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Ecouter enfin l’interprétation du Trio avec Piano de Maurice Ravel par le Trio Hélios en leur CD « D’un matin de printemps »…

20août

Il m’a fallu attendre la journée d’hier samedi 19 août pour recevoir enfin le CD Mirare MIR 544 intitulé « D’un matin de printemps – Saint-Saëns – Ravel – Boulanger » par le Trio Hélios (constitué de Camille Fonteneau, violon, Raphaël Jouan, violoncelle, et Alexis Gournel, piano),

un CD paru en 2021, et enregistré à Caen du 19 au 23 décembre 2020,

dont m’avait découvrir l’existence un article assez laudatif de Jean-Charles Hoffelé, intitulé « Les deux mondes« , publié sur son site Discophilia le 5 juilllet 2023 _ un article rédigé à propos de la toute récente parution d’un nouveau CD du Trio Hélios, le CD « Bohemia » (Mirare MIR 662), consacré cette fois à des Trios de trois compositeurs tchèques : de Vítězslav Novák, le Trio pour piano No. 2 en ré mineur, Op. 27 « Trio quasi una ballata » ; de Zdeněk Fibich, le Trio pour violon, violoncelle et piano en fa mineur ; et de Bedřich Smetana, le Trio avec piano en sol mineur, Op. 15, JB 1:64 ;

mais qui traitait aussi du précédent CD des Hélios, paru en 2021, « D’un matin de printemps – Saint-Saëns – Ravel – Boulanger«  :

« Les Hélios avaient, pour ce qui fut je crois bien leur premier disque _ disait ainsi Jean-Charles Hoffelé _, assemblé un programme tout français autour du Trio de Ravel, le détaillant à loisir, y infusant une poésie de tous les instants qui emportait l’auditeur loin dans les paysages océaniques du Modéré avant de faire danser la poésie épicée du Pantoum en la décorant d’arabesques un peu mauresques. Magnifique version qui ose vraiment interpréter l’œuvre, lui donne des affects, des reliefs, et un art de chanter… », disait Jean-Charles Hoffelé de ce premier CD des Hélios en son article… _ ;

et pour lequel j’avais ce même 5 juillet dernier, à mon tour rédigé sur mon blog « En cherchant bien« , un article, probablement trop prématurément intitulé «  « …

Car cette interprétation du Trio avec Piano en la mineur M. 67 de Maurice Ravel par le Trio Hélios, pâtit passablement de la comparaison _ réalisée par moi ce dimanche 20 août _ avec la transcendante interprétation de ce chef d’œuvre majeur, mais jusqu’ici mal aimé, du compositeur de Ciboure _ l’œuvre a été composée par Ravel l’été 1914 à Saint-Jean-de-Luz _ qu’est ce Trio en la mineur M. 67, par le merveilleux Linos Piano Trio

_ cf mes articles d’hier 19 août « « , et des 13 «  » et 14 juillet «  » derniers…

« Formidablement expressive« , écrivais-je ainsi prématurément le 5 juillet dernier,

mais pas assez nette, ni assez tranchante en sa renversante humble douceur,

comme savait l’être l’écriture musicale, toujours extrêmement précise, en sa tendre et transcendante vigueur _ aux antipodes du flou et du vaporeux… _, sous son humilité discrète première, jamaix spectaculaire ni exhibitionniste, de Maurice Ravel, en son génie singulier…

C’est donc vers le Linos Piano Trio qu’il faut diriger son écoute _ écoutez ici les podcaste des quatre mouvements (Modéré, Pantoum, Passacaille et Final) de l’œuvre interprétés par eux : 1, 2, 3 et 4 _ pour approcher de _ et peut-être accéder à _ la lumière singulière unique, en sa clarté incisive, de Maurice Ravel, en ce singulier si beau Trio avec Piano en la mineur

Ce dimanche 20 août 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Lecture du « Néanmoins. Machiavel, Pascal » de Carlo Ginzburg, traduit par Martin Rueff : une nouvelle contribution majeure à la compréhension de quelques ressorts toujours dérangeants de notre Histoire moderne. Ou l’actualité persistante des intuitions de Machiavel…

03mai

Les essais de Carlo Ginzburg, précédemment parus en diverses revues, et rassemblés dans le « Nondimanco. Machiavelli, Pascal« , aux Éditions Adelphi, en 2018, ont paru, cette fois en une traduction en français de Martin Rueff, « Néanmoins. Machiavel, Pascal« , aux Éditions Verdier, le 8 septembre 2022, avec une mise à jour et en partie réécrits (notamment le chapitre VI « Machiavel et les antiquaires« , aux pages 131 à 146), et avec l’adjonction de deux textes, le chapitre V « Façonner le peuple. Machiavel, Michel-Ange« , aux pages 99 à 129, et la postface « Il n’y a pas de Dieu catholique« , aux pages 267 à 274.

Le singulier et très minutieux travail de penser de Carlo Ginzburg est absolument fondamental pour comprendre l’histoire en toute sa complexité de notre civilisation.

Et tout spécialement dans l’analyse éminemment aigüe et subtile qu’il donne,

et de l’œuvre même _ cf par exemple, et parmi pas mal d’autres, le déjà significatif « Le travail de l’œuvre Machiavel » de Claude Lefort _ de Nicolas Machiavel (Florence, 3 mai 1469 – Florence, 21 juin 1527), que Carlo Ginzburg déchiffre _ il a lu presque tout ce qui était accessible dans les bibliothèques (et articles publiés) du monde entier… _ comme nul autre aussi minutieusement avant lui,

et de la complexité, aussi, au fil de l’histoire, de la réception même, en un pluriel, très riche et très enchevêtré, de celle-ci…

Analyses qu’il fait tourner autour de la formule-pivot décisive machiavélienne, à laquelle jusqu’ici, nul _ à part peut-être Freddi Chiappelli (cf page 27) _ n’avait prêté une aussi perspicace et questionneuse lucide exploratoire attention !, du « dimantico » :

« toutefois« , ou plutôt, « néanmoins« …

Outre la très parlante 4e de couverture de cet ouvrage des Éditions Verdier :

Une réflexion sur la modernité politique à la lumière des pensées de Machiavel et de Pascal. Au moment où sont développées des histoires mondiales, des histoires décentrées, qui imposent de penser le monde globalisé, l’auteur examine ainsi les notions de règle et d’exception _ et leur très complexe tissage _ à l’épreuve des faits.

