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Le lumineux travail d’éclairage de Bénédicte Vergez-Chaignon dans « Les secrets de Vichy »

30sept

C’est avec une très profonde et vraie joie

que je me réjouis de m’entretenir mardi 13 octobre prochain, au 91 de la rue Porte-Dijeaux, à Bordeaux, à 18 heures, et sur ma proposition, avec l’excellent historienne Bénédicte Vergez-Chaignon

_ auteur, notamment, du très remarquable, et essentiel même, Les Vychisto-Résistants _ de 1940 à nos jours, et l’année dernière, d’un passionnant Pétain, entre autres très éclairants travaux _

à propos de son tout récent Les Secrets de Vichy, aux Éditions Perrin….

Installé, comme leurre et comme aide, dans les bagages des Occupants nazis vainqueurs d’un très efficacement mené blitzkrieg de quelques semaines seulement (en mai et juin 1940),

le régime de l’État français, du Maréchal Pétain,

qui s’empresse, dès le 12 juillet 1940, et dans la salle de théâtre du casino de Vichy, de faire supprimer le régime de la République,

de cette République proprement assommée par le coup de massue de cette si étrange défaite _ pour reprendre l’expression, quasiment sur le champ, de Marc Bloch _, et de le faire remplacer, sous des formes s’efforçant de se draper le mieux possible des apparences de la stricte légalité, par un nouveau régime _ auto-proclamé l’État français _ qui n’est rien moins qu’une dictature, le maréchal Pétain s’octroyant à lui-même rien moins que la totalité des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire ;

le nouveau régime s’installe donc tant bien que mal, au sein de la zone non-occupée _ que lui laissent benoîtement le soin et la charge d’administrer les vainqueurs _, dans une station balnéaire d’été, Vichy, qui offre au moins l’abondance de ses hôtels (et casinos, et salles de spectacle) : pour un provisoire qui va durer bien au-delà de l’automne et de l’hiver de 1940, quand la plupart de ses chambres d’hôtel de station balnéaire sont dépourvues de moyens de de chauffage…

Or, cet État français va se montrer on ne peut plus sourcilleusement jaloux de sauver le plus et le mieux possible la moindre des apparences _ et tout le decorum (politique et diplomatique), se voulant imposant, qui va avec _, de ce que l’Occupant paraît lui concéder officiellement de souveraineté,

suite à l’imposition unilatérale des termes très brutaux de l’Armistice, donné à signer, le fusil sur la tempe, à Rethondes…

Car cette apparence de souveraineté officielle est rien moins que sa première raison d’être _ celle qui fonde son pouvoir de fait _,

et qui va se trouver au fur et à mesure de l’évolution de la guerre _ en particulier après l’occupation de la zone dite jusqu’alors non-occupée, le 11 novembre 1942 _ de plus en plus rongée par l’évidence de son irréalité de fait !

Ce que le général de Gaulle s’efforçait de démontrer et faire comprendre dès le 18 juin 1940,

mais si difficilement, longtemps,

et aux Français de France _ et de l’Empire français, et réfugiés dans le monde entier : à Londres, à New-York, et ailleurs… _,

et aux Alliés, et au reste du monde…

….

Remarquons bien quun secret n’est pas un mystère :

un secret est forgé, soutenu, entretenu de manière à être, d’abord, le moins possible perçu (ni même, d’abord, soupçonné) en sa réalité même de secret ourdi et gardé,

afin de ne pas être, ensuite, percé, révélé, mis au jour, et ainsi dénoncé.

Et le régime (non démocratique, ô combien !) de Vichy

va ainsi cultiver à plaisir l’art très subtil _ et si pernicieusement maléfique _ des faux-semblants, double-jeux, demi-mensonges et mensonges les plus cyniquement éhontés…

Là résidait aussi le leurre, immédiatement, puis longtemps assez efficace, du Maréchal Pétain lui-même,

à la tête de cet État français, et de sa pseudo souveraineté de façade, vis-à-vis de l’Occupant nazi,

mais vis-à-vis aussi du monde entier, dans le jeu diplomatique ;

au-delà du rôle très effectif que le maréchal Pétain avait à jouer en France et dans l’Empire français auprès des Français eux-mêmes…

C’est le travail patient et précis d’analyse des archives _ longtemps difficilement accessibles, et dispersées, pour ce qui concerne les archives publiques ; d’autre part, beaucoup d’archives privées dorment encore (dans des malles) chez des particuliers, qui finiront peut-être à la poubelle, lors de nettoyages de caves ou de greniers… _, qui permet d’éventer peu à peu le brouillard dont ont su s’envelopper, longtemps après les événements, ces secrets de Vichy, aidés par tous ceux qui encore aujourd’hui y tiennent encore tant…

Et ce sont quelques uns de ces secrets d’État que, avec le recul du temps, et le travail patient et très précis sur les archives, se voient ici éclaircis par la sagacité patiente et méthodique, et proprement lumineuse, de la chercheuse passionnante qu’est l’historienne Bénédicte Vergez-Chaignon, en ce très riche et passionnant Les Secrets de Vichy...

Titus Curiosus, ce mercredi 30 septembre 2015

P.s. :

voici un lien utile permettant d’écouter le podcast de cet entretien (de 59′) du 13 octobre dernier.

De plus, le lien au livre de Bénédicte Vergez-Chaignon, Les Secrets de Vichy, permet d’accéder commodément aux divers liens au podcast de cet entretien du 13 octobre : cf la case « A écouter dans« .

Un homme de vérité : Miguel Delibes (1920-2010)

13mar

Un article superbe à la mémoire d’un écrivain d’exception _ d’une sorte assez peu nombreuse : casta n’étant peut-être pas le terme le mieux adéquat à cette qualité-là… _, mis en ligne le jour même de sa disparition, à l’âge de quatre-vingt-neuf ans, en sa ville de Vieille-Castille, Valladolid : le grand, mais assez peu médiatique _ il n’a pas reçu, lui, l’onction d’un Prix Nobel : pas le plus politiquement correct, quand le choix s’est proposé, probablement : ainsi lui préféra-t-on un José Camilo Cela (1916-2002), en 1989… _, Miguel Delibes (17 octobre 1920 – 12 mars 2010 ; auteur de cet immense livre qu’est « L’Hérétique » !), par un ami, philosophe, Emilio Lledó _ qui vécut pas mal en Allemagne, au cours et de sa formation, et des péripéties de sa carrière universitaire _, dans ce grand journal qu’est El Pais, à la date du 12 mars :

« Un hombre de verdad«  _ avec de petits commentaires miens, en vert…

Confieso que evoco con mucho dolor mis recuerdos. Son tantos que en una situación como esta, no sé cómo seleccionarlos, qué decir. Tuvimos la suerte de conocer personalmente a Miguel Delibes cuando en 1962, después de muchos años en Alemania, vinimos Montse y yo, con nuestro primer hijo Alberto, de Heidelberg a Valladolid. Habíamos conseguido cátedras de Instituto en la ciudad castellana _ cité universitaire, en effet _ y esa posibilidad de juntar nuestros puestos de funcionarios de la enseñanza publica en la misma ciudad, nos animó, entre otras razones digamos más idealistas, a dar el nada fácil paso. Nunca nos arrepentimos. Los tres años en Valladolid fueron una época de felicidad, por muy duro _ certes _ que fuera, en aquellos tiempos, cambiar la orilla del Neckar por la del Pisuerga. Dos personas inolvidable, Julio Valdeón, que he tenido que recordar también en su reciente muerte y, ahora Miguel Delibes, simbolizan, ya en la memoria, ese prodigio humano _ une rareté possiblement miraculeuse, sans doute, en effet _ de la amistad.

Conocíamos la obra de Delibes _ 1962 est l’année de « Las Ratas« , après « El Camino« , en 1950 et « La Sombra deel ciprés es alargada« , en 1947 _ y admirábamos al sorprendente y extraordinario escritor. Sorprendente y extraordinario porque su literatura, en un mundo en buena parte fantasmagórico y oscuro, era una mano que nos mostraba la realidad _ quand régnaient les mensonges en cette Espagne à la chape de plomb du franquisme _, una mano tendida hacia las cosas, hacia la vida _ cettte formulation est très belle. Me gustaría que al hacer resucitar _ voilà _ estos recuerdos frente a este paisaje de tristeza, las pocas palabras con las que tengo que expresarlo hicieran latir _ battre, tel un cœur qui continue de battre… _ aquellas realidades, paradójicamente ideales, que aprendimos con él : la amistad, la memoria, las palabras.

Conocíamos, como digo, algunos libros de Delibes, pero la persona, la personalidad de Miguel era tan luminosa y sugestiva _ tiens donc ! _ como su obra. Se me inunda la memoria de anécdotas, de momentos que han quedado en ese profundo hueco del pasado y que, sin embargo, jamás se esfumarán en el olvido. Creo que mientras palpite el tiempo en el fondo de nuestro corazón _ oui _ vive en él _ toujours _ la vida de aquellos que hemos perdido y que nunca podremos dejar de querer. Una modesta, hermosa, melancólica y alegre forma de humana inmortalidad _ voilà, en forme de reconnaissance, et mélodieuse, qui ne cessera pas.

No quisiera cortar estas líneas que se inundan de recuerdos sin mencionar algo que no tiene tanto que ver con su persona sino con su obra. Aunque si bien se mira lo que hacemos y sobre todo, lo que hablamos o escribimos es siempre lo que somos _ oui ! Porque de su pluma surgía esos personajes maravillosos, creados por unos ojos brillantes de bondad _ la maldad oscurece la mirada (comme tout cela est juste ! et comme cette lumière de la bonté brille le plus souvent, hélas, par sa consternante absence ou, du moins, sa trop grande exceptionnalité…) _, de compasión _que quiere decir « sentir con el otro » _, y de inagotable ternura _ tendresse : par l’attention vraie à cette altérité de l’autre ; à l’inverse des rapacités égocentriques qui se déchaînent ces derniers temps, sous prétexte bien fort proclamé d’efficacité réaliste et de mondialité…

Delibes no es sólo el gran escritor de Castilla, el creador de un universo vivo, palpitante de realidad, sino el autor también de El hereje _ « L’Hérétique« , paru en traduction française le 20 janvier 2000, aux Éditions Verdier _, uno de los grandes libros _ en 1999 _ de la cultura española. Un libro en el que ya no se miraban los senderos de aquellos campos que recorría _ en chasseur, souvent _, de aquellos personajes con los que conversaba, sino de otros campos y otros personajes de sus sueños y, sobre todo, de la memoria histórica en que los soñaba _ je pense ici à cet autre chef d’œuvre de la littérature hispanique, où est aussi évoquée la Valladolid d’alors (et de ses hérétiques !..), qu’est le sublime « Terra nostra«  du mexicain (non nobelisé, lui non plus) Carlos Fuentes (cet extraordinaire chef d’œuvre est paru en 1975 à Barcelone)… Creo que, en cierto sentido, ese libro _ « L’Hérétique« , donc _ es una especie de ajuste de cuentas _ tranquille mais ô combien puissant ! _ con el país en el que su autor vivía _ voilà… _ : el país de la degeneración mental, de la hipocresía, de la falsedad _ ici tout est dit ; et cette Espagne là n’est certes pas morte, ni même prête à se mettre à genoux (et demander pardon) ; c’est l’Espagne des séides toujours bien vivaces des Jose María Aznar et Esperanza Aguirre ; cf aussi les films à coup sûr non obsolètes de Luis Bunuel : « Tristana« , etc…. Un libro que es preciso conocer _ = qu’il faut connaître ! _ porque, en el espejo _ véridique _ de sus páginas, podemos encontrar algunos de nuestros peores defectos _ dit ici le philosophe espagnol qu’est Emilio Lledo _ y alguna de nuestras esperanzadas, maltratadas, hostigadas, virtudes _ aussi : au singulier, ici, cette vertu : le service de la probité... La historia es efectivamente, « maestra de la vida » y su magisterio _ = son enseignement, la transmission la plus large de sa connaissance véridique _ no debe cesar nunca _ c’est un devoir de l’exigence authentiquement (et pas seulement formellement) démocratique. El escritor de Castilla _ qu’est le très grand espagnol Miguel Delibes (qu’un cancer vient, maintenant, de nous enlever) _ planteó en su obra una valerosa, clara simbología _ voilà : lumineuse ! _ en la que se hacían transparentes _ parfaitement visibles, donc, à la lecture ! _ los verdaderos _ OUI ! _ problemas de una sociedad frente a la que, indefensamente, luchaba la « libertad de conciencia« , que Cervantes _ mais lire aussi « Terra nostra« _ pone en boca del maltratado Ricote _ le marchand maure expulsé d’Espagne (et qui y revient, expatrié qu’il était en Allemagne), au chapitre XXXIV de la deuxième partie des aventures de l’ingénieux hidalgo de la Mancha, « Don Quichotte« 

Miguel Delibes pertenece a la casta _ peu nombreuse : mais par le seul mérite du courage de l’œuvre et des actes ; rien d’hérité (ni de fermé) ici… _ de los hombres de verdad _ c’est dit ! No deja de ser un consuelo _ oui ! _ ante tantos personajillos _ on apprécie le poids du suffixe _ vacíos y ambiciosos _ une paire d’adjectifs on ne peut mieux parlants _ que, a veces, pretenden confundirse con ellos. Pero no pueden _ tant que demeurent des vigilances et résistances aux petits puissants hargneux de notre air du temps ; ce combat-là ne peut jamais cesser.

