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Le sublime « Racines » du sublime Vincent Van Gogh : peint sur le motif, à Auvers-Sur-Oise…

30juil

Ces derniers jours-ci, 

divers organes de presse se sont fait l’écho ému d’une découverte importante

concernant les derniers jours

et, plus encore, la toute dernière œuvre _ une merveille !!! _ 

de Vincent Van Gogh : Racines

 

Le peintre prévoyait en amont de se

Voici, par exemple, un article du Huffington Post,

intitulé Ce tableau de Van Gogh a vu son secret percé grâce à une carte postale ,

à ce propos :

Ce tableau de Van Gogh a vu son secret percé grâce à une carte postale

Le tableau « Racines« , peint par Van Gogh le jour de sa mort, “avait donné cours à toutes sortes de théories« .

VAN GOGH MUSEUM, AMSTERDAM (VINCENT VAN GOGH FOUNDATION)
Le peintre prévoyait en amont de se suicider

PEINTURE – La découverte a été faite alors qu’il classait tranquillement chez lui des documents pendant le confinement en avril, a expliqué à l’AFP Wouter van der Veen, ce mardi 28 juillet, lors de l’inauguration du site du tableau à Auvers-sur-Oise, au nord de Paris.

Mon œil a été accroché par un détail sur une carte postale, un détail qui figurait sur le dernier tableau de Van Gogh”. “La configuration des racines et des troncs sur la carte postale correspondait _ voilà ! _ à celle sur le tableau”.

Sur la carte postale datant de 1900-1910, figure un coteau couvert d’un taillis avec des troncs et des racines. Cet expert de Van Gogh _ qu’est Wouter van der Veen _ a ensuite étayé sa trouvaille dans un livre, “Attaqué à la racine”. Il a fallu quelques semaines au Musée Van Gogh d’Amsterdam pour que les experts concluent qu’il s’agit “très vraisemblablement” du bon endroit _ où fut peint, sur le motif, cet ultime tableau…

Ce 28 juillet, en présence d’Emilie Gordenker, directrice générale du Musée Van Gogh et de Willem Van Gogh, arrière-petit-fils de Theo, frère de Vincent, a eu lieu l’inauguration du site _ rien moins ! _, protégé par une structure de bois temporaire, et qui pourra ainsi devenir lieu de pèlerinage.

Il est situé à 150 mètres seulement de l’auberge Ravoux où le peintre génial résidait depuis 70 jours, atteint de crises de folie.

Une lettre d’adieu

Cette toile “avait donné cours à toutes sortes de théories, sur le fait par exemple qu’il aurait signé un tableau _ celui-ci ! _ marquant le début de l’art abstrait, de l’art nouveau”, a relevé le chercheur.

Ce tableau _ bel et bien figuratif… _, peint peu avant qu’il se tire une balle dans le ventre, le 27 juillet 1890, était indéchiffrable, car le lieu de la réalisation était resté impossible à situer”, a-t-il dit.

Van Gogh _ Groot-Zundert, 30 mars 1853 – Anvers-Sur-Oise, 29 juillet 1890 _, grièvement blessé, devait regagner dans la nuit _ du 27 juillet 1890 _ l’auberge _ Ravoux _ et mourir deux jours plus tard à l’issue d’une longue agonie.


Certains “avaient envie _ étrange expression (ou traduction…), tout de même… _ que Van Gogh soit victime de la société plutôt que l’auteur de sa vie et de sa mort”, a observé le chercheur, faisant allusion à des thèses remettant en cause cette hypothèse _ rien moins que le livre plutôt célèbre d’Antonin Artaud, Van Gogh, ou le suicidé de la société, paru en 1947… 

En 2011, des chercheurs américains avaient défendu une hypothèse selon laquelle Vincent Van Gogh aurait été blessé par un tir accidentel de jeunes gens qui jouaient avec une arme.

Or ce tableau est “un testament, une lettre d’adieu. Le taillis symbolise pour lui la lutte de la vie. On en récolte les troncs et, de la souche, de nouvelles pousses apparaissent…

@ARTHÉNON
rue Daubigny, Auvers-sur-Oise, vers 1900-1910)

Un suicide prémédité

Dans ce tableau, il y a une cohérence, affirme Wouter van der Veen : c’est le thème _ y a t-il besoin de « thèmes« , en un tableau ? Un thème, c’est plutôt un lieu-commun… _ de la vie et de la mort cher à Van Gogh. Depuis un an, le suicide était une option pour lui. Cela élimine toutes ces théories foireuses, qui n’ont pas fait de bien à sa mémoire, comme celle affirmant qu’il aurait été tué par accident par des gamins”, a déclaré l’expert néerlandais.

La lumière du soleil peinte par Van Gogh montre aussi qu’il a appliqué ses derniers coups de pinceau vers la fin de l’après-midi, ce qui nous renseigne sur son emploi du temps durant cette journée dramatique”, a souligné ce spécialiste de Van Gogh.


Pour Teio Meedendorp, chercheur au Musée Van Gogh, cette dernière œuvre a été “réalisée dans un environnement qu’il avait déjà documenté auparavant avec d’autres tableaux”. Van Gogh “a dû souvent passer à côté de l’emplacement en allant dans les champs qui s’étendaient derrière le château d’Auvers, où il peignait durant sa dernière semaine”.

Ce qui est extraordinaire _ oui ! _, c’est que la souche principale qu’on trouve sur le tableau est aujourd’hui encore visible dans le taillis”, 130 ans après _ certes ! _, s’émerveille Wouter van der Veen.

Comme Rimbaud ou Baudelaire, Van Gogh est un de ces artistes du XIXe siècle dont le talent et le destin particuliers fascinent le monde entier. Ainsi un revolver rouillé, retrouvé en 1960 dans un pré et qui aurait servi à Van Gogh pour se suicider, avait été vendu aux enchères à un particulier en juin 2019 pour 162.500 euros à Paris à l’Hôtel Drouot.

Eh bien ! Van Gogh est demeuré jusqu’à sa fin, un figuratif !!!

Belle re-découverte, surtout, que ce sublime tableau !

Ce jeudi 30 juillet 2020, Titus Curiosus – Francis Lippa

Retour de bouteille à la mer : (passionnante !) réponse de Christophe Pradeau à ma lecture de sa « Grande Sauvagerie »

19juin

A l’envoi de mon tout récent article « Cultiver (en son regard !) la lumière de la luciole et subvertir la carole magique : l’enchantement de l’écrire de Christophe Pradeau« ,

Christophe Pradeau,

l’auteur de La Grande Sauvagerie, aux Éditions Verdier _ dont on peut écouter la très intéressante présentation dans les salons Albert-Mollat, le lendemain de la réception du Prix Lavinal, à Lynch-Bages, en dialogue avec Véronique, sa fervente lectrice (l’entretien, riche, comme l’œuvre en ses 154 pages denses, de multiples ouvertures, dure une bonne heure) _,

répond sur le champ,

et d’une manière merveilleusement circonstanciée…

Je livre ce message, infiniment précieux _ sans rien de personnel, ni d’indiscret, on va le voir _, de l’auteur,

livrant ici quelque coin des plus « intime »_ sinon secret _ de la « fabrique » même de sa « fiction » :

cette  fiction

s’étant « faite » (et, ainsi qu’il l’énonce, « faisant désormais seule autorité«  en son livre tel qu’il existe, en l' »achèvement » de ses 154 pages),

mais aussi, « continuant« , encore, en quelque sorte, de « se faire« ,

« de creuser« ,

continuant de « pousser » quelques sillons (ou plutôt, en le terreau, l’humus noir nourrissant, quelques nouvelles radicelles d’un processus de déploiement d’une « arboration » foisonnante…)

en le terreau-territoire, donc, de son imagination d’auteur-roi de sa fiction « fictionnante » ;

mais aussi en celles, « fictionnées« , elles,

mais en mouvement continué ! vivant ! ému ! encore (= mobilisée ! _ et mobilisatrice !),

de ses lecteurs les plus (ou mieux) attentifs, du moins… _ puisqu’il (= l’auteur) nous (= les lecteurs) accule _ et combien brillamment ! _ à l’exercice _ vivant ! je le répète ! _ de tenter de résoudre, à notre tour, l' »énigme » que constituent, encore, pour nous, les blancs, les lacunes, sinon, même, peut-être, quelques contradictions de ce que le roman (tel qu’il est présentement _ et dorénavant ! _ figé en les 154 pages du livre achevé et disponible, entre nos mains) nous livre,

