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Une enthousiasmante nouvelle intégrale des Symphonies de Beethoven par l’épatant Yannick Nézet-Séguin à la tête du Chamber Orchestra of Europe ! Ou l’exaltation emballante de la vie même…

27déc

La nouvelle Intégrale _ absolument emballante de vivacité _ des Symphonies de Beethoven que propose Deutsche Grammophon, en un coffret de 5 CDs 486 3050, par Yannick Nézet-Séguin à la tête du Chamber Orchestra of Europe,

est tout simplement magnifique de vie !

Soit l’exaltation de la vie même !

Et j’apprécie, pour ma part, les interprètes qui font valoir le flux le plus vivace de la vie dans Beethoven,

tels, par exemple, les pianistes Stephen Kovacevich ou Ronald Brautigam, qui jouent Beethoven comme si celui-ci, avec la passion intense et exaltante qui l’anime, improvisait au piano…

J’abonde absolument, par conséquent, dans le sens de l’article de Christophe Huss, intitulé « «Beethoven. The Symphonies»: Yannick Nézet-Séguin surprend dans Beethoven« , paru dans Le Devoir, le 9 juillet 2022 :

Yannick Nézet-Séguin et une partie des musiciens de l’Orchestre de chambre d’Europe offrent une somme cohérente, tonique, chambriste, soudée, dans laquelle les individualités ressortent nettement au sein d’un collectif réduit. Cette affirmation du génie individuel au sein de la société est tout à fait dans l’esprit Beethoven.
Photo: Michael Gregonowits Yannick. Nézet-Séguin et une partie des musiciens de l’Orchestre de chambre d’Europe offrent une somme cohérente, tonique, chambriste, soudée _ oui _, dans laquelle les individualités ressortent nettement au sein d’un collectif réduit. Cette affirmation du génie individuel au sein de la société est tout à fait dans l’esprit Beethoven _ absolument…

La réputée étiquette Deutsche Grammophon fera paraître, le vendredi 15 juillet, une nouvelle intégrale des Neuf Symphonies de Beethoven. Le successeur de Herbert von Karajan, Karl Böhm, Leonard Bernstein et Claudio Abbado en la matière au sein de ce catalogue n’est nul autre que Yannick Nézet-Séguin. Le chef québécois y dirige l’Orchestre de chambre d’Europe. Le Devoir a écouté, savouré, puis discuté avec le chef.

Lorsque la photographie de couverture du futur coffret des Neuf Symphonies de Beethoven chez DG avec Yannick Nézet-Séguin et l’Orchestre de chambre d’Europe a commencé à circuler au printemps, les traditionnels « encore ? » et « à quoi bon ? » n’ont pas tardé à émerger sur les réseaux sociaux.

L’auditeur, qui aujourd’hui, en écoutant les Symphonies, de la Première à la Neuvième, suit le parcours musical du chef et de ces musiciens qui, il y a trente ans, marquèrent la discographie Beethoven dans l’intégrale dirigée par Nikolaus Harnoncourt, aura-t-il vraiment encore l’outrecuidance de poser ces questions ? _ Non !

L’individu

La pertinence esthétique _ voilà ! _, la cohérence et la singularité de cette nouvelle intégrale apparaissent très vite _ mais oui. Yannick Nézet-Séguin et une équipe de musiciens offrent une somme cohérente, tonique _ oui _, chambriste _ à très juste titre ! _, soudée, dans laquelle les individualités ressortent nettement au sein d’un collectif réduit. Cette affirmation du génie individuel au sein de la société est tout à fait dans l’esprit Beethoven  _ oui _ et, orchestralement, nous sommes proches du modèle français, avec des vents mis en valeur _ voilà ; et avec la lumineuse ligne claire, chambriste, des Français….

« Si j’avais à décrire l’Orchestre de chambre d’Europe (COE) en une phrase, l’idée des individualités dans le collectif, c’est ce que j’avancerais, nous confie Yannick Nézet-Séguin. C’est ce qui les rend uniques dans le paysage musical et qui fait que j’adore faire de la musique avec eux. Il faut savoir tirer parti de cette qualité. Ces musiciennes et musiciens, qui se retrouvent quelques fois dans l’année, jouent Beethoven par ailleurs avec leurs orchestres respectifs. Mon rôle est de réveiller cette flamme en eux. » _ la flamme, voilà. Le chef tient à ce que les instrumentistes ne cherchent pas à retrouver leurs habitudes, par exemple dans l’équilibre entre les bois et les cordes.

« Qui fait quoi et comment organise-t-on la hiérarchie, dans des symphonies qui ont reposé tant d’années sur la suprématie de cordes ? », se demande le chef, qui se souvient de sa première 9e de Beethoven à Philadelphie en 2012 : « Je me suis dit : il va falloir trouver un terrain d’entente ». Il était conscient du chemin, mais se déclare très satisfait de la récente intégrale en concert avec son orchestre américain à Philadelphie et à New York.

L’équilibre, dans Beethoven, pour Yannick Nézet-Séguin, « ce n’est pas qu’une question de nombre, c’est vraiment dans l’écoute. Dans Beethoven, ce qui m’intéresse ce n’est pas que la mélodie, c’est tout ce qui se passe au milieu, les détails du 2e mouvement de Pastorale. Nous sommes allés loin dans la caractérisation des figures d’accompagnement. »

Yannick Nézet-Séguin souligne le défi physique de l’enregistrement, sur deux semaines _ certes _ : « La partie des deuxièmes violons étant beaucoup plus exigeante que celle des premiers violons, dans la moitié des symphonies les premiers jouent la partie des seconds. » Avantage collatéral : sortir les musiciens de leur zone de confort. Quant à la présence de trompettes naturelles, elle change la couleur, et c’est un hommage à Nikolaus Harnoncourt, qui avait fait ce choix.

