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L’essentialité existentielle fondamentale de la lecture et du livre : Alberto Manguel parlant passionnément de son « Je remballe ma bibliothèque », le 18 janvier 2019, à la Maison de la Poésie, à Paris

09sept

En creusant un peu, sur le web,

et suite à la réception de retours ce matin, déjà, de divers amis

à mon courriel d’hier

comportant mon article ,

je viens de tomber sur la vidéo (de 66′ 06) d’un vraiment passionnant entretien, avec Sophie Joubert,

à la Maison de la Poésie, à Paris, le 18 janvier 2019,

d’Alberto Manguel, à propos de son livre, paru en octobre 2018, Je remballe ma bibliothèque...

Et je suis bien obligé de réviser mon _ très injuste _ a priori d’une certaine cérébralité _ probablement à la Borges _ d’Alberto Manguel, en ses livres.

Préjugé issu, aussi _ en plus de mon peu d’affection pour Borges _, probablement, de mon propre goût des livres, des vrais livres, matériels,

ainsi que de ma propre bibliothèque (et discothèque) personnelle,

dont je suis bien incapable de dénombrer les exemplaires.

Et je dois bien dire que je partage bien des choix et préférences d’Alberto Manguel,

tant à propos de ses rapports aux livres,

qu’à propos de ses conceptions de la lecture ;

dans la suite du rapport amoureux de Montaigne à l’entretien infiniment vivant

_ « tant qu’il y aura de l’encre et du papier«  (ainsi que de la vie, afin de pouvoir lire et pouvoir écrire)… _,

issu de sa propre mise en rapport archi-vivante et foisonnante de la lecture et de l’écriture

de ses Essais.

Bref,

Alberto Manguel me plaît beaucoup en sa passion des livres _ et de ce qu’il sait en analyser _ ;

des livres comme medium infiniment précieux et essentiel d’entretiens vivants et infinis avec leurs auteurs,

bien au-delà, bien sûr, de la disparition physique de ceux-ci ;

et de l’obsolescence matérielle des livres mêmes…

Le livre et la lecture, effectifs tous les deux,

comportent ainsi, et par là,

une consubstantielle et vitale dimension d’éternité

_ à apprendre à saisir ; et ne surtout pas manquer !

Cf aussi ce magnifique article du merveilleux Philippe Lançon, publié dans Libération le 26 décembre 2018 :

Manguel dans toutes ses étagères

MANGUEL DANS TOUTES SES ÉTAGÈRES

Par Philippe Lançon 26 décembre 2018 à 18:46

L’Argentin installé à New York déplore la perte de sa colossale bibliothèque dans une élégie à ses chers livres, en forme d’inventaire.

Alberto Manguel en mai 2013 dans sa demeure à Mondion, dans la Vienne.
Alberto Manguel en mai 2013 dans sa demeure à Mondion, dans la Vienne.Photo Léa Crespi. Pasco

En 2015, suite à des problèmes avec ce calmar géant qu’est l’administration fiscale française, l’écrivain argentin et canadien Alberto Manguel quitte son Nautilus, bâti dans une verte campagne de notre pays. Il y vivait depuis quinze ans _ 2000 _ et avait constitué dans un ancien presbytère, à Mondion près de Châtellerault (Vienne), une bibliothèque de 35 000 livres. Elle était rangée sur deux grands étages dans une grange du XVe siècle. C’était une nef de cuir et de papier. L’avenir et le souvenir, l’espoir et la mémoire, l’imagination et la réflexion, tout paraissait vivre et se conjuguer dans le silence et les légers craquements du bois. «Chaque matin, vers six heures, écrit-il, je descendais, encore tout ensommeillé, me préparais du thé dans la cuisine obscure sous les poutres apparentes de son plafond et m’asseyais sur le banc de pierre, en compagnie de notre chienne, pour regarder la lumière du matin envahir lentement le mur du fond. Alors je rentrais avec elle dans ma tour, qui était attachée à la grange, et je lisais.» C’était le souhait de Montaigne, de Candide également ; mais il est difficile, en ce monde, de cultiver longtemps son jardin.

