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Pour conclure sur le parcours présent de rétrospection (provisoire…) de François Noudelmann, enfant rétrospectif du cimetière bouleversé et rénové de Cadillac, en 2020 : le sentiment d’ « à part – tenance » et le désir d’ « a – s- similation » – intégration – « a – grégation » – « incorporation » à la France, en ses filiations chahutées par l’Histoire ; et les « modalités et intensités » et « harmonieuse complicité » d’affinités adventices heureuses, de François Noudelmann…

27mai

Ce samedi 27 mai,

je conclus l’élan des commentaires de ma lecture du splendide et profond « Les enfants de Cadillac » de François Noudelmann, à la suite de mes 6 articles précédents :

_ du dimanche 21 mai : « « 

_ lundi 22 mai : « « 

_ mardi 23 mai :  « « 

_ mercredi 24 mai : « « 

_ jeudi 25 mai : « « 

_ et du vendredi 26 mai : « « 

Sur le complexe et difficile « sentiment d’appartenance« , dans lequel s’entend nécessairement, comme une sorte d’implacable répétitif destin, et en même temps, un très tenace sentiment d’ « à part – tenance » _ à sa « francité« , du fait de la « judéité«  héritée de sa marquante branche familiale paternelle (par son histoire personnelle de fils très très proche, par « cette vie avec mon père, plus conjugale que familiale » (l’expression se trouve à la page 174 des « Enfants de Cadillac« …), un bon bout de temps seuls, et isolés, tous les deux, à Lyon, « pendant notre vie commune » (l’expression se trouve à la page 59), entre les huit ans et les treize ans du petit François, de 1967 à 1972) ; et de génération en génération, comme répétivement, chez ces Noudelmann-ci, le lien à la mère (et a fortiori aux branches maternelles) est soit carrément rompu, coupé, tranché vif, soit extrêmement distendu et lache… _ de François Noudelmann,

on retiendra pas mal de lucidissimes expressions sur le fait d' »en être » ou « ne pas en être » vraiment, de cette « francité » par « a – s -similation » si ardemment désirée par son père et, avant, son grand-père, en leur difficile, et in fine tragique, parcours de vie (en Lithuanie, 1891 – Cadillac, 1941), pour Chaïm _ mort de cachexie, c’est-à-dire de faim, en un asile de fous, sous le régime de Vichy, en 1941 _, et Paris 18e, 1916 – Limoges, 1998, pour Albert _ avec un passage ultra-violent de « cinq années allemandes », en Silésie, entre 1940 et 1945 ; et in fine suicidé, alors qu’il n’avait aucune maladie, avec un pistolet à grenaille _)… 

Ce sont donc ces très belles expressions-là, sous la plume de François Noudelmann, en ce profond et lucidissime « Les enfants de Cadillac« , que je tiens ici et maintenant, et en forme de conclusion provisoire à mes lectures et relectures, à la loupe, le plus possible attentives aux plus infimes détails dans lesquels se niche et se tient caché, comme c’est bien connu, le diable, l’essentiel du message crypté, d’abord à lui-même, bien sûr _ mais c’est le travail patient et inspiré (= d’« imageance« ) d’écriture qui vient porter à la conscience de l’auteur, qui va l’assumer, point après point, jour après jour, détail (et mot prononcé) advenu par détail (et mot prononcé) advenu, et avec l’expérience de l’âge, le sens ainsi porté à un peu plus et un peu mieux de lumière ; et c’est bien cela seul qui fait advenir une œuvre vraie, véridique et véritable, et pas un simple produit de marketing, promis à obsolescence rapide, tel qu’un « roman«  divertissant, à consommer juste pour le fun, et très vite digérer… : « Je hais les oisifs qui lisent« , s’exclame Nietzsche en le magnifique « Lire et écrire » de son indispensable « Ainsi parlait Zarathoustra«  _, ce qu’il y a apprendre vraiment des vies, à commencer par la sienne propre, et celles de ses proches, et d’abord ceux auxquels nous sommes généalogiquement affiliés comme fils ou fille, petit-fils ou petite-fille, arrière-petit-fils ou arrière-petite-fille, etc. : nous n’y échappons – coupons pas…

Voici donc ce qu’ici, ce samedi 27 mai, et en forme de conclusion provisoire à mes lectures suivies, je me permets de retenir des expressions de François Noudelmann sur le feuilletage de ses doubles liens personnels, et plus ou moins hérités de sa filiation paternelle, à la « francité » et à la « judéïté » _ avec, aussi, l’appoint de mes farcissures de commentaire, en vert _ :

Pages 164-165 :

« Je lui _ Albert, le père bien aimé _ ai longtemps tourné _ en pensée, surtout après son suicide (à Limoges, le 16 juillet 1998) et la cérémonie de la dispersion de ses cendres en un ruisseau du Limousin, et jusqu’à ce jour qui a suivi le choc de l’expérience du cimetière de Cadillac, le 19 septembre 2020… _ le dos, avant de réfléchir _ ce fut « au moment _ à la toute fin, donc, de l’été 2020 _ où j’avais pris mes résolutions, où j’avais établi les réglages _ tant géographiques que mentaux _ entre ma vie de Français à l’étranger _ résidant désormais, probablement depuis 2019, à New-York ; là-dessus, de même que sur la précision des dates, François Noudelmann demeure très discret… _ et mon pays de naissance _ la France, donc : François Noudelmann est né à Paris, à l’hôpital Rothschild, le 20 décembre 1958 _ que la mémoire familiale se rappella à moi, de manière inattendue, alors que le monde s’était figé dans ses frontières à cause de la pandémie de covid. (…) Voilà que je fus invité dans le cimetière français qui avait retrouvé la trace de mon grand-père Chaïm. (…) Ce fut donc pour assister _ à Cadillac, en Gironde _ à la rénovation d’un cimetière abandonné que je revins _ ce fut le 19 septembre 2020, je le répète ici _ sur les traces funéraires de mon fou grand paternel « , lit-on page 223 _ au défaut _ répété, peut-être endémique… _ de transmission, dans ma lignée, des pères aux fils. Refusant d’hériter du moindre bien qui me rappellerait le corps paternel _ le corps de ce père, Albert, dont François avait été pourtant (mais justement…) si physiquement proche de 1967 à 1972, quand ils vivaient, et c’était même une « vie, avec mon père, plus conjugale que familiale« , lit-on page 174 ; et page 172 : « Depuis mon jeune âge, j’avais pris en effet l’habitude de dormir avec lui et de chercher son contact, restant sur ses genoux après le déjeuner, reniflant l’odeur de son pyjama dans le lit. Il faut dire aux lecteurs suspicieux qu’un père juif est souvent une mère normale« …) _, je ne revins jamais sur ses traces, son absence de tombe _ les cendres d’Albert ayant été dispersées, selon sa volonté expresse, dans un ruisseau du Limousin… _ facilitant le détachement de tout lieu. Il m’a fallu la mémoire _ après la cérémonie au cimetière des fous de Cadillac, le 19 septembre 2020 _ de son propre père _ Chaïm Noudelmann _ pour le retrouver _ lui, Albert _ et tenter de comprendre ce que succéder veut dire _ et cela, en toutes ses acceptions _, si cette notion doit être maintenue. Entre Chaïm et Albert, un récit a bégayé, celui de l’assimilation des Juifs, le fils _ Albert _ oubliant son père _ Chaïm, interné comme fou : d’abord à Sainte-Anne, puis en 1929 à Cadillac _ et poursuivant _ pourtant, malgré cet oubli-refoulement de la figure paternelle _ le même désir _ que celui de son père _ de fuir ses origines juives _ voilà ! _ et de s’incorporer _ le mot est très puissant _ à la France, quitte à recevoir son passé _ autour de son histoire personnelle, avec la place qu’y ont occupé les marques les plus sensibles de sa judéité : la prononciation bien sonore de son nom, et le signe corporel bien visible, une fois mis à nu, de sa circoncision… _ en pleine face, comme un boomerang _ en 1940, sur minable antisémite dénonciation… La superposition de leurs histoires, l’une _ incurablement _ sans parole, l’autre confiée _ un jour unique de 1980, et dix heures durant, à un enregistrement sur un petit magnétophone… _, redouble le paradoxe de ces vies tragiques, le destin _ du retour à l’Est des pogroms quitté très jeune par Chaïm _ se réalisant par le souhait même d’y échapper _ en devenant, pour Albert, un soldat français passant cinq années de prisonnier-esclave juif des Nazis en Silésie… Mais de Chaïm et d’Albert à moi François _que s’est-il transmis de leur judéité et de leur francité ? _ telle est là la question de fond de ce très grand livre… En décidant d’exhumer _ par le travail de recherche et de penser _ le premier _ Chaïm (1891 – 1991) _ de la fosse commune de Cadillac, en écrivant la confidence _ enregistrée sur le magnétophone, en 1980 _ du second _ Albert (1916 – 1998) _ sur ses cinq années allemandes mai 1940 – février 1945 _, j’ai l’intuition qu’être français doit _ beaucoup, pour François _ à  leurs souffrances et désillusions _ aussi : tout cela est inextricablement mêlé…. Même si nos vies demeurent _ de fait _ incomparables car je n’ai connu ni la guerre ni la relégation. Né en France, n’ayant jamais été menacé, je ne saurais porter ni revendiquer cette mémoire sans imposture« …

Page 166 :

_ « L’histoire de nombreux Juifs venus d’Europe de l’Est est sans doute _ et c’est certes là plus qu’un euphémisme ! _ marquée par leur désir d’intégration _ voilà ! _ et leur éloignement _ assez souvent radical _ de la tradition _ liée à bien trop de tragédies et malheurs… _, au point qu’ils donnèrent volontiers des prénoms français à leurs enfants _ ainsi, moi-même  ai-je reçu le prénom de Francis… _, et le mien, François, remplit au mieux cette condition. (…) François, je porte le prénom de mon pays« .