Nouveau texte

……

Pour plus de contact avec l’action musicale, DG a opté pour un son compact et dense, qui ne se dilue aucunement dans une réverbération factice : « C’est un gros sujet de travail avant, pendant et après, qui s’étend sur plusieurs années. La salle de Baden-Baden a un son très neutre. C’est une qualité. Mon idée était d’aller chercher les timbres de la manière la plus vraie possible, et je voulais une impression de proximité. C’est un travail énorme, surtout en postproduction, pour tirer le meilleur de chaque timbre. Je ne suis pas très control freak comme chef, mais quand il s’agit d’enregistrements j’aime participer au processus. »

Deutsche Grammophon a cherché à donner une autre valeur ajoutée et légitimité à l’entreprise. L’intégrale Nézet-Séguin est la première réalisée à partir de la nouvelle édition _ voilà _ des partitions publiée chez Breitkopf. Il s’agit, pour être précis, de la « Neue Gesamtausgabe » (nouvelle édition complète) des œuvres de Beethoven, publication musicologique (dite « Urtetxt ») de partitions par les Éditions G. Henle. Breitkopf & Härtel est l’éditeur du matériel d’orchestre et de la partition de direction.

L’éditeur des disques espère que cette première entraînera un effet de curiosité. Cela dit, on a déjà largement fait le tour de l’univers de Beethoven. Il s’agit surtout pour Henle et Breitkopf de « reprendre la main » sur leur concurrent Bärenreiter, qui accapare le marché depuis vingt ans avec une édition critique, dite « édition Del Mar », du nom du musicologue chargé du projet.

La grande révolution de l’édition Del Mar avait été d’imposer de jouer le 2e mouvement de Pastorale avec des sourdines. Il y avait aussi un gros travail sur la notation de l’accentuation des notes, Beethoven utilisant tantôt des traits tantôt des points.

La question des partitions pose problème au critique puisque à défaut de les avoir — certaines ne sont pas encore disponibles, et Breitkopf ne consent qu’à fournir au commentateur la préface et le commentaire critique de la Neuvième et d’une symphonie de son choix ! — il est quasiment impossible de savoir si telle originalité que l’on entend est une intuition du chef ou un changement induit par la partition nouvellement utilisée.

EN CONCERT

Beethoven dans Lanaudière

Grand week-end Beethoven en vue au Festival de Lanaudière. L’Akademie für Alte Musik Berlin vient donner trois concerts les 15, 16 et 17 juillet. Le principe est le même que dans les enregistrements parus chez Harmonia Mundi : les Symphonies nos 3, 5 et 6  seront mises en regard d’œuvres de leur temps véhiculant les mêmes idées : Grande symphonie caractéristique pour la paix de Wranitzky avec l’Héroïque, 1re Symphonie de Méhul avec la Cinquième, et Le portrait musical de la nature de Knecht, modèle avéré de Pastorale.

Yannick Nézet-Séguin et l’OM cet été

Yannick Nézet-Séguin dirigera l’Orchestre Métropolitain dans la 5e Symphonie de Beethoven au pied du Mont-Royal le 2 août à 20 h. Le tandem se produira avec le même programme au Festival des arts de Saint-Sauveur le 5 août à 20 h. Dans les festivals, Le Domaine Forget accueillera l’OM, son chef et Antoine Tamestit le 23 juillet, et le Festival de Lanaudière prendra fin avec deux concerts les 6 et 7 août, présentant notamment le 1er Acte de La Walkyrie et le Concerto pour piano de Schumann avec Hélène Grimaud.

En résumé, les modifications du texte musical touchent surtout des articulations. Les deux modifications qu’on remarque le plus sont un doublement à l’octave par les trompettes de certaines ponctuations du finale de la 7e Symphonie (ça fait pouet pouet, et c’est étrange) et l’ajout d’un contrebasson dans le final de la 9e. Côté idées particulières de Yannick Nézet-Séguin, la plus saisissante est l’emballement conquérant _ voilà _ à 3 minutes 49 secondes du final de l’Héroïque.

Au-delà de la musicologie

La question de l’utilisation d’une nouvelle partition pose cependant une question de philosophie interprétative. Lorsque l’édition Bärenreiter était sortie, la première intégrale, celle de David Zinman _ excellente ! _, était comme une carte de visite sonore de cette édition. Le chef d’orchestre ne perd-il pas sa liberté d’expression à s’engager dans un tel projet ? « C’était le piège dans lequel j’ai essayé de ne pas tomber », avoue Yannick Nézet-Séguin. « L’idée de l’intégrale avec l’Orchestre de chambre d’Europe date d’il y a environ 10 ans, donc bien avant l’existence de nouvelles partitions, et ce que j’ai à dire dans ces symphonies avec cet ensemble dépasse l’édition. Nous avons respecté les quelques différences et les avons fait valoir, mais il s’agit de détails, des changements d’articulation notamment. » Yannick Nézet-Séguin considère que le nouveau texte « simplifie certaines questions » : « Il y a certains moments où Del Mar, à force de mettre des chevrons partout et des parenthèses, nous perd. Cette édition Breitkopf simplifie les solutions en étant moins obsédée à nous livrer toutes les pistes. »

Au-delà de la musicologie, Yannick Nézet-Séguin opte surtout pour des solutions pragmatiques. Pour lui, le tempo de marche du solo de ténor dans la Neuvième est dicté « par ce qu’il y a après » : « La fugue est d’une qualité incroyable, Beethoven s’envole _ voilà _ avec son désespoir. Alors on trouve le bon tempo de la fugue et on recule. Le tempo de la marche découle de cela. »

Dans l’ensemble, l’intégrale COE/Nézet-Séguin est une somme très pertinente qui, 30 ans après Harnoncourt, repositionne l’Orchestre de chambre d’Europe dans le champ des éminents contributeurs à la cause beethovénienne, et efface, chez DG, la catastrophe industrielle de l’intégrale Nelsons-Vienne de 2019, qui venait après une désastreuse intégrale studio Abbado-Berlin (1999), si insignifiante que le chef l’avait fait retirer et remplacer par les bandes sonores de concerts donnés à Rome en 2001.

