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« Rifkin’s Festival », ou trois délicieux petits tours au Festival de Saint-Sébastien, une douce comédie auto-ironique et presque testamentaire de Woody Allen en 2020…

23avr

En forme de suite à mon article «  » du 19 avril dernier,

ce dimanche ceci,

à propos, cette fois, du tout dernier film de Woody Allen paru jusqu’ici sur les écrans _ en février 2020 _ ainsi qu’en DVD _ en novembre 2021 _,

le délicieux, un peu plus auto-ironique cette fois, et même un poil testamentaire _ mais sans lourdeur _, « Rifkin’s Festival » ;

ou une adorable balade à la merveilleuse Saint-Sébastien au moment de son très agréable Festival de cinéma… 

 

Ce dimanche 23 avril 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Un passionnant CD Ravel, chez Ondine, par l’Orchestre National Basque et Robert Trevino

19sept

Voici l’article de ce jour de ClassicsToday.com,

par Victor Carr Jr,

à propos du récent enregistrement ravélien _ Ondine 1385-2 _ de Robert Trevino à la tête de l’Orchestre National basque,

chez le label _ excellent _ Ondine ;

un CD que mon ami Bernard, de Bidart _ et abonné aux Concerts de Saint-Sébastien ! _ , m’avait vivement recommandé…

Trevino And Basque National’s “Au Naturel” Ravel

Review by: Victor Carr Jr

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This is one terrific album ! Put aside your expectations of how Ravel’s music should sound based on prior experience of it as played by world-class orchestras such as the Berlin Philharmonic (Boulez), Concertgebouw (Haitink), Boston Symphony (Ozawa), London Symphony (Abbado), or Montreal Symphony (Dutoit). Only the French National under Martinon _ yes, indeed… _ offers a unique and distinctive (i.e. “French”) sound, but even that ensemble boasts a polished refinement that is far and away different from the wonderfully rustic timbres of the Basque National Orchestra _ voilà.

Under the direction of conductor Robert Trevino, this band from San Sebastián _ une cité que fréquentait Ravel lors de ses séjours à Saint-Jean-de-Luz et Ciboure _ in the Basque Country (which straddles the border between France and Spain) conjures an exotic affect most apparent in Ravel’s Spanish-influenced works, particularly in Rapsodie espagnole : the dream-state of the opening Prélude à la nuit rightly seduces here, while the closing Feria delightfully invokes a castanet-playing flamenco dancer. In Trevino’s hands Alborada del gracioso evokes the orchestra-sized guitar Ravel envisioned.

But it’s not only the overtly Spanish-styled works that succeed in this collection ; Trevino and his forces also ideally capture the plangent tones of Pavane pour une infante défunte, as well as the luxurious delirium of La valse. Even Boléro holds the attention here, as the Basque musicians play with a freshness that belies the work’s warhorse status. Trevino’s powerful reading of Ravel’s early and rarely programmed Une barque sur l’océan is a welcome bonus.

Ondine’s vivid, wide-ranging recording draws you directly into the performances, making this release a must-have for seasoned Ravelians and newcomers alike.

Recording Details:

Reference Recording: Dutoit (Decca) ; Ozawa (DG) ; Martinon (EMI/Warner) ; Munch (RCA)

  • RAVEL, MAURICE:
    La valse ; Alborada del gracioso ; Rapsodie espagnole ; Une barque sur l’océan ; Pavane pour une infante défunte ; Boléro

Basque National Orchestra, Robert Trevino

Ce dimanche 19 septembre 2021, Titus Curiosus – Francis Lippa

Ce qui m’intéresse le plus en Adolfo Bioy Casares : les détails (et petits secrets) de la vie quotidienne d’humain d’Adolfito…

23juil

Ma curiosité envers Adolfo Bioy Casares _ sa personne, essentiellement _,

ne vient pas seulement de raisons familiales :

mon grand-père Paul Bioy (Oloron, 26 avril 1878 – Bordeaux, 6 décembre 1954) était en effet un des cousins germains béarnais (d’Oloron) d’Adolfo Bioy Domecq (Pardo, 27 juillet 1882 – Buenos Aires, 26 août 1962), le père d’Adolfito (Buenos Aires, 15 septembre 1914 – Buenos Aires, 8 mars 1999).

