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Le charme extrêmement prenant de Benjamin Appl à nouveau opérant et superbe dans un programme à nouveau original et assez singulier : un bouquet de 19 Lieder de Franz Schubert en des adaptations orchestrales d’Anton Webern (5), Max Reger (7), Alexander Schmalcz (2) et 5 autres compositeurs-orchestrateurs, avec la complicité du chef, natif lui aussi de Ratisbonne, Oscar Jockel, et le Münchner Rundfunkorchester : un album infiniment séduisant de clarté et naturel, justesse et poésie…

10oct

Benjamin Appl à nouveau superbe dans la réalisation très réussie _ quel beau timbre de voix, et quel subtil et évident art du chant ! _ d’un nouveau projet très original et singulier :

un bouquet magnifiquement composé de 19 Lieder _ avec piano, à l’origine _ de Franz Schubert en des adaptations orchestrales _ assez peu courues et ainsi rassemblées… _ d’Anton Webern (5), Max Reger (7), etc.,

avec la complicité du chef _ natif de Ratisbonne (le 24 décembre 1995) comme Benjamin Appl (né le 26 juin 1982) _ Oscar Jockel, et le Münchner Rundfunkorchester :

soit un album BR Klassik 900346 _ enregistré à Munich du 28 au 30 septembre, le 30 novembre, et les 1er et 2 décembre 2022 (Benjamin Appl vient d’avoir 40 ans ; et Oscar Jockel a tout juste 26 ans), et en une prise de son de Christine Voitz, d’une stupéfiante clarté et un exemplaire naturel ! ; l’album est sorti le 6 octobre dernier, il y a à peine 4 jours… _ à nouveau très prenant et vraiment plein de charme…

De Benjamin Appl _ baryton bavarois, formé au très fécond Regensburger Domspatzen de Ratisbonne (et ultime élève de Dietrich Fischer-Dieskau), et désormais installé à Londres _, mais cette fois avec le seul piano de James Baillieu _ né, lui, en Afrique du Sud au mois de mars 1982 _,

m’avait si fortement impressionné le très original et éminemment singulier CD Alpha 912 « Forbidden fruit » _ enregistré à Lugano du 27 au 30 juillet 2020 _, que je lui avais consacré rien moins que 4 articles, les 29, 30, 31 juillet et 1er août derniers :

« « ,

« « ,

« « 

et « « …

De même,

je m’étais tout de suite procuré le « Winterreise » schubertien de Benjamin Appl et James Baillieu, au piano, le CD Alpha 854 _ enregistré à Kentish Town, en Angleterre, au mois de septembre 2021 _, très réussi lui aussi.

Incontestablement,

ces 19 adaptations de Lieder avec piano seul de Franz Schubert (Lichtental, 31 janvier 1797 – Vienne, 19 novembre 1828) pour des interprétations avec accompagnement d’orchestre,

et par des compositeurs aussi différents qu’Anton Webern (Vienne, 1883 – Mittersill, 1945) pour 5 Lieder, Max Reger (Brand, 1873 – Leipzig, 1919), pour 7 Lieder,  ou le contemporain Alexander Schmalcz (né à Weimar en 1969), pour 2 Lieder,

mais aussi Johannes Brahms (Hambourg, 1833 – Vienne, 1897), Kurt Gillmann (Wannsee, 1889 – Hannovre, 1975), Felix Mottl (Unter Sankt Veit, 1856 – Munich, 1911), Benjamin Britten (Lowestoft, 1913 – Alderburgh, 1976), ou Jacques Offenbach (Cologne, 1819 – Paris, 1880), pour un Lied chacun,

surprend, étonne, charme et enrichit notre écoute…

En commençant ici par les 2′ 39 du très beau lied « Abendstern » de la première plage du CD, un lied de 1824 sur un poème de Johann-Baptist Mayrhofer, ici dans une orchestration d’Alexander Schmalcz,

on pourra écouter, en suivant, l’ensemble des 23 plages _ ainsi accessibles ici à l’écoute _ de ce très beau original CD…

De ce CD, je recommande tout spécialement la plage 5 (de 4′ 18) « Du Bist die Ruhe« , un lied de 1823 sur un poème de Friedrich Rückert, ici dans une orchestration d’Anton Webern,

et la plage 18 (de 3′ 44) « Nacht und Träume«  _ peut-être mon lied préféré de Franz Schubert : extatique !.. _, un lied de 1825 sur un poème de Matthäus von Collin, ici dans une orchestration de Max Reger…

À ces 19 Lieder chantés par le baryton éminemment charmeur _ quel naturel ! quelle clarté ! _ de Benjamin Appl,

le CD adjoint, aux plages 3, 7, 13 et 20,

10 « Deutsche Tänze (serie 1) » de Franz Schubert, adaptées pour l’orchestre par Johann von Herbeck (Vienne, 1831 – Vienne, 1877)…

Le très grand talent d’interprète de Benjamin Apple, aidé ici de celui d’Oscar Jockel, est de ne jamais tomber en une réalisation hyperbolique, opératique, de ces Lieder en ces versions avec accompagnement symphonique _ toujours tendre, précis, doux, délicat et infiniment léger _,

mais de savoir conserver et excellemment restituer l’intimité chaleureuse et tendre, complice, des humeurs des soirées de Liederabend, en un très attentif petit cercle d’amis proches, pour lesquels étaient donnés et créés ces Lieder avec un simple piano _ données du 26 janvier 1821, dans l’appartement de la famille von Schober, au 28 janvier 1828, chez Joseph von Spaun, pour ce qui concerne ces mémorables schubertiades auxquelles a participé Franz Schubert à Vienne… _,

tout en procurant à ces si touchants et très variés Lieder, d’une infinie délicatesse, sans le moindre surlignage de moindre mauvais goût, cette coloration symphonique qu’ils comportent aussi, en très fin subtil filigrane,

et que se sont amusés à leur apporter, à diverses époques de rayonnement de ces chefs d’œuvre intimes de Schubert _ très vite reconnus comme tels ! _, ces divers compositeurs ainsi orchestrateurs :

Jacques Offenbach (1819 – 1880),

Johannes Brahms (1833 – 1897),

Felix Mottl (1856 – 1911),

Max Reger (1873 – 1919),

Anton Webern (1883 – 1945),

Kurt Gilmann (1889 – 1975),

Benjamin Britten (1913 – 1976)

ainsi que notre contemporain et en activité _ en particulier pour le magnifique Matthias Goerne.. _ Alexander Schmalcz (né en 1969) _ ici, en ce programme, pour les Lieder « Abendstern » et « An Sylvia« , un lied de 1826 sur un texte de Shakespeare (extrait des « Deux gentilshommes de Vérone« ) adapté par Eduard von Bauernfeld…

Un CD tout simplement admirable : exceptionnel de justesse, clarté, naturel

…et poésie.

Benjamin Appl, décidément magnifique ; et plus que jamais à suivre…

Ce mardi 10 octobre 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Et à nouveau à propos du renversant CD Beethoven de Pavel Kolesnikov

23oct

Á nouveau à propos du renversant CD Beethoven du prodige Pavel Kolesnikov

_ cf mon article du 10 octobre dernier :   _,

ce matin, et sur son site, l’article de Jean Charles Hoffelé : ÉTONNEZ-MOI,

avec cette même très jouissive impression musicale

éprouvée et exprimée…

Étonnez-moi

ÉTONNEZ-MOI

Pavel Kolesnikov ne fait rien comme autrui _ sans rechercher quelque artificielle originalité d’interprétation ; non, il ressent autrement… Un disque Beethoven, oui, mais alors sans aligner trois ou quatre sonates, deux suffiront. Et quel choix ! _ et composition inventive de son programme ! La petite sol majeur, Op. 14 No. 2, pure pièce d’humeur, de fantaisie _ de plaisir _, qui permet au jeune pianiste de distiller des couleurs en estompe et de faire usage d’une pédale virtuose. Il faut entendre comment il compose les images sonores du Finale, ce presque rien où Haydn _ et tout son humour _ semble s’être invité.

Surprendre dans la Clair de lune semble _ en effet _ plus improbable, mais pourtant il y parvient _ et combien superbement !!! mais pas pour faire l’original… _ : il entend _ voilà ! _ le sostenuto noté par Beethoven pour l’Adagio comme un sostenuto rythmique, tempo rapide tel celui d’un astre lointain qui tournerait sur lui-même, le tout murmuré _ oui _ dans les feutres des marteaux, théâtre d’ombre pour une lune couleur d’amande, pâle, hivernale _ mais oui. Quelle vision _ voilà _ dans ce presque silence, si ce n’est pas d’un magicien _ en effet ! au pur service de la musique _, ce son-là ! L’Allegretto, posé, se regarde dans le miroir, mystérieux _ et fascinant _ avec ses rallentendos, étrange ! Lunaire. Alors que le Presto agitato est un galop _ beethovenien _ dans la brume.

L’album s’ouvre _ mais ce n’est pas du tout là simple rhétorique _ par quatre pièces brèves, ponctuations _ mais pas seulement ! _ dites avec une sorte de réserve, de distance, même dans les deux Allegretto assez pince-sans-rire. L’ombre de Haydn à nouveau ? Ou l’anticipation de quelque facétieux Schoenberg ? ou Webern ? En son centre, les Bagatelles Op. 33 étonnent par leur ton musardant, leur fantaisie sans nuage, quelque chose de lisse qui les met à cent lieux des fantaisies d’un Stephen Bishop _ que l’on apprécie tant, aussi. Interpréter est forcément acte d’ouverture de sa lecture. Et écouter aussi… Etrange là encore, mais fascinant _ oui !!! _, alors que les Variations sur un thème original manquent soudain d’incarnation : il ne faut pas avoir Gilels en tête _ autre grand lecteur de musique. Bémol mineur pour un disque majeur _ voilà _, qui me donne envie d’entendre Kolesnikov chez Haydn. Et ailleurs, tant son spectre de curiosité, je pense ici à son Louis Couperin au piano, comme à ses Mazurkas chopiniennes, est large… Cf mon article du 4 avril … Oui, nous sommes impatients d’écouter le prochain CD de Pavel Kolesnikov !

LE DISQUE DU JOUR

Ludwig van Beethoven(1770-1827)
Andante en ut majeur, WoO 211
Presto en ut mineur, WoO 52
Allegretto en ut majeur, WoO 56
Allegretto en ut mineur, WoO 53
Sonate No. 14 en ut dièse mineur, Op. 27 No. 2 “Clair de lune”
7 Bagatelles, Op. 33
Sonate pour piano No. 10 en sol majeur, Op. 14 No. 2
32 Variations sur un thème original en ut mineur, WoO 80

Pavel Kolesnikov, piano

Un album du label Hypérion CDA68237
….