Consolation. Au moment de son départ, l’écrivain avait 65 ans. Il a d’abord rejoint Buenos Aires, où il est devenu directeur de la Bibliothèque nationale, comme l’avait été Borges. Au moment où Manguel quitta l’Argentine, en 1969, Borges lui offrit son exemplaire de Stalky et Cie, de Kipling, lu en Suisse pendant son adolescence. Mais Borges, contrairement à Manguel, n’était pas attaché au livre en tant qu’objet. Il n’en avait que quelques centaines, et les donnait volontiers à ses amis ; sa bibliothèque était sa mémoire.

Manguel habite New York désormais. Sa bibliothèque dort depuis son départ dans des caisses, au Canada _ à Toronto. Il n’y a plus accès. Je remballe ma bibliothèque évoque celle-ci, son histoire, le lien aux livres propre à l’auteur depuis l’enfance, son usage des bibliothèques publiques, ce qu’il a éprouvé en empaquetant la sienne, ce que peut signifier, pour un homme tel que lui, pour les hommes en général, d’Alexandrie à Don Quichotte, la création et la disparition d’une bibliothèque. L’auteur d’Une histoire de la lecture et des Voyages imaginaires est devenu sa propre métaphore. C’est une métaphore triste. Et donc une élégie, précise le sous-titre. Selon Littré, le sens du mot, qui définissait une forme de poésie grecque, est aujourd’hui : «Petit poème dont le sujet est triste ou tendre.» Ou les deux : «J’ai lu et relu bien des fois Don Quichotte depuis le temps où j’étais lycéen, et j’ai toujours éprouvé, surtout dans le chapitre où Quichano découvre la perte de ses livres, une sympathie profonde pour le vieil homme berné. A présent, ayant perdu ma propre bibliothèque, je crois pouvoir mieux comprendre ce qu’il a ressenti et pourquoi il est reparti de par le monde. La perte vous aide à vous souvenir, et la perte d’une bibliothèque vous aide à vous souvenir de celui que vous êtes vraiment.» Je remballe ma bibliothèque est une autobiographie, un inventaire et une consolation.

D’Israël, où son père était ambassadeur, à la France, en passant par Buenos Aires et d’autres lieux, Alberto Manguel fait donc le récit des vies brèves de ses bibliothèques, de leurs métamorphoses et disparitions. Chaque étape lui inspire une digression, il y en a dix. L’histoire du livre, par exemple de la bibliothèque brûlée d’Alexandrie, se mêle à des réflexions sur la mémoire, sur la justice, sur le lecteur possessif qu’il est : «Quel caprice m’avait fait rassembler ces volumes en un tout comparable aux pays colorés de mon globe terrestre ? […] Et ce que je suis à présent reflète-t-il cette étrange obsession ? Parce que si toute bibliothèque est autobiographique, son remballage semble avoir quelque chose d’un éloge funèbre. Peut-être ces questions sont-elles le véritable sujet de cette élégie.» Il écrit pour retrouver ce qu’il a perdu, et qu’il ne retrouvera pas.