Elle vient surtout des mystères dont Adolfito Bioy n’a cessé de développer, toute sa vie durant, sur les liens qui ont pu l’unir à diverses femmes, dans l’ombre…

Et c’est cela qui m’a poussé à aller jeter un œil _ curieux _ sur les extraits _ seulement, hélas ; même s’ils sont très copieux… _ de son passionnant extraordinaire Journal,

dont la parution a été posthume ;

et surtout centrée _ par l’éditeur _ sur les entrées qui comportaient, toutes, le nom de son ami Borges :

de cet extraordinaire et merveilleux journal intime,

sont, d’ailleurs parues _ et seulement en espagnol _ deux versions, l’une plus généreuse que l’autre ;

la seconde ayant été un peu réduite, pour des raisons le plus probablement commerciales _ le lectorat est réputé se lasser assez vite…


J’avais même fait le voyage de Saint-Sébastien – Donostia, rien que pour m’en procurer la plus longue version ;

et je n’avais réussi à mettre la main que sur la seconde, la moins complète...

Ce que j’y recherchais

ne concernait pas les échanges _ presque exclusivement littéraires _ que Bioy avait pu avoir _ et scrupuleusement notés _ avec Borgès _ pour l’œuvre cérébrale duquel je dois avouer mon défaut d’appétence… _,

mais les plus petits détails _ et les petits secrets habilement cachés : Adolfito avait la politesse délicate (et somptueuse) du plus raffiné des gentlemen… _ de la vie quotidienne d’Adolfito lui-même,

par exemple lors de ses divers voyages en Europe _ en France, et en Béarn, tout spécialement _ ;

 

ainsi ses visites, à Pau, au fils d’Antoine Bioy (Oloron, 9 juin 1872 – Buenos Aires, 31 août 1950) _ Antoine Bioy était le frère aîné de mon grand-père Paul Bioy (Oloron, 26 avril 1878 – Bordeaux, 6 décembre 1954) _,

le Dr Edouard Bioy (Buenos Aires, 18 mai 1908 – Pau, 23 novembre 1999) _ qui continuait d’avoir aussi des attaches à Buenos Aires et sa province.

À suivre…

Ce vendredi 23 juillet 2021, Titus Curiosus – Francis Lippa

Lire, vraiment lire, ce chef d’oeuvre qu’est « Enfance, dernier chapitre », de René de Ceccatty

12déc

Quand j’ai commencé _ à peine ! une unique phrase… _ mon article du 31 juillet dernier Les chemins indirects de l’enfance en sa singularité : une recherche exigeante et passionnée de René de Ceccatty à propos de ce chef d’œuvre absolu _ oui ! _ qu’est Enfance, dernier chapitre, de René de Ceccatty (riche de 432 pages, aux Éditions Gallimard),

je ne soupçonnais pas que mes lectures-relectures successives de ce si riche récit _ je ne les compte pas _, puis mes échanges de mails avec René de Ceccatty,

dureraient quasiment six mois _ mais oui !.. _, et seraient d’une telle fécondité ; et pas que littéraire : mieux encore, amicale…

Et que lire, après un tel chef d’œuvre _ et c’est très froidement que j’assume devant quiconque de par le monde, Paris compris, ce jugement serein et tout à fait argumenté de chef d’œuvre, de la part du lecteur attentif et scrupuleux que je suis, tout enthousiaste que je puisse paraître (et suis) en ma lecture, et chaleureux dans la vie _,

et afin de _ mais oui ! _ m’en sevrer ?