à travers le récit rétrospectif (lui même tout vibrant de mille émotions toujours mouvantes… ; et parfois approximatif) de sa narratrice, Thérèse Gandalonie,

à la façon des proliférantes racines du (très) grand arbre rouge,

« acclimaté« , lui aussi _ je veux dire comme l’ont été, en cet enclos de La Grande Sauvagerie, sur un promontoire rocheux du Limousin, les lucioles, importées, transplantées et « naturalisées«  (page 147),  elles, de Toscane, par Antoine Lambert) _, en Limousin, des rivages d’Amérique,

par un autre de la « tribu » Lambert, le cousin (d’Octave et Antoine, ou plutôt, quoi

que plus âgé qu’elle, d’Agathe, née, elle, en 1909) Alban, assez âgé, lui, pour être mobilisé à faire cette Grande Guerre et finir fauché par la mitraille, un des tout derniers jours de celle-ci, à l’automne, et peut-être même, un des premiers jours de novembre, 1918…

_ une période qui tout particulièrement m’intéresse, eu égard à la préparation « en cours«  (elle me « travaille«  aussi, continument…) de mes deux contributions au colloque Lucien Durosoir (1878-1955)  de Venise, à l’« Institut de la musique française romantique » (ou « Fondation Bru-Zane« ), les 19 et 20 février 2011 ; je vais en reparler, puisque vient de sortir une nouvelle « pépite«  merveilleuse Alpha, en l’espèce du troisième CD de l’interprétation intégrale de l’œuvre musical de Lucien Durosoir, que met en œuvre l’éditeur d’Alpha, mon ami Jean-Paul Combet, en l’espèce du CD Alpha 164 Jouvence, par l’ensemble Calliopée : éblouissant !!! j’en reparle sur ce blog très bientôt !!! _,

à la façon des proliférantes racines du (très) grand arbre

rouge :  le « cèdre » dit  « rouge« ,

ou « thuya géant » ;

je lis le passage (et en son souffle : celui de la narratrice, Thérèse Gandalonie), aux pages 137-139 de La Grande Sauvagerie :

« Pendant qu’Agathe poursuivait son récit _ ce soir de 1990, en son domicile de la rue de Babylone, à Paris _, je voyais,

ce qui s’appelle voir, image intrusive _ ou la réussite de la poiesis de la parole humaine en sa capacité (de semaille de graines de vie) d’« enchantement« _, presque effrayante par sa force de persuasion _ en effet ! _,

je voyais, donc,

Jean-François _ le Rameau qui avait eu la folie de s’affronter, corps et biens perdus, à la « réalité« , lui, de la « grande sauvagerie » (sans majuscules, elle !) des territoires les plus blancs (et pas que sur les cartes d’alors !) d’Amérique (et du Nord)… _

pousser _ lui, donc ! _ ses racines _ on lit bien : les « racines » de Jean-François (Rameau) lui-même ! _

dans la tête de ses enfants _ dont Jean-Guillaume, le père de Jeanne-Marie, qui épouserait ensuite Jérôme Lambert : ceux qui (en « une dizaine de voitures« , à « la fin octobre 1822« , page 136) se transplanteraient de Bourgogne en Limousin… _,

à la façon patiente de cet arbre géant de la Colombie britannique,

le cèdre rouge,

dont il était le premier européen sans doute à avoir donné une description,

dont il avait dessiné, et c’était très certainement la plus belle aquarelle des Carnets,

le racinage,

la façon dont les racines s’insinuent à travers les roches les plus compactes,

pouvoir de pénétration plus irrésistible, plus redoutable, mystérieux, nocturne et silencieux, que le fracas _ même : dissolvant, lui _ des vagues contre les falaises.

Agathe voulut bien acquiescer :

l’image ne lui semblait pas très juste pourtant, et elle ne l’était certes pas,

mais vigoureuse ;

et puis elle allait au cœur :

elle m’apprit que, dans les dernières années de la Belle Époque _ peu avant 1914, donc _, l’un des descendants de Jean-François,

Alban Lambert,

un cousin qu’elle aimait comme le grand-frère qu’elle n’avait pas eu _ elle s’entendit moins bien avec son propre petit frère, Léonard, né en 1912, lui… _

un cousin mort à la guerre, l’avant-veille de l’armistice,

devait planter,

sans rien savoir _ pourtant _ des pages du Journal que je venais d’évoquer

_ et « inventé » quelques années plus tard seulement : « à l’automne 1936« , par un certain John Fleming (page 109), d’abord ; puis lors d’« une publication savante« , par les soins d’« un (sien) ancien camarade d’études, le Dr Anders« , quand « fut annoncée en mai«  1938 cette « découverte«  (page 11) ; mais surtout « l’été 1954« , lors de « la mise aux enchères des manuscrits«  et « l’acquisition décriée des douze carnets de cuir rouge par une université américaine«  (celle de Yale : les carnets quittant alors le Québec ; et le Canada), « pour voir le nom de Jean-François Rameau refaire surface » planétairement alors (page 111 aussi) _,

deux magnifiques spécimens de cèdre rouge

ou, comme on dit plus volontiers aujourd’hui, de thuya géant :

on peut encore les voir, du moins, se reprit-elle, était-ce encore le cas lors de son dernier séjour à Saint-Léonard, dans le parc de La Grande Sauvagerie, derrière la tour de l’observatoire. »

Et c’est là que se situe, page 138, le passage

déjà cité en mon compte-rendu précédent de La Grande Sauvagerie,

sur la constitution, par la « légende« , de la famille Rameau-Lambert, en une véritable « tribu » :

« la légende de Jean-François…« , l’expression se trouve page 138.

Voici donc ce courriel passionnant :

De :   Christophe Pradeau

Objet : RE: Article de mon blog Mollat sur « La Grande Sauvagerie »
Date : 18 juin 2010 01:24:46 HAEC
À :   Titus Curiosus


Cher Titus Curiosus,

je trouve vos messages et votre article au retour d’un séjour de quelques jours à X… Merci infiniment pour cette belle lecture, si impliquée et si précise à la fois, qui, par la façon qu’elle a d’accompagner le texte commenté, de se glisser dans ses recoins et ses interstices, dans ses blancs et lacunes, de digresser, de revenir en arrière, de piétiner et d’aller de l’avant, m’a rappelé l’écriture si singulière de Péguy _ mazette ! _, notamment dans ses essais sur Hugo ou sur la trilogie de Beaumarchais (ce merveilleux livre posthume que l’on connaît sous le titre de Clio) ; ou encore, moins connu et nettement moins accompli mais vraiment étonnant, le commentaire linéaire intégral de Madame Bovary par Léon Bopp _ inconnu de moi jusqu’à ce jour : grand merci, Christophe !

Vous avez presque toujours touché juste _ merci ! _, jusque dans le choix des illustrations. L’horloge de la « Maison Renaissance » de Lubersac flotte bien quelque part, en effet, derrière celle du Vieux Logis de Saint-Léonard ; et la Thérèse des Âmes fortes _ Christophe a écrit, comme j’avais, moi aussi, failli le faire : Âmes mortes ! mais là, ce n’est pas de Giono, mais de Gogol, qu’il s’agit ! _ derrière Thérèse Gandalonie _ je m’en réjouis, tant j’apprécie, et c’est encore un euphémisme, ce Giono-là : celui aussi d’Un Roi sans divertissement, Noé, Deux Cavaliers de l’orage, Les Grands chemins, Ennemonde et autres caractères, L’Iris de Suse : quel (jubilatoire) magicien du récit !.. Et en creusant un peu, j’ai découvert, alors, que Christophe Pradeau a réalisé un Jean Giono, paru aux Éditions Ellipses en 1998…

Pour ce qui est des précisions demandées…

Je n’ai pas constitué de chronologie précise, qui aurait préexisté au livre à la façon d’un plan _ et d’un cadre (ou d’une cage) a priori _, et je n’en ai pas établi a posteriori pour m’assurer _ Christophe n’a pas ce type d’« inquiétude«  maniaque… ; par là, il est tout à fait dans la descendance (poïetique) d’un Giono ! pour ne rien dire d’un Faulkner… _ de la cohérence de l’ensemble ; j’avais intuitivement _ cela devant largement « suffire« … ; la priorité étant la coulée (et plus encore le coulant) du flux… _ le sentiment que cela tenait, globalement… Mes premiers lecteurs – les lecteurs si précieux du premier cercle amical – l’ont fait pour moi et m’ont permis de corriger deux ou trois incohérences _ sans nulle gravité : Thérèse qui raconte n’est pas une machine ; ni une exégète (d’elle-même) maniaque… _ de détail : je croyais que cela avait été fait pour avril 1954-avril 1956… _ une discordance signalée entre les pages 62 et 16… Sans doute un problème de report sur les 3es et dernières épreuves… Il reste toujours des choses de ce type dans un livre et c’est assez rageant…