Inquiétude. Perdre ses affaires ne tracassait pas sa grand-mère, une vieille juive émigrée en Argentine qui disait, «dans un curieux mélange de russe, de yiddish et d’espagnol» : «Nous avons perdu notre maison en Russie, nous avons perdu nos amis, nous avons perdu nos parents. J’ai perdu mon mari. J’ai perdu mon langage. Toutes ces pertes ne sont pas si graves, car on apprend à se réjouir non de ce qu’on a mais de ce dont on se souvient.» La tristesse de l’auteur vient en partie du fait que ses livres portaient physiquement _ voilà _ ses souvenirs, qu’ils les faisaient flotter dans l’espace, qu’ils leur fabriquaient une arche et ses ancres. Il n’avait pas besoin de les relire ou même de les ouvrir pour savoir qu’ils étaient là, l’accompagnaient et le guidaient, les bons comme les mauvais, les jamais lus comme les dix fois lus : «J’étais certain, sans avoir à les parcourir de nouveau, que le Nommé Jeudi, de Chesterton, ou un recueil de poèmes de Cesare Pavese seraient exactement ce qu’il me fallait pour exprimer par des mots ce que je ressentais n’importe quel matin donné.» Exactement ? Pas sûr. Si, en effet, les mots ne sont que des reflets captés dans la caverne de Platon, «ce que nous formulons en mots n’est qu’ombres d’autres ombres, et tout livre avoue l’impossibilité de saisir pleinement ce que peut retenir notre expérience. Toutes nos bibliothèques sont le glorieux compte rendu de cet échec.» C’est une maigre compensation à une telle perte. Elle se double aujourd’hui, pour le lecteur ami de cet homme-livres, d’une certaine inquiétude. Si le monde qui vient est, comme il semble, de plus en plus dépourvu de bibliothèques à domicile, les hommes sans livres _ voilà _ vivront l’échec du langage sans même disposer de cet éclatant compte rendu, de ce souvenir. Ils seront simplement un peu plus bruyants et un peu plus bêtes _ comme le redoutait Orwell…

De New York, Manguel m’écrit: «L’exemplaire de Stalky et Cie que Borges m’a donné est toujours avec moi, ainsi que certains autres : mon exemplaire dAlice, mon le Nommé Jeudi, mon Borges complet. Mais tous les autres me manquent et je les entends m’appeler la nuit.»

Philippe Lançon

Alberto Manguel Je remballe ma bibliothèque. Une élégie et quelques digressions Traduit de l’anglais (Canada) par Christine Le Bœuf. Actes Sud, 160 pp.

Ce mercredi 9 septembre 2020, Titus Curiosus – Francis Lippa

Le trio éruptif de la grande maison climatisée de Sendagaya, à Tôkyô, en juillet 1978 : en affinant le détail de mes relectures de « Mes Années japonaises » de René de Ceccatty

22avr

En poursuivant mes relectures du Mes Années Japonaises de René de Ceccatty

_ cf mon article d’avant-hier _,

je découvre d’infimes détails qui avaient échappé jusqu’ici à la vigilance de ces relectures,

et dans lesquels sont présents de judicieux indices de ce sur quoi René de Ceccatty ne désirait visiblement pas s’appesantir, mais qui révèle à qui sait le relever-déchiffrer  _ ainsi d’abord qu’à lui-même, aujourd’hui… _ bien des choses capitales !

Car c’est au lecteur, par la sagacité de son attention non superficielle, ni trop distraite ou oublieuse, de venir chercher _ un peu _ les déceler-repérer-découvrir, ces indices présents, et relier-contextualiser à d’autres indices de cet ouvrage-ci _ à d’autres pages  un peu éloignées de ce récit-ci _ou bien d’antérieurs de l’auteur _ dans l’œuvre duquel tout, découvre-t-on détail après détail (cf le modèle donné par le récit de L’Hôte invisible), se tient…


En poursuivant ces relectures, je repère en effet de très discrets détails  _ et certains capitaux pour l’intelligence du tout ! _, dont l’importance m’avait jusqu’alors échappée :
lire René de Ceccatty demande une grande _ et très suivie _ attention à de minuscules indices, présents, mais _ dans le flux allègre et très fluide du récit _ peu mis en évidence.
Ce qui, personnellement, me plaît tant !