Photo à la une : Le pianiste Pavel Kolesnikov – Photo : © Colin Way

Sur la question de l’interprétation

et de la place de l’interprète

face aux œuvres à interpréter

et servir le mieux possible,

cf aussi cet article mien du 13 octobre dernier :


Ce mardi 23 octobre 2018, Titus Curiosus – Francis Lippa

Le génie (musical) de Lucien Durosoir en sa singularité : le sublime d’une oeuvre-« tombeau » (aux vies sacrifiées de la Grande Guerre) ; Baroque et Parnasse versus Romantisme et Nihilisme, ou le sublime d’éternité de Lucien Durosoir

12oct

En réponse à l’envoi, par Georgie Durosoir,

d’un magnifique article _ Durosoir, jardinier d’un reposoir pour l’âme _ de Fred Audin,

cette réponse-ci, mienne,

sur la singularité _ puissante : s’en réjouir, au lieu de s’en effrayer ! _

de l’œuvre de Lucien Durosoir…

Voici l’échange de courriels de cette nuit :

De :   Georgie Durosoir

Objet : lucien Durosoir cf
Date : 11 octobre 2010 22:14:33 HAEC
À :  Titus Curiosus

Chers amis,

Je suis certaine que vous prendrez quelques minutes pour lire cette critique du dernier CD _ Jouvence : CD Alpha 164 _ de Lucien Durosoir

et que vous partagerez notre joie.

Je vous en remercie par avance

Georgie Durosoir

—–

Durosoir, jardinier d’un reposoir pour l’âme

Vendredi 8 octobre 2010 par Fred Audin

La sortie du troisième disque _ le CD Alpha 164 Jouvence _ consacré à la musique de chambre de Lucien Durosoir ne fait que confirmer avec plus d’éclat encore _ en effet ! cf déjà le prodige, en 2008, des 3 Quatuors à cordes (CD Alpha 125, par le Quatuor Diotima) !.. ; et, en 2006, le CD de Musique pour violon & piano (CD Alpha 105, par Geneviève Laurenceau et Lorène de Ratuld) _ qu’il s’agit d’une des découvertes les plus importantes de ce début de siècle _ voilà !!! rien moins !!! _, tout juste 55 ans après la mort de l’auteur _ le 4 décembre 1955. Sans son fils Luc, sa belle-fille, Georgie, auteur du livret et d’articles remarquables sur les musiciens dans la Grande Guerre, sans les éditions Symétries qui en ont publié les partitions et les instrumentistes sollicités par le label Alpha décidément incontournable _ en effet ! _ même en dehors de la musique ancienne _ dont Alpha est le maître ! _, il ne resterait rien _ d’audible (ou de lisible musicalement ) par nous _ de Lucien Durosoir _ 1878-1955 _, qui, virtuose célébré du violon _ de 1900 à 1914, par toute l’Europe : de Vienne à Berlin, et Moscou à Paris… _, n’a pas été enregistré avant 1914, date qui mit fin à sa carrière d’interprète _ en 1919, la vieille Europe est en ruines ; cf par exemple Stefan Zweig : Le Monde d’hier _ Souvenirs d’un Européen ; ou Paul Valéry, in Variété I : « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles » _ l’article (« La Crise de l’esprit« ) est d’avril 1919

La musique que composa Durosoir ne ressemble _ en effet ! _ à rien d’autre de ce qui s’écrivit entre 1920 et 1950, en France ou ailleurs, et toutes les comparaisons ne sauraient en donner qu’une idée lointaine _ mais oui ! De là la difficulté qu’on peut éprouver _ chacun avec l’histoire de sa culture musicale plus ou moins personnelle ! _ à la saisir _ d’où le hors-sujet de certains des articles de réception des divers CDs jusqu’ici publiés : « trop ancien pour être moderne, trop moderne pour de l’ancien«  ; ou « définitivement marginal« , parmi les plus belles « perles«  de la critique… _, même si elle ne présente pas de difficulté d’accès _ absolument ! Sa singularité _ en sa puissance rayonnante ; enthousiasmante une fois que notre propre écoute a su la reconnaître ! _, l’absence de désir de séduire _ en sa noblesse _ et le choix volontaire de l’obscurité _ sociale, médiatique _ que fit Durosoir après une carrière brillante au service de musiques inconnues (qu’il révéla aux futurs acteurs du conflit majeur du XXème siècle, concertos de Brahms, Richard Strauss ignorés des français, musique de chambre française méprisée par l’Allemagne) rendent particulièrement émouvantes son aspiration _ passionnée _ à composer dans le silence _ loin de la scène et des salons parisiens _ et pour le tiroir _ expression magnifique ! _, comme la mise en acte d’un projet philosophique, une réflexion sur la condition humaine _ voilà ! avec un très haut d’idéal d’œuvre !!! à accomplir ! coûte que coûte ! jusqu’à une vie austère, dénuée de facilités… _, dans une réclusion d’ermite _ au village de Bélus, sur un promontoire de la Chalosse : en se consacrant exclusivement à la composition… ; du moins jusqu’en décembre 1934, à la mort de sa mère Louise : ensuite, à cinquante-six ans passés, il fonde une famille… _, dégagée de toute référence à une dimension religieuse ou politique, manifestions sociales d’avance condamnées par la confrontation _ sans appel ! _ à la réalité des expériences de guerre _ c’est en effet là l’aune de sa vocation, très haute, de créateur-compositeur !..

On a pu lire par ailleurs que la musique de Durosoir semblait imprégnée d’une éternelle grisaille _ tiens donc ! _ et d’un désespoir ironique : on entendra ici que c’est loin d’être toujours le cas _ certes !!! _, et si l’écoute du Quatuor n°3 n’a pas suffi _ dommage ! quel bouleversant chef d’œuvre, en effet ! un sommet ! _ à convaincre de la nécessité de jouer cette musique, il faut au moins prendre connaissance du Nonette Jouvence, qui est, sans l’ombre d’un doute _ certes !!! _, une pièce majeure _ et c’est encore trop peu dire ! _ de la musique française du siècle dernier _ tout entier _, dans un dispositif que nul autre compositeur n’a utilisé (quatuor à cordes, contrebasse, harpe, cor, flûte et violon principal). Cette symphonie de chambre à la tonalité _ magnifiquement _ fluctuante évolue, malgré une marche funèbre s’enchaînant au final, dans un mode majoritairement majeur : le poème _ Jouvence _ des Conquérants de Hérédia _ in Les Trophées_ auquel elle se réfère ne saurait faire programme et n’explique que l’ambiance maritime et la tardive allusion au registre héroïque _ mahlérien ? _ du cor, la citation du texte ne venant qu’appuyer l’idée d’une thématique de l’illusion _ tout à fait ! _, le symbole de la « rejuvénation » _ fantasmée _ étant, comme l’horizon, une ligne idéale qui s’éloigne _ ironiquement _ à mesure qu’on en approche _ comme c’est juste… L’orchestration, vaste et claire _ oui _, les mélodies modales _ oui _ trahissent l’influence de Caplet, tout en évoquant les couleurs de Jean Cras et parfois d’Ibert, dans l’idée de voyage cinématographique qui s’empare soudain de la coda surprenante du premier mouvement _ il y a toujours beaucoup de surprises dans la musique de Durosoir ; jamais le confort d’un attendu prévisible ; ni de simples reprises, par exemple… L’Aria centrale où le violon assume plus directement son rôle « principal » flirte avec l’atonalité _ oui : sans non plus jamais s’y vautrer… On croirait parfois dans le dernier mouvement que le Soldat de Stravinsky ou l’expressionnisme de Schönberg _ mais oui ! _ ont été mis consciemment _ absolument ! _ à contribution, à moins que ce ne soit le souvenir des Clairières dans le ciel de Lili Boulanger qui traverse ces pages, aussi osées _ oui ; mais sans provocation ; seulement le courage d’assumer son génie propre… _ que certains Paysages et marines de Koechlin, et dont l’orientation est plus contemplative _ oui _ que narrative, comme l’épigraphe postérieurement ajoutée de Verlaine _ in Sagesse _ le donne _ ou confirme _ à croire : « La vie humble aux travaux ennuyeux et faciles / Est une œuvre de choix qui veut beaucoup d’amour ».

Malgré la dédicace « A Maurice Maréchal, en souvenir de Génicourt (hiver 1916-1917) » et le fait qu’elle fut créée en privé _ pour un cercle d’amis proches, surtout _ à l’Hôtel Majestic _ le 21 octobre 1930… _, on n’est ni dans l’atmosphère du salon, ni des hangars ouverts à tout vent où répétait le trio Durosoir-Caplet-Maréchal, mais plutôt au jardin dans ce Caprice pour violoncelle et harpe à l’ambiance printanière et ensoleillée _ est-ce là quelque chose comme une esquisse jetée, un « crayon« , de quelque « portrait«  du destinataire ? La grande phrase lyrique pour le violoncelle qui commence seul, s’évadant dans l’aigu, enchaîne sur un développement d’une grande liberté, d’une gaieté paisible et presque sans ombre _ voilà _, qui contraste avec l’inquiétude des pièces de 1934, Berceuse (plus tard dénommée « funèbre » par Durosoir après qu’il la réécrivit _ en février 1950 _ sous forme de Chant élégiaque à la mémoire de Ginette Neveu), Au vent des Landes, pour flûte et piano, paysage instable où souffle à nouveau « le vent mauvais qui m’emporte », que l’invocation de Vitrail pour alto écrit dans la demeure familiale des Landes où Durosoir avait définitivement élu domicile _ le 4 septembre 1926 _, ne suffit pas à éloigner. La mort de sa mère _ le 16 décembre 1934 _, depuis longtemps infirme _ suite à une très grave chute dans un escalier, en décembre 1921 _, et la rumeur du monde _ depuis 1933, donc… _ où le tragique enchaînement de la haine recommence à grandir sont-elles étrangères à ces élans de révolte devant l’inéluctable ? Le silence leur succède _ mais Lucien Durosoir se marie, le 17 avril 1935 (en sa cinquante-septième année), et a très vite deux enfants : il se consacre à sa famille ! _ et Durosoir ne reprendra la plume qu’en 1946, écrivant après Trois préludes pour orgue, l’Incantation bouddhique pour cor anglais et piano, quatre minutes d’un mantra fantasmé où des suites d’accords et d’arpèges tournent en rond comme dans les Poèmes Hindous de Maurice Delage, sans trouver la certitude d’une libération ailleurs que dans une constante recherche _ sur le manuscrit de cette Incantation bouddhique de 1945, Lucien Durosoir reprend les vers de Leconte de Lisle précédemment notés, déjà, sur une copie propre de sa grande œuvre Funérailles, suite pour grand orchestre (de 1927-1930) :

« Ne brûle point celui qui vécut sans remords.

Comme font l’oiseau noir, la fourmi, le reptile,

Ne le déchire point, ô Roi, ni ne le mords !