Ainsi, viens-je de lire, hier après-midi, les 25 premières pages de Classé sans suite, de Claudio Magris _ un auteur dont l’œuvre m’est chère _ :

eh bien !, à côté de la « vie » tellement vibrante et nourrie

_ à presque chaque ligne, telle une surprise, un renvoi

(ainsi, par exemple, à la page 306, René de Ceccatty évoque-t-il « le cérémonial secret _ musical, celui du gagaku _ qui accompagne une télétransportation«  au Japon ; et je retiens ce mot ; et m’avise aussitôt qu’il me faut absolument citer en entier ce passage proprement sublime :

« Vite, vite ! Il ne reste plus _ chez lui, René, à Montpellier _ que quelques centimètres de soleil sur un coin de table, sur le pan d’un volet replié sur le balcon, dans les plis d’un rideau.

Mais, grâce à Dieu, le mauve _ du ciel hivernal _ continue à triompher _ voilà ! « Triompher«  est le mot qui magnifiquement convient ! Et le verbe « continuer«  rend grâce, lui, à ce qui dure (un peu), mais aussi fidèlement se renouvelle, à travers la diversité, parfois très grande, et des temps et des lieux, fort divers pourtant, comme si tous ces lieux et temps s’entr’appelaient directement les uns les autres, et se mettaient à dialoguer entre eux tous, avec cependant aussi, nécessairement, forcément, quelque témoin fidèle, lui aussi, qui soit à même de témoigner de ce dialogue magique ! passant à l’occasion par lui, aussi. Comme ici : par la remémoration de la sensibilité (« intérieure« ) et surtout l’écriture de l’auteur, et le pouvoir de sa magie, miraculeusement trouvée : comme ici… _

au-dessus des cyprès méditerranéens de la cour.

Nous sommes _ et nous lecteurs avec, plongés et immergés _ dans la merveilleuse lumière hivernale du Languedoc

_ celle qu’a aussi si bien su saisir le pinceau du montpelliérain Frédéric Bazille (8-12-1841 – 28-11-1870) dans ses merveilleux La Robe rose, en 1864, et Vue du village, en 1868 (il s’agit du village de Castelnau-le-Lez, en face de la propriété familiale des Bazille, le Domaine de Méric) :

 …
Voir aussi, toujours saisie au domaine familial de Méric, face à Castelnau-le-Lez, mais clairement en été, cette fois, et non plus en hiver, sa justement célèbre très belle Réunion de famille, en 1867 : quel chef d’oeuvre encore !
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mais, cette « merveilleuse lumière hivernale du Languedoc« , que n’a pas su saisir, en 1854, Gustave Courbet, en son bien connu Bonjour, Monsieur Courbet, un tableau conservé au Musée Fabre de Montpellier _,
Gustave Courbet - Bonjour Monsieur Courbet - Musée Fabre.jpg
Nous sommes _ et après ces superbes images de Bazille, nous donnant à nous perdre (flotter, baigner) à notre tour dans le « triomphe du mauve«  bleu pervenche de ce doux, et un peu mélancolique aussi, ciel hivernal languedocien,
je reprends donc ici l’élan de la phrase de René de Ceccatty _ ;
nous sommes _ plongés et immergés, donc _
dans la merveilleuse _ voilà qui est parfaitement reconnu, et loué ! : en une action de grâce idéalement adéquate… _ lumière hivernale du Languedoc,
cousine _ voilà encore !
et nous voici maintenant dans la semblance chère aux intuitions poétiques si justes de Michel Deguy, Marie-José Mondzain et Baldine Saint-Girons : cette semblance télétransportante _
de la merveilleuse _ voilà, voilà ! _ lumière hivernale de la Tunisie _ aussi et encore : celle où avaient baigné les sept premiers hivers de la prime enfance de René de Ceccaty : de sa naissance, le 1er janvier 1952, à son départ pour la France, le Languedoc et Montpellier, en juin 1958.

La cour _ ici, à Montpellier _ ménage une échappée _ bienvenue _ d’ombre chaleureuse _ oui _ poméridienne _ oui :

ce moment qui succède, plus ou moins langoureusement, à cet instant de pondération que le sétois Paul Valéry, en ouverture de son Cimetière marin, nomme « Midi le juste ! » :

Ce toit tranquille, où marchent des colombes,
Entre les pins palpite, entre les tombes ;
Midi le juste y compose de feux
La mer, la mer, toujours recommencée !
Ô récompense après une pensée
Qu’un long regard sur le calme des dieux !

