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Vacances venitiennes (II)

17juil

Si vous avez assez de patience pour « suivre » jusqu’au bout les fils effilochés de mes rhizomes,
voici le second des articles de ma série de l’été 2012 sur « Arpenter Venise »
http://blogamis.mollat.com/encherchantbien/2012/09/04/la-chance-de-se-livrer-pour-larpenter-parcourir-au-labyrinthe-des-calli-de-venise/
série postérieure d’un peu plus d’une année _ le temps d’une bonne décantation _ à mes déambulations lors d’un séjour (enchanté !) à Venise de 5 jours en février 2011,
au moment du colloque (les 10-11-12 février) Un Compositeur moderne né romantique : Lucien Durosoir (1878 – 1955), au Palazzetto Bru-Zane _ situé à la lisière nord-ouest du sestiere de San Polo _,
où j’ai donné 2 contributions sur ce compositeur singulier (et sublime : écoutez le CD Alpha 125 de ses 3 Quatuors à cordes, de 1919, 1922 et 1934, par le Quatuor Diotima) :
à propos duquel je me suis interrogé sur ce que pouvait être, ce en quoi pouvait consister, au sens fort,
la singularité d’un auteur, son idiosyncrasie _ cf Buffon : « le style, c’est l’homme même » _, ou encore « son monde »,
accessible, pour nous, via l’attention ardemment concentrée à son œuvre et ses œuvres.
L’œuvre musical de Lucien Durosoir est réalisé entre 1919 et 1950, mais surtout jusqu’en 1934 et la mort de sa mère, son interlocutrice majeure :
là-dessus, lire l’intégralité de mes 2 contributions à ce colloque Durosoir de février 2011, à Venise,
dont les Actes ont été publiés aux Éditions FRAction en juin 2013 _ mais tout est accessible via le site de la Fondation Bru-Zane ; et les deux liens ci-dessus.
Peut-être y découvrirez vous quelques clés pour bien vous perdre dans Venise…

Ma déambulation de presque six jours à Venise _ du mercredi 16 (à 13 heures, où je débarquai, Piazzale Roma, en descendant avec mon bagage-à-roulettes, du bus-navette de l’aéroport : il pleuvait assez dru) au lundi 21 février 2011 (10 heures, où je remontai dans le même bus-navette, avec mon bagage-à-roulettes à peine un peu plus lourd, au même Piazzale Roma : il faisait très beau), pour être très précis _ résultait d’une invitation reçue à donner deux contributions au colloque « Lucien Durosoir (1878-1955) : un musicien moderne, né romantique« , qui se tiendrait les samedi 19 et dimanche 20 février au Palazzetto Bru-Zane _ à la limite du Sestiere San Polo et du Sestiere Santa Croce : le rio San Giacomo dell’Orio, là, les sépare, dans le prolongement du rio Marin. La proposition initiale (en l’espèce d’un tout premier « Avant-projet« ) m’avait été adressée par un courriel de Georgie Durosoir le 24 février, à 20h 33 ; et je l’avais agréée par retour de courriel ce même 24 février 2009 à 21h 02) : entre le 24 février 2009 et le 19 février 2011, deux ans, à cinq jours près venaient de s’écouler… Et, pour des raisons d’opportunité de frais de transport, il avait été décidé que je prendrais un avion au départ de Roissy-Charles-De-Gaulle, le mercredi 16 (l’avion décollant à 9h 55 et atterrissant à Venezia-Marco-Polo à 11h 35. L’avion du retour à Roissy décollant de Marco-Polo le lundi 21, à 12h 20. Le colloque débuterait le samedi à 9h et se clôturerait le dimanche, vers 17h – 18h… Un concert (avec au programme les Aquarelles de Lucien Durosoir) par Vanessa Szigeti, violon, et Lorène de Ratuld, piano, ouvrirait _ en beauté ! _  les festivités, le vendredi soir, à 20h : rendez-vous au Palazzetto à 19h30… Indépendamment du stress _ éminemment jouissif ! _ de mes interventions _ la première à 10h 30 et la seconde, à 14h 30, le samedi _, je disposais de deux belles journées et demi vénitiennes : le mercredi après-midi, le jeudi et le vendredi jusqu’à 19h30, juste avant le concert _ magnifique ! en un lieu éclatant de beauté : le salon de musique du palazzetto ! ; concert suivi d’un délicieux et très sympathique buffet au Palazzetto pour les intervenants-invités au Colloque, afin de faire agréablement connaissance _, plus un petit bout de matinée le lundi, jusqu’à 10h, pour « arpenter » de long en large le plus indéfiniment possible (!) les Sestieri de Venise, et tout particulièrement ceux que je connaissais pas du tout et désirait apprendre à découvrir, indépendamment de tout programme tant soit peu « culturel« … : c’étaient la ville de Venise et la vie qu’y vivaient les simples Vénitiens qui faisaient l’objet de ma curiosité…

Enfant, j’étais venu trois fois à Venise avec mes parents (et mon frère) _ mes parents (qui aimaient beaucoup voyager en Italie) étaient déjà venus, et à plusieurs reprises, à Venise : je les entends encore raconter avoir entendu pour la première fois la chanson « Bambino » qu’allait bientôt populariser Dalida (ensuite ce serait « Gondolier« …), à la terrasse d’un café : le Florian ? le Quadri ? place Saint-Marc, par une chanteuse qui les avait impressionnés… Ainsi font (et vont) les souvenirs ! ma première « image«  de Venise était une chanson ; pas la lecture des Pierres de Venise de Ruskin, pour le petit Marcel… _ ; mais nous ne logions pas à Venise même ; et nos « passages » dans la ville manquaient par là du minimum de la « profondeur » et continuité de durée requise pour une vraie déambulation, quasi infinie : celle-là même dans le labyrinthe égarant des calli… Car les voies un peu trop rectilignes des calli boutiquières (à-touristes) des Mercerie, entre la tour de l »Horloge de la Piazza San Marco et le pont du Rialto, ne sont pas représentatives de la vraie vie de Venise, pas plus que de la vraie vie des vrais Vénitiens ; sinon de la bien réelle « touristification » de la cité…

Je me souviens d’avoir visité, avec eux et mon frère, et en écoutant les explications savantes d’un guide, la basilique Saint-Marc et le palais des doges, ainsi que la Ca’ d’Oro ; je me souviens aussi des trajets en vaporetto : la première fois, arrivée par le parcours (royal !) du Grand Canal, en son entier ; la seconde fois, raccourci par la Canal Nuovo et jusqu’à la Ca’ Foscari, pour rejoindre là le Grand Canal _ ce trajet de vaporetto a été depuis supprimé : il occasionnait trop de dégâts aux fondations des bâtiments sur les rives de ces rii… _ et atteindre, à nouveau, le débarcadère du môle de la Piazzetta. La fois suivante, depuis le parking du Tronchetto _ qui ne cessait, à chaque retour en voiture à Venise, de gagner en extension : je me souviens de m’en être fait la remarque alors _, nous prîmes la ligne de vaporetto qui contourne Venise par la zone maritime de Santa Marta au sud-ouest, et emprunte le Canal de la Giudecca pour atteindre _ en traversant splendidement ! le Bassin de Saint-Marc, devant l’île de San Giorgio Maggiore _ le palais des doges sur la Piazzetta, toujours.  Nos parents appréciaient un peu trop à notre goût les boutiques (de verroterie et bijoux plus ou moins de pacotille) des Mercerie ; et je ne me souviens pas d’avoir mis le moindre pied, avec eux, à l’Accademia, ni, encore moins, à la Scuola San Rocco, lors de ces promenades vénitiennes un peu trop rapides (et succinctes) -là…