Mais plutôt, de ta gloire éclatante et subtile

Pénètre-le, Dieu clair, libérateur des Morts !« ,

in les Poèmes antiques

Deuxième œuvre exceptionnelle _ mais oui ! cf mon article du 29 juillet 2010 à propos de ce CD Alpha 164 Jouvence : le “continent Durosoir” livre de nouvelles merveilles : fabuleuse “Jouvence” (CD Alpha 164) !!!… _ de ce disque, le Quintette pour piano et cordes date des années 1924-1925. Pendant quelques minutes c’est un quatuor, avant que le piano ne reprenne discrètement la phrase d’ouverture sur fond de pizzicati des cordes, multipliant les tempi changeants _ merveilleusement _ comme une suite de phases de rêves agités allant de l’idylle au cauchemar. Le dispositif de cette pièce rappelle forcément la série de grands quintettes d’avant 1914 (Franck, Schmitt, Huré, le Flem, Fauré), mais traite le genre avec un sens _ singulier ! _ de la forme très différent, dispersant ses thèmes fragmentés en un kaléidoscope d’idées fantasques _ oui _, dont les chatoiements _ oui ! étourdissants de beauté ! _ réclament autant d’écoutes avant d’en reconstituer la trame pourtant solidement tissée _ cette musique est tout un monde ! Le Nocturne central ne quitte pas le domaine onirique, introduisant dans un paysage méditerranéen (les deux premiers mouvements furent écrits à Bormes-les-Mimosas _ le printemps et l’été 1924 _) aux ruissellements de vagues mélangeant les inspirations celtiques et hispanisantes, des souvenirs de blues comparables à ceux qu’utilisera Ravel dans le deuxième mouvement de sa sonate pour violon. Le Finale surgit sur un puissant thème, noté Impérieux _ un terme assez idyosincrasique pour Durosoir ! en quelques uns de ses gestes musicaux, du moins : à la Beethoven, oserais-je suggérer… _, énoncé par les cordes à l’unisson dans des rythmes impairs qui reprennent les bribes, les ruines a-t-on envie de dire _ oui ! _, du Nocturne précédent, pour les transfigurer _ ce sont bien d’incessantes métamorphoses, en effet, terriblement vivantes ! _ dans une suite de fragments de danses _ oui _, qui empruntent autant à la valse qu’au café-concert, remugles d’un monde, pour Durosoir déjà lointain, qui tente d’oublier _ surmonter ! _ les drames sur lesquels il essaye de _ et réussit à _ se reconstruire _ par la création de sa musique : puissante et de grand souffle, tout autant qu’ultra-fine, délicate et diaprée… Rêves passionnés, semés de troublant silences, éclairés, comme au soulagement du réveil, un matin très tôt, dans une chambre qu’on ne reconnait pas, par une courte coda en majeur qui dissipe les apparitions fantomatiques d’une nuit de fièvre.

[…]

Excellent livret, illustrations à l’avenant, interprétation irréprochable : un disque qui vaut bien son prix, et en supplément, donne _ en profondeur _ à réfléchir.

 Lucien Durosoir (1878-1955), Jouvence, fantaisie pour violon principal et octuor (dir. Renaud Dejardin) ; Caprice pour violoncelle et harpe ; Berceuse et Au vent des Landes pour flûte et piano ; Vitrail pour alto et piano ; Invocation bouddhique pour cor anglais et piano ; Quintette pour piano et cordes
Ensemble Calliopée : Sandrine Chatron, harpe ; Karine Lethiec, direction artistique et alto
Saskia Lethiec, Amaury Coeythaux, Elodie Michalakaros, violons ; Florent Audibert, violoncelle
Laurène Durantel, contrebasse ; Anne-Cécile Cuniot, flûte ; Vladimir Dubois, cor ; Frédéric Lagarde, piano
1 CD Alpha 164.

Enregistré à la ferme de Villefavard du 19 au 22 octobre 2009

Et ma réponse

à Georgie Durosoir :

De :   Titus Curiosus

Objet : La grandeur (sublime !) de l’oeuvre-tombeau de Lucien Durosoir, en sa singularité
Date : 12 octobre 2010 06:34:36 HAEC
À :   Georgie Durosoir

En effet,
cet article _ Durosoir, jardinier d’un reposoir pour l’âme _ de Fred Audin

est d’une justesse et d’écoute et d’analyse
qui réjouit profondément

tout particulièrement…
Merci de nous le faire partager !

L’écriture musicale solitaire _ Fred Audin la nomme joliment « pour le tiroir« _ de Lucien Durosoir
écartait simplement
d’un geste impératif
_ ou « impérieux«  !.. _ sans appel, d’une fermeté parfaitement limpide _ = une fois pour toutes :
Lucien n’est pas homme de la demi-mesure : ni par son caractère,
ni par l’Histoire et collective et personnelle traversée (et surmontée) : dès 1919 !

et sa frénésie, immédiatement féconde, de compositions méditées :
soit avant même l’accident très grave de sa mère en décembre 1921
et sa renonciation consécutive à gagner Boston
(et le poste de premier violon de l’orchestre de son ami Pierre Monteux) _ ;

l’écriture musicale solitaire _ « pour le tiroir« , donc : et pas pour le concert, ni même la publication… _
écartait souverainement, sinon ombrageusement,
les divers considérants (sociaux) et soucis
de petitesse
qui auraient pu parasiter le seul service (absolu, lui !) de l’œuvre,
en la pureté sacrée
de ce qui va
_ constamment, et en son « essentiel«  _ être un hommage (d’une absolue noblesse) à réaliser
aux sacrifiés de l’épouvantable boucherie de la Grande Guerre
_ j’attends tout particulièrement l’enregistrement de Funérailles, suite pour grand orchestre, dont la vaste composition prit à son auteur pas moins de trois années : de février-mars 1927 à juin 1930 ; l’œuvre est dédiée à la mémoire des soldats de la Grande Guerre…

C’est en cela que,
au-delà de la thématique assez récurrente de la « Berceuse« ,
l’œuvre musical de Durosoir
est tout entier _ en son fond et sublimement ! _
un immense « Tombeau« .


Soit un hommage _ de la vie _ à la vie
contre _ et parmi, au milieu de _
les forces de la mort
et du néant
(et de l’insignifiance, aussi)…


Dans les pas de gravité bouleversante _ en la puissance (immense : sublime !) de son tragique _
de ce qu’il y a de plus haut dans les « Tombeaux » (si intensément non grandiloquents) de l’ère baroque,
d’un Froberger ou d’un Louis Couperin _ ces sommets de toute la musique… _,
en quelque sorte…


En un âge qui n’est plus celui du Baroque
_ et aux antipodes, aussi, des auto-complaisances narcissiques romantiques…


C’est cela que signifie à mon avis
la prégnance du modèle poétique parnassien
ainsi que la prégnance de sa survivance dans l’œuvre d’un Jean Moréas
(15 avril 1856 – 30 avril 1910) _ que Lucien relira à la fin des années 20…)
dans l' »Idéal » de l’œuvre de Lucien Durosoir.


On comprend ainsi un peu mieux
la singularité de cet œuvre
_ et ce, en son entier ! _
et la solitude recherchée et assumée _ à Bélus _
de ce créateur
unique !


Découvrir et faire reconnaître cela
est important
aujourd’hui
_ où fleurissent bien des bassesses…


Titus

Voilà.

Pour partager plus loin

la découverte

et la réjouissance _ immense ! _

d’une œuvre _ unique en sa singularité ! _ géniale…


Titus Curiosus, le 12 octobre 2010

Récompense de la fidélité au « Journal » de Renaud Camus : jubilation à l’année 2007 : « Une Chance pour le temps »

05fév

A propos des trois derniers volumes du « Journal » de Renaud Camus : « Le Royaume de Sobrarbe« , « L’Isolation » & « « Une Chance pour le temps«  » ; soient les « Journaux 2005, 2006 & 2007« …

Depuis,

comme amoureux fou-fervent de Rome _ cf mon article programmatique, le 3 juillet 2008 : « le carnet d’un curieux« _,

ma lecture _ très réjouie en sa curiosité jamais comblée des mille églises, mille palais, mille musées, mille jardins, etc… (où pénétrer et jeter quelques regards sur tant de merveilles réunies en un espace, urbain et agreste à la fois, avec ruines, et interstices libres, aussi, de taille encore humaine) de la Ville éternelle et de ses (davantage que) sept collines ! _ du « Journal romain » _ 1985-1986 _ de Renaud Camus, paru aux Éditions POL en 1987 _ toujours disponible : le meilleur, et de loin !, des milliers de guides touristiques romains ! _, et de sa suite « romaine«  _ pour la fin du séjour de Renaud Camus à la Villa Médicis, en 1987 _, « Vigiles« , parue en 1989 _ mêmes éditions, même disponibilité, mêmes qualités supérieures pour touristes patients en leur curiosité (= haut-de-gamme), à rebours des clichés rapides des autres ! _,

je suis _ du verbe signifiant « continuer«  _ avec une ferveur jamais déçue, et donc on ne peut plus fidèlement,

le « Journal » que Renaud Camus n’a cessé, depuis son séjour romain de deux ans pleins à la Villa Médicis, de tenir

et publier

_ en s’efforçant, depuis relativement peu de temps, de raccourcir les délais entre sa rédaction et sa publication-et-disponibilité de lecture pour le lectorat potentiel (et réel, fidèle) : les choses semblent, sur ce front-là, en voie de mélioration…

Une « tenue » et une publication tout à fait probes et courageuses…

D’abord édité _ depuis la co-édition Hachette-POL du « Journal de voyage en France« , semble-t-il, en 1981 _ par Paul Otchakovsky-Laurens, aux Éditions POL , à partir de ce « Journal romain » ;

depuis le scandale, et la publication archi-mouvementée, du « Journal 1994«  : « La Campagne de France« 

_ paru, l’année 2000, non sans difficultés et remous divers (et remugles nauséabonds !) médiatiques : la « première«  édition, parue au mois d’avril 2000 (celle que personnellement je possède, en lecteur fidèle se procurant le « Journal«  à sa parution !), a été « retirée » assez vite de la vente en librairie, et remplacée, trois mois plus tard, par une « seconde« , « revue » avec un « avant-propos de l’éditeur assorti de quelques matériaux et réflexions pour une étude socio-médiologique del’affaire Camus” », au mois de juin 2000, donc ! ; sur le scandale de la-dite « affaire« , se reporter, avec le plus grand profit (pour l’analyse de l’« état«  de la « civilisation« , ainsi que de la presse, eu égard à la « justesse«  et à la « liberté«  de ce que sont écrire et « vraiment«  lire en vérité !), à l’extraordinaire « Corbeaux, journal de l’affaire Camus, suivi de quelques textes rebutés« , publié aux Impressions nouvelles, par Renaud Camus : un document de première nécessité sur l’Histoire de la censure aujourd’hui en France, et autres lynchages médiatiques de la part d’une certaine classe journalistique et pseudo-intellectuelle, qui lit bien mal, en tout cas ; et jamais in extenso_,

et à l’exception _ anomique, donc _ du « Journal 2000 » : « K.310« 

_ (re-)paru, lui, de nouveau, aux Éditions POL, en 2003, mais pour cette seule fois-là : celui-ci, « Journal 2000« , relatant au moins partiellement, les péripéties « chaudes«  de l’« affaire Camus » ; pour le reste, se reporter à « Corbeaux » ; Claude Durand, le patron de Fayard, ayant manifesté quelques réticences à publier le récit camusien, même (encore) expurgé, des péripéties des difficultés éditoriales (assez hautes en couleurs) de son auteur avec son confrère Paul Otchakovsky-Laurens… _,

le « Journal » annuel _ depuis « Vigiles, Journal 1987« , en 1989 _ de Renaud Camus,

grâce à l’appui constant de Claude Durand depuis cette « Campagne de France » parue en 2000,

paraît désormais régulièrement aux Éditions Fayard,

le scandale assez retentissant, et pour des raisons la plupart fort douteuses (de lectures partielles et/ou partiales ; c’est selon…) de l’affaire dite « Renaud Camus » l’ayant fait quitter, mais pour ce seul « Journal »

_ du moins d’abord : Fayard publiant aussi, maintenant (depuis 2008 ; après un accord entre les Éditions POL et les Éditions Fayard ; entre Paul Otchakovsky-Laurens et Claude Durand), la série (nouvelle !) des « Demeures de l’esprit » ; au demeurant un notable succès de librairie : pour les quatre numéros à ce jour parus : « Grande-Bretagne I : Angleterre sud et centre, Pays de Galles«  ; « France I, Sud-Ouest«  ; « Grande-Bretagne II, Ecosse, Irlande«  & « France II, Nord-Ouest«  _,

l’ayant fait quitter, donc, ce « Journal » annuel,

le giron des Éditions POL ;

l’amitié entre l’auteur Renaud Camus, et l’éditeur de POL, Paul Otchkovky-Laurens, résistant, nonobstant, à ces péripéties à rebondissements complexes ! POL continuant de publier, en effet, presque tout le reste de l’œuvre camusien : les romans, les « Églogues« , les « Écrits sur l’Art« …

Cependant la mise sur tables, en librairie _ même à la librairie Mollat ! _ de ce camusien « Journal » n’est pas nécessairement, semble-t-il, de règle ; et cette moindre « visibilité«  de ces pourtant beaux et forts volumes, avec en couverture, une photo couvrant l’entièreté de la surface (15 x 23, 3) du volume, fait que le lecteur, même fervent et fidèle, peut « manquer » maintenant leur parution ; d’autant que la presse _ à commencer par Le Monde : la page littéraire de l’édition du « vendredi«  est-elle toujours dirigée par Josyane Savigneau ?..  _ ne s’empresse guère _ et c’est un euphémisme _ de se faire l’écho de cette parution !