Dans l’esthétique Nézet-Séguin, le seul concurrent direct est l’intégrale de Paavo Järvi avec la Deutsche Kammerphilharmonie chez RCA.

Beethoven. The Symphonies

Siobhan Stagg, Ekaterina Gubanova, Werner Güra, Florian Boesch, Accentus, Orchestre de chambre d’Europe, Yannick Nézet-Séguin. DG, 5 CD, 486 3050. Parution le 15 juillet.

Et aussi ce très juste article en date du 22 juillet 2022, sous la plume de François Hudry, intitulé « Le nouveau Beethoven de Nézet-Séguin » :

Le nouveau Beethoven de Nézet-Séguin

Par François Hudry |

Le chef canadien Yannick Nézet-Seguin signe une impressionnante _ et jubilatoire _ intégrale des symphonies de Beethoven reposant sur une nouvelle édition critique. Passionnant _ oui !

Voilà longtemps que les partitions des neuf symphonies de Beethoven font l’objet de soins attentifs de la part des chefs d’orchestre et des musicologues. Ensemble, ils ont édité des « éditions originales » venant corriger les éditions fautives accumulant les erreurs à la suite de l’inattention des premiers éditeurs et des mauvaises interprétations des manuscrits quelquefois indéchiffrables. Ils sont remontés aux sources en s’aidant notamment des partitions utilisées à l’époque de leur création.

En 1982, le chef d’orchestre Igor Markevitch avait déjà publié une édition rigoureuse et documentée à la tête d’une équipe de musicologues chevronnés, puis ce fut le tour de Norman Del Mar de diriger une nouvelle édition chez Bärenreiter en 1997. Aussitôt enregistrée par David Zinman à la tête de l’Orchestre de la Tonhalle de Zurich, cette intégrale d’une grande valeur musicale _ oui ! _ passa malheureusement presque inaperçue _ pas tout à fait : ainsi mon disquaire préféré, Vincent Dourthe _ à côté des nouvelles versions « historiquement renseignées » qui avaient alors le vent en poupe.

C’est maintenant au tour de Yannick Nézet-Seguin de proposer chez Deutsche Grammophon une intégrale reposant sur une toute nouvelle édition critique, la New Beethoven Complete Edition, dans laquelle on trouve de menus détails d’articulation et d’expression. Ce qui compte en définitive dans ce nouvel enregistrement, réalisé au cours de quatre concerts donnés _ en suivant _ en juillet 2021 avec l’Orchestre de Chambre d’Europe, c’est la position historique d’un jeune chef très doué et ayant parfaitement assimilé les modes de jeux et le style retrouvés par ses aînés, notamment Nikolaus Harnoncourt dont l’intégrale à la tête de ce même orchestre avait fait sensation _ en effet _ lors de sa parution en 1990 (Teldec).

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Moins radical que ses prédécesseurs, Harnoncourt, Brüggen ou Norrington, le chef canadien recherche avant tout à souligner « la manière dont la musique de Beethoven peut nous surprendre _ et nous toucher au cœur _ aujourd’hui. » Ses tempos sont souvent vifs _ oui _, les articulations saillantes, sans emphase ni ego surdimensionné _ c’est cela. C’est une approche enjouée, humble et vivante _ oui, oui, oui _ qui rend à Beethoven toute sa brûlante actualité _ en sa flamme lumineuse _ avec un classicisme _ oui _ d’où toute excentricité _ d’un quelconque maniérisme _ est _ très heureusement _ bannie.

Voici aussi, encore, le bel article, intitulé « Renouveau« , de Jean-Charles Hoffelé, sur son excellent site Discophilia, le 24 décembre dernier,

et qui m’a incité à me procurer illico presto cette très réjouissante nouvelle Intégrale par Yannick Nézet-Séguin,

qui tout simplement m’emballe et m’enchante ! :

RENOUVEAU

Londres, début des années 1980, Michael Tilson Thomas, prenant de cours les adeptes de l’interprétation beethovénienne historiquement informée, enregistrait avec l’English Chamber Orchestra, dans les studios d’Abbey Road, une intégrale des Symphonies rendue à l’effectif des orchestres viennois de son temps _ une très judicieuse initiative !

Stupeur et tremblement dont l’écho se prolonge jusqu’à nos jours. David Zinman en reprendra _ non moins excellemment _  l’esprit sinon la lettre, aujourd’hui Yannick Nézet-Séguin, dans un beau coffret trop peu discuté chez nous _ depuis sa parution, le 15 juillet dernier _, ressuscite la lettre et l’esprit de cet acte pionnier, y ajoutant son tempérament si physique, idéalement marié à la grammaire beethovénienne _ mais oui _  et rappelant que oui, dans les temps de révolution, la lettre est bien l’esprit.

Écoutez comment fuse le Finale de la Quatrième, l’articulation du quatuor qui crépite chaque note, et puis, immédiatement le mouvement impérieux qui emporte la Septième Symphonie, ce Vivace cravaché.