La fois où, en voyage pour la Yougoslavie et la Grèce _ à quatre en 2 CV : l’été 1972  _, j’étais adolescent, et nous campions _ pas nécessairement en plantant la tente : que de délicieuses nuits à la belle étoile, le long de la côte dalmate ; en Chalcidique (avec des tortues sauvages…) ; sous un olivier entre Delphes et Perachora ; en face de Corinthe, dans les ruines d’un temple de Médée ; ou sur une plage non loin de Nauplie… Ayant passé le début de la matinée à visiter Milan (Sant’Ambrogio…) sous la conduite d’une amie étudiante, nous ne fîmes que consacrer une (bonne) après midi à arpenter _ en débarquant (depuis le Tronchetto) à la Piazzetta _, la Place Saint-Marc, le Rialto, le Sestiere San Polo : et je me souviens, en ayant longé la Scuola San Rocco, avoir fort pensé alors au Tintoret ; et nous être « égarés«  pas mal dans les calli de San Polo et de Dorsoduro _ il y a pourtant bien pire à Venise pour se perdre en un dédale !.. _, faute d’un plan auquel plus sûrement nous repérer, pour gagner la pointe de la Dogana et la Salute (sinon les Zattere : je n’avais pas encore lu le Dorsoduro _ traduit en français De Venise à Venise _ de Pier-Maria Pasinetti) ; et retour depuis le Rialto en vaporetto par le Grand Canal pour rejoindre notre 2 CV au Tronchetto : le soir même, nous passâmes la frontière italo-yougoslave, juste au nord de Trieste _ à hauteur de Duino _, et dormîmes en Slovénie dans un si beau pré, tout près de Lipizza _ nous allions visiter, le lendemain matin les très vastes grottes de Postojna, dans le Karst, avant de rejoindre la côte de l’Istrie (Piran, Porec, Rovinj, Pola, etc. : des cités qui avaient été, et demeuraient, profondément vénitiennes…) _, que, lors de notre voyage de retour de Grèce, via Skoplje et Belgrade, nous parcourûmes énormément de kilomètres le soir tombé et la nuit bien entamée, depuis Zagreb et Ljubljana, rien que pour le plaisir de planter notre tente de nouveau dans un si sublime _ tel celui de Francis Ponge au Chambon-sur-Lignon ; lire sa Fabrique du Pré, dans la merveilleuse collection des Sentiers de la Création, chez Skira… _ ; dans un si sublime pré, donc ; nous avions plein loisir d’attendre et contempler des étoiles filantes parmi le firmament de la douce nuit étoilée de notre jeunesse…

Depuis cette année 1972, mes voyages en Italie ne m’avaient plus ramené à Venise… En Toscane et en Ombrie _ j’aime tant Sienne et sa campagne sublime, Pérouse, Assise, Orvieto… _ ; et à Rome et dans le Latium, à plusieurs reprises ; mais jamais à Venise, depuis lors…

Je décidai que le temps qui me serait disponible à Venise, en dehors du Colloque de musicologie, serait consacré à la découverte surtout des quartiers de la ville, et de la vie qui s’y menait, indépendamment des musées, palais et autres lieux dévolus à l’Art (ou au tourisme) : à l’exception, cependant des églises, chaque fois que j’en trouverais une d’ouverte ; ce qui fut le cas, dès ce mercredi après-midi, pour San Nicolo dei Tolentini, tout proche de l’Hôtel Al Sole _ un palazzo de la famille Marcello ! _, où beaucoup d’entre les intervenants du colloque étions (superbement, au moins dans mon cas !) logés _ mais ce ne fut pas le cas pour San Giobbe, trouvé deux fois, deux jours de suite, fermé ! et je ne visitais pas non plus les synagogues du Ghetto, que je traversais pour la première fois, ce mercredi après-midi-là _ ; Sant’ Alvise ; la Madona dell’Orto ; San Giovanni Crisostomo ; San Giacomo di Rialto, pour le premier après-midi (de pluie importante, quasi incessante depuis notre arrivée)… Revenant, passé le pont du Rialto, par le Campo San Polo, le Campo San Agostin et le Campo San Stin _ ces deux derniers déserts : à un point qui me surprenait ! _, je découvrai la Corte sur laquelle donne le jardin du Palazzetto Bru-Zane ; ainsi que le merveilleux _ ou sublime _ portail de Pietro Lombardo, entre San Giovanni Evangelista et sa Scuola. Et je regagnai l’Hôtel Al Sole, au premier pont, sur la Fondamenta Minotto, en longeant Santa Maria Gloriosa dei Frari et San Rocco (et sa Scuola). Le soir, dîner entre amis au restaurant Ribot, sur le même quai que l’hôtel, et à moins de cent mètres ; et, juste après le dessert, acqua alta ! Les sirènes qui n’avaient pas servi depuis l’hiver précédent, étaient en panne, et, n’ayant pas retenti, n’avaient pu prévenir personne… Le restaurant nous distribua de grands sacs-poubelles en plastique noir pour y protéger nos pieds et jambes : l’un des deux sacs s’est troué ; et je suis me retrouvé mouillé jusqu’un peu plus haut que la cheville : un joyeux souvenir vénitien !..

Le lendemain, jeudi, la pluie s’était calmée, et le temps, d’abord maussade, allait s’améliorer dans la journée. Après un excellent petit-déjeuner à 7h, je repris mes pérégrinations. Le matin, je pris la direction du Campo Santa Margherita, par l’église San Pantalon, puis, après San Barnaba et son ravissant Campiello, et le coin de la Toletta, je gagnai San Trovaso, les Zattere _ toujours cette vue si belle ! sur la Giudecca _ et les Gesuati _ avec ses Tiepolo… _, pour gagner, après la calle del Vento, le quartier presque trop tranquille de San Sebastiano (avec ses Veronese : il y avait des visiteurs !), Sant’ Angelo Raffaello (là, personne !), et, au bout d’un quai désolé _ j’en éprouvais une impression de quasi sinistre… _, le curieux et très intéressant San Nicolo dei Mendicanti (deux visiteurs en même temps que moi). Je rejoignais Santa Maria del Carmini, assez stupéfait du nombre _ vertigineux ! étourdissant ! _ d’immenses toiles peintes couvrant quasi toute la surface des murs _ ce que me fit comparer la situation de la peinture sur toile dans les églises de Venise, avec celle de Rome… Je regagnai l’hôtel par le Campo Santa Margherita : afin de tâcher de trouver une place pour le déjeuner de midi _ qui allait être  succulent ! _ à la trattoria Dalla Marisa, au Ponte dei Tre Archi : vers 13 heures. L’établissement qui n’est pas grand _ sans tables dehors, les mois d’hiver, sur le quai du Canal de Cannaregio à l’approche de sa sortie sur la lagune _, était bondé, comble ! La serveuse me trouva une petite place, non loin de la cuisine et près du bar, sur le fond de la salle _ il y avait quelques autres convives dans une autre petite salle vers la cuisine _, à la table d’un Vénitien, ouvrier sur un chantier, qui approchait de la fin de son repas. J’échangeai quelques mots avec lui. Quand il eut achevé son repas, il fut remplacé à cette petite table (à deux places) par un professeur (de mathématiques) à l’université toute proche, un peu plus loin sur le quai, dans une partie de ce qui était, il n’y a pas si longtemps, les Abattoirs… Un merveilleux repas vénitien : le menu, avec les plats du jour, est inscrit sur une ardoise ; et la serveuse les énonce à toute vitesse : peut-être même en vénitien… Ce jeudi, après des antipasti, les pâtes que je pris « al ragu » !) étaient absolument délicieuses ; un poisson ; un dessert, du vin blanc frizzante, et un café : tout parfait ! Je me promis de revenir le lendemain !

En traversant le pont des Trois Arches, je fis un crochet vers la rive de la lagune, à la Sacca di San Girolamo, puis regagnai, carte à la main, en passant par des venelles à peine publiques, l’église Sant’Alvise, qui était fermée la veille… Je longeai les Rii tranquilles et très beaux della Misericordia, della Sensa, di Sant’Alvise ; et appréciai cette Venise populaire vierge alors de touristes, mais vivante _ venant de me procurer (très récemment ! et a posteriori, donc, de mon séjour à Venise…) le Dictionnaire amoureux de Venise, de Philippe Sollers, je remarque qu’il ne fréquente guère ces coins-là ; son tropisme le portant aux Zattere du côté des Gesuati, et des beaux quartiers, surtout, de Dorsoduro et de San Marco… Avec bien peu d’attention de sa part à la vie des Vénitiens : ce qui orientait ma propre curiosité… Je refis un tour par le Ghetto, où j’avais repéré la veille une pâtisserie juive _ me ressouvenant des délices de celle (fermée hélas une fois sur deux qu’on y passe !) du Ghetto de Rome, au coin occidental de la Via dell’ Portico d’Ottavia… _, Volpe… Je tâchai d’apercevoir, au bout en cul-de-sac _ mais avec un tout petit bout de vue sur la lagune ! _, de la toute petite Fondamenta dell’Abbazia, au coin de Santa Maria della Misericordia ; d’apercevoir, par-dessus la Sacca della Misericordia remplie de bateaux amarrés ; d’apercevoir le Casino degli Spiriti, qui fascinait Nietzsche qui logea non loin des Fondamente Nuove, du côté du Palazzo Dona, où habita Jean Clair… Je revis, de la lagune, ce Casino degli Spiriti quand j’empruntai la ligne 42 (ou 41) du vaporetto. Les perspectives sur la lagune sont raffraîchissantes, en mettant un coin de nez, pour un moment, hors du labyrinthe parfois tellement resserré que très sombre, ombreux même quand il fait grand soleil _ comme entre le Campo San Giacomo dell’Orio et le Campo San Cassiano, vers  l’est du Sestiere de Santa Croce _ des calli : même si ce quartier au nord-est de Cannaregio, est aussi celui de la maladie et de la mort (à Venise), à côté de l’Ospedale du rio dei Mendicanti, et avec l’Oratorio dei Crociferi et la toute baroque Santa Maria Assunta dei Gesuiti _ fermée les deux fois que j’y passai ! _, et juste au face de l’île-cimetière de San Michele ; c’est aussi par ce côté de la lagune que souffle la bora (qui souffle aussi à Burano, un peu au nord-ouest encore, dans la lagune)…