Aussi en étais-je resté à « Corée l’absente« , soit le « Journal 2004« , lu à sa parution en novembre 2007

_ et j’ai pensé à certaines des notations, notamment sur le peu de goût de conservation du patrimoine architectural en Corée (du Sud), où l’on préfère détruire et remplacer que conserver, en lisant les épisodes (nords-) coréens que relate Claude Lanzmann dans son si riche et passionnant « Lièvre de Patagonie« , le plus grand livre de l’année dernière, et de loin ! _ cf ma série d’articles sur lui cet été, « La Joie sauvage de l’incarnation« , depuis son premier volet « La joie sauvage de l’incarnation : l’”être vrais ensemble” de Claude Lanzmann _ présentation I « , jusqu’à son ultime : « La joie sauvage de l’incarnation : l’”être vrais ensemble” de Claude Lanzmann _ dans l”écartèlement entre la défiguration et la permanence”, “là-haut jeter le harpon” ! (VII) » ; en passant par celui qui concerne tout particulièrement les époustouflants épisodes de Pyong-Gyang, un des sommets (!) du livre : « La joie sauvage de l’incarnation : l’”être vrais ensemble” de Claude Lanzmann _ le film “nord-coréen” à venir : “Brève rencontre à Pyongyang” (VI)« 

Et, ainsi, ai-je manqué (!) la parution du volume du « Journal 2005« , « Le Royaume de Sobrarbe« , imprimé en novembre 2008 ; de même (!) que celle du « Journal 2006« , « L’Isolation« , imprimé en juin 2009.

Ce n’est pourtant pas faute de m’être (un peu) inquiété, mais un peu mal (pas assez efficacement, en tout cas… ; à moins qu’il y ait eu une interruption quelque part dans la chaîne de distribution de ces volumes ; ce qui est aussi de l’ordre du possible…) auprès des libraires.

Aussi ai-je fini vouloir en avoir le cœur (un peu plus) net au mois de décembre passé ;

ainsi ai-je découvert et l’existence, et la disponibilité de ces titres ; que j’ai alors commandés : ils n’étaient pas en rayon.

Et c’est en terminant la lecture coup sur coup de ces deux-là, « Le Royaume de Sobrarbe » & « L’Isolation« , à la suite (!) , que j’ai découvert aussi la parution, fin décembre, de « Une Chance pour le temps« , le « Journal 2007« , qui avais été mis, placé, rangé, non pas en pile sur une table (de nouveautés), mais, déjà, dans les rayonnages verticaux, dans l’ordre alphabétique des auteurs. Bien sûr, je l’ai lu dans le flux des deux précédents (!!!) ;

et je viens d’achever ce trio ce jour… A ma plus grande satisfaction :

« jubilation« , dis-je…

Ainsi que j’ai pu le signifier, en une conversation et tout à fait impromptue _ nous nous trouvions tout seuls à deux tables séparées, d’une salle-à-manger d’un très agréable hôtel d’une ville universitaire une des plus belles de France _, et parfaitement privée _ personne à nous écouter, alors qu’auparavant se trouvaient là un triolet d’universitaires, un couple d’étrangers, peut-être allemands, ou baltes, ainsi qu’une amie, étrangère aussi, peut-être russe ; puis un peu plus tard, un père et ses deux petites filles… _, au Professeur Marc Fumaroli,

j’ai grand plaisir à lire, parcourir en ses élans, parfois irrités _ ah! la colère d’Achille ! comme elle peut être fructueuse, mobilisatrice, déplaçant les lignes installées ; et pas seulement destructrice ! _ la curiosité large, exigeante en qualité de beauté, on ne peut plus probe _ oui ! c’est une vertu essentielle _, mais aussi tout à fait courageuse _ aussi ! _  en sa liberté d’expression et audace de publication de ses goûts et avis,

les « Journaux » de Renaud Camus :

surtout depuis que sa vie s’est _ on ne peut plus heureusement, me semble-t-il, du moins _ apaisée (même sans s’assagir, au moins spirituellement !) _ le temps des « Tricks » (dont la morne, vide, répétitivité des « coups«  lâchés m’agaçait ! après m’avoir surpris, et ébaubi, à l’instant de leur première découverte dans le « Journal romain« …) semble définitivement passé : l’âge (nous) en impose aussi un peu, à tous, probablement… _, grâce à Pierre _ cela fait bien dix ans en 2007 (et ils se sont, il y a déjà quelque temps, « pacsés« , peut-être en 2004 : pour obtenir la mutation de Pierre dans le Gers, avait-il été prononcé alors, me souviens-je à peu près ; Pierre, ariégeois,  est professeur agrégé d’Histoire ; ou de Géographie…) ;

et un (superbe) hommage (sur presque tout une page) est rendu à sa sainte patience ; il me faudrait en retrouver la page !..

http://www.mollat.com/cache/Couvertures/9782213633855.jpg

C’est Pierre qu’on aperçoit ici, sur le bac, entre Bellagio et Varenna, le vendredi 2 novembre 2007, en cette photo prise à 13h42, ainsi que l’enregistre l’appareil photo de Renaud Camus…


« Saint Pierre« , faudrait-il presque dire, pour son humeur égale, sa gentillesse, ses égards, sa patience quasi angélique. Un compagnon de confiance, en tout cas _ et qui réchauffe bien, aussi, quand l’installation de chauffage de Plieux défaille ; ce qui ne manque certes pas de se produire, les hivers, en ce fier château, ou donjon, de Gascogne, toujours insuffisamment « isolé« , nonobstant bien des efforts

On peut y apprécier,

en ces « Journaux« , qui se succèdent fidèlement, bon an, mal an, dorénavant, depuis le « Journal romain » entamé en 1985 (pour la Villa Médicis),

le fil _ plus ou moins contrasté : selon les accidents ; ce qui survient ! avec son lot de (bonnes et mauvaises) surprises ! _ des jours _ en la « filure » , ou le « filage« , à tout le moins le « défilement« , ou le « défilé« , de ce qui, en et par ce « fil«  même !, se succède, au quotidien ; qui est aussi passablement important ! _ avec la marque, aussi,

à côté de l’enchantement vif, mais assez bref, des voyages _ aux vacances scolaires : du fait des disponibilités de Monsieur Pierre, désormais _,

des problèmes plus endémiques, eux, du quotidien (de tout un chacun) : de plomberie, de chauffage, voire d’« isolation » _ cf alors « L’Isolation« , tout particulièrement… _; et encore d’argent, forcément, notamment au moment des dates butoirs du règlement des Impôts ;

lesquels (« problèmes« ) participent des humeurs de ces jours (plus gris) de nos vies , et lui donnent _ la vérité, aussi… _ du contraste ; et la vérité de son rythme _ sans mornitude d’ennui…

Marc Fumaroli apprécie tout particulièrement, lui, me confie-t-il, les explorations esthétiques très remarquables des « Demeures de l’esprit« …

Renaud Camus a, en effet, un plus que notable « sentiment géographique«  et topographique ; il s’intéresse magnifiquement à la qualité, mais ne perçoit, aussi, que trop la détérioration _ hélas ! et même galopante ! _ des paysages _ au sein desquels prennent placent, et se logent, ces « Demeures de l’esprit«  qui s’élèvent encore, tiennent encore debout, en leurs pierres : mais que devient, au fait, l’« esprit » vivant daujourd’hui ? Que nous en dirait un Hegel, en une poursuite de sa « Phénoménologie«  (de l’esprit, donc), depuis 1807 ?.. l’« esprit » se ferait-il de plus en plus fantômatique ?.. _ ;

il ne perçoit, aussi, que trop la détérioration (des paysages), donc, « rognant » implacablement la vieille campagne _ plus que fragilisée : détruite. Et pas seulement du côté du panorama du donjon de Plieux, en cette presque Toscane des alentours de Lectoure, Condom, etc… : presque partout désormais en France ; et même en Italie _ et jusqu’en Angleterre…


A ce compte, et en mesurant combien

le souci d’harmonie des paysages de Renaud Camus

(et sa sensibilité très fine, depuis longtemps, au développement lent mais progressif, et irrésistible, in fine _ il nous bien le constater ! _, de ce que lui-même nomme on ne peut plus pertinemment la « banlocalisation«  _ l’expansion irrésistible de la « banlieue » à presque tout le territoire ; la régression généralisée, a contrario,  de « la campagne«  _ : pas seulement en France, donc, et sous ses fenêtres mêmes _ magnifiques ! _ de Plieux _ mais que deviennent-elles sans leurs sublimes « vues » ? privées aussi vilainement de leurs « vedute«  ??? _, dans cette campagne de Lectoure et Condom qui avait, en effet, plus que des « airs » de Toscane ; mais aussi en Italie : Piémont et Lombardie, particulièrement, dans « Une Chance pour le temps » ; à quelques miraculeuses exceptions près : par exemple, la pointe extrême de Bellagio… ; jusque même en Angleterre !)

comportait, et depuis si longtemps, de lucidité ! de pertinence !! de justesse !!!

à ce compte,

on mesure soi-même aussi,

en lecteur fidèle des « Journaux » de Renaud Camus,

l’ampleur _ hélas! _ et l’avance _ impuissante, aussi… comment lutter avec un minimum d’efficience contre les avancées de pareille « nocence » quasi générale ?.. _ de sa lucidité et justesse d’appréciation des faits !..

Voilà en quoi Renaud Camus est un visionnaire réaliste infiniment précieux !