Tout ici renouvelle l’écoute jusque dans une Neuvième fabuleuse (avec une partie de contrebasson retrouvée, tendez l’oreille !), vrai cosmos de sons qui ouvre sur de nouveaux mondes ; mais écoutez d’abord le con fuoco de la 8e (pas entendu ainsi depuis Scherchen), les idylles et les orages de la Pastorale dont le verni est ôté, l’élan épique de l’Eroica, fusant, irrésistible.

Alors oui, vous saurez que cette intégrale ne doit pas vous manquer _ en effet.

LE DISQUE DU JOUR

Ludwig van Beethoven(1770-1827)


Les Symphonies (Intégrale)


No. 1 en ut majeur, Op. 21
No. 2 en ré majeur, Op. 36
No. 3 en mi bémol majeur, Op. 55
« Eroica »

No. 4 en si bémol majeur, Op. 60
No. 5 en ut mineur, Op. 67
No. 6 en fa majeur, Op. 68
« Pastorale »

No. 7 en la majeur, Op. 92
No. 8 en fa majeur, Op. 93
No. 9 en ré mineur, Op. 125 « Chorale »


Siobhan Stagg, soprano – Eketarina Gubanova, mezzo-soprano – Werner Güra, ténor – Florian Boesch, basse – Accentus

Chamber Orchestra of Europe
Yannick Nézet-Séguin, direction

Un coffret de 5 CD du label Deutsche Grammophon 4863050

Photo à la une : le chef d’orchestre Yannick Nézet-Séguin – Photo : © Michael Bode

Bravissimo, donc, maestro Nézet-Séguin !

Et merci !

Ce mardi 27 décembre 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

Un nouvel enthousiasmant CD de Zefiro et Alfredo Bernardini : « Grand Tour a Venezia _ Heinichen Lotti Pisendel Veracini Vivaldi Zelenka », le CD Arcana A 534

22déc

Alfredo Bernardini, hautboïste _ je l’avais découvert et admiré vivement lors de Masterclasses, chez Philippe Humeau, à Barbaste _, dirige avec brio, panache, vivacité et élégance son toujours excellent Ensemble : Zefiro.

Et voici que, de Zefiro et Alfredo Bernardini, paraît un nouveau CD Arcana, A 534,

qui nous offre un très beau programme autour des rapports entre la cour de Saxe (et ses musiciens : Pisendel, Heinichen, Zelenka)

et la Cité de Venise (avec Vivaldi, Veracini, Lotti).

 

Voici ce que dit de ce très beau CD, sur le site de Crescendo, Christophe Steyne,

en un article du 17 décembre dernier, intitulé « Influence croisée entre Venise et la cour de Dresde : Zefiro tire un feu d’artifice » :

Influence croisée entre Venise et la Cour de Dresde : Zefiro tire un feu d’artifice !

LE 17 DÉCEMBRE 2022 par Christophe Steyne

Grand Tour a Venezia.

Francesco Maria Veracini (1690-1768) : Ouverture no 6 en sol mineur. Georg Pisendel (1687-1755) : Concerto pour violon no 2 en ré majeur JunP I.7. Antonio Lotti (1667-1740) : Sinfonia de l’opéra Ascanio. Johann David Heinichen (1683-1729) : Concerto pour deux hautbois en mi mineur Seibel 222. Jan Dismas Zelenka (1679-1745) : Ouverture a 7 concertanti en fa majeur ZWV 188. Antonio Vivaldi (1678-1741) : Concerto per l’orchestra di Dresda en sol mineur RV 577.

Zefiro. Alfredo Bernardini, direction et hautbois. Paolo Grazzi, hautbois. Lorenzo Cavasanti, Emiliano Rodolfi, flûte à bec. Alberto Grazzi, basson. Cecilia Bernardini, Claudia Combs, Ayako Matsunaga, Monika Toth, Rossella Croce, Ulrike Fischer, Isotta Grazzi, Matilde Tosetti, violon. Stefano Marcocchi, Teresa Ceccato, alto. Gaetano Nasillo, Sara Bennici, violoncelle. Riccardo Coelati Rama, violone. Francesco Corti, clavecin, positif. Evangelina Mascardi, luth.

Mai 2021. Livret en anglais, français, italien. TT 66’11. Arcana A534

Survivance et prolongement de la peregrinatio academica, le voyage d’initiation que les jeunes gens de l’aristocratie _ d’abord anglaise, puis, plus largement, européenne _ devaient effectuer dans les hauts-lieux de la culture européenne _ en Italie, tout particulièrement… _ contribuait à la formation politique et artistique des élites. C’est dans ce cadre pédagogique que Frédéric-Auguste Ier de Saxe (1670-1733) envoya en 1716 son fils à Venise pour son Cavaliertour, qui dura six mois. L’orchestre de la Cour de Dresde attirait les meilleurs musiciens de l’époque ; Frédéric-Auguste II (1696-1763) en emmena quelques-uns lors de son séjour dans la cité sérénissime, qui accueillait quelques compositeurs natifs (comme Vivaldi ou Lotti) ou de passage (Veracini, né à Florence et devenu organiste de la Basilique San Marco, Heinichen arrivé de Leipzig). Ce brassage marqua les œuvres, tant leur style que leur facture, stimulée par les brillants virtuoses de la Cour saxonne, tel le hautboïste Johann Christian Richter qui inspira au Prete rosso ses créations pour anches les plus ardues _ voilà. Certains compositeurs se plièrent au goût de cette Cour _ polono-saxonne… _, que séduisait le style français. D’autres y furent même ensuite invités, comme Heinichen que le fils ramena avec lui, mais aussi Lotti convié par Auguste le Fort l’année suivante, puis Veracini en 1720.