Mais me plut bien ce quai des Fondamente Nuove, avec quelques cafés et son kiosque bien pourvu en DVD de films italiens : à mon premier passage, je me pourvus de quelques films sur lesquels je ne réussissais pas jusqu’alors à mettre la main, tel La Notte d’Antonioni… Je trouvai ce coin _ du passage obligé du vaporetto vers Murano, Burano et Torcello _ bien animé ; et il me plût : il est vrai que c’est la plaque tournante vers les îles du nord de la lagune ; et vers l’aéroport Marco Polo par la lagune… Je continuai sur cette Fondamenta ouverte sur la lagune jusqu’au Rio dei Mendicanti, le long duquel je pris sur ma droite, pour gagner le Campo dei Santi Giovanni e Paolo, avec la statue du Colleone de Verrochio, la belle façade de la Scuola San Marco ; et où je visitai la très vaste église dominicaine, que les Vénitiens appellent Zanipolo… Nous sommes dès ici dans le Sestiere de Castello. Je pénétrai dans la librairie française ; puis découvrit un marchand de masques, qui accepta de colorier, pour quand j’y reviendrai _ deux jours plus tard _, un masque d’Arlequin, ce personnage qu’aime tant mon petit-fils Gabriel…

Je poursuivis par San Francesco della Vigna, dont je pus jeter un coup d’œil aussi sur les cloitres attenants… Puis je traversai vers le sud l’est de cette partie de Castello avant l’Arsenal, dans des ruelles sombres et qui m’apparurent étrangement désolées, du côté du Campo delle Gatte _ je me souviens d’en avoir relevé le nom, sur une plaque, afin de m’en ressouvenir. De là, je pénétrai dans la sombre Scuola di San Giorgio dei Schiavoni, où je pus découvrir les originaux de ces toiles de Carpaccio qui m’avaient si vivement impressionné dans le beau volume Skira _ Les Créateurs de la Renaissance, par Lionello Venturi _ que m’avait valu le Prix d’excellence en Terminale (en 1964 _ il y aura cinquante ans l’an prochain…) : un livre qui m’a marqué (et initié aux arcanes d’un des sommets de l’art occidental : Giotto, Simone Martini et les Siennois, Mantegna, Piero della Francesca, les Ferrarais, etc. : peut-être jusqu’aux Bellini…), et que je possède toujours… Un peu plus tard, je lus les Esthétiques sur Carpaccio, virtuoses !, de Michel Serres… Je continuai par San Giovanni in Bragora _ où fut baptisé Vivaldi _, et poussai jusqu’à l’entrée monumentale de l’Arsenal et l’extrémité de la Via Garibaldi… Je rentrai vers Santa Croce par le vaporetto qui passe par le Canal de la Giudecca. Le soir, un dîner avec quelques amis du Colloque, à un restaurant tout voisin de notre hôtel, l’Osteria ae Cravate : mais sans acqua alta ce soir-là !

Je commençais à me familiariser un peu avec le jeu à surprise des calli de Venise, à la recherche, un peu, de la vie vénitienne _ le plus loin possible des touristes ; ou de ceux qui ne fréquentent que les quartiers un peu chics, et surtout avec vue ! Près de l’hôtel, sur le coin du Campo de San Nicolo dei Tolentini, je remarquai un minuscule bar à cheval sur le Campo et le coin du pont du rio dei Tolentini : les verres de spritz et les assiettes de cichetti reposant sur quelques barriques ; et les conversations des convives me paraissant à la fois joyeuses et tranquilles, chaque soir que je passais par là, en revenant, par exemple de la station Ferrovia du vaporetto, en ayant traversé le Ponte dei Scalzi sur le Canal Grande, et la Fondamenta _ joyeusement animée toujours ! _ San Simeone Piccolo. Je regrettais de ne pas parler assez bien italien ; et a fortiori vénitien _ même si j’arrivai à me débrouiller avec les serveuses de la Trattoria Da Marisa, au Ponte dei Tre Archi… De même, j’osais encore moins m’arrêter à la Cantina Do Mori _ toujours bondée _, non loin de la Rugha Vecchia San Giovanni, dans le quartier toujours très animé du Rialto…

Le vendredi matin, toujours après un très copieux et très agréable petit-déjeuner buffet à l’excellent Hôtel Al Sole _ ma chambre était aussi magnifique ! _, je me décidai à explorer le quartier Santa Croce , juste au nord du Palazzetto, en commençant par l’église San Giacomo dell’Orio : dès l’ouverture de l’église à la visite. Et je découvris que le quartier que je parcourus vers le nord ouest, à bonne distance du Grand Canal, formait un extraordinairement sombre et dense dédale _ et alors que ce vendredi, lui, était ensoleillé ! Je passai ainsi par Santa Maria Mater, ouverte, et San Cassiano, ouvert, d’où je rejoins le  Canal Grande sur la Riva dell’Olio, puis la Pescheria et les autres divers marchés, particulièrement animés, les matins, du quartier du Rialto ; puis je passais le Pont, et me dirigeai vers l’adorable marmoréenne Santa Maria dei Miracoli, puis vers Santa Maria Assunta dei Gesuiti _ décidément toujours fermée _, et repassai au Kiosque des DVD, sur les Fondamente Nuove, pour m’apercevoir, en échangeant un peu avec le kiosquier cinéphile, que j’aurais pu commander des DVD : par exemple celui de Prima della Rivoluzione, de Bernardo Bertolucci, film _ avec Adriana Asti ; et un passage, au milieu, en couleurs : le début et la fin étant en noir et blanc _ que j’avais adoré à sa sortie en France… Je repassai par Zanipolo, où mon masque d’Arlequin n’était pas encore terminé, puis la Calle Lunga Santa Maria Formosa _ avec une autre boutique riche en DVDs _, pour découvrir le Campo Santa Maria Formosa et son église.

Je revins à l’hôtel, pour me reposer un peu _ je marchais sans cesse _, avant de repartir déjeuner, toujours royalement, vers midi, à la trattoria Dalla Marisa… L’après-midi, visite de l’Accademia, le seul musée que je m’autorisai, mais avec beaucoup de plaisir : de tous les peintre vénitiens, Giovanni Bellini m’impressionnait décidément le plus, par son calme éminemment vénitien. Je franchissais le pont et gagnais le Sestiere San Marco…

A suivre…

Titus Curiosus, le 23 septembre 2012

Ce mardi 17 juillet 2018, Titus Curiosus – Francis Lippa

La chance de se livrer pour l’arpenter-parcourir au labyrinthe des calli de Venise

04sept

Ma déambulation de presque six jours à Venise _ du mercredi 16 (à 13 heures, où je débarquai, Piazzale Roma, en descendant avec mon bagage-à-roulettes, du bus-navette de l’aéroport : il pleuvait assez dru) au lundi 21 février 2011 (10 heures, où je remontai dans le même bus-navette, avec mon bagage-à-roulettes à peine un peu plus lourd, au même Piazzale Roma : il faisait très beau), pour être très précis _ résultait d’une invitation reçue à donner deux contributions au colloque « Lucien Durosoir (1878-1955) : un musicien moderne, né romantique« , qui se tiendrait les samedi 19 et dimanche 20 février au Palazzetto Bru-Zane _ à la limite du Sestiere San Polo et du Sestiere Santa Croce : le rio San Giacomo dell’Orio, là, les sépare, dans le prolongement du rio Marin. La proposition initiale (en l’espèce d’un tout premier « Avant-projet« ) m’avait été adressée par un courriel de Georgie Durosoir le 24 février, à 20h 33 ; et je l’avais agréée par retour de courriel ce même 24 février 2009 à 21h 02) : entre le 24 février 2009 et le 19 février 2011, deux ans, à cinq jours près venaient de s’écouler… Et, pour des raisons d’opportunité de frais de transport, il avait été décidé que je prendrais un avion au départ de Roissy-Charles-De-Gaulle, le mercredi 16 (l’avion décollant à 9h 55 et atterrissant à Venezia-Marco-Polo à 11h 35. L’avion du retour à Roissy décollant de Marco-Polo le lundi 21, à 12h 20. Le colloque débuterait le samedi à 9h et se clôturerait le dimanche, vers 17h – 18h… Un concert (avec au programme les Aquarelles de Lucien Durosoir) par Vanessa Szigeti, violon, et Lorène de Ratuld, piano, ouvrirait _ en beauté ! _  les festivités, le vendredi soir, à 20h : rendez-vous au Palazzetto à 19h30… Indépendamment du stress _ éminemment jouissif ! _ de mes interventions _ la première à 10h 30 et la seconde, à 14h 30, le samedi _, je disposais de deux belles journées et demi vénitiennes : le mercredi après-midi, le jeudi et le vendredi jusqu’à 19h30, juste avant le concert _ magnifique ! en un lieu éclatant de beauté : le salon de musique du palazzetto ! ; concert suivi d’un délicieux et très sympathique buffet au Palazzetto pour les intervenants-invités au Colloque, afin de faire agréablement connaissance _, plus un petit bout de matinée le lundi, jusqu’à 10h, pour « arpenter » de long en large le plus indéfiniment possible (!) les Sestieri de Venise, et tout particulièrement ceux que je connaissais pas du tout et désirait apprendre à découvrir, indépendamment de tout programme tant soit peu « culturel« … : c’étaient la ville de Venise et la vie qu’y vivaient les simples Vénitiens qui faisaient l’objet de ma curiosité…