Même si la foule préfère hurler avec les loups et se gausser des Cassandre…

A titre d’échantillon de la grâce et justesse de Renaud Camus,

je propose ces quelques extraits-ci d' »Une Chance pour le temps » ;

déjà, quel beau titre :

une expression de sa mère, au retour d’équipées réussies, ayant bénéficié de la qualité des circonstances atmosphériques, notamment de lumière :

« Une des exclamations favorites de ma mère, après les heureuses journées de voyage ou d’excursion dont elle vient d’énumérer _ récapitulativement _ les mérites et les plaisirs _ elle a alors quatre-vingt-seize ans _, c’est : « Et puis alors : une chance pour le temps ! » ».

Tout un art d’aimer vivre !..

Presque du Montaigne !..

Pages 407-408, par exemple, je détache ceci :

« De tout voyage, il faudrait noter _ s’y arrêter, le retenir ; et puis s’en souvenir : le « Journal«  a cette fonction là, d’un peu marquer le temps vécu, en sachant y « revenir«  si peu que ce soit par l’effort de formuler la grâce de son « ressouvenir« _ ce qui vous a touché vraiment _ (certes ! certes !!!) or ce sont autant de moments _ (oui, vécus ! sens activés ! cf l’analyse du « spectacle«  même du soir, de grâce, à Syracuse avec deux amis italiens, telle que la mène si superbement Baldine Saint-Girons en son chapitre d’ouverture de « L’Acte esthétique » !) plutôt que les objets, les sites, les tableaux _ eux-mêmes seulement ; en leur pure et simple facticité empirique… _ qui eussent dû _ par leur notoriété ! la rumeur ! le largement partagé ! Goethe lui-même, en son « Voyage en Italie« , si fortement emblématique de tels « journaux de voyage« , ne commencera à apprécier vraiment la (et sa) « vraie«  Rome qu’une fois une année (entière) de poncifs passée (et finalement traversés ; ainsi que de retour de Naples) ! alors, les touristes de passage, malheureux si pressés (par un temps trop compté !), qui s’excitent péniblement aux parcours flêchés éreintant des modernes Baedeker : tout Rome en un week-end !.. _ ;


d
e tout voyage, donc, il faudrait noter ce qui vous a touché vraiment

plutôt que les objets, les sites, les tableaux qui eussent dû _ je termine la citation de la page 407 _

vous toucher et n’ont produit sur vous (tout coincé et anesthésié que vous étiez, allongé sur des rails mécaniques : ceux du seulement convenu…), en fait,

aucun effet.« 

Après avoir cité dans cette seconde catégorie : « la Pala Sforza, le tambour bramantesque de Sainte-Marie-des -Grâces _ à Milan _ ou les flacons de Morandi dont nous fûmes abreuvés tout du long _ dans divers musées de Milan, ou Turin, ou ailleurs… _,

Renaud Camus en vient à la catégorie « positive » et « première«  :

« Dans la première, le lac de Côme, à Bellagio et la traversée de Bellagio à Varenna _ moment et lieu que vient illustrer (et célébrer un peu plus encore) la photo avec l’ami Pierre, sur le bac, sur la couverture de « Une Chance pour le temps » ! _, le clocher de Soglio _ plus haut, dans les Grisons suisses : « le village admirable reposait tranquillement, sur les quatre heures à peine, dans sa glorieuse bellitude de calendrier des postes annoté par Rilke en personne « , page 401… _ et le jardin de l’Hôtel Palazzo Salis _ « où nous marchâmes dans le délicieux jardin, à l’arrière, au pied des sycomores géants«  _, la presqu’île de Chastré _ sur le lac de Sils-Maria, avec au bout, le banc de Nietzsche : « Nous sommes arrivés juste à temps, à l’heure la plus belle, la plus dorée, la plus mauve, la plus enneigée, la mieux pâle et parsemée de nuages blancs, et puis roses, et puis d’un orangé soutenu, avant que tout ne tourne au blanc et au noir« , page 402... _, comme d’habitude, le Montagna _ un « Saint Jérome« …  _ de Brera _ le Musée, à Milan _, « Les Noces de Jacob et Rachel«  _ du Maître de l’Annonce aux Bergers… _ du Musée Granet _ à Aix-en-Provence : je l’ai revu (sans avoir lu alors ce passage dans Renaud Camus) samedi de la semaine dernière, juste avant le déjeuner avec Bernard Plossu et ses amis auquel m’avait convié Michèle Cohen, Cours Mirabeau : à ce superbissime Musée Granet, va s’ouvrir une exposition Constantin, le maître (marseillais) de Granet ! Constantin qui avait fait, avant son disciple, le voyage de Rome ; et lui en avait instillé le vif désir !.. A côté de ces « Noces de Jacob et Rachel » du Maître de l’Annonce aux Bergers (bien présent dans les musées de Rome), une myriade (et explosion) de Granet, tous, et toujours, plus lumineux les uns que les autres, en leur classicisme romain !.. _, une errance nocturne _ gionesque ! Angelo sur les toits de Manosque (dans « Le Hussard sur le toit« ), ou bien courant et galopant par toute l’Italie soulevée (dans « Le Bonheur fou« )… _ entre les cours et sur les balcons de l’université de Pavie, le mont Viso, le mont Viso, le mont Viso. Le mont Viso est mon nouveau grand ami. (…) Je ne comprends pas comment il peut régner _ cf toujours Giono, mais cette fois au début de « Un Roi sans divertissement » et de la somptuosité (quasi cézannienne) de quelques monts des Alpes _ avec tant d’évidence à la fois et tant de discrétion _ car qui connaît son nom ? (est-ce bien là un critère, que celui de la notoriété !??? Allons ! Renaud !..) _ sur le Piémont« …

Les quarante dernières pages, à partir de la visite au château de Montaigne, le samedi 15 décembre (et la page 461) sont de pure grâce _ d’écriture _, et donc de pur bonheur _ pour le lecteur que nous sommes…


Par exemple, le « Mardi 25 décembre, neuf heures et demie du soir« , pages 473-à 476 :

deux portraits en trois coups de lame (de peinture au couteau _ et ekphrasis) :

le premier du pape Benoît XVI ; le second du président Nicolas Sarkozy.

« Quelle différence avec le viril et charismatique Jean-Paul II, même en sa déréliction physique de la fin ! Celui-là a l’air d’une vieille fille intelligente, apeurée et sournoise, qui passe son temps à regarder dans les coins, par en dessous. Pendant la messe il paraît s’embêter gravement, ce qui est tout de même le comble » _ certes !

Cela dit, la testostérone, à l’inverse, notre propre président Sarkozy n’en a sans doute que trop _ Dominique de Villepin a confessé avoir du mal à supporter _ tiens, tiens ! _ son côté « mâle dominant » _ et les résultats à l’image _ télévisuelle, « aux infos » !.. _ ne sont pas beaucoup plus brillants _ que pour l’actuel pape, à la messe de minuit à Saint-Pierre de Rome, au Vatican. Ce soir on voyait le chef de l’Etat à Assouan ou dans la vallée des Rois, en compagnie de sa nouvelle compagne, la chanteuse Carla Bruni, qu’il a rencontrée il y a une quinzaine de jours, je crois bien, et déjà emmenée à Disneyland _ Wow ! _, sous l’œil _ sinon… _ de centaines de caméras. Aujourd’hui il la tenait gentiment par la main, au milieu d’une nuée de journalistes. Il y a un mois qu’il a divorcé. On a l’impression qu’il essaie _ et pas qu’un peu, mon neveu ! _de dire aux Français :

« N’allez surtout pas vous mettre dans la tête que je peux me faire plaquer par une femme, comme tout le monde, sans réagir. Voyez, j’en ai déjà une nouvelle, encore mieux _ forcément ! _, et en plus, c’est un ancien mannequin, et elle est chanteuse » _ quels bonus ! : « rien que du bonheur !« , va-t-il se crier par toutes les chaumières ! L’expression « bling-bling«  n’allait pas tarder à faire très vite florès…

La chanson, le music-hall, le show-biz, tout ce qui sous la dictature de la petite-bourgeoisie _ cf le livre de Renaud Camus synonyme : « La dictature de la petite-bourgeoisie«  _, s’appelle désormais la musique _ eh ! oui ! _ , c’est l’univers naturel _ consubstantiel _ de cet homme. Il s’y trouve comme un poisson dans l’eau. Divorce ou pas divorce, il sera toujours le second mari de Mme Jacques Martin _ tel un handicap parfaitement ir-remontable… Il paraît qu’à Alger, durant son voyage récent, il a fait attendre une heure et demie l’archevêque d’Alger et les autres invités, lors d’une soirée à l’ambassade de France, et, dès son arrivée, s’est enfermé dans une pièce à part pour chanter avec son grand ami Didier Barbelivien et d’autres copains _ oui, oui ! _ les chansons de Barbelivien » _ voilà en quelque sorte l’exemple-type de ce qu’est devenu, avec cet homme-là, l’ordre des préséances de la République…

Et le portrait se poursuit : « Je dois reconnaître que je n’y étais pas. Mais enfin, ce qu’on voit à l’image _ de la télévision ; et Dieu sait… _ rend tout à fait plausible ce genre d’histoire. Non seulement ce pauvre homme est d’une vulgarité et sans doute d’une brutalité pathétiques _ celles-là mêmes d’une tripotée de ses électeurs ? le « cœur-de-cible« , peut-être, de l’équipe de ses « communiquants » ?.. _, mais, en plus, il n’a pas l’air à l’aise _ ni donc heureux _ dans ces caractéristiques et dans le personnage qu’elles impliquent. Il donne l’impression d’être un très mauvais acteur, aussi incapable de jouer le rôle écrit pour lui que _ même ! _ celui qu’il a fait modifier à sa mesure ; cela tient peut-être à sa manie _ perfectionniste ? _ de corriger la pose en permanence, de se réajuster, de remonter les épaules, de se dégager le col ou de redresser sa cravate _ du début à la fin tout paraît faux, emprunté, composé et mal interprété pour les caméras«  _ quelle patte !