Machiavel, Pascal : ce rapprochement paraîtra surprenant. Machiavel découvre la casuistique médiévale _ voilà ! _ dans la bibliothèque de son père et met le rapport de la norme et de l’exception au centre d’un monde inventé (La Mandragore) et du monde où il vit et agit (Le Prince). L’adverbe néanmoins nomme ce rapport, qui marque le style comme la méthode de Machiavel. Pascal (Clermont, 19 juin 1623 – Paris, 19 août 1662), l’adversaire féroce de la casuistique, lit Machiavel _ en ses très percutantes Provinciales _ à travers Galilée (Pise, 15 février 1564 – Arcetri, 8 janvier 1642) _ oui ! et c’est très important ! _ et la réalité du pouvoir à travers Machiavel.

Néanmoins offre un voyage sur les traces de ces deux lecteurs extraordinaires et de leurs interlocuteurs, adversaires ou zélateurs : des personnages célèbres, notamment Campanella (Stilo, 5 septembre 1568 – Paris, 21 mai 1639) et Galilée, vus par leur censeur, le dominicain Niccolò Riccardi, mais aussi des moins connus, tel _ le très important ! et nous le découvrons ici… _ Johann Ludwig Fabricius (Schaffouse, 29 juillet 1632 – Francfort-sur-le-Main, 1er février 1696), qui permet, au fil d’une lecture oblique des Provinciales de Pascal, de proposer l’image du « très religieux » Machiavel.

Carlo Ginzburg a travaillé pendant des années sur des cas qui, pour être très différents, semblaient tous des anomalies _ des singularités, exceptions à la norme. De là sa rencontre, inévitable peut-être, avec la casuistique _ qui joue (et justifie ou excuse, à certaines conditions) de tels écarts.

En plus d’un essai consacré à la formule du Guépard, le roman de Tomasi di Lampedusa – « Si nous voulons que tout reste tel que c’est, il faut que tout change » -, la version française de ce livre offre deux nouveaux chapitres, l’un consacré à Michel Ange (Caprese, 6 mars 1475 – Rome, 18 février 1564) et Machiavel, l’autre à une phrase prononcée par le pape François : « Il n’y a pas de Dieu catholique ».

en voici aussi deux excellents commentaires très heureusement détaillés,

l’un, en date du 11 février 2021,

de Pierre-Henri Ortiz, sur le site de Nonfiction :

« Ginzburg, l’exception et la «  »théologie politique« 

Ginzburg, l’exception et la « théologie politique »

  • Publication • 11 février 2021
  • Lecture • 26 minutes

En neuf études autour de Machiavel, Carlo Ginzburg retrace la généalogie de la pensée moderne de l’exception en politique, dans son rapport à l’exception en religion _ voilà.

Depuis son retour en force avec l’événement-symbole du 11 septembre 2001, le problème des rapports entre politique et religion sature l’actualité de nos États qu’on pensait sécularisés. Sur le devant de la scène, les débats publics semblent le plus souvent s’embourber dans l’oubli presque complet de ce qu’est la religion, disparue derrière l’horizon de nombre de contemporains. En coulisse, un débat intellectuel assez ésotérique, qui mobilise historiens et philosophes, pose le problème dans les termes d’une expression désormais consacrée : celle de « théologie politique ». Inspirée de notions issues de la pensée de pères de l’Eglise antique (Eusèbe, Augustin) et de Spinoza (Tractatus theologico-politicus), l’expression renvoie à une hypothèse formulée par le juriste nazi Carl Schmitt, d’après lequel « tous les concepts prégnants de la théorie moderne de l’État sont des concepts théologiques sécularisés ».

Selon cette hypothèse, la dérogation aux règles ordinaires du droit et de la morale (le coup de force ou l’état d’urgence) tiendrait dans les conceptions modernes de l’Etat le rôle central joué par la dérogation aux lois de la nature et de la raison (le miracle) dans la pensée chrétienne de Dieu et de son action. Si cette proposition a d’emblée été vigoureusement combattue par le théologien catholique Erik Peterson, qui semble y avoir décelé tout ce qu’elle pouvait promettre à la mystique de la « Race », elle continue à inspirer la réflexion sur les évolutions de la politique moderne, en particulier sur le « mystère » théorique de l’état d’exception. L’état d’urgence sanitaire qui conditionne nos vies depuis bientôt un an suffit à illustrer l’intérêt du problème, qui est aussi celui des prisons spéciales du type Guantanamo, ou encore celui des lois de bioéthique.

C’est dans cette double perspective, politique et intellectuelle, que s’inscrit ce Nondimanco au titre non moins mystérieux au premier abord. « Nondimanco », qu’on pourrait traduire par « toutefois », c’est l’adverbe qui organise la réflexion sur le problème de l’exception dans la pensée de Machiavel, considéré comme l’inventeur de la science politique moderne. Or la lecture des neuf articles _ douze dans cette édition française _ qui retracent ici l’archéologie de cette pensée, et ses prolongements généalogiques jusqu’à Pascal, suggère un remarquable changement de perspective. Non seulement l’exception y apparaît comme un mécanisme tout aussi consubstantiel à la raison d’État que le miracle est essentiel à la doctrine de l’Église ; mais encore, l’exception politique apparaît comme un mécanisme qui n’a cessé de scandaliser ou de susciter l’ironie des commentateurs humanistes, calvinistes ou jansénistes lorsque l’Eglise s’est montrée trop prompte à y céder.

