le savoir _ c’est un point certes dirimant!

Dont acte.

Quant au début de l’article, consacré à « Updike et moi« ,

c’est un bijou d’article ! Qu’on en juge aussi :

« Updike dans la peau »

Critique

Mélange. Un hommage de Nicholson Baker à l’auteur de «Rabbit».

Par PHILIPPE LANÇON

Nicholson Baker : « Updike et moi«  Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Martin Winckler Christian Bourgois, 194 pp., 17 euros.

« Human smoke«   Traduit par Éric Chedaille Christian Bourgois, 574 pp, 26 euros.

Quiconque est intéressé par la vie d’un écrivain _ oui ! _ plutôt que par sa biographie lira avec plaisir « Updike et moi« . Il découvrira quels liens, d’admiration et de jalousie, de gratitude et de complexes, peuvent unir un auteur _ lecteur _ aux aînés (vivants ou pas) qui l’ont justifié. Parce que c’était eux, parce que c’était moi _ en leur singularité se révélant dans l’œuvre ouverte d’écriture.

A l’été 1989, Nicholson Baker apprend la mort de l’écrivain Donald Barthelme (1). Il a suivi ses cours à Berkeley, l’admire, se sent incapable d’écrire le moindre texte sur lui. Un écrivain mort peut en cacher un autre, qui ne l’est pas forcément : réfléchissant sur cet exercice à perspective faussée qu’est l’hommage nécrologique, il se souvient de celui que John Updike publia sur Nabokov (un écrivain que Baker aime également par-dessus tout _ et si je puis m’insérer modestement en cette « chaîne«  d’admirations, à mon tour…). Ainsi en vient-il à écrire, de digression en digression, la manière dont Updike, cet «ami imaginaire», vit en lui _ et « travaille » ainsi sa propre écriture. Il parle de son idée au rédacteur en chef d’une revue. On lui répond que le résultat pourrait aussi bien être excellent que «tout à fait sinistre».

Le livre est publié aux Etats-Unis en 1991. Baker est un jeune romancier _ de trente quatre ans, maintenant _, auteur de nouvelles et de « la Mezzanine » _ à découvrir, pour qui ne l’a pas encore fait… Updike a encore dix-huit ans à vivre : on ignore si et comment il a réagi. Martin Winckler, l’auteur de « la Maladie de Sachs« , amateur de George Perec et de séries télévisées, explique dans la préface qu’il a traduit « Updike et moi«  sur proposition d’un éditeur, Julliard, qui renonça _ cependant _ à le publier. Il a fallu qu’Updike meure pour qu’il finisse par paraître _ en forme d’hommage non plus à un vivant, mais à un disparu. L’amour des livres est plus patient _ oui : chez quelques uns… _ que les regrets qu’ils inspirent.

Virus. John Updike, né en 1932, vit en Nicholson Baker, né en 1957, comme un virus enchanteur _ quelle belle formule ! On ne peut donc pas dire que Baker écrit sur Updike, mais plutôt sur lui-même révélé par Updike _ voilà ! le « génie », en plus de sa « singularité » atypique, a aussi la vertu d’une « exemplarité » forcément problématique : il ne se copie pas ! il « inspire » !!! L’envie concrète de le faire lui vient le jour où, «avec une stupéfaction jalouse», il voit sa mère se marrer en lisant la description par l’auteur de « Rabbit » d’un morceau décollé de gazon de golf : «Rien n’est plus impressionnant que le spectacle d’une personne complexe _ d’une grande capacité de sensibilité admirative _ éclatant de rire _ en ce que Baldine Saint-Girons appelle un « acte æsthétique« … _ à la lecture de quelques mots dans un livre ou un journal sérieux», surtout si cette personne est sa mère. Baker observe le virus que la sienne lui a peut-être refilé.

Son effet est permanent et sa victime, assez négligente. Permanence : «Au cours des treize dernières années écoulées, il ne s’est guère passé de jours sans qu’Updike occupe au moins une ou deux de mes pensées.» Négligence : quand Baker répertorie ses lectures d’Updike, il s’aperçoit qu’il n’a fini presque aucun de ses livres, et qu’il n’en a le plus souvent lu que quelques pages. C’est que l’écrivain est plus constant dans sa production que le lecteur dans ses assiduités : «De même que nous voyons rarement nos amis les plus proches parce que leur proximité nous ôte le pressant besoin de débarquer chez eux, de même la productivité constante de l’écrivain vivant émousse notre impatience de combler les lacunes de notre lecture» _ pas toujours, heureusement…

En revanche, Baker est intarissable lorsqu’il s’agit de se poser des questions comme : qu’aurait fait Updike à ma place dans ce Mac Donald’s où je m’humilie avec des centaines de pièces jaunes tout en lisant William Blake ? Comment aurait-il décrit cette histoire de bonbons passés au rayon X par peur des bombes pendant un Halloween ? Et quand l’écrivain Tim O’Brien lui apprend, l’air de rien, qu’il joue au golf avec Updike, mais qu’ils ne parlent jamais de livres, Baker n’en finit plus de décrire comment il jouerait, lui, au golf avec son héros. Il faut le consoler en pensant que, s’il l’avait fait réellement, jamais il n’aurait pu l’imaginer _ l’activité se déployant, à l’œuvre, de la faculté de « génie »…

Ce que Baker a lu d’Updike, des phrases, des bouts de phrases, un personnage par-ci, une manière de décrire par-là, tout cela vit en lui profondément et à tout moment _ l' »inspire », en toute légéreté… Il tient des fiches mais cite de mémoire, donc de travers, puis rétablit les vraies phrases entre crochets. Elles sont souvent moins bonnes que leurs déformations : Borges _ l’ami de mon cousin Adolfo (Bioy Casares) et de ma cousine Silvina (Ocampo) _ pensait qu’il fallait faire confiance aux torsions _ « inspirées », à leur tour _ de la mémoire ; et il avait raison _ la vertu se propage…

« Updike et moi » est une histoire d’amour et, comme toute histoire d’amour bien racontée, elle se suffit à elle-même : inutile d’avoir lu Baker ou Updike pour aimer ce que l’un dit sur l’autre. Julien Gracq se fichait des critiques comme étant ces animaux impossibles, des «experts en objet aimé». Un mérite secondaire d’« Updike et moi » est de montrer l’ineptie _ ouaf ! ouaf ! Gracq n’est pas très doué pour l’amour : cf son calamiteux « Les Sept collines » où il réussit le tour de force de s’insensibiliser à la beauté de Rome ! _ de cette affirmation : c’est justement _ et uniquement _ quand on aime un écrivain qu’on en devient l’expert, pas besoin de le lire entièrement pour ça _ l’amour (vrai) est tout le contraire d’aveugle : c’est lui la vraie (et unique) voie d’accès à la connaissance !.. Mais aujourd’hui on prend tout et n’importe quoi pour de l’amour authentique. Gare aux contrefaçons, chers lecteurs !

Baker finit par rencontrer Updike, dans un cocktail. Celui-ci se souvient d’avoir lu l’une de ses nouvelles, «une très jolie chose» _ dit-il alors _, et puis s’en va. Baker repart avec ces quatre mots comme une rosière déflorée par un chevalier. Plus tard, il croit retrouver une trace infime de sa nouvelle dans un texte postérieur d’Updike, un détail, la description du pouce d’un violoniste. Le meilleur hommage qu’on puisse rendre à un écrivain qu’on aime, c’est de l’avoir influencé» _ en retour…

John Updike est mort le 27 janvier 2009. Nicholson Baker n’aura plus à «trouver des preuves savantes _ universitaires, patentées _ de la grandeur d’Updike au lieu d’utiliser celles auxquelles je crois vraiment», les seules qui comptent, puisque ce sont _ plus « artistes », elles… _ des preuves d’amour.