Et pourtant Renaud Camus a (presque) voté pour lui à la présidentielle : il trouvait son programme plutôt « sympathique«  par bien des aspects de ses discours, nous a confié ce « Journal« -ci, pages 168-169 :

« Après la confrontation télévisée entre Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal (…), j’avoue que j’éprouve une petite tentation de regret pour avoir fait voter par le comité exécutif de l’In-nocence un communiqué (n° 457) invitant les membres du parti et les sympathisants à déposer dans l’urne, après-demain dimanche, un bulletin blanc. Si Ségolène Royal l’emportait, nous serions bien attapés (le risque est faible, apparemment). Et s’il fallait s’en tenir aux seuls discours récents de Sarkozy, sur la Turquie, par exemple, sur l’identité française, sur la fiscalité et en particulier les droits de succession, et même sur l’Ecole, il faut reconnaître qu’il n’y aurait aucune raison de ne pas voter pour lui, de notre point de vue ; et même beaucoup de raisons de lui apporter notre suffrage. Tel qu’il s’exprimait ce soir, dans son dernier message de campagne, on aurait dit qu’il s’adressait à moi pour s’attirer mon soutien. Si je ne savais pas ce que je sais, ou crois savoir, je ne serais pas loin de fléchir. Et, même le sachant, je pourrais bien capituler. Mais je ne ne peux tout de même pas voter pour Sarkozy après avoir appelé à voter blanc ! Ni faire publier un nouveau communiqué faisant état d’un changement d’avis de dernière minute !«  ;

Puis, page 173 : « Hier matin, après que j’eus voté ici (blanc), nous sommes partis pour l’Ariège où Pierre devait voter lui-même et, par procuration, pour ses parents«  ;

et, page 175 : « Mon sarkozysme de fraîche date n’a pas bien résisté à la suite de la soirée _ du dimanche de l’élection _, ni surtout à ce que nous avons vu de celle de Sarkozy, à la télévision, une fois rentrés à la maison. J’ai bien sûr trouvé inimaginable qu’à peine élu il allât se restaurer au Fouquet’s, qu’on s’interrogeât sur la boîte de nuit parisienne où serait ensuite fêtée la victoire, et qu’il nous fût dit que le presque chef de l’Etat comptait partir le lendemain pour la Corse afin de s’y reposer dans la demeure de son grand ami Christian Clavier. Et quel déplorable spectacle que le ballet des limousines dans le jardin des Tuileries, chacune tâchant de dépasser l’autre pour être plus haut dans le cortège courtisan !« … Le « Journal«  joue parfaitement le jeu de sa propre absolue non-censure…

Un peu plus loin, pages 480-481, voici cette même patte _ et pâte : légère ! mais riche et faisant mouche ! _ appliquée à cette auto-dérision-ci, cette fois :

« Ce qui rend mes relations avec ma mère _ elle loge alors, mais depuis peu, à Plieux _ si éprouvantes pour mes nerfs, toujours, et pour mon humeur, et même pour mon état mental, c’est qu’elle figure _ beaucoup trop lisiblement _ pour moi l’abîme _ si proche, et tellement menaçant d’aller aussitôt y verser et sombrer… _ du dérisoire _ de tout ce que je pense et de ce que je suis _ moi-même : son fils.

Tous mes défauts, et surtout mes défauts intellectuels, sont chez elle épouvantablement grossis _ mis sous les yeux de son fils, à la portée la plus « proche«  _, poussés à l’extrême, de sorte qu’ils sont beaucoup plus nettement observables » _ en effet : comme, à la télévision, ceux de Benoît XVI et de Nicolas Sarkozy, sous la focalisation parfois sans pitié des caméras… Et Renaud Camus finit par « dégager » la ressemblance : « en ceci : quand j’écris sur la maison de Montaigne _ comme pour ses brillantes « Demeures de l’esprit« , alors… _, c’est en grande partie parce que _ voilà ! _ je n’ai rien à dire d’original _ le péché de l’homme-de-lettres pisseur de copies ; quand il en « vit« _ ou d’intéressant sur les « Essais«  ; si je vais à Montaigne, le château, c’est en grande partie au lieu de _ c’est le cas de le dire _ lire sérieusement Montaigne, l’auteur, de travailler sur lui _ comme le fait magnifiquement le très pénétrant Bernard Sève en son si lucide « Montaigne : des règles pour l’esprit«  Ce goût des maisons d’écrivains ou d’artistes, c’est une paresse, un aveu d’impuissance _ quant à l’essentiel : les accidents extérieurs et leur « détail«  sont alors les bienvenus ; pour avoir si peu que ce soit d’un peu neuf à « trouver«  à narrer, à décrire : ne pas rester sans rien du tout à dire (et surtout, bien sûr, « écrivain« , à écrire)…

Et je rencontre constamment mille occurrences, en moi, dans les débats un peu soutenus, par exemple _ comme aux émissions « Répliques » de son ami Alain Finkielkraut, quand il y est invité, sur France-Culture, avec quelque autre : pour un « débat«  à trois, alors… _, de ces moments où j’ai recours au biographique, au topographique, au superficiel, au plaisant, à l’écume, pour échapper _ voilà ! _ à l’échange au fond _ au lieu de rien que la forme et la surface… _, parce que j’ai peur _ contrairement à l’écriture de ce « Journal« , si courageuse, elle !!! _ de m’y noyer, ou de devoir avouer que je ne sais pas nager _ pour garder une place d’« auteur qui a un nom«  sur la Place (et le marché) des Lettres…

S’intéresser à tout, j’en ai toujours été convaincu, c’est ne s’intéresser à rien.«   En conséquence, à entendre les compliments que multiplie _ mais « à n’importe qui«  _ madame sa mère, eh ! bien « on croirait un critique littéraire du Monde : elle découvre un génie toutes les semaines« … Par là, « c’est cette absence totale de discrimination _ du juger _ qui dépouille _ hélas _ de sens _ et à cela, Renaud Camus ne peut pas consentir ; cf son important « Du Sens«  (aux Éditions POL, en 2002… _ tout ce qu’elle dit. »


Ce qu’il commente alors, page 482 : « Sur ce point-là, nous ne nous ressemblons _ toutefois _ pas, Dieu merci. Je ne discrimine que trop, même si ce n’est pas toujours à bon escient, c’est-à-dire que mes discriminations ne sont pas toujours pertinentes.«  Peut-être ; quoique… Cependant, « cette dérision du sens _ perçue si bien _ chez ma mère, devient _ perçue _ pour moi une dérision au carré : de quoi suis-je l’héritier

_ c’est sur cela qu’il réfléchit ici : être héritier ! « l’héréditaire«  ; et son importance civilisationnelle, selon lui : « dans la culture, il y a quelque chose de nécessairement héréditaire », page 482… Une question qui plonge loin ! _,

de quoi suis-je l’héritier

sinon de cette parodie _ voilà ! _ de la culture, qui ne s’attache _ avec inanité ; et ridicule ! _ qu’à des noms, à des titres d’ouvrages, des épisodes, des incidents _ soit rien que « l’écume » de minces « accidents« , à la place du « substantiel«  !.. _ ; et me pousse à acheter pour cette bibliothèque _ superbe ! de Plieux _ toujours plus de livres dont je ne lis pas un sur dix, ce qui s’appelle lire ?«  _ la grande forme (d’écriture de l’écrivain « vrai » ! et profond !) est tout de même là !

Une bonne rasade de Thomas Bernhardt, « Maîtres anciens« , par exemple (dont le sous-titre est « Comédie« ), serait ici d’un assez bon secours…

L’auto-dérision porte…

Mais ce « Journal« ,

c’est bien mieux qu’Assez bien ! Que Renaud Camus se rassure !!!

En tout cas, il ne me lasse pas ;

et j’y trouve, en le lisant, un interlocuteur _ voilà ! _ ne pérorant pas _ jamais _ dans le vide de l’époque ; loin de là !

Sa fidélité à ses intuitions n’est ni vide, ni radoteuse ! Il sait « résister » ! _ même s’il n’est pas dépourvu de bonnes doses de naïveté (par ses focalisations) : mais qui ne l’est pas ? Que celui-là seul lui jette la première pierre ! Pas les autres ! Et sa curiosité est toujours attentive, avec fraîcheur et neuveté,

à la beauté _ qui demeure ; ou résiste ; mais aussi se crée ; et en sa diversité : Renaud Camus n’est pas un conservateur de n’importe quoi passéiste ! il est curieux de ce qu’il ne connaît pas encore ; et qui ait une vraie valeur, objective ! _,

plus encore qu’aux ridicules qui règnent ! et ont le verbe _ et les micros et caméras complaisants ! _ bien trop haut, eux ! et le bras, bien trop long !.. Et font pourtant de la pluie, davantage que du beau temps…

Lui tient plutôt du Saint Sébastien offert aux flêches…

Donc, je demeure plus que jamais un lecteur attentif des « Journaux » de Renaud Camus _ ils ne me déçoivent pas ! _ ;

et les fais un peu,

à l’échelle de la voix de ma parole de personne à peu près libre,

et à celle de l’écriture sans pression ni censure sur ce blog !,

connaître

ainsi qu’ici même…

Titus Curiosus, ce 5 février 2010

Le diagnostic d’une impasse _ ou les dégâts de l’idéologie et de la démagogie électoralistes dans la « crise » universitaire _ par Marcel Gauchet

23avr

Un constat d’expert _ particulièrement navré _ face au gâchis (à court, à moyen ainsi qu’à long terme, fort probablement !) de l’actuelle « mise en crise«  (et en « pourrissement« ) délibérée(s) de l’Université française ; et ce par une piètre « tactique » de démagogie électoraliste (populiste) ;

par Marcel Gauchet _ co-auteur de « Conditions de l’éducation« , en novembre 2008 ; et de « Pour une philosophie politique de l’éducation _ Six questions d’aujourd’hui« , en octobre 2003, avec Marie-Claude Blais et Dominique Ottavi _, ce jour dans « Le Monde » :

« L’« autonomie » veut dire la mise au pas des universitaires« 

Propos de Marcel Gauchet,

recueillis par Maryline Baumard et Marc Dupuis

_ et farcis, à mon habitude, de quelques commentaires…

LE MONDE | 22.04.09 | 10h11  •  Mis à jour le 22.04.09 | 15h08

Dans votre dernier livre, « Conditions de l’éducation« , vous mettiez _ le livre est paru au mois de novembre dernier _ l’accent sur la crise de la connaissance. Le mouvement actuel dans l’enseignement supérieur n’en est-il pas une illustration ?

L’économie _ conçue d’une certaine façon, du moins : pas au service des besoins des personnes _ a, d’une certaine manière, dévoré _ = détruit _ la connaissance. Elle lui a imposé un modèle qui en fait une machine à produire des résultats dans l’indifférence à la compréhension et à l’intelligibilité des phénomènes _ ce qui est particulièrement niais et grave. Or, même si c’est une de ses fonctions, la connaissance ne peut pas servir uniquement à créer de la richesse _ surtout financière; et pour quelques uns, surtout, en priorité. Nous avons besoin d’elle _ aussi et d’abord _ pour nous aider à comprendre notre monde _ en sa complexité à toujours déchiffrer… Si l’université n’est plus du tout en position de proposer un savoir de cet ordre _ de l’intelligence du réel : l’idéal des Lumières _, elle aura échoué. Or, les savoirs de ce type ne se laissent ni commander _ mécanico-technocratico-militairement _ par des comités _ que ce soient des « comités Théodule« , ou que ce soient, carrément, de l’ordre de la « nomenkatura«  des « soviets » _ de pilotage, ni évaluer par des méthodes quantitatives _ un point crucial de l’analyse de Marcel Gauchet.

N’est-ce pas pour cela que la question de l’évaluation des savoirs occupe _ dans le dispositif législatif (ou de « décret«  !) à mettre en place _ une place centrale dans la crise ?

Alors que les questions posées par les modalités de l’évaluation sont très complexes, puisqu’elles sont inséparables d’une certaine idée _ non neutre, non in-nocente ! et « qui commande«  tout !.. _ de la connaissance, elles ont été réglées _ par les modalités législatives (ou de « décret« ) :  » le diable se cache toujours dans les détails » _ de manière expéditive par l’utilisation d’un modèle _ mathématico-physique _ émanant des sciences dures _ championnes (et pour cause !) du réductionnisme au tout-« quantitatif » !.. Ces grilles d’évaluation sont contestées jusque dans le milieu des sciences dures pour leur caractère très étroit _ très peu fin _ et leurs effets pervers _ en cascade… Mais, hormis ce fait, ce choix soulève une question d’épistémologie fondamentale : toutes les disciplines de l’université entrent-elles dans ce modèle ? Il y a des raisons _ puissantes _ d’en douter.