Machiavel ou la renaissance de la politique

L’œuvre de Machiavel s’inscrit dans le contexte plus général de la Renaissance, et en particulier de la « renaissance florentine »   . À l’heure où les guerres d’Italie font rage, la question n’est plus tant de connaître la meilleure constitution, la plus conforme à la morale, à la raison et au salut, mais la pratique la plus efficace _ voilà _ pour assurer l’ordre dans un monde cruellement instable. Désormais, la nouvelle science politique se veut expérimentale et pratique : elle se donne pour tâche d’observer et de comprendre le pouvoir dans sa réalité effective, afin d’éclairer les choix du gouvernement. Or l’examen des faits est sans appel : la source du pouvoir ne tient ni à la providence divine, ni aux qualités morales des gouvernants, mais à des phénomènes trivialement humains de deux sortes. Soit on en hérite par la naissance, soit on s’en saisit, par le moyen combiné de la force ou de l’habileté (la « virtù »   ) et de la chance (la « fortune »).

Ainsi la pensée politique rompt avec la théologie et avec la philosophie héritée de l’Antiquité (Platon, Aristote), qui liaient essentiellement leurs spéculations sur les acteurs du pouvoir à l’économie du salut et à la morale. La science de Machiavel examine les moyens et les fins propres au champ politique, dont on découvre alors l’autonomie, et qui entretient un rapport problématique à la religion et à l’Église. Si l’action des États n’est affaire ni de morale, ni de salut, la raison religieuse se voit écartée de la raison d’État. Surtout, l’Église est elle-même un de ces États, dans lesquels le pouvoir s’obtient et s’exerce d’une manière tout aussi indifférente à la morale, à la providence et au salut. Dans de telles conditions, la métamorphose de l’Église en État semble être au prix de sa fonction proprement religieuse : sa mission « cohésive », celle qui consiste à « relier » (religare en latin) les hommes afin d’assurer l’unité de la société. La rupture des Réformés avec l’Église semble devoir bientôt donner raison à cette analyse – et l’ironie de Machiavel à l’encore de l’Église lui vaudra non seulement d’être qualifié par certains de « calviniste », mais encore de voir son Prince interdit par la censure ecclésiastique (l’Index).

De la scolastique à la politique

Pour autant, la pensée de Machiavel n’est pas sans rapport avec la pensée religieuse de son temps, et le premier mérite des analyses de Carlo Ginzburg est de montrer comment elle se forme précisément sur le modèle _ voilà _ du raisonnement tenu en théologie scolastique ou en droit canon par les clercs de la Renaissance. C’est leur manière de penser simultanément les règles générales (de l’éthique ou du droit religieux) et les circonstances spécifiques de chaque situation – ce qu’on appellera plus tard la pensée casuistique – que Machiavel applique à l’analyse politique. Cette affinité entre la nouvelle science politique et la casuistique, perçue par différents commentateurs, est attestée par une enquête philologique minutieuse qui permet de retracer différentes étapes dans la formation intellectuelle méconnue du Florentin _ oui. À partir de l’étude d’une parodie de raisonnement casuistique dans la comédie La Mandragore de Machiavel – qui était aussi poète –, Ginzburg établit que son modèle se trouve dans un traité de droit commercial rédigé par le spécialiste de droit canon Giovanni d’Andrea dès la fin du XIIIe siècle. Environ deux siècles plus tard, dans la bibliothèque paternelle, le jeune Nicolas devait y découvrir une fascinante justification du « moindre mal », amplifiée par les prédicateurs italiens des siècles suivants, qui pouvaient par exemple justifier l’usure pour éviter un mal supérieur : ainsi l’enseignait le précédent biblique de Lot, qui s’était résolu à prostituer ses filles pour éviter le « moindre mal » de la sodomie (Gen. 19). Le fait que ce schème de pensée casuistique ait ensuite été reformulé et disséqué froidement dans une scène comique laisse songeur puisque, dans le fond, il fait naître une pensée dont l’essence consiste à reconnaître « la dimension tragique de la politique »   .

Si La Mandragore permet de retrouver la matrice canoniste de la pensée machiavélienne de l’exception, entre règles générales et circonstances particulières, l’examen d’un autre texte mineur, les Fantaisies à Soderini   , permet de remonter aux sources de la première formalisation de cette pensée de l’exception, autour du problème de la « fortune ». C’est à partir d’un pastiche des Vies parallèles de Plutarque, dû à Donato Acciauoli, que Machiavel en vient à méditer la propension d’un même moyen (par exemple le talent militaire de Scipion et d’Hannibal) à produire des résultats différents (la victoire ou la défaite), comme à l’inverse la capacité de moyens différents (par exemple l’impulsivité ou la prudence) à obtenir des résultats similaires (la prise du pouvoir). Le même pasticheur est peut-être aussi celui qui a conduit Machiavel, sur la base de cette découverte quant aux fins et aux moyens, à opérer un retournement décisif de la pensée d’Aristote christianisée par saint Thomas : retournement qui déplace la politique du domaine de l’« action », déterminée par le savoir et l’éthique, vers le domaine du « faire », déterminé par un savoir-faire.

En cela les analyses de Machiavel convergent vers celles d’un autre intellectuel humaniste et conseiller des princes, Pontano. Acteur et observateur des turbulences que traverse le Royaume de Naples, celui-ci constate à la même époque l’obsolescence des catégories latines et antiques pour penser la réalité effective d’un pouvoir qui s’exerce et se dit désormais lui-même en italien (ou en d’autres langues vernaculaires). Ainsi la science politique de Machiavel, et des humanistes qui l’accueilleront favorablement, est-elle avant tout un « art de l’État » : un examen expérimental des pratiques intéressé par leurs effets, indifférent en tant que tel aux considérations morales, ou plutôt, qui permet d’évaluer positivement des actes (sous l’angle de leurs effets) qu’on réprouve par ailleurs sur le plan éthique. Des actes tels que le meurtre de Rémus, assassinat fratricide, mais aussi acte fondateur de l’incomparable Rome.

Dans ce sens, la pensée politique qui vient d’être inaugurée ne rompt pas absolument avec la philosophie politique d’Aristote christianisée par Thomas : elle délaisse surtout le ciel _ platonicien _ des idées et des lois absolues, après que l’échec de la dictature théocratique de Savonarole en a démontré les limites, pour tourner son regard humaniste et renaissant vers la réalité des États. Dans cet « œil du Quattrocento » (pour détourner le propos de l’historien d’art M. Baxandall), l’« art des États » revient ainsi à mettre le gouvernement en « perspective ». Perspective dont le point de fuite est bien l’exception (le « nondimanco »), puisque la seconde notion cardinale de la pensée de Machiavel, la « virtù » pensée comme « puissance », est elle-aussi un héritage aristotélicien et thomiste restructuré par la tension entre norme et exception.