Page 174 :

_ « Parmi les questions posées à un individu sur son identité, on lui demande d’où il est, car il est censé connaître ses origines, sa famille, sa ville, sa région ou son pays. La difficulté que j’ai toujours éprouvée, et que j’éprouve encore aujourd’hui, à définir ces affiliations, et le recours à des périphrases pour y répondre bien que je sois français, doivent sans doute à cette vie avec mon père _ à Lyon, de 1967 à 1972 _ plus conjugale que familiale j’y reviens ici encore, car cela fut en effet crucial pour la formation de l’idiosyncrasie de François Noudelmann. Lui seul _ Albert _ fut ma patrie, celle qui a fait de moi un fils et un compatriote«  _ en ces années sensibles de sortie de l’enfance et entrée dans l’adolescence, entre les huit et treize ans du petit François.

Page 175 :

_ « La paternité ne se réduit pas au partage des gènes et elle repose sur un élan _ affectif, affectueux même _ réciproque de l’enfant et du père. Le mien m’a reconnu deux fois, à la naissance _ le 20 décembre 1958 _ puis en obtenant ma garde juridique _ lors du prononcé du jugement de divorce d’avec la mère de François, en 1967 ; et page 184, François Noudelmann ajoutera ceci : « J’ai dit qu’il m’a reconnu deux fois, mais il m’aura quitté deux fois aussi, en se (re-) mariant _ en 1972 _ puis en se suicidant » _ le 16 juillet 1998. Les recompositions familiales qui s’ensuivirent _ à commencer par le malencontreux remariage d’Albert avec sa troisième épouse en 1972, et le déménagement consécutif du couple formé par le père Albert et son fils François, de Lyon à Limoges _ modifièrent toutefois mon sentiment de l’appartenance _ et de l’« à part -tenance«  _ comme l’éprouvent les enfants dont les racines se troublent à mesure que leurs foyers se fracturent et se transforment _ se recomposent, comme cela se dit maintenant. Cette expérience de vie dans des mondes différents leur enseigne le relativisme, que j’appris très tôt » _ dès les âges de huit et treize ans, par conséquent.

Pages 191-192 :

_ « La fréquentation des universités me conduisit à devenir docteur, non en médecine comme l’auraient compris mes parents, mais en philosophie _ ce fut le 11 juillet 1995, à l’université Paris 4. Cependant la charge symbolique de ma réussite vint _ un peu plus tôt _ du concours  qui, visant simplement à recruter des professeurs, me rendit « agrégé de français » _ de Lettres modernes… _, ainsi que je l’annonçai fièrement à mon père qui n’avait aucune idée de cette promotion. Si je devenais le premier fonctionnaire de la famille, toutes branches comprises, je pouvais surtout afficher qu’en moi s’étaient agglomérés, agglutinés assez de savoirs pour être un français « agrégé », ayant la densité _ rassurante _ d’une molécule. Cette agrégation à la française signait le parachèvement d’un désir _ familial des Noudelmann, depuis Chaïm, venu à Paris, non sans difficultés, « à l’âge de dix-huit ans«  (page 16), en 1909 donc, en carriole à cheval, de Lithuanie… _ de France, commencé avec la naturalisation _ »par décret du 16 juin 1927″ (comme indiqué page 25) _ de mon grand-père _ Chaïm _, juif _ de nationalité _ russe, et confirmé cinquante ans plus tard _ j’en ignore la date précise _ par celui dont le nom figurait désormais au tableau de ceux qui « apprendraient le français » aux jeunes Français. L’étude du latin m’avait même permis de repérer dans le mot d’agrégé la racine étymologique de grégaire, grex, le troupeau. Ainsi avais-je rejoint la troupe des Français, non pour y tenir un fusil, comme Chaïm _ entré dans l’armée française en 1911 (lit-on page 16) _, mais comme passeur de la langue et de sa culture. Ce résultat marquait aussi une fin, l’effacement des origines s’étant réalisé _ principalement _ grâce aux parentés adoptives _ ce serait à préciser, du moins eu égard à cette date de l’agrégation de français… _ qui m’avaient embarqué dans leurs mondes parallèles où les histoires de shtetl, de génocides – on ne disait pas encore Shoah – n’étaient pas déterminantes. Ce passé tragique faisait partie de l’Histoire universelle et ne définissait pas mon identité, d’autant moins que les témoins ne souhaitaient pas en parler. L’assimilation _ a- s -similation… _ au pays ne pouvait être mieux prouvée que par l’entrée dans un corps d’État« .

Page 221-222 :

_ « Bien que j’abbhorre les identifications _ mensongèrement réductrices _, lorsque je suis à l’étranger _ hors de France, par conséquent _, c’est le mot de Français qui me vient en premier. Comme pour tous les exilés – un terme que je préfère à celui d’expatrié -, des événements politiques et culturels ravivent de temps à autre l’appartenance au pays natal, quand bien même on a décidé de ne plus lire les journaux ni de regarder les télévisions françaises. (…) Avec l’éloignement, et dans la langue qui ordonnera _ et c’est fondamental _ pour toujours mon rapport au monde, bien que je découvre des émotions inédites _ et enrichissantes… _ en moi grâce aux images, aux sensations et aux idées recelées dans une autre langue, je m’interroge sur ce qui me fait _ de fait, si, tellement _ français, et ce sont moins des fromages ou des terroirs que des œuvres _ voilà ! _ qui surgissent _ avec une joyeuse vivacité. Lorsque je lis Montaigne ou Marivaux _ deux de mes auteurs absolument préférés à moi aussi ! _, leurs tournures de phrase _ voilà ! _ agissent sur mes poumons et mes nerfs, et elles déclenchent, par le rire, la raison et les sons, une harmonieuse complicité _ ou connivence radieuse, nous y sommes en plein… Plus encore que toute configuration langagière _ mais oui ! Et comment ! _, la musique _ si délicate, fine, et si subtile en son plus parfait naturel dépourvu d’affectation : tempérée… _ de Fauré, de Debussy et de Ravel me dit, sans les mots _ mais oui ! _ que je suis français, même si je peux pleurer _ en effet _ avec des compositeurs italiens, allemands, russes ou espagnols. J’y reconnais mes modalités et intensité » _ voilà le secret magnifiquement dégagé ici par François Noudelmann : des modalités et des intensités sonores idiosyncrasiques partagées au plus intime, crucial et essentiel de soi…

Toute une philosophie fondamentale se trouve ainsi merveilleusement exprimée là, en sa rétrospection _ provisoire : mais qu’est-ce donc qui ne l’est pas ? du moins tant qu’existe de l’encre et du papier, ainsi que de la vie (et de la lucidité), pour penser et écrire, et éventuellement ré-écrire et retoucher… _ de trois parcours géographico-sentimentaux, plus ou moins désirés, plus ou moins bousculés, et parfois violemment chahutés par l’Histoire, de trois générations _ Chaïm (1891 – 1941), Albert (1916 – 1998), François (1958) _ de Noudelmann,

entre Lithuanie et New-York, et surtout un attachement français peut-être indéfectible, viscéral, à la France _ en sa culture, si sensible et si fine, de climat idéalement doux et tempéré : sa littérature et sa musique tout spécialement, en tout cas en premier, pour le petit-fils de Chaïm et fils d’Albert, François… _, par François Noudelmann,

lui qui a l’oreille si fine _ et je viens de me procurer, je l’avais commandé, son « Penser avec les oreilles« , paru le 29 août 2019, un an avant l’expérience renversante du 19 septembre 2020 à Cadillac, et l’admirable rétrospection dont celle-ci a été la source nourricière féconde de mémoire et de recherche, et de penser, encore et toujours…

Ce samedi 27 mai 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Assumer sa francité et sa judéité, depuis son installation outre-Atlantique, à New-York, désormais : le beau devenir freudien de François Noudelmann « prenant de l’âge » sur la question des « feuilletages » de l’identité..

26mai

Ce vendredi 26 mai,

je poursuis l’élan des commentaires de ma lecture du si prenant « Les enfants de Cadillac » de François Noudelmann, à la suite de mes 5 articles précédents :

_ du dimanche 21 mai : « « 

_ lundi 22 mai : « « 

_ mardi 23 mai :  « « 

_ mercredi 24 mai : « « 

_ et du jeudi 25 mai : «  « 

En effet, toute la fin du récit, de la page 193 à la fin, page 234, est une méditation très fine sur ce que finissent par constituer, pour François Noudelmann, au présent de son récit, c’est-à-dire en 2020, ce qu’il nomme, en les repensant, sa « francité » _ « comme un millefeuilles« , dit-il, page 194… _ et sa « judéité » _ « elle aussi, pour beaucoup, un feuilleté d’appartenances qui se déclarent sans être verbalisées, ou par des langages indirects«  _, ainsi que leur _ assez complexe, enchevêtrée… _ hiérarchie pour lui…

Alors qu’il réside désormais outre-Atlantique, à New-York, probablement depuis 2019 qu’il a décidé de complètement « s’y installer« , plutôt que faire d’incessants allers-retours depuis ce qui était son domicile parisien _ François Noudelmann, qui a appris très vite le nomadisme, a beaucoup déménagé, en sa vie : « En résidant souvent « ailleurs », j’ai poursuivi le relativisme de mon enfance lorsque, passant d’une maison à une autre et d’une ville à une autre, je changeais de culture, apprenant qu’ici on dîne à telle heure, que là on parle doucement, ou que là-bas on ne mélange pas telle ou telle couleur. Avoir eu des parents qui se sont mariés chacun trois fois, sans compter leurs relations officieuses, explique peut-être mon instabilité sentimentale _ ah ! Je glisse, je fuis, j’étouffe lorsque je demeure trop longtemps. Je connais la joie de partir rien dans les poches, de ne pas être lesté, de ne maintenir les relations et les lieux que par choix et non par habitude. (…) De fait je suis étonné par la difficulté, et souvent l’impossibilité de certains à changer de vie, d’époux ou d’épouse, de métier, de pays, attachés qu’ils sont à leurs amis d’enfance, à leur maison de famille ou à leur carrière. (…) Ma disponibilité à partir, ou peut-être cette névrose _ _, n’est sans doute pas étrangère à la vie de ceux _ Chaïm, Albert _ qui ont porté mon nom. Elle confirme probablementent la légende de l’errance juive, avec sa réalité et son imaginaire (…) Le déplacement à travers des mondes, l’acceptation pluraliste de leurs différences, la transformation de soi au gré des voyages me semblent des modalités de l’existence juive, partagées au-delà de toute communauté par nombre d’exilés. Être dedans et dehors, convertir le sentiment de « ne pas en être » en désir d’être temporairement quelqu’un d’autre, se sentir japonais, catalan ou martiniquais, se rendre perméable à l’inconnuu, vivre hors de soi _ cf son « Hors de moi« , paru en 2006 aux Editions Léo Scheer _, être dérouté par des affinités imprévisibles, ainsi vont les errants, juifs ou non« , confie-t-il magnifiquement pages 215-216… _ ; et que, de plus, il vient de faire le voyage de Cadillac afin d’être présent à la cérémonie d’inauguration, à laquelle il a été invité en tant que petit-fils de Chaïm Noudelmann, interné à Cadillac depuis la fin décembre 1929, comme « fou«  incurable, et décédé (mort de faim, sous le régime de Vichy) le 21 mars 1941, et inhumé là dans le carré des fous, qui venait d’être rénové :