Tout est suspendu _ et nous voici soulevés dans l’éternité même de l’instant : une grâce (et qui n’est pas sans m’évoquer la vision radieuse, sublime, du poète madrilène Jorge Guillen en son trop méconnu Cantico)…

Il me semble _ mais oui : la semblance des sensations en acte se déploie miraculeusement… _

entendre _ ici et maintenant, à Montpellier même _

le souffle d’un orgue à bouche _ japonais.

Parfaitement _ dont acte ! Et nous-mêmes, en lecteurs enchantés que nous voilà, nous suivons : nous entendons parfaitement à notre tour cet instrument pourtant jusqu’alors totalement inouï de nous, faute de nous être jamais rendus au Japon.

Parfaitement : un concert de gagaku s’improvise _ mais oui, ce midi mauve bleu pervenche d’hiver à Montpellier ;

et la notation « s’improvise«  de ce « concert«  (rien moins !) de musique, est, elle aussi, absolument essentielle ! Tout, dans ce court-circuit sauvage du transport, ici, de la « semblance«  physiquement ressentie et éprouvée, résidant dans la neuveté absolue même de l’instant tant coloré que musical ! Cet instant-ci de Montpellier, comme cet instant-là, jadis et il y a longtemps, à Tokyô, mais que voici miraculeusement transporté ici et maintenant à Montpellier même, en une souveraine et « triomphale«  évidence : mauve… _,

et me voici _ et nous avec ! _

non plus à Montpellier, ni à Mégrine _ en Tunisie _,

mais au sommet de la colline de Kagurazaka, au centre de Tokyo,

et à Schichirigahama, au bord du Pacifique :

je suis _ et nous avec ! _

à la fois projeté _ oui : instantanément _

et scindé _ puisqu’encore ici même, aussi, et en même temps, à Montpellier _

au Japon

 

_ mais nous aussi, lecteurs, « sommes à la fois projetés et scindés« , puisque nous sommes nous aussi tout à la fois et dans le même temps, comme l’auteur l’est, tout entiers présents (et transportés), dans et par l’impact émotionnel si fort de notre lecture, à la fois, et oxymoriquement, au présent et au lieu actuels de cette lecture, hic et nunc, et dans les divers lieux et dans les divers temps dans lesquels viennent maintenant, aussi, nous transporter, nous aussi, et à sa suite, les phrases magiciennes et magiques de l’auteur !   

A qui cela dit-il quelque chose ? _ s’inquiète alors ici l’auteur. Mais à nous, ses lecteurs : car nous voici nous aussi totalement transportés (faut-il dire déjà, en anticipant sur le mot de la phrase qui va suivre, et nous marquer : « télétransportés » ?) par la grâce merveilleuse du danser-voyager fulgurant de cette écriture magicienne de René de Ceccatty ! Une écriture capable de signifier (et nous faire ressentir, à notre tour, lecteurs) ces transports tant locaux que temporels du narrateur, nous foudroyant, nous aussi, à notre tour, sur le champ, par cette « semblance » que met en œuvre, ici (comme plusieurs autres fois ailleurs aussi, dans ce merveilleux livre), cet incroyable auteur magicien qu’est René de Ceccatty, par ces « va-et-vients » si puissants de sa mémorielle et « imageante«  écriture…

Revoici _ donc, pour René de Ceccatty, au moins ; ou plutôt pour lui le premier _ le gagaku.

Flûtes, orgues à bouche, tambour !

Cérémonial secret _ voilà, déjà _ qui accompagne une télétransportation

_ nous, lecteurs, découvrons ici, d’un même mouvement de lecture, et les instruments de musique japonais accomplissant ce rite sacré, et ce très remarquable hapax du texte.

Soyons réalistes _ se morigène alors l’auteur _ : ce doit être une équipe d’ouvriers qui scient du métal.