Machiavel en héritage

Les travaux de Machiavel ont été l’objet d’une réception contrastée, en particulier dans les milieux les plus concernés par les affaires de l’Église. Son livre le plus connu, Le Prince, est aussi le plus ambigu et le plus équivoque sur le plan de ses implications morales et religieuses : si bien que, publié en 1531 avec l’autorisation du pape et après avoir rencontré un important succès en Italie et en Europe, il est finalement _ un peu plus tard _ mis à l’Index, interdit et combattu par un parti anti-machiavélien (Gentillet en France, Campanella en Italie). À cinq siècles de distance, Ginzburg relève d’ailleurs que ce texte embarrasse toujours ceux qui, depuis quelques décennies, reconnaissent en Machiavel un héros de la République et non plus le promoteur « machiavélique » de l’immoralisme astucieux et tyrannique. Pour autant, si Le Prince est interdit, la science expérimentale des États semble faire son chemin irrésistiblement _ à méditer… _ chez nombre d’intellectuels et d’aristocrates européens, y compris des hommes d’Église, de la même manière _ pas tout à fait, cependant… _ que, bientôt, la science expérimentale de Copernic et de Galilée se diffusera inexorablement dans les cercles savants.

Dès le XVIe siècle, par des voies parfois tout à fait indirectes, le souvenir de Machiavel irrigue la controverse des Anciens et des Modernes, qui s’étend bientôt à une réflexion triangulaire élargie aux Sauvages, seconde espèce d’altérité lointaine. Dans ce contexte, la différenciation du Politique et du Religieux opérée par Machiavel soutient l’étude comparée des civilisations, débarrassée du postulat de la supériorité nécessaire de la Chrétienté (Guichard). Mais à l’inverse, alors que l’Europe, à commencer par la France, se déchire dans les Guerres de religion fratricides, le nom de Machiavel est tenu par d’autres pour responsable de l’« ensauvagement » d’une Chrétienté qu’il aurait contribué à pervertir (de Léry). Le constat machiavélien (« l’homme ne pardonne pas aux autres leurs torts »   ) est pris pour un programme diabolique, faisant obstacle à l’unité de la foi : ironie inconsciente de l’histoire, qui ne comprend plus l’ironie voilée de Machiavel devant les politiques de l’Église.

Dès lors, on ne peut être qu’interpelé par le sort remarquablement nuancé que l’Église fait au machiavélisme, qui mérite d’être mis en regard _ structurellement, en quelque sorte _ de l’affaire Galilée _ certes, mais avec des différences de fond, toutefois… Carlo Ginzburg rappelle en effet que l’Église a combattu, en Copernic et Galilée, le risque qu’une nouvelle vérité universelle entre en concurrence _ gênante politiquement et idéologiquement _ avec le discours cosmologique de l’Église, et qu’ainsi, l’émergence d’une Science autonome menace _ d’une certaine façon _ la Religion. Pour autant, les autorités ecclésiastiques n’ont jamais condamné comme « hérétique » le galiléisme (ou héliocentrisme), dont l’existence était tolérée dès lors qu’il ne prétendait qu’à l’humble statut de théorie scientifique _ sauvant les phénomènes… Décidément politique _ en effet _, l’Église _ temporelle _ a négocié le même régime de tolérance à la science machiavélienne, dès lors qu’on voulait bien la cantonner à son strict domaine de compétence. En l’espèce, il est aussi remarquable que la négociation avec la science physique et avec la science politique ait été conduite par l’intermédiaire des mêmes figures (notamment Niccolo Riccardi). À la différence de l’art politique, la Science s’affirme cependant _ voilà ! _ dans un geste fondateur qui rejette l’exception face aux lois inflexibles de la nature : geste particulièrement suggestif des rapports complexes entre Religion, Politique et Science au moment où chacune se voit attribuer un domaine de compétence propre et limité   .

La tolérance envers le machiavélisme, dont le cardinal de Richelieu est peut-être la plus éloquente incarnation, était d’autant plus facilement négociable que Machiavel, plus politique que Galilée, a su plus habilement avancer « entre les lignes »   ; c’est-à-dire à cet endroit où l’implicite est cependant univoque, et où le philologue doit venir chercher. De sorte que le machiavélisme a pu irriguer jusqu’à la pensée chrétienne. Ainsi de Pascal qui, dans ses Pensées, tente de faire la synthèse de Machiavel et de Galilée : la raison d’État et la raison scientifique constituent deux nécessités supérieures qui s’imposent parfois à l’ordre du Droit. Mais c’est aux Provinciales du même auteur que s’intéresse surtout Carlo Ginzburg : ce texte satirique par lequel le scientifique français se joint aux jansénistes dans leur critique du « probabilisme moral » des jésuites – un ordre ecclésiastique très « politique » au service des intérêts prioritaires de l’Église de Rome.

À travers deux belles et denses analyses des sources textuelles des écrits de la controverse entre jansénistes et jésuites – controverse qui croise la critique calviniste de l’Église romaine (Fabricius, Bayle _ c’est passionnant ! _) – on voit rejouer la force de l’ironie au service des paroles formulées « entre les lignes », ainsi que la négociation par l’Église d’un compromis entre formulation de la critique janséniste (tolérée) et expression publique de cette critique (proscrite). Surtout, autour de Pascal et de ses lecteurs calvinistes, on voit la critique de l’exception permanente pratiquée par l’Église tourner à la contestation de sa capacité à être autre chose qu’une puissance étatique. D’un point de vue satirique, c’est-à-dire à travers une lentille qui grossit délibérément les traits, c’est la religion elle-même qui semble différenciée de l’État romain, dont elle ne serait finalement guère plus qu’un prétexte. On pense alors au Grand Inquisiteur des Frères Karamazov, dont le gouvernement ecclésiastique tolère mal le retour de Dieu fait homme. Alors que Pascal est un précurseur de la théologie politique, les interprétations qu’en donnent ses lecteurs des siècles suivants (dont Dostoïevski fait d’ailleurs partie) interrogent ainsi les développements ultérieurs qui aboutissent à l’hypothèse _ dangereuse _ de Carl Schmitt.

