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L’empire de l’illusion : pour tenter de comprendre enfin ceux qui n’ont pas bien su voir venir la dévoration du Cyclope nazi

08fév

Comme promis hier,

en mon troisième article à propos de 1938, nuits :

j’en viens à l’amorce de solution qu’esquisse, peu à peu _ sans cuistrerie surplombante, et sans lourdeur jamais, tout est parfaitement le plus discret-léger et subtil possible _, Hélène Cixous, en son 1938, nuits,

à l’énigme de ceux qui se sont _ peut-être incompréhensiblement, du moins invraisemblablement, pour nous aujourd’hui, en un regard rétrospectif nôtre souvent beaucoup trop généralisateur, pas assez attentif-respectueux, porté à-la-va-vite qu’il est la plupart du temps !, de l’idiosyncrasie de détail des situations personnelles particulières, voire singulières, ainsi que des macro- ou micro-variations de celles-ci aussi, et c’est crucial, dans le temps… _ progressivement laissés piéger, et in fine briser-détruire, par les mâchoires du Cyclope nazi _ « Clac ! Cyclope amélioré » _,

dont ils n’ont pas assez su bien voir venir _ pour prendre des mesures préventives suffisamment efficaces pour leur sauvegarde vitale personnelle ! _ la dévoration.

Et dont cet opus-ci tout entier, 1938, nuits,

avec son amorce de solution _ nous le découvrirons _ à l’énigme que je viens d’évoquer _ celle de la dévoration dont ont été victimes un grand nombre des siens _,

se révèle constituer, pour Hélène Cixous, l’auteure et narratrice du récit, une sorte de moyen de fortune _ d’imageance par l’écriture _ pour parvenir à « soulever » et « toucher » vraiment Omi _ ces mots absolument cruciaux sont prononcés à la page 107, et c’est pour moi rien moins que le (discret) cœur battant de ce livre !!! _, Omi sa grand-mère _ décédée le 2 août 1977 _afin de réussir par là à obtenir de celle-ci  une sorte d’analogue _ les personnalités, bien sûr, diffèrent beaucoup ! _  à la très chère conversation post-mortem qu’Hélène maintient et perpétue, avec une formidable vivacité, avec Ève, sa mère, plus récemment _ le 1er juillet 2013 _ décédée…

Continuer de très richement converser post-mortem avec ses plus proches,

sur les modèles donnés par Homère _ avec Ulysse _, Virgile _ avec Énée _, Dante _ avec lui-même et Virgile _,

et aussi Montaigne, Shakespeare, Proust, Kafka, etc. _ soit la plus vraie et belle littérature comme secours de vie, par transmission de la benjaminienne Erfahrung aussi.

La splendide _ quel art ! _ expression « Clac ! Cyclope amélioré » _ à la pointe de la modernité technique et technocratique de dernier cri ! des nazis (au premier chef desquels le diaboliquement ingénieux Reinhard « Heydrich SS Gruppenführer« ) _, page 116,

utilisée à propos de cette dévoration d’un grand nombre des siens par l’hyper-efficace ogre nazi,

intervient au sein d’un _ admirable, une fois de plus _ essai de caractérisation, pages 115-116, de ce que fut, d’abord _ en quelque sorte prototypique _, l’Aktion nazie :

« L’Action ?, dit mon fils _ c’est lui qui parle ici, dans la conversation suivie, de fond (effective ou bien imaginée par l’auteure, à son écritoire), avec Hélène, sa mère ; lui, ainsi que sa sœur : les deux assistant activement (dans le récit, au moins, mais effectivement déjà aussi, c’est plus que possible : probable) leur mère dans son enquête-méditation. Hélène Cixous, comme Montaigne, n’aime rien davantage que converser vraiment, en pleine vérité, ou recherche impitoyable et sans concession aucune, de vérité-justesse. Avec des absents comme avec des présents. Et avec certains absents (tels que certains défunts, aussi), la conversation-interlocution peut aller parfois plus profond dans le questionnement-méditation de fond réciproque : Montaigne nous en donne l’exemple parfait en ses Essaisafin de pallier la terrible défection de son irremplaçable partenaire de conversation, La Boétie.

En-acte s’oppose à en-rêve.

L’Action consomme le rêve _ le court-circuite et détruit.

C’est pas imaginable

_ pour des personnes en pleine santé mentale ; ce qui peut aider à comprendre la réelle difficulté d’anticipation-représentation de la part de pas mal, sinon la plupart, des contemporains de ces « Événements » nazis, en commençant par les victimes elles-mêmes, foudroyées dans leur sidération et, bientôt, tétanie (et nous ne quittons certes pas ainsi la question

(à venir dans la méditation-conversation du texte ; je veux dire le dialogue poursuivi entre Hélène et ses deux enfants ; et parfois même aussi sa mère, Ève, quand celle-ci, quoique décédée le 1er juillet 2015, décide d’intervenir d’elle-même en un rêve de sa fille, Hélène)

de l’illusion : nous y venons, tout au contraire !) _,

on n’imagine pas,

_ mais _ on le fait _ ce si peu « imaginable« « on«  l’agit-exécute, cet inimaginable, pour ce qui concerne les « Aktionneurs« -exécuteurs, rendus absolument serviles, à la seconde même de l’ordre, des décideurs-donneurs d’ordre, en leur obéissant aveuglément-automatiquement, à ces ordres, à la seconde même, de la dite « Aktion« .

Les prisonniers _ bétail à KZ, ici _ ne pouvaient _ eux-mêmes _ imaginer _ avec tant soit peu de réalisme prospectif lucide _ les nazis,

ces gardiens

qui eux-mêmes non plus, méthodiquement décérébrés qu’ils sont ; cf la très intéressante analyse du détail du processus de décérébration proposée par Harald Welzer en son très intéressant Les Exécuteurs _ des hommes normaux aux meurtriers de masse _ n’imaginent pas

et qui font _ appliquent-exécutent à la seconde même (selon l’élémentaire schéma-réflexe, Stimulus/Réaction) de tels ordres reçus-aboyés.

Les gens d’Aktion ne se représentent pas _ ni eux-mêmes, ni ce qu’ils font ; et encore moins autrui (autrui n’existant plus, annihilée-néantisée-pulvérisée qu’est désormais la personne).

Ils dorment _ absolument : d’un sommeil de massue ! _ sans rêve.

Ça s’appelle Aktion

parce que c’est _ _ seulement faire.

Même pas seulement faire.

Pouf ! Pan !

Un mouvement _ unique : même pas en deux temps – trois mouvements ; ce serait bien trop complexe (pouvant laisser le temps d’une malencontreuse seconde de prise de conscience-réflexion-interrogation-doute : contreproductive ! _ : c’est fait.

Je reste saisi _ au masculin : c’est donc le fils d’Hélène qui décompose ici, devant sa  mère, la mécanique foudroyante hyper-efficace de l« Aktion » !.. _

devant l’Aktion _ emblématique de bien d’autres qui vont bientôt la suivre _ de la Nuit de Cristal

_ cette nuit-« Événement » déjà un peu spéciale (ne serait-ce qu’en tant que la toute première de son espèce, et devenant modèle) du 9 au 10 novembre 1938:

il est minuit trente _ le 10 novembre 1938 _ ? Aktion !

Le mot _ -ordre aboyé _ parcourt l’Allemagne, c’est-à-dire le Reich en un instant

_ comme une foudre sans coup de tonnerre un tant soit peu préalable d’avertissement, sans le plus infime recul de léger décalage-délai d’une seule seconde de battement, ni pour les acteurs-Aktionneurs, robotisés, ni pour les victimes-Aktionnées, tétanisées et capturées ;

à confronter cependant à l’image de la nuée d’orage, développée à la page 51, à propos de ce à quoi pouvaient s’attendre, et surtout ne s’attendaient pas (les situations et les réactions, toujours un peu diverses, des uns et des autres, sont toujours un peu elles-mêmes, sur l’instant qui les surprend, en balance…), en matière de déluge, « depuis l’attentat de Vom Rath« , le 7 novembre 1938 à Paris (Vom Rath ne meurt de ses blessures que le 9), Hermann et Siegfried Katzmann, à Osnabrück, la nuit du 9 au 10 novembre 1938 :

« ils s’y attendaient sans conviction _ voilà _ avec un espoir idiot _ le pire n’étant, certes, jamais tout à fait sûr ! la question se posant cependant de savoir si cet « espoir idiot« -là, est, ou n’est pas, du simple fait qu’il est déjà « idiot« , de l’ordre de l’illusion ?.. _, on voit _ certes : suffisamment visibles ils sont… _ les nuages noirs accroupis _ voilà _ au-dessus du ciel comme des géants en train de faire _ concocter-mitonner-usiner _ l’orage, pendant des jours ils poussent, éjectent des éclairs menaçants _ ici, c’est un adjectif, et pas un participe présent _ le déluge se prépare _ voilà : il est très méthodiquement organisé-machiné _, ça tonne, et puis parfois _ hasard, accident, ou stratégie perverse ? _ le déluge se retire, je reviendrai une autre fois _ fanfaronne-t-il…, mais _, quand on le croit passé alors l’orage se déchaîne » _ d’autant plus terriblement que nulle parade un peu efficace de sauvegarde n’aura été mise sur pied… :

soient les sans conteste difficiles et un peu complexes tergiversations de la (à la fois frêle et terriblement puissante) croyance, face à l’ambigüité entretenue avec soin des signes objectifs, eux, du réel. Et anticiper avec un tant soit peu de réalisme, pour ceux d’en face et en bas, peut s’avérer aussi plus compliqué à réaliser en actes, cette anticipation et ses réponses, pour certains que pour d’autres…

« _ On n’a pas la même mentalité, dit Ève _ à qui dit-elle cela ?

était-ce à Fred, il y a quelques années ? mais Ève se détournait vivement de telles conversations (absolument stériles et contre-productives, pour elle : « elle est contre le couteau dans la plaie« , page 79) à propos du passé, et qui plus est lointain ;

ou bien est-ce présentement à sa fille Hélène, en leur conversation post-mortem de cet été 2018 à la maison d’écriture d’Arcachon ? Plutôt ! Et c’est bien Hélène qui, soit engage, soit accepte, pareille conversation-enquête sur le passé, avec sa mère, décédée… L’enjeu final étant ici de parvenir à mieux comprendre, via le cas de Siegfried-Fred Katzmann en 1938 (à partir du témoignage de son Bericht) les tergiversations singulières d’Omi, de janvier 1933 à novembre 1938, ne le perdons jamais de vue… _,

je n’étais pas à Osnabrück en 1933, déjà en 1930 _ et même 1929 _ j’étais partie _ dit Ève _,

_ On n’a pas la même mentalité, dit Fred _ à qui Fred dit-il cela ?

est-ce, ou bien était-ce, à son amie Ève ? (« Fred, nous l’avons connu, il était le dernier ami _ à partir de 1986, après leurs retrouvailles de 1985 à la cérémonie d’hommage du 20 avril 1985, à Osnabrück _ de ma mère _ dit Hélène, page 26 : voilà, c’est là dit on ne peut plus clairement _, finalement nous ne l’avons pas _ vraiment _ connu _ un peu vraiment en profondeur… _, dit ma fille. Il a passé inaperçu« , ajoute aussitôt Hélène, page 26 ; « c’était un intellectuel discret« , dit la fille d’Hélène, page 85) ;

ou est-ce plutôt à Hélène que le dit maintenant Fred, au cours de cet été 2018 d’écriture-méditation-enquête d’Hélène Cixous, à Arcachon ?… _,

c’est moi qui suis allé tout seul contre Goliath, faut-il le rappeler à Ève, « , page 52 ; et là ce serait Hélène qui serait directement prise à témoin par Fred-Siegfried, post mortem, maintenant.