Emilio Lledó es filósofo y escritor.

Merci

à Miguel Delibes, pour son œuvre de vérité ;

à Emilio Lledo, pour ce très bel hommage ;

et à un journal tel qu’El Pais, pour sa mission au quotidien…


Titus Curiosus, ce 13 mars 2010

la situation de l’artiste vrai en colère devant le marchandising du « culturel » : la poétique de Michel Deguy portée à la pleine lumière par Martin Rueff

23déc

C’est sur le modèle de « l’artiste en colère » du « Charles Baudelaire _ Un poète lyrique à l’apogée du capitalisme » (traduit en français par Jean-Yves Lacoste en une parution chez Payot en 1982 ; et rééditée enPetite bibliothèque Payoten 2002) du magnifique Walter Benjamin _ travail hélas interrompu par l’exil et la mort prématurée du philosophe à Portbou le 26 septembre 1940 ; il était né à Berlin le 15 juillet 1992 _

que Martin Rueff vient de rendre le plus bel hommage _ celui d’une analyse méthodique fouillée d’une sublime lucidité ! _ qui soit au poète (et philosophe) _ dont vient de paraître, en date du 23 octobre 2009, « La Fin dans le monde« , aux Éditions Hermann, dans la collection « Le Bel Aujourd’hui«  _ inflexible et exigeant _ au point, bien involontairement de sa part (cf le plus qu’éclairant « grand cahier Michel Deguy » qu’a dirigé et publié Jean-Pierre Moussaron, aux Éditions « Le Bleu du ciel« , à Bordeaux, en 2007), d’en « terroriser«  plus d’un encore aujourd’hui !.. _ qu’est le très grand Michel Deguy (né en 1930) ;

en même temps que « sous » l’intuition de l’analyse philosophique impeccable _ autant qu’implacable _ de Gilles Deleuze (1925-1995) en son opus _ probablement _ majeur, « Différence et répétition« , paru en 1968 :

avec ce très grand travail de fond, à l’articulation _ ultrasensible ! _ de l’intuition poétique et de l’analyse philosophique, que constitue « Différence et identité : Michel Deguy, situation d’un poète lyrique à l’apogée du capitalisme culturel« , aux Éditions Hermann, dans la collection « Le Bel Aujourd’hui« 

Car l’œuvre de Michel Deguy _ faut-il, seulement, l’indiquer ?.. _ est une œuvre tout uniment de poésie et de philosophie :

de poésie avec _ ou à partir de _ la philosophie ;

de philosophie avec _ ou à partir de _ la poésie…

Or, la tradition installée _ culturellement : à creuser… _ française

regarde d’un assez mauvais œil _ et sans pouvoir, décidément, se défaire de ce vilain travers opacifiant, qui lui nuit tant !.. en lui collant ainsi tellement, telle une taie, l’aveuglant… _ les transversalités, les transgressions de genres, les « passages » de « frontières« …

Et ce n’est certes pas un hasard que ce soit le « trans-frontières« , à maints égards, qu’est Martin Rueff :

entre littérature

(et poésie : ce n’est certes pas non plus pour rien que Martin Rueff est _ ou soit ? _ lui-même poète ; je veux dire connait _ ou connaisse _ l’expérience irremplaçable de l’écriture même de la poésie !!! Cf, par exemple, son récent « Icare crie dans un ciel de craie« , aux Éditions Belin, en 2008 ; ou/et son « Comme si quelque« , aux Éditions Comp’Act, en 2006 : succulents de délicatesse hyper-lucide ! On n’écrit, ni ne pense, à partir de rien ! Et à partir du phraser poétique vrai n’est en effet pas peu…)


entre littérature (et poésie, donc) et philosophie

_ son « L’Anthropologie du point de vue narratif (modèle poétique et modèle moral de Jean-Jacques Rousseau) » est à paraître aux Éditions Honoré Champion ; c’est de cet important travail que s’est nourrie la riche conférence « Le Pas et l’abîme, ou la causalité du roman gris » que Martin Rueff a donnée à la Société de Philosophie de Bordeaux le 8 décembre dernier ; cf mon article précédent, du 12 décembre : « L’incisivité du dire de Martin Rueff : Michel Deguy, Pier-Paolo Pasolini, Emberlificoni et le Jean-Jacques Rousseau de “Julie ou la Nouvelle Héloïse” » _ ;

entre France (Paris) et Italie (Bologne) où il réside _ à la fois ! _ ;

et enseigne (aux Universités de Paris-7-Denis Diderot, et de Bologne _ si prestigieuse : fondée en 1088, cette université qui a pris le nom de « Alma mater studiorum«  en 2000, est la plus ancienne du monde occidental (1116, pour l’université d’Oxford ; 1170, pour l’université de Montpellier ; 1250, pour celle de Salamanque ; 1253, pour la Sorbonne _) ;

entre la langue française,

dans laquelle il écrit (ses travaux personnels, si j’ose ainsi m’exprimer !) : « poésies » et « essais« ,

et la langue italienne,

qu’il traduit (si utilement) :

le poète Eugenio De Signoribus (né en 1947, à Cupra Marittima, dans la province d’Ascoli Piceno, dans la région des Marches) : « Ronde des convers« , aux Éditions Verdier, et dans la collection si belle « Terra d’altri« , à la direction de laquelle Martin Rueff a succédé au grand Bernard Simeone, que la mort nous a pris si précocement (1957-2001) ;

le philosophe Giorgio Agamben (né en 1942, à Rome _ et lecteur intensif de Walter Benjamin, dont il a été, en Italie, l’éditeur des œuvres complètes _) : « Profanations« , « La Puissance de la pensée« , « L’Amitié« , « Qu’est-ce qu’un dispositif ?« , « Nudités » ;

l’historien _ magnifique lui aussi ; et pas seulement historien, non plus _ Carlo Ginzburg (né en 1939, à Turin ; et fils de Natalia et Leone Ginzburg) : « Nulle île n’est une île« …)…

ce n’est, donc, pas tout à fait un hasard que ce soit le « trans-frontières« , à maints égards, qu’est Martin Rueff qui se soit attelé à cette tâche importante de mieux servir le travail « ressassant » et inlassablement « creuseur«  _ à la façon, mais en son genre, des « vieilles taupes » de l’Histoire, selon Marx… _ de Michel Deguy, en le mettant splendidement lumineusement en perspective,

et dans son parcours _ poétique ! même si aussi philosophique… _ singulier,

depuis « Meurtrières« , en 1959 (aux Éditions Pierre-Jean Oswald _ ce premier recueil, difficilement accessible, nous est re-donné intégralement dans le « grand cahier Michel Deguy » de Jean-Pierre Moussaron, aux Éditions « Le Bleu du ciel« , en octobre 2007, aux pages 302 à 329…), et « Fragment du cadastre« , en 1960 (aux Éditions Gallimard, collection « Le Chemin« , que dirigeait Georges Lambrichs),

jusqu’au « Sens de la visite« , en 2006 (aux Éditions Stock), et « Desolatio » et « Réouverture après travaux« , en 2007 (aux Éditions Galilée)

_ « La Fin dans le monde » n’étant pas alors encore paru : ce sera, aux Éditions Hermann, dans la collection « Le Bel Aujourd’hui«  aussi (que dirige Danielle Cohen-Lévinas), le 23 octobre 2009… _

et dans notre Histoire générale,

à partir du « modèle d’analyse de situation civilisationnelle » _ si j’ose pareille expression _ que Walter Benjamin a échafaudé, à la fin de la décennie 1930, pour « situer« , déjà, Charles Baudelaire (1821-1867), en son « Charles Baudelaire _ Un poète lyrique à l’apogée du capitalisme« …

J’ai déjà signalé la (double) « incisivité » et de Michel Deguy, et de Martin Rueff ;

et leur singulière acuité d’attention

_ civilisationnelle, politique, « culturelle«  (avec les pincettes des guillemets : sur l’usage, spécifiquement, des guillemets (et autres tirets ; dont j’use et abuse !) par Michel Deguy, lire la passionnante analyse de Martin Rueff aux pages 407 à 420 (sur « la syntaxe de Michel Deguy« ) de ce décidément richissime « Différence et répétition » !.. _

à l’état et qualités du devenir de la civilisation :

ce n’est certes pas pour rien que sur le tout dernier _ et très récent : de tout juste deux mois ! _ essai de Michel Deguy, « La Fin dans le monde« ,

 je n’ai jusqu’à présent rien lu _ ni recension, ni même seulement mention factuelle _ dans aucun journal, ni revue : il a fallu la rédaction de mes articles (de ce blog !) et l’opération de « mise » de liens avec les collections de livres disponibles à la librairie Mollat pour que je « découvre » cette parution (en date du 23 octobre dernier : il y a donc exactement deux mois aujourd’hui) !

Et cela, outre la difficulté propre _ occasionnelle ? devenue consubstantielle ? à méditer !.. _ à la « réception » (par le lectorat, au-delà de son cercle de proches : à partir de celui des pairs !) de l’œuvre entier de Michel Deguy,

et dont il se plaint, non sans humour _ mais pas non plus sans amertume _, à Jean-Pierre Moussaron, dans la _ très précieuse, vraiment ! Michel Deguy ne « se livrant » (un tout petit peu) lui-même pas très souvent… _ préface, intitulée « Autobio« , en ouverture du « Grand cahier Michel Deguy« , aux pages 6 à 10, à propos de ce que lui même nomme son propre « ressassement » :

« Je me répète, et sans doute exagérément _ pour qui ? Et littéralement, un peu plus souvent qu’à l’heure«  (page 6) ;

en précisant (page 7) :

« Peut-être le plus intéressant, dans cette affaire de ressassement _ voilà donc le terme ! _ tient-il à la composition ; à mon tournemain _ à « former » : patiemment, sans précipitation ; en apprenant à bien « accueillir« , « réceptionner« , même, en toute sa variété (de surprise), la « circonstance« … : c’est délicat ; et demande toute une vie ; au point que c’en est peut-être, bien, en allant jusque là, la principale « affaire«  _, à ma façon de construire _ bien y penser !

Affaire d’abord, de progrès lents en pensée _ dont acte ! _, de tardive _ ne fait-on pas, maintenant, l’éloge des vins de « vendanges tardives » ?.. _ maturation ; voyage au long cours _ certes ! tout un charme… _ ; avance un mot puis l’autre ; assure le pas _ voilà ! d’abord sans assurance… _ ; recommence ; rebrousse et repars _ assurément ! à la godille !.. entre les mottes de terre grasse ; et en sautant aussi de sillon en sillon…

Ensuite : de la série. C’est comme en peinture et en musique _ oui : d’un Art à un autre, apprendre l’art très délicat, lui aussi (poïétique !), de « transposer«  avec le maximum de justesse (finesse, délicatesse, donc) de la « semblance« … ; sur un schème parent, lire « L’Altération musicale _ ou ce que la musique apprend au philosophe » de l’excellent Bernard Sève… _ : sériels, leit-motive, thème et variations, reprise ; sérialité _ par exemple chez Bach ; et le père, et les fils. L’esprit de série organise non seulement une séquence, un ensemble, mais _ surtout, telle la fine cerise sur le beau gâteau _ à l’échelle de l' »œuvre », en finalise l’unification _ et la « mise en place » de ce qui vient, ainsi, « s’ajointer« , et qui se découvre alors, « sur ce tard« , seulement… : il y faut donc tout cet assez long temps (de vie à vivre ; et ainsi, finalement, vécue) ; à commencer par la chance, inégale, d’« avoir vécu«  suffisamment longtemps, donc (et peut-être aussi, en sus, un peu « appris«  ; ce qui est loin d’aller de soi, si l’on peut en juger : autour de soi…) Cela, c’est-à-dire « durer«  un peu, de fait n’est pas uniformément donné à tous… : la mort faisant son ménage entre les locataires (éventuellement) concurrentiels du viager ! Sur la perte des aimés, cf le déchirant « Desolatio«  _,

L’esprit de série organise non seulement une séquence, un ensemble, mais à l’échelle de l' »œuvre », en finalise l’unification

secrètement et explicitement _ les deux : au lecteur, « indiligent« , dit notre Montaigne !, d’être un tant soit peu attentif ! sinon, « qu’il quitte le livre !« , avertissait en ouverture de ses « Essais » ce sublime Montaigne… ; un vrai grand livre se mérite aussi un tant soit peu… _ :

entre la structure et la multiplicité effective, pièce par pièce, item par item,

c’est la récurrence _ qui demande donc (voire exige, mais sans jamais le manifester directement…) un minimum de patience ; et l’accueil (hospitalier !), de la part du lecteur, tant de la pure et stricte « neuveté« , que de la « reprise » ; jamais tout à fait strictement identique, « indiscernable« , à la première occurrence pour soi, lecteur… _,

la hantise _ aussi (obsessionnelle ?), de l’échec (final) : de la sècheresse ; du tarissement ; de (l’idée de) la mort (là où le don du temps s’interrompra, se brisera, irréversiblement, cette fois-là) : quand, chaque fois que (nous) fait défaut assez de confiance… Avec la grâce efficace de son élan.