Ce n’est pas un hasard si les sciences humaines ont été en pointe dans le mouvement. Il s’agit pour elles de se défendre _ bec et ongles… ; et « à mort«  _ contre des manières de les juger _ et « évaluer« , noter ; et « condamner » !.. _ gravement inadéquates _ eu égard à leurs spécificités, plus fines et « délicates«  L’exemple le plus saillant est la place privilégiée accordée aux articles dans des revues « à comité de lecture« , qui dévalue totalement la publication de _ vrais _ livres _ ouverts, eux, à l’appréciation (tous azimuts) d’un beaucoup plus large public cultivé ; et « hors côteries« , lui… ; ainsi, et d’abord, que de « pairs » : compétents ! ; et pas livrés à un jugement discrétionnaire, intéressé, et partisan : très « étroit« , en effet, lui ; et partiel, et partial… Or pour les chercheurs des disciplines humanistes _ et le qualificatif est bien à prendre « à la lettre » (celle qui sert « l’esprit«  ! et un « idéal » de « l’Homme«  : là-dessus, lire Alain…)… _, l’objectif principal et le débouché naturel de leur travail est le livre _ soit bel et bien une œuvre propre et singulière ; pas un simple (ou vulgaire) instrument de carrière : cf la vigoureuse et magnifique description on ne peut plus et on ne peut mieux « réaliste«  du régime éditorial « stalinien » dans la Hongrie d’après 1956 par Imre Kertész dans « Le Refus«  ; ou le monde (et la « novlangue« ) selon le « 1984 » du lucidissime George Orwell (en 1948)… On est en pleine impasse épistémologique. _ absolument : mais ces « décideurs »-légiférant-(ou-« décrétant« )-là s’en soucient-ils seulement ? eux qui ne pensent (machiavéliquement _ plutôt que machiavéliennement !) qu’au nombre de « ré-élections » qui les obsèdent (en se rasant quotidiennement la barbe ou la moustache le matin…) ?.. Et à ce compte, le champion (et « modèle« ) serait : un certain Berlusconi…

Toutefois, la source du malaise _ de cette « mise en crise » de l’université ; et de la place civilisationnelle du savoir, de l’enseignement ; et de l’apprentissage et de la transmission (sur-qualifiés à tours de bras de vilains « conservatismes« ) _ est bien en amont des textes de réforme qui cristallisent aujourd’hui les oppositions.

L’université souffre au premier chef de sa mutation démographique _ depuis, juste après 1968, la première « réforme Edgar Faure » de l’Université, pour ce qui concerne la France… Elle a mal vécu une massification _ en effet ; sans démocratisation authentique, hélas ; c’est-à-dire au mépris de la qualité ; et du « qualitatif« _ qui s’est faite _ quasi exclusivement _ sous le signe de la compression des coûts et qui s’est traduite par une paupérisation _ de l’Université (et ses acteurs). Il faut bien voir que nous sommes confrontés ici à un mouvement profond, qui relève de l’évolution des âges de la vie, et qui étire la période de formation _ au moins universitaire, de « jeunes » devenus aussi, à bien des égards, pour beaucoup (et « en masse« , générationnellement ; « bombardement«  des larges mass medias aidant), des « adulescents » de plus en plus longtemps « prolongés«  _ jusqu’à 25 ans. L’afflux vers l’enseignement supérieur est donc naturel _ dans les « normes sociales » en cours, c’est-à-dire « modernes«  !.. _, indépendamment du contenu offert _ bien sûr : on y a un peu moins « regardé« , le plus souvent, sans doute… Étant donné la « culture politique » française, dans l’imaginaire collectif _ et cela, depuis les rois Bourbon, probablement, et les édits « pacificateurs«  de Henri IV, dont l’édit de Nantes (le 30 avril 1598) _, l’université devient le prolongement naturel de l’école républicaine gratuite et presque socialement obligatoire _ en effet : d’où la formidable prégnance populaire encore de notre devise « Liberté – Egalité -Fraternité«  !.. Je ne crois pas plausible _ selon quels critères : de pragmatisme (de « besoins«  techniques des « métiers possibles« ) ? de fort resserrement des budgets (économiques) ? _ de maintenir le modèle de cette école républicaine jusqu’à 25 ans ; mais je comprends pourquoi _ de par cette histoire : et française, et républicaine _ les gens y croient. C’est même constitutif de notre pays _ oui : au moins depuis Henri IV ; ou François Ier ; ou plus en amont encore : qu’en disent les historiens du Moyen-Âge ?.. Mais cette spécificité en rencontre une autre _ tout aussi (et presque autant) « française«  historiquement… : ce que comprit fort bien l’habile Louis XVIII ; après Napoléon, lui-même… _, qui joue en sens inverse, à savoir l’existence d’un système à part _ de « distinctions » et « privilèges«  _ pour la formation des élites, celui des grandes écoles. Il s’ensuit que nos dirigeants, issus en général de ce circuit « d’élite« , sont peu intéressés par l’université, quand ils ne la méprisent pas _ certes.

Notre université paie donc le prix d’une spécificité hexagonale ?

Ce partage universités/grandes écoles pèse très lourd. Partout ailleurs, le problème de l’université est vital puisqu’il y va de la formation des élites. Mais pas chez nous, la bourgeoisie française disposant d’un système ultra-sélectif de grande qualité pour la formation de ses rejetons, qui a de surcroît l’avantage unique d’être gratuit _ au nom du « mérite«  (et de la méritocratie). Mieux : on peut même y être payé pour apprendre : voir Polytechnique ou Normale Sup _ idem. L’université de masse, en regard, tend à être traitée comme un problème social _ et non, prioritairement, de formation (et accès) au savoir. Nos gouvernants viennent de découvrir qu’elle était aussi un problème économique _ pour le budget de l’État (et la charge des contribuables). Mais leur regard reste conditionné par le passé : ils veulent des résultats _ pré-formatés, à la façon d’un « plan«  de type « soviétique« , selon la responsabilité de « patrons » (des Universités), selon la logique plutôt uniforme (de rentabilité prévisionnelle) des « marchés«  _ pour pas cher.

C’est sur un terrain déjà bien miné qu’arrive le mot nouveau _ bien connoté (de « loi«  décidée « par soi-même« ) _ d' »autonomie » ?

Ce mot admirable _ en effet : cf ce qu’en dit Kant (en la « Critique de la raison pratique« , ou dans les « Fondements de la métaphysique des mœurs«  _ que personne ne peut récuser n’est _ en cette occurrence-ci ! _ qu’un mot _ d’orwelienne « novlangue«  Il est illusoire de croire que parce qu’on a le mot, on a la chose _ nous ne sommes pas dans le monde féérique des marques et « logos«  (cf « Propaganda _ comment manipuler l’opinion en démocratie« , d’Edward Bernays (neveu de Freud : le livre-pionnier parut en 1928 aux États-Unis ; ou « La Stratégie du désir _ une philosophie de la vente » de Dichter Ernest (en 1960; la traduction française parut aux Éditions Fayard en 1961) : bibles des imaginatifs communicants du « marketing«  Demandons-nous ce qui se cache derrière ses promesses apparentes _ d’« autonomie«  Pour avoir une autonomie véritable _ et non « illusoire«  _, il faut disposer de ressources indépendantes. Or, en France, c’est exclu, puisque le bailleur de fonds reste _ du moins pour le moment, provisoirement _ l’Etat. On peut certes développer des sources de financement autres. Elles font peur à un certain nombre de mes collègues, mais je les rassure tout de suite, ça n’ira jamais très loin : le patronat français ne va pas par miracle _ du fait de lourdes « pesanteurs sociologiques » historiques… _ se mettre à découvrir les beautés _ « pour la forme« , gratuites _ d’un financement qu’il n’a jamais pratiqué. Notre « autonomie à la française » ne sera donc qu’une autonomie de gestion _ administrative ! _ à l’intérieur de la dépendance financière et du contrôle politique final _ Ouf ! _ qui va avec. Le changement est moins spectaculaire _ et davantage « poudre aux yeux«  _ que le mot ne le suggère.

D’autres modèles étaient _ on remarque la formulation au passé _ possibles ?

Certains pays de l’Est comme la Pologne ont pris un parti radical dans les années 1990. L’État a opéré une dotation des universités en capital ; et elles sont devenues des établissements indépendants. A elles de faire fructifier leurs moyens et de définir leur politique. Si un tel changement était exclu _ toujours au passé ! nos « pesanteurs«  sont endémiquement lourdes (sur la plutôt « longue durée« , dirait peut-être Braudel) ; et la « rupture«  surtout matamoresque… _ chez nous, ce n’est pas seulement en raison du « conservatisme » français. C’est aussi et surtout que notre système n’est pas si mauvais _ tiens donc ! _ et que tout le monde le sait, peu ou prou. A côté de ses défauts manifestes, il possède des vertus cachées.

On pourrait même soutenir, de manière provocatrice, qu’il est « l’un des plus compétitifs du monde« , dans la mesure où il est l’un de ceux qui font _ financièrement, à la « débrouillardise«  _ le mieux avec le moins d’argent. C’est bien la définition de la compétitivité, non ? Dans beaucoup de disciplines, nous sommes _ culture d’une certaine « ingéniosité » aidant, peut-être… _ loin d’être ridicules par rapport à nos collègues américains, avec des moyens dix fois moindres.

Et vous pensez que le grand public _ soit le « peuple souverain« , qui vote ! mais de qui donc peut-il bien être le « public«  spectateur ?.. _ en a une vision déformée ?

Comment le connaîtrait-il ? L’image romantique _ éthérée _ du « chercheur » dissimule une réalité _ au quotidien des travaux _ très différente. La recherche est probablement le secteur le plus compétitif, le plus concurrentiel, le plus soumis à la pression _ rien moins ! _ de tous les secteurs de la vie sociale _ on peut en lire un compte-rendu féroce de la vie dans les laboratoires universitaires dans l’autobiographie de Paul Feyerabend, « Tuer le temps » (en traduction française aux Éditions du Seuil en 1996). C’est d’ailleurs l’un des motifs de la désaffection _ des postulants-étudiants _ pour les sciences. Il faut une vocation solidement chevillée au corps pour endurer cette vie de moine-soldat, où vous avez à vous battre tous les jours pour _ accrochez-vous bien ! _ rester dans le coup, obtenir des moyens, faire valider vos résultats, le tout pour un salaire sans aucun rapport avec ceux des cadres de l’économie _ commerciale, vendeuse. Il y a _ donc _ quelque chose de fou _ versant sadisme _ dans le besoin d’en rajouter une couche _ de la part des pouvoirs ! _ et de resserrer encore le contrôle, comme si les chercheurs n’étaient pas capables de détecter seuls _ par une autonomie de l’intelligence, cette fois _ les sujets porteurs _ de fécondité de leur ingéniosité _, comme s’ils étaient assez stupides pour aller s’embourber dans des domaines qui n’ont aucun intérêt pour personne. Qui donc fait preuve d’aveuglement, ignorance et incompétence, ici ?