(1) Dont Gallimard publie « La ville est triste » («l’Imaginaire», 184 pp., 6,50 euros)

Philippe Lançon

_ en un bien bel article, comme presque toujours : d’amour _ et désapprobation _ lucide(s)…

Nous irons y regarder d’un peu plus près…

Surtout sur la recommandation de David Vincent…

Cf aussi, de lui-même, le billet « Nicholson Baker n’est pas toujours drôle« , hier, 24 juin, sur le blog « Ces mots-là, c’est Mollat« …

Titus Curiosus, le 22 juin 2009

« Sans la vérité, la vie serait sale » : un propos (de « chat ») de Aharon Appelfeld

28mai

Qui a entendu une fois la parole de vive voix d’Aharon Appelfeld, comme ce fut le cas dans les salons Albert Mollat, ainsi qu’au Centre Yavné _ c’était le 19 mars 2008 _,

n’oubliera sa puissance de vérité

de sa vie…

Aussi, dois-je m’empresser de diffuser plus largement encore que sur le site du Monde ;

et en le commentant (un peu) de mes impressions très « reconnaissantes« 

les mots (de lumière ! ) qu’Aharon Appelfeld sait trouver pour éclairer (si bien) les interrogations de quelques uns qui ont la chance _ désormais (hors des cachettes des forêts d’Ukraine, où il est, très difficilement, parvenu à survivre, entre 1940 et 1945)  _ de le rencontrer…

Dans un chat « Sans la vérité, notre vie est sale«  au Monde.fr

LEMONDE.FR | 20.05.09 | 10h57  •  Mis à jour le 27.05.09 | 17h05 ,

Aharon Appelfeld se penche sur « le pouvoir de la mémoire qui donne un sens à notre vie« , dit-il. Il revient aussi sur « la place du mal » et « la falsification des faits«  _ qui est « le propre des politiques, pas de gens honnêtes« , poursuit-il.

Donateli : Comment en êtes-vous venu à penser puis écrire que la lâcheté de l’homme était indispensable à la construction de la société ?

Aharon Appelfeld : J’estime que la lâcheté n’est pas centrale dans mes écrits. Je parle plutôt de la « faiblesse«  _ un distinguo crucial ! Car l’homme est un être faible. C’est plus par rapport aux « faiblesses » de l’homme que je parle. Nous sommes faits de chair et d’os, et c’est cela qui nous rend faibles. Mais en même temps, il faut avoir un certain respect par rapport à cette faiblesse _ et « vulnérabilité« , « fragilité«  _, inhérente à l’homme _ et à son « humanité« , toujours à conquérir, défendre, reconstituer : jamais simplement et pour jamais acquise, possédée… Mais cela n’a rien à voir avec la lâcheté _ en effet !..

Denis_de_Montgolfier (Lyon) : Quel est votre rapport au bégaiement, puisque vos livres y font allusion ?

Aharon Appelfeld :  Lorsque j’étais enfant, pendant la guerre, je me suis retrouvé à travailler pour un groupe qui avait des activités criminelles. Il s’agissait d’Ukrainiens, qui ne savaient pas que j’étais juif _ cf l’admirable « Histoire d’une vie« , récit autobiographique d’Aharon Appelfeld…. J’ai été parmi eux _ davantage qu’« avec eux«  _ pendant un an et demi, et pour me protéger _ voilà : le silence, voire le mutisme, comme « protection«  vitale !.. _, je parlais le moins possible, je ne parlais pas. Lorsque la guerre a pris fin dans cette région-là, en 1944, car la zone a été reprise par l’armée russe, parce que je n’avais pas parlé pendant un an et demi, ou quasiment pas, lorsque je me suis remis à parler, je bégayais. Le bégaiement, pour moi, c’est quelque chose qui est venu plus tard _ que dans la première enfance, comme chez la plupart _ dans ma vie, mais je le vois en même temps comme une qualité, une vertu. Car le bégaiement, pour moi, fait ressortir davantage _ l’expression est importante ; et davantage qu’une parole non bégayée, donc... _ les sentiments, les sensations, et mêmes les idées.

Il permet de faire émerger toutes ces choses _ qui demeureraient immergées, donc, sinon… _, car c’est une sorte de friction _ éminemment féconde _ entre pensée et sentiment _ champ magnifique à explorer par l’écrivain véritable. Pour les personnes qui parlent vite, elles sont recouvertes _ au point de s’y noyer, pour filer la métaphore… _ de paroles, alors qu’avec le bégaiment, il y a un effort pour permettre _ le surgissement de _ la parole _ à son plus vrai… Cela peut paraître étrange, mais pour moi, il est positif dans le sens où cela fait partie de la création _ ainsi que l’analyserait un Noam Chomsky : la création de la « générativité » du discours… _, cet effort pour faire sortir _ du magma du non-dit _ la parole _ en un mouvement de « aufhebung« , dirait Hegel…

cerrumios : Qu’est-ce qui est le plus dangereux : l’oubli du passé, le manque d’intérêt des nouvelles générations à l’histoire, le déni de faits réels, les maladies dégénératives dues au vieillissement… ?

Aharon Appelfeld : Tout est dangereux. Les maladies de la vieillesse ne me paraissent pas très importantes. Dans un sens, l’oubli du passé est une maladie _ pour le dynamisme fécond de la personne ; pour qu’elle devienne vraiment « sujet » d’elle-même (et pas enkystée et plombée en « objet » _ pour d’autres qu’elle). Car notre âme _ oui ! _ et la construction _ oui ! _ de ce que nous sommes _ et avons à devenir _ sont une composition _ en partie de notre responsabilité personnelle _ du passé, du présent et du futur. En ce qui concerne le manque d’intérêt chez les jeunes pour l’histoire, je n’en suis pas persuadé. J’ai été moi-même professeur d’université et j’avais beaucoup d’étudiants qui voulaient apprendre, savoir ce qui était arrivé aux générations de leurs pères et grands-pères.

Cela fait partie de la normalité chez l’homme de s’intéresser au passé. En ce qui concerne le déni des faits _ un phénomène crucial ! _, pour moi, c’est un agissement _ d’abord _ des politiques. Ce sont des personnes qui cherchent _ par intérêt partisan (= « idéologique« ) personnel, ou de leur clan ! _ à nous cacher les faits, à falsifier les faits _ d’où le devoir (le plus) sacré (qui soit) de les « établir«  et « avérer«  _, à détourner l’attention _ soient des tactiques crapuleuses décisives ; cf « Le Prince » de Machiavel… Un homme honnête _ droit ! _ ne fait pas ça, ne va pas nier les faits. C’est comme en politique, pour moi.

Romano : Le Prix Nobel de littérature Ohran Pamuk est l’objet _ ce fut en octobre 2005 ; depuis, elles ont été abandonnées : le 22 janvier 2006 _ de poursuites judiciaires dans son pays, la Turquie, pour avoir « revisité » dans son dernier roman _ le dernier roman d’Ohran Pamuk, « Masumiyet Müzesi« , est paru à Istamboul en 2008 ; en fait, ce fut pour une interview donnée à un journal suisse début 2005 _ la mémoire à trous de la Turquie (génocide des Arméniens et question kurde). Peut-on mourir pour sauver la mémoire ?

Aharon Appelfeld : La vérité et le passé ne font qu’un pour moi _ expression à creuser… Nier ce qui s’est passé, c’est nier la vérité. Les efforts de cet écrivain turc pour retrouver _ par le travail de la pensée, tant celui de la connaissance de l’historien, que celui de l’œuvre vraie du véritable écrivain : lire à ce propos tout l’œuvre (magnifique !) d’Imre Kertész, et pas seulement ses réflexions les plus « théoriques«  (pour des « discours«  publics ou des « articles«  brefs) sur les rapports entre mémoire, fiction et Histoire : cf « L’Holocauste comme culture« , sur lequel je dois (et vais) écrire sur ce blog même un article !  _ le passé et la vérité sont importants _ et c’est un euphémisme _, car sans la vérité notre vie est sale _ la formule, magnifique de vérité, donne très fortement (et avec grandeur ! plus encore !) à penser…

David Miodownick : Ne craignez-vous pas d’encourager malgré vous une « concurrence des mémoires » ?