De l' »idée fixe« , disait Valéry, aux Variétés… On la reconnaît.

Le toujours-recherché se découvre au gré de la rencontre _ à qui le dit-on ? Cf mon propre article : « Célébration de la rencontre » ; plus joyeux, lui… Je ne trouve pas, je cherche.« 

Soit un texte majeur ! que cet « Autobio« , aux pages 6-7 du « grand cahier Michel Deguy« … Merci à Jean-Pierre Moussaron de l’avoir sollicité ; et obtenu ainsi…

Et fin de l’incise sur les difficultés de la « réception«  (générale et particulière) de l’œuvre de Michel Deguy

_ « le constat de l’échouage ne me quitte jamais« , page 7 ; peut-être du fait d' »une sous-estimation de la part des autres, qui _ décidément… _ ne me préfèrent pas« , encore page 7 (en note en bas de page : « préfèrent » étant surligné !) _,

en dehors, cependant, de son cercle  _ « infracassable« , lui : ce n’est certes pas peu ! page 12 _ d’amis très fidèles ; dont Martin Rueff (cf le colloque que celui-ci organisa à Cerisy : « L’Allégresse pensive » (dont les actes sont publiés aux Éditions Belin)…

Il existe, j’y reviens donc maintenant, un vrai problème _ endémique ! _ de diffusion de l’information, à travers les filtres _ trop « intéressés » ! pas assez « libres » (= désintéressés) ! les 9/10èmes du temps _ de la presse, des medias ;

et c’est fort modestement

_ eu égard à mon lectorat ! que je ne ménage certes pas non plus par la longueur invraisemblable (!) de mes articles, en plus de mon usage (ou abus ?) des guillemets, tirets, gras, parenthèses : à en donner le vertige, m’a même (gentiment) soufflé l’ami Nathan Holchaker ! _

que je m’étais décidé, pour ma (toute petite) part, à répondre favorablement à la demande de l’équipe directionnelle de la librairie Mollat d’ouvrir ce blog, « En cherchant bien« , ou « les carnets d’un curieux »

_ sur ce qu’est un « carnet« , lire ce qu’en dit, et combien magnifiquement !, Michel Deguy lui-même dans « P.S. : Du carnet à l’archive« , aux pages 193 à 195 du « grand cahier Michel Deguy » !.. J’en partage, et comment ! toutes les analyses et conclusions !

j’en prélève et exhausse, au passage, cette remarque-ci, page 193 : « Si je travaille en carnet, c’est pour ne rien laisser passe de l’inchoatif, insignifiant même _ mais cela est toujours à voir ; et à réviser… _ de la pensée naissante _ voilà ! La crainte est de perdre à jamais quelque vérité ; crainte d’amnésies partielles inguérissables«  _ d’une vérité l’ayant, tel l’Ange, croisé et « visité« , en vitesse (supersonique !), et si discrètement !.. Et c’est aussi cela, « Le sens de la visite«  ; cf cet opus majeur (paru aux Éditions Stock) que Michel Deguy nous a donné (à tous, les lecteurs amis potentiels) en septembre 2006…

que je m’étais décidé, donc,

d’ouvrir ce blog

le 3 juillet 2008, afin de « re-médier« , fort modestement, certes _ et même probablement très illusoirement : à la Don Quichotte brisant des lances devant (plutôt que sur, ou que contre…) les moulins à vent des hauteurs de La Mancha… _, à cette « difficulté » de « médiation » d’une authentique « culture »

_ hors champ du pseudo (= faux ! mensonger ! contributeur d’illusions !) « culturel » :

une des cibles si justifiées de Michel Deguy ! Ce « culturel«  qui se conforte, grassement, à rien qu’« identifier« , reconnaître, à la « Monsieur Homais«  (de « Madame Bovary«  : Flaubert : expert en bêtise de fatuité !) ; au lieu de se laisser déporter par le jeu des différences actives de la « semblance«  et de la « différance« 

Et j’en partage ô combien ! le diagnostic avec Martin Rueff, qui en fait _ de ce « culturel« -ci… _ le décisif chapitre II (de base !) de son essai (de la page 59 à la page 96) :

car c’est bien ce « culturel« -là que désigne l’expression cruciale du sous-titre de l’essai : « à l’apogée du capitalisme culturel » ;

là-dessus, lire, aussi, les travaux (lucidissimes) de Bernard Stiegler et de Dany-Robert Dufour : par exemple « Mécréance et discrédit _ l’esprit perdu du capitalisme« , pour le premier ; et « Le Divin marché _ la révolution culturelle libérale« , pour le second… _,

à partir d’une « curiosité » qui soit « vraie » et réelle _ c’est-à-dire, pour « réelle« , effective : au fil des jours, et des mois, des saisons, des années ; au fil renouvelé (c’est une condition sine qua non !) du temps ! encore une problématique cruciale et de Michel Deguy, et de Martin Rueff ! _, et pas marchande ou de propagande (ni de divertissement ; d’entertainment !) : je dois être bien naïf, encore à mon âge (et en cet « âge » : du « capitalisme culturel« ) !..

Fin de l’incise.

et ce n’est certes pas pour rien que le dernier essai de Michel Deguy

s’intitule « La Fin dans le monde« …

Le plan de l’essai « Différence et répétition » de Martin Rueff :

Après un « Avertissement«  qui explicite le projet de l’essai et ses enjeux terriblement concrets _ et dont rend compte la quatrième de couverture

que voici :

« Les questions des spécialistes de la poésie ne sauraient être étrangères _ voilà la mission ! casser cette « étrangèreté«  préjudiciable (à la connaissance ; et à la re-connaissance, aussi, de ce qui vaut « vraiment«  !)… _ au public le plus large. J’ai voulu mettre face à face _ oui _ ceux qui ont fini par se tourner le dos : les poètes et leurs lecteurs professionnels, chagrins de la désaffection du grand public, le grand public, irrité _ lui _ de la difficulté des propositions de la poésie contemporaine. Je me suis demandé pourquoi l’art moderne _ plastique au premier chef _ avait réussi à imposer ses visions _ en formes d’images ?.. _, et pas la poésie. Il fallait donc s’expliquer, et expliquer ce que font les poètes _ voilà !

En consacrant une étude à Michel Deguy, l’un des plus grands poètes français contemporains, je me suis donc proposé de procéder comme un critique d’art : me situer _ en cette enquête _ sur le plan même _ poïétique ! _ de la création d’un inventeur de formes _ ce qui « fait » et « réalise » l’humanité effective ! à la place des « fantômes » et « zombies » en quoi on nous « vampirise«  et réduit…

Je me suis demandé ce qui faisait la singularité de Michel Deguy. J’ai trouvé que sa poésie et sa poétique rencontraient la question _ notamment philosophique _ qui a dominé la pensée et l’existence _ rien moins ! _ depuis une bonne cinquantaine d’années : celle du rapport de l’identité et de la différence. Comme il est hautement révélateur que cette rencontre ait d’abord _ du fait de sa position « en première ligne » ? _ eu lieu en poésie _ oui ! par son hyper-sensibilité extra-lucide fulgurante à son meilleur ! _, j’ai compris que la « question » du rapport poésie et philosophie était mal posée. » MARTIN RUEFF

I. Différence et identité _ pages 37 à 58.

II. Le culturel _ pages 59 à 96.

III. La poésie _ pages 97 à 192.

IV. La poétique profonde _ pages 193 à 230.

V. Le poème _ pages 231 à 406.

Suivis de deux « Annexes«  :

_ Identité et différence dans la prose _ pages 407 à 426.

_ Identité et différence entre les langues : attachement en langue et fidélité en traduction _ pages 427 à 440.

 L »approche » de Martin Rueff se fait de plus en plus précise _ et c’est passionnant de le suivre ! _ :

du « cadre » le plus général (bien concret et bien historique ! nous « emportant » !.. à analyser et faire mieux connaître !)

_ ne perdons pas de vue qu’il s’agit de « comprendre« , en l' »éclairant« , une « situation » artistique (« en tension » ; mais quel Art vrai n’est pas « en tension » ?.. sauf qu’ici la « tension » devient de plus en plus « terrible«  : celle d’« un poète lyrique« , et en l’occurrence, Michel Deguy, tout uniment poète et philosophe !, « à l’apogée du capitalisme culturel » (assez peu soucieux de l’exigence de vérité de la poésie ; pas davantage que de l’exigence de vérité de la philosophie : sinon pour ses propres usages « culturels« …), qui se déploie de plus en plus allègrement depuis 1950 jusqu’à aujourd’hui, et tout spécifiquement en ce nouveau « millénaire«  sans contre-poids (politique, notamment !) au marchandising mondialisé… ; pour une « tension » plus « terrible«  encore, en ses violences « déchaînées« , du moins, cf le travail irremplaçable (!) de Claude Mouchard : « Qui, si je criais…? Oeuvres-témoignages dans les tourmentes du XXème siècle« , paru aux Éditions Laurence Teper le 3 mai 2007…) _

_,

aux actes très précis par lesquels,

se démarquant du « culturel« ,

le poète (et philosophe) Michel Deguy cerne sa conception _ tant théorique que pratique : indissociablement ! et il est d’abord un écrivant de poèmes ! _ de la poésie

et d’une « poétique profonde » ;

pour analyser au plus près _ vers à vers, et avec quelle lucidité ! _ ce qui se construit dans « le poème« , item après item, œuvre après œuvre, de 1959 à aujourd’hui _ cela fait cinquante ans de cette écriture « creusante«  _, du poète…

Michel Deguy : « Poème, qu’il prolonge le moment de l’éveil ! Le vent aux sabots de paille sur le seuil !«  _ in « Poèmes de la presqu’île« , en 1961.

Martin Rueff commente : « Poème éveil à l’inattendu survenu en surplus d’affluence ; poème disponibilité aux différences du temps rendues simultanément actuelles« , page 385.

Michel Deguy : « Le présent, dit-il, est ce qui s’ouvre. Donc n’est pas sur le mode de ce qui contient, ou maintient en soi ; mais est ce qui est disjoint, déhiscent, disloqué, frayé _ venteux, inspiré«  _ in « Donnant donnant« , en 1981.

Martin Rueff : « Le poème saisit _ oui ! _ le lecteur au présent de la langue _ voilà _ et, par lui, la langue semble comme « rendre présent » _ oui, et en sa dérobade même _ le présent lui-même : frisson lyrique, intensité par où le poète touche, émotion quand la poésie rencontre _ oui _ le rythme profond de l’existence _ c’est tout à fait cela ! La proposition lyrique, énoncée au présent de l’indicatif, rassemble les présents et les offre au lecteur« , page 385 _ pour qu’il les fasse aussi, en cette parole énoncée, prononcée, proférée, siens… C’est superbe de vérité !

Avec cette conclusion-ci, de tout l’essai, page 406 :

« Il y a bien une raison poétique _ ni déraison, ni flatus vocis, ni mensonge… _ qui est aussi la raison des poèmes. Écrits au présent de la circonstance _ qu’il fallait « accueillir«  _, ils inaccomplissent _ en leur mouvement même, émouvant (lyrique !), de profération _ l’accompli _ des faits, des gestes (de la vie) _ pour ineffacer _ un peu, toujours _ le devenu incroyable _ une formulation de Michel Deguy sur laquelle Martin Rueff a bien fait porter toute la force de son analyse.

Martin Rueff évoque aussi, à cet égard (capital !) de l’« ineffacer le devenu incroyable« , la « réception«  active (= créatrice à son tour), par Michel Deguy du film « Shoah«  de Claude Lanzmann

(fruit de douze ans pleins de « penser au travail« , filmique, d’image-mouvement, du cinéaste qu’est devenu Claude Lanzmann, en sa propre lente maturation d’artiste-créateur !