Et Hélène de conclure l’échange, toujours page 52, par cette réplique, terrible de bon sens, de sa mère Ève :

« _ A quoi ça sert dit ma mère _ Ève, donc, essentiellement pragmatique ! _ attendre _ passivement _ pour aller en prison, aller dans les camps, est-ce que c’est nécessaire ? » _ ce n’est même pas d’abord utile ! Autant tout faire pour éviter naïveté et procrastination. Unreadiness.

Nous voilà donc toujours ici, page 52, dans les prémisses de la révélation à venir, et ce sera un peu plus loin (la première occurence du mot se trouvera à la page 60), du concept (freudien, et cette paternité sera clairement évoquée, page 107) d’illusion


C’est alors, toujours page 52, et juste avant cet échange imaginé (ou rêvé) par Hélène, l’auteure, entre Ève et Fred,

que l’auteure pense à « faire la liste _ en quelque sorte récapitulative _ de tous ceux qui sont Dehors  _ des « Mâchoires du Cyclope« « Léviathan«  nazi… _ dans les années étranges _ de janvier 1933 à novembre 1938 _ où il y a encore _ bien provisoirement, mais ça, on ne le sait pas, ni ne peut le savoir vraiment ! _ un couloir _ étroit et fragile, certes, mais encore un peu accessible à certains _ entre Dedans et Dehors et entre dehors et dedans un passage avec une porte _ frontalière _ surveillée, et qui _ incroyablement ! pour nous, du moins, qui regardons maintenant rétrospectivement et de loin… _ échangent _ à contresens de l’Histoire !!! _ le dehors où ils logent _ à un moment _ pour le dedans de la cage » _ mot terrible.

et l’auteure précise cette liste, pages 53-54 :

« de ceux qui _ tel Fred, ou plutôt ici et alors, en 1938, Siegfried Katzmann, à Bâle, où il vient d’achever ses études de médecine, et obtenu son diplôme terminal _ sont en Suisse en sécurité _ de l’autre côté de la frontière _ et qui reviennent « chez nous » _ c’est peut-être Ève qui parle _ sans sembler voir _ comprendre _ qu’ils font le voyage de retour dans la cage _ le mot terrible est donc redit _,

et qui confondent _ mortellement pour leur sauvegarde ! _ danger et sécurité,

et de ceux qui dorment profondément _ un péril colossal pour de tels endormis ! _ pendant le déchaînement ?

ceux qui sont arrêtés, envoyés dans un camp pour Feindlicher Ausländer _ par exemple en France : à Gurs, au Vernet, à Rivesaltes ou à Saint-Cyprien, tel un Felix Nussbaum en mai 1940 _, ou dans un Konzentration Zenter première édition _ tel Siegfried Katzmann lui même, encore, à Buchenwald, le 12 novembre 1938 _, qui cessent _ d’un coup de massue _ de ne pas savoir et sont jetés d’un jour à l’autre dans l’impitoyable savoir _ voilà ! et donc devraient perdre (et perdront, de ce coup violentissime !) leurs illusions _ ayant pour exemple _ le peintre _ Felix Nussbaum _ Osnabrück, 11 décembre 1904 – Auschwitz, 9 août 1944. En voilà un qui découvre _ déjà _ Auschwitz _ avant Auschwitz _ à Saint-Cyprien _ en France, à côté du Canet-en-Roussillon _ avec une différence : il n’est pas impossible _ là, dans la France encore de la République parquant déjà ses propres indésirables, et qui va très vite devenir, dès le mois de juillet suivant, la France de Vichy _ de prendre la fuite. En voilà un qui prend la fuite et la suit, mais seulement pour quelques mois _ retournant en Belgique (occupée) _ et quelques tableaux. Ensuite la fuite s’épuise, on la perd, (…)

_ ceux qui sont en Suisse _ tel Siegfried Katzmann, à Bâle, en 1938 _, ils jouent avec suicide, dit ma mère _ Ève ; et c’est sa fille, Hélène, qui rapporte ici son lapidaire propos _

selon moi, Onkel André _ qui parle ? Les voix rapportées interfèrent : s’agit-il ici de la voix d’Ève, la nièce, effectivement, d’Andreas Jonas ? ou bien de la voix d’Hélène, sa petite-nièce, une génération plus tard ?.. _ qui était jusqu’en Palestine _ Eretz-Israël, c’est déjà loin d’Osnabrück ! _ à Tibériade en 1936, il a fait de gros efforts pour revenir _ certes ! _ à Osnabrück depuis Tibériade _ c’est loin ! _, un petit homme commandé par sa brutale Berlinoise _ Tante Else, née Cohn : ici, c’est Ève qui parle _, selon moi _ Ève, par conséquent _ il est déjà mort à Tibériade de mauvais traitements familiaux _ de la part de sa tendre fille Irmgard, qui le chasse de son kibboutz _ et c’est donc _ en quelque sorte _ un _ déjà _ mort qui est rentré _ suicidairement, nazis aidant seulement, à la marge, à pareille autolyse… _ se faire assassiner _ et ce sera effectivement accompli pour lui à Theresienstadt, le 6 septembre 1942 _, comme si c’étaient les nazis _ voilà ! _ et non pas _ en réalité _ la famille _ sa fille Irmgard, donc _ qui l’avaient tué, et en vérité c’était la méchanceté qui se répandait _ oui _ un peu partout en Europe _ une remarque historiquement importante ! _ avec rapidité et virulence comme une _ hyper-ravageuse pandémie de _ grippe espagnole… Il semble qu’ici se mélangent, et le jugement lapidaire, implacablement ironique et formidablement tonique, toujours, d’Ève, la mère, et le commentaire, un peu plus circonstancié et distancié, de sa fille, Hélène, qui tient au final la plume de ce récit, à la fois rapport, conversation et réflexion-méditation, non dénué d’un formidable et merveilleux humour, qui transporte en un continu d’allégresse (grave) le lecteur…

Un peu plus loin, page 57,

l’auteure envisage une autre source-cause d’« envoûtement«  des futures victimes,

encore innocente, enfin presque, celle-ci ;

« envoûtement«  subi par ceux qui ne se décidaient pas à fuir enfin (!) « la cage » nazie _ au nombre desquels, décidément, sa grand-mère Omi :

peut-être soucieuse, elle, de ne surtout pas perdre ses partenaires attitrés de bridge (« Quand Ève revient en 1934 encore une fois et pour la dernière fois rendre visite _ et c’est à Dresde _ à Omi, sa mère ma grand-mère _ raconte Hélène, pages 93-94 _ joue au bridge comme d’habitude, bien des dames jouent encore, ça pourrait être pire, dit ma grand-mère, elle ne comprend pas Ève » ; et Omi ne veut pas partir : le souci de ne pas rompre le fil de ses habitudes joue donc, et puissamment, lui aussi.

Le mot « cage«  se trouvait répété page 52 et 53.

Mais restons ici à ce passage de la page 57 :

« Selon moi _ dit Hélène, page 57 _, parmi les divers et nombreux envoûtements qui ont ensorcelé _ tel le filtre de la magicienne Circé dans l’Odyssée d’Homère _ tant de compagnons d’Ulysse juif,

il y en a un dont le pouvoir trompeur _ non intentionnel, non malveillant, ici _ne sera jamais assez dénoncé, c’est le Visum. Le Visum est _ qu’on le veuille ainsi ou pas _ l’arme du diable : on promet, on promet, on séduit _ et nous avançons ici vers le concept (freudien) d’illusion, où le désir a son rôle (projectif séducteur) pour aveugler sur la qualité et la valeur de crédibilité de la représentation subjective apposée-plaquée sur le réel objectif, quand on confond (et prend) le réel désiré avec (et pour) la réalité objective même _, on enduit, on hypnotise, on transforme des êtres humains _ séduits par leur propre désir ainsi avivé _ en hallucinés, en paralytiques volontaires,

des philosophes

_ tels un Walter Benjamin ou une Hannah Arendt ;

cf l’admirable récit Le Chemin des Pyrénées de Lisa Fittko : à découvrir de toute urgence ! Lisa Fittko a partagé la réclusion

(préventive des Allemandes et amalgamées, même Juives et anti-nazies, comme mesure de rétorsion prise par le gouvernement de la IIIéme République, en France, à la suite du Blitzkrieg d’Hitler envahissant la Belgique et le Nord de la France, le 10 mai 40)

au camp de Gurs, les mois de mai et juin 1940, avec Hannah Arendt, ainsi que leur fuite ensemble, après le 18 juin, vers Lourdes (à Lourdes où se terre alors en une chambre d’hôtel Walter Benjamin) ;

et c’est aussi elle, Lisa Fittko, qui a ouvert, au dessus de Banyuls, ce qui sera nommé, par la suite, la « voie Fittko«  : pour aider à fuir en Espagne (franquiste) ceux qui cherchaient à échapper coûte que coûte aux griffes et mâchoires de l’ogre nazi ; avec, pour le tout premier passage ainsi organisé par les Fittko en Espagne, Walter Benjamin, justement !, qui se fera arrêter au premier village de la redescente du col, Port-Bou, et s’y suicidera (le 26 septembre 1940) de désespoir : sur la menace d’être prestement renvoyé (par la Guardia civil de Franco) d’où il venait… Fin de l’espoir ? ou fin de l’illusion ?) _ ;

(on transforme, donc) des philosophes

en primitifs fétichistes _ forcenés _ de formulaire administratif,

partout sur la terre pétrifiée errent des Suspendus,

suspendus à la poste, suspendus d’être suspendus de tempsau crochet de l’attente _ quel art sublime de l’écriture ! _,

le poil hérissé, les oreilles dressées, la poitrine contractée,

cela rend les gens irritables, nerveux, maniaques, méconnaissables, abattus _ sans assez de ressorts de survie : suicidaires… _,

Brecht _ lui _ aussi attend, _ en Suède _ le sésame américain n’est pas encore, toujours pas, arrivé,

en Suède aussi _ la Suède est théoriquement protégée par sa neutralité ! _ on s’attend à ce que le nazi arrive plus vite que les visas,  »

_ soulignons encore et toujours, au passage, combien est admirable l’écriture ultra-précise et si libre, en même temps que nimbée d’une sublime poésie et d’un humour « ouragant« , d’Hélène Cixous…

« on vit maintenant dans une vie-à-visa _ voilà ! quelle puissante et magnifique formulation ! _,

il faut un visa pour traverser la rue dit Kafka _ expert s’il en est en Château et Procès _, un visa pour aller chez le coiffeur,

vivre est hérissé de guichets _ et contrôles policiers : comme tout cela est merveilleusement dit ! _,

de plus il n’y a pas _ in concreto ! _ de visa, dit Brecht,

le mot de Visum est dans toutes les têtes mais _ hélas _ pas dans les boîtes aux lettres,

et il n’y a pas de visa pour les bibliothèques », pages 57-58  _ on admirera une fois encore le style de l’auteure, sa subtile profonde poésie du réel le plus juste, nimbée d’un merveilleux humour perpétuellement frémissant et rebondissant …

Et encore ceci, pages 58-59 :

« La cousine Gerda _ Gerta Löwenstein (Gemen, 17 octobre 1900 – Auschwitz, août 1942), fille d’une des sœurs aînées d’Omi, Paula Jonas, et d’Oskar Löwenstein ; et épouse de Wilhelm Mosch, décédé comme elle à Auschwitz en août 1942 _, ma préférée, dit Ève, d’une gentillesse infinie, quand elle est coincée à Marseille, avec les enfants _ Bruno et Anneliese Mosch, qui, eux, survivront _, avec son mari _ Wilhelm Mosch enfermé, lui _ à Gurs, je lui écris _ dit Ève _ viens ici, il y a encore un bateau pour Oran, elle reste dans le crocodile _ voilà ! _, et pour qui ? Ça ne peut pas être pour le mari, laid, joueur, paresseux, violent, sans qualités, je ne comprends pas ces femmes qui aiment ce qu’elles n’aiment pas, il y a un défaut dans la vision _ et voilà que recommence à pointer le détail de la mécanique de l’illusion ! _, et pourtant c’est lui _ Wilhelm Mosch _ qui louche, est-ce qu’elle a trouvé une raison à Auschwitz ? »

« Et il y a aussi les anciens combattants, ceux qui font corps avec leur croix de fer » (…),

« et les veuves de guerre, elles aussi » _ telle Omi Rosie, dont le mari, Michaël Klein, est tombé sur le front russe le 27 juillet 1916 _ (…)


Fin ici de l’incise ;

et je reprends maintenant le fil du texte de la page 115 à propos de l’Aktion :

il est minuit trente ? Aktion !