Aharon Appelfeld : Je n’écris pas sur le passé _ avec la moindre mélancolie ou nostalgie que ce soit… Je parle d’individus _ particuliers, voire singuliers _ à un certain moment. Je ne parle pas par abstractions, mais d’individus ; et de leur temps _ c’est capital (face aux discours généralisateurs idéologiques dont nous sommes plus que copieusement abreuvés par les médias, tous azimuts)… J’écris sur les juifs, j’écris sur les non-juifs. D’ailleurs, j’ai plus écrit _ si l’on veut se mettre à « compter«  _  sur les non-juifs que sur les juifs. J’essaie _ et c’est l’effort poétique de la littérature vraie qu’une telle « vision«  !.. _ de voir le monde à travers les individus, à travers leurs désirs, leur besoin _ ou plutôt « désir« , ou « quête » ; et assez désespérée, souvent… ; une « demande«  !.. _  d’amour, à travers leur solitude, à travers leur recherche de réponses à des questions métaphysiques _ oui ! là où se joue le sens des vies « humaines » (« non-inhumaines« , ainsi que le formule si justement mon ami Bernard Stiegler _ qui vient de publier « Pour en finir avec la mécroissance«  Je n’écris donc pas sur le passé _ qui serait mort ; et pèserait, fossilisé, de tout son « poids mort«  Chaque individu a droit à son passé _ singulier (et non pas « idéologique« , ou plutôt « idéologisé«  en une « mémoire » d’emprunt ; « fourguée« …) ; et activé par l’effort tout en souplesse (et hoquets) de sa « mémoire«  toute personnelle ! pour s’appuyer sur le sol fécond (et toujours « vivant« ) de son « expérience » ainsi « travaillée«  : lire ici l’extraordinaire chapitre « De l’expérience« , en conclusion magnifique et testamentaire des « Essais«  du merveilleux et irremplaçable Montaigne Et moi, je suis pour le pluralisme dans tous les sens du terme. Je ne suis pas _ ni obsessionnellement, non plus ! _ collé _ « scotché«  _ à une histoire _ particulière, et partisane, contre d’autres « histoires«  : tout aussi particulières et partisanes ; soient « idéologiques » seulement : hélas !..

Lefevre : Que pensez-vous du livre « Les Bienveillantes« , de Jonathan Litell ?

Aharon Appelfeld : Ce qui m’a étonné, c’est à quel point un homme _ écrivant _ pouvait s’identifier avec le mal _ quelle singulière (= malsaine) perspective d’enquête, en effet ! Et la question que je me pose, c’est quel est le but de cela. Quel est le but de son livre. Est-ce d’apprendre à s’identifier avec le mal ? Est-ce que c’est essayer de comprendre le mal depuis l’intérieur de nous-mêmes ? Je me demande quel est le but de ce livre. Moi, mon impression, c’est que le résultat est une démonisation de soi _ ce qui est dangereux et morbide… L’expression « démonisation de soi » est à retenir !

Comme vous le savez _ cf l’admirable « Histoire d’une vie« , récit autobiographique d’Aharon Appelfeld… _, j’étais dans un camp, brièvement _ en Transnistrie, à l’est de sa Bukhovine natale _, avant de m’échapper _ c’était en 1941, il avait neuf ans. Mais j’ai eu le temps de voir toute la perversion des meurtres des juifs. Il ne s’agissait pas seulement de tuer les juifs, il s’agissait également de les humilier avant de les massacrer. Par exemple, de les obliger à jouer de la musique classique avant de les assassiner. Donc il ne s’agissait pas seulement de tuer, mais d’une perversion des meurtres.

Et dans les quarante livres que j’ai pu écrire, je ne parle jamais des assassins. Ils n’existent pas dans mon âme. Ils existent dans le sens socio-historique _ de ce qu’ils ont commis : forcément ! _, mais ils n’ont pas de place dans mon âme. Il n’y a pas que l’intelligentsia juive qui a critiqué le livre. Tout le monde devrait critiquer ce livre _ je le pense aussi. M. Littell, l’écrivain, est un homme très intelligent, de grand talent. Et cela rend son livre d’autant plus dangereux _ par cette attention « démonologique »  perverse ; pour analyser « cela« , lire plutôt les analyses fouillées (à bien démêler la complexité) des historiens Christopher Browning : « Des Hommes ordinaires _ le 101e bataillon de réserve de la police allemande et la solution finale en Pologne«  et Harald Welzer : « Les Exécuteurs _ des hommes normaux aux meutriers de masse« 

Aaron : Quel avenir pour la mémoire dans la mondialisation, ce rouleau compresseur qui uniformise la pensée et avale le temps et la mémoire au nom de l’utilitarisme ?

Aharon Appelfeld : Il m’est difficile de parler de l’avenir, car je n’aime pas parler en termes généraux. Pour moi _ c’est-à-dire « tout personnellement« , existentiellement… _, c’est le passé qui compte _ par le poids (existentiel et personnel) de ses effets _, car cela donne du sens à la vie _ quand il est humainement « affronté«  et « compris«  : voilà l’enjeu ! au lieu d’être esquivé, escamoté, ou trafiqué et falsifié !!! Même un passé horrible, c’est quelque chose qui donne de l’ampleur _ quel beau mot ! de quel souffle !!! _ à notre vie _ personnelle, donc, quand ce « passé horrible«  est « surmonté«  : là-dessus, lire, outre Aharon Appelfeld, Imre Kertész : par exemple, en contr’exemple d’« Être sans destin » et du « Refus » (ou du sublime « Le Chercheur de traces« ), le non moins sublime « Liquidation » : un des chefs d’œuvre sur le siècle qui vient de s’achever (le livre est paru à Budapest en 2003) Si nous souhaitons une vie riche _ qualitativement _, avec du sens _ voilà !!! _, qui ne soit pas superficielle _ ni bling-bling… _, il faut nous rattacher _ oui ! par la « plasticité«  du souffle et l’« ampleur » de l' »inspiration« « respiration«  de notre « vivre«  _ à notre mémoire _ activée ! Pas tous nos souvenirs _ en nous défaisant des « clichés«  « réactifs«  plombants du ressentiment ; il y a aussi une joyeuse « vertu d’oubli« , nous apprend Nietzsche… _, mais tout ce qui a du sens _ = le plus « essentiel » !.. La vie _ subie _ peut être un enfer. Je l’ai connu, cet enfer _ en Bukhovine, en Transnistrie et en Ukraine, entre 1941 et 1944… Mais la vie est aussi une chose très précieuse, qui porte _ potentiellement _ beaucoup de sens _ à constituer « plastiquement«  par nous, en partie « essentielle«  ; et selon une exigence transcendante de vérité ! _, et il faut faire en sorte _ c’est un apprentissage personnel ; et l’« écrire« , et l’Art, y a, certes, sa part… _ que notre vie soit remplie _ dynamiquement _ de sens _ au lieu, statiquement, d’absurde et de vide : que répandent les divers nihilismes…

cerrumios : Comment peut-on être sûr qu’une personne détient la vérité si elle est contredite par un groupe ?

Aharon Appelfeld : Mais nous sommes tout le temps contredits par d’autres _ et pas seulement « négativement« , non plus, qui plus est ; la démocratie authentique, c’est le débat éclairé !.. Le mal est une contradiction constante _ qui veut nuire et détruire : c’est sa définition ! Les individus sont souvent tentés _ de mentir, de trahir, de porter tort, de nuire (= blesser, mutiler et tuer ; anéantir) _, leur moralité subit des tentations qui viennent de groupes ou d’autres individus _ un peu _ charismatiques _ sur les estrades politiques, avec micros et haut-parleurs ; et sous le feu (avec projecteurs) des caméras, tout particulièrement. Mais nous devons apprendre _ c’est une école _ à résister, à défendre notre réalité _ singulière propre : elle est « à construire«  ; n’étant jamais simplement « donnée« , ni « héritée«  _, qui a un sens pour nous.

Oulala : Quelle est votre position sur le débat entre histoire et mémoire ? La littérature ne peut-elle pas servir de « casque bleu » entre les deux ?

Aharon Appelfeld : La bonne _ et seule « vraie«  _ littérature devrait rester modeste _ à échelle de la personne ; et sans généraliser : non « idéologique« , forcément ! Et devrait comprendre que son pouvoir est limité _ pauvre, humble : la lecture est un acte silencieux et de solitude. La littérature, par nature _ non instrumentalisante qu’elle est, fondamentalement _, ne peut pas changer les hommes, ne peut pas changer la société _ en effet : ses effets ne sont pas « mécaniques » ; ni instrumentalisables… Mais elle est comme la bonne musique : cela fait germer _ oui : avec générosité illimitée ; joyeusement : la joie est spacieuse… _ en nous quelque chose d’essentiel _ oui ! _, cela purifie _ de miasmes délétères _ notre vie, cela donne un parfum _ ouvrant !.. _ à notre vie et nous donne de la lumière _ on ne saurait mieux le dire… Donc la littérature, on ne connaît pas exactement son effet _ non « mécanique«  _, mais elle porte le germe _ dynamique et dynamisant _ de quelque chose qui préserve _ et peut miraculeusement perpétuer _ notre humanité _ toujours menacée d’« inhumanité« 

Voilà pour ces morceaux de « conversation » (« chat » !) offerts

sous le titre « Sans la vérité, notre vie est sale »

sur le site du Monde : ils sont assurément infiniment précieux !..