_ cf là-dessus mes 7 articles de cet été 2009 à propos du « Lièvre de Patagonie«  : de « La joie sauvage de l’incarnation : l’”être vrais ensemble” de Claude Lanzmann _ présentation I« , le 29 juillet, à « La joie sauvage de l’incarnation : l’”être vrais ensemble” de Claude Lanzmann _ dans l”écartèlement entre la défiguration et la permanence”, “là-haut jeter le harpon” ! (VII)« , le 7 septembre… _)

: le magnifique « Au sujet de Shoah, le film de Claude Lanzmann« , que Michel Deguy a publié aux Éditions Belin, dans la collection « L’Extrême contemporain« , en 1990…

La poésie dresse _ oui ! _ la lucidité _ oui ! _ de ses « visions » et de ses « imageries logiques » contre _ oui : avec « incisivité » !.. _ les mythes de la littérature rendus puissants _ hélas, comme armes de propagande du marchandising ! _ par l’indifférence _ terriblement affadissante _ culturelle _ nihiliste : d’où la situation moribonde de la poésie aujourd’hui auprès du plus large « public«  (?) d’« humains« , « se dés-humanisant«  petit à petit, ainsi « dé-poïétisés«  eux-mêmes (cf les admirables, vraiment ! « Homo spectator«  de Marie-José Mondzain et « L’Acte esthétique«  de Baldine Saint-Girons) ;

telle la grenouille très progressivement (= insensiblement ; sinon elle s’échapperait en sautant très vite hors du bocal !) ébouillantée, sans en prendre, ainsi, jamais véritablement conscience : sans rien ressentir ; car on ne ressent que « différentiellement«  !

Porteuse de nouvelles différences _ se renouvelant par sa propre inlassable curiosité ! _, la promesse _ de vérité proprement ressentie _ des poèmes sans illusion _ de Michel Deguy :

« sans illusion«  bien (réflexivement) ressenti, cela aussi ! grâce à cette « poétique profonde » (et profondément mélancolique, aussi, dans son cas : sans la moindre auto-complaisance ! quant au savoir du devoir, un jour, cesser de vivre ; du ne pas avoir encore, indéfiniment, du temps à soi, ou à donner à d’autres, devant soi…)

grâce à cette « poétique profonde »

pas à pas mise en œuvre… _

Porteuse de nouvelles différences, la promesse des poèmes sans illusion, donc,

n’est pas vaine« …

C’est contre cette terrible force d’asphyxie de ce qui illusionne (depuis pas mal de temps : en l’ère, sinon même « à l’apogée« , « du capitalisme culturel » ; en l’ère du marchandising déchaîné…)

que Martin Rueff a mis la force d’analyse de son essai de « situation« 

d' »un poète lyrique » tel que Michel Deguy…

Grand merci, Martin, pour nous tous,

tellement « endormis« , « anesthésiés« , par cet appendice « culturel » de la déshumanisation 

et cela,

ô combien risiblement!,

pour le profit si vain _ abyssalement ridicule ! _ de quelques marchands ; et profiteurs _ de quoi jouissent-ils donc tant ? du jeu mesquin (et sadique) de leur « nuire«  ?.. _ de « pouvoir » !

Peut-être bien que, socialement du moins, « money is time » ;

mais le temps et le vivre _ qui nous sont octroyés déjà biologiquement par une certaine « espérance de vie« , même (et parfois dans des proportions de variation considérables !) variable socio-historiquement… _ méritent-ils d’être « ainsi » _ qualitativement veux-je dire _ vendus ?  

C’est de cela que Kafka _ par exemple en son « Journal«  _ savait _ et combien ! inextinguiblement !.. _ rire !

Cf aussi,

après le « Tout est risible quand on pense à la mort » de l’incomparable Thomas Bernhard _ cf son indispensable autobiographie (« L’Origine » ; « La Cave » ; « Le Souffle » ; « Le Froid » & « Un enfant » ; item après item…) ; ainsi que son ultime sublime roman-cri : « Extinction _ un effondrement« ,

aujourd’hui Imre Kertész :

lire son immense terrible « Liquidation » !

Merci, cher Martin Rueff,

de ce beau travail,

quant au devenir de l' »humain » ; en « situation » d' »anesthésie » (telle la grenouille ébouillantée lentement)…

La poésie n’est pas, non plus que la philosophie, des plus mal placés

pour le penser (et ressentir) « en vérité« …

A fortiori quand, comme avec Michel Deguy, ainsi que vous-même,

elles vont de concert !!!

Titus Curiosus, ce 23 décembre 2009

L’acuité philosophique d’Yves Michaud sur de vils mésusages du mot « mérite » : la lanterne du philosophe versus le trouble cynique des baudruches idéologiques

10oct

Mardi 13 octobre prochain, à 18 heures, Yves Michaud sera présent dans les salons Albert-Mollat pour présenter au public bordelais son lucidissime « Qu’est-ce que le mérite ?« , qui vient de paraître aux Éditions Bourin…

La « quatrième de couverture«  de ce brillant petit livre de 300 pages annonce la couleur _ ou la teneur générale _ de l’ouvrage :


« Le mérite, le travail, l’effort ont fait retour dans le discours politique et dans l’opinion.

Il faut mériter son salaire ou sa promotion ; les rémunérations doivent être fixées au mérite ; et l’on promet aux élèves méritants des décorations sur le modèle des croix d’honneur du passé.

Mais ce retour _ dans le discours politique et l’opinion _ est bizarre _ remarque, et c’est le point de départ de son enquête de « démasquage«  _ Yves Michaud : « démasquage«  du cynisme de l’idéologie, inversement proportionnel, lui, à la dose de naïveté !..

Non seulement il se produit au milieu de revendications égalitaires toujours fortes _ parmi les citoyens des États de régime « démocratique«  tout au moins ; mais la démocratie est bien en (assez) sévère « crise« , semble-t-il ; dont participe, encore, cette même idéologie _,

mais c’est aussi un drôle de mérite _ nous y voilà ! _ qui revient _ après quelques années de mise en « sommeil«  au magasin des accessoires usagés, dépareillés…

Pas question _ cette fois « moderne« -ci ! ah ! la « modernité«  ! face à la ringardise, elle a « figure«  bien avenante !.. :

bien des « figures«  se sont mises en place, en effet, dans le monde au moment (seconde moitié, louis-quatorzième, du XVIIème siècle : la France allait donner alors, et pour un moment, le ton en Europe, juste avant l’heure, le siècle suivant, de l’Angleterre marchande… ; cf le « Tirez les premiers, Messieurs les Anglais…« , à Fontenoy ; en 1745…) ;

au moment de la « Querelle des Anciens et des Modernes » : et ce sont les Modernes qui ne vont pas tarder à l’emporter au siècle suivant, dit, lui, « des Lumières«  _


Pas question, donc, de valeur morale, d’accomplissements humains, de bonnes actions _ d’« œuvres« _, de vertu _ comme cela avait été le cas au Moyen-Age théologique et au XVIIème siècle aristocratique.

On parle _ en ces discours tenus par tout un chacun, ou presque, et (largement) amplifiés (surtout) par les médias : ils ont fonction, ceux-là, entre « fait«  et « droit » (il y a de l’espace, où « pousser » quelques « coins » (d’« avantages« ), tant qu’on y est…), de « légitimation«  : c’est là la fonction (bien pragmatique !) de l’« idéologie«  _


on parle
, donc, de travail, d’efforts _ et surtout de rémunérations _ ce sont elles qu’il s’agit en effet de « justifier » (dans l’opinion) comme on ne peut plus « normales » :

là-dessus, lire les si remarquables articles de Paul Krugman, dans le New-York Times (et repris dans El Pais, en espagnol) :

j’y ai consacré cet automne quelques uns de mes propres articles, sur ce blog, au moment des élections américaines, et des espoirs suscités par l’élection de Barack Obama :

« avis d’expert« , le 8 octobre 2008 ;

« de la crise ; et du « naufrage intellectuel » à l’ère de la « rapacité »« , toujours ce 8 octobre ;

et « sur le réel et le sérieux« , le 8 novembre 2008… _

Le mérite semble _ la nuance, le doute, sinon la (re-)mise en cause, est d’importance !.. _ une sorte _ un dangereux « simili«  ! rien qu’une une contrefaçon !.. _ de droit

_ à faire reconnaître (et avaliser !) dans les mœurs (et des lois !) : par élections (démocratiques) tout particulièrement ! et en priorité ! Vox populi = vox Dei !!!

Grâce, tout particulièrement, à la très bienvenue « légalisation«  de « lois«  on ne peut plus effectives votées alors par la (on ne peut plus « légale« ) « majorité parlementaire«  :

cf, par exemple, l’éclairage presque aveuglant (!) de la situation actuelle, ces jours-ci,

après le rejet du « Lodo Alfano«  (cf cet article-ci de La Repubblica « La Consulta: lodo Alfano illegittimo« , le 7 octobre),

de l’Italie de Berlusconi… _

Le mérite semble _ bien dangereusement hélas pour le droit ! que devient-il entre les tripatouillages de ces faiseurs de lois ?! _ une sorte de droit à

récompense financière _ en tout cas quelque chose qui doit _ très (et rien que) pragmatiquement ! _ payer. » Yves Michaud.

C’est pour comprendre le sens réel _ = véritable : à rebours des paillettes aveuglantes (et régnantes de fait !) de l’idéologie ! _ du mot « mérite »,

ce qu’il cache et ce qu’il révèle _ voilà le passionnant résultat de ce très incisif travail d’élucidation d’Yves Michaud en ce « Qu’est-ce que le mérite ?«  _,

qu’Yves Michaud a écrit ce texte,

réflexion profonde

_ en effet ; entre autres grâce au très nourricier apport de ses tenants

(autant les références théologiques premières : saint Augustin, saint Thomas d’Aquin, saint Ignace de Loyola, le cardinal Bellarmin ; et aussi Luther et Calvin ;

que l’œuvre des moralistes classiques : La Rochefoucauld, La Bruyère)

et aboutissants

(le passionnant travail d’élucidation des philosophes contemporains, notamment, ou au tout premier chef, anglo-saxons : à commencer par John Rawls ; et, surtout, le prix Nobel d’Économie 1998, Amartya Sen, auquel sont consacrées de très judicieuses pages ;

mais bien d’autres aussi : Anthony Giddens, Harry G. Frankfurt, Peter Frederick Strawson, Bernard Williams, Michaël Walzer, Marc Fleurbaey, Alan Dworkin, Albert Hirschman, Judith N. Shklar, Thomas Nagel, Robert Nozick, Susan Hurley, Brian Barry, Gary S. Becker) !.. _

sur quelques aspects essentiels autant qu’étranges de la société contemporaine : primes, vanités, people, VIP, Rolex…« 

En une brève « Note sur les références«  (sous-titrée « Good bye Saint Thomas ?« ), Yves Michaud remarque en ouverture de son travail (pages 11 et 12 de son livre), l’absence du concept de « mérite«  dans la plupart des « Dictionnaires«  (tel, par exemple, celui de Monique Canto, en 1996 : « Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale« …) et « Vocabulaires«  (tel, par exemple, celui de Barbara Cassin, en 2004 : « Vocabulaire européen des philosophies« ) philosophiques ; ou de théologie (tel, par exemple, celui de Jean-Yves Lacoste, en 1998 : « Dictionnaire critique de théologie« )…

La bibliographie de départ d’Yves Michaud concerne donc, malheureusement, le seul « monde anglo-américain«  : « What Do We Deserve ? : A Reader on Justice and Desert« , de L. P. Pojman et O. McLeod (OUP 1998) et « Equality, Selected Readings« , du même L. P. Pojman, avec R. Westmoreland (OUP 1997)…


Yves Michaud ajoutant, page 12 :

« L’entrée « Desert » du « Stanford Encyclopedia of Philosophy«  sur le web htttp://plato. stanford.edu/entries/desert/ rédigée  par O. McLeod en 2008, donne une bibliographie assez riche en langue anglaise qui permettra à ceux qui le souhaitent d’aller plus loin« .