Pour ce qui est des liens familiaux. Marie-Lou _ la tante protectrice de Thérèse, dont le jardin au figuier généreux lui est (chaleureuse !) terre d’asile _ est, abusivement, qualifiée d’ « épouse morganatique » parce que, fille du bas pays, issue d’une famille paysanne d’une modeste aisance, elle épouse le frère de la mère de Thérèse _ voilà ! _, rejeton d’une famille prospère du haut pays

_ le jeu bas/haut – haut / bas est important dans l’économie du roman de Saint-Léonard : dès la première page, où tout « dévale« , tantôt abordé d’en-bas (à grimper, avec ses pieds : « Elle (la « lanterne des morts » : fascinante ! pas encore nommée par la narratrice, Thérèse, en cette toute première phrase, déballée par son récit, du livre !) domine le village, lui-même haut perché avec ses raidillons coupe-jarrets, ses monte-à-regret cabrés vers le ciel« …), tantôt vu d’en-haut (par un regard non essoufflé, alors ; mais le corps peut se mettre, et, bien vite, à se laisser aller à courir ! en fonction de l’âge, surtout… : « l’emmêlement têtu, le ruissellement (surtout : tout se met à couler !) gris bleu de ses toitures d’ardoises, ses étagements de balcons, de tourelles en encorbellement arrimés aux redans du rocher, avec l’ample retombée (voilà !) de ses jardins en terrasses, ses volées de marche dévalant (ça s’accélère ! la course vite emporte…) la pente, impatiente (voilà !) de se faufiler au milieu du quant-à-soi des vergers,

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entre les hauts murs de granit, gainés de mousses et de lichens, alourdis par le débord cornucopien (à foison !) des arbres en espalier, la plénitude (oui !) tentatrice (paradisiaque !) des reine-claudes, des figues fleurs (les voici déjà !) , des sanguinoles ou des pavies, tunnels d’ombres et de feuillages le long desquels on dégringole (voilà, voilà ! de plus en plus vite, par l’effet de l’attraction gouleyante de l’ivresse de la pente avalée…) en criant à tue-tête pour déboucher enfin, hors d’haleine, échevelés, les joues en feu, au milieu des éclats de rire des berges, des courses trébuchantes sur les bancs de galet, face à l’éclaboussement (cézannien ! et zolien : cf les rives de l’Arc tout au bas de la pente d’Aix-en-Provence !)

http://www.isere.grenoble.snes.edu/spip/IMG/jpg_Paul_Cezanne_Baigneuses_1874_jpg-2.jpg
des corps nus dans l’eau froissée de soleil
« 
… : c’est superbe ! quel bonheur d’écriture !)…
_,

Marie-Lou est, abusivement, qualifiée d’ « épouse morganatique » parce que, fille du bas pays, issue d’une famille paysanne d’une modeste aisance, elle épouse le frère de la mère de Thérèse, rejeton d’une famille prospère du haut pays,

famille bourgeoise déjà, affranchie _ elle _ des servitudes _ lourdes _ de la terre. Je n’ai pas imaginé de prénom à cet oncle maternel de Thérèse, l’époux de Marie-Lou _ il demeure seulement (rien qu’) une « fonction » : comme pas mal des personnages masculins, ici… _, mais j’avais pensé lui donner le nom de Decay _ un mot de la famille de « descente » ; cf « décadence » (en anglais, « to decay«  signifie « se gâter« , « pourrir« , « partir en ruines«  : « déchoir« , donc… Il est censé avoir fait l’acquisition de la maison aux arcades et du jardin au figuier _ celui de la « chute« , au Paradis, dans la Genèse… _ quelques années après la mort d’Antoine, maison dont la famille Lambert, les héritiers d’Antoine, se défont, on ne sait pourquoi _ non plus _, au profit d’une famille du bourg, les Decay _ mais de telles transactions ne sont pas dénuées d’importance à l’échelle d’un petit pays… _, pas plus qu’on ne sait dans quelles circonstances Antoine a pu l’acquérir et à qui il l’a acheté _ le souci de l’auteur (quant à la « fabrique«  de son « monde« ) va assez loin, on le voit ; jusque dans ce qu’il choisit de délaisser : dans l’ombre (= sans focalisation trop nette). Pas de lien de famille donc entre Thérèse et les Lambert, du moins dans mon esprit, mais le texte autorise, bien entendu, à en imaginer et je l’ai voulu ainsi _ bravo ! La grand-mère de Thérèse, dont la mort la touche tant, est sa grand-mère maternelle : donc la mère _ aussi _ du mari de Marie-Lou. Cette dernière _ la bonhomie généreuse et la faconde de sa silhouette n’étant pas sans me rappeler celles de l’« Ennemonde » de Giono, sans sa « patte«  de carnassier, toutefois… _ est une sorte de figure de substitution sur laquelle se reporte l’amour de Thérèse pour son aïeule. Le père de Thérèse est laissé _ lui aussi _ dans l’ombre parce qu’il en est une _ c’est dit ! _ : d’une famille un tout petit peu moins aisée _ une différence infinitésimale suffisant ! _ que les Decay, d’un caractère moins bien trempé que celui de sa femme, il passe le plus clair de son temps _ fuyant comme la truite de montagne, à la peau un peu gluante quand on veut la saisir, ou tenir _ à la pêche… J’imagine tout ce que sa femme a pu dire _ certes ! _ sur les Gandalonie ! _ un nom qui me paraît proche de celui des « Vandales« , qui passèrent jadis par là aussi, avant de se poser et fixer en Vandalousie… Ai pensé, je m’en aperçois en vous écrivant, aux Dodson du Moulin sur la Floss.

Bien entendu, tout ce que je viens d’écrire est pour ainsi dire virtuel puisque seul le texte fait autorité _ bien sûr ! Ce sont des données qui m’ont été utiles pour écrire le roman _ en la gestation pétulante et pétillante : festive, de sa « fabrique«  _ mais que j’ai retirées – comme un échafaudage – ou qui sont restées en suspension _ c’est aussi bien intéressant, cela _, tout au long de l’élaboration du livre, dans le blanc de la page _ que le lecteur bien attentif ne peut que deviner : il est jubilatoirement passionnant de pouvoir, ainsi, glisser un œil dans ce « chantier de construction«  tout frais et si vivant : frémissant encore… Lire alors aussi est frémir…

Merci encore de m’avoir offert le plaisir de replonger _ merci ! _ avec vous au plus intime _ voilà ! mais c’est moi qui vous suis infiniment reconnaissant de l’éclairer ainsi ! en son frémissement ainsi « continué« , « retrouvé » par vous, l’auteur, en la lecture du « commentaire« … : le chantier de l’activité fictionnante se poursuivant par là, non seulement en le lecteur, mais même, ici, en l’auteur, lecteur du « commentaire« _ de La Grande Sauvagerie. J’ai retrouvé, en effet, en vous lisant, une saveur, une qualité d’intimité _ merci de me le faire, à votre tour, ainsi, partager ! _, inséparable de l’écriture, du livre en chantier _ mais oui ! _, mais dont, le livre publié, il s’agit de faire son deuil, à moins que certaines lectures ne vous la restituent _ la lecture, bien sûr, est (toujours, mais surtout à son plus vif) une reviviscence… C’est un plaisir rare et troublant, que je vous dois _ doublement merci (beaucoup) à vous, Christophe !