Ainsi, par exemple, le quartier, puis la grande maison, de Sendagaya _ à Tôkyô _, maison climatisée obligeamment prêtée pour le caniculaire mois de juillet 1978 (page 225),
dont je n’avais pas jusqu’alors perçu _ le nom de Sendagaya, d’entrée, ne me parlait pas assez ! _ qu’y avaient séjourné, le mois torride de juillet durant, non seulement le couple formé par René et sa compagne Cécile, mais, surtout, le mélodramatique trio « hystérisé » que vient former avec eux deux, ce très chaud mois de juillet 1978, R., étudiant ami de René :
entre rires des uns
et larmes et plaintes de l’autre
_ un trio « inverse » du « trio anglais » des landes du Devon, en 1980 (nous est-il indiqué, à la page 225 aussi), un trio formé cette fois de René, R., et leur amie logeuse anglaise (une céramiste, amoureuse et connaisseuse du Japon ; et qui allait très bientôt épouser son ami sculpteur japonais de Kyôto, comme nous l’apprenons à la page 174 ; lequel ne tardera pas à venir la rejoindre en Angleterre ; ce qui allait amener René et R. à quitter la petite maison de poupée de Totnes pour venir-revenir en France, au mois de juillet 1980, et habiter désormais à Paris).
D’où l’importance aussi de ce que narrent les retrouvailles à Nice, bien longtemps après le Tôkyô de juillet 1978, de René avec celle qu’il nomme « l’ombre blonde » d’un autre trio _ précisément ce couple de Français qui avait prêté à René et Cécile, sa compagne d’alors, ce mois de juillet 1978, leur grande maison climatisée de Sendagaya ; et la maîtresse japonaise du mari… _ ;
trio marqué, lui aussi désormais, par la trahison et l’abandon _ puis la mort du mari, resté définitivement là, au Japon, avec sa compagne Japonaise.
D’où la place, alors, du rappel de l’écriture antérieure de Raphaël et Raphaël… 
Et c’est aussi ce même mois de juillet 1978 qu’avait eu lieu le « basculement » révélateur (page 93) de Kiyosato (dont le détail n’est pas, non plus, narré : l’auteur le laisse dans l’ombre protectrice du non-dit) :
probablement juste avant _ mais ce n’est pas clairement indiqué ; ce pouvait être pendant, ou après… _ le séjour de ce mois de juillet caniculaire dans la maison climatisée de Sendagaya, au bord de la rivière Kanda _ qui a suivi ce « basculement » de fond, profond, de l’esprit de René sur ses perspectives à long terme d’existence
Mais page 78 vient de nous être indiquée par l’auteur, la révélation-confidence, en une lettre à sa mère datée du mois de juin précédent _ lettre conservée, retrouvée et relue quarante ans plus tard _de la description _ mais absente, elle, ici ! seulement évoqué, le détail de cette confidence de René à sa mère ne nous est pas, lui, livré ! Vis-à-vis du lecteur, l’auteur demeure extraordinairement discret sur tout cela : que tient-il donc à protéger par là ? _ de « la situation où je me suis mis » (sic) avec R. formule tout de même parlante en sa sobriété ; mais qu’implique-t-elle plus précisément ? Le début, déjà, d’une cohabitation de René et de R. , à Ichigaya par exemple ? …
Et déjà, en une lettre précédente du mois de mai, pour l’anniversaire de sa mère (le 22 mai),
René lui avait signalé « un de mes étudiants à l’intelligence et à la culture exceptionnelles, avec lequel je vais voir des films japonais récents, de « cinéma d’auteur » » en fournissant _ l’archive conservée est en cela précieuse ! _ « son prénom et son nom »
D’où l’importance de ces expressions-ci
disséminées _ aux pages 66, 73, 93, 131, 225 ; et c’est moi qui les relie ici entre elles _ dans le cours du récit, alerte et fluide _ et fragmenté _, que, forcément, chapitre vif après chapitre vif _ sans nulle lourdeur, jamais ! _, nous suivons :