Entre tous nos contemporains,

Aharon Appelfeld est un « humain » « non-inhumain » « essentiel« 

Titus Curiosus, le 28 mai 2009

lacunes dans l’Histoire

17juil

A propos de la chronique inaugurale de ce blog « En cherchant bien… » :
« Ombres dans le paysage : pays, histoire (et filiation) »
,

c’est l’expression (de Jean-Marie Borzeix lui-même) de « la demande des descendants »
_ ce matin même lors d’un échange de mails _ qui m’a fait « cheminer » jusqu’à, peut-être in extremis, ce terme-clé, paradoxal, et « forant » profond _ jusqu’au « cauchemar » même _ et sans doute essentiel ici _ jusqu’à le décider à « publier » cette modeste « recherche » d' »histoire locale » (du canton de Bugeat),
de « lacune«  (ou, si l’on préfère, « blanc« ) de l' »Histoire« .

C’est donc ce titre d’ « Ombres dans le paysage : pays, histoire (et filiation)« ,

que je voudrais, si l’on veut bien, expliciter un peu ici, en une sorte de « décantation » de ma lecture initiale de « Jeudi saint« 

_ avant de me confronter à ce titre même de « Jeudi saint« , choisi Jean-Marie Borzeix pour son « récit ».

Allons-y !

Ce que Jean-Marie Borzeix a pu nommer « la demande des descendants« 
intervient
_ ou plutôt est intervenu(e) _,
pour lui, en son « enquête » même, effective, « de terrain », veux-je dire, débutée à « l’automne 2001 » (page 36),
comme une surprise, ou « découverte », relativement tardive, ainsi que rétrospective,

mais puissante, ô combien, venant
_ ou plutôt venue _
en quelque sorte de (ou à ) l’extérieur de sa propre démarche,
d’abord le surprendre, donc, lui ; puis, et surtout,
la renforcer, elle (cette « enquête » même),
et, plus encore, venir la justifier vraiment

et profondément, et même considérablement.

Même si lui-même,
en tant qu’auteur-narrateur de sa propre démarche, en son récit,

demeure on ne peut plus discret et pudique à propos de cette « découverte » qui lui est ainsi advenue _ et même « tombé dessus » _,
en cette « rencontre » imprévue _ et bientôt on ne peut plus effective _ des « descendants » des « victimes » de ce « Jeudi saint« ,
sous l’aspect de ce que, en amont de toute cette « histoire », il nomme rapidement, et seulement sous la forme d’un titre de chapitre, le huitième, à la page 137, « la Pâque juive« ,
mais sans s’y appesantir,
ni y philosopher.

Quand, à l’origine, en effet, il ne s’agissait, pour l' »enquêteur »
_ sans être question, alors, de s’en faire « aussi » le narrateur-auteur _,
que de « faire » un peu
_ un peu plus, un peu mieux _
« le point » sur ses propres rapports à son « pays« , à « son enfance »
_ soit à sa « 
filiation«  _,
au « terreau »
_ la géographie (de cette « Haute-Corrèze« ), mais aussi l' »Histoire« , venue la travailler en quelque corps, au « terrain », au « terreau », cette « géographie »_ ;
« faire le point » sur ses rapports au « paysage« , donc,
qui en quelque sorte l' »a nourri »,
sans qu’il en ait d’abord, de même que tout un chacun
(tout un chacun d’abord « infans » : ne parlant pas ; ni, donc, ne pensant pas assez bien, non plus : tout cela s’apprenant, et peu à peu, et « à son corps défendant ») ;
sans qu’il en ait d’abord, donc, la plus claire conscience

_ mais qui l’aurait ? nul n’a de science infuse ! il nous faut tous « apprendre », former « à l’épreuve du réel » notre propre « expérience »
_ celle des autres nous demeurant si souvent « inaudible », incomprise _,
former notre jugement _ cf Pic de La Mirandole, Montaigne, Spinoza, ou Kant ! _,
une fois son « parcours d’homme » relativement _ en ce tournant de la soixantaine _ « accompli », et qui, encore, et heureusement (du moins je le suppose) « se poursuit » (!..) :
au tournant
_ méditatif, et comme un premier bilan, approximatif, bien sûr, sur sa propre petite « histoire personnelle » !.. _, au tournant, donc, de la soixantaine :

ce fut là l’occasion, « l’herbe tendre« … _ ajouterait un La Fontaine…
Qui dit exactement,

cet homme merveilleux, en la fable « Les animaux malades de la peste » (« Fables« , Livre VII _ 1) :
« La faim, l’occasion, l’herbe tendre, et je pense
Quelque diable aussi me poussant
« …

_ ce « diable » qui « se tient », ou « se cache », dit-on, « dans les détails« …

D’autant que dans un entretien a posteriori, Jean-Marie Borzeix confie qu’il est re-venu à Bugeat, cet « automne 2001 » là, s’occuper un peu de son père, souffrant : « Mon père était malade. J’allais le voir deux fois par mois. Ces séjours m’ont donné l’idée de me replonger dans ce qui s’était passé là-bas à la fin de la guerre. » Poursuivant : « Je suis allé interroger des gens, j’ai pris des notes. Cela ressemblait à un journal de travail. Mais il n’était pas question, au début, de le publier« , nous apprend _ ou confirme _ Thomas Wieder dans « Le Monde » du 27 juin…

D’où la modestie profonde _ et initiale tout comme finale _ du propos,

et le relatif mince empressement à rien publier de cela
_ de fait, « Jeudi saint » n’a certes ni l’ampleur, ni l’urgence, du travail-somme (admirable) d’un Saul Friedländer
_ en ses deux volets de « L’Allemagne nazie et les Juifs » : « Les années de persécution » et « Les Années d’extermination » _ aux Editions du Seuil en septembre 1997 et février 2008)
(et à relier à son très beau texte autobiographique, « Quand vient le souvenir » _ aux Editions du Seuil, en 1978 : les dates disent aussi cette « ampleur » et cette « suite« , dans l’œuvre si « important » de Friedländer) ;
ou de l’intense (jusqu’au baroque magnifique !) « apurement des comptes » familiaux, apurement assez sublime, oui, en son intensité et historique et géographique, des « Disparus » de Daniel Mendelsohn (aux Editions du Seuil, en août 2007) : une « grande » aventure aussi,
à l’échelle d’une famille écartelée sur plusieurs continents, cette fois…

Toutes affaires de « filiation » (sacrée), en quelque sorte et à divers degrés, en ces diverses occurrences (et « œuvres » grandes _ au féminin, cette fois). « Jeudi saint« , aussi.

« Les descendants«  des « victimes » de ce « ramassage » du Jeudi saint de 1944 (à Bugeat)
sont peu nombreux, au demeurant
,
ceux, du moins (des « descendants« ), qui s’étaient en quelque sorte déjà « d’eux-mêmes » manifestés,
qui par un voyage sur « la tombe juive » de L’Eglise-aux-Bois, et le dépôt de leur « plaque d’aluminium » (et inscription en hébreu) avec numéros de téléphone (!),
qui par une initiative ou manifestation personnelle (ou officielle) dont Jean-Marie Borzeix a pu prendre connaissance auprès de la mairie de Bugeat : « une longue lettre _ pour commencer, dans la chronologie des « surprises » et « découvertes », _ à l’en-tête de Yad Vashem » (page 5o, puis page 62) ; puis, « début février » 2002, « une lettre du ministère des Anciens Combattants » (page 80) ; puis, encore (page 81), « quelques mois plus tard« , le « petit-fils » d' »une autre disparue« , lequel, qui « a longtemps enseigné dans une université américaine », « retraité depuis peu (…) vient de profiter d’un congrès en Europe pour effectuer en compagnie de sa femme un pèlerinage en Corrèze. A tout hasard, il a laissé à la boulangerie, son adresse, son téléphone, son courriel. A l’attention de toute personne qui se souviendrait de sa grand-mère« . Avec ce commentaire de l’auteur : « Une façon de dire que le passé a encore un avenir. Une nouvelle bouteille à la mer » (toujours page 81). Une métaphore capitale, que nous allons retrouver…

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Y a-t-il des « descendants » (ou survivants) d’autres familles de « victimes » : quid de Jacob Rozent, et des siens ? quid de Joseph Kleinberg, et des siens ? quid des parents d’Anna et Jeanne Izbicka ? et de ceux de Brana et Serge Tencer ? et de ceux de Karola Hoch ?…

L’inquiétude d’une « demande des descendants » n’était donc certes pas « première », originelle, en la démarche d' »enquête » initiale _ pardon de la redondance _ de Jean-Marie Borzeix, re-venant d’abord rendre visite à son père.