Dont acte (et merci ! pour les plus curieux)…

En passant en revue, ce matin, la presse nationale et internationale, sur le Net,

je tombe sur ceci, qui retient mon attention :

« Il n’y a pas si longtemps encore _ un passé qui, quatre-vingts ans plus tard, semble, décidément, s’être éloigné de plus en plus vite _,

un homme digne d’admiration _ voilà ! la « dignité de » en lieu et place du « mérite à » !.. _ était

un être dont le courage est un courage moral _ et pas seulement une entreprise pragmatique _,

la force une force de conviction _ effective : à rebours des seules persuasion et croyance… _,

la fermeté celle du cœur et de la vertu _ vraie :

les pages d’Yves Michaud sur les « fondements » de la vertu, parmi la foule des déterminations génétiques, ainsi que le « jeu«  social (et le renouveau actuel de la vogue des « jeux« ), sont passionnantes ; cf sa référence au livre de Ted Honderich « Êtes-vous libre ? Le problème du déterminisme« … _ ;

un être qui juge la rapidité _ celle, tout au moins, qui confond vitesse et précipitation ! _ puérile,

les feintes illicites _ = indignes _,

la mobilité et l’élan _ de simple « agitation« , ici : tout le contraire du véritable « élan«  !.. _ contraires à la dignité _ un concept fondamental, décidément, assez malmené par les temps qui courent…

Cet être, il est vrai, a fini par ne plus subsister _ tel un « vestige«  pas encore tout à fait biologiquement mort : c’était dans les décennies vingt et trente du siècle passé ; et en ce qui demeurait, dans la vieille Europe centrale, de la « kakanie«  _ que

dans le corps enseignant secondaire

et dans toute espèce de déclarations purement littéraires _ telle celle, « déclaration » (le terme est bien intéressant ! ) de Musil lui-même _ ;

c’était devenu un fantôme idéologique _ par un retournement de concept, cependant ! nous allons pouvoir le constater… ;

à moins que le « fantôme«  n’insiste à venir hanter quelques dernières mauvaises consciences ;

et ne « résiste«  ; au moins sur ce mode « d’idées« -là !.. :

sont-elles aisément tuables ? anéantissables ?..  _ ;

et la vie a dû se trouver un nouveau type de virilité » _ et de « mérite » ?.. : plus « modernes«  !!! _,

peut-on lire au très lucide, aussi, chapitre 13 de « L’Homme sans qualités » de Robert Musil,

quand le personnage d’Ulrich, qui n’en finissait pas de douter de la valeur (effective) de ses travaux scientifiques, lit quelque part ces mots : « Un cheval de course génial » :

soit un véritable coup de massue pour lui ;

comme la confirmation qu’il est décidément « un homme sans qualités« …

En cette œuvre majeure _ « L’Homme sans qualités« … _ de notre modernité (si largement kakanienne !), fruit d’une entreprise de plus de vingt ans, des années 20 du siècle passé, et interrompue à la mort brutale de Musil, en avril 1942...

J’emprunte ici cette « réflexion«  à un article suggestif de Frank Nouchi, « Le temps des « fantômes idéologiques »« , dans Le Monde en date pour l’édition papier de ce samedi 10 octobre 2009…


Que cette petite « réflexion » musilienne

_ suggérée à Franck Nouchi par l’éditrice Viviane Hamy lisant le portrait du cheval « Sea The Stars« , le crack des cracks, « né pour gagner«  écrit par Christophe Donner dans Le Monde du 7 octobre _

donne un peu à penser,

en attendant la conférence d’Yves Michaud mardi prochain, à 18 heures, dans les salons Albert-Mollat, à propos de ce brillant et tellement judicieux « Qu’est-ce que le mérite ?« ,

conférence dont j’aurai le plaisir, et l’honneur, d’assurer la fonction de modérateur…


Titus Curiosus, ce samedi 10 octobre 2009


Post-scriptum :


On pourra compléter la lecture de « Qu’est-ce que le mérite ?« 

par l’article de contribution d’Yves Michaud au n° 33 de « Philosophie Magazine«  (consacré, ce mois d’octobre-ci) au « Scandale de l’inégalité« ), aux pages 54-55 et 58-59 :

« Il faut penser l’égalité en termes de réalisation de soi«  ;

« discutant les travaux de John Rawls _ précise le sous-titre de l’article _, et, surtout, s’appuyant sur ceux d’Amartya Sen, Yves Michaud nous invite à dépasser une vision strictement économique de l’inégalité » ;

car « on oublie la liberté, la dignité, le respect de soi« …


C’est le _ très judicieux ! _ concept senyen de « capabilité » que met tout particulièrement ici en exergue Yves Michaud :

en invitant à « redonner toute sa complexité à l’idée de réalisation de soi, en comprenant que « les hommes sont divers de diverses manières », comme le dit Sen. Si vous voulez être riche comme Séguéla et avoir des Rolex, c’est un idéal qui se défend _ hum ! l’argument est, en partie du moins, assez « rhétorique«  : la « liberté«  de tels projets (de tels enrichissements) pouvant faire aussi pas mal d’ombre à d’autres (qui ne cherchent pourtant même pas à s’enrichir…)… Si vous voulez mener une vie retirée et dédiée à l’étude, c’est aussi un choix existentiel qui se défend _ portant un peu moins d’ombres à d’autres, celui-là de « choix existentiel«  Dans un cas, vous risquez d’avoir quelques problèmes de santé _ à partir du stress, peut-être… _, mais une belle Rolex. Dans l’autre, d’être un peu plus heureux et équilibré, mais plus pauvre et moins connu.

Et la tâche d’une anthropologie avancée est de tenir compte de cette complexité.

La science économique met d’ailleurs au point aujourd’hui des instruments mesurant _ ah ! la mesure ! et son « empire » ; pour ne pas dire son « impérialisme«  ; avant même Galilée, Descartes, Adam Smith… _ assez bien les inégalités de bonheur, de risque, de qualité de vie _ je pense, en France, aux travaux de Serge-Christophe Kolm _ presque toutes les publications de celui-ci sont en anglais, sauf « Bonheur Liberté, Bouddhisme profond et Modernité«  paru en 1982 aux PUF… _ ou Marc Fleurbaey » _ auteur de « Théories économiques de la justice« , aux Éditions Economica, en 1996, et « Capitalisme ou démocratie ? L’alternative du XXIème siècle« , aux Éditions Grasset, en 2006 :

peut-on ainsi lire à la page 58 du numéro 33 d’octobre 2009 de « Philosophie Magazine« 


Et le tout dernier chapitre (pages 249 à 272) de « Qu’est-ce que le mérite ? » porte précisément pour titre « Mérite et sociabilité » ;

tandis que la « conclusion«  (pages 273 à 280) s’intitule « Le Mérite et la vertu » ;

avec ces tout derniers mots, page 280 :

« Si les vertus pouvaient revivre

_ vraiment : peut-être comme au temps de la théologie, ou à celui de l’aristocratie ;

voire à celui de la « kakanie » dont se souvenait Musil ; et dont ne demeuraient plus, depuis 1919, que de « fantomatiques » vestiges dans quelques figures du « corps enseignant secondaire ; et dans toute espèce de déclarations purement littéraires« … _,

nous pourrions effectivement nous passer du mérite.

Nous n’aurions rien à _ devoir, et assez péniblement… _ mesurer.

En l’état des choses, j’ai bien peur qu’il nous faille nous en tenir à de pauvres mesures _ toujours fort approximatives !..

Encore heureux si, comme j’ai essayé de le faire comprendre, nous mesurons… leur pauvreté » : oui !..

un peu plus modestement, en quelque sorte…

Le « bisque ! bisque ! rage ! » de Dominique Baqué (« E-Love ») : l’impasse (amoureuse) du rien que sexe, ou l’avènement tranquille du pornographique (sur la « liquidation » du sentiment _ et de la personne)

22déc

Sur « E-Love _ petit marketing de la rencontre« , par Dominique Baqué, aux Éditions Anabet :

le livre de 130 pages, excellemment écrit (et c’est un euphémisme !) par une _ par ailleurs… _ très intéressante critique d’Art

(dont la photographie ;

cf par exemple, en 2004, son « Photographie plasticienne : l’extrême contemporain » ; et, en 2006, « Identifications d’une ville » _ les deux aux Éditions du Regard),

est paru en juillet 2008 ;

et vient de bénéficier dune incivive et passionnante « lecture » par le toujours très avisé (et affuté) Yves Michaud, en son blog « Traverses » sur le site de Libération, le 7 décembre dernier :

« Méfiez-vous, fillettes« , s’intitule l’article remarquable, lui aussi, qui a attiré mon attention, et « ouvert » ma « curiosité » sur ce livre important :

quant à un peu mieux clairement saisir l’air du temps…

La quatrième de couverture a l’avantage de résumer _ grosso modo _ le propos général de l’ouvrage :

« Un journal de bord _ Oui ! _ écrit à la première personne les très authentiques péripéties d’une femme prise dans les filets d’un site de rencontres _ ou plutôt d’une addiction à un tel site ; ainsi qu’à ce qui, en cascade, va s’ensuivre (en déboulant, à « train d’enfer«  : « freins«  et « marche arrière«  comme coupés !…)…

Après dix ans de vie commune et un divorce incendiaire _ là étant le branle sine qua non de l’aventure et des accélérations de ses tourbillons _, l’auteur(e) se lance _ mais sans le savoir ni le vouloir vraiment ! _ à la découverte _ malgré elle : c’est loin d’être une enquête sociologique méthodique programmée ! _ des mœurs de ses contemporains masculins  : « je cherche un homme (40-50), cultivé et curieux, tendre et cérébral, pour construire _ eh ! oui ! _ une relation durable. Hommes mariés, séducteurs d’un soir et allergiques au tabac, merci mais… non merci ».

Derrière l’échange des mails, des « chats », des occasions manquées et des aventures sexuelles compulsives, la narratrice n’épargne personne, pas plus les hommes qu’elle-même _ certes pas, en effet ! elle fut fort courageuse (sinon, à une ou deux « occasions« , même carrément téméraire) ! _, n’oubliant jamais _ enfin, presque ! _ qu’il s’agit d’un jeu _ le terme demandant, toutefois, à être un peu plus « éclairé«  _ dont il lui faudra progressivement _ à son corps (ainsi qu’âme) défendant ! _ décrypter les règles _ de fait : de  marché…

En filigrane de ce récit, se dessinent les désirs _ est-ce bien tout à fait le mot juste ?.. _ d’une société _ elle-même ? ou bien plutôt ses « membres«  : épars, et éparpillés ?.. _ qui, n’ayant plus _ ou plutôt consentant (eux-mêmes !) à ne plus vouloir si peu que ce soit le prendre _ le temps d’aimer _ et voilà bien le cœur de cible de l’affaire ! _, accélère le tempo et suscite de nouveaux _ sociologiquement, probablement ; car pour le reste, un amour est-il jamais « ordonné«  ??? _ désordres amoureux.

Premiers tâtonnements _ où l’on (= l »héroïne de l’aventure) s’égare, se perd…

« Ma faiblesse est de ne pas savoir résister au désir _ (réductivement !) physique et hic et nunc ! _ d’un homme. Toujours cette faille narcissique qui demande à être comblée » _ se dit à maintes reprises à elle-même l’auteur(e),

en « Alice«  (« Cendrillon«  dénudée ; à moins qu’elle ne se retrouve aussi en guenilles) en ce « Wonderland«  de notre « modernitude«  assez confortablement installée… :

« Wonderland«  d’instants (extatiques) pas trop longs

d’à portée de clavier, et tout de suite, à présent, désormais !.. n’arrêtant plus le « Progrès«  (de plaisirs _ orgasmiques _ remarquablement « bien tempérés« ) !…

Regardons-y donc _ attentivement intensivement : dans le détail… _ d’un peu plus près.

En fait,

« Divorcée. Me voici donc divorcée _ elle n’en revient pas…

 Je répète ces mots avec incrédulité

_ il va lui falloir bien des épreuves pour l’affronter et l’assumer vraiment ; et c’est à la dernière page seulement que Dominique Baqué acceptera le fait (d’absolue singularité) de l’amour (ou/et de son absence) : qu’il « n’est pas un produit marketing«  : soit la phrase finale de ce petit (grand) livre, à la page 124… _,

comme s’ils ne me concernaient pas, comme s’ils n’avaient pas pu m’arriver, à moi. Surtout avec cet homme _ « D.« , son « ex-mari » (page 4) _ que j’avais aimé à corps et cœur perdus.« 

Tel est l’incipit de l’essai « E-Love _ Amours & Compagnie« ,

est-il indiqué (en titre) à la page 1 (d’un premier chapitre « En faillite« )

à la place de « E-Love _ petit marketing de la rencontre« , sur la couverture !!!

Le paragraphe qui suit l’explicite : « Le divorce est comme un incendie qui dévore tout sur son passage : les êtres, mais aussi les souvenirs, les objets, les lettres, les photographies. Abrasée, calcinée, je n’existe plus«  : effondrée, avec ce sol qui se dérobe sous son pas, tout se dissout donc…

Dominique quitte donc la maison commune

avec ses « quelques biens _ pour l’essentiel des livres, trop de livres, ces livres qui envahissent mes appartements successifs et dévorent ma vie au point, parfois, de m’empêcher de la vivre _,

et accompagnée de ma fille, âgée de huit ans, qui, comme tous les enfants du divorce, fait les frais de l’incommensurable bêtise des adultes« ,

car l’enfant (de l’amour ou pas) demeure bel et bien, lui,

toute femme abandonnée ne devenant pas nécessairement Médée ;

non plus que Didon…

« Seule , je le suis doublement : trois semaines à peine avant que je fasse mes cartons, D., mon ex-mari, s’affichait _ voilà donc l’expression terrible ! _ avec une nouvelle compagne,

alors même qu’il proclamait, il y a peu encore, vouloir vivre une impériale solitude.