_ page 66 : « Le malheur (…), c’est en juillet 1978 qu’il advint. Ce malheur évident (…), tonitruant, ostentatoire, brutal et sélectif » _ sans plus de précisions : à quoi de tangible peuvent donc se rapporter de si étranges adjectifs ? Le lecteur curieux s’interroge, et reste sur sa faim… _ ;
_ page 73 : « L’événement de la catastrophe » _ comment éclate-t-il ? et en quoi consiste-t-elle ? _ ;
_ page 93 : « En juillet 1978, il y avait dix mois que j’étais au Japon. Et déjà tout était écrit _ inscrit dans la structure et la qualité de la situation (et sans doute aussi d’un genre littéraire appliqué à la vie…), mais sans de plus amples précisions, ici non plus. Tout, je crois. La fin de ma vie précédente _ avec Cécile _, le début de mon autre vie _ avec R. _, et, d’une certaine manière, la fin de cette autre vie _ avec R. _ aussitôt _ par anticipation de fatalité, ou obsolescence programmée. Nous sommes allés, R. et moi, dans les hauteurs, à Kiyosato.
J’avais oublié ce nom qui pourtant m’a obsédé pendant vingt ans.
C’est à Kiyosato que tout a basculé, que j’ai compris que c’était cette route-là que _ dorénavant _ je prenais,
la route du Japon, des traductions de littérature, d’une nouvelle forme de pensée, de rapport au monde.
Mais j’ai fait semblant _ alors _ de ne pas comprendre. Cela s’appelle probablement le refoulement. La culpabilité aussi » _ voilà.
_ page 131 : « Tous ces juillets _ précédents : de 1967 à 1977 : l’auteur vient de rapidement les passer en revueportaient en puissance le juillet le plus terrible, celui de l’année 1978 » _ le plus terrible en quoi ? _.
_ page 225 : « Dans les parages du quartier Sendagaya _ à Tôkyô. Ce mois de juillet 1978 réclame _ de celui qui, cet automne 2018, quarante annnées plus tard, écrit et se souvient _ une autre visite _ mentale : pour celui qui tâche, parfois très douloureusement, de se ressouvenir avec un peu de précision et justesse (tant objective que subjective) de ces épisodes difficiles et peu glorieux, plus ou moins efficacement refoulés, de son passé. Il ne compte pas pour peu dans le naufrage _ de quoi ? lequel ? Nous ne le saurons pas clairement. (…)
De ce terrible juillet 1978nous étions tous les trois _ tiens donc ! et c’est en cette unique occurrence, ici, que nous le découvrons, en un très furtif et quasi imperceptible passage, page 225 _ dans cette grande maison,
ne m’est pour ainsi dire rien resté _ de souvenir un tant soit peu tangible, par ces menues sensations ayant résisté à l’oubli _ que la chaleur _ de la canicule _, la voix de Jessye Norman chantant des mélodies françaises et les pleurs de Cécile.
Elle nous en voulait de ne pas pleurer. Elle accueillait nos rires _ ceux de René et de R. _ en pleurant plus fort » _ et c’est là tout ce qui sera dit de cette situation d’alors aux conséquences destructrices.
« Malheur« , « catastrophe« , « basculement« , « terrible » _ à deux reprises, dont un « le plus terrible«  _, « naufrage » :
soient d’éminemment significatifs qualificatifs pour désigner un jalon crucial  du « mélodramatique » épisode étiré _ le mot « mélodrame » est en effet prononcé page 145 : « Il y avait, accompagnant le mélodrame de l’adultère, une légèreté solidaire, probablement, de la duplicité, un comique, dont non seulement j’étais conscient, mais que je recherchais… » _ des années 1976-1980 pour René, Cécile et R. _ le malheureux trio (brossé en très rapides traits en ces lignes volontairement elliptiques, d’un dire demeurant très allusif) de la villa de Sendagaya, ce mois de canicule de juillet 1978 _,