Et plus éloignée encore, de lui,
la moindre « commande » ou « mission » que ce soit :
ni, bien sûr, « officielle », « reçue », en quelque sorte,
ni, non plus, « toute personnelle » : même si, rétrospectivement, c’est d’un peu de quelque chose de cet ordre-là
qu’aujourd’hui Jean-Marie Borzeix, non pas « se sent investi » _ oh non, certes ! _, mais qu’il assume, en toute modestie,
puisque l' »initiative » n’eut au départ rien d' »héroïque » _ en dépit du titre de l’article de Thomas Wieder dans « Le Monde » : « Le Héros inconnu » ! _, ni même de « vertueux » de sa part : rien qu’une petite « inquiétude de vérité » _ dirais-je _ (quant à l' »Histoire » du « pays » natal, Bugeat), qui agaçait, sans doute, comme un caillou logé dans la chaussure…
Ce qui n’est pas tout à fait rien, non plus, en ces temps de cynisme de plus en plus « décomplexé », de carriérisme débridé, avec tant de hauts exemples de bassesse _ je veux dire eu égard au « souci de la vérité »…

Rien qu’un vague soupçon, au départ, donc, titillant une curiosité de « natif », si je puis dire,
que le « récit » « officiel », quasi unanimement partagé au « pays«  (à Bugeat, et dans le département _ à dimension presque « familiale », en effet _ de la Corrèze),
était un peu « trop beau » (« héroïsé ») pour être « tout à fait vrai »,
et comportait envers et « contre tout » _ « lacunairement« , en quelque sorte _ « ses ombres » :
au figuré (de l’oubli _ et l’Histoire) comme au propre (de l’assassinat : de personnes vivantes) : l' »enquêteur » qu’a commencé à se faire Jean-Marie Borzeix, va assez vite s’en apercevoir ; et s’y coltiner passionnément (et nous avec !!!).

De ces « ombres » à ces « lacunes« , et à ces « cauchemars« , même _ certaines nuits, fréquentes (pour qui « attend un appel depuis toujours« , est-il glissé page 70, « un appel qui remonte le temps«  : nous avons affaire à un immense texte, mine de rien, en sa sobre modestie ! _, il n’y avait peut-être qu’un pas. Encore fallait-il l’accomplir…

Des pistes, « rencontrées » sans préméditation _ avec une bonne dose de hasard (= à l’improviste) _, se sont ainsi, d’elles mêmes en quelque sorte, proposées, ouvertes, alors à « suivre »

_ encore fallait-il être en posture de pouvoir « les constater », ces éléments de « pistes », avant, s’y avançant, d' »avérer » quoi que ce soit, en « suite » de cela _,

avec tant soit peu de curiosité, de vaillance, de courage (pour, de là, aller re-chercher et obtenir réponses à ses propres « interrogations », au fur et à mesure, en quelque sorte, qu’elles surgissaient de ces « rencontres » du réel, sans soi-même, l’enquêteur-sans-implication-personnelle, se lasser), du côté du chercheur (et de sa « curiosité », basique et générique en l’affaire) ;
ainsi qu’un peu, ou pas mal, de chance, aussi, sur ce qui allait « s’offrir », ou pas _ conjoncturellement _, du côté de ce « réel » lui-même, surtout,

en matière de « documents » (journaux, archives diverses) _ quand on ne les retrouve pas caviardés, tronqués, mutilés _ ;

en matière de « monuments » (telle qu’une « tombe juive » (!), érigée « peu de temps après la fin de la guerre » _ et une inscription, beaucoup plus récente (« 1999« ), en hébreu, avec « deux numéros de téléphone » _, au « vieux cimetière accolé à l’église » de « L’Eglise-aux-Bois« , bien à l’écart de la route nationale de Lacelle en direction de Limoges _ à la page 66) _ qui se dégradent, se délitent, s’effacent presque, tout seuls, oubliés _ ;

ainsi qu’en matière de « témoignages » _ mais en ayant, ici, un petit peu plus de difficulté à lutter contre le temps,
car « ceux que j’interroge ont en général plus de quatre-vingts ans » (page 39),
et « chaque jour des pans de mémoire s’effritent et s’effondrent : j’ai engagé une course de vitesse avec l’une des pires maladies de notre temps, la rongeuse de mémoire qui se répand comme une épidémie » : « la maladie d’Alzheimer« … (page 40).

L' »enquêteur » est ainsi souvent près de « décrocher » : « les détails » de l’Histoire « importent-ils encore ?« , se demande-t-il, page 85. « Je me dis que tout cela n’intéresse décidément plus personne en dehors de moi« _ en tout cas « au pays ».
Ajoutant cependan
t _ sobrement _ tout aussitôt : « Mais je pense aux enfants de Chaïm, à leurs nuits éveillées«  :
car a déjà commencé l' »identification » _ non encore « assez » achevée aujourd’hui même _ 11 juin 2008 _, en ses ramifications ! _ d’une de ces « ombres«  du 6 avril 1944 : la première dont le nom « est apparu » (à l' »enquêteur » qu’est alors devenu Jean-Marie Borzeix), à l’automne 2001 (page 52).

Cette « réflexion » fugace de la page 85 _ sur « les nuits éveillées » des « enfants de Chaïm » _ « forme » sans doute le point nodal décisif

qui a conduit,

et à ce « tour » capital que prit alors ici l' »enquête« ,

et à cette expression de Jean-Marie Borzeix en son mail, qui _ très, très secondairement bien sûr ! en ricochet, en cascade _ m’a marqué, à mon tour, de « la demande des descendants« , telle une reprise de ces « nuits éveillées » (de la page 85) auxquelles « pense » désormais Jean-Marie Borzeix quand il « pense » _ et il y pense _ à ces « descendants« -là ; à leur « demande« , donc…

Nous touchons ici à quelque chose qui a rapport à Antigone et ce qui la « requiert », impérieusement, quant au corps gisant sans sépulture de son frère Polynice à l’extérieur des fossés de la cité.

Quant aux « lacunes » (ou « blancs« )

que je « hisse » jusqu’à la hauteur du titre de mon premier article

_ précédant celui-ci (« lacunes dans l’Histoire« ), avec, en double analogie, (« ombres/ lacunes » ; et « paysage/Histoire« ) _,

ces « ombres » errantes dans le « paysage » de landes sévères du Plateau de Millevaches,

elles devaient « revendiquer » plus ou moins bruyamment, sans doute, et d’abord assez sourdement, en « quelques têtes » _ « s’y intér-essant »),
depuis quelque « coin » perdu (de cette « Haute-Corrèze« , ou d’ailleurs ?!), reléguée(s), ces « lacunes » (ou « blancs« ) que sont ces « ombres« , en quelque « fond » éloigné, déserté, abandonné(e)s de la plupart, et donc en effet passablement « oublié(e)s », en effet, de presque tous (les autres)
_ peut-être en ces tourbières (si belles, en leur « étrangeté » : pour nous qui venons d’une ville, par exemple Bordeaux) à nous y promener l’été : « l’été seulement… » _ « et même rien que juillet », me corrigerait Pierre Bergounioux) ;
ces tourbières où l' »ombre » (qui mesurait un mètre soixante six) a commencé par effectivement travailler « pendant l’hiver 1942-1943 » (page 107), quand, « avec sa femme, ses deux petites filles et son frère Jacob, Jem

_ on saura (presque) le pourquoi de ce nouveau nom (de cette très prochaine « ombre » _ faut-il dire « définitive » ? et « errante » : je pense ici aux belles et énigmatiques « Ombres errantes » de François Couperin… qu’on y prête son écoute…) en suivant le détail des péripéties du récit _

Jem _ donc _ habita d’abord dans le bourg de Pérols, où le train les avait déposés, et où des logements avaient été réquisitionnés à la va-vite. (…) Jem n’avait guère eu le choix : pour nourrir sa famille, il s’est mis à manier la bêche dans les tourbières. (…) On peut cependant penser que, de constitution plutôt frêle, il n’excella pas dans une activité exigeant une solide musculature et l’habitude du travail de plein air » (page 108). Aussi, « sept mois plus tard, en août 1943, (…) il est placé par le commandant du groupe chez le coiffeur du chef-lieu de canton » _ Bugeat.