C’est pour cela que s’adresser à l’auteur, et continuer la « conversation« , en quelque sorte, qu’il a proposé d’entamer avec vous, lecteur, en vous offrant (à l’opération risquée, vôtre, de la lecture) « sa bouteille à la mer » (qu’est le livre : fictionné), est l’occasion de lui témoigner un peu de la (magnifique) reconnaissance (et gratitude) de cette joie pure de lire, en sa richesse, du lecteur ! admis à « collaborer« , en quelque sorte, à son tour _ à la façon de l’interprète musical de la partition écrite, notée… _, à partir des perches que lui tend (ou ne lui tend pas, avec des blancs et des lacunes, ou des ombres, volontaires), en ses phrases, l’auteur, à un jeu (comme « de l’oie«  : en partie ouvert par les hasards organisés et à moitié imprévisibles de la partie : la retombée des dés et le jeu qu’elle vient soulever…) ; à un jeu, donc, de perspicacité, au plaisir d’élucidation (jamais achevée, en effet) des « énigmes » (patentes) du récit lui-même, organisé ainsi et pour cela (ces portes ouvertes sur des pistes diverses devenant possibles…), du livre…Avec quelle densité et profusion ici : proprement « cornucopienne«  ! en effet !

il me semble que l’adjectif, présent en l’ouverture (assez audacieuse par là ! vis-à-vis de tant d’« indiligents lecteurs« , près de quitter, dès pareil seuil, le livre _ de fiction, le roman _, qu’ils viennent à peine d’entrouvrir !..) du récit de l’universitaire, désormais émérite, qu’est Thérèse, page 11, à propos des « hauts murs de granit« , enserrant les « vergers«  de Saint-Léonard (ou Saint-Robert, son modèle dans la réalité du territoire, si l’on préfère), « gainés de mousses et de lichens«  : « alourdis par le débord _ voilà ! _ cornucopien des arbres en espalier«  (et combien ce « débord« , fructiforme, ou fruitier, est superbe !),

revient une autre fois : je viens de le trouver, page 51,

à propos de « la langue » et de « la veille patiente« , dans les « bibliothèques de la Nouvelle-Angleterre dont les portes restent ouvertes jour et nuit«  : « où s’entretient sans discontinuer, tous les jours de l’année, jusque dans les heures les plus hostiles du petit matin, le feu vacillant des lectures buissonnantes, la veille patiente de ceux qu’on appelle, dans la langue cornucopienne de la Renaissance (voilà !), les Lychnobiens (ceux qui vivent à la lueur des lanternes)« … Fin, ici,de mon incise sur ce généreux, un peu rare aujourd’hui, adjectif : « cornucopien, cornucopienne« 

Bien amicalement,

Christophe Pradeau

Dans la curiosité festive de votre prochain opus…

Titus Curiosus, le 19 juin 2010

Post-scriptum :

Lui ayant demandé son blanc-seing

à la publication de notre (modeste) échange,

voici le petit mot (de réponse)

que je reçois ce matin, il est 5 heures, de Christophe Pradeau :

Cher Titus,

Je ne vois pas d’inconvénient à publier ma réponse à votre article et le commentaire qui l’accompagne.

Merci encore…

Vous avez une façon d’écrire d’une tonicité réjouissante et communicative.

Bien amicalement,

Christophe Pradeau

« Wow » ! _ soufflerait le cher ami Plossu…

C’est moi qui suis le débiteur :

de la richesse proliférante, « cornucopienne« , donc

(mais contenue : retaillée _ sans perdre le souffle, tout au contraire, pour mieux affûter ses fulgurantes, ou terribles, envolées : tout respire ! _, retaillée au burin, au ciseau, au stylet, à la plume _ michel-angelesque ! sur la blancheur du marbre chaleureux, en fusion (en sa merveilleuse fondante autant que consistante plasticité…) de vos mots ! _ d’exigence artiste ! cf le « en espalier » de la taille des arbres des vergers de Saint-Léonard !)

de votre « monde« ,

cher Christophe,

celui qui jaillit et sourd de votre écriture _ et « le style, c’est l’homme même » ! _ :

en une densité qui continue d’échapper _ et donner à profusion : en votre générosité (« cornucopienne » ! donc…) d’auteur-écrivain : oui, vous l’êtes ! _ fruits, fleurs, feuilles, rameaux _ eh ! oui ! _, branches et frondaisons splendides, caressés (et soulevés) par le vent et la lumière , dans l’univers d’en-haut,

et racines et radicelles (à champignons !), dans l’univers « souterrain« , ou d’en-bas, dans le terreau et le terrain et le territoire :

tous, frémissants qu’ils s’agitent (et que vous percevez ! si merveilleusement, en votre écriture !)

_ tel Lucrèce ;

je n’ai encore rien dit (quelle faute ! mille pardons !) de ce que vous en faites, aux pages 86 :

« j’entends la pluie d’atomes chantée par Lucrèce« 

et 87 : « plus rien ne compte que les entrechoquements d’atomes, ces écarts et pas de côté (oui ! le clinamen décisif !) qui sont tout à la fois la genèse et l’apocalypse (en effet : « à la fois« , oui ! d’un seul et même mouvement, en la richesse infinie de ses métamorphoses rebondissantes complexes !), le début et la fin (l’alpha et l’oméga !), toutes choses mêlées, confondues dans la même (giboyeuse !) pluie fine de printemps« 

(celle-là même rencontrée, avant-guerre certainement, par la merveilleuse Marie-Lou, elle, à la page 60 du récit de sa nièce Thérèse Gandalonie, en ce que cette dernière nomme, avec tant de justesse, une de ses « heures enchantées » (jusqu’à donner son titre au « chapitre troisième » : « Les heures enchantées« ) :

« elle _ Marie-Lou, donc _ avait fini par pénétrer pourtant dans la lumière, par se glisser (voilà ce qui est requis de nous, vivants humains : ce banal, mais décisif geste de courage ! que tant, telle la mère de Thérèse, se refusent, eux, rigidement, d’accomplir !) dans le ruissellement dansant du spectre. Le monde s’était replié, resserré sur lui-même ; tout n’était plus qu’entrechoquements, retombées erratiques et joyeuses (mais oui ! car la joie « est«  spacieuse ; cf Jean-Louis Chrétien ! en son décisif La Joie spacieuse _ essai sur la dilatation : je le recommande éminemment !) de petits grains de couleurs. Lou s’abandonna, la bouche ouverte, prise d’une envie folle de courir et de crier, de chanter sa joie et sa peur, et incapable d’articuler un son, de faire le moindre geste, offerte (oui ! telle une Danaé à la pluie d’or…) tout entière (oui !) à la pluie lumineuse qui s’enroulait autour d’elle (magiquement et naturellement ! les deux vont de pair : et le poète le « voit«  ! telle la Thérèse du livre de Christophe !!!), qui l’enlaçait, la pénétrait comme l’eau la terre meuble, l’entraînant corps et âme (oui ! et elle ne l’oubliera plus !) dans une ronde où elle se démultipliait (voilà : en se dépliant…) à l’infini et finissait (se décentrant ainsi de son « quant-à-elle-même » trop social-bête, en se livrant à cette altérité !) par se perdre ( bien heureusement ! une grâce !) de vue«  (pour se déployer « corps et âme« , donc, à jamais…) ;

ensuite :

« pas un bruit, si ce n’est le glou-glou des rigoles, le travail obscur, l’odyssée invisible de l’eau, le lent ruissellement, la lente traversée des épaisseurs d’humus vers le silence étale des nappes phréatiques«  : ce bonheur d’écriture et de vérité-là se savoure à la page 61 de La Grande Sauvagerie…),

« plus rien ne compte que les entrechoquements d’atomes, ces écarts et pas de côté

qui sont tout à la fois la genèse et l’apocalypse, le début et la fin,

toutes choses mêlées, confondues dans la même pluie fine de printemps, donc

_ je reprends ici l’envol du récit de Thérèse, cette fois (après celui _ que Thérèse rapporte, en sa mémoire, ou plutôt évoque et reconstitue, avec, aussi, ses nouveaux mots à elle… _ celui de Marie-Lou, avant-guerre, elle, à la page 60) de Thérèse, cette fois, et maintenant !, la plume à la main de ce livre, à la page 87 :

« ce livre que vous lisez, dont je suis tout près d’écrire le dernier mot« , dira Thérèse Gandalonie à la page finale de La Grande Sauvagerie, page 154… _,

de celles (ces « choses mêlées, confondues dans la même pluie fine de printemps« , donc)

qui exaltent, libèrent toutes les odeurs, tous les parfums (et aussi les saveurs) de la terre,

une petite pluie pénétrante (et fécondante !) qui contient en elle (oui !) l’infinie diversité des formes et des existences » _ eu leur incessant jeu (tant héraclitéen qu’ovidien !) de « métamorphoses«  tant obscures, immergées dans la nuit ou reléguées dans l’ombre, que luminescentes : il faut apprendre, aussi, à les recevoir et accueillir, au lieu de les nier et refuser, dénier, pour savoir en toute simplicité, et vérité, les percevoir !.. ;

même si la nièce Thérèse a semblé, un temps, moins habile ou douée pour cela que sa tante (ni Decay, ni Gandalonie, en son enfance des « fonds humides« , elle ; voire des « fosses à purin« , dont elle s’extrait et s’extirpe, « grimpée sur le talus », déjà, page 57…) Marie-Lou ;