entre Paris, Denain, Tôkyô _ à partir du mois de juillet 1978, pour ce qui concerne l’irruption-immixion physique de R. dans ce qui vient former provisoirement ainsi (mais c’est loin d’être fini) un trio dans la grande maison de Sendagaya (page 78) _, Paris, puis Torquay et Totnes _ au cours du printemps 1980 où l’affaire des atermoiements de cet incommode trio finira par se dénouer avec la rupture violente de Cécile, restée, elle, en France, et la dissolution finale du trio (page 173) _, et le retour-installation définitif à Paris, en juillet 1980 pour deux d’entre ce trio éruptif _ qui loueront alors une chambre de bonne « près du métro aérien de Passy », page 177 (et page 218)…
Cet été-là 1978, 
après le mois de juillet passé par le trio dans la grande maison climatisée _ prêtée _ de Sendagaya, 
le mois d’aôut, en suivant, fut passé par eux à Karuizawa (page 192) _ situé au nord-ouest de Tôkyô, en région montagneuse, Karuizawa se trouve dans la proximité immédiate des hauteurs de Kiyosato : que déduire de la chronologie des péripéties alors passablement chahutées du trio ? D’autant que René avait déjà commencé à louer, avant même le prêt pour un mois (celui de juillet) de la maison climatisée de Sendagaya, un second petit appartement, dans le quartier d’Ichigaya, non loin de son appartement de Kagurazaka… _ :
« Je savais l’atermoiement exclu_ poursuit l’auteur, page 193. Et en même temps, si déterminé que j’aie été, je me laissais porter _ jusqu’à l’ivresse existentielle _ par le flux. Je n’avais aucun sens des responsabilités _ certes _ et j’étais convaincu de ne pas me mentir à moi-même puisque je ne mentais pas aux autres. Erreur ».
Très vite, René avait en effet trouvé un second logement _ « J’ai déjà pris (dès juin) un second appartement : je vais de l’un à l’autre », page 78 _, à partager avec R., dans le proche quartier d’Ichigaya, pendant qu’il continuait de partager celui de la Villa Kagurazaka _ son logement officiel et le plus effectif à Tôkyô _ avec Cécile :
« Je ne sais plus jusqu’à quand j’ai gardé l’appartement d’Ichigaya où je fuyais Cécile _ voilà _ pour retrouver R. _ voilà, ici, c’est dit. Sans doute jusqu’à l’automne 1978 où Cécile _ n’en pouvant plus ! _ est repartie pour la France _ ce qui réglait au moins la question du double logement ; mais Cécile n’en appelle pas moins tous les soirs de France ; le lien entre elle et René n’est donc pas coupé. Et il ne le sera, par la violente lettre de rupture de Cécile, que dix-huit mois plus tard…
Pour louer cet appartement j’avais dû demander la caution d’un ami _ Kôtarô _ que j’avais mis au courant. (…) Il m’aida sans manifester le moindre trouble ni me poser aucune question », page 82.
« Et, sans m’interroger, sans me demander aucune justification, rien en retour, il avait signé un engagement à payer toutes mes dettes si j’en avais, la propriétaire l’ayant exigé parce que je n’étais pas japonais.
L’appartement était tout en bois, non loin de la rivière Kanda. (…) Toutes les pièces étaient à tatamis. Là aussi _ comme à la Villa Kagaramuza _, les voisins, de l’autre côté de la rue, jouaient au mah-jong », page 83.
Un dernier élément, page 204, m’intrigue fortement,
à propos des conditions _ qualitatives _ particulières du début _ à Tôkyô, au mois d’avril ou mai 1978 _ ainsi que de la fin _ à Paris, au retour de René de Spoleto, fin juillet 1994 _ de la relation sentimentale singulière de René et de R. :
« Quant à l’amour
_ le mot est prononcé ; et c’est, me semble-t-il, l’unique fois du récit _,