Et pourtant _ oui, et pourtant : la « télétransportation » sur nous aussi, lecteurs, comme sur lui l’auteur qui se souvient, parfaitement fonctionne…

Rien n’est changé _ et tel est bien le régime même (et spécial, ou oxymorique : à la fois pleinement temporel et totalement a-temporel) de l’éternité. Hors le temps singulier et en même temps donné dans la trame du temps même.

Je l’ai su immédiatement en arrivant au Japon _ l’été 1977 _ et en scribouillant _ cet élément conjoint est lui aussi très important : décisif, même ! C’est dire le rôle capital ici de l’écriture ! _ dans mes carnets, carnets qui sont devenus _ par travail poursuivi _ tout de même trois livres _ précisément la troisième et dernière partie (Fanfilù-Roma) de Jardins et rues des capitales (paru aux Éditions de la Différence en septembre 1980) et Esther (ibidem, 1982), que René de Ceccatty vient de m’offrir afin de m’aider à m’imprégner aussi des bases de tout son œuvre ! ; ainsi que Plusieurs ronds de fumée (paru, lui, sous le pseudonyme de Shinobu Watanabé, toujours aux Éditions de la Différence, en 1980 aussi) _, mine de rien.

Je me mettais en contact _ ainsi : René de Ceccatty se l’explicite _ avec une partie de moi _ demeurant, avec constance et obstination, de l’enfance… _ qui avait _ encore ! _ une ou deux choses à dire _ c’est-à-dire révéler enfin _, devant _ car il y faut aussi la situation et la circonstance : le lieu et le moment convoquant, tel un rite discret (ou secret), la révélation ! _ le ciel de Tokyo, puis devant l’océan Pacifique« 

_ le recul de ce « devant » constituant la « scène » propice à ce recul lucide de la semblance : que ce soit à Tokyô, à Montpellier, comme everywhere in the world où pareil processus de « semblance » survient, est capté (« scribouillé« ) et puis « devient livre«  _) ;

à presque chaque ligne, donc,

et je reprends à nouveau l’élan de ma phrase, après cette merveilleuse longue citation empruntée à la page 306 de cet éblouissant Enfance, dernier chapitre,

telle une surprise, un renvoi

(ou une télétransportation : un mystère physico-sensible de la famille, peut-être, de la trans-substantiation…)

un renvoi mieux que parlant : poétique et merveilleux, de semblance (par analogies, nécessairement, voire très rigoureusement judicieuses : nous baignons dans l’oxymore)

à d’autres sensations-émotions-analyses qui déboulent, surviennent et s’emparent de nous, en un constant tonique et sensuel (et parfois, sinon angoissé ou anxieux, du moins interrogateur, questionnnant…) dialogue mémoriel sans cesse, inépuisablement, repris, avec soi-même :

« Le travail n’est pas terminé. Par qui pourra-t-il l’être jamais ?« , viendra ainsi conclure, page 405, son très long premier chapitre Enfance, René de Ceccatty ; le second et dernier (autour du décès de la mère de René et de Jean, survenu le 21 juin 2015, et de ses simplissimes obsèques), le-dit Dernier chapitre, ne comportant, lui, que 23 pages, très volontairement sobres, et presque seulement factuelles _ le régime (poétique) des semblances ne pouvant être enclanché qu’avec assez de temps de recul _, en un très saisissant contraste avec les voyages (constamment palpitants et sous dense tension poétique) de remémoration de la partie première et principale : Enfance ;

et dialogue d’abord avec sa mémoire,

mais aussi avec son Inconscient, comme en ses rêves nocturnes,

et encore avec son imageance d’auteur écrivant,

une imageance constamment ouverte, en même temps que rigoureusement soucieuse de la plus grande justesse possible en ces analogies et constats d’abord subis, et sensitivement éprouvés, de télétransportations… ;

en un irradiant dialogue présent-passé-présent de l’auteur ;

cf là-dessus ce très éclairant passage à propos de ce fécond régime mémoriel, page 260 :