C’est cet extraordinaire réseau d’échanges et d’émulation qu’illustre le présent album _ voilà _, lançant un pont entre Dresde et Venise, et révélant les influences croisées entre ces deux majeurs foyers artistiques. Parfois sous forme d’hommage revendiqué, ainsi le Concerto per l’orchestra di Dresda où l’auteur des Quatre Saisons exploite un vertigineux laboratoire a molti strumenti (deux flûtes, deux hautbois, basson, cordes) conclu par un impétueux allegro. La même ivresse s’empare de l’étourdissante Folie qui parachève l’Ouverture a 7 concertanti de l’excentrique _ génialissime _ Zelenka, le fantasque Bohémien !

Le programme compte aussi un Concerto pour deux hautbois d’Heinichen, qui abondera le répertoire de la Cour par divers opus poly-instrumentaux, auxquels Reinhard Göbel consacra un remarquable double-album (Archiv, 1992). Le style français prisé par August der Starke est sensible dans la Sinfonia de l’opéra Ascanio ; or l’on s’étonne un peu que ce CD ait choisi celle des six Ouvertures de Veracini qui corresponde le moins à cette dilection. Le Concerto pour violon de son industrieux rival Georg Pisendel (une dissension qui poussa son confrère italien à se défenestrer !) révèle certes la diversité des faveurs musicales en vogue dans la « Florence de l’Elbe », dont témoigne le Gemischter Stil.

Depuis les vinyles de Nikolaus Harnoncourt, la discographie et les concerts viennent périodiquement enrichir l’hommage à cette Hofkapelle qui, jusque la Guerre de Sept ans, put resplendir aux oreilles des Princes-Électeurs de Saxe et souverains de Pologne _ voilà. Un récent _ superbe ! _ CD d’Alexis Kossenko à l’Abbaye de Royaumont _ le CD Aparté AP 258 _ en revigorait le faste par des moyens gargantuesques. Peut-être moins gourmand, d’un trait plus sec qui resserre la trame rythmique et aiguise les lignes, Alfredo Bernardini et son incisif _ oui : ultra-vivant ! _ ensemble Zefiro font ici assaut de tout le zèle imaginable. Des phrasés expressifs quoique drus arment une interprétation aussi précise que chatoyante. Des vertus augurées dans un récital « Dresden » enregistré en novembre 2016 pour le même éditeur _ le CD « Dresde 1720«  Arcana A 438 _, dans une veine chambriste. Tous les coups sont permis pour faire revivre l’éclat et le théâtre _ voilà _ de ces pages. On ne saurait distinguer un pupitre ou un moment tant le travail d’équipe signe un triomphe collectif _ oui, comme il se doit pour ces concerti con  molti istromenti On en sort épaté. La captation dynamique et haute en couleurs _ oui _  achève de nous combler. Admirable de bout en bout _ tout à fait ! Il y a deux ans au Réfectoire des moines, l’attelage Les Ambassadeurs / La Grande Écurie dressait une table de rois. Zefiro tire aujourd’hui le feu d’artifice qui magnifie ce festin.

Son : 9 – Livret : 9,5 – Répertoire : 9-10 – Interprétation : 10

Christophe Steyne

À comparer aussi avec les très récentes étincelantes réussites de Julien Chauvin (et son Concert de la Loge) et Amandine Beyer (et ses Gli Incogniti) en ce même brillantissime répertoire…

Ce jeudi 22 décembre 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

 

Comparer deux interprétations de la « Johannes-Passion » (en les versions de 1724 et 1725) de Johann-Sebastian Bach par Philippe Herreweghe, en 2001 à Cologne et 2018 à Anvers

25avr

Ayant été séduit par ma ré-écoute du double CD Harmonia Mundi HMC 901748.49 de la « Johannes-Passion » BWV 245 (en sa version de 1725), par Philippe Herreweghe et son Collegium Vocale de Gand, enregistrée à Cologne en avril 2001,

j’ai désiré confronter celle-ci à une plus récente interprétation du même Philippe Herreweghe et son Collegium Vocale de Gand, de cette « Johannes-Passion » BWV 245 (mais cette fois en sa version de 1724 _ celle qu’en son article du 17 avril dernier intitulé « Bach en soi » Jean-Charles Hoffelé a adéquatement nommée « la version princeps« … _), parue dans le coffret de 10 CDs du label PHI  LPH038, et enregistrée à Anvers en mars 2018.

Et je préfère, de loin, l’interprétation pulpeuse et profonde de 2001, de cette très tendre « Johannes-Passion » (de 1725),

à celle (de 1724) qui, personnellement, me semble cérébrale et décharnée, de 2018.

Et en cela, je ne partage pas, pour une fois, l’appréciation uniment laudative de Jean-Charles Hoffelé en son article de Discophilia du 17 avril dernier :

 

BACH EN SOI

Philippe Herreweghe aura produit au disque la révolution Bach la plus constante, la plus sereinement affirmée, s’ajoutant, au même degré de puissance suggestive, à celle menée par Nikolaus Harnoncourt et Gustav Leonhardt.

Son secret _ probablement, en effet ! _, le chœur, qu’il modèle de ses dix doigts comme jamais ni Harnoncourt ni Leonhardt n’ont pu le transfigurer _ eux qui ont fait appel à ce chœur du Collegium Vocale de Gand de Philippe Herreweghe en leur mémorable Intégrale des Cantates de Bach pour Telefunken… Chaque mot ici porte au cœur et à l’âme, dont l’impact est augmenté dans cette série entreprise pour son label _ Phi _ entre 2010 et 2022 par une sérénité supplémentaire, une sorte de simplicité et d’évidence qui laissent les lacis harmoniques et les fulgurances du verbe s’équilibrer dans un discours d’une éloquence souveraine.