Enfant, j’étais venu trois fois à Venise avec mes parents (et mon frère) _ mes parents (qui aimaient beaucoup voyager en Italie) étaient déjà venus, et à plusieurs reprises, à Venise : je les entends encore raconter avoir entendu pour la première fois la chanson « Bambino » qu’allait bientôt populariser Dalida (ensuite ce serait « Gondolier« …), à la terrasse d’un café : le Florian ? le Quadri ? place Saint-Marc, par une chanteuse qui les avait impressionnés… Ainsi font (et vont) les souvenirs ! ma première « image«  de Venise était une chanson ; pas la lecture des Pierres de Venise de Ruskin, pour le petit Marcel… _ ; mais nous ne logions pas à Venise même ; et nos « passages » dans la ville manquaient par là du minimum de la « profondeur » et continuité de durée requise pour une vraie déambulation, quasi infinie : celle-là même dans le labyrinthe égarant des calli… Car les voies un peu trop rectilignes des calli boutiquières (à-touristes) des Mercerie, entre la tour de l »Horloge de la Piazza San Marco et le pont du Rialto, ne sont pas représentatives de la vraie vie de Venise, pas plus que de la vraie vie des vrais Vénitiens ; sinon de la bien réelle « touristification » de la cité…

Je me souviens d’avoir visité, avec eux et mon frère, et en écoutant les explications savantes d’un guide, la basilique Saint-Marc et le palais des doges, ainsi que la Ca’ d’Oro ; je me souviens aussi des trajets en vaporetto : la première fois, arrivée par le parcours (royal !) du Grand Canal, en son entier ; la seconde fois, raccourci par la Canal Nuovo et jusqu’à la Ca’ Foscari, pour rejoindre là le Grand Canal _ ce trajet de vaporetto a été depuis supprimé : il occasionnait trop de dégâts aux fondations des bâtiments sur les rives de ces rii… _ et atteindre, à nouveau, le débarcadère du môle de la Piazzetta. La fois suivante, depuis le parking du Tronchetto _ qui ne cessait, à chaque retour en voiture à Venise, de gagner en extension : je me souviens de m’en être fait la remarque alors _, nous prîmes la ligne de vaporetto qui contourne Venise par la zone maritime de Santa Marta au sud-ouest, et emprunte le Canal de la Giudecca pour atteindre _ en traversant splendidement ! le Bassin de Saint-Marc, devant l’île de San Giorgio Maggiore _ le palais des doges sur la Piazzetta, toujours.  Nos parents appréciaient un peu trop à notre goût les boutiques (de verroterie et bijoux plus ou moins de pacotille) des Mercerie ; et je ne me souviens pas d’avoir mis le moindre pied, avec eux, à l’Accademia, ni, encore moins, à la Scuola San Rocco, lors de ces promenades vénitiennes un peu trop rapides (et succinctes) -là…

La fois où, en voyage pour la Yougoslavie et la Grèce _ à quatre en 2 CV : l’été 1972  _, j’étais adolescent, et nous campions _ pas nécessairement en plantant la tente : que de délicieuses nuits à la belle étoile, le long de la côte dalmate ; en Chalcidique (avec des tortues sauvages…) ; sous un olivier entre Delphes et Perachora ; en face de Corinthe, dans les ruines d’un temple de Médée ; ou sur une plage non loin de Nauplie… Ayant passé le début de la matinée à visiter Milan (Sant’Ambrogio…) sous la conduite d’une amie étudiante, nous ne fîmes que consacrer une (bonne) après midi à arpenter _ en débarquant (depuis le Tronchetto) à la Piazzetta _, la Place Saint-Marc, le Rialto, le Sestiere San Polo : et je me souviens, en ayant longé la Scuola San Rocco, avoir fort pensé alors au Tintoret ; et nous être « égarés«  pas mal dans les calli de San Polo et de Dorsoduro _ il y a pourtant bien pire à Venise pour se perdre en un dédale !.. _, faute d’un plan auquel plus sûrement nous repérer, pour gagner la pointe de la Dogana et la Salute (sinon les Zattere : je n’avais pas encore lu le Dorsoduro _ traduit en français De Venise à Venise _ de Pier-Maria Pasinetti) ; et retour depuis le Rialto en vaporetto par le Grand Canal pour rejoindre notre 2 CV au Tronchetto : le soir même, nous passâmes la frontière italo-yougoslave, juste au nord de Trieste _ à hauteur de Duino _, et dormîmes en Slovénie dans un si beau pré, tout près de Lipizza _ nous allions visiter, le lendemain matin les très vastes grottes de Postojna, dans le Karst, avant de rejoindre la côte de l’Istrie (Piran, Porec, Rovinj, Pola, etc. : des cités qui avaient été, et demeuraient, profondément vénitiennes…) _, que, lors de notre voyage de retour de Grèce, via Skoplje et Belgrade, nous parcourûmes énormément de kilomètres le soir tombé et la nuit bien entamée, depuis Zagreb et Ljubljana, rien que pour le plaisir de planter notre tente de nouveau dans un si sublime _ tel celui de Francis Ponge au Chambon-sur-Lignon ; lire sa Fabrique du Pré, dans la merveilleuse collection des Sentiers de la Création, chez Skira… _ ; dans un si sublime pré, donc ; nous avions plein loisir d’attendre et contempler des étoiles filantes parmi le firmament de la douce nuit étoilée de notre jeunesse…

Depuis cette année 1972, mes voyages en Italie ne m’avaient plus ramené à Venise… En Toscane et en Ombrie _ j’aime tant Sienne et sa campagne sublime, Pérouse, Assise, Orvieto… _ ; et à Rome et dans le Latium, à plusieurs reprises ; mais jamais à Venise, depuis lors…

Je décidai que le temps qui me serait disponible à Venise, en dehors du Colloque de musicologie, serait consacré à la découverte surtout des quartiers de la ville, et de la vie qui s’y menait, indépendamment des musées, palais et autres lieux dévolus à l’Art (ou au tourisme) : à l’exception, cependant des églises, chaque fois que j’en trouverais une d’ouverte ; ce qui fut le cas, dès ce mercredi après-midi, pour San Nicolo dei Tolentini, tout proche de l’Hôtel Al Sole _ un palazzo de la famille Marcello ! _, où beaucoup d’entre les intervenants du colloque étions (superbement, au moins dans mon cas !) logés _ mais ce ne fut pas le cas pour San Giobbe, trouvé deux fois, deux jours de suite, fermé ! et je ne visitais pas non plus les synagogues du Ghetto, que je traversais pour la première fois, ce mercredi après-midi-là _ ; Sant’ Alvise ; la Madona dell’Orto ; San Giovanni Crisostomo ; San Giacomo di Rialto, pour le premier après-midi (de pluie importante, quasi incessante depuis notre arrivée)… Revenant, passé le pont du Rialto, par le Campo San Polo, le Campo San Agostin et le Campo San Stin _ ces deux derniers déserts : à un point qui me surprenait ! _, je découvrai la Corte sur laquelle donne le jardin du Palazzetto Bru-Zane ; ainsi que le merveilleux _ ou sublime _ portail de Pietro Lombardo, entre San Giovanni Evangelista et sa Scuola. Et je regagnai l’Hôtel Al Sole, au premier pont, sur la Fondamenta Minotto, en longeant Santa Maria Gloriosa dei Frari et San Rocco (et sa Scuola). Le soir, dîner entre amis au restaurant Ribot, sur le même quai que l’hôtel, et à moins de cent mètres ; et, juste après le dessert, acqua alta ! Les sirènes qui n’avaient pas servi depuis l’hiver précédent, étaient en panne, et, n’ayant pas retenti, n’avaient pu prévenir personne… Le restaurant nous distribua de grands sacs-poubelles en plastique noir pour y protéger nos pieds et jambes : l’un des deux sacs s’est troué ; et je suis me retrouvé mouillé jusqu’un peu plus haut que la cheville : un joyeux souvenir vénitien !..