Le mot parcourt l’Allemagne, c’est-à-dire le Reich en un instant _ cette nuit du 9 au 10 novembre 1938.

Toutes les vitres juives tombent _ à la seconde _ dans tout l’Empire, simultanément _ quel génie (Reinhard Heydrich ?) de conception (technico-administrativo-policière) de la précision d’horlogerie de l’enchaînement mécanique de pareil ordre-commandement-exécution-résultat ! _,

ça ne se pense pas _ ça s’obéit-exécute, en robot, à la seconde : par l’Aktionneur.

L’Aktion est une destruction et une consommation.

Une anticréation _ néantisante _ éclair _ Blitz _

effectuée selon le principe _ de rationalité économique _ du moindre temps _ moindre coût, poursuit page 116, le fils d’Hélène.

La Grande Mâchine _ à crocs monstrueux (de « crocodile«  déchiqueteur démesuré : le mot comporte trois occurrences aux pages 58 et 59) _ ouvre ses mâchoires

et referme le verbe est à l’intransitif.

Clac !

Cyclope amélioré« 

_ la technique devenue technologie a progressé à pas de géants depuis le temps d’Homère et de l’Odyssée

Dans ce passage-ci, pages 115-116,

le mécanisme de l’illusion est abordé-commencé d’être un peu détaillé en l’articulation complexe de ses divers rouages,

mais non pas, cette fois, du côté de ceux qui « se font des illusions« , et vont s’y enliser-perdre-détruire,

mais du côté de ceux qui vont organiser l’efficacité optimale de ce dispositif illusionnant de séduction-sidération-capture-dévoration cyclopéen

_ mensonges colossaux, avec un minimum d’anesthésie préalable des piégés (à surprendre-prendre-capturer, sans déclencher de fuite immédiate !), compris _

pour que les malheureux illusionnéss’illusionnant _ l’un renforçant l’autre, et retour-montée en spirale et accélération du processus fou d’encagement, si difficile à rompre !.. _ n’en réchappent sûrement pas _ cf le processus nécessairement très lent d’ébouillantement de la grenouille en son bocal doucement et très progressivement chauffé jusqu’à finale ébullition, pour éviter un saut au dehors immédiat ! La grenouille se laissant ainsi ébouillanter…

A plusieurs reprises dans le récit,

Hélène la narratrice se heurte à la difficulté

rémanente,

résistante aux pourtant tenaces tentatives d’élucidation siennes _ et de ses enfants : sa fille et son fils, qui l’y aident : s’entrecomprendre est facilitateur.

Mais elle non plus, Hélène,  pas davantage qu’Ève sa mère, n’abdique pas, jamais :

à essayer sans cesse ni relâche de comprendre

_ et de comprendre chacun, si possible, en son idiosyncrasie de situation (ainsi que dans le temps, qui diversifie les perspectives) _ ;

de même que sa mère, ne renonçait jamais à se tenir prête (« ready. The readiness is all« ) à agir

dans la brève fenêtre de temps Kairos oblige… Ève le sait parfaitement ! _ qu’il fallait mettre très vite à profit : à temps ;

et pas à contretemps… :

« Aucune explication

_ qui soit enfin, et au final, satisfaisante ! Même si « la bêtise, c’est _ parfois, souvent, toujours _ de _ précipitamment _ conclure« … La phrase, nominale, est a-verbale.

Je ne comprends _ décidément _ pas pourquoi je ne comprends pas« ,

se répète obstinément, et assez stupéfaite, Hélène, page 107

_ et ces mots-là (« Je ne comprends pas pourquoi je ne comprends pas« ) sont repris tels quels, au mot près, en haut de la seconde page du très clair et absolument lumineux Prière d’insérer volant _ ;

plutôt irritée _ contre elle-même et l’inefficacité de ses efforts renouvelés d’élucidation de ces illusions peut-être singulières des siens (et surtout, in fine, d’Omi, sa chère grand-mère) ; dont parvient encore, souvent (mais pas toujours), à lui échapper l’ultime infime ressort de sa conduite, mortifiée… _, à vrai dire,

que vraiment désespérée face à la chose _ elle-même :

elle cesserait, sinon, de continuer à rechercher toujours et encore à vraiment comprendre ces diverses complexités, l’une après l’autre in fine singulières, oui, car tenant à la particularité (peut-être infinie…) du détail (à retrouver et élucider) des situations effectivement particulières de chacun (soit le pascalien « nez de Cléopatre« …) ; détail qu’il faut alors, chacun après chacun, réussir à débusquer et éclairer pour arriver à vraiment bien comprendre ces complexités idiosyncrasiques singulières ! ;

et avec le recul du temps, et la minceur (ou carrément absence, bien souvent !) de certains témoignages, cette recherche minutieuse infiniment pointue dans le détail (et c’est bien là, en effet, que le diable se cache !) tient quasiment de l’exploit ; telle cette recherche-ci, à partir du cas (et Bericht) de Siegfried Katzmann, et de ce que ce cas-ci peut révéler, ou pas, du cas, à élucider et comprendre, surtout !, celui de la grand-mère d’Hélène : Omi ; recherche-enquête-méditation-réflexion à laquelle se livre ici, et à nouveau, mais jamais complètement toute seule (ses enfants sont eux aussi bien présents auprès d’elle!), dans ce magnifique 1938, nuits, Hélène Cixous ;

or, plus que jamais, la voici qui résiste aux moindres tentations de défaitisme, à tout relâchement de renoncer (à comprendre vraiment !)… _, page 107, donc.

Et, page 101 déjà,

et à propos de ceux qui sont rentrés à la maison

_ tel « Oncle André«  de retour d’Eretz-Israël en 1936, à un mauvais moment (du développement du nazisme), mortellement dépité qu’il était par le comportement que leur avait réservé, à lui et son épouse Else, venus à Tibériade la rejoindre, leur chère tendre fille Irmgard (une Regane, hélas, et non une Cordelia, du roi Lear !), qui les avait repoussés-chassés de son kibboutz du Lac de Tibériade, renvoyés, morts de chagrin les deux, en Allemagne :

d’où cet impossible si absurde retour d’Andreas Jonas et son épouse, née Else Cohen, à Osnabrück… _ :

« Ceux qui sont rentrés à la maison

_ comme, donc, Oncle Andreas Jonas et son épouse, Tante Else, à Osnabrück _,

alors qu’objectivement on ne pouvait _ déjà _ plus _ avec un minimum de lucidité et bon sens… _ rentrer à la maison,

je ne cesse de me dire

que _ décidément, non _ je ne les comprends _ toujours _ pas.

Mais pourquoi _ donc _ je ne les comprends pas ?

_ voilà ce qui obsède plus encore, de façon lancinante au fur et à mesure de ses efforts en continu, la lumineuse Hélène en sa méditation-réflexion-conversation, menée et poursuivie avec ardeur avec ses proches (présents au moins en pensée et imageance), à son écritoire d’été, aux Abatilles, en ce 1938, nuits. Et qu’il lui faut absolument mieux résoudre si peu que ce soit. Une mission impérative ! Parce que y renoncer serait renoncer à ce qui fait le vrai sol (ou les plus solides « racines« ), voilà, de son soi ; ainsi que son œuvre propre.

Et pourquoi mon esprit revient-il _ si obstinément, et patiemment _ depuis tant d’années

cogner _ sans parvenir encore à l’éclaircir-ouvrir vraiment enfin, tout à fait _

à la vitre _ décidément encore opaque et obstruée  _

de cette scène ? »

_ de cet absurde retour (tellement suicidaire, dans le cas de l’« Oncle André«  !) à Osnabrück, « dans la gueule du loup«  nazi…

Voilà un des défis

que se lance à elle-même, en ce 1938, nuits,

celle qui ne cesse, année après année, été après été, en sa Tour d’écriture d’Arcachon-les-Abatilles,

et tant qu’il y aura au monde de l’encre et du papier,

de se lancer-jeter à corps perdu, mais âme bien affutée,

dans l’écriture-imageance visionnaire

de ses questionnements de fond lancinants : pour comprendre.

Comprendre vraiment ce qui advint.

À ses proches.

Et qui quelque part _ plus ou moins insu, mais encore et toujours au travail… _ est aussi fondateur

du vrai soi _ son vrai soi,

qui opus après opus, se découvre-réalise. Splendidement.

« L’Artiste est celui qui n’est pas là et qui _ pourtant _ regarde,

l’invisible qui admire,

le sans nom qui est caché sous le rideau noir et laisse la lumière ruisseler _ plus généreusement _ sur les créatures« , page 27.

C’est là ce que l’auteure nomme le « paradoxe _ visionnaire, en et par le travail de son imageance propre _ de la Création« .

J’en arrive donc à l’apparition progressive des occurrences, dans le texte, du mot (et concept)

d’illusion,

même si à nul moment la méditation-enquête d’Hélène Cixous ne dérive dans le conceptuel ! et encore moins le dogmatique. Certes pas.

Il s’agit d’un voyage d’imageance. D’Art _ en effet ; et pas de philosophie, ni de recherche historique ; même si peuvent en être tirées de telles applications, mais seulement à la marge de cet Art.


En même temps que,

à un détour de la page 60, et presque anecdotiquement à première lecture,

le concept et le mot d’illusion apparaissent,

à propos du lieu _ Bâle _ de la soutenance de thèse de médecine, « en janvier » 1938, de Siegfried Katzmann,

apparaît aussi pour la première fois

le nom même de Freud

_ il y en aura dix occurrences, avec en plus la référence (sans mention alors du nom de l’auteur : « un texte publié en 1916 (…), le sujet : l’illusion« , simplement…) à son L’Avenir d’une illusion, page 107… _

dans cet opus-ci, 1938, nuits.