il était né _ au printemps 1978 _dans des conditions si douloureuses et tellement culpabilisées
_ lesquelles donc ? à part la situation (évidente) de l’adultère du trio, elles ne sont à nul moment approchées-détaillées-décrites d’un peu près… _
qu’il n’avait pu _ et ce tout petit mot, ici, est capital, comme impliquant quelque fatalité-destin irréfragable, ou quelque obsolescence quasiment programmée (?) ; voilà qui donne considérablement à penser, si peu que l’on consente à s’y pencher-méditer-réfléchir… _,
malgré quinze années de vie partagée _ de mai 1978, à Tôkyô, à juillet 1994, à Paris, donc _,
se déliter _ fin 1993 et le premier semestre de 1994, avec l’irruption (explosive) d’Hervé dans la vie de René _ qu’avec violence et absurdité ».
Et nous n’apprendrons pas davantage ici la raison de ces deux très fortes appréciations, non plus que le détail des circonstances impliquées par elles. Le récit en restant à ces allusives très brèves notations-affirmations.
Que veut-il donc décidément par là protéger, en révélant le moins possible ?..
Ne se trouveront, mais à propos seulement du début de cet amour, en 1978 (mais aussi 1979), que les expressions, intrigantes déjà pour n’être en rien, elles non plus, explicitées, page 134, de
_ « scènes violentes dont j’étais l’acteur ou la victime (qui) étaient beaucoup plus spectaculaires _ tiens donc ! _ que ce que je pouvais lire dans les romans japonais ou français que je découvrais ou expliquais en cours » ! ;
et de 
_ « la vie hystérique et contradictoire _ qu’est-ce à dire ? _ que j’avais mise en place _ comment ? _, ayant chassé Cécile, l’ayant renvoyée en Europe _ en septembre 1978 _ en prétendant l’aimer encore, alors que mes priorités étaient déjà tout autres, et que je préparais _ comment ? _ ma vie commune avec R. » ;
et cela, nous est-il précisé, à propos « de sentiments _ lesquels donc ? _ par lesquels je passais _ voilà ! ce fut donc assez complexe… _ durant l’année qui se déroula de mai 1978 à juin 1979 » :
soit jusqu’au terme de l’effectuation par René, à Tôkyo, de ses deux années de service national actif ; et son retour _ laissant R. , lui, à Tôkyô _ en juillet à Paris, où il retrouvera Cécile, pour encore sept (derniers) mois : en février 1980, René ira rejoindre R. _ ayant fait, lui, le voyage d’Europe _ en Angleterre, dans le Devon. Puis Cécile finira par lâcher enfin prise…
Il s’agit donc ici de la palette probablement assez composite (et contrastée) des « sentiments » de René à l’égard de R. , tels qu’éprouvés au fil de ces quatorze mois de résidence _ partagée _, alors, à Tôkyô…
Pour un peu plus de précisions sur les circonstances factuelles et le vécu repensé de la fin-délitement « avec violence et absurdité » (comment ?) de cet « amour » entre René et R., en 1993 et 94,
il nous faudra tâcher d’aller rechercher quelques bribes de précision dans les récits-romans consacrés à l’histoire d’Hervé, dont, principalement, en son début lui aussi passablement éruptif _ qu’en déduire ? une compulsion de répétition ?.. _Aimer.
Sur l’art d’écrire _ assez magique et merveilleux ! _ de René de Ceccatty,
je remarque cette appréciation que le narrateur-auteur porte lui-même, tout à la fin de ses Années japonaises, page 244, sur l’art de l’écrivain Henri Thomas,
dont il apprend, lui à peine arrivé à Tôkyô, le décès qui vient de survenir en France le 3 novembre 1993 :
Henri Thomas, 