Fin de l’épisode des tourbières : « le voilà mis à disposition, en tant que « commis coiffeur », au centre du bourg _ à Bugeat _, un habitant presque comme tous les autres » : la nuance _ et sa « délicatesse » _ est à relever (page 108). Ces tourbières accompagnent les méandres complexes (de peu de pente alors) , parmi les ajoncs, de la naissance ruisselante de la Vézère, du côté de Saint-Merd-les-Oussines, et du presque hameau de Millevaches, celui-là même qui donne son nom à « son » très vaste plateau, lui, en extension sur les trois départements du Limousin _ et que j’ai découvert, pour ce qui me concerne, à Pâques et l’été, en compagnie (et dans la voiture, aussi…) de mes amis Isabelle et Jean-Paul Combet (à partir de leur maison de famille), en ce coin superbe et sévère, sinon rude, de « Haute-Corrèze« , où il fait comme qui dirait assez frisquet l’hiver (qui dure).

Insu, ou oublié, de presque tous, donc, et d’abord de moi-même _ avant de me relire pour la cinquante-et-unième fois _,
le terme de « lacune« ,
puisque c’est sur et autour de ce terme que je creuse cette « méditation » ici,
est donc venu me « parler », à mon tour,
solliciter quelque chose de mon attention, comme d’une inquiétude,

revendiquer un peu des « droits » de cette « lacune » (ou « blanc de l’Histoire« , donc) à être « comblé(e) » : comme il l’a fait auprès de Jean-Marie Borzeix, en le « lançant » dans cette enquête à Bugeat, que narre ensuite « Jeudi saint » ;
« lacune » : mot désignant « en négatif » quelque chose de « non (ou peu) identifié » et de « négligé », « oublié », mais dont on conçoit et ressent néanmoins, « quelque part », le « manque » ; le « défaut » ;

et « quelque chose » d’ainsi « mis au ban » de la communauté de paroles (et des pensées, ensemble) de ceux se « pensant », les uns les autres, eux, « entre nous » ;

et lesquels ne souffrent pas (ou pas trop), eux, de ce « manque »,

dont ils ont en quelque sorte « effacé » la trace, égalisant le sol et tout le « paysage » ;

« manque » qu’ils ont « blanchi« , devenu « macula« , « tache aveugle » du regard lisse de leur mémoire _, si jamais ils l’ont seulement « éprouvé » et s’en sont même « rendus compte » ;
des gens « bien du pays », de « chez eux », eux, a contrario, sans conteste ; en connaissant les moindres coins et recoins.

Je lis pages 77 et 78 : »Dans les mémoires, la plupart de ces ombres ne sont plus identifiables depuis longtemps. Comme les réfugiés juifs n’étaient pas des « gens d’ici », rares étaient les gens des bourgs et des villages à connaître leurs patronymes, encore plus rares ceux qui s’en souviennent. Ils étaient de passage, ils étaient nés dans des pays lointains, ils avaient des patronymes évolutifs _ qui plus est ! _, ils portaient _ de toutes façons _ des noms à coucher dehors : Pawlowsky, Klocek, Marcinkowski, Abastado, Izbicki, Feldstein, Zampieri… »

La « revendication »

_ émanant, en quelque sorte, de ce « lacunaire »,

de ce « blanc » qui, disparu, « fait défaut » et se trouve ir-repérable, effacé qu’il est, en étant devenu ainsi invisible ;

de ce « lacunaire » lui-même _ ;

en revanche, quant à elle,

la « revendication », veux-je dire,
émet sans cesse et perpétuellement _ nuits comprises, donc _, comme sans se lasser, ni s’apaiser,

en direction de quelque(s) attention(s) possible(s) _ il reste difficile de préciser si la « demande » n’est que singulière, ou générale, ou universelle :

c’est là « sa partie » (à jouer, pour elle ! « sa partie à elle » !) ;
« attention » de l’ordre du souvenir personnel, bien sûr, et/ou de la « filiation » (= la « descendance« ), d’abord, en une absolue vigilance ;
ou de celui, non personnel, lui, de quelque inquiétude un peu plus générale (et moins « commune ») ; voire universelle, donc,
_ et c’est le cas de l’inquiétude « de vérité » (quant à l' »Histoire » de son « pays » natal) de Jean-Marie Borzeix, en ce « ressourcement » (« filial », l’article du « Monde » étant venu le confirmer s’il en était besoin !) de sa soixantaine, sur ce (et quant à ce) qu’il advint dans le cadre (et le terreau) même(s) de son enfance : corrézienne, en son « pays » de « Haute-Corrèze« , à Bugeat, pendant cette guerre ; et quand les vagues de la grande « Histoire » générale atteignirent, cette fois _ à ce qui apparaitrait bientôt comme un infléchissement lourd du conflit _, jusqu’aux sources assez infréquentées _ sauf les frustes tourbières _ de la Vézère) ;
la « revendication » émanant de ce « blanc lacunaire », donc,
émet sans cesse et perpétuellement _ nuits comprises _ quelque chose qui a sans doute à voir avec comme une plainte sourde et allant jusqu’au cri _ si je puis me permettre de le formuler ainsi.

Peut-être le « cri sans voix » qu’évoque Henri Raczymov (en son livre éponyme, « Un cri sans voix« , paru chez Gallimard, en 1985)…

Comment ne pas penser ici alors
à ces mots
(mais sont-ce vraiment encore des « mots » ? et pas déjà, eux-mêmes, un « cri » ? ou même « un cri sans voix » ?)
de Paul Celan _ reprenant, plus tragiquement, s’il se peut, les mots triestins de Rilke (à Duino) : « Qui, si je criais, entendrait donc mon cri…? » ;
que Claude Mouchard a élus pour le titre de son (très beau et très nécessaire _ le contraire de « superflu », d' »arbitraire », de « vain ») livre,
le livre de Claude Mouchard s’intitulant précisément, quant à lui,
« Qui,
si je criais…?
Oeuvres-témoignages dans les tourmentes du XXème siècle
 »
(et qui est paru aux Editions Laurence Teper au mois d’avril 2007) ?