Les conditions scientifiques d’une histoire souterraine

Carlo Ginzburg est plus connu du public pour ses livres consacrés à l’histoire des idées religieuses qui frémissent derrière l’activité des inquisiteurs et de la chasse aux sorcières. Il a notamment montré combien celles-ci s’étaient déployées dans le sillage de la persécution des juifs, laquelle s’inscrit elle-même dans une histoire au long cours précédée par l’affirmation d’une Chrétienté conquérante, et plus tôt encore, par l’affirmation de l’Église romaine face aux puissances séculières. Ruisselant en aval de ces analyses, Nondimanco poursuit la patiente exploration des galeries de cette « histoire souterraine » en direction de l’âge des Lumières _ et bien au-delà, en cette édition française dans cette traduction de Martin Rueff…

À l’heure où les sciences sociales sont encore interrogées sur leur contribution au débat public, le moindre des intérêts de ces neufs _ et ici douze _ articles _ les trois nouveaux constituent un apport très important ! _ n’est pas, non plus, de donner à voir toute la fécondité de l’application rigoureuse des méthodes de la philologie et de l’érudition patiente, pour clore des pistes trompeuses et apporter un éclairage nuancé aux préoccupations du présent. Par l’exemple, « entre les lignes », Nondimanco nous dit en somme que sous les conditions de méthode les plus exigeantes, les sciences humaines ont la capacité et le devoir de produire une vérité sans guillemets.

* Cet article a d’abord été publié lors de la parution du livre en Italie, sous le titre Nondimanco.

A lire également sur Nonfiction :

Giorgio Agamben, Le Règne et la Gloire. Pour une généalogie théologique de l’économie et du gouvernement

Carlo Ginzburg, Peur révérence terreur : Quatre essais d’iconographie politique

Françoise Lesourd , Laurent Thirouin (dir.), Lectures russes de Pascal. Hier et aujourd’hui

Et l’autre,

en date du 12 janvier 2023,

de Pierre Tenne, sur le site de En attendant Nadeau :

« Histoire secrète de la casuistique« 

Histoire secrète de la casuistique

« Le bon historien ressemble à l’ogre de la légende. Là où il flaire la chair humaine, il sait que là est son gibier. » La phrase de Marc Bloch a laissé son empreinte sur l’image du métier d’historien. Carlo Ginzburg, depuis ses premiers travaux, offre une alternative à cette figure de l’ogre par une pratique de l’histoire qui, à l’affût des indices, même microscopiques, parvient à penser ensemble l’humble et le gigantesque. Néanmoins, recueil d’essais parus ces vingt dernières années, est une œuvre remarquable autant qu’un plaidoyer pour une pratique de l’histoire singulière et inspirante.


Carlo Ginzburg, Néanmoins. Machiavel, Pascal. Trad. de l’italien par Martin Rueff. Verdier, coll. « Histoire », 288 p., 22 €


La recherche commence en 2003 par une réflexion sur l’exception et la règle chez Machiavel. Carlo Ginzburg, lecteur hors normes, s’y intéresse à l’un de ces indices dont il a théorisé la valeur historiographique et intellectuelle (« Signes, traces, pistes. Racines d’un paradigme de l’indice », Le Débat, 1980) _ un travail décisif ! Ici, l’indice est la récurrence de l’adverbe « néanmoins » (nondimeno ou nondimanco dans le texte original) dans les écrits de Machiavel. Sur les plans du style et de l’argumentation, Machiavel parvient à concilier la règle et l’exception par l’usage des « néanmoins ». L’identification de ce procédé stylistique et intellectuel – qu’avant lui très peu d’analyses avaient relevé – fournit à Ginzburg son hypothèse : Machiavel pense en casuiste _ voilà.

Néanmoins, de Carlo Ginzburg : histoire secrète de la casuistique

Simple, l’hypothèse est également gigantesque. La réception de Machiavel depuis un demi-millénaire a lié le penseur florentin à l’avènement d’une modernité politique et intellectuelle qui, Renaissance oblige, se serait dressée contre la scolastique et la théologie médiévales. Rien de moins anodin, donc, que de lire Machiavel comme un représentant de la théologie morale héritée du Moyen Âge. Rien de plus convaincant, à lire Ginzburg, dont on connaît l’érudition prodigieuse _ oui ! _ et le style limpide _ oui ! _ : la réception de Machiavel, la contextualisation _ voilà _ de ses textes dans leur totalité, leurs postérités versatiles, sont restituées avec une profondeur rare _ absolument ! _ qui situe avec force le Florentin dans ses héritages médiévaux.

Derrière la démonstration érudite, se tient, à équidistance merveilleuse des idées et des documents, une éthique de l’historien _ oui _ menant une enquête qui interroge sans cesse son objet autant que son sujet. Ce sont des références à l’histoire de l’art, écho de l’influence de l’Institut Warburg sur le jeune Ginzburg ; aux amis, tel l’historien de l’art Francis Haskell ; et jusqu’à ce militantisme intellectuel revendiqué qui renoue avec les engagements antifascistes transmis à Carlo depuis l’enfance – Leone, son père, fut un résistant célèbre au fascisme ; et sa mère, Natalia Ginzburg, aborda ces engagements dans nombre de ses romans.

Néanmoins, de Carlo Ginzburg : histoire secrète de la casuistique

Néanmoins raconte en filigrane les siècles de lutte politique portant sur des lectures concurrentes de Machiavel. Dans un vertigineux article (« Façonner le peuple. Machiavel, Michel-Ange »), qui se conclut sur la dénonciation des interprétations fascistes du Prince – la fameuse apologie de la force et du mal qui serait l’essence de cette pensée –, Carlo Ginzburg permet de relier l’opposition politique, l’« anti- » de l’antifascisme, à l’éthique positive de lecteur qu’il affirme dans tout l’ouvrage : « Je tiens à préciser d’emblée, pour écarter toute équivoque, que je repousse avec la dernière énergie (comme je le fais depuis de nombreuses années) l’attitude néo-sceptique qui consiste à mettre toutes les interprétations sur le même plan ». La détermination de cette pensée tient _ évidemment _ à tous ses engagements, archivistiques, historiques, intellectuels, éthiques, politiques.