« un écrivain que j’admirais _ voilà _ pour la mystérieuse façon fragmentaire, capricieuse, arbitraire, masquée _ oui pour chacun de ces adjectifs _ dont il livrait quelques épisodes de sa vie d’un passé plus ou moins éloigné. (…) Ses livres témoignaient _ avec délicatesse et élégance _ de ses passions, des drames qui frôlaient la tragédie sans y sombrer. Il en présentait la pénombre, l’aspect irrésolu : cet inachèvement faisait partie d’une métaphysique de son écriture, qui me séduisait » _ René de Ceccatty est aussi un extraordinaire auteur d’articles de lecteur de livres (ici pour Le Monde) : quel double art et de l’analyse et de la synthèse ! quelle vertigineuse acuité-profondeur-amplitude de perspicacité-intelligence de ce qui est !
Comment mieux caractériser que par ces mêmes mots employés pour l’art, ici, de Henri Thomas
ce qu’on pourrait qualifier, à son tour, si ce n’est de « métaphysique de l’écriture » _ il n’y a pas d’ambition d’ordre métaphysique dans l’écriture présente de René de Ceccatty ; à la différence de ses tout premiers essais d’écriture en son adolescence… _, du moins de magie splendide de l’art poétique du récit de René de Ceccatty ?
Et tout particulièrement en ce splendide Mes Années japonaises
Quant au fond traité  _ grave et essentiel pour la maturation humaine de la personne même de l’homme René de Ceccatty, en son compliqué parcours sentimental, au-delà de l’auteur de ses livres qu’il est aussi, même si les deux sont consubstantiellement liés !par cet archi-lucide Mes Années japonaises,
je dirai que
la conquête par René de la sérénité lui aura été, en effet, longue, compliquée _ à cahots répétés (mais pas chaotique !) : la compulsion répétitive d’impasses affectives n’ayant rien d’un chaos… _, et demeurée un peu longtemps fragile :
il lui fallait probablement découvrir son vrai « paysage intérieur » personnel,
ainsi qu’il le narre avec émerveillement aux pages 101 et 382 de son Enfance, dernier chapitre _ cf mon article du 12 décembre 2017 : … 
Au moins a-t-il su opérer-accomplir ici un lucide et splendidement sensible point-bilan _ peut-être enfin apaisant : c’est ce que nous lui souhaitons _ de ses étapes sentimentales japonaises _ en plusieurs strates : à Tôkyo (septembre 1977 – juin 1979), Torquay et Totnes (février-juin 1980), Paris et Brosses (juillet 1980 – juillet 1994) _ compliquées et mal réglées sur le vif, jadis _ parce que refoulées, non vraiment affrontées-assumées ; et qui continuaient de le travailler encore un peu, par intermittences, ne serait-ce qu’en quelques nocturnes cauchemars ; ainsi que, pour lui, écrivain, faute d’une écriture qui ait été alors à la hauteur des complications affectives à identifier-pénétrer afin de vraiment pouvoir les surmonter _ de son parcours sentimental de personne.
Et le récit qu’il nous en donne ici _ et maintenant, en un âge désormais quasi pleinement accompli ! _ est tout simplement magistral, en l’allègre et légère _ naturelle _ fluidité _ splendidement conquise _ de cette lumineuse _ dénuée de tristesse comme de pesanteur, et plus encore du moindre didactisme, est-il besoin de le dire ? _ écriture ;
celle-ci ayant désormais accédé à un vrai pouvoir, aussi _ pour lui-même _, de rémission thaumaturgique personnelle ; même si cela se situe, pour nous ses lecteurs, à la marge de notre lecture enthousiaste charmée.
À elle seule _ indépendamment, bien sûr, de tout le chemin d’écriture parcouru par l’auteur depuis ses tout premiers ouvrages de jeunesse _, par ses aperçus si justes sur le réel même _ mais oui, car c’est lui qui est ici rejoint _ du monde et des personnes,
la force rayonnante de beauté vraie (et sobre _ et musicale _) de son livre, se suffit à elle-même pleinement.
À suivre…
Ce lundi 22 avril 2019, Titus Curiosus – Francis Lippa
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