Thérèse ayant dû, elle, passer par, et accomplir quelques larges détours : tant dans l’espace et le temps (l’histoire autant que la géographie) que dans les « curiosités«  (toujours singulières) d’une culture, ultra-fine, incorporée peu à peu, dans l’éclairement patient de quelques lumineux livres ; encore lui a-t-il fallu, aussi, oser s’essayer à l’exercice (insu ! pour commencer) de bien, bien les lire… _ :

comme je vous suis, cher Christophe,

en ce lucidissime lucrécianisme !..

qui n’est pas sans m’évoquer aussi l’enchantement « électrique«  si follement généreux et déployé d’un Walt Whitman ! en son magistralement magique Feuilles d’herbe !.. ;

et fin ici de l’incise lucrécienne ! _,

tous

(fruits, fleurs, feuilles, rameaux, branches et frondaisons splendides, caressés, et soulevés, par le vent et la lumière, dans l’univers d’en-haut, et racines et radicelles (à champignons !) continuant leur poussée, dans le monde inverse d’en-bas) _  je reprends et poursuis pour l’achever enfin ma propre phrase ! _

frémissants qu’ils s’agitent,

parties prenantes, et combien ! _ on l’a perçu _, du circuit de la vie,

et féconds…

Merci ! de tout cela ! Christophe…

De la place de la pudeur dans l' »intimité Plossu » : conversation à distance…

25fév

Pour continuer d’explorer l’intimité dans la poïétique des artistes qui me touchent le plus,

telle Elisabetta Rasy _ cf mon article du 22 février : « Les mots pour dire la vérité de l’intimité dévastée lors du cancer mortel de sa mère : la délicatesse (et élégance sobre) parfaite de “L’Obscure ennemie” d’Elisabetta Rasy » _,

ou tel Bernard Plossu _ cf mes articles du 27 janvier : « L’énigme de la renversante douceur Plossu : les expos (au FRAC de Marseille et à la NonMaison d’Aix-en-Provence) & le livre “Plossu Cinéma” » ; et du 14 février derniers : « Bernard Plossu de passage à Bordeaux : la photo en fête ! pour un amoureux de l’intime vrai… » _,

voici un article, « Plossu Cinéma au FRAC PACA » _ signé Nathalie Boisson _, du magazine (gratuit) marseillais Ventilo tel qu’il vient de m’être transmis, hier soir, par l’ami Bernard Plossu :

De :   Bernard Plossu

Objet : Trans. : suite mail précédent interview Taktik Ventilo en fait !!
Date : 24 février 2010 19:15:11 HNEC
À :   Titus Curiosus

interview dans la revue Ventilo

plo

—–E-mail d’origine—–
De : Denis Canebière

A : Bernard Plossu

Envoyé le : Mercredi, 24 Février 2010 17:03
Sujet : suite mail précédent interview Taktik Ventilo en fait !!


Bernard,
Dans mon mail précédent, je te parle de Taktik qui est l’ancêtre du journal gratuit actuel Ventilo !
C’était au siècle dernier !
Correction donc !
Il s’agit de Ventilo et pour me faire pardonner, au cas où tu ne l’aurais pas déjà, voici le lien : http://www.journalventilo.fr/expo/ 
Amitiés
Denis C

Le voici donc ici aussi ! Farci, selon ma coutume, de commentaires miens (en vert)…

expo

Plossu cinéma au FRAC PACA

Publié le 24 fév 10 dans Expo

L’interview : Bernard Plossu

Rencontrer Bernard Plossu, c’est un peu comme réactiver la célèbre formule de Lautréamont : « Beau comme la rencontre _ voilà _ fortuite d’un parapluie et d’une machine à coudre sur une table de dissection » _ en un peu moins potache (!) et surréaliste, probablement… C’est convoquer _ gentiment ! _ une esthétique de la surprise _ en effet ; en douceur _, une poésie du quotidien où la beauté est une trouvaille fugace _ c’est tout à fait cela ! à apprendre à accueillir… Généreux _ et comment ! _, le photographe a accepté de partager une partie de sa sagesse _ ça peut se dire ainsi… _ en se soumettant au questionnaire de Sophie Calle _ même si assez peu plossuïen (ou plossuïenne : pour la dame) ; et c’est un euphémisme ! : remarquer le niveau particulièrement gratiné de « négativité«  de la moindre des pistes proposées par ce « questionnaire«  callien ! : « mort« , « rêve« , « détester« , « manquer« , « renoncer« , « défendre« , « reprocher«  et « servir«  ! nous voilà en plein dans l’air nihiliste du temps ; et donc aux antipodes d’un Bernard Plossu !!! mais Bernard n’entre pas dans ce piège… _, puis de se dévoiler _ un peu : avec délicatesse _ le temps d’un abécédaire improvisé _ pourquoi pas ?

Plossu-portrait.jpg


Quand êtes-vous déjà mort ?

Je suis mort de douleur en 1985, mais je ne révèlerai pas pourquoi. En revanche, je suis retourné à la vie en 1986.

Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Eh bien je les rêve encore. Plutôt que de rêves, je parlerais du réel de l’enfant _ « réel«  tout imaginatif, ludique ; lire là-dessus (le génial) Winnicott… _, et en ce qui me concerne, un enfant qui lisait beaucoup de bandes dessinées et a donc appris à cadrer avec la ligne claire très tôt _ un élément important dans l’historique de la poïétique photographique Plossu ! A quand, après le Plossu Cinéma, un « Plossu BD ligne claire«  ?.. Ce qu’il y a dans le carré explique _ fait comprendre _ tout le reste, ce qui se passe autour _ le hors cadre : le monde autour… Et en fait la photo, c’est la mise en rectangle ou en carré des leçons _ voilà comment procède l’intuition foudroyante (à mille à l’heure) de l’artiste _ que j’ai apprises _ voilà ! quand la plupart n’apprennent jamais rien ! de rien ! ni de personne ! ah ! la pédagogie ! quel art d’atteindre (= dégeler ; et disposer à l’élan et à la joie de réfléchir) les cervelles !… _ de la ligne claire en BD. Donc, ce ne sont pas les rêves d’enfant, c’est plutôt le côté rêveur _ à la Bachelard (l’art de la rêverie), alors ; pas à la Freud (et le rêve nocturne : inconscient, lui) ; ou plutôt « le côté joueur« , à la Winnicott !.. Un très grand ! A re-découvrir ! _ d’une vie d’enfant _ continué toute sa vie d’adulte par l’artiste, « jouant«  : mais oui !!! on ne peut plus sérieusement et joyeusement à la fois. Vivre, c’est « habiter«  la vie « en poète«  : en dansant… Et c’est divin : cf Nietzsche : « je ne croirais qu’en un dieu qui sache danser«  !…

Citez trois artistes que vous détestez
Le mot est trop fort _ un peu violent _, il y a _ seulement _ une énergie _ voilà ! _ qui ne me correspond pas _ simplement… _ : « entrer en correspondance«  avec une énergie est bien, en effet, la « proposition«  de l’artiste ; et au spectateur, lui, et alors, de « se connecter«  ou pas (« à la chinoise«  : cf François Jullien, par exemple dans La Grande image n’a pas de forme…), à l’énergie « proposée« , en fonction de la co-disposition des formes (elles-mêmes encore un peu mouvantes ; et plus ou moins émouvantes) présentées, par cette œuvre rencontrée, venant entrer ici et maintenant en composition avec ses propres dispositions cinesthésiques du moment (de cette rencontre avec l’œuvre) ; ou de toujours, aussi : c’est cette « connexion« -là que Baldine Saint-Girons nomme on ne peut mieux proprement « acte esthétique » (son livre, passionnant, est magnifique !) ; et souvent, sinon le plus souvent même, nous, spectateurs potentiels, nous y refusons, à cette « connexion«  d’énergies, nous n’y sommes pas prêts ; ou carrément la rejetons ; et ce pour des raisons de non agrément qui peuvent même être, parfois, parfaitement fondées !.. D’autres fois, et même le plus souvent, nous subissons seulement les conditionnements des autres, sous forme de goûts (socialement) institués (c’est ici qu’on peut lire Bourdieu ; ou Lahire ; ou Nathalie Heinich…), formatés, et figés, fossilisés ; et notamment sous l’aspect de « modes«  (sociales ; et idéologiques). Bref, que ce soit pour de bonnes, ou pour de mauvaises raisons, je veux dire qui soient fondées ou pas, nous nous anesthésions nous-mêmes le plus souvent face aux « propositions«  (ludiques pourtant) des œuvres des artistes… En peinture, je n’aime pas Fernand Léger, De Stael, Mathieu _ trop massifs, probablement ; voire, pour le dernier du moins, poussifs, ajouterais-je… En photo, plutôt que de nommer _ un Gary Winogrand ? un Sebastiaõ Salgado ?.. là, c’est moi seul qui m’avance ! pas Bernard ! _, je préfère ne dire que ce que je n’aime pas : le trop grand angle _ trop embrassant, mal étreignant… _, le spectaculaire _ voilà ! soit l’inverse de ce que je qualifierais de l’attention fine du  « choix de l’intime«  plossuïen… _ qui en fonçant le ciel des images rajoute _ vulgairement : en surlignant ; pour les un peu trop lourds, ou pas assez finauds, qui risqueraient, les disgraciés, de ne pas assez vite « piger » ce qu’il y aurait ici à leur « communiquer« , en le pointant plus fort du doigt : ce sont, ceux-là, des « communiquants«  (et ils « savent faire »…) ; et on comprend que le succès, via les médias, leur arrive ; et se répande, massif : c’est plus gros et facile à repérer (comme « marque«  de fabrique)… _