Le lendemain, jeudi, la pluie s’était calmée, et le temps, d’abord maussade, allait s’améliorer dans la journée. Après un excellent petit-déjeuner à 7h, je repris mes pérégrinations. Le matin, je pris la direction du Campo Santa Margherita, par l’église San Pantalon, puis, après San Barnaba et son ravissant Campiello, et le coin de la Toletta, je gagnai San Trovaso, les Zattere _ toujours cette vue si belle ! sur la Giudecca _ et les Gesuati _ avec ses Tiepolo… _, pour gagner, après la calle del Vento, le quartier presque trop tranquille de San Sebastiano (avec ses Veronese : il y avait des visiteurs !), Sant’ Angelo Raffaello (là, personne !), et, au bout d’un quai désolé _ j’en éprouvais une impression de quasi sinistre… _, le curieux et très intéressant San Nicolo dei Mendicanti (deux visiteurs en même temps que moi). Je rejoignais Santa Maria del Carmini, assez stupéfait du nombre _ vertigineux ! étourdissant ! _ d’immenses toiles peintes couvrant quasi toute la surface des murs _ ce que me fit comparer la situation de la peinture sur toile dans les églises de Venise, avec celle de Rome… Je regagnai l’hôtel par le Campo Santa Margherita : afin de tâcher de trouver une place pour le déjeuner de midi _ qui allait être  succulent ! _ à la trattoria Dalla Marisa, au Ponte dei Tre Archi : vers 13 heures. L’établissement qui n’est pas grand _ sans tables dehors, les mois d’hiver, sur le quai du Canal de Cannaregio à l’approche de sa sortie sur la lagune _, était bondé, comble ! La serveuse me trouva une petite place, non loin de la cuisine et près du bar, sur le fond de la salle _ il y avait quelques autres convives dans une autre petite salle vers la cuisine _, à la table d’un Vénitien, ouvrier sur un chantier, qui approchait de la fin de son repas. J’échangeai quelques mots avec lui. Quand il eut achevé son repas, il fut remplacé à cette petite table (à deux places) par un professeur (de mathématiques) à l’université toute proche, un peu plus loin sur le quai, dans une partie de ce qui était, il n’y a pas si longtemps, les Abattoirs… Un merveilleux repas vénitien : le menu, avec les plats du jour, est inscrit sur une ardoise ; et la serveuse les énonce à toute vitesse : peut-être même en vénitien… Ce jeudi, après des antipasti, les pâtes que je pris « al ragu » !) étaient absolument délicieuses ; un poisson ; un dessert, du vin blanc frizzante, et un café : tout parfait ! Je me promis de revenir le lendemain !

En traversant le pont des Trois Arches, je fis un crochet vers la rive de la lagune, à la Sacca di San Girolamo, puis regagnai, carte à la main, en passant par des venelles à peine publiques, l’église Sant’Alvise, qui était fermée la veille… Je longeai les Rii tranquilles et très beaux della Misericordia, della Sensa, di Sant’Alvise ; et appréciai cette Venise populaire vierge alors de touristes, mais vivante _ venant de me procurer (très récemment ! et a posteriori, donc, de mon séjour à Venise…) le Dictionnaire amoureux de Venise, de Philippe Sollers, je remarque qu’il ne fréquente guère ces coins-là ; son tropisme le portant aux Zattere du côté des Gesuati, et des beaux quartiers, surtout, de Dorsoduro et de San Marco… Avec bien peu d’attention de sa part à la vie des Vénitiens : ce qui orientait ma propre curiosité… Je refis un tour par le Ghetto, où j’avais repéré la veille une pâtisserie juive _ me ressouvenant des délices de celle (fermée hélas une fois sur deux qu’on y passe !) du Ghetto de Rome, au coin occidental de la Via dell’ Portico d’Ottavia… _, Volpe… Je tâchai d’apercevoir, au bout en cul-de-sac _ mais avec un tout petit bout de vue sur la lagune ! _, de la toute petite Fondamenta dell’Abbazia, au coin de Santa Maria della Misericordia ; d’apercevoir, par-dessus la Sacca della Misericordia remplie de bateaux amarrés ; d’apercevoir le Casino degli Spiriti, qui fascinait Nietzsche qui logea non loin des Fondamente Nuove, du côté du Palazzo Dona, où habita Jean Clair… Je revis, de la lagune, ce Casino degli Spiriti quand j’empruntai la ligne 42 (ou 41) du vaporetto. Les perspectives sur la lagune sont raffraîchissantes, en mettant un coin de nez, pour un moment, hors du labyrinthe parfois tellement resserré que très sombre, ombreux même quand il fait grand soleil _ comme entre le Campo San Giacomo dell’Orio et le Campo San Cassiano, vers  l’est du Sestiere de Santa Croce _ des calli : même si ce quartier au nord-est de Cannaregio, est aussi celui de la maladie et de la mort (à Venise), à côté de l’Ospedale du rio dei Mendicanti, et avec l’Oratorio dei Crociferi et la toute baroque Santa Maria Assunta dei Gesuiti _ fermée les deux fois que j’y passai ! _, et juste au face de l’île-cimetière de San Michele ; c’est aussi par ce côté de la lagune que souffle la bora (qui souffle aussi à Burano, un peu au nord-ouest encore, dans la lagune)…

Mais me plut bien ce quai des Fondamente Nuove, avec quelques cafés et son kiosque bien pourvu en DVD de films italiens : à mon premier passage, je me pourvus de quelques films sur lesquels je ne réussissais pas jusqu’alors à mettre la main, tel La Notte d’Antonioni… Je trouvai ce coin _ du passage obligé du vaporetto vers Murano, Burano et Torcello _ bien animé ; et il me plût : il est vrai que c’est la plaque tournante vers les îles du nord de la lagune ; et vers l’aéroport Marco Polo par la lagune… Je continuai sur cette Fondamenta ouverte sur la lagune jusqu’au Rio dei Mendicanti, le long duquel je pris sur ma droite, pour gagner le Campo dei Santi Giovanni e Paolo, avec la statue du Colleone de Verrochio, la belle façade de la Scuola San Marco ; et où je visitai la très vaste église dominicaine, que les Vénitiens appellent Zanipolo… Nous sommes dès ici dans le Sestiere de Castello. Je pénétrai dans la librairie française ; puis découvrit un marchand de masques, qui accepta de colorier, pour quand j’y reviendrai _ deux jours plus tard _, un masque d’Arlequin, ce personnage qu’aime tant mon petit-fils Gabriel…

Je poursuivis par San Francesco della Vigna, dont je pus jeter un coup d’œil aussi sur les cloitres attenants… Puis je traversai vers le sud l’est de cette partie de Castello avant l’Arsenal, dans des ruelles sombres et qui m’apparurent étrangement désolées, du côté du Campo delle Gatte _ je me souviens d’en avoir relevé le nom, sur une plaque, afin de m’en ressouvenir. De là, je pénétrai dans la sombre Scuola di San Giorgio dei Schiavoni, où je pus découvrir les originaux de ces toiles de Carpaccio qui m’avaient si vivement impressionné dans le beau volume Skira _ Les Créateurs de la Renaissance, par Lionello Venturi _ que m’avait valu le Prix d’excellence en Terminale (en 1964 _ il y aura cinquante ans l’an prochain…) : un livre qui m’a marqué (et initié aux arcanes d’un des sommets de l’art occidental : Giotto, Simone Martini et les Siennois, Mantegna, Piero della Francesca, les Ferrarais, etc. : peut-être jusqu’aux Bellini…), et que je possède toujours… Un peu plus tard, je lus les Esthétiques sur Carpaccio, virtuoses !, de Michel Serres… Je continuai par San Giovanni in Bragora _ où fut baptisé Vivaldi _, et poussai jusqu’à l’entrée monumentale de l’Arsenal et l’extrémité de la Via Garibaldi… Je rentrai vers Santa Croce par le vaporetto qui passe par le Canal de la Giudecca. Le soir, un dîner avec quelques amis du Colloque, à un restaurant tout voisin de notre hôtel, l’Osteria ae Cravate : mais sans acqua alta ce soir-là !