Je suis donc à terre, déchue

et en proie au plus cruel _ et abrasif _ des questionnements : qu’ai-je donc été pour cet homme _ est-ce donc là l’aune du réel ? _ si, après dix ans de vie commune, je suis

aussi rapidement

_ le critère de la vitesse importe à la mesure du rapport entre temporalité et consistance de la réalité, face à la perpective (de quelle consistance, elle ?) de l’éternité ;

cf Spinoza : « Nous sentons _ mais quand, comment, à quelles conditions de réalité (vérité) ? _ et expérimentons _ le questionnement redouble et jusqu’à l’infini le quid déjà ressenti au premier « niveau«  et « degré«  du (simple) sentir _ que nous sommes éternels« … _ ;

si, après dix ans de vie commune, je suis aussi rapidement

et facilement

remplacée ? _ voilà la pire blessure : la mise au néant de l’irremplaçable singularité du soi (pour l’autre aussi)…

Dix ans d’erreurs et d’illusions _ mises ainsi à la poubelle _, peut-être _ le mot est paradoxalement une opportunité de réconfort : et si le pire n’était pas le plus sûr ?..

The wrong woman in the wrong place… _ sur quelque échiquier (social) pré-programmé ; pré-installé…

quelque chose comme une erreur de parcours _ en une carrière : et si là était précisément l’erreur de fond (encore !) de Dominique Baqué, du moins au moment de l’écriture de ce premier chapitre ?..

La jalousie est une tyrannie _ sociale, encore !.. quand donc s’en extirpera-t-elle ?.. _ que je connais trop bien, pour l’avoir vécue à chaque fois qu’un homme me trompait » _ dit l’auteur(e), page 4. Et :

« je hais cette nouvelle femme presque autant que D.,

je hais leur bonheur _ ah! bon ! comment peut-elle le croire ? sachant ce qu’elle sait de son ex-mari… : elle est vraiment bien déprimée… _

si rapidement acquis _ un bonheur s’acquiert-il ? Non ! Voilà une des « erreurs«  de base, ici… _ ;

ce cadeau qui lui a été fait _ et par qui donc ??? _ à lui,

et non à moi _ que d’erreurs ! déjà… ,

de retrouver _ encore une nouvelle erreur _ les transports des premiers commencements _ que de naïvetés (de midinettes) ! que d’ignorances ! que d’inexpériences de cinquante ans de vie pourtant !…Qu’apprend-on donc de l’Art (vrai) et de la culture (quand elle est authentique) ?..

Au résultat, page 5,

« maintenant, c’est le silence _ de la solitude _ qui m’assourdissait«  _ à la place des cris (de dispute) d’un couple « mal assorti« , sans amour vrai…

« Certes, je suis de nature solitaire, les groupes me terrifient et je n’ai que peu d’amis

_ même si Dominique Baqué ajoute immédiatement, dans le souffle même de sa phrase : « mais je puis dire qu’ils _ elles, d’ailleurs _ répondent à ma haute exigence en matière d’amitié« .

Mais là, le silence était tel qu’il se cristallisait dans la pièce, se faisait minéral : on aurait pu le toucher.« 

Aussi, avec le recul de la réflexion, la conclusion semble-t-elle bel et bien s’imposer :

« C’est ce silence, bien davantage que le manque d’un corps _ tel que celui de son « ex-mari«  ; d’« un corps«  plus que d’une âme ? ou d’un visage ? et d’une vraie conversation ?.. _ qui m’a redonné le désir _ ou le besoin ? _ d’un homme _ quel qu’il soit ? _ à mes côtés _ pour « re-former«  un « couple« , en quelque sorte…

Après une telle épreuve de plusieurs mois _ car le temps passe _, j’avais d’ailleurs revu à la baisse mes exigences _ de quel ordre, quant à l’altérité d’autrui ?.. _ : je ne demandais même plus à l’autre ces conversations que j’affectionne sur la culture contemporaine _ sont-elles de suffisamment de consistance, cependant ? _ ; non, je voulais juste parler, dialoguer, raconter ma journée, écouter de la bouche d’un autre les nouvelles de son monde à lui _ ici (« son monde à lui« ), il y a progrès…


Mais la réalité _ en son « manque«  !!! _ était _ se révélait _ sans appel : il n’y avait personne à mes côtés _ dans mon lit ? seulement ?..

Pour la première fois de ma vie amoureuse _ envisagée et comme une continuité, comme un dû, comme une norme (sociale !) _,

rien _ et non pas « personne«  !!! _,

absolument rien _ encore ! _ ne se présentait«  _ comme corps d’usage à proximité immédiate, probablement ! Dans le décor familier (de l’appartement), en quelque sorte…

«  »Sors ! », me répétaient mes amies. »

Mais : « Je me méfie des galeristes, que _ en tant que « critique d’Art«  _ je soupçonne d’être aimable pour tirer de moi quelque article _ à leur profit _ profitable ;

et je tiens en piètre estime humaine _ voilà un critère un peu plus intéressant, enfin ! _ les artistes au narcissisme souvent démesuré,

incapables de s’intéresser _ ah ! l’intérêt ! et la rareté du désintéressement ! pour ne rien dire de la folie de la générosité passionnelle ! _ à autre chose qu’à leur œuvre _ en prolongement de leur (tout) petit égo _ :

j’ai d’ailleurs pris pour principe de ne regarder que les œuvres

et de ne plus jamais chercher à connaître leurs auteurs »

_ mais que peut donc « valoir«  l’œuvre de quelqu’un dont on n’a pas le moindre désir de faire (vraiment) la connaissance ?

Et en irait-il de même de tous les « rapports«  humains : en ne « s’intéressant«  rien qu’aux actes et aux résultats, bien séparément, surtout, des personnes dont ces actes et ces résultats émanent ; et (personnes) dont on se préservera avec tous les préservatifs possibles et imaginables au monde !..

« Quant aux collègues de l’université où j’enseigne,

soit ils sont déjà mariés _ et il est hors de question pour moi de jouer les backstreet _,

soit ils incarnent tout ce que je déteste dans l’université prétendument de gauche qui est la mienne :

dogmatiques et intolérants pour l’intérieur _ si tant est que cela puisse seulement se dire ! _,

vaguement négligés _ cheveux douteux, gros pull et pantalon en velours côtelé, épais mocassins _ pour l’extérieur.
Bref, l’antidote même au désir…
« 


Mais, page 8, « je n’en demeurais pas moins désespérément seule.

Décidément, il me fallait _ oh ! la fâcheuse confusion du désir avec le besoin ! _ un compagnon. Et vite«  _ qui plus était !.. Comme si le salut se trouvait dans de pareilles configurations !!! Cherchez l’erreur !..

avec ce commentaire hyper-lucide, à côté, cependant : 

« D’autant que la haine _ voilà le terreau de tout cela : sur le ressentiment, lire Nietzsche (« La Généalogie de la morale« ,  » Par-delà le Bien et le mal« , etc…)… _ ;

D’autant que la haine se nourrit de vengeance _ tout part ici de là _, et que, oui, je voulais me venger _ Bisque ! bisque! rage !!! _ de ce bonheur _ vraiment ? un peu moins se laisser prendre aux « images«  et aux récits « rapportés«  _ trop expansif _ ou seulement démonstratif, exhibé, voire exhibitionniste ? _ que D. affichait

_ voilà donc le mot ! nous ne sortons guère du monde de la « publicité« , de la « publication«  (et de ce que Michaël Foessel analyse si joliment sous son expression si juste de « La Privation de l’intime » cf mon article du 11 novembre dernier : « la pulvérisation maintenant de l’intime : une menace envers la démocratie » _ 

jusque dans les rues, m’avait-on rapporté _ bien sûr : le « dispositif«  (social) fonctionne à plein (et envers le seul amour-propre socialisé)…

Alors, page 8 : « Ce n’est qu’en me souvenant d’articles consacrés dans la presse à l’expansion des sites de rencontres _ de quel type ? Dominique Baqué ne semble pas s’en inquiéter ; ni au présent de son histoire ; ni à celui de son écriture : elle demeure encore (un peu) trop « collée«  à son sujet ; et à sa « mésaventure«  _ que, peu à peu, l’idée a pris corps _ significative tournure ! quant à la représentation, même métaphorique d’un corps (et du peu de réflexion sur « tout ce que peut un corps« , ainsi que le formule l’admirable Spinoza, en son « Éthique« …) _ de m’inscrire sur l’un d’entre eux… »

« Pour moi _ continue Dominique Baqué, page 9 _, s’inscrire sur un site de rencontres resta l’aveu d’un échec ;

d’une incapacité à séduire _ séduire est-il de l’ordre de la stratégie ? de la technique ? de l’instrumental ? _ par des voies que j’oserais dire plus « naturelles » _ moins « artificieuses«  et « factices« , plutôt _, la signature d’un abandon.

J’hésitai longtemps avant d’y souscrire.

En revanche, une fois que la décision fut prise,

je mis tout en œuvre pour y adhérer vraiment _ elle met le paquet ! Et j’y crus, au début, tant il est vrai que pour toute chose _ naïveté signifie « neuveté«  _ « les commencements sont les temps les plus beaux »... Sauf que l’enfance est aussi le sommeil de la raison…

Je me garderai bien de déflorer le reste,

qui est passionnant,

pour cette Alice – Cendrillon au « Pays des Merveilles«  !

Je me contenterai de relever quelques annotations :


Page 29-30, cette confidence de Paul :

« « Pour un homme, le site c’est extraordinaire, c’est comme une boulangerie géante où l’on choisirait ses gâteaux… » Un peu interloquée par la comparaison pâtissière, je la trouvai par la suite très juste : Paul avait formulé tout haut ce que tant d’internautes pensaient tout bas, derrière _ par rapport à l’interlocutrice _ leur écran. Le Net était un hypermarché du sexe,

et celle qui en attendait autre chose _ « construire une relation authentique« , avait écrit Dominique sur sa petite annonce ; « séducteurs d’un soir, non merci«  (page 14) _ risquait fort d’être déçue. Ce fut, si je puis la formuler ainsi, la première « leçon » de mon apprentissage sur le réseau« , page 30 du chapitre « Premiers tâtonnements« …


Pages 67-68, au final du chapitre « Compulsion et rentabilité« , et à propos de l’« addiction« , confrontée à l’accumulation des « déceptions«  :

« La puissance du Net (…) joue fort efficacement sur la dialectique du « décept » et de la réparation narcissique.

Lorsque vous venez de vous faire éconduire, plus ou moins brutalement, par un homme,

vous êtes en état de grande vulnérabilité psychique ;

vous venez de subir quelque chose de l’ordre de la blessure narcissique ;

et cette blessure réclame réparation _ au sens freudien du terme  _ ou comment ne pas demeurer scotché, encalminé, à l’échec ?

Mais comment réparer ? Aussi incroyable que cela puisse paraître à ceux qui sont extérieurs au réseau,

en attendant le prochain flash…

Car, et c’est une autre force du système _ et c’est là un des apports fructueux de l’analyse de Dominique Baqué _, vous repartez vierge, si j’ose dire, à chaque expérience : tout est oublié,

c’est la prochaine expérience,

le prochain partenaire _ et ils sont légion à se bousculer à votre portillon ! comme les non-joueurs au Loto qui ont 100 % de chances de ne pas y gagner ! _,

qui seront les bons _ ou la force (magicienne) de la croyance !

La capacité d’oubli sur le Net est extraordinaire. C’est elle qui permet qu’à chaque fois la machine puisse se relancer.

Qu’un homme _ au sens physiologique _ vous flashe et vous adresse des mails flatteurs, puis érotiques,

contribue ainsi très vite _ et très facilement _ à une restauration narcissique _ bien peu exigeante, par là _,

quand bien même celle-ci est sujette à caution

et tout à fait provisoire.

Mais cela,

vous choisissez _ dans la fébrilité de l’instant et de ce qu’il semble offrir de possibilités _ de l’ignorer _ soit vous illusionner ! _,

et donc de poursuivre.

La puissance du Net joue avec et sur des pulsions archaïques fondatrices du psychisme » _ infantile, et infantilisant, donc : en jouant l’exclusivité du « principe de plaisir«  par rapport au « principe de réalité«  !..

« D’autant plus que, dans cet univers de la marchandise qu’est le réseau,

la machine induit d’elle-même des comportements addictifs : le sujet y voit son désir certes mis à mal _ par le réel auquel il vient, durement et durablement, se cogner _, mais sans cesse relancé par la compulsivité des annonces. Plus je consomme, plus le désir en redemande _ mieux et davantage : le manque se creuse, qu’il faut très vite combler.

La machine s’affole :

je passe de corps en corps,

de lit en lit. Malgré moi, malgré les puissances de la rationalité qui m’enjoignent de tout arrêter,

je poursuis,

prise dans les rets de ce jeu,

et la fascination _ du « joueur » : cf Dostoïevski _ pour le toujours-davantage.


Mais
que l’on ne s’y trompe pas : il ne s’agit guère de libertinage _ pratique sexuelle hautement cérébrale à laquelle la littérature, dix-huitiémiste notamment, a donné des lettres de noblesse.