le spectaculaire qui en fonçant le ciel des images rajoute, donc, une couche au drame _ à ces « couches«  massives lourdingues, la touche toute de vivacité de Bernard Plossu préfère un grain léger très fin… C’est exactement le même principe qu’au cinéma, lorsque la musique devient _ pléonastiquement _ dramatique _ trémolos aidant _ pour que le public soit bien conditionné _ et pris : voilà ! Une bonne photographie, c’est une photo qu’on _ ou qui ? _ ne doit pas conditionner à l’avance _ ce qu’Umberto Eco baptise du joli nom d’« œuvre ouverte«  Enfin, je n’aime pas le manque de pudeur _ voilà le mot-clé lâché. Ils sont plus que trois, les photographes qui font de mauvaises photos de nu _ par exemple : trop près d’être « pornographiques«  ! _ et n’ont pas compris que la plus grande beauté de la photo, c’est la pudeur _ et on en trouve quelques unes, de ces photos de « nu«  éminemment pudiques, dans l’œuvre Plossu, sans chercher très loin.

Vous manque-t-il quelque chose ?
Vu la passion _ voilà : sans ce moteur (proprement thaumaturge), que peut-il jamais se faire, en Art du moins (mais dans la vie aussi) ?.. rien qui ait de l’élan, en tout cas… _ que j’ai pour l’objectif de 50 mm, il ne me manque rien, je crois _ c’est magnifique ! Bernard n’a rien, lui, chère Sophie Calle, d’un frustré : de Sophie Calle, je me souviens surtout de l’inénarrable « No sex to-night » : quelle sublime expérimentation ! Combien de gogos suivent cela ?.. Le 50, c’est l’objectif de la redoutable intelligence et de l’acuité visuelle _ voilà ! l’acuité du regard et son intelligence ! C’est une jolie métaphore que de s’apercevoir qu’un objet technique peut t’apporter _ en prolongement du travail propre de l’œil, en quelque sorte ; c’est à dire le déploiement de l’acte crucial du regard : sur ces « lunettes« -là, se faisant parfois « télescope« , et parfois « microscope« , bref : mouvement d’accommodation constant, on trouve une sublime remarque de Proust dans Le Temps retrouvé ; le passage est fort justement célèbre… _ l’âme _ voilà _ que tu recherches _ et c’est la tienne, l’artiste ! qu’il te faut simplement désherber de ce qui l’encombre… _, et en même temps c’est un choix très rigoureux _ au résultat photographique net et impitoyable (y compris avec du flou !)…Et c’est aussi cela que je trouve dans le cinéma (= l’œil en mouvement formidable) d’Antonioni…

Sur cet œil-là « au travail« , je conseille le très beau journal de travail du film Par delà les nuages (Al di là delle nuvole), en 1995, qu’a tenu très scrupuleusement Wim Wenders : Avec Michelangelo Antonioni _ chronique d’un film (aux Éditions de l’Arche, en 1997)… C’est un document irremplaçable sur la poïesis du cinéaste Antonioni _ à l’œil incomparablement photographique ; là-dessus j’ai écrit tout un essai : « Cinéma de la rencontre : à la ferraraise« , avec ce sous-titre un peu explicitatif : « Un jeu de halo et focales sur fond de brouillard(s) : à la Antonioni«  : inédit…

A quoi avez-vous renoncé ?
Aux voyages lointains, pas uniquement à cause de l’âge, parce que j’ai déjà beaucoup voyagé, mais aussi parce que les pays « motivants » ont été complètement matraqués _ oui _ de voyages organisés, où les gens _ débarqués en « touristes«  et constamment pressés… _ ont abusé _ oui _ de la photo et emmerdé le Tiers Monde _ oui _ en leur mettant un numérique sur le nez sans aucun respect, aucune pudeur _ par rien moins que « vols d’âmes«  Il faut voyager en ami _ mais oui _, pour partager ses photos _ et être « reçu » avec une hospitalité « vraie«  _, pas en conquérant _ que de malotrus prédateurs (= touristes grossièrement voyeurs en même temps qu’exhibitionnistes) de par tous les déserts (forêts, montagnes) les plus reculés du monde, désormais !..


Que défendez-vous ?

Les jeunes photographes, passionnément _ mais oui ! Et, je déteste qu’on dise d’un jeune photographe qu’il me copie. Il ou elle a tout à fait le droit de copier _ = prendre modèles, pour « commencer«  _ ses aînés _ qui l’ont simplement « précédé«  dans le temps ; c’est-à-dire « essayé«  déjà, eux aussi, un peu, avant lui-même… _ pour se trouver _ voilà, voilà le but : un artiste a à « se former« , peu à peu, acte après acte, avec patience et obstination, afin de « se découvrir« , peu à peu, et « devenir« , enfin, peu à peu aussi, et de plus en plus, et de mieux en mieux, presque « lui-même«  (la coïncidence n’étant qu’un idéal asymptôtique ! jamais complètement pleine ! ni, encore moins, et heureusement, définitive ! il y a toujours, et joyeusement, à continuer à « œuvrer«  !) ; l’identité se construit (toute une vie) dans la multiplicité des rencontres, des apports, des échanges, des « introjections«  assumées et dépassées ; et surtout celles, rencontres, qui sont « vraiment«  fécondes et « vraiment«  ouvertes ; pas dans la fermeture et l’isolation ! qui sont pauvreté ; et négation de soi ! Moi aussi, j’ai copié _ c’est-à-dire imité : « mimesis«  est le mot qu’employaient Platon et Aristote… _ tout le monde _ comme les peintres débutants (et continuant toujours à se former, évoluer), apprennent en imitant les maîtres (= en apprenant d’eux et par eux) ; l’isolement est une stérilisation ! une barbarie ! qu’on y réfléchisse un peu plus et mieux à l’heure de la diminution imposée (pour raisons de « saine économie« , qu’ils serinent et claironnent ! en pratiquant la charité la mieux « ordonnée«  qui soit, bien entendu, ces « vertueux«  en exhibition ! ici, lire Molière, en plus de La Fontaine…), à l’heure de la diminution imposée des horaires d’enseignement (eh ! oui !) en classe… Là-dessus, lire aussi l’indispensable Prendre soin _ de la jeunesse et des générations du vigilant et infatigable et passionnant Bernard Stiegler… L’exposition Plossu cinéma, ça n’est que _ ici, comme une exagération orale : rhétorique… _ de la copie de cameramen

_ ceux d’Antonioni ; ou le Coutard de Godard : cf la phrase, page 180 de Plossu Cinéma, dans l’échange magnifique et si important avec Michèle Cohen dans la voiture entre la Ciotat et Aix : « Récemment je t’ai écrit que je trouvais les scénarios d’Antonioni rasoirs et bourgeoisement convenus ; mais je dois, je me dois, en homme d’image, de dire que la photographie de la trilogie en noir et blanc est grandiose ! La Notte avait pour directeur de la photo Gianni di Venanzo, L’Avventura, Aldo Scavarda, et L’Eclisse, Enzo Serafin _ Bernard le sait par cœur ! Comme c’est étrange que ce soient trois directeurs différents ! Pourtant le ton, ultra photographique, est si semblable : du coup totalement du Antonioni ! La séquence de la fin de L’Eclisse, ces quinze ou vingt minutes tout en photographies filmées, est tellement belle, tellement moderne, comme on aime à dire maintenant, d’un mot qui veut tout dire vaguement.«  Etc.. Et Bernard de citer derechef Raoul Coutard, par exemple dans Alphaville de Godard… « Le rôle des « directeurs de la photo » n’est pas assez connu du public. Les musiques, après tout, font parler d’elles au cinéma. Alors pourquoi ne parle-t-on pas plus des photographes de films ? » Voilà !.. _, et c’est ce que j’aime dans cette expo _ Plossu Cinéma _, montrer d’où je viens _ ce que Alain Bergala nomme, dans sa contribution (aux pages 16 à 27), dans le livre, si beau, Plossu Cinéma : « Le cinéma séminal de Bernard Plossu » : « séminal » en sa poïétique photographique ! rien moins !.. Fin de l’incise sur la photo au cinéma lui-même ! _

Il y a un côté courageux et culotté de montrer ses racines _ voilà _ et de dire qu’on a copié _ c’est-à-dire qu’on s’est « inspiré » des autres, tout simplement… Nul n’est une île !