Ce que toucher l’âme avec le son signifie rayonne _ mais inégalement selon ces 10 CDs, à mon goût personnel… _ au long de ce parcours BachHerreweghe revient à la Saint-Jean version princeps _ de 1724 _, en aérant la trajectoire expressionniste, y faisant pénétrer une lumière qui est déjà un peu celle de la Saint-Matthieu.

Retour aussi à la Messe en si, élancée, d’une élégance flamboyante.

Les Motets sont animés de cette même lumière où les polyphonies semblent des architectures célestes, l’ode funèbre (Lass Fürstin) si touchante _ très réussie, ici, celle-ci… _, les cantates, pour l’essentiel prises aux années de Leipzig, complètent ou augmentent les cycles entrepris pour Virgin et Harmonia Mundi ; ce dernier serait bien inspiré de rassembler en un fort coffret le legs Bach de celui qui enregistra tant pour le label arlésien.

Tous ces opus patiemment engrangés désignent la confluence du geste d’Herreweghe de celui de Bach, cette évidence qui, portée par des prises de son exceptionnelles, fait espérer que ce coffret de dix disques ne clôt pas un voyage dont j’espère déjà d’autres étapes et pourquoi pas de nouvelles Petites Messes ?

LE DISQUE DU JOUR

Philippe Herreweghe
The Complete Bach Recordings on Phi

CD 1
Johann Sebastian Bach(1685-1750)
Singet dem Herrn ein neues Lied, BWV 225
Komm, Jesu, komm, BWV 229
Jesu, meine Freude, BWV 227
Lobet den Herrn alle Heiden, BWV 230
Fürchte dich nicht, ich bin bei dir, BWV 228
Der Geist hilft unser Schwachheit auf, BWV 226

CDs 2 & 3
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Messe en si mineur, BWV 232
Dorothee Mields, soprano I – Hana Blažiková, soprano II – Damien Guillon, contre-ténor – Thomas Hobbs, ténor – Peter Kooij, basse

CD 4
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Cantate « Es ist nichts Gesundes an meinem Leibe », BWV 25
Cantate « Warum betrübst du dich, mein Herz? », BWV 138
Cantate « Herr, gehe nicht ins Gericht mit deinem Knecht », BWV 105
Cantate « Schauet doch und sehet, ob irgendein Schmerz sei », BWV 46

Hana Blažiková, soprano – Damien Guillon, contre-ténor – Thomas Hobbs, ténor – Peter Kooij, basse

CD 5
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Cantate « Ich elender Mensch, wer wird mich erlosen », BWV 48
Cantate « Herr, wie du willt, so schick’s mit mir », BWV 73
Cantate « Sie werden euch in den Bann tun », BWV 44
Cantate « Ich glaube, lieber Herr, hilf meinem Unglauben ! », BWV 109

Johann Schelle (1648-1701)
Komm, Jesu, komm, mein Leib ist müde
Hana Blažiková, soprano – Damien Guillon, contre-ténor – Thomas Hobbs, ténor – Peter Kooij, basse

CD 6
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Cantat » « Nimm von uns, Herr, du treuer Gott », BWV 101
Cantate « Mache dich, mein Geist, bereit », BWV 115
Cantate « Ihr werdet weinen und heulen », BWV 103

Dorothee Mields, soprano – Damien Guillon, contre-ténor – Thomas Hobbs, ténor – Peter Kooij, basse

CD 7
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Cantate « Ein feste Burg ist unser Gott », BWV 80
Cantate « Christ lag in Todesbanden », BWV 4
Cantate « Gott der Herr ist Sonn und Schild », BWV 79

Dorothee Mields, soprano – Alex Potter, contre-ténor – Thomas Hobbs, ténor – Peter Kooij, basse

CDs 8 & 9
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Johannes-Passion, BWV 245
Maximilian Schmitt, ténor (L’Evangéliste) – Krešimir Stražanac, basse (Jesus)
Dorothee Mields, soprano – Damien Guillon, contre-ténor – Robin Tritschler, ténor – Peter Kooij, basse (Pilatus, airs)
Philipp Kaven, basse (Petrus) – Stephan Gähler, ténor (Servus) – Magdalena Podkościelna, soprano (Ancilla)

CD 10
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Cantate « Es ist dir gesagt, Mensch, was gut ist », BWV 45
Motet « O Jesu Christ, mein’s Lebens Licht », BWV 118
Cantate « Laß, Fürstin, laß noch einen Strahl », BWV 198

Dorothee Mields, soprano – Alex Potter, contre-ténor – Thomas Hobbs, ténor – Peter Kooij, basse

Collegium Vocale Gent
Philippe Herreweghe, direction

Un coffret de 10 CD du label Phi LPH038

Photo à la une : le chef d’orchestre Philippe Herreweghe – Photo : © DR

 

Ce lundi 25 avril 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

Une nouvelle appréciation du double CD du concert d’adieu « Mozart – Beethoven » de Nikolaus Harnoncourt à Zurich en novembre 2011

04fév

Avec un peu de retard sur la parution en octobre 2021 du double CD « Farewell from Zurich » de Nikolaus Harnoncourt _ soit l’album de 2 CDs Prospero 0020 _,

que j’avais chroniqué le 9 octobre 2021, en rapportant la chronique sur ce même double CD, ce même jour, intitulée « Atelier«  de Jean-Charles Hoffelé sur son site Discophilia, en un article que j’avais intitulé « « ,

voici que le site de ResMusica publie, à son tour, sur ce même CD-événement, et sous la plume de Bénédict Hévry, un article excellemment détaillé intitulé « Les ravageurs adieux zurichois de Nikolaus Harnoncourt enfin publiés » ;

c’est-dire ici enfin écoutés...