_ (…) Fred _ ou plutôt Siegfried Katzmann, alors, en 1938 _, dit alors, page 60, Hélène à sa fille, « a soutenu sa thèse de médecine en janvier, Où ? » _ et elle cherche… _

« Où ? Á Munster ? Pas à Munster,

à Hamburg ? non,

à Dresden, c’est non,

l’idée naïve ? non,

désespérée ? non,

auto-illusoire _ nous y voici ! et c’est là carrément un pléonasme ! Peut-on jamais être victime d’une illusion sans en rien ni si peu s’illusionner déjà soi-même ? _

de soutenir sa thèse _ de médecine _ en Allemagne en 1938 quand on est devenu _ voilà ! _ Juif-à-détruire depuis _ déjà _ 1933,

voilà une des idées sur lesquelles Freud _ nous y voici toujours ! _ songe _ tout spécialement, lui-même _ à écrire

s’il a encore _ à bientôt 82 ans, et, qui plus est, rongé-usé par son cancer à la mâchoire _

le courage d’écrire en 1938 _ il va bientôt quitter Vienne (pour gagner Londres) le 4 juin 1938, après l’Anschluss du 12 mars ; et il mourra à Londres le 23 septembre 1939… _

quand lui-même se surprend si souvent _ alors _ dans la position anti-réelle _ donc s’illusionnant ! Oui, lui Freud, lui aussi… _ de saint-Antoine courtisé et jusqu’à harcelé par _ les voici : elles arrivent ! _ les Illusions tentatricesfilles, bien sûr, de ses propres désirs ! y compris, et d’abord, des désirs masochistes, et Thanatos, la sournoise puissante pulsion de mort… _,

des idées en tutu qui viennent faire des pirouettes gracieuses et terriblement perverses autour de la cervelle du vieux sage,

qui font la queue dans la Berggasse en lui sussurant des messages de sirènes _ et re-bonjour Ulysse ! _,

reste avec nous mon chéri, tout cela ne va pas durer, tu ne vas pas changer de carapace à ton âge, ma vieille tortue, un peu de patience, et tous ces tracas seront transformés en mauvais souvenirs,

et lui de se boucher _ à la différence d’Ulysse ligoté sur son mat à l’approche des sirènes dont lui Ulysse ardemment désirait apprécier sans danger (ligoté qu’il était) le chant si beau !… _ les oreilles

et secouer la tête pour ne plus _ cependant _ les entendre _ ainsi _ froufrouter _ quel admirable style, une fois encore ! et quel humour décapant-« ouragant«  ! _,

il y aura _ au futur, mais pas au conditionnel _ une étude à faire _ voilà, voilà ! _ sur la prolifération _ historique, ces années trente-là… _ des automensonges, mauvaises bonneraisons, sophismes auto-immunitaires

_ soient diverses espèces (ou facettes) du phénomène irradiant et irisé de l’illusion !.. _

qui infecte _ vilainement _ les facultés mentales de toute une population

lorsqu’elle se trouve soudain enfermée dans l’enceinte invisible mais infranchissable d’une Allemagne envoûtée et mutée _ tout d’un coup de cliquet sans retour à chaque cran passé _

comme une forêt maléfiée _ victime de quelque maléfice lancé sur elle _ dans la Jérusalem délivrée _ du Tasse.

Tout le monde _ et pas que les victimes juives _ est sous maléfice _ généralisé ! _ dans le pays,

mais ce n’est pas moi qui l’accomplirai

_ cette « étude«  à réaliser… _,

trop vieux, trop tard, pense _ à ce moment 1938 _ Freud à Vienne

à qui _ aussi, peut-être depuis Bâle _ pense Fred _ à lui écrire : la lettre partira ! mais restera sans réponse… _

tandis qu’il volète à l’aveuglette comme un insecte désorienté,

jusqu’à ce qu’il cesse de se cogner à la muraille de verre _ des multiples interdits vis-à-vis des Juifs ;

là-dessus se reporter à l’inifiniment précieux (irremplaçable !) témoignage au jour le jour de Victor Klemperer, dresdois, en son sublimissime Journal (1933 – 1945) _

et se retrouve par miracle _ lui Fred, ou plutôt lui encore Siegfried _ en Suisse en janvier 1938  _ Freud, lui, se trouvant encore à cette date (de juste avant l’Anschluss du 12 mars 1938) à Vienne. À Bâle.

Á ce moment-là, il est _ le bienheureux Siegfried ; mais mesure-t-il assez bien sa chance ? Non ! _ à l’extérieur du _ vaste _ Camp _ tout _ envoûté _ « maléfié« , qu’est désormais le Reich…

Alors le père _ Hermann Katzmann _,

qui est _ lui _ à l’intérieur de l’envoûtement

lui envoie _ d’Osnabrück _ quelques Illusions _ de type familialiste : comme venir à Osnabrück embrasser sa mère (« quand je suis revenu, le 14 octobre ma mère a pleuré de soulagement« , raconte Fred à la page 55 ; et « quand j’ai disparu le 9 novembre, ma mère a pleuré d’épouvante dit Fred, c’est ce qu’on appelle bitter ironie, qui sait ce que le sort nous réserve« , poursuit-il sa phrase, page 55…).

Fred _ ou plutôt Siegfried _ revient _ ainsi, séduit par ce malheureux appât d’affection familiale _ à Osnabrück _ le 14 octobre 1938, page 55, toujours _ juste à temps pour se faire arrêter _ moins d’un mois plus tard _ le 9 _ non déjà le 10 _ novembre _ dans la nuit, à deux heures du matin : eh! oui, nous sommes dèjà le 10 ! _ 1938 avec son père _ Hermann Katzmann.

_ Tu vois, tu vois, dit ma mère _ Ève, à la page 61 : en ce début d’été 2018 de l’écriture, à Arcachon, de 1938, nuits _,

qu’est-ce que tu penses de ça ? _ envoie-t-elle directement à sa fille _

un homme jeune, en bonne santé, pas marié, avec un diplôme, il ne manque pas d’un peu d’argent, l’anglais il parle déjà très bien un peu de français, il est libre _ surtout, bien sûr ! _, il a une chance suisse _ voilà ! _ que des milliers lui envient qui sont déjà derrière les barreaux à venir _ à partir du 10 novembre 1938 : mais c’est très bientôt ! _,

et il rentre lui-même _ le 14 octobre, page 55 _ dans la cage _ nouvelle occurrence de ce terrible mot, page 61 _

pour se faire arrêter _ le 10 novembre suivant _ avec son père, et ça n’a pas tardé,

ça ne me dit rien qui vaille _ conclut ici Ève, à propos des qualités de vigilance-lucidité de son nouvel (et « dernier« , page 26) « ami«  Fred :

« c’était un intellectuel discret (soulignera, à son tour, page 85, la fille d’Hélène),

et pas un pragmatique sur le qui-vive et perpétuellement aux aguets, comme Ève, _,

en 1938 à Osnabrück _ ou bien plutôt à Dresde ? _

avec son frère _ Andreas, ou avec quelque autre de ses parents Jonas et alliés, si c’est à Dresde ;

demeure là, depuis, déjà au moins Gare d’Osnabrück, à Jérusalem, un point d’ambiguïté sur la domicilation d’Omi, tant en 1934, lors de la visite d’Ève Klein, sa fille, à sa mère, Rosie, qu’en novembre 1938, lors du départ-déguerpissage d’Allemagne, enfin, d’Omi, sur les conseils pressants du consul de France à Dresde… A Dresde, avait exercé un temps (puis ensuite à Essen) le beau-frère banquier de Rosie, Max Stern, le mari de sa sœur Hedwig, dite Hete, et née Jonas ; Max Stern est décédé à Theresienstadt le 8 décembre 1942 ; alors que sa veuve, Hete-Hedwig, lui a survécu, et est décédée, un peu plus tard, d’un cancer, aux États-Unis ; et ils avaient une fille, Ellen Stern. Il ne m’est pas encore  aisé de bien me repérer dans les parcours de vie (et mort) des divers membres des fratries Jonas… _

Omi non plus je ne la comprends _ décidément _ pas _ ajoute encore Ève, au bas de la page 60 _,

_ C’était pour attendre mon Visum pour les États-Unis, écrit _ écrit Fred (au lieu de dit ?), écrit Fred dans le Bericht ? Ou bien plutôt dans la correspondance retrouvée plus récemment chez sa mère Ève, par Hélène, correspondance échangée à partir de 1985 (et conservée) entre sa mère Ève, et Fred, « le dernier ami de ma mère » (selon la formule d’Hélène, à la page 26)… _

écrit _ donc _ Fred _ alors encore Siegfried, ces années-là, afin de se justifier de son retour si terriblement malencontreux à Osnabrück le 14 octobre 1938, lit-on, immédiatement en suivant, en haut de la page 61.

_ Ach was ! J’appelle ça un manque de bon sens,

ma mère _ Ève _ balaie _ aussitôt _ Fred le jeune _ c’est-à-dire encore Siegfried en 1938 _,

qui sait si Fred 1985  _ ou 1986 : ce serait-là le moment d’un tout premier échange (et dispute) épistolaire entre Fred, rentré d’Osnabrück (où il s’était rendu pour la rencontre-hommage aux Juifs d’Osnabrück du 20 avril 1985) chez lui à Des Moines, et Ève revenue elle aussi (de la rencontre-hommage d’Osnabrück) chez elle à Paris… _ a changé ? » _ s’interroge avec sa foncière prudence pragmatique Ève Cixous, à ce stade de leurs retrouvailles, qui vont se révéler de stricte « utilité«  de compagnonnage touristique d’agrément (de par la planète), du moins pour elle ; page 61.

Apparaissent donc concomitamment pour la première fois, page 60,

et le mot d’illusion,

et le nom de Freud.

…     

Nouvelles occurrences (au nombre de quatre en cinq lignes) du mot illusion, à la page 63,

lors d’une conversation, en 1937 _ semble-t-il, ou peut-être 1935 ; la mémoire de Fred manque ici de sûreté temporelle… _ à Paris, de Siegfried Katzmann avec Walter Benjamin, « dans le café près de l’ambassade des États-Unis » _ la mémoire visuelle étant plus fiable, pour lui _, en vue d’obtenir le fameux Visum pour gagner les États-Unis d’Amérique :

« il s’agissait de visas,

il faut être sans illusion,

le visa me sera sans doute _ probablement _ refusé _ ou peut-être pas ! _,

mais une petite illusion doit être entretenue,

on ne peut pas ne pas espérer _ voilà : ce serait trop désespérant ! L’espoir aide beaucoup à vivre…

Mais comment distinguer vraiment l’espoir, tant soit peu réaliste-rationnel dans le calcul de ses perspectives, malgré tout,

de l’illusion, aveuglante ?

Même Walter Benjamin a un peu de mal (et en aura jusqu’à sa propre fin ! le 26 septembre 1940, à Port-Bou) à ne pas les amalgamer…

Il n’y aura pas de réponse

_ du moins un peu rapide de la part de l’ambassade américaine, en 1937 ; en tout cas pas avant cette sinistre Nuit de Cristal du 10 novembre 1938, pour Siegfried ; pas plus pour Walter Benjamin, non plus, d’ailleurs…

Gardons l’illusion _ subjective _, dit Benjamin _ plutôt que l’espoir (un tant soit peu réaliste) ? Penser cela semble plutôt désespérant !..

Et Fred _ ainsi conforté, en 1937, par l’autorité du philosophe de renom qu’est Walter Benjamin _ garde _ par conséquent _ une petite illusion« 

_ or ce fut peut-être ce visa américain-là qui, de façon complètement inespérée, surtout à ce moment (de décembre 1938) de l’enfermement de Siegfried à Buchenwald, réussira à le faire quasi miraculeusement sortir, le 13 décembre 1938, de la « cage«  du KZ de Buchenwald (ainsi que de la « cage«  du Reich ! quelques mois plus tard, début 1939) ;

même si le récit,

pas plus celui du Bericht de Fred, en mars 1941,

que celui d’Hélène, en ce 1938, nuits de 2018,

n’en dit (et heureusement) rien.