« Parti _ de France, de Paris _ pour une durée indéterminée, peut-être définitive, j’avais abandonné jusqu’à la responsabilité d’honorer, ou plus simplement de nettoyer, la tombe commune de ma grand-mère _ « dans le carré juif du cimetière de Bagneux« , a-t-on lu page 53 _, et voilà que je suis invité dans le cimetière français qui avait retrouvé trace de mon grand-père Chaïm. (…) Ce fut donc pour assister à la rénovation d’un cimetière abandonné que je revins _ »le 19 septembre 2020″, précisément, apprend-on page 224 _ sur les traces funéraires de mon fou grand-paternel« , page 223 ; et, ruminant ce jour-là « à la terrasse d’un des cafés de Cadillac qui entourent la mairie » (page 228), le petit-fils de Chaïm se dit alors (page 229) :

« Le sacrifice de Chaïm m’oblige à l’égard de la France _ pour laquelle celui-ci, Chaïm, encore officiellement étranger, de nationalité « russe« , en 1914, s’engagea, et devint, gazé au gaz moutarde sur le front, irréversiblement un « fou de guerre«  … _ et il ranime étrangement ma fidélité _ un mot assez important… _ : résidant _ désormais _ hors du territoire national _ à New-York _, je connais _ en cette année 2020 qui le mène à l’écriture de ce magnifique « Les enfants de Cadillac« …  _ l’amour de loin _ celui d’un autre girondin : le blayais sublime troubadour Jaufré Rudel _ et le plaisir de l’aller-retour d’un amant à double vie » ; mais, François Noudelmann se voit alors devoir admettre le fait que « même si l’histoire de Chaïm n’est pas la mienne, elle se perpétue à travers le nom _ « Noudelmann » _ des pères _ Chaïm, Albert, François… _, que cette transmission soit assumée _ et elle va l’être ici même, par l’écriture de ce livre, par lui, François _, rejetée ou suspendue. Elle a _ ainsi _ ouvert une séquence _ d’Histoire à la fois personnelle et familiale, et plus générale encore… _ qui se prolonge jusqu’à moi et déroule bientôt cent années _ en effet, « Chaïm obtient la nationalité française, par décret du 16 juin 1927« , avons-nous appris à la page 25  _ d’identité française« , convient François Noudelmann, page 229 ;

et il poursuit, page 229 : « Le sens de l’héritage m’apparut alors plus clair« , et justifie ainsi la méditation et retour aux sources de l’entièreté de cet immense et profond grand livre _ que je ne peux décidément pas me résoudre à accepter comme constituant rien qu’un « roman« …

« Inessentiel d’abord , et interchangeable, ce nom juif _ de Noudelmann _ ne joua aucun rôle dans mes choix d’enfant« , commence-t-il par établir, par un effort de récapitulation mémorielle, page 196, de l’articulation en son identité « feuilletée » de ce qu’il nomme sa « francité » et sa « judéité« .

Et, de fait, ce n’est qu’en 2008 que « le cluster antisémite » fut vraiment entendu, pour la première fois, par lui, « dans les agglomérats verbaux que le credo _ politique _ m’avait appris à proférer » en des manifestations auxquelles il participait, se joignait, déclare-t-il page 204.

(…) « Ce ne fut qu’à la fin 2008 que se produisit, pour moi, écrit-il page 207, le choc révélateur, un petit séisme intime _ rien moins ! _ qui instaura _ pour le devenir de fond de sa personne _ un avant et un après _ voilà ! Cet hiver-là, j’habitais dans le XIIIe arrondissement de Paris et souvent d’imposantes manifestations passaient par le boulevard Arago _ c’est au 4 Boulevard Arago que résidait en effet alors François Noudelmann : je l’ai retrouvé noté sur mon agenda d’adresses… (…) Il m’arrivait d’y prendre part, surtout en ces temps de ministère de l’Identité nationale qui rappelait de fâcheux souvenirs, page 207. (…) Par dizaines de milliers, chaque semaine,  des manifestants venaient dénoncer l’intervention disproportionnée de Tsahal et, ce jour-là, je pensais défiler avec les militants de La Paix maintenant, qui soutenaient le principe de « deux peuples, deux États« ..

(…)  _ cependant _, une pulsion de mort se répandait _ à l’imparfait, pas au passé simple ! _ parmi les crieurs de slogans et, sans arriver à en croire nos oreilles, nous entendîmes _ l’ami et lui qui défilaient ensemble, un peu à l’écart, cependant, des groupes du cortège _ distinctement : « Mort aux Juifs ! » Non pas une voix isolée, mais un hurlement collectif et dense. Il n’était pas possible de l’ignorer« , marque-t-il très clairement, page 208.

« Je pensais alors aux Noudelmann et aux Friedmann _ ses frères et sœurs, oncles, tantes et cousins Friedmann : quand elle épousa Chaïm Noudelmann, en avril 1916, deux mois avant la naissance d’Albert Noudelmann, le 24 juin suivant, Marie Schlimper était veuve de Hersch Friedmannn, dont elle avait eu 4 enfants : Jacques, né le 7 novembre 1902, Rachel, née le 25 août 1904, Raymonde, née le 3 avril 1907, et Bernard, j’ignore à quelle date il était né ; de même que j’ignore la date du décès de Hersch Friedmann... _ qui avaient dû porter l’étoile jaune à Paris, où ces mêmes appels au meurtre recouvraient les murs et les vitrines. Je revoyais ma tante _ une belle-sœur de sa mère, côté Friedmann, le plus probablement… _ et mes cousins me montrant le signe de l’infamie _ qu’ils avaient conservé… (…) Leur anxiété ou leur terreur me devinrent soudain plus proches et tangibles », page 209

Page 229, François Noudelmann poursuit sa réflexion sur ce que, lors de sa réflexion à Cadillac, le 19 septembre 2020, au sortir de la cérémonie au cimetière, il vient de nommer « le sens de l’héritage » à la fois juif et français :

« Du moins il me sembla osciller entre deux écueils opposés : d’une part l’orgueil de l’individu qui ne veut pas hériter, qui croit ne tenir que de lui-même _ à la Sartre, en quelque sorte… _ et s’honore d’être libre d’autant plus qu’il ignore les raisons qui le gouvernent. D’autre part, la romance psycho-généalogique de celui qui se pense un « descendant » _ à la Barrès, dirais-je par exemple… _ et qui s’identifie à bon compte aux traumatismes de ses ancêtres. Je suis paradoxalexalement tombé dans le premier piège, héritant du refus d’une famille _ les Noudelmann, Chaïm et Albert _ qui se voulait sans histoire et dans laquelle chacun _ à chaque génération _, pouvait remettre les compteurs à zéro. Programmé pour être _ à mon tour, moi aussi _ sans programme, je vivais comme Chaïm et Albert qui rejetérent leur filiation et leurs coutumes, même celle de la religion à laquelle ils ne croyaient plus et qui aurait pu leur procurer le sentiment d’une solidarité. Plus je prends de l’âge, plus je perçois combien cet affranchissement est présomptueux, et pour le dire ave les mots de la philosophie, je deviens de plus en plus freudien _ voilà ! _, doutant de ce que je crois avoir choisi par moi-même, tout en résistant au second piège de l’héritage »

À suivre…

Ce vendredi 26 mai 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Langage de la parenté versus jeu contingent des affinités, ces alliances de différences : un éloge du nomadisme et de la créolisation, à la Edouard Glissant, par François Noudelmann dans « Les enfants de Cadillac » ; soient un regard depuis New-York, pour François Noudelmann, et un regard de sa tour bordelaise, à la Montaigne, pour Titus Curiosus – Francis Lippa…

25mai

Ce jeudi 25 mai,

je poursuis pour le cinquième jour ma quête de ce que je caractérise, en lisant, dans l’enthousiasme, cette pépite et ce trésor, qu’est, de François Noudelmann, son « Les enfants de Cadillac« , comme une prise de conscience progressive, par l’auteur, au fil de ses découvertes, recherches, puis re-découvertes, d’une vie mouvante et émouvante, sienne, de « tensions entre affiliations (et plus encore désafilliations, ruptures, coupures, fuites, départs, déplacements, éloignements…) et un jeu contingent et ouvert, renversant, d’affinités de rencontres, alliances de différences (nourrissantes, greffantes et métamorphosantes, bien plus que de ressemblances fermées et fermantes, aliénantes), ou les routes et déroutes d’un homme (et « amant à double vie« , dit-il aussi...) plus libre« …

Cf donc la continuité de mes articles précédents :

_ du dimanche 21 mai : « « 

_ lundi 22 mai : « « 

_ mardi 23 mai :  « « 

_ et mercredi 24 mai : « « 

De fait, une autre logique que celle la plus attendue (de la part des généalogistes), se fait jour et se dessine très clairement, page 189 :

« Les généalogistes, obsédés par la continuité _ chaque génération succédant à celle (de ses parents) qui la précède, déjà génétiquement, même s’il n’y a jamais, et de loin, pure et simple duplication (clonage !) d’individus… _, sous-estiment le marrainage et le parrainage _ par lesquels filleuls et filleules empruntent, par certaines identifications souples et ludiques, bien d’autres traits que ceux directement reçus génétiquement, mais aussi culturellement, de leur père et de leur mère _, qui introduisent du jeu _ de la complexité, de la variété et des variations… _ dans la transmission _ qui est aussi, et pour une très bonne et large part, culturelle ; avec la richissime part des œuvres…….