De Rilke à Celan, « les cohortes des Anges » se faisant, en ces quelques années, peut-être définitivement, plus « lointaines »…

Et il y a sans doute aussi là, en écho à l' »enquête » et au livre-récit de Jean-Marie Borzeix,
une histoire aussi, encore,
et de ma lecture (de lecteur lambda) de « Jeudi saint« ,
et de l’écriture, encore, de cet article (« Ombres dans le paysage : pays, histoire (et filiation)« , qui en témoigne)
_ de même que dans toute lecture de tout lecteur, mais oui :
le livre est lui aussi une « bouteille à la mer »
_ ou « bouteille à la terre » : comme à Vittel, pour un Yitskhok Katzenelson (cf son « Chant du peuple juif assassiné« , publié par Zulma, en février 2007) ;
_ et même « bouteille aux cendres » : comme à Auschwitz-Birkenau, pour un Zalmen Gradowski (cf « Des voix sous la cendre _ Manuscrits des Sonderkommandos d’Auschwitz-Birkenau« , publiés par le Mémorial de la Shoah et les éditions Calmann-Lévy, en janvier 2005 ; ou « Au coeur de l’enfer« , aux Editions Kimé, en octobre 2001),
et littéralement : ces « bouteilles-à-la-terre » et ces « bouteilles-aux-cendres » ayant été re-trouvées et décachetées, et leur contenu ayant été lu, puis publié (= offert à lire et à méditer à d’autres…), assez longtemps après, chacune de ces « opérations » ; comme si Méduse continuait longtemps de « pétrifier » qui la rencontre, sans quelque Persée…

La « lacune » (ou le « blanc« )
« revendiquait » donc inlassablement « sa place », en la « n »ième re-lecture de ma propre « lecture »- écriture-ci, en cet article-ci, donc (« lacunes dans l’Histoire »), de « Jeudi saint » :
tel un « re-venant »,
un « fantôme » de retour, si tant est qu’il soit jamais parti (lui, du moins),
mais « demandant » _ c’est là le mot, aussi, de Jean-Marie Borzeix _ instamment toujours, en permanence, lui le premier, à « re-venir » ! à cesser d’être ainsi « effacé »
_ car on lui déniait,
en ce temps-ci de l’imparfait qui « dure » sans s’achever,
et pas au temps _  tellement plus simple _ du passé simple (et portant bien son nom, donc !) :
le temps de l’événement ponctuel _ « advenu » une fois pour toutes, et basta ! _, lui ;
car on lui déniait encore, et plus ou moins vilainement, toujours, toujours,
cette « sienne » de « place », en la vie vécue (ôtée), comme en la mémoire (éteinte)

_ à part celle d’un fils né après qu’il ait été « effacé » : « juste avant sa naissance« , est-il dit, à la page 70, à propos de celui _ le fils, portant le prénom de son père, qui « a toute la nuit pour recueillir des bribes d’information« , en son « attente anxieuse et fébrile« , de « depuis toujours » : les mots de Jean-Marie Borzeix sont magnifiques _ ;

car on lui déniait, à ce vieux « lacunaire« , ce vieux « blanchi« …
cette « place »

qui, rejointe, mettrait fin à la « lacune« , en la « ré-intégrant » dans une histoire enfin un peu plus (et un peu mieux) « générale », sans exclusion-négation-écrasement enfin (exclusion pénible et injuste, vilainement « partiale ») de tels « détails« …

A une « juste place » : à justement évaluer ; quand on sait que ce sont d’abord les vainqueurs qui « écrivent l’histoire »… Etre historien comporte cependant sa déontologie… Et ses sinon incessantes, du moins par « paliers » et « tournants », « ré-évaluations », contre les « propagandes » de tous bords qui cherchent (comme la nuit des temps) à faire « impression » (surtout sur ceux qui « ignorent » : c’est plus facile !) ; et à « corseter », « verrouiller », le souvenir (construit et disputé) de la postérité…

Soit vérité versus rhétorique, nous rappelle le Socrate allergo-graphe des « Dialogues » (écrits) de Platon.

« Autour de Chaïm, se dresse une foule de plus en plus nombreuse de victimes sans nom et sans visages. Presque personne ne les mentionne. Tous ces disparus, est-il encore possible, si longtemps après, de les désigner, de rappeler simplement qu’ils ont vécu et pourquoi ils sont morts, de les réintégrer dans la continuité de l’histoire ? » lit-on page 77.

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On lui déniait « sa » place « parmi nous« , veux-je dire
de ce « lacunaire« ,
« sa place »,
au lieu de cette « non-place », indistincte, confuse, embrouillée (voire artificiellement « floutée »), dévolue à de bien vagues étranges « étrangers »
(pas même « individués », c’est basique _ ou la question du « nom propre », et de l’identité tant soit peu « familiarisée ») ;
au lieu de cette « non-place », dirais-je, qu’on s’obstinait ainsi à vouloir lui attribuer (lui fourguer), en quelque sorte, de force,
en lui assignant ce statut _ pré-formé _ de « lacunaire« , de « destiné » à « être blanchi« ,
et en lui refusant _ cela va avec,
comme l' »ombre » va avec la lumière, face avec pile, et verso avec recto _
le plus souvent un véritable re-gard, un véritable é-gard, une (même petite) vraie pensée qui soit portée et assumée par la personne, en soi.

Même si il y avait des exceptions :
« Annoncer une prochaine descente de gendarmes,
ouvrir sa porte au bon moment
pouvait sauver une famille.
 »
Et cela, « beaucoup _ justes parmi les justes _ l’ont fait« .

Cette expression de « parmi nous » se trouve,
et mise entre guillements, qui plus est ! _ et en effet, je le « re-constate » _ par Jean-Marie Borzeix lui-même, à la page 44,
_ tiens-donc ! mais la co-incidence (avec « avril 44« ) est pur hasard
(sur ce concept _ crucial _ de « hasard » : rencontre contigente de deux, au moins, séries causales indépendantes, relire le toujours pertinent Augustin Cournot,
ou cet autre philosophe majeur, et corrézien, encore, qu’est Marcel Conche, en son très remarquable  « L’Aléatoire« , aux Editions de Mégare, en 1989.

Que l’expression « parmi nous » se trouve à la page 44, donc, de « Jeudi saint« ,
je m’en avise seulement, forcément, après l’avoir tant soit peu « re-cherchée » et enfin « re-trouvée »,
cette expression « significative »,
du moins pour qui y prête son « attention » ;
car, pour avoir eu le désir de la « re-chercher »,
c’est bien que je l’avais déjà si peu que ce soit « re-tenue »,
dans, au sein du, parmi le flou normal, basique (= nécessaire aux « focalisations » de l’attention au présent) du processus, et de mon at-tention, et de ma mémoire ap-proximative, plus ou moins sur le qui-vive et disponible, ou endormie, mise en sommeil. Une affaire de vigilance, et de « focalisation », donc.

« Focalisation » sur un « foyer » de sens « visible » ; et « mémorable ». Comportant, et silhouette (découpant sa forme sur un fond), et sillage (se poursuivant…).

Ou plutôt c’était elle, cette expression « parmi nous« , qui s’était « insignement signalée » d’elle-même
_ et assez peu (même si un peu, bien sûr, quand même !) du fait de l’écriture même de Jean-Marie Borzeix, nonobstant ses guillemets, certes, élégamment discret, et sans lourdeur, jamais (lui), en son »style » _ ; « signalée », donc, à l’attention, un peu attentive intensive et curieuse, de ma lecture : conformément à ce statut paradoxal de la « lacune » (et du « blanc« )
_ voilà décidément un concept digne d’un peu plus d’attention philosophique ! il faudrait en parler à l’ami Bernard Stiegler (cf son passionnant premier volume de « Prendre soin« , avec pour sous-titre « De la jeunesse et des générations » paru aux Editions Flammarion en février 2008).

« Lacune« , donc _ j’y reviens encore, ou plutôt j’y suis toujours, et j’y arrive _,
qui n’e-xiste, n’é-merge, et n’ap-paraît enfin,
ne se forme en son « négatif », donc, qu’en sortant,

s’ex-trayant, s’ex-tirpant

_ mais pas tout seul, pas de lui-même ! en tout cas ; il faut lui donner un peu plus qu’un coup de pouce _,

du « mauvais flou »
(ou brouillard : tout brouillé et brouillant),
indistinct, chaotique
_ et dissolvant, en son effet acide : destructeur, par là _,
de celui qui ne regarde, et ne voit rien que ce qui l' »intéresse » de très (= trop) près ;
dans la logique,
« Chaminadour » peut-être,
très « intéressée », c’est le cas de le dire (= « étroite » et « petite »),
de l’intérêt calculateur mesquin _ et assez vite, sur cette « pente » (boutiquière), méchant…
Soit le « mauvais flou » de la « non-focalisation » du « regardeur » « regardant »
au pire sens du terme (= sans générosité),
qui ne « voit » pas grand chose, alors ; rien que sa grisaille, sa propre tache aveugle (macula) projetée, par son incuriosité, sur presque tout le réel, qu’elle gomme et efface : bien joué !