Je commençais à me familiariser un peu avec le jeu à surprise des calli de Venise, à la recherche, un peu, de la vie vénitienne _ le plus loin possible des touristes ; ou de ceux qui ne fréquentent que les quartiers un peu chics, et surtout avec vue ! Près de l’hôtel, sur le coin du Campo de San Nicolo dei Tolentini, je remarquai un minuscule bar à cheval sur le Campo et le coin du pont du rio dei Tolentini : les verres de spritz et les assiettes de cichetti reposant sur quelques barriques ; et les conversations des convives me paraissant à la fois joyeuses et tranquilles, chaque soir que je passais par là, en revenant, par exemple de la station Ferrovia du vaporetto, en ayant traversé le Ponte dei Scalzi sur le Canal Grande, et la Fondamenta _ joyeusement animée toujours ! _ San Simeone Piccolo. Je regrettais de ne pas parler assez bien italien ; et a fortiori vénitien _ même si j’arrivai à me débrouiller avec les serveuses de la Trattoria Da Marisa, au Ponte dei Tre Archi… De même, j’osais encore moins m’arrêter à la Cantina Do Mori _ toujours bondée _, non loin de la Rugha Vecchia San Giovanni, dans le quartier toujours très animé du Rialto…

Le vendredi matin, toujours après un très copieux et très agréable petit-déjeuner buffet à l’excellent Hôtel Al Sole _ ma chambre était aussi magnifique ! _, je me décidai à explorer le quartier Santa Croce , juste au nord du Palazzetto, en commençant par l’église San Giacomo dell’Orio : dès l’ouverture de l’église à la visite. Et je découvris que le quartier que je parcourus vers le nord ouest, à bonne distance du Grand Canal, formait un extraordinairement sombre et dense dédale _ et alors que ce vendredi, lui, était ensoleillé ! Je passai ainsi par Santa Maria Mater, ouverte, et San Cassiano, ouvert, d’où je rejoins le  Canal Grande sur la Riva dell’Olio, puis la Pescheria et les autres divers marchés, particulièrement animés, les matins, du quartier du Rialto ; puis je passais le Pont, et me dirigeai vers l’adorable marmoréenne Santa Maria dei Miracoli, puis vers Santa Maria Assunta dei Gesuiti _ décidément toujours fermée _, et repassai au Kiosque des DVD, sur les Fondamente Nuove, pour m’apercevoir, en échangeant un peu avec le kiosquier cinéphile, que j’aurais pu commander des DVD : par exemple celui de Prima della Rivoluzione, de Bernardo Bertolucci, film _ avec Adriana Asti ; et un passage, au milieu, en couleurs : le début et la fin étant en noir et blanc _ que j’avais adoré à sa sortie en France… Je repassai par Zanipolo, où mon masque d’Arlequin n’était pas encore terminé, puis la Calle Lunga Santa Maria Formosa _ avec une autre boutique riche en DVDs _, pour découvrir le Campo Santa Maria Formosa et son église.

Je revins à l’hôtel, pour me reposer un peu _ je marchais sans cesse _, avant de repartir déjeuner, toujours royalement, vers midi, à la trattoria Dalla Marisa… L’après-midi, visite de l’Accademia, le seul musée que je m’autorisai, mais avec beaucoup de plaisir : de tous les peintre vénitiens, Giovanni Bellini m’impressionnait décidément le plus, par son calme éminemment vénitien. Je franchissais le pont et gagnais le Sestiere San Marco…

A suivre…

Titus Curiosus, le 23 septembre 2012

 

Le rêve d' »intersections fécondes » entre journalisme et philosophie : le Libé des Philosophes (et sa manifestation à Bordeaux)

04déc

En ouverture du numéro de Libération du jeudi 2 décembre

_ le jour du gros accès de tempête de neige, notamment à Bordeaux où se rencontraient, réunis par le quotidien Libération, philosophes, journalistes… et même politiques !.. : le thème fédérateur étant « la philosophie dans la cité« , et les rencontres s’intitulant « Penser l’actualité« , « La Justice gagnerait-elle à philosopher ?« , « Peut-on réduire les inégalités ?« , « Aide, entraide et fraternité : penser la solidarité« , « Délinquance : déni ou délit de culture ?« , « Quelle ville laisser à nos enfants ?«  et, in fine, « La cité idéale, ou l’utopie réalisable«  _,

et sous le très judicieux titre d’Intersections fécondes,

Michel Serres _ tel un Leibniz « revenu«  cette fois en corsaire gascon : en vadrouille malicieuse (plutôt que course sauvage…) dans le paysage en voie de mondialisation du bal des monades… _ résumait excellemment

le pari _ renouvelé cette année-ci encore : ce 2 décembre, donc ! et réussi ! _ de Robert Maggiori,

le responsable de la rubrique Philosophie de ce quotidien,

et maître d’œuvre de ce concept de « Libé des philosophes » :

Depuis qu’a été inventé le Libé des philosophes,

nous n’avons cessé de réfléchir sur les bénéfices de cette rencontre

entre journalisme et philosophie.

Elle produit plusieurs courts-circuits _ voilà ce qui peut se révéler fructueux pour le penser, (souvent un peu) trop ensommeillé en ses (un peu trop) molles habitudes…

D’abord un temps long _ celui du penser, en sa salubre intempestivité méditative ! Nietzsche osant ici la figure de la « rumination« _ y coupe la rapidité _ le plus souvent éphémère _ du jour,

et peut lui apporter des aliments _ c’est déjà çà… _ inattendus.

Heureusement,

l’éclair momentané _ quand il est tant soit peu surprenant ! du moins… _ de l’actualité

réveille _ voilà ! à l’instant du choc de cette rencontre (électrique)… _ une mémoire _ un peu trop souvent un peu trop _ prête _ encline _ à s’assoupir.

On dirait un long fleuve tranquille enflammé soudain _ de lumière _ par les cascades d’un torrent _ venant enfin, et opportunément, la secouer, cette mémoire alluviale plus ou moins limoneuse un peu trop installée…

De plus,

le philosophe creuse _ voilà ! malignement… _ alors que le journaliste _ pressé par son rédacteur en chef et l’attente au jour le jour du lectorat _ galope _ un peu trop éperdument…

Alors le vertical coupe l’horizontal _ avec fécondité.

On dirait un carrefour _ tels l’Agora d’Athènes, le Forum de Rome, ou la place du marché de n’importe quel bourg zarathoustréen-nietzschéen... _

et tout le monde sait que les rassemblements intéressants _ possiblement féconds, donc… _

ont lieu

en cette place _ qui s’y prête ;

cf Kant : « Penserions nous beaucoup, et penserions-nous bien, si nous ne pensions pas pour ainsi dire en commun avec d’autres, qui nous font part de leurs pensées et auxquels nous communiquons les nôtres ?..«  (in son manifeste contre la censure : La Religion dans les limites de la simple raison : un must !..

Enfin,

la philosophie vole _ cf Corneille : « Va, cours, vole ; et nous venge !« , in Le Cid_ et plane parfois _ un peu trop, en se laissant aller vagabonder (et se perdre) au hasard des courants d’air porteurs : combien ne manquent pas de le lui reprocher (et parfois à raison !!! )… _

alors que l’actualité a le souci _ professionnellement vital _ de garder les pieds sur terre _ même si pas forcément les mains dans le pétrin (voire le goudron)…

La seconde force _ bienheureusement, en effet ! _ la première _ sans les ailes de géant de l’albatros baudelairien _

à atterrir.

On dirait un aéroport _ hyper-affairé, que ce lieu d’atterrissages impromptus…

Confluent,

place de l’étoile,

piste d’envol ou de retour,

voilà les trois intersections fécondes

que Robert Maggiori inventa _ bel (et plus encore : juste !) hommage ! _

pour le Libé des philosophes.

Voyons alors

ce que personnellement j’y ai le plus goûteusement

glané,

pour ma (propre) gouverne…

D’abord, ce qui m’a le plus touché

et marqué _ c’est une merveille (de pensée) rare !, en plus de poésie ! que cet article tout de discrétion (et humilité) ! _ puissamment,

se trouve à la rubrique

_ peu en vue, certes : il fallait assurément aller la dénicher ; elle se cachait sous ce titre magnifiquement actuel ce jour-là (de même qu’éternellement, aussi !) de Partie de neige ; soit le titre même du sublime recueil de poèmes de 1968 (et paru posthume) de Paul Celan : Partie de neige, aux Éditions du Seuil, en allemand et dans la très belle traduction de Jean-Pierre Lefèbvre !.. _

de la météo

_ qui l’eût dit ?..

La page est même indiquée très exactement : « Jeux-Météo«  ;

sur la partie (gauche) des « Jeux« ,

le philosophe Marc de Launay commente ainsi une partie d’échecs,

empruntée au 70e championnat d’Italie, en 2010 (entre les joueurs Brunello et Rombaldini)… :

« Il en va des échecs comme du langage. (…) Ceux qui continueront à jouer (…) auront plaisir à jouer comme on a plaisir à converser (…). Savoir limité le nombre des combinaisons qu’offrent les lettres d’un alphabet et la grammaire d’une langue

n’a jamais rendu muet _ certes ! Le jeu sérieux n’est pas ignorant de l’ambition conceptuelle, il taquine l’infini en le sachant illusoire ; il éduque l’esprit à la rigueur des métaphores en révélant une pluralité de combinaisons face à telle disposition générale :

belle propédeutique à l’appréciation des innovations qui miment l’issue possible hors d’une situation jugée désespérée, mais qu’une raison étrangère nous révèle riche d’une ressource.