Les joueurs du Net ne peuvent être des libertins,

parce qu’ils sont happés par l’univers de la marchandise.

Et dans cet univers, il y a peu de surprise,

peu de marge de liberté aussi : chacun est programmé,

qu’il le sache lucidement ou non,

pour une sorte de parcours fléché

au terme duquel

on ne rencontre jamais l’autre,

mais une marchandise.« 

Tout est donc exhumé ici !..

« Ainsi pourrait-on dire que le pornographique s’est saisi d’un outil, le Net,

et qu’il contribue largement au devenir-marchandise des corps _ vidés d’âme : voilà !!!
Sans issue.
« 

Vient alors, au chapitre « Je suis foutue » _ car « amoureuse !«  _ page 72, ce qui s’avèrera la seule vraie rencontre (du moins possible) : avec quelqu’un ! qui soit une « personne«  !.. (et pas rien qu’un porteur d’un sexe ; ou de plusieurs…) :

« J’attends. Je l’attends _ Nathan _, depuis une demi-heure maintenant (…) lorsque soudain il est devant moi, haletant d’avoir trop couru, dans l’envol de son trench blanc et son parfum de Lucky Strike. Je lève les yeux,

et enfin surgit un visage. Nathan a un visage,

là où les autres n’avaient que des têtes… _ comme c’est magnifiquement ressenti…

Et aussitôt résonne en moi la phrase de Roland Barthes s’apercevant _ dans « Fragments d’un discours amoureux«  _, comme une évidence brutale, qu’il est amoureux : « Je suis foutu »…

Surtout ne rien laisser transparaître de mon éblouissement,

même si, tout en parlant, je ne cesse d’admirer la beauté brune et sèche de son visage,

qui n’est pas sans évoquer celui de l’acteur Laurent Terzieff dans sa jeunesse…

Très vite, avec Nathan, la complicité se noue : il entretient avec la langue le même rapport que moi à l’écriture,

c’est dire combien il aime converser

et surtout, par comparaison avec ses prédécesseurs, combien sa parole fait sens…

Etc… page 73… Tout cela _ quant aux conditions du « sens«  _ est en effet très important…

… 

Mais, bientôt, page 78, un peu plus tard ce même soir :

« Nous faisons l’amour. Mal.

Nathan est peut-être un libertin, comme il me l’a laissé entendre à diverses reprises _ cette longue soirée-là, déjà _,

mais c’est un amant médiocre.
A la vérité, je ne suis même pas déçue,

je m’en moque.
Car pendant l’amour, je n’ai cessé de contempler
_ mais regarder ainsi, est-ce aimer ? ou seulement « tomber amoureux«  ? _ son visage sublime, concentré,

dépourvu de toute expressivité _ ah ! bon ! Presque dur.

Etc…

Le chapitre suivant, intitulé « La douleur » _ pages 85 à 89 _,
réserve quelques jolies surprises,

bel et bien « libertines« , effectivement, cette fois-ci…

Avec suites bien décevantes _ je n’en dirai pas davantage ici _ pour Dominique.

Avec un épilogue (tardif) le 1er janvier 2008 :

« Je n’aurai la clef de cet abandon que le le 1er janvier 2008 lorsque, mue par je ne sais quelle nostalgie,

j‘adresserai à Nathan, sur son adresse électronique personnelle _ et non sur le « site de rencontres«  _, un mail de bonne année,

qui se voulait élégant et distancé, mais non exempt de mélancolie,

puisque je lui avouais

qu’il avait été le seul homme à avoir su m’émouvoir

_ le mot compte : prémisse à l’émergence (mort-née ?..) de sentiments ? _

depuis mon divorce.

Il me répondit ce qui suit :

« Bonne année à toi, Dominique.

Si j’ai cessé tout contact avec toi,

c’était pour que la coupure soit nette et sans appel.

Je voulais _ ah ! le vouloir en ces « affaires«  ! est nul et non advenu ! _ pour nous deux une relation sans concessions,

où tu aurais tenu le rôle d’objet sexuel _ voilà qui est on ne peut plus clair !

J’avais trop d’amitié pour toi pour te l’imposer _ ce « rôle«  d’« objet«  _ ,

et trop de désirs _ mais est-ce bien là le terme adéquat ? au moins, est-ce ainsi, que lui, Nathan, se dit, à lui-même d’abord, l’éprouver… _ pour ne pas le regretter.

Nathan. »

Les deux derniers chapitres d' »E-Love » s’intitulent « l’amour sans amour« 

et « une affaire de marketing » :

à relier avec le projet de Dominique de « construire une relation authentique«  (page 14)…

« Echaudée par ma dernière relation avec Mounir, lasse soudain, je cessai de consulter le site de rencontres sur mon ordinateur«  (page 105).

« J’étais déjà quelque peu misandre avant cette expérience, je le devins davantage encore.
Je ne comprenais décidément rien à ces hommes qui, tels des girouettes, disent et se dédisent,

n’accordent aucune valeur à la parole donnée _ comment vivre sans confiance vraie ? _,

se comportent comme des goujats,

n’honorent pas les rendez-vous convenus.
et qui, surtout,

ne semblent rien savoir de ce qu’ils veulent vraiment,

ni de ce qu’ils traquent sur le réseau.« 

« Pourquoi n’avoir pas arrêté, de nouveau ? »

« C’est la narration, par ma fille, de ce qui semblait être un bonheur édénique

entre D., mon ex-époux, et sa nouvelle compagne,

qui, de rage,

me réinstalla face au clavier.

Piètre argument en vérité _ convient-elle _ : je savais d’ores et déjà que je ne trouverais jamais l’équivalent _ mais que vaut ici ce vocabulaire (d' »équivalence« ) ? _ sur le site

de ce bonheur supposé _ deux termes à mettre aussi, et de toute urgence, au trébuchet !..

Je commençais à me sentir vraiment désabusée : toutes mes illusions s’étaient envolées au fil des rencontres _ qui n’en étaient que de grimaçantes, affreuses, caricatures ! _ ;

et aussi (page 116) :

« Mounir, Olivier, Nathan, Charles, Mario et tant d’autres encore

m’apprirent la multitude des corps ;

mais la relative indifférenciation des pratiques,

quand bien même un amant était plus attentionné qu’un autre,

ou plus performant,

ou plus inventif _ Mario étant, je l’ai dit, celui qui me donna le plus de plaisir.

Mais il existe paradoxalement un ennui, à la longue, de passer de corps en corps,

tant la sexualité, somme toute, propose peu de variations :

en ce sens,

j’irai jusqu’à dire que

la pornographie,

précisément parce qu’elle est la caricature codée de la sexualité,

en propose une certaine vérité.

C’est cette répétition du même dans l’autre,

et plus encore le devenir-marchandise des corps,

qui me semblent caractériser la vie sexuelle sur le Net,

et qui ont fait que, peu à peu, malgré mon addiction, je m’en suis détachée :

je crois finalement plus passionnant _ mais la passion, Dominique,

se prête-t-elle jamais,

ni si peu que ce soit,

à quelque comparaison que ce soit ??? _

d’explorer les possibles d’un seul corps _ mais s’agit-il bien de « propositions«  d’« expérimentations«  (= « explorations« ) ? _

que d’échanger des corps

qui,

du fait même de l’échange,

en deviennent indifférenciés,

l’altérité se perdant dans une sorte de communauté molle…

_ ou la pataugeoire gluante du nihilisme…

Par ailleurs,

une telle sexualité oblitère la parole :

je veux dire par là que la parole y est réduite à sa simple fonction

d’introduction

et d’accompagnement.

 Elle ouvre _ a minima !!! _ la rencontre,

permet diplomatiquement _ très minimalement encore !!! _ que l’accouplement ne soit pas trop brutal

_ on appréciera l’oxymore, entre « degré de brutalité«  et « permissivité diplomatique«  ! par où « faut-il«  donc venir « en passer«  ? et pour quels « résultats« , diantre, bigre !?! Quels Thermopyles (de la relation :

mais entre quoi : entre des corps ?

et réduits, qui plus est, à de purs sexes ?

quelle étrange (drastique) « réduction«  gymnique ?! ) ?! _,

mais ne vise à rien d’autre qu’à l’amener _ cet accouplement-là !..

Tout ça rien que pour ce si peu-là !..

Les mails et surtout les chats sont dotés d’une seule fonction _ toujours la réduction (du « modèle«  d’instrumentalisation « économique« ) _ :

après des circonvolutions et détours plus ou moins développés _ plutôt les « abréger« , parant (seulement) au plus pressé (et à moindre coût) : « time is money« , « isn’t it ? » _,

fixer le premier rendez-vous qui,

en principe,

amènera _ et le plus tôt sera le mieux _

à la relation sexuelle _ soit l’objectif (orgasmique) !

Quant à la parole vivante _ on admirera l’adjectif _ du rendez-vous _ en tant que tel _,

elle prend le relais :

elle est purement marchande et fonctionnelle _ ne s’agissant que d’une transaction à régler (vite fait, bien fait)…

Une borne phonique automatisée ferait quasiment aussi bien _ voire mieux _ l’affaire !..


Il est très rare qu’elle donne lieu à une véritable conversation

_ tout un art ! et toute une culture ;

sinon, une « civilisation«  (« des mœurs« , nous dirait un Norbert Elias  : l’édition originale de son livre datant _ très significativement _ de 1939 (et en Angleterre) !!!..

Et sur « l’art de la conversation » lui-même,

on se reportera à la très remarquable anthologie réunie en 1997 par Jacqueline Hellegouarc’h, aux Classiques Garnier : l’anthologie va du Père Bouhours à l’Abbé André Morellet)… _ ;


Il est très rare qu’elle donne lieu à une véritable conversation _ donc, je reprends _,

un authentique débat d’idées _ quelle idée ! saugrenue !!! en pareille tractation d’« accouplement«  (de sexes)… _,

puisque l’essentiel _ aïe ! _ se joue ailleurs,

dans la rencontre _ réduite au strict physiologique (génital) _ des corps.


En fait la parole _ puisque c’est d’elle qu’il s’agit dans cette notation importante de Dominique Baqué _,

participe d’une même mécanique

que l’ensemble des rapports sur le Net :

c’est, elle aussi, une « parole marchande »

qui suit les sentiers très balisés d’un questionnaire soumis à peu de variations

_ profession, enfants, projets, précédentes rencontres sur le réseau, etc… _,

et coupe court _ certes ! ce n’est pas là le bon « flux«  !.. et « couper court«  est tout son office !… _

à tout véritable dialogue,

chacun des protagonistes ne se demandant qu’une chose :

« Est-ce qu’il/elle me plaît ? Est-ce que moi je lui plais ?.. »

_ dans l’unique perspective, et à très court terme (pour ne pas dire « immédiat« ), d’être tout simplement « agréé«  (comme sexe…) à la chose à accomplir (ou pas) ici et maintenant : sur le champ et sur l’heure (et, éventuellement, un lit)…

Cf Crébillon fils, en 1755 : « La Nuit et le moment« ...

« C’est pourquoi

_ et c’est la conclusion de ce chapitre « L’amour sans amour » _

les chats et les mails sur le Net

sont d’une telle pauvreté sémantique

_ et humaine « non-inhumaine« ,

ainsi que le dirait un Bernard Stiegler (dans « Prendre soin 1 _ de la jeunesse et des générations« )... _ :

ils ne cherchent pas à faire sens,

mais _ rien que _ à être efficaces,

à frapper leur cible _ obtenir leur effet…

Nul besoin de littérature pour cela…


Sauf pour ceux qui ne vivent que dans le virtuel

_ cela devient de plus en plus (technologiquement ) possible ! _

et ne passent _ même… _ jamais au stade de la rencontre _ il y en a, même s’ils sont

_ pour le moment, encore, probablement… _

minoritaires _ ;

pour les autres (que ces partisans du virtuel-là),

il s’agit d’accélérer le tempo de la rencontre _ en effet ! _

pour plus vite passer à l’acte _ ce sont des hyper-actifs !!! et à quoi bon perdre son temps

en circonvolutions (et préliminaires intempestifs) ?..