Que vous reproche-t-on ?
De faire trop de livres. L’expo du FRAC montre à quel point je fais des livres comme un cinéaste fait des films. Je fais deux sortes de livres : les purement créatifs ou expérimentaux, comme Plossu Cinéma _ sur une idée (de génie !) de Michèle Cohen, la directrice de la galerie LaNonMaison à Aix-en-Provence : comment le petit Bernard est devenu Plossu ! _, qui correspondent à mon langage _ ainsi que sa poïétique, en mon vocabulaire (cf Le Poétique de Mikel Dufrenne, en 1963, aux PUF)… _, et les commandes _ ce sont celles-là qui lui sont reprochées (ou plutôt, en fait, jalousées !) ; cf mon article d’indignation du 15 juillet 2008 : « Probité et liberté de l’artiste« , à propos d’une critique acerbe à l’égard du si beau et si juste (= si rigoureux dans la réalisation de ses objectifs) Littoral des lacs, une « commande« , en effet, du Conservatoire du littoral pour les deux départements de Savoie… L’article n’a pas vieilli ! Donc, au final, ça fait beaucoup _ soit une œuvre ! Mais cette démarche a permis _ oui ! Eluard dit que le poète est « moins l’inspiré que l’inspirant«  _ à d’autres jeunes photographes d’oser _ oui ! on est d’abord timide ! trop craintif, pour la plupart… _ le faire. Au fond, un éditeur a plusieurs auteurs pour vivre, pourquoi un auteur n’aurait-il pas droit lui aussi à plusieurs éditeurs ?

A quoi vous sert l’art?
L’art sert

_ un mot bien ambigü… ; mais l’art a toujours des visées, en effet ; même s’il n’est jamais simplement « moyen«  en vue d’une rien qu’« utilité«  (servile) ; auquel cas, il s’agit seulement d’une « technique« , mécanique et reproductive : mécanisable… ; et quant à l’Art (avec la majuscule) servile, il s’agit de celui des propagandes, et pas seulement celles, plus commodes à stigmatiser (tant elles sont peu discrètes), évidemment, des régimes totalitaires !.. Par exemple, ce pseudo Art admirable qui se met au service relativement discret des saints et saintes « Communication« , « Idéologie » (relookée et maquillée style invisible-imperceptible, désormais) et « Marketing« … _

l’art sert, donc, avant tout à partager (pour les autres _ ce qu’il donne à ressentir et éprouver : merci de cette générosité inépuisable… _) et à être curieux (pour soi _ et à l’infini : et Titus Curiosus d’opiner ! à son tour… _). Je dis souvent à mes élèves de ne pas s’intéresser _ de manière désintéressée : cela ne se forçant pas… _ qu’à la photo _ certes ! les « voies«  du sens et de la sensibilité (et donc de la création : tout ensemble !) sont multiples ; et s’interconnectent, aussi !.. Aujourd’hui, je rentre du jardin de Monet à Giverny. A quoi sert ce jardin ? Il a été un prétexte, « un motif » _ oui ! qui met en « mouvement » et « émeut« , rend plus « mobile«  : voilà son étymologie ! il « inspire«  ; et fait mieux respirer ! _ pour l’art de Monet _ lui-même, d’abord _, et il a tellement marqué l’histoire de l’art que c’est devenu un jardin pour le monde entier. On retombe sur cette idée de partage entre le particulier et l’universel _ et du jeu d’ouverture entre ce qui est « dans«  le cadre, et ce qui du monde autour y entre, « venant y pénétrer«  discrètement, presqu’invisiblement, aussi, pour qui s’y sensibilise, à ce « cela«  (presqu’invisible) du monde, avec et grâce à l’artiste, qui nous le fait ainsi délicatement « entrevoir« , percevoir et recevoir ; a contrario des foules d’« anesthésiés«  (et donc insensibles, sourds, aveugles, etc.., Béotiens satisfaits d’eux-mêmes, « idiots«  au sens littéral du terme !) « auto-anesthésiés«  par précaution ; en expansion, hélas, par les temps qui courent : l’humanité est en train d’en crever !.. Cf la fausse sagesse mesquine (criminelle autant que suicidaire pour la civilisation !) des trois singes… D’où la bêtise sans nom et le crime grave qu’est l’absence d’apprentissage véritable (grâce à un enseignement, d’abord, effectivement digne de son nom ! suffisant ! et pas light !) et suffisamment développé de ce que sont les démarches d’Art (= la poïesis en acte et en œuvres !) à l’école : au lycée !!! L’art, c’est aussi un effort _ un geste, un écart, d’un millième de seconde même, le plus souvent… _ qui nous oblige à ralentir _ voilà : dans un monde de pressés, aux « ratiches«  si longues, qu’elles labourent le sol ! ceux-là ne sont pas des artistes !_, à ne pas faire comme cette personne qui vient de passer à toute vitesse avec son 4×4 _ ah ! les 4×4 ! et le mépris des autres… _ dans un endroit où il y a des gens _ qui passent, eux aussi ; et peuvent se faire écraser : par ceux-là, du 4×4, sans égard… L’art, c’est être capable de lever le pied _ tel le narrateur de Du côté de chez Swann, s’abîmant une heure entière à contempler en son détail, tellement luxueux, une haie (éblouissante en son éclat) d’aupébines… _, c’est lutter contre la vulgarité _ certes : que de faux artistes blin-bling, encore, courant nos rues, nos places, nos avenues ; et même nos palais de la république : avec la complicité obséquieuse des micros et caméras des medias ! cf mon article, par exemple, du 12 septembre 2008 : « Decorum bluffant à Versailles : le miroir aux alouettes du bling-bling« …

PETIT ABECEDAIRE

Plossu

A comme… Afrique :

le continent de l’origine _ peut-être pas toute, tout de même… Mozart, ainsi, n’était pas « Africain« … Bernard parle ici surtout du jazz… et du rythme… _ de la musique, de la danse… L’Amérique ne serait rien culturellement _ hum ! hum ! _ sans la musique africaine. Tous les musiciens blancs, d’Elvis à Dylan, ont été influencés par elle _ certes ; mais ce n’est là qu’un type de musique : celui que diffusent le plus (et aident à « consommer«  et faire acheter, plus encore, sans doute…) les radios…

C comme… Chocolat :

j’aime beaucoup / Cézanne : j’avoue ne pas aimer ses verts et ses bleus _ moi si ! mais Cézanne est (comme il s’est reconnu lui-même !) un « couillu » ; Bacon, aussi : Bernard ne l’apprécie pas trop, lui non plus, je sais ; moi, si !.. _, pour moi le sud, c’est Soutine _ pulvérisant sublimement les clichés ! en effet ! _ / Cubisme : un photographe, c’est un danseur qui du haut de son entrechat voit cubiste _ merveilleuse définition ! qu’on se le dise ! Quand on bouge, les lignes de force _ oui ! voilà le vivant ! la « Nature naturante« , dirait un Spinoza, à côté des Chinois !.. se mouvant juste, juste en-dessous des « formes«  un peu moins (mais à peine…) mobiles, elles, et donc un tout petit peu plus (c’est affaire de degrés : infinitésimaux !) arrêtées ; un peu, à peine, moins musicales, en conséquence de quoi, ou un peu, à peine, moins rythmées, si l’on préfère, de la « Nature naturée«  ! Cf ici, en France (et même en Provence, au pays des cyprès qui s’élancent, se tordent…) un Van Gogh à Arles et Saint-Rémy ; ou un Cézanne se posant face à la Sainte-Victoire afin de la regarder se mettre à danser !.. _

quand on bouge, les lignes de force , donc,

que l’on voit tout le temps _ déjà ! et en relief, donc ! _ changent _ voilà : c’est là le bougé-dansé, musical, de Plossu ! La photo, c’est du cubisme en mouvement _ c’est magnifique !