(…) Il faut bien admettre que certains tuteurs et protecteurs ont nourri cet imaginaire parental, m’obligeant parfois _ plusieurs fois, donc ; pas seulement en quittant Limoges en 1976… _ à devenir un fils fuyant pour ne pas endosser _ tel que l’a endossé Énée quittant Troie en flammes… _ un Anchise trop pesant.

Grâce à eux, je ne suis pas resté dans le no man’s land _ asséchant et destructeur _ où me destinait le ballottage _ acté par le juge des divorces, en 1967 _ entre deux milieux _ celui du père et celui de la mère, chacun des deux bien mal remarié, un peu plus tard, aux yeux de leur fils François _ hostiles ou négligents.

Ces grands aînés, souvent professeurs _ oui, par exemple de Lettres ou de Philosophie ; et aussi de Piano… _, m’ont vu comme un chien perdu au milieu d’un jeu de quilles, et ils m’ouvrirent leurs espaces _ différents (et ouverts d’œuvres vraies et non factices)… _ et m’apprirent _ et c’est fondamental pour l’épanouissement de la personnalité en gestation en ce moment tendu (et souvent à vif) de changement de carapace, et d’éclosion de l’adolescence… _ la passion des œuvres _ un élément capital ! et assurément fondamental ! Même si beaucoup, et même la plupart, craignent et fuient les trop vives passions…

La première fut ma professeur de piano _ je regrette pour ma part que François Noudelmann n’honore pas son récit du nom de celle-ci… _, rencontrée quand j’avais dix ans _ en 1969, donc, et à Lyon où François résidait avec son père, seuls tous les deux, mais ensemble… _ parce qu’il fallait occuper mon temps libre, et qui me fit peu à peu découvrir la musique et bien d’autres choses aussi essentielles, une fois l’adolescence venue. En termes de transmission, elle tiendrait une place majeure dans l’arbre.

(…) Et le dernier, emblématique de ces pères qu’on pourrait dire supplétifs, annexes, cooptés ou assimilés : Édouard Glissant  _ Sainte-Marie, Martinique, 21 septembre 1928 – Paris 15e, 3 février 2011 ; cf le beau livre que François Noudelmann, qui a accompagné son parcours de 1999 à son décès en 2011, lui a consacré, en 2018 : « Édouard Glissant, l’identité généreuse« …   _  fut à la fois le théoricien et le praticien de ces relations imprédictibles, anti-généalogiques, refusant la vérité _ exclusive, réductrice, fermée _ de l’origine, des races et des racines, leur opposant le nomadisme et la créolisation _ ouverts aux grands vents, voilà.

(…) Combien d’autres paternités et maternités, fraternités et sororités sans liens de sang, agrégeons-nous pendant notre existence ?

Le langage de la parenté devrait _ ainsi _ céder _ dans les discours et représentations sociales les plus répandues, dominantes (et idéologiques) _ devant la force _ combien féconde, elle _ de ces adoptions incessantes et laisser place au jeu contingent _ ouvert et créateur, lui _ des affinités, ces alliances de différences _ nous y voici !, page 190. Ce concept d’« affinités«  étant crucial dans l’idiosyncrasie de François Noudelmann ; cf son tout à fait décisif « Les Airs de famille. Une philosophie des affinités« , paru en 2012.

Et il faudrait y ajouter non seulement ces libres cousinages humains, mais aussi des animaux, des livres, des musiques, des habitats, des voyageurs, des événements historiques et des malheurs intimes _ aussi, bien sûr, même si le discret et pudique François Noudelmann est loin de s’y attarder : il les floute plutôt, mais sans totalement les masquer ; car ce serait là mentir… Il faut et il suffit donc de bien le lire… _,

tout ce qui forme et déforme plus ou moins plastiquement _ un être, le nourrit _ et irrigue ; cf l’intuition de ma contribution personnelle, intitulée « Oasis (versus désert) », au « Dictionnaire amoureux de la librairie Mollat« , aux pages 173 à 177 (celui-ci est paru aux Éditions Plon en octobre 2016) ; et cette contribution, je la donne à lire en mon article du 17 juin 2022 : « « , accessible ici _ comme une sève abondante _ oui.

Le hasard des rencontres _ avec le nécessaire concours, aussi, du malicieux (et terrible : son tranchant à l’égard de la pusillanimité et la procrastination étant implacable !) divin Kairos ; cf là-dessus mon article du 26 octobre 2016, comportant mon texte « Pour célébrer la rencontre« , qui constituait l’ouverture de mon essai de 2007 demeuré inédit « Cinéma de la rencontre : à la ferraraise _ ou un jeu de halo et focales sur fond de brouillard(s) : à la Antonioni », à partir de ma lecture très détaillée du chef d’œuvre (bien trop méconnu) de Michelangelo Antonioni « Al di là delle nuvole« , en 1995 ; et mon analyse de sa riche genèse chez Antonioni ;

cf là-dessus les inestimables ressources des volumes publiés par Alain Bonfand aux Éditions Images modernes : « Le Cinéma de Michelangelo Antonioni« , en deux volumes (un volume de présentation, « Le Cinéma de Michelangelo Antonioni« , et surtout, bien sûr, les « Écrits«  d’Antonioni), en 2003 ; ainsi que l’indispensable lui aussi « Ce Bowling sur le Tibre«  d’Antonioni , en 2004… _,

et l’incitation à entrer sur des terrains que je pensais réservés _ socialement _ à d’autres, ont guidé mes routes et déroutes« , lit-on ainsi page 191.

On comprend ainsi comment je me sens personnellement pas mal d’accointances et affinités, déjà, avec ce que François Noudelmann dit ici de sa formation-construction de lui-même _ philosophique, littéraire, musicale, etc. _ et de ses cheminements…

..

Même si je n’ai, pour ce qui me concerne, nulle attraction new-yorkaise _ non plus qu’américaine… _ :

New-York, où le 29 avril 1892, à l’âge de 32 ans (il était né en 1860 à Entradam, alors en Hongrie, mais actuellement en Roumanie), est décédé Samuel Kahan, le grand-père maternel de mon pére, né lui en 1914 _ et c’est un vieux et très émouvant film muet (en yiddish), « Hester Street«  (de Joan Micklin Silver, d’après « Yekl«  d’Abraham Cahan, paru en 1896; cf ici la bande-annonce de ce film), vu, par hasard, au Festival du Film d’Histoire de Pessac, qui m’a permis de comprendre comment certains pères de famille juifs faisaient le voyage de l’Amérique, New-York et Ellis Island, afin d’y préparer la venue de leur épouse et enfants… Samuel Kahan est décédé assez vite après son arrivée. Son épouse et ses trois enfants, Fryderyka, Rose et Nison (né à Lemberg le 25 octobre 1983, et décédé à Haifa en 1949), sont ainsi demeurés alors en Galicie, à Lemberg ; et n’ont pas gagné New-York… Mais lui, Samuel Kahan, est inhumé à New-York. Et je descends de lui, je suis son arrière-petit-fils (né le 12 décembre 1947), via sa fille Fryderyka, ma grand-mère paternelle, et son petit-fils Benedykt Lippa, mon père… Et c’est par la cousine germaine Eva de mon père, fille du frère Nison de Fryderyka, Eva Kahan, épouse Speter (Budapest, 15 mars 1915 – Tel-Aviv, 2007 ; Eva a survécu à un passage à Auschwitz, en 1944 ; et en a laissé des témoignages !..) qu’un soir de juillet 1986, j’ai pris connaissance, au restaurant où elle dînait, de cet arbre généalogique familial galicien… De bref  passage à Bordeaux, et sachant que son cousin Benedykt avait fait ses études de médecine à Bordeaux, Eva Speter, de passage à Bordeaux, était tombée sur le nom de « Lippa » dans l’annuaire téléphonique de Bordeaux qu’elle avait voulu consulter ; et c’est ainsi qu’elle m’avait joint au téléphone : « _ Êtes-vous parent avec le Docteur Benedykt Lippa ? _ Oui, c’est mon père« , avais-je bien sûr répondu… De fait, mon père, lui même très sportif (il a pratiqué très longtemps le tennis ; et avait fait de la boxe en sa prime jeunesse ; il avait aussi appris le violon !), avait raconté plusieurs fois, non sans fierté, qu’il avait une cousine Eva qui, en sa jeunesse, avait été championne de natation, à Budapest : je connaissais donc l’existence de cette cousine Eva ; et c’est probablement une des raisons qui m’avait suggéré, en 1981, de donner le prénom d’Eve à notre seconde fille, née le 10 octobre 1981…Et plus tard, Eva, ainsi que son frère Andrew Samuel Kahan (né à Budapest le 28 février 1921), sont chacun d’eux venus d’Israël rendre visite à mes parents… 

L’épouse de Samuel Kahan, Sara Sprecher (Lemberg, 1860 – Lviv, 1937) _ les Sprecher, très aisés, possédaient plusieurs immeubles à Lemberg – Lwow… _, mon arrière-grand-mère paternelle, la mère de la mère, Fryderyka Kahan, de mon père, le Dr Benedykt Lippa (Stanislaus – Stanislawow – Ivano-Frankivsk, 11 mars 1914 – Bordeaux, 11 janvier 2006), était donc native de la même ville (Lemberg -Lwow – Lvov – Lviv) que Marie Schlimper (Lemberg, 1881 – ?, ?), la mère d’Albert Noudelmann (Paris, 24 juin 1916 – Limoges, 16 juillet 1998), et grand-mère paternelle de François Noudelmann (Paris, 20 décembre 1958)…

Pour ma part, je me sens _ culturellement, philosophiquement et humainement _ proche d’un Montaigne, et de sa lumineuse et si féconde tour, où je pouvais, enfant et adolescent, me rendre à pied dans la journée depuis le domicile familial de Castillon-la-Bataille ;

cette tour dans laquelle très sereinement, et très activement, par l’exercice inventif  de son très alerte penser _ ce que je nomme, en dialogue avec l’amie Marie-José Mondzain, son « imageance«  _, et surtout à l’écritoire de ses « Essais« , Montaigne (Saint-Michel-de-Montaigne, 28 février 1533 – Saint-Michel-de-Montaigne, 13 septembre 1592) _ une fois la si riche conversation effective de l’ami La Boétie interrompue : La Boétie (né à Sarlat le 1er novembre 1530) est décédé à Germignan, près de Bordeaux, le 18 août 1563… _ entretenait un dialogue quasi permanent et archi-vivant _ « tant qu’il y aurait de l’encre et du papier«  ! Et du souffle de vie en lui… _ avec les auteurs _ vivant à jamais dans l’éternité de leur plus vif penser _ des livres de sa bibliothèque, et des inscriptions de citations peintes par lui sur les poutres de sa « librairie », au second étage de la tour ; cf d’Alain Legros le passionnant « Essais sur poutres« …