Le pire à mes yeux pour l’avenir _ c’est lui qui est en balance, en bascule ; au bord de la ruine (par la « casse«  de ce qui marche !) _ est dans cette prétention à « programmer _ de points nodaux administratifs : de tout-puissants « présidents«  d’université ! _ la recherche« . Comme s’il pouvait exister des « méta-chercheurs » en position de piloter le travail des autres ! _ ainsi « subalternisés » et placés et maintenus « aux ordres » : en totale situation d' »hétéro-nomie« , pour le coup : par cette « caporalisation«  des structures de décision et pouvoir… La situation normale _ du point de vue de la saine raison, et de la légitimité (de droit) _ est celle du chercheur qui soumet _ en le proposant à un jugement et une discussion de viabilité _ un projet à des instances _ de conseil, à l’amiable ; chacun faisant entendre librement ses réflexions _ qui le jugent réaliste, ou prioritaire, compte tenu des moyens disponibles, exactement comme un banquier prend un risque _ qui engage sa responsabilité _ en prêtant de l’argent à une entreprise _ afin de soutenir et faire réussir l’ambition ainsi dessinée par le postulant. Mais l’idée _ même de la recherche à inventer et mener, et le programme des travaux qu’elle induit _ ne peut venir que du chercheur ! Autrement, le conformisme _ voilà le péril ; l’académisme au détriment de l’audace ! de l’originalité ! du « génie » !.. _ est garanti. C’est une machine à tuer l’originalité dans l’œuf _ voilà ! _ qui se met en place.

Quelles conséquences l' »autonomie » _ ainsi instituée _ aura-t-elle sur la vie professionnelle _ concrète, effective, « au quotidien«  _ des enseignants-chercheurs ?

L' »autonomie » entraîne le passage des enseignants-chercheurs sous la coupe _ un terme à bien mesurer ! _ de l’université _ via le « président » qui y est (et sera) élu _ où ils travaillent. L’établissement, à l’instar de n’importe quelle autre organisation ou entreprise, se voit doté d’une gestion de ses « ressources humaines«  _ on les connaît bien déjà ; on les voit fonctionner… _, avec des capacités de définition _ rigidifiée _ des carrières et, dans une certaine mesure, des rémunérations. C’est un changement fondamental _ de caractérisation du pouvoir de décision _, puisque d’un statut qui faisait de lui _ l’enseignant-chercheur _ un agent (indépendant) du progrès de la connaissance _ son objectif et sa priorité ! _, recruté par des procédures rigoureuses _ en effet ! _ et évalué par ses pairs _ enseignants-chercheurs indépendants (d’esprit) eux-mêmes _, il passe à celui d’employé _ plus que dépendant ! désormais : incité (le couteau sous la gorge) à la servilité ! _ de cet établissement.

Jusqu’où va ce « changement fondamental » ?

C’est un changement complet de métier _ rien moins ! Il est visible que la mesure de cette transformation _ d’abord idéologique (caporalière) ; et électoraliste _ n’a pas été prise _ par l’opinion, endormie face au pouvoir politique concepteur et signataire du décret (du 22 avril). L' »autonomie » des universités veut dire en pratique la mise au pas _ avec passage de la nuque et du col (et de toute la tête ; ainsi que le buste) sous les fourches caudines _ des universitaires. Toute la philosophie de la loi _ une jolie expression _ se ramène _ ah ! _à la seule « idée » _ c’est une philosophette _ de la droite en matière d’éducation, qui est de créer des « patrons de PME«  _ voilà !!! _ à tous les niveaux _ des ex-« services publics«  de l’Instruction-Enseignement-Éducation _, de la maternelle à l’université _ au service des seuls « besoins » (prévisibles) de la clientèle (électorale d’abord) des « parents-d’élèves » (souvent affolés, et à juste titre, par les graves incertitudes d’avenir de leurs enfants)… Ô Mânes d’Alain, soulevez-vous !.. Il paraît que c’est _ le « management«  de type-PME _  le secret de l’efficacité _ managériale… On peut _ de fait, sinon de droit : c’est une hypothèse d’école aimable… _ juger que le statut antérieur _ des « enseignants-chercheurs«  _ était archaïque et n’était plus tenable _ pragmatiquement _ à l’époque d’une université de masse ; mais encore fallait-il expliciter _ devant l’opinion publique (citoyenne), et en vue d’un débat honnête ! (= véritablement « démocratique«  !) _ les termes de cette mutation _ à mener, tambour battant et bannières au vent, au nom de la « modernité » « réformiste«  ; versus les « conservatismes«  « corporatistes«  de tous poils ; l’air est connu… _ et clarifier _ mais qui peut bien rechercher la clarté en matière de « machiavélisme » ?.. _ les conséquences à en tirer.

Ce statut _ la « bête«  à mettre à bas ! _ était un concentré de l’idée du « service public à la française« , avec ses équilibres subtils _ oui… : fruits d’une Histoire de compromis pacifiés (non sans secousses, ou embardées, d’ailleurs…) _ entre la méritocratie, l’émulation et l’égalité. Toutes les universités ne sont pas égales, personne ne l’ignore ; mais tout le monde est traité de la même façon. Il n’y a rien de « sacro-saint » là-dedans ; mais on ne peut « toucher«  _ au nom de quelque « rupture«  que ce soit ! : de quel côté est se cache ici l’idéologie ? _ à tels produits de l’histoire _ il faut en avoir suffisamment conscience ! _ qu’en pleine connaissance de cause _ c’est peut-être là un peu beaucoup demander ! ces derniers temps… _ ; et en mettant toutes les données sur la table _ sinon, gare aux conséquences des méfaits de « Gribouille«  : nous avons pu constater, cet automne, où ont mené les deux mandats flambants de George « W« . Bush !.. Tout le monde n’en a pas encore pris de la graine _ à part les slogans des communiquants (« Yes, YOU can«  !!!) : cherchez l’erreur !..

C’est donc tout le fonctionnement de notre société qui _ par ricochets _  est interrogé là ?

Le problème universitaire est un bon exemple _ en effet : paradigmatique ! _  du problème général _ de fond : et posant des choix politiques fondamentaux _ posé à la société _ ou « Nation« , je ne sais (ou « le peuple« )… _ française, celui d’assurer l’adéquation à la « marche du monde«  _ dite « globalisation« _ de notre « modèle » hérité de l’Histoire ; et organisé autour de l’idée de République. Toute la difficulté _ et de tout Politique ! _ est de faire évoluer ce « modèle«  _ « français » (et antérieur, déjà à la « République » depuis 1789 _ sans brader notre héritage _ et ses valeurs _ dit « républicain« . Nous ne verserons pas d’un seul coup _ même par la vertu de quelque volontarisme bonapartien (de « rupture« ) !!! _ dans un modèle compétitif et privé _ ultra-libéral _, qui n’a jamais été _ de fait _ dans notre histoire _ comme quiconque a pu s’en pénétrer, même avec un cursus secondaire médiocre (ou pire). Comment intégrer davantage de décentralisation et d’initiative _ « girondines« , en quelque sorte… _, tout en maintenant un État garant de l’intérêt général _ s’il demeure un tel « idéal régulateur«  qui soit « voulu«  (= effectivement) par le « corps national«  _ et de l’égalité des services ? _ s’ils demeurent, aussi, en tant que vrais « services publics«  ?.. C‘est ce point d’équilibre entre les mutations nécessaires _ « globalisation » poussant à la roue (« de l’Histoire« ) _ et la persistance de son identité historique _ difficile à renverser ou rayer d’un seul trait de crayon magique (par décret !) _ que le pays recherche _ d’élection en élection ; à coup de changements de majorité… Il n’est pas « conservateur » : il est « réactif«  _ au quart de tour !.. Mais pour conduire ce genre d' »évolutions« , il faut procéder à découvert, oser le débat public _ et davantage de « vraie » démocratie (= honnête)…

Ce qui a été _ tactiquement _ absolument évité…

Le gouvernement a fait le choix d’une offensive éclair _ à la Bonaparte au Pont d’Arcole _, sur la base d’une grande méconnaissance _ par incompétence foncière (et mépris) _ du terrain universitaire. Probablement, ce sentiment d’urgence _ un des effets pervers de ce malheureux quinquennat ; renforcé d’une très dangereuse pente à la présidentialisation ; sans freins ; et un rabotage de la plupart des contrepouvoirs _ a-t-il été multiplié par le choc _ (très médiocrement !) médiatique seulement, hélas ! : c’est un indice du poids des « communiquants » parmi les conseillers du « Prince« , à la Cour… _ du « classement mondial des universités » fait par l’université de Shanghaï _ et un enseignant de Chimie ! _, qui a secoué nos élites _ si l’on peut s’exprimer ainsi… : « autoproclamées« , plutôt _ dirigeantes ; sans leur inspirer, hélas, le souci de se mettre _ effectivement !!! _ au courant. Si vous ajoutez à cela une image d’Épinal _ = un cliché ! _ de ce qu’est le système universitaire américain, aussi typique du sarkozysme _ hollywoodien _ que largement fausse ; plus l’idée que n’importe quelle stratégie de communication bien menée _ à la façon que décrit Machiavel : tantôt « en lion« , tantôt « en renard«  ; avec comme postulat la plus grande ignorance (et crédulité) possible(s) de à qui on s’adresse (cf « Gorgias » de Platon)… _ vient à bout de tous les problèmes _ principalement d’opinion (ou électoraux) _, vous avez les principaux ingrédients de la « crise » actuelle _ et de la situation, choisie tactiquement, de « pourrissement« .

Quelle « sortie de crise » imaginez-vous ?

Quelle que soit l’issue du mouvement _ de tensions _, le problème _ de fond _ de l’université ne sera pas réglé. Le pourrissement est (…) fatal, mais la question restera béante et resurgira _ « réforme« -t-on jamais par simples décrets ?.. Peut-on museler pour toujours la voix du peuple ? Si le gouvernement _ qui joue la tactique _ croit que parce qu’il a gagné une bataille, il a gagné la guerre, il se trompe. La conséquence la plus grave _ à court terme, du moins _ sera sans doute une détérioration supplémentaire de l' »image » de l’université, ce qui entraînera la fuite des étudiants qui ont le choix vers d’autres formes d’enseignement supérieur ; et ne laissera plus à l’université que les étudiants non sélectionnés ailleurs. De quoi rendre le problème _ social ; puis culturel ; et, in fine, civilisationnel _ encore un peu plus difficile.

Propos recueillis par Maryline Baumard et Marc Dupuis

Article paru dans l’édition du 23.04.09.

Marcel Gauchet :

historien et philosophe, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, Marcel Gauchet, 62 ans, a publié beaucoup d’articles, notamment dans « Le Débat« , revue dont il est rédacteur en chef. On lui doit aussi de nombreux ouvrages où la démocratie, le pouvoir et le politique sont centraux. La transmission est un sujet qui lui importe ; et il a co-signé, fin 2008, en collaboration avec Marie-Claude Blais et Dominique Ottavi, « Conditions de l’éducation«  (aux Éditions Stock, 2008) _ on se souvient aussi, par les trois mêmes, en novembre 2003, d’un excellent et nécessaire « Pour une philosophie politique de l’éducation _ Six questions d’aujourd’hui« 

A méditer

_ on pourra lire avec profit « Prendre soin 1 _ De la jeunesse et des générations«  de Bernard Stiegler ;

ainsi que consulter le site d’« Ars Industrialis« , qu’il dirige _ ;

et l’Histoire, qui prend toujours du temps _ et son temps (propre !) ; au delà des variations des opinions et des votes aux élections des électeurs _ jugera,

comme d’habitude…

Titus Curiosus, ce 23 avril 2009

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