Voici donc cette chronique de ce jour :

Les ravageurs adieux zurichois de Nikolaus Harnoncourt enfin publiés

La label suisse Prospero publie enfin les bandes des ultimes concerts de Nikolaus Harnoncourt à la Tonhalle de Zürich en novembre 2011. Sont opposées plus que réunies la Sérénade « Gran Partita » de Mozart et la Symphonie n° 5 de Beethoven.

Le 10 février 2011 s’éteignait à quatre-vingt huit ans Claus Helmut Drese, ancien intendant de l’Opéra de Zürich. Dès ses débuts sur place, il avait invité Nikolaus Harnoncourt à assurer la direction musicale de la trilogie montéverdienne confiée scéniquement à Jean-Pierre Ponnelle _ oui : un triple événement, qui fit date. Le chef autrichien dirigea là, par la suite, ses premiers opéras de Mozart dans la fosse, dont entre autres un Idoménée appelé à faire date _ lui aussi, à nouveau.

Pour cet ultime concert de novembre 2011, dédié à la mémoire de Drese _ voilà _, Amadeus était derechef convié pour une très singulière Sérénade « Gran Partita » KV 361 tantôt pulpeuse, tantôt ironique cérémonie des Adieux : une vision entre rires et larmes, entre drame intense et confidences intimes (les trios des deux menuets !), dont le sublime adagio se mue en procession quasi funèbre, la romance en sublime et crépusculaire oraison. Amoureusement préparée _ en effet _ dans le moindre détail l’été précédent, en la demeure austère de St-Georgen du maestro, par douze vents solistes et une contrebasse à cordes (dont sont tirés de surprenants effets au fil du pénultième thème et variations) issus de la phalange locale hélvétique, cette présente captation n’est pas sans quelques minimes scories liées aux aléas du direct – un hautbois premier soliste au son un rien pincé et nasillard, des cors faiblards à l’orée de l’adagio – ni sans quelques énoncés disruptifs, tels ceux du premier thème du Molto allegro liminaire, ou de l’ultime reprise du second menuet expédié prestissmo, bien dans la manière théâtrale et dramatique si typique du chef : le final affiche une hardiesse presque intrépide par ses rebonds rythmiques presque rageurs. Mais il règne aussi ailleurs, dans les vastes espaces nocturnes des mouvements intermédiaires, un sentiment d’indicible sérénité _ voilà _ presque fraternelle – les échanges entre clarinettes et cors de basset – de fragile beauté _ oui _ entre instantanéité hédonisme et geste architectural _ pour cette œuvre sublime… L’élévation du discours musical y reste toujours à hauteur d’homme, subtile exploration des replis de l’âme, sans l’écrasante monumentalité d’un Klemperer, ou sans les abysses métaphysiques d’un Furtwängler (tous deux chez Warner). Harnoncourt par cette alternance de force et de tendresse _ oui _, d’emportement et de sagesse, tourne le dos à son propre enregistrement « officiel » de studio avec les Wiener Bläsersolisten (Teldec/Warner, 1984), disque-manifeste bien plus univoque et quelque peu péremptoire de linéarité.

En seconde partie de ces concerts, Nikolaus Harnoncourt, musicien du « Tragique » par excellence, convoque Beethoven pour une torrentielle _ voilà _ (re)lecture de la Symphonie n° 5. Des diverses versions sous sa direction aujourd’hui couramment disponibles, voici sans aucun doute la plus radicale  _ oui _, la plus discutable, mais aussi la plus passionnante, l’ultime enregistrement live pour Sony avec le Concentus Musicus se révélant, en comparaison, de conception proche, mais d’avantage classique et unitaire dans sa réalisation destinée au disque, malgré un contexte là aussi live. A Zurich, l’approche interrogative _ voilà _ au plus près du texte n’empêche nullement ici une restitution de l’œuvre hautement suggestive et personnelle _ mais oui.

Le premier mouvement atteint une raucité implacable et incendiaire _ oui _ par ses tempi échevelés mais assumés, par le travail sur le «grain» sonore, (cordes senza vibrato, petite harmonie très présente et sèchement articulée, cuivres pointus, présence des timbales) que par ces tempi échevelés ou par ces ruptures discursives quasi expressionnistes (tempo fluctuant, retard « calculé » de l’attaque des cors à 0’43 ou à 2’05 , generale-pause prolongée et angoissante lors de la coda à 5’50, aux ultimes mesures précipitées accelerando, à la limite de l’implosion). Rarement le Destin _ voilà _ aura-t-il été ainsi saisi à la gorge ! L’Andante con moto respire davantage, avec un très subtil éclairage des voix secondaires, avec cette alternance ambivalente d’ambiances tantôt nostalgiques tantôt conquérantes, avec de très solides assises des cordes graves. Le scherzo – joué comme à l’habitude pour Harnoncourt avec sa grande reprise – et le final enchaîné sont plus proches de conception des autres enregistrements du maître, notamment dans l’articulation et l’agogique du fugato du trio, ou le surlignage des détails d’orchestration (choral de trombones, traits irradiants du piccolo) mais sans, par exemple, l’excentricité étonnante des accords conclusifs de l’ultime captation viennoise. Cependant, règne ici avant tout cette force mate _ voilà _, cette urgence de l’instant, cette électricité palpable et suffocante _ oui _ liée au direct dans ce contexte si particulier d’Adieux à un orchestre chéri. Après un dernier accord d’une puissance tellurique et dévastatrice, (oserions-nous dire karajanesque ?) le public ne rompt un long silence pour de très enthousiastes vivats qu’après plusieurs secondes, estomaqué par cette écrasante leçon de rhétorique quasi guerrière et cette vision de l’œuvre placée sous tension permanente.