Car le temps du Net

n’est pas de l’ordre de la temporalité ordinaire _ c’est fort bien vu !!! _ :

c’est un temps compressé,

où chacun s’applique à faire vite _ sans perdre la moindre once de son temps (de vie : si précieux !..) _,

dans l’urgence sexuelle _ cela vaut mieux que d’employer le beau mot de « désir«  en pareille occurrence… _

des corps

_ strictement envisagés dans l’ordre du pur physiologique :

bien séparés ici de quelque âme que ce soit :

tant celle de soi, que celle de l’autre ;

ainsi que de celles de tous les autres…

Il n’y a plus ici que de ces poupées à la Bellmer :

point qui n’échappe d’ailleurs pas à certains de ces « sexo-protagonistes«  :

dont Nathan (page 79) :

« Est-ce ce que tu veux jouer à la poupée avec moi ? »

Et va s’ensuivre,

après « un relooking complet«  (toujours page 79),

toute une opération (dans le quartier du Palais Royal) où se précise ce « qu’il appelle jouer à la poupée avec lui » (page 82),

que commente ainsi Dominique :

« je me savais exhibitionniste, mais n’avais eu jusqu’alors aucune occasion de manifester cette préférence sexuelle : Nathan m’a tout de suite devinée« …


Quant à Charles,

après avoir prononcé (page 64) « cette phrase que je n’ai entendue de la part d’aucun autre homme : « Fais de moi ce que tu veux, je suis ta pute »,

il « s’adresse maintenant » (page 65) à Dominique « comme à une pute » :

ce qui vaut ce commentaire de l’auteur :

« j’ai toujours eu des difficultés à accepter, voire même à entendre, la crudité de la parole sexuelle masculine. »

Avec cette « leçon«  de l’expérience (page 66) :

« Je me sens en péril : peut-être suis-je allée trop loin dans les sites de rencontres.

C’est la compulsivité qui, après une euphorie factice, a déclenché mon angoisse.

Je suis en train de m’égarer dans des rapports sexuels dépourvus de sens

_ comme en Art, comme en tout, c’est bien la question du sens qui est cruciale !!! _,

je ne fais que participer à l’échange généralisé _ interchangeable jusqu’à plus soif ! et à n’en plus pouvoir mais… _ des corps sur le réseau.« 


« Il n’est pas sûr, loin s’en faut _ commente alors Dominique, page 66 toujours) _ que cela convienne à mon mode d’être _ et c’est probablement un euphémisme…

Que veux-je prouver ? _ et à qui donc ?.. Que je peux séduire, encore ? C’est fait.

Mais à quel prix…
Quelques images brouillées, des bribes de souvenirs, des prénoms qui se mélangeront dans ma mémoire oublieuse
. »

Mais la carrière de « poupée soumise » que Dominique avoue avoir « donc accepté de devenir » pour Nathan (page 85)

s’arrêtera là ;

et pas de son fait, mais de celui de Nathan,

qui choisit (par là) de la préserver d’y donner suite.

J’ai déjà, plus haut, indiqué pourquoi, avec ce « dernier mail de Nathan« , « le 1er janvier 2008«  (page 89) :

« Je voulais pour nous deux une relation sans concessions _ bigre ! _,

où tu aurais tenu le rôle d’objet sexuel _ voilà la clé de ce mot de « poupée«  !..

J’avais trop d’amitié _ un rapport à autrui « non-inhumain«  !.. _ pour te l’imposer

_ à une esclave ; à une bête domptée ; à une chose « dés-humanisée«  !.. ;

et trop de désirs _ sado-masochistes _ pour ne pas le regretter«  :

Nathan (militant _ pour les élections municipales à Bordeaux _ du PS : page 87) a su tout de même, de ces « désirs« -là, faire son deuil, avec elle, du moins ; sinon avec d’autres…

Voilà qui donne aussi pas mal à penser…

Quant à Mounir,

« Mounir _ même _ n’est plus Mounir«  (page 102), le jour où pour la première fois il l’emmène chez lui :

« Les caresses sont plus rudes qu’à l’accoutumée. Mounir me pénètre plus rapidement

et, pour la première fois, il parle. D’une voix péremptoire, sans appel.

_ « Dis-moi que tu es ma chose. »

Cette fois-ci, je sens que ce n’est pas comme avec Olivier,

je pressens que

si je me moque,

les choses vont mal tourner,

même si je ne sais de quelle façon.

Mounir n’est plus Mounir. Je répète donc, d’une voix atone que, oui, je suis sa chose.
Mais Mounir veut, si j’ose dire
_ et c’est bien de « volonté«  (et du seul rapport de forces) qu’il s’agit là _ des aveux complets.

_ « Dis : « Je suis ta pute« .

_ …
_ Dis-le ! » (page 102)…


(…)

Soudain, dans le combat qui s’engage, je comprends que je suis perdante.

Pour d’inexplicables raisons, Mounir a changé.

Personne ne sait où je suis ce soir-là _ le point (contextuel) est d’importance.

Si les choses dérapent _ (!!!) _ personne ne viendra à mon aide.
Je choisis de capituler, dans un souffle.

La mort dans l’âme _ qui demeure, donc…

Je suis vaincue.

Et à propos de cette « énigme » de « la transformation de Mounir« ,

ces réflexions, encore, page 103 :

« Je crois que, pour la première fois chez lui, en territoire conquis,

il put enfin laisser libre cours à ses fantasmes

_ ce qu’il se retenait de faire chez moi :

assumer sa domination sur moi,

me chosifier,

me traiter comme une putain.

Soit le fantasme finalement le plus partagé par les hommes du Net

_ ou une « nouvelle«  « humanité« , probablement…

(…)

Face à une femme du réseau _ d’une « nouvelle » « humanité« , probablement aussi… _,

ils s’arrogent immédiatement le droit d’en faire une chose,

de la constituer en marchandise…

Dans le meilleur des cas,

d’en faire une pure surface de projection fantasmatique ;

dans le pire,

de la traiter comme une putain,

les conventions sociales ayant explosé _ dans les rapports « humains«  _ avec une violence inouïe » .

Alors, au bilan de son dernier chapitre, d’à peine 5 pages (intitulé « Une affaire de marketing« ),

« après cinq mois de pratique intensive du Net » _ tel en est l’incipit, page 119 _, et « pour une seule vraie rencontre, celle de Nathan« ,

Dominique Baqué ne peut plus refuser « l’évidence » :

« je n’avais été _ et cela, depuis la rédaction de l’annonce _ qu’un pur produit de marketing. Une marchandise à vendre, ou plutôt à louer, avant date de péremption«  _ sur ce marché-là, s’entend… ; avec un « statut » guère « différent, rétribution en moins« , de celui des « femmes des célèbres vitrines rouges d’Amsterdam… »

C’est que « le Net se repaît de mensonges.

Qui voudrait donner de soi une image juste ?

Entre l’image plus ou moins formatée par les codes publicitaires que l’on expose sur le Net

et la propre projection fantasmatique de celui auquel elle _ cette « image« -là _ s’adresse,

se joue déjà un double effet de décalage _ en est-on forcément, et dans quelle mesure, dupe ?..

Dès lors, il ne peut y avoir que maldonne _ pour tous ? même les corps (ou sexes) ?..

Et duperie.


Et cela pour ne rien dire de ce (« authenticité« , « tendresse« , « sensualité« ) que « promettent«  ou « proposent«  _ comment faut-il le qualifier ?les « annonces«  elles-mêmes…

« Vaste histrionisme de ces annonces,

mensonge élevé au rang d’un art ubuesque,

comédie des sentiments,

leurre des apparences.

Car tout est _ donc... _ leurre et mensonge sur le Net » :

« l’annonce _ en tant qu’« appel à la consommation

qui se modélise d’ailleurs assez souvent sur le modèle publicitaire » _ ;

« la photographie«  ;

« mais surtout, et plus gravement, c’est la rencontre elle-même qui est un leurre :

parce que chacun est pour l’autre,

au mieux,

une surface de projection fantasmatique ;

au pire,

un produit à consommer le plus vite possible ;

l’autre est nié

dans son altérité même«  _ voilà le plus « grave » et destructeur, en effet, des liens de personne à personne ; dans la vérité des regards et des visages… ;

pour ne rien dire de ce qui est détruit

de la personne même ; elle-même

_ si tant est qu’une identité puisse (jamais !) s’établir et se constituer à l’écart de ses rapports avec les autres, bien sûr !!!


Dominique Baqué le dégage parfaitement, page 121 :

« Dans ce monde du leurre et de la marchandise,

il ne peut y avoir ni « envisagement »

_ un autre disait on ne peut plus explicitement : « la tête sous l’oreiller«  ; et, seul, le seul le sexe « offert »  _ ;

ni dialogue

comme vecteur _ dynamisant ! vers toi !.. _ de sens :

tout est réglé mécaniquement _ « protocolisé« , en quelque sorte (avec masque);

le monde des possibles est comme écrasé ;

ne reste que le parcours fléché _ et à tapis roulant _

entre deux sujets _ en fait « objets assujettis«  ; certes pas « sujets s’inventant leur propre devenir« , « librement«  !.. _

qui n’adviendront jamais l’un à l’autre _ non plus qu’à eux-mêmes, d’ailleurs,

en ce bal des ectoplasmes (hyper) sexués…

Le triste, est que « cependant vous poursuivez,

car vous êtes devenue addict

_ addict aux visages _ ou plutôt masques-leurres (et sans visage, justement !!!) _ qui se déroulent _ ou dévident _ sur l’écran _ électronique _, chaque soir ;

aux flashs et aux mails ;

à cette excitation factice

dont vous ne parvenez plus à vous passer _ du frisson de nuage de possibles (en grappes, et comme à l’infini) suscitant de l’attente… _ ;

tant il est vrai _ réellement avéré _ que le réseau est une addiction comme une autre,

avec sa part d’irrationalité et ses zones d’ombre _ qui peuvent, de fait, charmer _ ;

et dont il est extrêmement difficile de se défaire,

malgré coups bas, humiliations et rendez-vous manqués » _ à croire que le masochisme primaire et la pulsion de mort, sont considérablement puissants, dirait Freud (en ses « Essais de psychanalyse« )…

« Dommage que l’on ne puisse filmer ni enregistrer ces rencontres piteuses et drolatiques

_ je me souviens d’en avoir été jadis le témoin (très amusé !), en un lieu voué à de telles « rencontres«  « de sexe« , vacancières _,

cela ferait des sketches à l’humour imparable » _ à la Dino Risi : « Les Monstres » et « Les Nouveaux monstres« , autant que « Le Fanfaron » ; plus encore peut-être que bien des comédies acides de Woody Allen… _, s’amuse alors Dominique Baqué, page 122.

« Une véritable comédie humaine s’y déroulerait sous nos yeux,

avec pour enjeu majeur « ça ».

Ça : faire l’amour _ baiser, niquer.

Car l’une des caractéristiques majeures des rencontres sur le Net

étant une formidable accélération _ cf Paul Virilio _ du temps,

vous pouvez vous retrouver dans le lit

de celui qui était un parfait inconnu il y a une heure à peine

_ ce qui a pour effet pervers

_ par la (seule) pente (raide) à toujours « passer à autre chose«  !.. _

d’épuiser la possibilité même d’une relation ;

ou de la réduire fatalement, si j’ose dire, à n’être que la répétition de cette première fois :

soit une relation strictement sexuelle,

où jamais la dimension affective

_ vécue désormais comme « étrangère«  et « surnuméraire«  : « parasite«  ! _

ne viendra _ de « l’extérieur«  ! _ s’immiscer«  :

voilà qui donne bien à penser…

Roland Barthes développant cette analyse de la bien plus grande obscénité du sentiment (que du sexe)…

Et si,

en dépit du « Méfiez-vous, fillettes« , par lequel le bien avisé _ et avisant !!! _ Yves Michaud ponctue on ne peut plus clairement, par ce titre, son article sur ce lucide livre de Dominique Baqué,

« vous voulez y aller malgré tout _ Mesdames _,

alors affutez vos armes,

soyez drôle,

cynique ;

transformez-vous en guerrière du sexe : séduisez, prenez et jetez = vengez-vous bien !..

Surtout n’attendez rien d’autre des hommes _ à commencer par l’envisagement de « construire une relation authentique » (page 14)…

Amusez vous comme savent le faire les hommes.
Devenez une dominatrice
_ à votre tour, faites d’eux vos « poupées » !..

Ainsi le Net deviendra pour vous _ aussi, à votre tour, donc ! _ ce qu’il est et n’a jamais cessé d’être : l’espace d’un échange généralisé des _ seuls _ corps _ ayant abandonné ce qui leur restait (peut-être ?) d’âme au vestiaire…

N’y cherchez surtout pas l’amour _ qui ne se recherche jamais !

il ne fait qu’être trouvé, rencontré, accueilli ;

et c’est déjà beaucoup, si le voilà qui vient à passer pas trop loin de votre attention flottante… ;

cela doit (ou devrait) finir tout de même par s’apprendre, à un certain âge ;

du moins, cela (je veux dire un tel « apprentissage » ; une telle « sagesse de l’amour« )

peut (ou pourrait) raisonnablement s’espérer

(sans aller, cependant, jusqu’à s’escompter, toutefois !)… _ :

il ne sera pas au rendez-vous

_ car tel n’est pas (du tout !) le mode d’« arriver«  (= « survenir« ) de l’amour…

« L’amour n’est pas _ du tout ! il le fuit même irrévocablement ! comme la peste ! _ un produit marketing...


L’heure du marché viendrait-elle soudain de passer

cet automne ?..

Titus Curiosus, le 21 décembre 2008

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