Car cela tiendrait un peu trop du trop beau pour être vrai ! lieto fine opératique, ou du happy end cinématographique hollywoodien, pour être cohérent, et avec le caractère d’absolue vérité tragique du Bericht, et avec la volonté de lucidité-vérité jusqu’au bout de l’écriture-Cixous elle-même… Et on imagine ici ce que serait le commentaire ironique d’Ève !!! Ces récits risquant de prendre bien trop, par une telle chute, une allure idyllique de conte de fées…

Si un timide espoir luit, au final de ces deux récits, celui du Bericht de Fred, comme celui du 1938, nuits d’Hélène Cixous, c’est très discrètement, et fort brièvement, dans les deux cas de ces deux récits ; mais tout (et même l’impossible !) peut toujours arriver et se produire-survenir au pays de l’Absurdie…

Car cette notule d’« espoir » (plutôt que d’« illusion« … : mais peut-on vraiment, et comment ?, absolument les départir ?…),

est tout de même bien présente in extremis, le lecteur le découvrira,

et dans le Bericht de Fred, de mars 1941, ne serait-ce que parce que Siegfried aura très effectivement survécu à de telles épreuves pour avoir pu, devenu Fred, en témoigner de fait ainsi,

et dans le 1938, nuits d’Hélène, de cet été 2018, que nous lisons, avec un tel dernier chapitre intitulé « Je voudrais parler de l’espoir«  ;

même si c’est assez indirectement, mais pas complètement non plus, dans le Bericht de Fred : page 55, nous avons pu en effet lire sous la plume de Fred : « à la fin est arrivé le Visum pour les États-Unis _ voilà ! c’était annoncé dès ici !, page 55 _, mon père venait de partir pour le Pérou, la lettre de Freud n’est jamais arrivée, ça ne veut pas dire qu’elle ne soit pas partie de Vienne, tout peut ne pas arriver  » ; l’auteure a ainsi l’art de brouiller aussi un peu, mais pas trop, non plus, jusqu’à complètement nous perdre !, ses pistes, histoire de ne pas trop faciliter, non plus, le jeu amusant de nos propres efforts d’orientation de lecteurs, en son récit volontairement un peu éclaté (soit ce qu’elle-même nomme « le poème effiloché d’Osnabrûck« , l’expression se trouve à la page 103) aussi de sa part… C’est là aussi une manifestation de son humour un peu vache… Mais, à qui, lecteur, fait l’effort de chercher et patiemment bien lire, pas mal des pièces du puzzle sont déjà bien là présentes, sur les pages ; à nous d’apprendre à efficacement les ajointer ! Et c’est un des plaisirs fins de la lecture Cixous…

Et c’est à la page 107

que nous trouvons un long développement, important

_ mais toujours léger et sans cuistrerie, ni le moindre dogmatisme de la part de l’auteure-narratrice : ce sont de simples hypothèses envisagées et essayées dans la conversation avec ses proches par Hélène _,

concernant à la fois,

et la personne de Freud,

et le mot/concept d’illusion

_ avec trois occurrences de ce mot en cette page 107 ; et une quatrième à la page suivante, page 108:

« Moi aussi _ c’est Hélène qui parle,

et elle se réfère ici aux lettres-prières pragmatiques, demeurées sans succès, de sa mère, Ève Cixous, née Klein, cherchant à convaincre sa propre mère Rosie Klein, née Jonas (soit Omi, grand-mère, pour Hélène), de venir (d’Osnabrück ; ou de Dresde ?) prestement la rejoindre à Oran, où Ève réside désormais, de l’autre côté de la Méditerranée, depuis son mariage, le 15 avril 1936, à Oran, avec le médecin oranais Georges Cixous, qu’elle a rencontré à Paris en 1935 _ 

je lui écris _ à Omi, et en toute imageance ; c’est donc Hélène qui s’exprime ici _,

en vain _ pour oser espérer quelque réponse effective d’elle !

Et c’est probablement ici la raison de fond ultime et vraiment fondamentale de tout cet opus-ci, pas moins !, qu’est ce 1938, nuits :

obtenir enfin quelque réponse et reprise de conversation avec Omi, en ayant su trouver « les mots qui pourraient la soulever » et devraient « la toucher« , va écrire juste aussitôt après sa petite-fille, Hélène !… _,

je ne connais pas son adresse _ post mortem, à la différence de l’adresse post mortem de sa mère Ève, avec laquelle la communication-conversation, plus que jamais vive et vivante, est et demeure presque continue entre elles deux (soit dans les rêves, la nuit, soit dans l’imageance, les jours de l’écriture…), elles deux qui ont si longtemps vécu côte à côte, tout spécialement les dernières années d’ultra-dépendance d’Ève, décédée le 1er juillet 2013 en sa 103 ème année…  _,

dans les rêves _ voilà ! _ on n’a jamais l’adresse de la grand-mère,

je ne sais pas _ bien _ les mots qui pourraient _ et devraient _ la soulever _ maintenant ! au point de l’amener à y répondre vraiment autrement que par son silence… _,

je lui envoie un texte de Freud _ L’Avenir d’une illusion ! _ ça devrait la toucher _ et susciter sa réaction : une réponse un peu précise, comme celles que sait si bien lui donner, et régulièrement, Ève, sa mère… ; 1938, nuits, est donc aussi (et c’est peut-être même là le principal !!!) une tentative de susciter quelques réponses d’outre la mort, de sa grand-mère Omi, de la part d’Hélène, cette fois-ci, et via cet envoi de l’opus _,

dans sa rêverie trempée de sang le soldat meurt saintement pour l’Allemagne, il laisse derrière lui femme et enfants à manger pour l’Allemagne,

un texte _ de Freud _ publié _ effectivement _ en 1916,

en 1916 le mari d’Omi _ Michaël Klein _ est tué sur le front _ russe _,

le sujet : l’illusion.

Moi aussi _ dit Hélène, au présent de son écriture _ je me fais des illusions _ par partialité, forcément, du point de vue, au moins de départ, de la réflexion (et des échanges) _ : parce qu’Omi est ma grand-mère, et la mère d’Ève.

Pendant qu’elle _ Omi, à Osnabrück ; mais Omi, en 1938, ne se trouve-t-elle pas plutôt à Dresde ?.. Car c’est bien, page 104, le consul français à Dresde qui finit par la décider, aussitôt après la Nuit de Cristal, à quitter dare-dare l’Allemagne, afin de rejoindre sa fille Ève en Algérie… ; de même que c’était à Dresde, aussi, qu’Ève était venue pour la dernière fois, en 1934, en Allemagne, rendre visite à Rosie pour quinze jours… Que penser de cette persistance de Dresde (en 1934, en 1938) dans la vie d’Omi ?.. À méditer ! Bien sûr, la communauté juive d’Osnabrück a bénéficié d’un colloque marquant, le 20 avril 1985 ; et des pavés dorés sur les trottoirs marquent désormais les anciens lieux de résidence des Juifs assassinés par les nazis, dont les Jonas, à Osnabrück… Ce qui n’est peut-être pas le cas à Dresde… _

répond par lettre à sa fille _ Ève _, en Afrique tout le monde est noir (sic),

la brigade Kolkmeyer défile sur la place _ d’Osnabrück _

mais tout est illusion

_ comment vraiment bien comprendre cette formulation ? Est-ce là s’incliner devant un invincible perspectivisme, d’ordre par exemple monadologique, à la Leibniz ? Page 46, se trouve la formulation « Chacun sa tragédie, chacun pour soi«  ; et nous retrouvons à nouveau ici la très grande difficulté de parvenir à vraiment « s’entrecomprendre«  (le mot se trouve à la page 101) ; cf mon précédent article du 6 février dernier :  _,

je n’arrive pas à croire _ se disent définitivement, et Ève, et Hélène _ qu’Omi ne déménage pas demain.

Elle récite _ irréalistement, se berçant-grisant d’illusions humanistes inappropriées à la situation du nazisme… _ du Gœthe.

_ Ce n’est pas un raisonnement, dit ma fille, c’est un comportement conjuratoire _ une conduite irrationnelle magique.

On n’arrive pas à croire _ vraiment _ ce qu’on voit » _ sans le voir vraiment, non plus,

en ses trop partiales focalisations.

Or, quand Siegfried Katzmann réussit

_ par quels invraisemblables biais ? nous ne le saurons pas, du moins directement ; probablement grâce à l’obtention inespérée du visa américain demandé à Paris en 1937 ; mais lui-même, Fred, par anticipation, l’a annoncé, mais comme subrepticement, pour nous lecteurs; à la sauvette, à la page 55 : « à la fin est arrivé le Visum pour les États-Unis«  _

à quitter le camp de Buchenwald, en décembre 1938 (le 13 ?),

mais on ignore _ et le lecteur ici ne l’apprendra pas ! _ par quels détours compliqués ou absurdes des administrations _ américaine et allemande nazie _ ;

et que,

« la tête rasée« ,

il croise-contemple, au passage, la maison de Gœthe, à Weimar _ qu’il traverse en quittant Buchenwald, tout proche _,

« relâché _ qu’il vient d’être du KZ _ dans les rues de la ville,

chaque rue 1939 _ ou plutôt 13 décembre 1938 ? _

qui autrefois _ à lui, lui aussi, lecteur de Gœthe _ lui était aussi familière qu’une cousine _ assez régulièrement fréquentée _

est maintenant irréparablement _ voilà ! _ étrangère.


C’est Siegfried qui a changé : il est devenu orphelin d’illusions
« 

_ maintenant décédées au KZ de Buchenwald ;

car un très crucial fil matriciel a été, et possiblement pour jamais (mais qui sait vraiment ?)

rompu, tranché net,

sans retour.

Le mot illusion revient encore une avant-dernière fois à la page 111 :

en son voyage-aller vers Buchenwald, dans l’Omnibus _ « C‘était un Mercedes, puissant, avec cette carapace qui donne à ces véhicules l’allure d’un mastodonte. On se sent enfourné dans un ventre, petite bouchée de viande mastiquée« qui transporte les Juifs prisonniers vers le KZ,

Siegfried-Fred est particulièrement sensible, durant tout le trajet, au « Silence.

Un silence armé violent, silence _ terrorisé _ de plomb.

Même l’oiseau que Fred a cru entendre,

illusion, plomb« .