« Chaque souvenir ne tient sa vie _ voilà : « sa vie«  ; car sans cette « vie« -là qui l’anime, le souvenir s’isole, fige, stérilise et meurt _

que de sa relation vibrante, changeante, palpitante _ et c’est absolument décisif : ces trois qualificatifs de la « relation«  que l’auteur a à établir et maintenir, faire vivre aussi, pour lui-même comme pour le lecteur (qui doit en ressentir les vibrations), disent ici l’essentiel _

avec la totalité des autres souvenirs _ de l’auteur, certes, forcément ; mais aussi, chez le lecteur, de ceux qui peuvent faire office d’analogues-semblances de sensations-émotions, et qui soient tout aussi vibrants, mobiles, palpitants, chez ce lecteur, à son tour _

parmi lesquels certains se détachent de la mémoire _ globale _ du passé pour lui être associés«  :

une « relation«  qu’il reste encore, en direction du lecteur (qu’il s’agit, pour l’auteur, de ne pas perdre en route), à devoir aussi, et avec soin, « mettre en scène«  dans le récit ; dans et par l’écriture donc, quand on écrit (et qu’on ne peint pas, ou ne compose pas de musique) ; et une écriture qui, en son style (peu à peu découvert et trouvé au fur et à mesure de ses écritures, par l’auteur), fasse vraiment et très simplement, même si c’est indubitablement complexe et non immédiat, œuvre ; et œuvre vraie… ;

avec le souci, donc, quelque part aussi, et constant lui encore,

de la réception accueillante et relativement aisée, fluide, en sa complexité, aussi, à préparer, par l’auteur, de son lecteur ;

une réception accueillante à l’égard des énigmes (parfois d’un mot unique de ce type rare au sein de la phrase, voire d’un hapax au sein de l’œuvre entier) qu’en défi tranquille, de même qu’à lui-même, l’auteur ne manque pas d’adresser-lancer aussi, en un très amical, mais très audacieux aussi, défi-jeu, avec un brin d’ironie (protectrice ? mais de qui, ou de quoi ?), à son lecteur, via sa ligne la plus claire possible, à travers le souffle tenu, telle une note ou une phrase que le chanteur a à tenir, et qui sera tenu, ce souffle, et non pas tendu (sans la moindre crispation maligne ni hautaine) de ses longues, immenses, embrassantes et généreuses phrases accompagnantes ouvertes, en l’habitude que lui, l’auteur, René de Ceccatty, a déjà prise, ailleurs, en des essais ou des articles, de bannir les notes-de-bas-de-pages, qui coupent trop le fil fluide de ce que doit être le flux souple et chantant de la bonne lecture, à la fois large et très précise (attentive au moindre détail ; et ils ne manquent certes pas) _

à côté, donc, de la vie tellement vibrante et nourrie de l’écriture chantée et dansée de René de Ceccatty, dans le déroulé souple et riche de surprises (les « télétransportations«  !) de son phraser

_ cf ces lucidissimes remarques, page 242, sur sa propre écriture en ses débuts, à l’âge de quinze ans, sous le regard de sa mère :

« Maman a été, après une première stupeur, confortée dans d’anciennes certitudes :

je me détachais  _ moi aussi _  du sol (…)

j’avais, oui, quitté le sol

Je dansais _ voilà _ ,

comme elle, comme papa.

Il ne s’agissait pas d’un envol, non pas ce genre de stéréotype satisfait :

il s’agissait d’une dérive flottante ou aérienne _ celle de la semblance mobile, fluide, mobilisante et transportante de l’art.

Ce que cherchait papa dans ses paysages _ peints _,

sur son clavier  _ aussi.