Je suis donc _ en toute modestie, bien sûr : je ne me prends pas pour Montaigne !.. _ attaché à ma propre tour bordelaise _ avec ses rangées et piles de livres et disques ; mais dénuée de poutres… _, ainsi qu’à la librairie Mollat, et aux dialogues avec les auteurs (d’œuvres) avec lesquels j’ai la passion et la chance insigne de m’entretenir _  voilà ! _ très effectivement _ et pas seulement par la lecture et l’écoute active de leurs œuvres ; j’aime rechercher et découvrir de leur bouche même, en notre échange sur le vif, quels ont été et sont, selon eux, les « sentiers » même les plus secrets de leur création _ ;

cf ce catalogue-ci récapitulatif de podcasts et vidéos de mes entretiens : « « 

Et je me sens aussi pas mal d’accointances et affinités _ déjà philosophiques de fond, mais aussi littéraires : François Noudelmann adore et Montaigne et Marivaux ; si chers à moi aussi ; et musicales : François Noudelmann vénère Fauré, Debussy, Ravel, et Poulenc : moi de même !.. Pour ne rien dire de ses positions culturelles et civilisationnelles ; je les partage absolument aussi… _ avec François Noudelmann,

ne serait que par notre passionnée mélomanie, et notre attention singulière à l’écoute…

Ainsi que nos regards transversaux, à tous deux, sur le réel…

Et ici je renvoie à mon article programmatique qui a précédé, le 3 juillet 2008, l’ouverture de mon blog « En cherchant bien _ carnets d’un curieux« , le 4 juillet 2008 ;

avec un article intitulé, emblématiquement, et je n’y ai pas dérogé depuis, «  » : exemples détaillés à l’appui, il est très explicite ; le consulter ici

Et j’avais choisi d’en baptiser le signataire _ je désirais un nom d’auteur _ « Titus Curiosus« , soit quelque chose, en mon esprit, comme « petit curieux« ,

sans autre ambition que de m’essayer, en pleine liberté, à bien chercher à découvrir vraiment… ; et partager ainsi, par le blog, modestement, sans tapage ni compromission de quelque sorte, ces efforts d’un peu mieux penser, un peu mieux regarder, un peux mieux écouter, un peu mieux sentir et ressentir, les altérités _ en leur  plus authentique singularité et idiosyncrasie : distinctes, donc, et indépendantes de moi-même… Les approcher, simplement, d’un tout petit peu plus près : comme quand on aime vraiment.

« Former son jugement« , disait le cher Montaigne _ en le frottant et osant le confronter, sans timidité ni crainte, à ceux d’autres qu’on estime ou admire : en un dialogue poursuivi, via des œuvres que ces autres ont données et laissées, en une vivante libre interlocution éruptive et féconde, tenue et entretenue (et constamment revue) au présent, avec eux, dans la distance actuelle et exigeante de l’éloignement géographique ou/et historique, en une dimension de quelque chose qui s’apparente, et cela forcément en toute modestie (et avec un brin d’humour, et surtout sans présomption), à comme de l’éternité, dont le signe annonciateur ressenti est la joie… Ce que l’amie Baldine Saint-Girons caractérise superbement comme un « acte esthétique« , en son justissime et si beau « L’Acte esthétique« , pour déclencher et entretenir cette joie du plus vif et actif penser en soi-même : être vraiment vivant, au contact parlant de ces altérités chantantes, à recevoir, et auxquelles répondre, et avec lesquelles, oui, dialoguer vraiment. Et de fait cela advient, vraiment… Vraiment.

Ce jeudi 25 mai 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Quelques premières précisions sur quelques personnages (et événements) apparaissant un peu floutés dans le récit de François Noudelmann en son passionnant et très beau « Les enfants de Cadillac » : les noms floutés de plusieurs femmes…

22mai

En une sorte de second Avant-propos,

après celui d’hier 21 mai en mon article « « ,

et conformément à la méthode de lecture-enquête _ sainte-beuvienne _ dont je suis coutumier, « en cherchant bien« , en creusant un peu plus les détails,

voici ce jour de premières précisions _ d’identité de personnes, de lieux, ou de dates laissés un peu flous dans le récit donné par l’auteur… _ en réponse à quelques unes de mes questions,

au fil et au terme _ provisoire _ de mes lectures successives _ au nombre de 3 jusqu’ici… _ de ce récit _ « roman » continue de passablement me gêner, en dépit du constat que, en son entretien (un peu trop rapide, et même un peu trop sec, à mon goût…) sur France-Culture, le 5 décembre 2021, avec l’ami Mathias Enard _ cf le podcast de mon entretien avec lui du 8 septembre 2010 ; et mon article du 21 septembre 2008 à propos de son stupéfiant chef d’œuvre « Zone » : « « … _, François Noudelmann l’assume, et même fermement _, qu’est ce passionnant « Les enfants de Cadillac« …

Pas mal d’éléments laissés flous dans le fil souvent rapide du récit s’éclairant davantage quand on s’avise de les relier à d’autres détails situés plus loin dans le récit, et dans notre lecture de parties ultérieures de ce récit, et eu égard à d’autres aspects de ces mêmes éléments rapportés, dans le cadre parfois un peu chahuté de la chronologie _ historique _ des éléments de ce réel évoqué ;

et si, bien sûr, le lecteur un peu curieux de tels éléments et faits, opère effectivement de telles un peu éclairantes mises en relation, et cela sans que l’auteur ait cherché vraiment à nous les cacher :

comme par exemple la plupart de ce qui concerne sa mère.

Et plus généralement aussi les compagnes de trois générations (Chaïm, Albert, François) de Noudelmann :

_ 1) Marie Schlimper, la grand-mère paternelle de François, née à Lemberg _ Lviv aujourd’hui : désormais en Ukraine… _ en 1881 et inhumée au cimatière de Bagneux _ j’ignore la date de son décès _, épouse _ en secondes noces : elle était veuve de Hersch Friedmann (j’ignore ses dates et lieux de naissance et de décès), dont elle avait 4 enfants : Jacques (Paris 18e, 7 novembre 1902 – Livry-Gargan, 1er juin 1978), Rachel (Paris 18e, 25 août 1904 – Dreux, 2 août 1999), Raymonde (Paris 18e, 3 avril 1907 – Villiers-le-Bel, 1er avril 1995) et Bernard (Paris 18e ?disparu entre 1941 et 1945…) : demi frères et sœurs d’Albert Noudelmann (Paris 18e, 24 juin 1916 – Limoges, 16 juillet 1998)… _, puis veuve, de Chaïm Noudelmann (1891 – Cadillac, 21 février 1941), et de dix ans plus âgée que lui, et la mère bien peu maternelle d’Albert _ ce qui éclaire pas mal de choses qui vont s’ensuivre en la vie de son fils Albert, et peut-être aussi, bien qu’il ne l’ait probablement pas connue, de son petit-fils François, les liens étant rompus entre Marie Schlimpel, veuve Noudelmann, et son fils Albert Noudelmann. Celui qui conservera les liens, documents familiaux, dont des photos, est un cousin _ j’ignore par quels liens précis : était-il un neveu de Hersch Friedmann, le premier mari de Marie Schlimper ?… _, Henri Friedmann (Metz, 22 décembre 1925 – Suresnes, 9 novembre 2019) ; et c’est de ce cousin Henri Friedmann que François Noudelmann reprendra le flambeau de l’entretien de la tombe de sa grand-mère paternelle, dans le carré juif du cimetière de Bagneux : « La mort d’Henri Friedmann, ce cousin vigilant, m’a imposé la responsabilité d’entretenir à mon tour cette tombe que je ne connaissais pas et que mon père n’honorait pas, bien que sa mère y reposât. (…) Le  passage de témoin eut lieu lorsque Henri fut inhumé _ en novembre 2019, donc _ dans une sépulture sur laquelle est écrit le nom de ses parents « morts en déportation ». Le jour où ils furent raflés, le 16 juillet 1942, la maîtresse d’école le somma de ne pas rentrer chez lui. Elle lui donna une adresse dans la Drôme et il réussit à franchir la ligne de démarcation pour passer le reste de la guerre à travailler chez des paysans. C‘est lui, Henri l’orphelin, maroquinier de son état, qui garda la mémoire de la famille, en conserva quelques photos et honora ses tombeaux« , peut-on ainsi lire, page 53..