Et encore une toute dernière occurrence de ce mot « illusion« , à la page 139,

en la page d’ouverture du quatrième et dernier chapitre, intitulé « Je voudrais parler de l’espoir » _ et c’est Hélène qui parle, avec recul, en ce titre de dernier chapitre _ :

« à aucun moment _ là c’est Fred qui raconte en son Bericht de mars 1941 _ on n’a pensé _ car c’était bien impossible, et le « on«  est un « on«  collectif des prisonniers du KZ… _ à _ raisonnablement _ espérer

_ et il était encore bien plus difficile alors, forcément, de se laisser aller-bercer-prendre à s’illusionner ! _,

chaque minute était abrupte _ et d’une violence implacable, en son tranchant comme en sa terrible écrasante pesanteur _ comme un rocher,

on ne pense rien,

on va _ seulement _ de défaite en défaite

_ voilà !

nul espace mental, pas davantage que physique, ne laisse, ici et alors, le moindre interstice pour quelque projection fantasmatique que ce soit, de désirs à plaquer sur pareille massivement « abrupte«  violentissime absurde effroyable réalité ! Désirs et réel étant totalement absolument incompossibles, voilà !, en cet Enfer du KZ !!! ;

je pense ici au détail descriptif si remarquable de l’Être sans destin, d’Imre Kertész, qui se déroule, lui aussi, comme le Bericht de Fred Katzmann, en grande partie à Buchenwald ; ainsi, encore, qu’à son saisissant et extraordinaire récit de retour, Le Chercheur de traces, de Kertész lui-même se racontant, très ironiquement, revenant longtemps après son premier séjour au camp, à la fois à la gœthéenne Weimar, qu’il visite, et à un Buchenwald muséifié (de même qu’à Zeitz, un camp-chantier subordonné à Buchenwald, et laissé, lui, quasiment tel quel ; ce texte admirable, publié en 1977 à Budapest, a été aussi republié plus tard, après 1989-90 et la chute du Mur, au sein du superbe recueil Le Drapeau anglais ! _,

on n’a pas d’illusion _ à laquelle tenter d’imaginer se raccrocher fantasmatiquement si peu que ce soit,

se bercer… _,

on n’a rien _ rien du tout _,

on ne veut pas, c’est tout,

il n’y a que du temps à l’infini le même

et pas d’avenir » _ sans destin, donc ; soit l’intuition même de Kertész !

Avant qu’in extremis,

ne surgisse l’improbable libération _ « du kamp et pour la vie« , page 144 _ d’un prisonnier,

Max Gottschalk, d’Osnabrück

_ « le fils du marchand de bestiaux« , page 144, dont ses concitoyens prisonniers au KZ savaient tous qu’il avait sollicité un visa de sortie d’Allemagne pour les États-Unis _,

donnant enfin une mince occasion,

à chacun de ses concitoyens et coréligionnaires d’Osnabrück,

d’espérer si peu que ce soit aussi, à son tour, et pour soi-même,

car « tous ceux d’Osnabrück savaient que Gottschalk avait demandé un visa pour l’Amérique.

C’est comme s’il l’avait eu dans sa poche » :

« Chacun a sursauté en sentant revenir _ _ l’espoir

_« dans les ténèbres une lueur d’espoir. Schimmer. Scintille« , page 143 _

dans le cadavre _ en putréfaction déjà _ de l’existence » _ dans le KZ de Buchenwald _, page 143…

A coté de la dangereuse illusion,

scintille donc une mince lueur d’espoir, un tout petit peu réaliste, ou rationnelle, par conséquent

_ mais espoir et illusion sont toujours si difficiles (ou impossibles ?) à distinguer-dissocier…

Mais il faut souligner aussi que

c’était alors l’époque _ cet automne 1938-là _ où Hitler ne désirait pas encore nécessairement _ et surtout n’avait pas commencé d’entreprendre très méthodiquement _ la destruction massive immédiate de tous les Juifs d’Europe (dont, aussi, ceux d’Allemagne),

commençant par mettre en œuvre d’abord la simple expulsion _ soit le plan dit Madagascar _ de ses Juifs hors du territoire du Reich ;

c’est ainsi qu’allait être organisée en octobre 1940 la déportation au camp de Gurs, par train,

dans le lointain sud-ouest de la France, au pied des Pyrénées, 

des Juifs du Land de Bade

_ parmi lesquels Wilhelm Mosch, mari de Gerta (ou Gerda) Löwenstein,

la cousine « préférée«  et « d’une gentillesse infinie » d’Ève ! comme Ève l’indique à la page 58 de 1938, nuits) ;

Gerda et son mari finissant un peu plus tard en fumée à Auschwitz, au mois d’août 1942.

Il y a donc bien des illusions mortelles.


Ce vendredi 8 février, Titus Curiosus – Francis Lippa

La pénétrante puissance et la force de poésie d’Isabelle Rozenbaum en l’aventure de sa campagne de 30 mois de photographie du chantier de la Cité du Vin, de Bordeaux

17juin

Jeudi 9 juin dernier, à 18h 30, à la _ magnifique _ salle d’Exposition _ et très grande : quels superbes espaces ! _ de la _ toute neuve _ Cité du Vin de Bordeaux :

éblouissement radieux des 88 photos, de très grand _ ô combien justifié ! _ format, et d’une époustouflante netteté, et force, jusqu’au sublime, des couleurs !

_ « à mes yeux, écrit magnifiquement Isabelle Rozenbaum, page 117 de son Tentative d’épuisement d’un lieu bordelais, la couleur est plutôt un défi qui permet de donner à la photographie sa dimension charnelle _ et c’est tout simplement là un aspect fondamental de l’idiosyncrasie rozenbaumienne ! (…) La couleur permet un champ perceptif plus large _ oui ! _ : elle donne sa véritable épaisseur à l’image _ oui ! c’est là encore un élément très important de la puissance (rare !) et force de poésie (michel-angelesque !) de cette artiste _, mais également son expression, sa lumière, sa profondeur, sa personnalité « _,

de la moisson photographique d’Isabelle Rozenbaum _ une « aventure  » : sans garanties institutionnelles formelles au départ… _ sur le chantier de construction de la Cité du Vin, à Bordeaux ;

une moisson photographique profondément généreuse : quelques 500 très belles, voire sublimes, photos _ sur le trilemme des concepts de beauté, de sublime et de grâce, lire le décisif travail de Baldine Saint-Girons : Le Pouvoir esthétique, paru aux Éditions Manucius, en 2014ayant été au final sélectionnées ce printemps 2016, à montrer,

d’une part en l’éblouissante _ rien moins ! _ exposition Carte blanche à Isabelle Rozenbaum _ le regard d’une photographe sur l’aventure du chantier de la Cité du Vin (en la très vaste et très belle Salle d’Expositions de la Cité du Vin, du 1er juin 2016 au 8 janvier 2017),

et d’autre part dans les splendides et passionnants livres accompagnant cette merveilleuse exposition, et qui physiquement lui survivront ! :

La Cité du Vin

et Tentative d’épuisement d’un lieu bordelais _ Architecture et photographie au XXIe siècle La Cité du Vin) ;

500 photos sélectionnées parmi des milliers d’autres prises trente mois durant (d’octobre 2013 pour les premières _ in le chapitre Photogénie _, à mars 2016 pour la toute dernière, un _ stupéfiant ! _ panorama sur le fleuve, présente _ in extremis _ à l’exposition, mais absente des deux livres, car réalisée postérieurement à la rédaction du tout dernier chapitre, Ouverture, daté du 11 février 2016, de Tentative d’épuisement d’un lieu bordelais d’Isabelle Rozenbaum ; le chantier (dont sont encore visibles sur cette ultime photo les Algeco pas encore démontés…) n’allait être bouclé que cinq ou six jours plus tard… ;

toutes ces photos, donc,

les 88 de l’exposition, comme les 495 des deux livres (les 231, de très grand format _ quelle réussite ! _, de La Cité du Vin, le grand et très beau livre _ quel choc ! plus j’y regarde et m’y délecte, plus je l’admire ! _, le livre en quelque sorte officiel _ et idéalement réussi : un absolu chef d’œuvre de livre de photos !!! _ marquant, comme l’exposition, l’inauguration de la Cité du Vin ; et les 264, de petit format, de l’intime et réflexif Tentative d’épuisement d’un lieu bordelais _ Architecture et photographie au XXIe siècle La Cité du Vin),

ont été prises, shootées, dans l’immédiateté _ inquiète ? jouissive ? patiente ? tendue ? _ de la sensation-intuition de qu’il y avait à saisir _ sur le champ ! _ et ne pas manquer de ce chantier de trente mois de construction ;

le champ d’action du shooting de la photographe n’étant autre, en effet et aussi, que le territoire d’action et la chasse gardée du divin Kairos, ce terrible petit dieu malicieux qui prodigue souverainement ses cadeaux à ceux qu’il croise, et veulent bien les saisir à son passage, mais coupe la main de ceux qui voudraient prendre ce qu’il offrait quand c’est trop tard, qu’il est passé, irrattrapable, et sans retour…  _ mais il y a certes aussi à méditer sur le concept cartier-bressonnien d’« instant décisif « , ainsi que le fait excellemment l’ami Bernard Plossu, par exemple en son L’abstraction invisible (cf aussi le très riche podcast de mon entretien avec Bernard Plossu le 31 janvier 2014)… _ ;

toutes ces photos

ont été prises lors des 33 _ ou 34 : en comptant celle, panoramique, saisie le 8 mars 2016 _ visites d’Isabelle Rozenbaum sur et dans _ en totale immersion ! _ le chantier,

quand, et même si, apparemment rien de vraiment décisif, pourtant, ne semblait s’y passer, comme, par exemple, au début, à l’automne 2013,

dans le quotidien humble et quasi anonyme, discret _ loin, a priori, de l’héroïque… _, des travailleurs du chantier ;

George Perec, dans la sobre introduction à son Tentative d’épuisement d’un lieu parisien, en 1975, présente, page 10, son propos _ « l’épuisement«  évoqué par Perec n’étant certes pas celui du lieu lui-même (!), mais celui de sa « tentative« , à lui, d’écrivain (« tentative« , ou essai (à la Montaigne), mais dès le départ, pour Perec, l’auteur de W ou le souvenir d’enfance, voué (à la Sisyphe, en quelque sorte) à l’échec, en son défi (à rien moins qu’à de l’impossible !) d’artiste (de l’Oulipo) de s’essayer à une description qui se voudrait (absolument) exhaustive ! de ce lieu… _ :

« mon propos dans les pages qui suivent a plutôt été de décrire (…) ce que l’on ne note généralement pas, ce qui ne se remarque pas, ce qui n’a pas d’importance : ce qui se passe _ quand il ne se passe rien, sinon du temps, des gens, des voitures et des nuages « ;

soit ce que l’on peut qualifier d' »infra-ordinaire » _ cf de Georges Perec, aussi, L’infra-ordinaire _ :

eh bien ! voilà ce sur quoi _ cet infra-ordinaire même _ se focalise, à la suite et dans les pas de Georges Perec, le regard photographique d’Isabelle Rozenbaum, quant à l’efficace quasi invisible _ au moins eu égard à la visibilité finale insigne (et admirée) de l’œuvre d’architecture, achevée, durable, et brillante ! surtout, d’Anouk Legendre et Nicolas Desmazièresde l’œuvre au quotidien, aussitôt recouverte, passée, et oubliée ensuite, des ouvriers de ce chantier ;

toutes ces photos ont été prises sur le champ, à la fois bousculant et espéré-désiré, de la rencontre (sous les auspices du divin Kairos) de ce qui là surgissait, offert à la saisie, au quart de seconde, du regard ultra-ouvert à l’inouï et à l’invu, et qui soit nécessairement, et même puissamment, significatif (c’est ce qui était espéré-désiré !), de ce réel _ profond, jusqu’au vertige : que viennent montrer certaines photos ! ; en même temps que charnel : il faut y insister ! _ à rencontrer-accueillir et appréhender-cueillir en des shoots photographiques, du working in progress des travailleurs du chantier _ cf Victor Hugo : Les Travailleurs de la mer _, en sa vérité et beauté (et sublime, même) ;