Le cheminement depuis Machiavel passe ensuite par le long terme des réformes religieuses. L’imprégnation des textes et des idées machiavéliennes dans la réforme catholique est l’occasion de discuter des pans importants de cette histoire dont les auteurs italiens ont fait un domaine captivant d’investigation historique, moins sensible en France _ certes _ : l’influence valdésienne sur Reginald Pole, le rôle de l’Inquisition et de la censure inquisitoriale, permettent à Carlo Ginzburg de retrouver les pensées d’Adriano Prosperi et de Massimo Firpo, entre autres, pour inscrire la postérité machiavélienne dans l’histoire de la pensée ecclésiastique moderne.

Néanmoins, de Carlo Ginzburg : histoire secrète de la casuistique

Autre hypothèse formidable : Néanmoins postule et démontre la fortune intellectuelle de Machiavel chez les penseurs catholiques. L’une des prouesses du livre est la démonstration d’un usage du « néanmoins » dans le procès fait à Galilée _ oui, oui, oui _, notamment dans l’argumentation du cardinal Bellarmin. Le spécialiste de l’Inquisition qu’est Ginzburg déploie ici une lecture tout à la fois limpide et profuse, qui permet de faire émerger ce tour d’esprit à la fois machiavélien et casuiste dans les débats dont il montre que la pierre d’achoppement fut d’abord l’alternative entre deux formulations des théories héliocentriques. En 1615, Bellarmin avertit Galilée qu’il doit « se limiter à parler ex suppositione et non pas absolument, comme j’ai toujours pensé que l’avait fait Copernic ». L’alternative entre dire le réel et supposer les prémisses d’une réflexion renvoie à la question de la règle et de l’exception. Ce que dessinent ces débats, chez tous les acteurs, c’est en réalité l’idée moderne d’un langage de la nature réglé absolument par les mathématiques, tandis que le langage des hommes, politique et moral mais surtout faillible, est toujours celui des exceptions. Dès lors, « le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie ».

Galilée n’a pas le bonheur d’apparaître dans le sous-titre du livre _ en effet, et c’est peut-être dommage _, mais il fournit en effet le maillon essentiel _ voilà ! _ entre Machiavel et Pascal. Ce dernier clôt la recherche en ce qu’il apparaît avec Les Provinciales comme celui qui achève cette histoire secrète de la casuistique moderne. L’attaque littéraire et ironique contre la casuistique opérée par Pascal – et par les auteurs moins célèbres qui contribuèrent à ce démontage – fournit une conclusion longtemps définitive à la question de la règle et de l’exception dans cette histoire des idées. L’ultime ouverture de Néanmoins invite à ne pas célébrer cette conclusion trop longtemps _ en effet. Chez Lampedusa comme dans certaines prises de parole du pape François, un retour contemporain de la casuistique, et avec elle de la règle et de l’exception, permet de constater à quel point ces textes nous interpellent aujourd’hui aussi _, par-delà les siècles et les modernités, dans les travaux et les jours d’une langue dont Ginzburg, dans la séduction de la lecture, laisse croire qu’il est le seul locuteur _ du moins l’indipensable médiateur…

Un travail d’intelligence majeur de Carlo Ginzburg, une nouvelle fois.

Ce mercredi 3 mai 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Ce que vient nous apprendre (ou pas) le livret militaire de Lucien Durosoir, classe 1898, matricule n° 322 ; et la confrontation de ses données avec ce que révèlent les lettres de Lucien Durosoir adressées à sa mère…

25déc

L’accès au livret militaire de Lucien-Jules-Henri Durosoir,

né à Boulogne-sur-Seine le  5 décembre 1878, fils de feu Léon-Octave Durosoir et Louise-Marguerite Marie, violoniste de profession, et résidant 5 rue de Laborde à Paris 8e, au moment de l’ouverture de ce livret,

vient nous livrer quelques intéressantes informations, en particulier, bien sûr, sur le parcours et la carrière militaires de Lucien Durosoir.

Et d’abord, sur la raison pour laquelle celui-ci, en dépit de son niveau culturel, est demeuré simple soldat (de deuxième classe) durant toute la durée de la guerre _ alors que, par exemple, un André Caplet, lui, né lui aussi en 1878 (le 23 novembre 1878), était sergent… _ : Lucien était « Dispensé – art. 21 – fils unique de veuve » par le conseil de révision…

D’autre part,

je remarque aussi, que le détail donné dans ce document-là des « Services et mutations diverses » de Lucien Durosoir dans « l’armée territoriale _ du 1er novembre 1912 au 1er novembre 1918 _ et dans la réserve « , n’apparaît pas nécessairement mentionné dans la correspondance échangée entre Lucien et sa mère, Louise ; et cela du fait que certaines des  mutations sont, et à plusieurs reprises, intervenues à des moments durant lesquels Lucien ne se trouvait pas au front, mais en permission au domicile familial du 45 rue du Moulin, à Vincennes ; et que le fils n’avait donc pas besoin d’en avertir par courrier écrit sa mère, pour l’informer, et en priorité, du changement d’adresse postale où lui adresser désormais le courrier : les transmissions de ces informations sur ces transferts d’affectation (et d’adresse où le joindre), s’étant faites à la maison, et n’ayant donc pas été mentionnées dans les lettres échangées _ et conservées _ entre le fils et sa mère.