A l’inverse de cet autre « flou » : « flou dynamique » et même « dynamisant », montueux, en relief
_ « à la Plossu » je le baptise
(« photographiquement ») _, lui,
qui marque,
ainsi qu’une poussière d’étoiles ac-compagne le passage (et le sillage) de la comète,

le cortège (comme « de cour ») scintillant et « plein de grain »

(au singulier, comme au pluriel

_ telle la pulpe grenée et s’égrenant, pour un envol fécond, plus loin qu’elle, de la grenade, ce beau fruit)

de l' »étoile-filante » ;
qui marque, donc, lui, ce beau et bon flou,
mais « aimablement », et avec délicatesse

_ et à l’encontre de toute stigmatisation,
car il est aussi des « étoiles » « stigmatisantes »,

nous dirait un Patrick Modiano, par exemple en sa « Place de l’étoile » (son premier livre, paru chez Gallimard en mars 1968) ;
à l’inverse _ je reprends l’élan de ma phrase _ du « beau et bon flou » (« à la Plossu », donc) qui marque, j’y arrive,
et durablement, mais « aimablement », et avec délicatesse, de son « aura », de son « charnel » encore charnu,
le sillage de vraies personnes (« présentes aux autres »), dans le mouvement de leur corps (plein) présent et comme dansant :
bien vivant est alors un tel « sillage » !..

« Lacune« , donc,
_ je vais finir par y aboutir !

serait-elle, cette « lacune« , serait-il, ce « blanc » (de l' »ombre« ), le centre ? _,
qui ne se forme _ mais « décalé » par rapport à la macula _ au re-gard
et à la pensée per-cevante
_ il y faut si peu que ce soit de per-spicacité » ! _
de quelqu’un,
que pour celui (sujet, et non objet) qui cherche, re-cherche, at-tend,
et lance donc vers l’altérité réelle de l’autre, et tend, sou-tend, son at-tention,
en tension et déjà, aussi, en geste
_ au-delà de la promesse
(mais non sans la re-tenue discrète et pudique de quelque é-gard) _,
de la main ouverte (sans arme de poing) qui se tend, offerte,
et à une re-connaissance
(principiellement mutuelle, en confiance,
mais sans aveuglement, non plus) _
et à l’écart de tout ce (et tous ceux) qui nie(nt). Ouf !

Tout ce déploiement de « commentaire »
pour ce titre in extremis avec ce malheureux petit mot de « lacune » (il est vrai au pluriel : « les lacunes » _ ou les « blancs« ) à partir de l’expression-source, en son amont, de « demande des descendants » _ ainsi que celle, au sein de la lecture, des « rêves éveillés » des « enfants de Chaïm » (page 85) de « Jeudi saint« .

Je remarquerai, pour terminer, que Jean-Marie Borzeix ne prononce pas, lui, le mot de « cauchemar »: il se contente de l’antiphrase des « rêves éveillés« ,

que ceux ci soient nocturnes, ou diurnes, d’ailleurs. Ou le style.

C’est probablement un défaut qu’un tel degré d’inquiétude de douter de n’être jamais tout à fait assez _ quelle formule ! _ explicite
pour qui daigne m’écouter : qu’on m’en absolve !
« Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre ! » dit François Villon,

en son « Epitaphe » (dite aussi « ballade des pendus »

_ par exemple, pages 81-82 de « Ô ma mémoire _ la poésie, ma nécessité » de Stéphane Hessel, aux Editions du Seuil, paru en mai 2006 : un très beau choix de poèmes connus, tous, « par coeur » par cet inlassable humaniste, à l’âge alors de quatre-vingt-huit ans) ;
« Epitaphe Villon » qui commence ainsi :
 » Frères humains, qui après nous vivez,
N’ayez les coeurs contre nous endurcis,
Car si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
 »
Je n’ai pas quitté le sujet…

Quant au choix, par Jean-Marie Borzeix, de ce titre de « Jeudi saint« ,

il met l’accent, non sans une légère ironie _ « le curé (à l’église, ce « jeudi saint »-là dans l’après-midi) a du mal à se concentrer. Il n’est séparé des éclats de voix des soldats (de la Wermacht) que par deux verrières donnant sur la cour de l’école »

(où ces soldats viennent de « prendre leurs quartiers » _ en ce début de vacances scolaires, de Pâques).

« Allant et venant entre les autels et la sacristie, le curé devine que quelques uns de ces soldats, s’ils sont encore là, assisteront à la messe dimanche, qu’ils seront un certain nombre à vouloir recueillir l’hostie et sa bénédiction pascale. Parmi eux, peut-être, ceux qui ont appuyé sur la détente, les assassins des paysans de l’Échameil«  _ puisque le récit de l' »enquête » n’en est que « là », en ce chapitre d’ouverture (page 27) _ ;

le choix de ce titre de « Jeudi saint » met ainsi,

mais par le détour de la discrétion tout à son honneur d’une courte antiphrase,

l’accent

_ à peine visible : ainsi parlerait-on d’hémiole dans l’art d’interprétation tout en délicatesse du baroque musical _

sur le caractère de « sacrilège«  des (divers) crimes commis par les SS lors de cette sinistre « semaine sanglante » de Pâques 1944 en Corrèze, en réservant le titre de « La Pâque juive » au chapitre-clé (ultérieur : le huitième de dix !) du récit de son « enquête« ,

sans attirer le lecteur (potentiel, de même que le lecteur réel) sur ce « chiffon rouge »-là,

au risque d’en faire un nouveau poncif,

et démentant, on ne peut plus fâcheusement, le caractère foncièrement « lacunaire » de l’affaire ici en cause : applicable à « tous » les génocides, en leur systématicité…

D’où la référence terminale

(terminale ? non, bien sûr ! : les derniers mots _ terribles de « vérité » _ du texte, sont « la répétition du mal« …)

à l’exemple des exactions systématiques d’avril 1994 à Kigali (Rwanda)…

L’enjeu de la « dignité humaine » est bien sacré, en effet, et en son universalité (catégorique !),

mais le moindre didactisme serait non seulement « contre-productif », selon la nouvelle vulgate, « managériale », mais, en son inélégance, peu respectueux de ce qu’il prétendrait vouloir obtenir (de chacun) de « respecter »…

Et c’est aussi là une des difficultés de toutes les pédagogies : ne pas biaiser, certes ; mais ne pas braquer par une frontalité maladroite (et plus grave encore : contradictoire avec son objet).

C’est là, non une « technique », mais un « art » ;

et un « art » « impossible », oxymorique

_ décalant comme décalé _,

comme tout art se met au défi d’y réussir ; et y parvient plus d’une fois !…

Et « Jeudi saint » est superbement de cet ordre-ci, décalant avec délicatesse…

Pour la suite de ce blog « En cherchant bien…« , ou les « Carnets d’un curieux« , et comme annoncé à l’instant,
je présenterai le livre (immense à tous égards) de Saul Friedländer, « Les Années d’extermination« , le second volume de « L’Allemagne nazie et les Juifs« , par lequel j’avais l’intention _ tant il m’a impressionné par sa magnitude _ d' »ouvrir » ce blog : une somme capitale indispensable pour un peu mieux pénétrer l’énigme du siècle précédent.
Je me permets de renvoyer aussi à deux très beaux et importants livres, à des égards distincts, bien sûr :
_ « Porteur de mémoires » du Père Patrick Desbois (aux Editions Michel Lafon, en octobre 2007), que j’ai cité aussi plus haut : dans la poursuite du recueillement des témoignages des génocides, sur toute l’étendue de l’actuelle Ukraine, tant que vivent encore et peuvent « parler » les « témoins » qui se font vieux ; et
_ « Les Disparus« , de Daniel Mendelsohn (paru aux Editions Flammarion, en août 2007) _ œuvre d’une très grande intensité (et qualité littéraire, lui aussi, mais en une opulence _ mittel-européenne _ baroque) avec lequel « Jeudi saint » partage quelques traits (et décisifs) d' »enquête » sur quelques personnes _ à Bolechow, en Galicie, cette fois, non loin de Stanislavov et de Lvov : en ce qui était alors la Pologne, et est maintenant l’Ukraine _, à l’heure, toujours _ « But at my back, I always hear The winged charriot of Times« , chante Andrew Marvell (« To his coy mistress« ), à l’heure _ qui passe _ de la raréfaction des derniers témoins directs des destructions systématiques du nazisme (cf le remarquablement éclairant sur cette conjoncture historique, le décisif « L’Ère du témoin » d’Annette Wieviorka _ paru aux Editions Plon, en 1998)…

Titus Curiosus, ce 11 juin 2008 (et relu le 30)

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