_ 2) les trois épouses successives _ dont la mère de François : demeurée sans nom ni prénom tout le long du récit : elle quittera brutalement son mari Albert (et son fils François) pour suivre un autre homme (non nommé précisément, un médecin de province, un notable…), qu’elle épousera ; et François, après le jugement de divorce de ses parents, la verra deux week-ends par mois jusqu’à sa majorité…d’Albert Noudelmann, après Huberte Bordes, la première, et avant la troisième, non nommée elle non plus _ une fois l’union entre cette dernière et Albert réalisée (en 1972 semble-t-il…), et la nouvelle famille installée dans un pavillon de la banlieue de Limoges, « je passai brutalement du bonheur à deux _ avec son père Albert, à Lyon _à l’enfer à six » _ à Limoges _, résume François Noudelmann… _, elle dont la conduite accula François, « après quatre années de galère » _ familiale malencontreusement recomposée et de fait affreusement toxique, de 1972 à 1976 _, à prendre « la fuite, à dix-sept ans _ en 1976, donc : François est né le 20 décembre 1958. La rupture avec mon père _ écrit ainsi François Noudelmann page 184 _ fut violente et définitive, à la mesure de l’amour trahi _ lire ici les sublimes pages 172 à 174 à propos de la vie (de « paradis » de tendresse paternelle et filiale), entre 1967 et 1972 (entre ses huit ans et ses treize ans), de François avec son père Albert « devant élever seul un enfant depuis ses huit ans » (en 1967, donc ; page 169), entre le départ de l’épouse et mère (« un père et son fils abandonnés par une femme qui était partie avec un autre homme« , page 171), en 1967 donc, quand François a huit ans, et la catastrophe du père se remariant, en 1972 (François a alors 13 ans), avec une épouse (de substitution) qu’il n’aurait absolument pas fallu, ni au mari Albert, ni à l’enfant François ; et mettant alors fin à la vie « plus conjugale que familiale« , que mena, entre 1967 et 1972, François avec son père : « Depuis mon jeune âge, j’avais pris en effet l’habitude de dormir avec lui et de chercher son contact, restant sur ses genoux après le déjeuner, reniflant l’odeur de son pyjama dans le lit. » L’auteur de 2020 commentant  malicieusement : « Il faut dire aux lecteurs suspicieux qu’un père juif est souvent une mère normale« , page 172… On comprend donc bien ce que peut ici signifier l’expression puissante d’« amour trahi« , page 184, sous la plume magnifiquement subtile du narrateur rétrospectif (et pardonnant tout à son père suicidé : le 16 juillet 1998) de 2020 Avant de partir _ en 1976 _, je brûlai toutes les lettres que je lui avais écrites et je ne revins jamais chez lui, ou plutôt chez eux » _ à Limoges, donc, tant que dura ce troisième et ultime mariage d’Albert (« Ce mariage fut un désastre qui dura longtemps _ de 1972 à 1977-78, probablement _, la supposée mère révélant son instabilité mentale par des crises cycliques, provoquant des hurlements et des insultes nocturnes, prolongés par des actes de violence. Rien n’échappait à sa fureur destructrice« , lit-on, pages 182-183 ;  cependant, c’est probablement après la fin de ce troisième mariage d’Albert, fin advenue probablement avant 1980 (voir plus bas), que François recueillera, probablement en 1980, si l’on se fie aux « quarante années«  écoulées qui sont évoquées, au présent du récit du narrateur en 2020, entre l’enregistrement des 10 heures de confidences d’Albert à son fils, et ce présent du récit de 2020, selon cette indication de la page 61, en ces si précieuses 10 heures d’enregistrement sur un petit magnétophone à cassettes, de l’extraordinaire récit des six ans de guerre d’Albert, le père prisonnier et s’évadant et étant repris à plusieurs reprises, principalement en Silésie aujourd’hui polonaise : « Nous avions pris nos distances, toi et moi _ c’est au présent de son récit, en 2020, que François Noudelmann s’adresse ici par la pensée à son père disparu, par suicide (avec « un pistolet à grenailles« , page 158), le 16 juillet 1998 _, lorsque je voulus forcer ta vérité _ c’est donc François qui prit l’initiative de cela, retournant alors, peut-être à cette fin, chez son père, demeuré en Limousin… Je cherchais _ voilà, en 1980, François Noudelmann a alors 21 ans… _ le cadavre planqué sous le parquet de ta vie _ enfin, désormais, depuis qu’Albert étaist redevenu solitaire… _ bien rangée _ et même quasi vide _, et ne me contentais pas du mot de résilience qui rassure et qui écrase. Pour quelle raison tu acceptas de déroger à ce mutisme tellement maîtrisé qu’il passait inaperçu autour de toi, je ne le sais toujours pas. Tu consentis à une parole fleuve qui fut une « confidence », car elle supposait à la fois du secret et de la confiance _ envers François, son fils. As-tu voulu retrouver ainsi notre intimité _ voilà : filiale, d’entre 1967 et 1972 _ trahie _ par le calamiteux remariage d’Albert, en 1972, et le départ du domicile de Lyon pour Limoges… _, ou as-tu cherché à réintégrer _ en une identité décidément malmenée… _ une part de ton existence que tu avais soigneusement comprimée, empaquetée, refoulée ? Tu délivras ce récit en un seul flot, dix heures durant, et une fois pour toutes, sans plus jamais le répéter, et le petit magnétophone à cassettes que tu m’avais offert pour mes dix ans _ en décembre 1968, donc _ servit _ douze ans plus tard ; et François, le récipiendaire de ce récit tellement important, avait alors vingt-deux ans… _ à l’enregistrer. Pendant quarante années _ en remontant à partir de cette écriture-ci, en 2020, cela fait 1980... _, je n’ai jamais songé à le transcrire, ni à le transmettre, parce qu’il fut un geste confidentiel _ et comme de réconciliation, à travers la distance de leurs vies désormais séparées l’une de l’autre _, accompli d’un père à un fils, non communicable. Peut-être n’avais-je pas envie de le partager, conservant ainsi la complicité exclusive _ voilà _ que j’avais entretenue avec toi depuis l’enfance _ voilà, voilà. Peut-être ne voulais-je pas non plus m’identifier à ce vécu _ de Juif ostracisé _, soucieux de maintenir à mon tour l’innocuité de ce passé clandestin _ et vigoureusement tu, de victime de sa judéité. Alors que cette parole devait rester entre toi et moi, je l’entends autrement à présent _ en cette écriture pensante et creusante, si finement, de 2020 _ et sans doute fallait-il que mes oreilles se tapissent d’abord d’une couche de temps qui rende ta voix un peu étrangère, et que la poigne des affects se desserre. Tel est le paradoxe de pouvoir accéder au discours transmissible d’un père lorsqu’on s’en est détaché, ce qui s’appelle, probablement, devenir adulte _ oui _, et il n’est jamais trop tard pour y arriver _ en effet : penser vraiment possède un tel pouvoir de « reprise » correctrice et comprise. Afin de te comprendre aujourd’hui _ en 2020 _, et d’entendre _ en vérité _ ce que tu dis et ce que tu caches, je dois te ventriloquer _ en cette expérience d’écriture exploratrice et révélatrice magnifique, de 2020 _, parler pour toi en continuant de m’adresser à toi, car cette confidence ponctuelle  _ de 1980 _, non destinée à la publication, ne s’adressait à personne d’autre _ que le fils, François _ et n’avait pas vocation à entrer dans une enquête _ nous y voici ! _  sur l’identité française » _ ce qu’est fondamentalement ce magnifique et si profond livre qu’est ce « Les enfants de Cadillac«  _, a-t-on pu découvrir, pages 60-61-62, pour ce qui concerne cette intimité quasi conjugale entre Albert, le père, et François, le fils… _ ;

_ 3) et les compagnes (?) du très discret François Noudelmann, dont, surtout, la mère des deux enfants qui l’ont accompagné et se sont installés au moins une année avec lui aux États-Unis (à New-York ?), peu après le suicide d’Albert, qui avait eu lieu, à Limoges, le 16 juillet 1998 : « à la fin du siècle dernier, nous _ comment s’appelle-t-elle donc ? Cela demeure tu… _ nous y sommes installés en couple _ voilà _ avec nos deux enfants _ non prénommés dans le récit, eux non plus ; tout au plus « mes enfants jouaient au base-ball« , lit-on page 217… _, vivant pour la première fois dans une maison _ et non plus en un appartement, comme jusqu’alors… _, comme des pionniers imaginaires, prêts à mener la vie conventionnelle de nouveaux arrivants qui veulent s’intégrer au melting pot. Tout en cherchant à fuir le souvenir du suicidé _ de 1998 _, ayant résolu de bannir toute photographie ou lettre de mon père – ce qui fut le cas jusqu’à aujourd’hui -, je me rejouais le film des immigrants juifs arrivant à New-York _ via le sas d’Ellis Island. Le scénario généalogique m’attendait _ déjà alors, avant 2000 _ comme le bonbon qu’un enfant ne résiste pas à croquer« , lit-on aux pages 216-217.

Mais « Cette vita nuova _ new-yorkaise de 1999 ? _ se nourrissait d’un récit contradictoire qui visait, dans le même temps, à oublier une parenté disparue et à retrouver une impulsion généalogique lointaine _ celle du grand-père Chaïm fuyant, vers l’Ouest, les pogroms de Lithuanie, en 1909. Et lorsque la mythologie gouverne une existence, la névrose n’est jamais loin, surtout quand elle se pare d’une recherche de l’origine authentique, la meilleure alliée de la mauvaise foi « , lit-on ensuite, page 218.

Avec cet aboutissement immédiat-ci : « Sans doute n’étais-je pas prêt à imposer cette fiction personnelle à mon entourage _ épouse et enfants, voilà… _ et, pendant les vingt ans _ dates à préciser : 2000 -2020 ?.. _ qui suivirent le retour à Paris _ en 2000 ? _, je me suis mais sans mon entourage, demeuré, lui, sinon à Paris, du moins en France… _ divisé entre la France et les États-Unis, par d’incessants allers-retours et séjours temporaires _ universitaires là-bas… La vie pendulaire avait du bon, avec ses départs enthousiastes _ là-bas, loin, en Amérique… _ et ses douces rentrées _ ici, en douce France…

 (…) 

Je trouvais mon chemin entre l’idéal des voyageurs que décrit Baudelaire, ceux qui « partent pour partir«  _ cf son beau poème « Le Port«  _, et l’expérience de l’altérité préférée _ et expérimentée _ par Lévi-Strauss _cf, pour commencer, le récit de « Tristes tropiques«   _, qui recherchait la plongée dans des cultures différentes. La joie de changer de perspective _ d’abord géographique _ correspond, à une échelle modeste, au regard éloigné des anthropologues. Briser ses propres représentations, se rapprocher du plus distant puis, en retour, percevoir ce qui était proche avec les yeux du lointain, voilà qui déracine l’esprit et le libère de ses stéréotypes » _ soit l’hygiène la plus saine et la plus juste du penser, du ressentir et du vivre, découverte, élaborée et construite-déconstruite peu à peu par François Noudelmann toutes ces années-là… _, lit-on, superbement exprimé ainsi, page 219.

Voilà pour débuter cette recherche de précisions factuelles _ selon ma méthode de curiosité de lecture sainte-beuvienne, du qui ? où ? quand ? comment ?.. _, ce lundi.