Des lettres qui ont été précieusement _ pour nous qui y avons maintenant ce très précieux accès historiographique ! _ très soigneusement réunies et conservées chez elle, à Vincennes, puis à Bélus, par Louise Durosoir _ décédée à Bélus le 16 décembre 1934 _ ; puis, à Bélus, par son fils Lucien _ décédé à Bélus le 4 décembre 1955 _ ; et maintenant son petit-fils Luc…

Lucien Durosoir (classe 1898, matricule 322), apprenons-nous, en ce livret militaire ouvert en 1898, dispensé de service actif par le conseil de révision en tant que fils unique de veuve, a d’abord été versé dans la réserve de l’armée active le 1er novembre 1902 ; puis dans l’armée territoriale, le 1er novembre 1912. Rappelé à l’activité par décret présidentiel du 2 août 1914, Lucien Durosoir a rejoint le 23e Régiment Territorial d’Infanterie le 30 août 1914, à Cherbourg. Et il a été en activité aux armées du 13 novembre 1914 au 18 février 1919 :

après avoir été affecté au 23e Régiment Territorial d’Infanterie _ à Cherbourg, donc _, le 30 août 1914, il a été ensuite versé au 24e Régiment Territorial d’Infanterie _ au Hâvre, cette fois _, à une date hélas peu lisible sur le document _ ce fut en fait le 7 octobre 1914, apprenons-nous à la page 22 de « The Letters of Lucien and Louise Durosoir«  Et c‘est le 23 juin 1917 qu’il est ensuite passé au 274e Régiment d’Infanteriepuis le 10 octobre 1917, au 74e Régiment d’Infanterie, indique le livret militaire . Et c’est le 18 février 1919, que Lucien Durosoir a été mis en congé illimité de démobilisation ; et a pu rejoindre alors sa mère Louise à leur domicile du 45 rue du Moulin à Vincennes.

Voilà donc ce que nous apprend des services de Lucien Durosoir aux armées durant la « Campagne contre l’Allemagne » ce livret militaire.

Cependant une bien intéressante lettre de Lucien à sa mère datée du 1er mai 1918 (à la page 463), vient apporter un éclairage précieux sur quelques ambiguités _ au moins… _ de ce que recèlent, à la lecture, les rédactions de complément successives, sur son livret militaire, au fur et à mesure des mutations de Lucien, en divers régiments, au regard de ce qu’a écrit Lucien _ et qui nous a été conservé _ dans ses lettres de guerre à sa mère depuis le 4 août 1914. 

Ainsi m’étonnais-je de l’absence d’inscription de la mention sur ce livret militaire de Lucien de son affectation _ pourtant durable : de l’automne 1914 au 23 janvier 2017… _ au 129e régiment d’infanterie !

À la place de la mention de ce 129e régiment d’infanterie, est écrit ceci : « Affecté au 24e Régiment Territorial d’Infanterie« , à une date hélas peu lisible

Alors que, ainsi que l’indique la note de bas de page, page 31, d’Elizabeth Schoonmaker Auld, « Lucien left Le Havre on the 13 » (du mois d’octobre 1914), he was in Villemonble (« in front of Cunault’s home« ) when he wrote this letter (du 14 novembre 1914), and the next day they were near Reims. It was an immediate baptism of fire« …

Et de fait, le surlendemain, le 16 novembre 1914, Lucien _ « Since last night, I’m in the trenches. (…) We’ve been in the  trenches since yesterday« , écrit-il… _ prend soin de bien indiquer à sa mère l’adresse où lui adresser désormais le courrier : « 3rd company, 3rd section, 129th infantry regiment » (à la page 31). 

La question que je me pose est donc celle de la date _ et du lieu : Le Hâvre, au mois d’octobre 1914  ? La région de Reims, dans le département de la Marne, au mois de novembre 1914 ? _ de début de l’affectation de Lucien au 129e régiment d’infanterie

Est-ce le 6 octobre 1914, à son arrivée au Hâvre, en provenance de Cherbourg (et du 23e Régiment Territorial d’Infanterie) ? Mais au Hâvre, Lucien n’est-ce pas au 24e Régiment Territorial d’Infanterie que Lucien a été intégré ?..

Ou bien est-ce plutôt le 14 novembre 1914, à son arrivée, au front et dans les tranchées, dans les environs de Reims ?..

Ou pour le dire autrement, l’affectation de Lucien au 129e Régiment d’Infanterie a-t-elle eu lieu à son arrivée au Hâvre au mois d’octobre 1914 ? Ou bien lors de son transfert dans la Marne, près de Reims, au mois de novembre suivant ?..

En tout cas, voici ce que révèle la lettre du 1er mai 1918 de Lucien à sa mère, qui s’inquiétait d’anomalies dans les mentions d’affectations officielles de son fils à divers régiments (page 463) :

« Here is what must have happened. When the 129th had all those adventures, which you know about _ c’est-à-dire de graves mutineries _, at the beginning of June last year, I was sent to the division. In order to keep me _ en tant que violoniste très prisé des officiers mélomanes ! _, as the 129th was leaving the division, they transferred me to the 274th _ le 23 janvier 1917. Probably the modification of that transfer was not sent to the 129th, so I am still on their list. Recently they must have been reviewing the list and realized that I was not there ans asked the gendarmerie for more information. You gave them the wrong information : since the end of October _ en fait le 10 octobre 1917 _ I am no longer assigned to the 274th. That is when I was again transferred. The 274th was dissolved and the division wanted to keep me _ en tant que violoniste toujours très précieux auprès des officiers mélomanes… _, so I was transferred again, this time to the 74th. (…) You just need to tell them that I belong to the 74th Infantry (CHR), 5th Division, SP93. This little incident is proof of the state of the paperwork here« .

Avec cette conséquence qu’il me semble que la formidable lectrice-éditrice-traductrice qu’est Elizabeth Schoonmaker Auld pourra, lors d’une réédition à venir, par Blackwater Press, de ce monumental travail qu’est ce « Ma Chère Maman, Mon Cher Enfant _ The letters of Lucien and Louise Durosoir 1914 – 1919« , demander que soit repris et corrigé, à la page 22, entre les lettres de Lucien Durosoir des 5 (pages 21-22) et 6 octobre (page 22) 1914, son inter-titre en gros titre :