E comme… Espagne :

j’adore y aller. C’est le pays du très grand photographe Baylon _ un grand ami ; et un complice en poïesis _ et du peintre Miguel Angel Campano.


H comme… Histoire / Hésitation :

donc la connaissance, mais le doute _ certes : lire Popper (et son critère décisif de « falsiabilité«  pour la « vraie«  recherche scientifique) ; ou Alain : « penser, c’est dire non«  Mais Hélas l’Histoire n’hésite pas à se répéter _ sans « leçons«  ; cf Hegel…

I comme… Italie !

A lui seul ce mot veut _ pour Bernard ; pour moi aussi : (presque) tout y virevolte et danse ; avec le charme de l’élégance et, aussi, passablement d’humour… _ tout dire…
Illusiones optica : le dernier film que j’ai vu.

J comme… Jawlensky :

j’aime ses portraits _ moi aussi : ils fouillent loin ; quelles profondes couleurs !..
Jalousie :

le sentiment le plus difficile à vaincre, à surmonter _ peut-être pas pour tous, pourtant…
Je :

Céline disait « Je, le pronom le plus dégoûtant » ou un truc comme ça. Je, c’est l’ennemi de l’intelligence _ quand le Je n’est qu’égocentrique, du moins ; mais il peut aussi être « départ de perspective«  (et de construction « vraie«  d’une « personne« …), par son ouverture, précisément, profonde et grave, en même temps que joyeuse, sans peur, sur l’altérité ; cf Montaigne… Ne pas trop le détruire, ce Je-là ! ni le « haïr«  (à la Pascal)…

L comme… Lumière :

en photographie, c’est le noir et blanc, le gris _ leur infini intense camaïeu ; le jeu profondément soyeux de leurs vagues. En beauté, j’aime celle _ si sensible par la tension calme et tellement puissante de sa quasi transparence flottante _ du nord : Vermeer, Brueghel, Constable…


N comme… Napoléon :

l’homme qui n’a pas hésité à faire mourir de froid des milliers de soldats pendant la campagne de Russie. Quelle folie de pouvoir envoyer des êtres humains mourir de froid ! _ sur le froid : lire Le Froid de l’immense Thomas Bernhard, avec son rire formidablement si « humain«  : « tout est risible quand on pense à la mort« … Un rire, à ce degré d’« humain« , qui nous manque très fort aujourd’hui ; même si nous avons, tout de même, l’immense, lui aussi, Imre Kertész (l’auteur du grand Liquidation) : en ces temps de « déshumanisation«  galopante…

Propos recueillis par Nathalie Boisson


Intime conviction

Au FRAC, l’exposition Plossu cinéma présente une œuvre singulière _ eh ! oui ! _ au carrefour de la photographie et du cinéma autour de cinq thématiques. Brillant !

Plossu.jpg

Montrer ses racines, dire d’où l’on vient _ en deux expos (au FRAC de Marseille et à La NonMaison d’Aix-en-Provence) et un livre tels que ce (en trois volets, si l’on veut) Plossu Cinéma _ est un exercice difficile _ a priori, du moins, dans une société assez intimidante et plutôt décourageante, en général. Il s’agit de se livrer _ oui : un peu, au moins… _ à travers l’autre _ effleuré : dans les photos _ tout en gardant une distance respectueuse, une distance amoureuse _ voilà ! Cette distance, c’est celle du regard de Plossu _ absolument ! Il s’est construit très tôt _ en effet ; par son regard même… _ à travers le cinéma de la Nouvelle Vague, où l’image, en prise avec le réel _ oui ! _, dénuée de tout artifice _ quel défi ! _, retrouvait de sa brutalité _ du moins de sa probité, de sa vérité et de sa liberté face au réel (et par là de sa force !) ; puis par l’exercice de plus en plus passionné de la photographie ! à la Plossu… Ces images constituent un double, une entité _ réalisée _ pour lui _ et qu’il lui fallait (existentiellement, humainement !) retenir (du vivre passant : qui passe vite…)… On retrouve à la lecture du Livre de l’Intranquillité de Pessoa quelque chose de cette doublure photographique interprétative, et plus précisément dans le regard de Bernardo Soares : « Voir, c’est avoir vu » _ avec la perspective, nourrissante, de la mémoire : une culture vive et vivante incorporée, en quelque sorte… Comment être proche et distant ? _ par le regard : voilà ! Comment être intime et pudique ? _ c’est l’essentiel !!! Pour l’artiste _ « vrai«  qu’est Bernard Plossu _, la pudeur est l’une des clés de la photo _ davantage : le sas « humain » obligé ! _ et c’est ce qui ressort de cette exposition _ oui ! oui ! _ où la réflexion _ du spectateur convié et comblé _ doit se saisir d’un paradoxe _ oxymorique, comme tout ce qui est essentiel ! _, des deux faces _ absolument indissociables _ de l’intime : « enfoui et fouillé, dedans et dehors »

_ lire aussi là-dessus mon article juste précédent (du 22 février) sur l’écriture sublime, en la sobriété de sa pudeur, d’Elisabetta Rasy, se retournant sur l’histoire de son « intimité«  avec sa mère, mise à vif (à pleurer ! sinon hurler…) lors du cancer terminal de celle-ci, dix huit mois durant, dans L’Obscure ennemie : « Les mots pour dire la vérité de l’intimité dévastée lors du cancer mortel de sa mère : la délicatesse (et élégance sobre) parfaite de “L’Obscure ennemie” d’Elisabetta Rasy« 

L’intime opère _ voilà : il est dynamisant ! c’est un élan ! _ donc systématiquement dans un entre-deux _ absolument : se mouvant quasi reptiliennement, en danses… _, se situant entre l’apparition et la disparition _ oui ! _, la « monstration » et l’effacement du sujet _ avec, à la réception (active) de l’Homo spectator, encore, ce qui doit s’appeler un Acte esthétique du même ordre (clignotant !)… Le sujet ici, c’est à la fois _ et tout ensemble ! : l’« intime«  est une relation, un vecteur magnifiquement en tension : vers l’altérité désirée et à jamais possédée, hors de « saisie«  (et de « maîtrise« ) en tant que telle, de l’autre… _ celui qui est photographié et le photographe _ en un unique mouvement se déployant, dansé. Au spectateur, à travers ses déambulations au sein des cinq thématiques (« Plossu cinéma », « Le déroulement du temps », « Les cinémas de l’ouest américain », « Réminiscences » et « Train de lumière » _ de l’exposition Plossu Cinéma_), de se laisser porter _ oui : avec délicatesse et plénitude d’attention, aussi… en toute amitié… et avec douceur… _ par l’univers poétique et mystérieux _ qui tout à la fois vient nous cueillir et vient nous accueillir _ d’un homme _ « humain » !.. _ à l’âme voyageuse et au cœur cinéphile.

Nathalie Boisson


Plossu cinéma : jusqu’au 17/04 au FRAC Provence Alpes Côte d’Azur (1 place Francis Chirat, 2e) et à la Non-Maison (22 rue Pavillon, Aix-en-Provence). Rens. 04 91 91 27 55 / www.fracpaca.org

A noter également :
Le 27/02 à 14h au Cinémac (63 avenue d’Haïfa, 8e) : présentation en avant-première des films Le voyage mexicain
(30 mn) de Bernard Plossu et Un autre voyage mexicain (1h50) de Didier Morin,  en présence des réalisateurs.
Le 20/03 à 14h30 au FRAC, dans le cadre du Week-end Musées Télérama : projection du film Le voyage mexicain, en présence de Bernard Plossu et Dominique Païni.
Le 26/03 à 17h à l’Alcazar : rencontre avec Bernard Plossu autour du processus de création de ses livres : « Faire un livre, c’est comme faire un film », suivie d’une projection cinématographique.

Merci beaucoup à ce très intéressant article de Nathalie Boisson !

Celle-ci a su obtenir de Bernard Plossu _ et quasi mine de rien… _ des analyses (de son Art) profondes : absolument passionnantes ! Chapeau !

Titus Curiosus, le 25 février 2011

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