Comme une parole inouïe dissipe des académismes et fait briller les cristaux d’une nouvelle syntaxe.

Une fois jouées toutes les combinaisons, l’histoire des joueurs et du jeu ne sera pas sans avenir« ... :

comme c’est superbe aussi !.. _,

à la rubrique de la météo, donc,

et sous la plume _ de poète comme de philosophe ! _ de Martin Rueff

_ dont j’ai fait personnellement la connaissance (je consulte mon agenda) le mardi 8 décembre 2009, lors de sa conférence (très belle : il y convoquait la saison de l’Hiver de Poussin !) pour notre Société de Philosophie de Bordeaux : c’était sur le sujet de Rousseau : le pas et l’abîme, autour de sa lecture de la fiction (comme philosophie, aussi !) de Julie, ou La Nouvelle Héloïse ; puis au cours du repas (toujours très convivial) qui a suivi la conférence ; et surtout par la lecture de son magistral travail sur la poésie et la poétique de Michel Deguy, Différence et identité : Michel Deguy, situation d’un poète lyrique à l’apogée du capitalisme culturel _ ; cf mon article sur ce magistral ouvrage, en date du 23 décembre 2009 : la situation de l’artiste vrai en colère devant le marchandising du “culturel” : la poétique de Michel Deguy portée à la pleine lumière par Martin Rueff

Martin est revenu ensuite à Bordeaux, le mercredi 12 mai (toujours mon agenda ! pour ne pas complètement perdre le fil des jours qui défilent ; et y raccrocher un peu des efforts, facilités ensuite à partir de ces menus amers-là, de la mémoire qui risquait de se noyer, sans repères…) afin de présenter, et avec Michel Deguy, dans les salons Albert-Mollat, ce grand livre, et important pour mieux comprendre ce qui change (en fait de différence et identité, donc !!!) en ces siècles : le XXème comme le XXIème…

Cf mon article sur cette conférence-là, cette fois : De Troie en flammes à la nouvelle Rome : l’admirable “How to read” les poèmes de Michel Deguy de Martin Rueff _ ou surmonter l’abominable détresse du désamour de la langue

En son propre Partie de neige,

à la page 21 du Libé des philosophes du jeudi 2 décembre (enneigé à Bordeaux et toute sa région !

je me suis trouvé sur la route _ heureusement presque tout uniment droite ! _ vers 7h, 7h15, dans des bourrasques ô combien drues de neige, droit devant, le regard mangé par ce que tentaient de percer de la nuit, ainsi ouatée de ces rafales hyper-serrées de flocons, les phares de ma voiture, essayant de gommer le plus possible les pirouettes du verglas, sur le sol, si jamais j’avais à tourner si peu que ce soit le volant, trop brusquement ralentir ou accélérer, pour ne rien dire de freiner, aux ronds-points drastiquement piégeux de la route, heureusement assez peu embouteillée à cette heure : j’étais parti très tôt exprès : à 6h 30 ; les flocons commençaient juste de tomber, en légère voilette de tulle, alors, sur Bordeaux)…

Martin ne fait pas référence explicitement à Paul Celan (non plus qu’à son recueil de poèmes écrits en 1968 : ni l’un, ni l’autre ne sont nommément cités !) _ sinon par le seul titre de son article quant au temps qu’il faisait, ou pouvait faire, ce jour-là, 2 décembre 2010, en France :

comment prendre alors le vocable de « Partie«  (de neige) ? A chacun d’essayer sa (ou ses) propositions (s)… Le poème (vrai) est toujours, dès ses signifiants mêmes, polysémique, flottant, ouvert, en sa battue, pourtant nette, forcément, des cartes de ce qui s’y inscrit, à prononcer… _,

mais Martin, donc,

faisait beaucoup mieux que cela :

lui, pensait la neige ;

et ce qu’elle peut induire, aussi _ en redoublement du penser _ de pensée (alors métaphysique !),

par exemple pour quelques philosophes :

ici, ce seront _ ainsi qu’il les indique ou les nomme, nommément, si j’osais dire _ :

les philosophes de la « théorie des climats » du XVIIIe siècle, Socrate (in Le Banquet), Spinoza, Sénèque, Kant (en l’esthétique transcendantale de la Critique de la raison pure), Lévinas (in De l’existence à l’existant) ;

auxquels Martin mêle aussi, aimablement _ quant à aider aussi un peu au figurer du lecteur ! lire étant aussi se figurer… _ une kyrielle de peintres (de la neige) :

« Beerstraaten, Van der Neer, Isaac van Ostade,

mais aussi Goya ou Courbet« ,

et Turner ;

ainsi qu’un _ unique à être nommément nommé ! Mallarmé et Chrétien de Troyes (et Celan !) n’étant, eux, qu’évoqués… _ poète,

Guillaume de Salluste Du Bartas ;

ainsi :

« Turner peint la neige comme au premier jour de la Semaine de Du Bartas :

« avant tout, matière, forme et lieu »…« .

Et Martin de le commenter alors ainsi :

« Neige grand ouvert sur l’ouvert » ;

pour conclure, au final,

après un paragraphe consacré à Kant

et un autre à Lévinas :

« Neige, nuit blanche. Et ce qui sera sans lumière, il nous faudra

_ ce « nous«  en ce défi prometteur, pourvoyeur peut-être,

en cette situation de mission, de devoir (vital ?),

pourvoyeur

de courage… _

le perpétuer« …


Voici donc

_ je le recopie manuellement : et je m’en réimprègne encore un peu plus (ou un peu mieux) en le ré-écrivant ainsi mot à mot sur le clavier… _

l’article Partie de neige, par Martin Rueff,

en la rubrique Météo du Jeudi 2,

sur deux colonnes de la partie droite de la page 21,

en encadrant, en son centre _ hexagonalement _, une carte de France des prévisions météorologiques de ce jour…

Autant la grammaire des énoncés météorologiques (« il pleut« , « il vente« ) a pu pousser les philosophes à réfléchir en métaphysiciens sur l’ontologie _ voilà ! _ des événements et sur les chaînes _ principalement, voire exclusivement, mécaniques ?.. _ de causalité qu’ils impliquent, (à la fois sur la cause de ces événements et sur l’inscription de ces événements dans la vie des hommes _ on pense à la « théorie des climats » des philosophes du XVIIIe siècle avec leurs causes sans cesse _ répétitivement ? cf ici l’humour de Hume… _ renaissantes), autant l’expérience de la neige a offert un motif de prédilection à ceux qui étaient enclins à méditer sur l’endurance _ hivernale : en « l’hiver de notre mécontentement«  _ des hommes. Si l’on admet le partage _ stoïque _ de ce qui dépend de nous et de ce qui n’en dépend pas, et si l’on reconnaît que la balance est inégale entre l’un et l’autre, il faut supporter la neige comme le faisait Socrate « qui marchait pied nus sur la glace plus aisément que les autres avec leurs chaussures, et les soldats le regardaient de travers croyant qu’il les bravait«  (Le Banquet, 220a).

Est-ce tout pourtant ? Regardons-la, cette neige qui vient _ indépendamment de nous, comme nous étouffer, asphyxier, en noyant, bientôt, tout…

Il y a une beauté de la neige comme état _ reposé, ensuite, en ses couches alors horizontalement déposées, étalées, comme majestueusement tranquilles _ de la matière, dans le double spectacle de sa chute (elle est alors rideau _ enduré _ qui voltige, pétales soufflés, mur blanc effilé, tempête au parvis des épousailles, _ mallarméennes _ « tasses de neige à la lune ravie« ) et de sa surface _ déposée, donc, et demeurant longtemps… _ de trop grande clarté _ épiderme, drap, écran, visage exposé, facies totius universi (Spinoza retrouve la formule de Sénèque), support/ surface, ligne blanche d’horizon, horizon blanc de dunes. Le chevalier _ cf l’imaginaire (si vivant !) de Jean Giono dans l’aveuglante blancheur neigeuse alpine de deux ou trois hivers d’Un Roi sans divertissement, du côté de Mens et de Chichiliane : à partir du poème si fascinant de Chrétien de Troyes… _  cherche la trace de sang _ de l’oie agressée _ : un trou, une crête, une crevasse pour ne pas céder au vertige du même _ tel étant le chiffre affolant de l’angoisse. La neige, univocité étale, est pureté purifiante ou pureté étalée _ rêve d’effacement, offrande écartée au soleil, condition de la lumière aveuglante, miroitante ; et d’elle plus que de tout autre spectacle il faudrait dire : c’est la mort d’un soleil blanchi qu’on ne peut regarder en face. Ou peut-être comme l’espace pur désorienté _ aussi ! pour notre perte… _ : le fond comme figure, la figure comme fond, ni droite ni gauche, tout le profond venu à sa surface blanche ; et parfois tes yeux _ même ! _ sont débordés face à l’immensité absente qui dure ; ni béance du chaos, ni confusion à vide _ cependant : et la nuance est capitale… _, la neige…

_ en sa magie lancinante d’étrangeté poïétique

en fusion…

On rappellera que certains peintres se rendirent célèbres par leurs effets _ d’éclats assourdissants _ de neige : Beerstraaten, Van der Neer, Isaac van Ostade, mais aussi Goya ou Courbet. Turner peint la neige comme au premier jour de la Semaine de Du Bartas : « avant tout, matière, forme et lieu« .