de ce réel se présentant, donnant, offrant (et dans le risque permanent, aussi, pour la photographe, de le manquer), de quart de seconde en quart de seconde, en sa traque photographique, en quelque infime et quasi invisible, mais formidablement puissante, accroche _ charnelle _ à saisir par la photographe et son objectif, à l’instant même (et pas trop tard !), de l’étincelle de la rencontre de ce regard et de ce capté visuellement et photographiquement _ nous offrant à percevoir à notre tour, en spectateurs un peu attentifs de l’image photographique qui en résulte, ce que le regard photographique de l’artiste (en son aptitude à quelque génie de la prise de vue…) apporte de singulièrement plus que le regard brut, hâtif, du simple quidam, fut-il aidé par quelque smartphone ; et a fortiori que la capture mécanique des images (vidéos) de rue… _ ;

un réel à dimension potentielle, via ce qu’offre à regarder et recevoir par ses images la photographe, d’éternité (c’est-à-dire de hors temps _ ainsi que le dit tranquillement Spinoza en son Éthique _) ;

un réel fondamental rare _ parce qu’infime, et extrêmement fugitif, et difficile à percevoir hors de cette saisie d’image-là, artiste ! _, se présentant, donnant, offrant à retenir ainsi, par et dans ce shoot photographique d’artiste, et via le dispositif dont fait partie l’appareil avec sa mécanique, en simple prolongement, alors, du corps et du regard en tension _ corps et regard _ parfois vertigineuse, de l’artiste ;

un réel à dimension d’éternité, donc, qui se présentera (puis donnera à percevoir-ressentir) in fine _ quand le miracle de la rencontre advenue avec l’objet est d’abord bien présent là, dans l’image ainsi recueillie _, sur (et dedans) l’image, ainsi captée, qui en résultera ;

avec, encore, donc, à son éventuelle suite, l’impact incisif décisif que celle-ci _ image d’artiste, mais sans la moindre affèterie ! qui briserait tout ! _ pourra avoir sur nos regards de spectateurs de l’image, pour peu que nous y soyons, au bon moment, à notre tour, adéquatement attentifs et happés, carrément, par la profondeur _ du fait du champ ouvert par le cadre (cf par exemple page 48 de Tentative d’épuisement d’un lieu bordelais : « Je délimite et découpe dans le réel plusieurs vues presque irréelles de la situation. Lorsque je cadre ainsi des scènes en plan rapproché et que je les visualise ensuite sur l’écran de mon appareil, celles-ci semblent représenter davantage un monde en destruction qu’en construction. La terre laisse ressortir ses strates, ses entrailles, sa chair humide et collante« …), et du fait, aussi, de la profondeur que confère le traitement puissant, ici, de la couleur (cf plus haut) _

de ce qui, ainsi, de la chose même saisie, surgit et paraît _ et charnellement, même !(cf là-dessus les bouleversantes analyses, en même temps qu’infiniment pertinentes, jusqu’au frisson à les lire, de l’amie Baldine Saint-Girons en son merveilleux L’Acte esthétique, et celles de l’amie Marie-José Mondzain en son indispensable Homo spectator _ voir, faire voir…) ;

mais un réel (celui, infra-ordinaire, des actes mêmes de travail du chantier) à dimension d’éternité, du moins en puissance _ quant à sa perceptibilité (sur le champ) par la photographe en ses shootings, d’abord ; puis par nous, à sa suite, en regardant vraiment ses photos… _, se présentant au départ on ne peut plus humblement et discrètement, à ce regard susceptible de devenir à la seconde même épidermiquement « halluciné », de l’artiste photographe, à ce moment de sa campagne photographique, au fil de sa quête de prise d’images justes (impliquant, en regard (et à sa suite), pour les accueillir et cueillir, ses propres gestes adéquats de photographe), de ce qui physiquement, geste par geste de travail accompli sur et en ce chantier, se construisait ainsi et s’élevait peu à peu, durant trente mois, de la Cité du Vin, sur le terrain d’abord chaotique (et très souvent boueux), de ce titanesque et héroïque, à certains autres égards, chantier ;

et cela, avec la plus grande (et même extrême !) justesse d’image requise, en permanence _ c’est là tout simplement une condition artistique sine qua non ! _, nonobstant fatigues, doutes et angoisses du quotidien du (ou de la) photographe en son _ épuisant ? en son extrême exigence… _ travail photographique comme en sa vie tout court, face au quotidien (infra-ordinaire, donc) du travail se donnant à cueillir-saisir là, en ce terrain, ce chantier, de ces milliers de gestes infra-ordinairement professionnels, eux aussi, effectués par chacun des acteurs-artisans opérant (chacun à sa manœuvre, et tous, en partie du moins, à main d’hommes et femmes, humainement, donc, outils et machines aidant _ que de splendides photos d’eux ! _ ) de ce chantier,

à tenter de capter et mettre en lumière _ photographie signifiant « écriture de la lumière« , nous rappelle Isabelle page 97 de son Tentative d’épuisement d’un lieu bordelais…  _ sur l’image photographique à réaliser, des milliers de fois ;

éblouissement radieux, donc _ je reprends l’élan de ma toute première phrase, et du point de vue du regardeur… _ des 88 photos, de très grand format _ c’est capital ! _,

et d’une époustouflante netteté _ même quand la luminosité de certains jours, trop forte et quasi aveuglante, pose comme un filtre général cotonneux sur tout ou partie de l’image

(par exemple, dans de magnifiques photos au ciel blanc :

celle, non légendée, en double-page, pages 94-95 ; celles intitulées « une mise en place de tours d’échafaudages« , pages 96-97 ; celle intitulée « des cages d’armature en attente« , en double-page, pages 98-99 ; celles intitulées « Le coulage du béton« , pages 114-115 ; celle intitulée « Une banche avec ses contreventements« , page 121 ; la grandiose « le camion-grue avec le tuyau pompe qui achemine le béton », en double-page, aux pages 128-129 ; celle intitulée « La préparation avant le coulage du plancher bas d’un étage« , page 144 ; ou encore la prodigieuse « La pose des premiers arcs de la tour« , en double page, aux pages 176-177 ; et encore l’affolante image des « alpinistes«  défiant la pesanteur en leurs acrobaties, à la double-page 234-235, au sein de la superlative série légendée « La pose des verres sérigraphiés de la vêture«  ; etc. ;

et aussi, voire surtout, mais sans ciel cette fois, les deux magiques photos (on dirait de purs crayonnages de Cy Twombly !) légendées « Un plancher bas et des voiles montés« , page 153) ;

il faut bien souligner que ce facteur de la netteté est tout spécialement décisif  dans la puissance de l’art d’Isabelle Rozenblaum ! _

et époustouflante force, jusqu’au sublime, aussi, des couleurs ! _ que j’ai immédiatement souligné, comme facteur de profondeur du rendu de l’image, lui permettant d’atteindre la chair même (et le mot apparaît, on ne peut plus adéquatement !, à quelques reprises, sous la plume d’Isabelle…) du réel ainsi somptueusement capté… _,

de la moisson photographique d’Isabelle Rozenblaum ;

résultant de la rencontre _ renouvelée à 33 reprises de quelques heures chaque fois _ avec les gestes du chantier, de la radicalement attentive, et hyper-intense, traque photographique _ à rebours de la fatigue physique pouvant aller, parfois, jusqu’à l’épuisement ! _ des 30 mois passés sur et en ce chantier de construction de la Cité du Vin,

qu’a suivi, avec un très pressant permanent sentiment de nécessité et urgence (artistiques), Isabelle Rozenbaum.

Nécessité et urgence (artistiques), en effet,

d’une singulière « mission » d’artiste impérativement échue, à elle, Isabelle Rozenbaum

_ « La mission de photographier un chantier n’est vraiment pas une mince affaire «, écrit-elle page 66 de Tentative d’épuisement d’un lieu bordelais ; « Je vis donc cette mission _ voilà le terme ! _ avec désir et exigence, presque avec nécessité, comme s’il s’agissait finalement _ ah ! _, pour moi _ artiste s’il en est, des processus… _, de répondre à un besoin impérieux _ besoin à déchiffrer (et défricher), œuvre à œuvre… _ qui dépasserait à la fois l’architecture et la photographie « _ c’est bien intéressant ! _ ;

et « Je sens (au fur et à mesure de « l’écriture des mots » de ce carnet de bord, crucial donc pour l’artiste, qu’est Tentative d’épuisement d’un lieu bordelais) que la pratique même de ma photographie, cette « écriture de la lumière », devient, au fur et à mesure de cette mission, plus ambitieuse, plus forte _ oui ! à la Michel-Ange… _, plus rigoureuse également «, écrit-elle aussi page 97, au chapitre Écriture de ce carnet de bord, avec lequel la photographe peut dialoguer et avancer… _ ;

une singulière « mission » de « révélation » (photographique, en l’occurrence) du réel le plus profond et le plus vrai (et le plus beau, aussi !) _ qui soit rendu le plus justement possible, et en beauté active, dynamique (et non en document passif, inerte), sur chaque photo à réaliser _, de ce chantier de construction de la Cité du Vin de Bordeaux

_ ces divers mots, spécialement ceux de « mission « et « révélation «, revenant significativement à diverses reprises sous la plume d’Isabelle Rozenbaum en ce passionnant carnet de bord évolutif qu’est Tentative d’épuisement d’un lieu bordelais : aux pages 33, 64, 66, 97, 125, 129 (en un chapitre qui s’intitule « révélation « !), 137… _,

à destination de quelque vrai regardeur (à venir)  qui viendra contempler vraiment (et jouir à son tour de) de ce réel _ du chantier de construction, tel qu’il eut lieu, en amont du bâtiment achevé d’aujourd’hui… _ qu’a su si superbement percevoir le regard photographique d’artiste d’Isabelle Rozenbaum, et que donnent à percevoir désormais aussi  à qui sait vraiment les regarder, ces sublimes images-photos, qui en demeurent :

en quelque exposition et en quelque livre, à venir, eux aussi _ je me place ici au tout début de cette improbable (au départ) aventure photographique _ ;

exposition et livres qui soient les médiateurs, à leur tour, de ce que la photo, sur le chantier même, aura su, en (et de) l’infra-ordinaire des gestes, des corps, des outils, des matières, apercevoir et recueillir et garder (pour longtemps, pour toujours) du travail s’accomplissant, et maintenant accompli ;

et sublimes images-photos que voici, à nous offertes aujourd’hui, qui avons la chance et la joie insignes de pouvoir les regarder-contempler-scruter vraiment et à loisir, en cette splendide exposition Carte blanche à Isabelle Rozenbaum _ le regard d’une photographe sur l’aventure du chantier de la Cité du Vin, à la Cité du Vin,

de même _ et différemment, encore _ qu’en ces deux livres eux-mêmes dissemblables, et chacun singulier, La Cité du Vin et Tentative d’épuisement d’un lieu bordelais _ Architecture et photographie au XXIe siècle La Cité du Vin, que le magnifique éditeur d’Elytis, Xavier Mouginet, a su offrir, en magicien à son tour, à notre bonheur!.. ;

en l’urgence, déjà alors _ au moment des actes de photographie, sur le chantier _, des métamorphoses _ permanentes et finalement rapides, en ces 30 mois de chantier (et à raison d’une visite à peu près mensuelle de la photographe)… _ de ce chantier de construction de cette Cité du Vin, à Bordeaux :

métamorphoses rapides _ paradoxalement, eu égard à la tâche à certains égards titanesque de ses acteurs mobilisés sur le terrain, en leurs divers corps de métier, au quotidien de leurs gestes professionnels de constructeurs, ainsi que l’avèrent aussi ces photos _ ;

et métamorphoses perceptibles _ non seulement en l’élévation architecturale progressive, mois après mois, de ce superbe bâtiment-monument en dur de la Cité du Vin, au-dessus du fleuve et des quartiers, en chantier eux aussi, de Bacalan et des Bassins à flot ;