Ce que cherchait maman dans ses lectures  _ et ce sont-là des exemples de « recherches«  que très concrètement, et sur son mode à lui,  René suivra. (…)

Elle remontait alors dans le temps

et s’interrogeait  _ ouvertement _  sur le hasard  _ facétieux ou tragique, ou les deuxde sa  _ propre _  vie«  _

eh bien ! pour le moment, je trouve _ n’ayant, il est vrai, lu que les seuls deux premiers chapitres _, l’écriture, en ce Classé sans suite, de Claudio Magris _ italien pourtant (de Trieste) _, un peu lourde, terne, grise, pas assez sensuelle, ni aérienne ou fusante _ germanique aurais-je la tentation, injuste, de dire…

Il va donc me falloir entrer davantage dans la pulsation propre de l’écriture de Magris _ mais dès le chapitre III, lu dès le lendemain, cette pulsation-là, de l’écriture de Claudio Magris, déboule, et aussitôt enchante : je le retrouve ! Ouf ! Et en ce genre de dédale lancinant et touffu (et qui demande un peu de perspicacité à déchiffrer) qui me plaît ; et qui caractérise en particulier le personnage de Lisa, confrontée aux terribles taches aveugles de l’histoire, à Trieste même, de sa famille juive… _,

un peu trop bien ancré et bercé-chahuté que je suis encore, pour le moment,

dans l’écriture, tellement vive, dansante, mobile et imprévisible, à surprises permanentes, fusante, donc, de René de Ceccatty ;

une écriture si bien accueillante,

et donc si bien accordée à mon propre mode passionné, boulimiquement curieux _ virevoltant, mais non gratuitement, d’une expression à une autre, d’une page à une autre, d’un livre à un autre : selon le principe, parfaitement sien aussi, des « télétransportations«  _, de lecture, de ce lecteur toujours questionnant, sur le qui-vive et aux aguets, que, dans une joie profonde _ non dilettante, non hédoniste, mais à la Spinoza _, je persiste plus que jamais à être. Face aux énigmes du monde : à percer.

De même que Zone de Mathias Enard _ sur ce chef d’œuvre, cf mon article Emerger enfin du choix d’Achille !.. du 21 septembre 2008 _

m’est apparu le plus grand livre _ rien moins ! _ de la décennie littéraire 2000 en France _ cf mon article Le miracle de la reconnaissance par les lecteurs du plus « grand » roman de l’année : « Zone », de Mathias Enard du 3 juin 2009 _,

et de même que L’Enfant éternel (1897) et _ plus encore ! _ Toute la nuit (1999) de Philippe Forest _ que complète l’essai Tous les enfants sauf un (paru, lui, en 2007) ; essai qu’a préfacé en italien notre amie (romaine) commune à René de Ceccatty et moi-même, Elisabetta Rasy ; et sur le très beau Entre nous d’Elisabetta (paru en traduction française aux Éditions du Seuil en août 2004), lire, au sein de mon article du 22 février 2010, , article rédigé, lui, à propos de L’Obscure ennemie, d’Elisabetta Rasy, mon texte Tombeau de Bérénice avec jardin ; ce qui me donne l’occasion de m’aviser que l’article immédiatement précédant celui-là sur mon blog En cherchant bien, daté du 22 février 2010, était, rédigé par moi le 19 février 2010, celui-ci : «  Autrement dit, une boucle qui se boucle au sein d’un blog assez cohérent !!! _

me sont apparus les deux plus grands livres de la décennie littéraire 1990 en France,

de même,

ce merveilleux et magnifique chef d’œuvre _ pourquoi craindre le mot ? ou l’éloge ? je ne le gaspille pas, tout gascon pourtant que je suis _ qu’est Enfance, dernier chapitre

me paraît illuminer du miracle de sa force de vérité, et de sa considérable richesse et densité _ sans cesse dansante et virevoltante, traversée qu’elle est des lumineuses fulgurances, parfaitement dynamisantes, de ses « télétransportations«  : voilà, peut-être ai-je ici mis le doigt sur une clé décisive de son écriture-inspiration ! _ toute la décennie littéraire 2010 :

rien moins que ça ! Et j’insiste !

Parviendrais-je, pour ma modeste part, à assez le faire bien entendre ? _  j’y tiens beaucoup.