Il est heureux que ces concerts à l’aura légendaire aient pu reparaître cinq ans après la disparition de Nikolaus Harnoncourt, avec l’aval de la veuve du maestro dans des conditions techniques idéales, et avec le support d’une présentation luxueuse. Pour compléter ce portrait idoine d’un artiste en perpétuelle interrogation _ oui… _, quelques extraits des répétitions des deuxième et troisième mouvements de la Symphonie n° 5 montre à quel point la dialectique discursive du chef s’éloigne du simple texte pour rejoindre, par des images suggestives, la plus palpable des réalités musicales. En soi, cette précieuse dizaine de minutes – hélas uniquement traduite en anglais dans le libretto – demeure pour le profane une leçon de musique _ oui _, par delà les querelles autour d’une introuvable ou improbable « authenticité ».

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Sérénade n° 10 en si bémol majeur KV 361 « Gran Partita ». Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Symphonie n° 5 en ut mineur, opus 67 augmentée d’extraits de la répétition des deuxième et troisième mouvements.

Philharmonia Zürich, direction : Nikolaus Harnoncourt.

2 CDs Prospero.

Enregistrés du 25 au 27 novembre 2011 en la grande salle de la Tonhalle de Zürich.

Textes de présentation en allemand, anglais, français et japonais.

Durée totale : 100 min.

 

Une réalisation mémorable.

Ce vendredi 4 février 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

La question de l’objectif de la justesse à viser, sinon réussir à atteindre, dans les diverses pratiques (composition, interprétation, production, écoute, témoignage) concernant la musique _ en réponse à un courriel d’Eric Rouyer…

06oct

Cher Éric Rouyer,

 
merci de me faire partager cette bien intéressante correspondance
notamment avec des interprètes centrés, probablement, sur la « vérité » (ou « justesse ») des œuvres mêmes des compositeurs
plutôt que sur leur propre carrière d’interprètes, les médias, leur image, leur ego…
C’est du moins ce que vous, producteur _ du label Le Palais des Dégustateurs _, me semblez attendre d’eux…
 
Mélomane passionné seulement que je suis, et pas du tout interprète musicien,
je peux, bien sûr, comprendre les très prégnants soucis d’activités professionnelles des interprètes
_ dont le parcours (de carrière) en vue de la reconnaissance (par les concerts, par les disques, etc.) est forcément compliqué et stressant.
Il y faut, en effet, pas mal de courage et de ténacité…
J’ai côtoyé de près certains d’entre eux : leur expérience m’est ainsi proche…
 
Mais, de (et en) cette situation de mélomane seulement,
c’est la justesse d’interprétation des œuvres des compositeurs par leurs interprètes qui personnellement m’intéresse (et que je recherche) en tant qu’écouteur passionné des interprétations, afin d’accéder le mieux possible à la « vérité » même des œuvres, 
même si cette « justesse » d’interprétation elle-même est forcément, déjà, très complexe,
donnant lieu à des analyses _ « musicologiques », et non pas strictement musicales… _ fort intéressantes pour l’esprit,
se situant elles-mêmes, théoriques qu’elles sont, « à cô » des soucis éminemment pratiques, eux, de la perfection du « rendu » des œuvres par les interprètes,
au disque comme au concert…
Je pense, par exemple ici, aux analyses et pratiques passionnantes d’un Gustav Leonhardt ou d’un Nikolaus Harnoncourt…
 
Nous tournons donc ici autour de la question du statut et des enjeux internes (et non contextuels et socio-historiques) de l’ « interprétation » des œuvres musicales,
qui croise _ autour de ce qu’est écouter, interpréter, composer… _ le questionnement que j’ai eu, au mois d’août 2011, en mes 3 articles _ détaillés _ suivants,
dont j’ai conservé le souvenir (je désirais en effets faire inviter les auteurs concernés (Martin Kaltenecker, pour L’Oreille divisée ; Christian Accaoui, pour les Éléments d’Esthétique musicale : notions, formes et styles en musique ; Alain Corbellari, pour Les Mots sous les notes…) témoigner de leurs analyses très fines à Bordeaux ; mais cela ne s’est pas fait) :
 
 
 
Tout cela,
et des divers points de vue envisagés (compositeur, interprète, producteur, mélomane),
est assurément important,
et nécessite, à chaque strate, et pour chacun, d’essayer d’écarter au mieux les facteurs négatifs de parasitage de la justesse :
que ce soit la justesse de la composition, la justesse de l’interprétation, la justesse de la production, et la justesse de l’écoute, des œuvres ;
sans oublier la justesse du témoignage a posteriori des interprétations de ces œuvres… 
 
À chaque strate, importance fondamentale et extrêmement vigilante, sans trop de compromission qui viendrait la gâcher,
de l’honnêteté et de l’humilité de chacune de ces opérations : composition, interprétation, production, écoute, témoignage,
de la part du compositeur, de l’interprète, du producteur, de l’écouteur, et du rapporteur témoignant…
Ce qui est toujours, et chaque fois, à chaque étape, difficile à réaliser et vraiment obtenir ; le chantier étant même infini…
 
Mais « Tout ce qui est beau est difficile autant que rare »,
concluait splendidement son Éthique le cher Spinoza.
 
Merci !!!
Honnêteté et humilité font partie de votre apanage…
 
Francis Lippa, à Bordeaux
Ce mercredi 6 octobre 2021, Titus Curiosus – Francis Lippa
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