Neige : grand ouvert sur l’ouvert

_ pour qui s’y affronte, d’abord par le regard (sempiternellement étonné, chaque fois…),

en son vivant ici une fois encore défié

Mais une méditation sur la neige ne devrait rien ignorer non plus de ce que l’esprit humain y investit : l’image offerte à la méditation métaphysique du blanc de néant

_ autre défi (« métaphysique« , donc, et ainsi…) de l’esprit, qui s’agite…

La neige constitue une de ces images sans motif où le fond est _ ou devient _ tout _ voilà… On se souvient que « l’exposition métaphysique de l’espace » dans l’esthétique transcendantale de la Critique de la raison pure repose sur une thèse simple : la représentation de l’espace ne peut pas être déduite de l’expérience. Il faudrait qu’elle soit posée comme fondement : « L’espace est une représentation nécessaire, a priori, qui sert de fondement à toutes les intuitions externes. » Et Kant poursuit : « On ne peut jamais se représenter qu’il n’y ait point d’espace, quoiqu’on puisse bien penser qu’il ne s’y trouve pas d’objets. » La neige offrirait l’image de l’espace comme tel dans sa pureté transcendantale _ la neige comme spectacle pur de l’espace, comme exposé métaphysique.

Mais il y a plus encore : une chose est de dire que la neige est un spectacle métaphysique, autre chose est d’affirmer qu’elle permet l’intuition de la métaphysique elle-même _ l’image de la différence ontologique

_ en sa différance (mouvante) même, s’offrant à nous défier, pour peu, du moins, que nous consentions à y opposer (et soutenir, tant soit peu, aussi…) un penser singulier…

Neige : offrande pure _ voilà _ du il y a _ oui ! _, de cet il y a d’avant _ prénatalement ? aussi… _ tout objet _ allégorie pure de l’être comme fable du néant, image du cri _ munchien ? à l’abattoir ?.. _, comme symbole du silence _ advenant, voire advenu, murant… _, temps suspendu et temps qui passe, qui passe suspendu. Analogue à la nuit noire que veille l’inutile insomnie, la neige offre _ oui _ le fait nu _ voilà : et il s’impose… _ de la présence : il y a présence _ du vivant

dont le souffle tremble, respire, bat.

Lévinas écrit dans De l’existence à l’existant : « Le fait universel de l’il y a, qui embrasse et les choses et la conscience » ; et il serait important d’appliquer à la neige les évocations de l’insomnie qu’il propose : « Il n’y a plus de dehors, ni de dedans », « ce retour de la présence dans l’absence ne se fait pas dans des instants distincts, comme un flux et un reflux. Le rythme manque _ voici la clé ! _ à l’il y a, comme la perspective aux points grouillants de l’obscurité« . Lévinas précisera : « On ne peut dire non plus que c’est _ tout à fait, non plus : en effet… _ le néant _ absolu _, bien qu’il n’y ait rien« .


Neige, nuit blanche. Et ce qui sera sans lumière, il nous faudra _ nous ! c’est là un « nous«  plus ou moins ouvert… _ le perpétuer _ en son abondance sourcière, probablement…

Sourcière de vie…



Martin Rueff,

poète et philosophe, enseigne à l’université de Genève.

(A publié dernièrement) La fin de Superman dans (la revue) Grumeaux, en novembre 2010.

Je vais poursuivre mon compte-rendu _ partiel et partial, on le ressent… _ de ce riche et très intéressant Libé des Philosophes de jeudi dernier, avant-hier,

par deux articles aisément accessibles, eux, sur le Net,

et qui m’ont aussi bien, bien intéressé

_ en plus qu’il s’agit, là aussi, d’articles d’amis… _ :

celui, très fouillé et passionnant d’aperçus très riches, très justes _ ainsi que très beaux (mais oui !!! à la fois ! d’un seul tenant !) _,

de Fabienne Brugère,

Les Missions des Lumières _ Diderot philosophe en Pléiade,

lisible sur papier aux pages II et III du Cahier Livres :

il est consacré au volume Œuvres philosophiques de Denis Diderot,

publié sous la direction de Michel Delon, avec la collaboration de Barbara de Negroni, dans la Bibliothèque de la Pléïade, aux Éditions Gallimard… ;

et celui, toujours aussi incisivement piquant et lucidissime (!!!) _ et toujours aussi réjouissant ! _

d’Yves Michaud,

Les Pinçon-Charlot : Gold Gotha,

en la rubrique Pourquoi ça marche , à la page XVIII du cahier Livres :

il est consacré à l’ouvrage de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot : Le Président des Riches _ Enquête sur l’oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy,

aux Éditions Zones…

J’y ajouterai encore un ultime petit commentaire

de l’article de synthèse

paru dans le Libération du lendemain, hier vendredi 3 décembre, à la page 5,

et sous la plume de Vincent Barros :

A Bordeaux, «Libération» fait passer l’oral de philo

et sous-titré : Réflexion. Echos du forum «la Philosophie dans la cité», qui s’est tenu hier dans la capitale girondine.

Cela,

en mon article juste à suivre celui-ci,

donc…


Titus Curiosus, le 4 décembre 2010

Post-scriptum :

De Paul Celan,

et traduit par Jean-Pierre Lefèbvre, à la page 23 de Partie de neige, aux Éditions du Seuil,

ce poème-ci

(et qui donne son titre à tout le recueil) :

PARTIE DE NEIGE, droit cabrée jusqu’à la fin,

dans le vent ascendant, devant

les cabanes à jamais défenêtrées :


faire ricocher des rêves plats

sur la

glace striée ;


dégager au pic

les ombres de mots, les empiler par toises

tout autour du fer

dans le trou d’eau.

De Guillaume de Salluste du Bartas (Montfort, 1584 -Mauvezin, 1590),

à la page 3 de sa Sepmaine (1581), en l’édition d’Yvonne Bellanger

de la Société des Textes Français Modernes,

ce passage (du Premier Jour : les vers 25 à 30

_ d’un poème qui en son entier compte 6494 vers) :


Or donc avant tout temps, matière, forme et lieu,

Dieu tout en tout estoit, et tout estoit en Dieu,

Incompris, infini, immuable, impassible,

Tout-Esprit, tout-lumière, immortel, invisible,

Pur, sage, juste et bon. Dieu seul regnoit en paix :

Dieu de soy-mesme estoit et l’hoste et le palais.

Et, de Stéphane Mallarmé :


Las de l’amer repos où ma paresse offense
Une gloire pour qui jadis j’ai fui l’enfance
Adorable des bois de roses sous l’azur
Naturel, et plus las sept fois du pacte dur
De creuser par veillée une fosse nouvelle
Dans le terrain avare et froid de ma cervelle,
Fossoyeur sans pitié pour la stérilité,
— Que dire à cette Aurore, ô Rêves, visité
Par les roses, quand, peur de ses roses livides,
Le vaste cimetière unira les trous vides ? —
Je veux délaisser l’Art vorace d’un pays
Cruel, et, souriant aux reproches vieillis
Que me font mes amis, le passé, le génie,
Et ma lampe qui sait pourtant mon agonie,
Imiter le Chinois au cœur limpide et fin
De qui l’extase pure est de peindre la fin
Sur ses tasses de neige à la lune ravie
D’une bizarre fleur qui parfume sa vie
Transparente, la fleur qu’il a sentie, enfant,
Au filigrane bleu de l’âme se greffant.
Et, la mort telle avec le seul rêve du sage,
Serein, je vais choisir un jeune paysage
Que je peindrais encor sur les tasses, distrait.
Une ligne d’azur mince et pâle serait
Un lac, parmi le ciel de porcelaine nue,
Un clair croissant perdu par une blanche nue
Trempe sa corne calme en la glace des eaux,
Non loin de trois grands cils d’émeraude, roseaux.

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