Et à suivre, bien sûr…

Ce lundi 22 mai 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Retour à Rome (et retour de Rome) : les périples romains de la narratrice du prenant, subtil et troublant roman-récit « Sous ma carapace » (« Cara pace ») de Lisa Ginzburg (suite)…

28avr

En continuation-poursuite de mon article d’hier « « ,

voici, ce vendredi 28 avril, quelques remarques sur les biens intéressants périples romains de la narratrice _ Maddalena Cavallari, Maddi _ du prenant et troublant subtil très beau roman-récit « Sous ma carapace » (« Cara pace« ) de Lisa Ginzburg _ à partir de quelles données, peut-être autobiographiques, a-t-il été créé ?.. Lisa Ginzburg est fille des historiens très remarquables que sont Carlo Ginzburg et Anna Rossi-Doria.

Ce qui m’importe aujourd’hui,

c’est d’abord de compléter les citations que j’avais rapportées hier encadrant le récit du roman « Sous ma carapace« , de la page 13 à la page 245,

afin de mieux mettre en avant l’élément décisif qu’en est le va-et-vient un peu difficile _ d’abord un peu longtemps mental (et in fine obsédant…), puis finalement bien effectif ! _ de la narratrice, principalement entre son présent (du récit) à Paris, et son passé (d’enfance et adolescence blessée par la séparation de ses parents, Seb-Sebastiano et Gloria, et l’éloignement d’eux deux qui s’en est durablement suivi pour elle-même, Maddi-Maddalena, et sa petite sœur, Nina) à Rome, où elle, Maddalena, la narratrice de ce récit ardent et contenu, décide de se rendre _ c’est là la toute première phrase du récit, à la page 13 _,

et d’où elle vient, Maddalena, une semaine plus tard, de revenir chez elle et son mari Pierre et ses enfants Val-Valentina et Sam-Samuel, à Paris _ aux pages 242 à 245 du tout dernier chapitre.

Le retour, décisif dans l’intrigue _ même si le récit en est réalisé avec infiniment de pudeur, discrétion et même délicatesse _, à Rome, s’étant, lui, déroulé entretemps _ le récit rétrospectif de ce décisif séjour romain d’une semaine nous étant donné par la narratrice aux pages 229 à 241 ; alors qu’aux pages 227-228, elle vient juste de déclarer, au final de ce chapitre encore « parisien » (avant son départ pour Rome), ceci _ :

« Les destinations pourraient être multiples, mais seule Rome m’obsède à présent _ voilà ! Revoir la ville qui est la mienne et celle de Nina _ sa sœur cadette : elles ont quatorze mois de différence et demeurent très étroitement liées… _, avoir l’illusion pendant quelques jours de recomposer une mosaïque dont les tessons se sont presque perdus dans ma mémoire aussi. Suturer une plaie _ surtout _ impossible à recoudre : Gloria _ leur mère maintenant décédée _ n’est plus là, le paquet de cartes s’est envolé, toutes les parties sont perdues. Des pensées de ce genre me traversent ce samedi matin _ qu’une nuit sépare probablement de la décision prise la veille au soir, à moins que ce ne soit bien davantage… ; cf le tout début du récit, à la page 13 _, alors que, restée seule à la maison, j’allume mon ordinateur et me décide enfin _ ce fut donc difficile d’oser franchir enfin ce pas… _ : j’achète un billet d’avion pour Rome« .

Et je reprends ici les citations de mon article d’hier :

De la première phrase, page 13 : « Je décide que je dois absolument aller à Rome. Je prends la décision un soir, en me démaquillant. Pierre est déjà couché…« ,

à, page 244, « Ce qui m’est arrivé à Rome, il faut que je le raconte à quelqu’un. Partager : nommer l’événement avant qu’il ne se congèle dans mon imagination sous forme de fantôme _ qui revienne méchamment (me) hanter. Le garder pour moi, protégé par ma carapace – cara pace, je n’y arrive pas. Ça ne m’est tout simplement pas possible » _ voilà ! en une fonction en quelque sorte cathartique du récit (parlé ou écrit)...

et surtout, mais avant de poursuivre ma citation, d’à peine 15 lignes plus loin, empruntée à la page finale, page 145,

je tiens cette fois, aujourd’hui, à citer in extenso, le passage qui précédait ma citation finale d’hier, que je reprendrai plus loin, à sa juste place.

Voici donc en quelque sorte rétabli ici le passage que j’avais shunté hier :

« À mon retour de Rome, je suis entrée dans la maison en même temps que Pierre _ son mari _, qui était venu me chercher à l’aéroport, depuis la porte, les enfants ont accouru à ma rencontre. Sam _ son fils, Samuel _ m’a regardée fixement, un long regard inquisiteur — comme s’il avait tout vu _ ce qui s’était passé à Rome. Et le lendemain, je jouais du piano avant le dîner, le second mouvement du Nocturne opus 9 de Chopin _ et je l’écoute interprété magnifiquement par Nelson Goerner, dans le double CD Alpha 359 _ avec lequel je me bats ces derniers temps sans grands résultats, et de nouveau je me suis aperçue que mon fils me regardait, il attendait de moi une réponse. Mon fils qui a quelques années — trop peu — de moins que Tommy.

Leïla _ la seule amie à Paris, et confidente, de Madeleine _ écoutera mon récit, peut-être qu’ele essuiera mes larmes parce qu’elle est mon amie et qu’elle sait faire ça _ elle qui est maquilleuse de profession. Je ne crois pas qu’elle formulera de jugement, ni qu’elle donnera de conseils. D’ailleurs

_ et c’est précisément ici que je reprends le fil de ce que j’ai cité hier !!! _

il n’y a rien à commenter, ni à conseiller _ de la part de quelque interlocuteur que ce soit…  Juste attendre que ça passe _ l’ébranlement de l’événement imprévu survenu (avec le jeune Tommy) à Rome, et maintenant ses éventuelles répliques à venir… Chère paix, carapace.

À la fin de notre coup de fil _ à Nina, la sœur (qui vit avec son époux Brian O’ Brien, à Brooklyn) de la narratrice, qui vit, elle, avec sa famille, à Paris, dans le 17e arrondissement _, ce que j’étais sur le point de demander à Nina, c’était si elle voudrait bien m’héberger _ chez elle et son mari _ à Brooklyn quelque temps.

Partir, seule _ sans son mari Pierre (diplomate à l’Unesco) et ses enfants Val (Valentina) et Sam (Samuel) _, prendre des distances. Mettre de l’espace, du silence, retrouver la clé, le sens _ dérangeant _ de cette rencontre imprévue _ à Rome, au parc aimé de la Villa Pamphili, avec Tommy… _ qui m’a choisie et atteinte comme un rayon de lumière.

Confier à Nina, à sa chaleureuse hospitalité d’âme désordonnée et de sœur, une histoire dont il aurait été plus normal qu’elle lui arrivât à elle, et qui au contraire m’est arrivée à moi.

Un événement qui n’appartient qu’à moi, mais pourrait être à Nina, et s’il devient aussi le sien, c’est grâce à cette intime indistinction qui nous lie _ depuis la brutale séparation (puis le consécutif éloignement d’elles deux, encore bien jeunes, âgées alors de 9 et 8 ans seulement…) de leurs parents, Sebastiano Cavallari et Gloria Recabo _, ce fil invisible que rien n’a jamais pu rompre.

Je vais lui demander si elle peut m’accueillir à New-York, quelque temps, chez eux : mais pas aujourd’hui. Une autre fois. Demain peut-être. » 

L’idée de « retourner » à la Rome de son enfance et adolescence _ durablement blessées, avec recherche de protection (et paix) en sa carapace indurée… _ est évoquée à 20 reprises dans le récit de la narratrice, de la page 13 à la page 228 :

aux pages 13 (« Je décide que je dois absolument aller à Rome« ), 14 (« Je suis rarement allée à Rome ces dernières années, et toujours pour des occasions d’une importance « capitale ». Avec Nina, pour les obsèques de notre mère« ), 15 (« Dans ma tête, cependant, Rome reste un endroit problématique : un enchevêtrement de souvenirs sur lesquels, par un instict naturel d’autoprotection, j’évite de trop m’attarder » et « Mais voilà, c’est décidé, pas le moindre doute ce soir. Je dois aller à Rome« ), 24 (« Pour l’instant, je n’ai pas la moindre envie de parler de mon éventuel voyage à Rome, ni à Pierre, ni aux enfants. Il faut d’abord que l’idée mûrisse, qu’elle prenne dans ma tête une forme suffisamment nette pour que je puisse la communiquer de façon adéquate. J’imagine un séjour bref, une semaine maximum. Ce sera la première fois que je pars seule. (…) J’hésite, je m’enferre dans es propres questionnements« ), 29 (« je suis en train de me demander si je dois aller à Rome ou pas« ), 40 et 41 (« Si j’éprouve un si fort besoin de retourner à Rome, c’est pour revoir les lieux, certains en particulier. (…) Mon désir de partir est survenu à l’improviste ; pourquoi justement maintenant et avec une telle urgence, je ne saurais le dire. Assurément c’est un vrai désir, net, qui se détache sur mes pensées comme une silhouette détournée sur une photo où le reste des détails est flou. Maintenant que Gloria est morte, maintenant qu’elle nous a abandonnées d’un coup et cette fois pour de bon, notre enfance explosée risque de s’effacer ; les preuves tangibles font défaut (…) Aller à Rome, c’est garder vivants les souvenirs, empêcher qu’ils ne s’estompent« ), 80 (2 fois: « Je retournerai chez Giolitti, si je vais à Rome. C’est un endroit que j’affectionne car j’y ai des souvenirs » et « Je me retrouverai à Rome, et les lieux seront différents de ce qu’ils sont dans mes souvenirs, plus banals, dépouillés, moins évocateurs qu’ils ne le sont dans ma mémoire ; (…) pourtant, y penser me réconforte et m’émeut. Pouvoir y revenir et m’y arrêter, à l’écoute des battements du temps« ), 99 (« Un autre endroit où je veux retourner si je vais à Rome, c’est le parc de Villa Pamphili, ce circuit où nous allions nous entraîner avec Mylène« ), 128 (« Je retournerai via Borgognona, à Rome. (…) Pendant des années Gloria s’y est rendue chaque jour« ), 171 (« Aujourd’hui que je désire y retourner pour un séjour, Rome me manque pour la première fois depuis que j’en suis partie. Nostalgie neuve, inconnue. Jusqu’à présent, la ville m’avait semblé être un chapitre révolu, un tressaillement terminé du passé. Maintenant, j’ai hâte de la revoir, je suis impatiente de renouer un pacte avec elle. J’habite à Paris depuis plus de vingt ans, sans avoir jamais réussi à me sentir parisienne. (…) D’ailleurs, s’expatrier dans mon cas n’a pas été un désir : plutôt une nécessité du cœur, un besoin spontané de rejoindre Pierre, de partager sa vie« ), 200 (« Pierre comprendra si je lui fais part de mon idée d’aller passer quelques jours à Rome toute seule ; il comprend toujours« ), 224 (« me demandant si je dois ou non faire mon voyage à Rome« ), 225 (« Je pense partir quelques jours, Pierre. Je ne suis pas allée à Rome depuis les funérailles de ma mère. J’ai besoin de revoir ma ville, elle me manque« ), 226 (« Quelle drôle d’idée, ma chérie. Qu’est-ce que tu pourrais bien trouver à Rome que tu ne connaisses déjà ? Mais vas-y, bien sûr, si tu en éprouves le besoin. Je m’occuperai des enfants, comme ça tu partiras plus tranquille« ), 227 (« Les funérailles _ de Gloria _ à Prima Porta  (…). Notre effroi à nous ses filles, pas du tout préparées au coup violent de cet événement inattendu. Tout avait été rapide, aussi sacrément rapide qu’il avait été, ensuite, difficile et long de le digérer. Pour cela aussi, le besoin de partir, de revoir Rome. Réinventer la conclusion posthume d’un parcours qui s’est terminé de façon traumatisante car trop brutale » et « Seule Rome m’obsède à présent. Revoir la ville qui est la mienne et celle de Nina, avoir l’illusion pendant quelques jours de recomposer une mosaïque dont les tessons se sont presque perdus dans ma mémoire aussi. Suturer une plaie impossible à recoudre« ) et 228 (« Des pensées de ce genre me traversent ce samedi matin, alors que, restée seule à la maison, j’allume mon ordinateur et me décide enfin : j’achète un billet d’avion pour Rome« ).