mais aussi et désormais pour toujours, dans les images-photos que nous donne à contempler-scruter en toute sérénité, Isabelle Rozenbaum, tant en sa présente lumineuse exposition à la Cité du Vin, qu’en ces deux lumineux livres ! ;

mais l’artiste photographe, venue à 33 reprises (plus une toute dernière le 8 mars 2016) sur le chantier (sources des 33 chapitres de son Tentative d’épuisement d’un lieu bordelais) ces 30 mois, redoutait aussi de manquer, entre-temps (c’est-à-dire entre deux de ses visites au (et sur, et dans le) chantier) ;

de manquer la moindre étape décisive significative des processus et des changements cruciaux pouvant avoir eu lieu dans quelque entre-deux de ses visites (à peu près mensuelles, donc) au chantier, qui aurait, ainsi, pu échapper à l’ouverture-inquiétude-jouissance amoureusement attentive de son regard photographique, et donc à ses photos… _ ;

en l’urgence, déjà, alors, des métamorphoses permanentes, et finalement rapides, mais aussi irréversibles,

de ce vaste et diversifié chantier en travail, sans cesse en évolution, au fur et à mesure des contributions de chacun des acteurs des divers corps de métier s’y succédant, au fil de ces 30 mois, et de ce que chacun d’entre ces divers professionnels du bâtiment réalisait, du bâtiment final, en sa tâche spécifique et peut-être unique, ce jour, cette heure et à cette seconde-là ;

et qu’avait à saisir, pour l’éternité _ celle-là même de l’art (en l’occurrence photographique), en sa capacité de justesse (probe et dépourvue du moindre maniérisme ; mais charnelle aussi, et ô combien !..) à l’égard de ce réel, en sa vérité et beauté (et parfois, voire souvent, sublime !) _, la photo d’Isabelle Rozenbaum.

Les premières photos du chantier, quasi vide au tout début (sauf, très bientôt, des monceaux chaotiques de terre, et la boue _ donnant lieu très vite, en effet, à de sublimes photos ! Par exemple, la très noire (à la Louise Bourgeois)  araignée de terre grasse de la page 47 de La Cité du Vin (légendée « Terrassement autour des longrines «) ; ou bien les deux photos en double-page, et non légendées, aux pages 36-37 et 40-41 ; et d’autres encore, telles, par exemple, celles, de nuit et légendées « Début des forages pour les pieux de fondation «, de la page 34 _),

datent du lundi 21 octobre, du mercredi 30 octobre et _ pour celles prises de nuit _ du mardi 12 novembre 2013 ;

et la toute dernière _ présente au terme même du parcours de l’exposition, mais absente des deux livres _, un sublime _ oui ! _ panorama _ simplement assorti d’un cartel la datant : « 8 mars 2016 » _, où la vue sur le fleuve Garonne prend des allures de Bergen, en Norvège, ou de Vancouver, en Colombie britannique, au Canada,

date du mardi 8 mars 2013.

Le titre complet de l’exposition est : Carte blanche à Isabelle Rozenbaum _ le regard d’une photographe sur l’aventure du chantier de la Cité du Vin

_ aventure, donc, architecturale, pour Anouk Legendre et Nicolas Desmazières, les architectes-concepteurs de l’Agence XTU, ainsi que Dominique Zentelin, le directeur opérationnel du cabinet XTU ;

et aventure de construction, bien sûr, pour les membres de tous les divers corps de métier des entreprises Vinci Construction et SMAC, tout d’abord ;

mais aussi aventure photographique, pour Isabelle Rozenbaum ;

aventure éditoriale, pour Xavier Mouginet, le directeur des Éditions Elytis ;

et aventure, encore, d’exposition, pour Philippe Massol, directeur de la Cité du Vin, Laurence Chesneau-Dupin, directrice culturelle de la Cité du Vin, et Marion Eybert, responsable des Expositions à la Cité du Vin…



Puis, hier jeudi 16 juin, à 18h, à l’Auditorium Thomas Jefferson de la même Cité du Vin de Bordeaux :

conférence de présentation de cette exposition Carte blanche à Isabelle Rozenbaum _ le regard d’une photographe sur l’aventure du chantier de la Cité du Vin,

en un entretien de Francis Lippa, philosophe (et vice-président de la Société de Philosophie de Bordeaux) _ spécialement curieux de poïétique, c’est-à-dire des arcanes de la création ; cf sur ce blog En cherchant bien son récent article du 1er juin à propos du compositeur Karol Beffa : L’intelligence très sensible de la musique du magnifique Karol Beffa : de lumineuses Leçons au Collège de France _,

avec l’artiste Isabelle Rozenbaum

_ on peut écouter le podcast de leur entretien (jubilatoire !) du 3 décembre 2013, à la librairie Mollat, à propos du (passionnant) précédent travail d’Isabelle Rozenblaum, l’extraordinaire Les Corps culinaires... _,

et avec Xavier Mouginet, l’éditeur (aux Éditions Elytis) des deux livres superbes et indispensables pour bien regarder encore ces photos, et bien méditer, à notre tour, sur elles,

telles qu’elles sont issues de cette campagne de photographies de 30 mois, et de cette _ éblouissante _ exposition _ ouverte du 1er juin 2016 au 8 janvier 2017 : à découvrir en même temps que la Cité du Vin _ :

La Cité du Vin, d’une part, le (très beau) grand livre (officiel),

comportant 231 photos couleurs de très grand format _ pleine page souvent ! et c’est aussi nécessaire que mérité ! _, et avec des cadrages parfois époustouflants _ oui ! _, mais sans le moindre maniérisme :

au service infiniment probe de la plus grande justesse, seulement, mais pas moins !, du rendu (par l’image merveilleusement cadrée) de ce qui, vu et surtout ressenti par l’artiste, nous est donné à voir et intensément ressentir, via et en ces formes-là (d’images belles ou sublimes), à notre tour ! ;

en un acte esthétique, pour reprendre l’expression de Baldine Saint-Girons, en son indispensable et magnifique L’Acte esthétique… ; cf aussi, là-dessus, le tout aussi indispensable et tout aussi passionnant et juste Homo spectator _ voir, faire voir, de Marie-José Mondzain) ;

et, d’autre part, Tentative d’épuisement d’un lieu bordelais _ Architecture et photographie au XXIe siècle La Cité du Vin,

un carnet de bord (et de méditation) intime (comportant, aussi, 264 photos, mais de petit format _ toutes différentes des 231 images du très beau grand livre officiel, et au nombre de huit sur une page, chaque fois (8 x 33 = 264) _) ;

carnet tenu, quasi in situ, par la photographe Isabelle Rozenbaum réfléchissant-méditant par cette écriture même sur son travail alors en cours de photographe, face au (et dans le) chantier, du 21 octobre 2013 jusqu’au 11 février 2016 ;

et carnet aménagé et re-travaillé un peu, quasi in situ encore, et toujours au fur et à mesure, en 33 chapitres _ correspondant au nombre de ses interventions photographiques successives sur le chantier : les dates et heures de ces écritures sont chaque fois données, ainsi que le temps qu’il faisait, et la qualité de la lumière, la luminosité ce moment-là ce jour-là… _, muni chacun d’un titre, et conclu chacun par une citation d’un photographe ou d’un philosophe ayant réfléchi sur la photographie ;

sur le modèle, au départ du moins, du Tentative d’épuisement d’un lieu parisien, de George Perec, paru en 1975.

J’ai personnellement eu la chance de parcourir tranquillement, à mon rythme, et à mon complet loisir, deux fois jusqu’ici, l’exposition, en son accrochage magnifique (et ô combien lumineux !), et selon des formats de très grande ampleur, parfaitement adéquats à cela même (de grand _ y compris pour les images de simples outils ! _) que ces photos nous montrent.

Et bien sûr le regard de ma seconde visite va plus loin _ et plus profond : que d’images-mondes, ici… _ que le regard de la première visite, au cours de laquelle, par exemple, je n’avais pas remarqué les cartels _ discrets, il est vrai, mais constants ; et certainement indispensables ! _ indiquant la date de chacune de ces photos…


Je remarque _ et le communique à Xavier Mouginet et Isabelle Rozenbaum qui m’accompagnent lors d’un dernier tour de l’expo, juste avant notre entretien-conférence à l’Auditorium _ que la grande photo que j’admire tant des « alpinistes » lors de « la pose des verres sérigraphiés de la vêture », virevoltant très en hauteur sur la façade du bâtiment de la Cité du Vin, et image admirée aux pages 234-235 de l’éblouissant La Cité du Vin,

et qui se trouve, dans l’exposition, présentée à droite en un extraordinaire tryptique consacré à ces opérations quasi dansées des « alpinistes » _ mais dans ce spectaculaire et acrobatique tryptique, la photo placée au centre, plus grande que celle qui me plait tant dans le livre, vole en quelque sorte la vedette à celle qui m’a ô combien plu sur la pleine double-page du livre, et qui, donnée ici un peu plus petite (que sa voisine du tryptique), est placée à droite et en léger contrebas… _,

ne me fait pas le même effet (de sidération) que sur la double page, et sans bord, dans le livre :

c’est que tout regard sur l’image dépend aussi de son contexte, comme de sa taille,

commentent Isabelle et Xavier ;

d’où l’importance du montage, dans l’exposition comme dans le livre,

de ce qui sera montré être regardé…

Et les images d’Isabelle Rozenbaum,

en leur extraordinaire netteté _ qui apparente à mes yeux, et pour prendre un exemple, la sublime ! sculpturale photo (non légendée) de la double-page 32-33 des deux mains gantées posées sur un plan dessiné du bâtiment de la Cité du Vin déployé à terre (ainsi qu’un pied chaussé un peu boueux, empiétant sur ce plan, légèrement déchiré là ; sans rien d’autre de perceptible du corps de cet homme)

aux deux mains (à la rencontre) de Dieu-le-Père et Adam, de Michel-Ange, au plafond de la chapelle Sixtine ! _

et en leurs impressionnantes couleurs _ par exemple celles de la photo (sans légende) de la double-page 126-127 ; ou celles de la photo légendée « mesures et contrôles ponctuent la vie sur le chantier « , page 135 ; ou aussi celles de la photo, si étrange, de la « préparation des platines qui soutiendront la vêture «, à la double page 214-215 _,

respirent merveilleusement, et s’approfondissent aussi, dans le format le plus large possible

_ tel, aussi, celui de l’écran de l’Auditorium où quelques unes d’entre ces splendides images-photos étaient projetées pendant notre entretien-conférence de jeudi 16 juin dernier !

D’où la très grande importance,

non seulement du tirage des photos, bien sûr !,

mais aussi du montage de ces photos,

tant dans les soins portés à l’accrochage de l’exposition,

que dans ceux portés à la mise en page du livre : éblouissante, elle aussi.

Ainsi le travail éditorial de Xavier Mouginet est-il proprement époustouflant !!!

Aussi, pouvoir revenir et se reporter sans cesse aux détails des images qu’offre le livre _ et un livre aussi beau et riche que ce magnifique La Cité du Vin ! _ est proprement extraordinaire ;

chaque nouveau parcours de ces images au fil du livre,

de même que chaque nouveau parcours de la salle d’Expositions de la Cité du Vin,

nous faisant découvrir et contempler chaque fois de nouvelles merveilles !


C’est admirable !

Titus Curiosus, ce vendredi 17 juin 2016

 

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