« On October 6, Lucien and his régiment left the Cherbourg area for Le Havre, a distance about 220 kilometers, where they were attached to the garrison of the 129th Infantry Regiment » ;

car il me semble que c’est bien au 24e Régiment Territorial d’Infanterie, alors stationné dans la région du Hâvre, que Lucien, qui faisait alors « part of 159 from our regiment going to Le Havre » (page 22), « our regiment, the 23rd territorial » (page 5), qui stationnait jusqu’alors dans la région de Cherbourg, a bien alors été transféré ;

et que ce ne sera que le 15 novembre suivant, « at 6:30 p.m. » (lettre du 15 novembre 1914, à la page 31), qu’il rejoindra, au front, dans les tranchées, et sous le feu des « Boches » (« the first trench is barely 400 meters from the German lines« , écrit-il dans sa lettre du 16 novembre 1914, à la page 32), le 129e régiment d’infanterie, positionné alors dans la région de Reims, auquel il avait compris, l’avant-veille, le 13 novembre, sa prochaine affectation : « Just this minute, I was told that I have tonight or tomorrow morning to join, I believe, the 129th near Reims« , en son courrier du 13  novembre (à la page 31)…

C’est à ce genre d’avancée que m’amène le souci méthodique du lecteur curieux et scrupuleux, quasi maniaque de la plus grande justesse possible de vérité, que je suis, de rechercher systématiquement cette plus grande précision possible _ et c’est parfois très difficile, voire impossible ; et je dois alors, au moins provisoirement, renoncer… _, des identités des personnes (qui ?), des lieux (où ?) ainsi que des dates (quand ?) lorsque ceux-ci, identités, lieux et dates, sont seulement évoqués ou floutés dans les récits, les Journaux, et les Correspondances, qui me passionnent…

Car rechercher est effectivement passionnant.

Voilà.

Ce dimanche 25 décembre 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

Quelques nouvelles précisions sur la fratrie bordelaise des 8 enfants Bitôt du Professeur de Médecine Pierre-Anselme Bitôt (1822 – 1888) et son épouse Catherine-Pauline Oré (1825 – 1898)

02oct

En procédant ce dimanche matin 2 octobre 2022 à des recherches systématiques dans les registres d’état-civil des naissances à Bordeaux des années 1850-1851, 1854, et 1862-1864,

je suis parvenu à identifier

d’une part, les prénoms des 2 sœurs Bitôt, la n°2, Jeanne-Marie Bitôt _ née à Bordeaux, 3 rue du Hâ, le domicile de ses parents, le 18 février 1851 _ et la n°7, Marie-Amélie-Noémie Bitôt _ née à Bordeaux, rue du Hâ, le 26 mars 1864 _ de la fratrie des 8 enfants du Pr d’Anatomie et Physiologie à la Faculté de Médecine de Bordeaux Pierre-Anselme Bitôt (Podensac, 22 mars 1822 – Bordeaux, 2 février 1888) et son épouse Catherine-Pauline Oré ( Bordeaux, 2 novembre 1825 – Bordeaux, 19 octobre 1898),

dont je ne connaissais jusqu’ici _ via diverses annonces de Convois funèbres ou de Remerciement et Messes consécutifs à des obsèques, parus dans la presse locale, à Bordeaux _, que les noms des époux,

le Pr _ très éminent gynécologue _ Joseph-Raoul Lefour, pour Jeanne Bitôt,

et le professeur de sciences physiques en divers lycées bordelais Emile Sarran, pour Marie-Noémie Bitôt ;

et d’autre part la date de naissance, le 22 mars 1854, du n°4 de cette fratrie, Paul-Jean-Baptiste Bitôt,

né à Bordeaux,

et comme ses 2 frères et 5 sœurs, au domicile de ses parents, rue du Hâ, n°3 ;

et médecin bordelais bien connu :

De même que les nombreux médecins de sa famille :

son père Pierre-Anselme Bitôt (1822 – 1888)

son oncle maternel, Pierre-Cyprien Oré (1828 – 1889) _ frère de sa mère Catherine-Pauline Oré (1825 – 1898) _,

son frère Emile Bitôt (1861 – 1932),

et son beau-frère Raoul Lefour (1854 – 1916) ;

ainsi que le mari de sa nièce Charlotte-Marie-Josèphe Lourreyt (Bordeaux 28 mars 1882 – Bordeaux 13 mai 1964) _ fille aînée de sa sœur Valentine Bitôt (1852 – 1931) _, le Dr André Venot (Bordeaux, 31 mai 1869 – Bordeaux, 17 juin 1923)_ lui-même fils et petit-fils de médecins bordelais : Antoine-Victor-Napoléon Venot (né à Bordeaux le 15 juin 1834) et Jean-Baptiste Venot…

Le Dr Paul Bitôt _ le 4éme de cette fratrie des 8 enfants Bitôt nés à Bordeaux, 3 rue du Hâ, entre le 8 octobre 1849 et le 21 mai 1867 _ décèdera à Bordeaux le 1er mai 1911.

Soient des précisions biographiques d’une certaine importance

qui faisaient encore défaut à mes articles « « 

et « « 

des mercredi 28 et jeudi 29 septembre derniers.

Voilà.

La précision, et d’abord de lieu et de date, important toujours,

afin de bien se repérer…

Ce dimanche 2 octobre 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

La parfaite réussite du CD Schumann – Liszt de Jean-Claude Vanden Eynden, au Palais des Dégustateurs : une évidence splendide de travail d’orfèvre à l’admirable fluidité…

11août

Le plus récent CD (PDD 024) du Palais des Dégustateurs,

le CD Schumann -Liszt _ de Schumann, la Fantaisie op. 17 ; de Liszt, la Sonate pour piano _ par Jean-Claude Vanden Eyden,

est une réussite merveilleuse,

pour deux œuvres particulièrement difficiles à saisir dans leur assez étrange complexité, qui réclame infiniment de précision, finesse et justesse d’interprétation ;

comme le signale tout à fait opportunément l’excellente présentation de ces deux œuvres, dans le livret, par Stéphane Friédérich.

Le jeu pianistique de Jean-Claude Vanden Eynden est de la délicatesse et équilibre parfait qui leur convient, sans jamais nulle outrance, en une admirable fluidité

_ ce qui est assez rare pour ces deux œuvres si singulières dans le parcours même de création de ces deux compositeurs assez audacieux dans leur démarche inventive, que sont Robert Schumann et Franz Liszt….

Une parfaite réalisation artistique et discographique, donc,

dont il faut remercier tous les responsables, au premier chef desquels, bien sûr, le premier maître d’œuvre de ce CD, Eric Rouyer.

Ce mercredi 11 août 2021, Titus Curiosus – Francis Lippa

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