La présence à Rome de la narratrice lors de son « retour » d’une semaine, apparaît nommée à 8 reprises dans son récit rétrospectif « romain« , de la page 229 à la page 241 :

aux pages 230 (« J’aimerais bien revoir Marcos à Rome. (…) Mais Marcos n’est pas là, il est en Argentine« ), 232 (« À Rome ? » et « Mais qu’est-ce que tu fais à Rome, Maddalena ? Il est stupéfait, Seba, très surpris »), 233 (« Et ta sœur, elle en dit quoi, que tu sois venue à Rome comme ça, sans mari et sans elle ?« ), 234 (« Il est évident que tu en avais besoin, si le fait d’être à Rome te fait autant de bien que tu le dis, mon amour, me dit Pierre lorsque, rentrée tard le soir à l’hôtel, je l’appelle enfin. J’entends sa belle voix claire, vibrante »), 235 (« Devant celle qui était notre maison, en levant les yeux je parviens à voir l’angle de notre balcon. Je souris, libérée et nostalgique. Ces états d’âme, je les recherche depuis des semaines, depuis qu’à Paris je me suis mis en tête de vouloir aller à Rome. Le voilà le sens de mon petit pèlerinage : cette tristesse libre« ), 236 (« Je ne vis pas ici ; je suis en visite à Rome, comme touriste… mais pas une touriste par hasard« ) et 239 (« Peut-être que tu vas revenir à Rome et tu viendras chez moi, à la maison dans la journée il n’y a jamais personne« ).

Et le souvenir de ce séjour « romain » et la nécessité de le « rapporter » à un interlocuteur _ ou lecteur _ qui le reçoive, est mentionné à 3 reprises dans le chapitre conclusif, « parisien« , qui va de la page 242 à la page 245 :

aux pages 243 (« Le magnolia de la cour est en fleur, ça a dû se passer pendant que j’étais à Rome« ), 244 (« Ce qui m’est arrivé à Rome, il faut que je le raconte à quelqu’un. Partager : nommer l’événement avant qu’il ne se congèle dans mon imagination sous forme de fantôme« ) et encore 244 (« À mon retour de Rome (…), Sam m’a regardée fixement, un long regard inquisiteur — comme s’il avait tout vu« ).

L’étrange et surprenant, c’est l’échange final des comportements entre les deux membres de ce très lié _ presque imbriqué _ couple sororal , Madeleine et Nina, qui survient en ce « retour à Rome » de Madeleine,

de même, aussi, que dans la décision _ parallèle, à Brooklyn _ du double renoncement _ définitif, provisoire ?.. Mais pour Nina aussi, comme pour Maddi, tout reste ouvert au final : « pas aujourd’hui. Une autre fois. Demain peut-être« de Nina de quitter son mari Brian, à New-York, et de « retourner à Rome« , comme elle l’avait envisagé, disait-elle à sa sœur (« je pense rentrer à Rome, j’y pense vraiment« , tel que le citait la narratrice, Madeleine, à la page 104 du récit ;

avec le complément, aussi, de cette réflexion, alors, à ce moment, de Madeleine :

« Pour moi, les géographies sont des choix inébranlables, pour Nina, des transits provisoires, des hypothèses prêtes à se muer en d’autres accostages _ ici, et pour Nina, de New-York-Brooklyn à Rome, par exemple _, en de nouveaux ancrages temporaires« …) _ mais y a t-il vraiment du définitif et du complètement solidifié pour Maddi elle-même ?..

Même si, et c’est capital, le final du récit demeure, lui, ouvert :

« Je _ Madeleine _ vais lui _ Nina _ demander si elle peut m’accueillir à New-York, quelque temps, chez eux : mais pas aujourd’hui. Une autre fois. Demain peut-être« …

Ainsi la carapace protectrice-défensive indurée de Maddi-Madeleine s’est-elle finalement un peu entrouverte, à Rome…

Quant à Nina, et toujours en ce même dernier chapitre, et  à la page 243, voici ce qu’elle confie à ce même moment, au téléphone, depuis Brooklyn, à sa sœur Maddi :

« Il y a des trains _ ou Kairos… _ qui ne passent pas souvent dans une vie : il s’agit de savoir ne pas les rater. (…) Des arguments qui m’ont convaincue d’essayer encore _ voilà _ avec Brian. Ce n’est pas le moment de lâcher. Après tellement de temps ensemble, je dois essayer de ne pas tout envoyer balader, tenter, au moins…« .

Si les chapitres du roman ne comportent pas de titres,

le récit se trouve partagé en 4 grandes parties, de longueurs assez inégales, et aux intitulés assez parlants :

1) « Les courants » _ affectifs et pulsionnels, basiques pour la formation des personnalités… _ (pages 13 à 89)

2) « Les additions » _ de liens inter-personnels, avec leurs poids et indurations… _ (page 93 à 190)

3) « Les départs » _ d’abord géographiques : pour Paris et pour New-York… _ (page 193 à 212)

et 4) « Occasions » _ au pluriel, mais sans article ! Ou la croisée cruciale de Kairos... _ (page 215 à 245)

Et en voici le résumé :

Maddalena et Nina grandissent dans une famille dysfonctionnelle : leur mère _ Gloria Recabo, argentine vivant à Rome _ a quitté le domicile pour s’enfuir avec son amant _ Marcos, argentin, lui aussi _ tandis que le père _ Sebastiano Cavallari, Seb, romain des Castelli (à Genzano)… _ est obnubilé par son travail _ de photographe de mariages _ et incapable d’assumer ses responsabilités. Suite à une décision de justice, elles vivent seules dans une maison à Rome _  située à proximité du splendide parc verdoyant de la Villa Doria-Pamphili, dans le quartier de Monteverde _ sous la surveillance d’une gouvernante _ française, Mylène Roussel. Maddalena et Nina développent une relation fusionnelle.

ainsi que la 4e de couverture :

Que reste-t-il du lien que deux sœurs ont su tisser au milieu de l’enfance explosée, quand leurs parents se séparèrent et s’absentèrent ? Ce lien est celui de Maddi et Nina, la cadette, sœur intense, sœur jaillissante. Au côté de l’écorchée vive, Maddi a su se faire une carapace d’intelligence pour se retirer et observer _ telle sa petite tortue _ la vie sans jamais trop s’y exposer.

Mais, longtemps après, lorsqu’elle décide de laisser un temps _ une petite semaine de « vacances romaines«  _ sa maison parisienne, ses deux enfants _ Valentina-Val, et Samuel-Sam _ et son couple forteresse-tendresse _ qu’elle forme avec son cher mari à la « belle voix claire et vibrante«  Pierre, diplomate à l’Unesco _, pour revenir sur les lieux de son enfance, Maddi sent que sa carapace se fendille et qu’un équilibre _ de paix lentement gagnée  _ menace de se rompre. Tout le passé resurgit, les lumières déchirantes de Rome, Mylène la gouvernante athlétique _ française, originaire de Nantes _, les espérances, les leçons, les duretés et ce lien avec Nina plus fort que l’amour.

Que faire alors d’une carapace ? de deux ? Et les carapaces vieillissent-elles ? N’interdisent-elles pas les caresses ? Et puis, apportent-elles la paix ? _ cette paix qui n’est pas simplement l’absence de guerre, mais bien la concorde, l’union vraie et profonde des cœurs, comme nous l’apprend Spinoza…

Parce qu’il est le roman des sœurs, Sous ma carapace est celui des femmes dans le temps des fidélités _ et rencontres : oui, c’est bien cela.

Et fidélité au soi-même aussi : à découvrir peut-être, et en cherchant pas mal (sans rechercher cependant, surtout pas !), en apprenant à accueillir, plutôt même que saisir, au passage, seulement, tellement c’est fragile et délicat en la rareté de sa pure et si frêle beauté… Une grâce assez difficile, mais pas non plus impossible, à retenir, soigner, entretenir et cultiver…

Le principal du secret de l’art de vivre une vie vraiment humaine heureuse étant bien là.

Un livre passionnant, subtil et infiniment délicat

d’une très belle et fine écriture (et traduction) !!!

Ce vendredi 28 avril 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

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