Partager ce qu’on place haut est un devoir d’honnête homme prioritaire : je n’aimerais pas demeurer seul dans la joie de mon admiration de lecteur ! Face à la misérable prospérité journalistique ignare, si aisément satisfaite de tant d’impostures grossières en littérature, cyniquement reposée sur le critère chiffré du « puisque ça se vend« , et partie prenante pseudo-culturelle du nihilisme régnant…

En effet, quasiment six mois de lectures-relectures hyper-attentives, plume à la main _ et qui encore se poursuivent _,

car j’ai très vite pris conscience que cet Enfance, dernier chapitre reprenait et prolongeait, en un très vaste geste de grande cohérence et d’archi-lucide approfondissement,

rien moins que l’œuvre entier,

ainsi que, plus fondamentalement encore _ puisque c’est l’intelligence sensible de celle-ci, la vie, qui constitue le fond de la visée de son écriture _, la vie entière de René de Ceccatty

vie entière reprise et éclairée, et magnifiée, par le travail hyper-scrupuleux (de la plus grande honnêteté) et d’une stupéfiante lucidité, de son extraordinairement vivante et palpitante écriture, sans temps mort, tunnel, lourdeur, ni faiblesses ! Quels défauts peut donc bien trouver encore René de Ceccatty à son livre ? Je me le demande… Montaigne trouvait-il, lui aussi, des défauts à ses Essais ? Ou Proust à sa Recherche ? Et que René de Ceccatty ne se sente pas accablé par ces comparaisons pour son livre !

Sur cet enjeu majeur de la lucidité de la visée de fond de l’intelligence même de sa vie _ sur ce sujet, se reporter au sublime raccourci, si essentiel, de Proust : « La vraie vie, c’est la littérature«  _,

l’enquête la plus probe et fouillée qui soit que mène ici René de Ceccatty, recherche rien moins que ce qu’il nomme son « enfance intérieure »en s’employant non seulement à débusquer-révéler-mettre au jour (et comprendre !) sinon ce que factuellement celle-ci fut, en son bien lointain désormais ressenti, au moins via quelques approximations ou équivalences de celui-ci, ce ressenti passé et enfui ; mais aussi esquisser ce que peuvent et pourront en être de coriaces effets dévastateurs, encore, à long terme, tels que ceux-ci parfois persistent en l’âge adulte, et souvent pour le pire ;

voici, extraite du Temps retrouvé, la citation proustienne en son entier :

« La grandeur de l’art véritable,

au contraire, de celui _ parasite _ que M. de Norpois _ le diplomate _ eût appelé un jeu _ superficiel et facteur de superficialité _ de dilettante _ adepte du plaisir à condition que ce soit sans la moindre peine _,

c’était de retrouver, de ressaisir, de nous faire connaître _ et explorer _ cette réalité loin de laquelle nous vivons,

de laquelle nous nous écartons de plus en plus au fur et à mesure que prend plus d’épaisseur et d’imperméabilité la connaissance conventionnelle que _ hélas _ nous lui substituons,

cette réalité que nous risquerions fort de mourir sans avoir connue, et qui est tout simplement notre vie _ en sa singularité de fond vraie.

La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue _ voilà ! _, c’est la littérature ;

cette vie qui, en un sens, habite à chaque instant _ insue _ chez tous les hommes aussi bien que chez l’artiste.

Mais ils _ la plupart _ ne la voient pas _ anesthésiés qu’ils se veulent _, parce qu’ils ne cherchent _ surtout _ pas à l’éclaircir préfèrant la misérable cécité de leur illusoire (faussement rassurant) brouillard collectif. 

Et ainsi leur passé est encombré _ oui _ d’innombrables clichés _ voilà _ qui restent inutiles _ certes _ parce que l’intelligence ne les a pas “ développés ” _ voilà…

Notre vie, et aussi la vie des autres ; car le style _ auquel l’auteur vrai doit parvenir en chassant sans pitié ces clichés _ pour l’écrivain, aussi bien que la couleur pour le peintre, est une question non de technique, mais de vision _ oui ! la peinture est « cosa mentale« , disait Léonard.

Il est la révélation _ oui, qui appert dans l’œuvrer de l’artiste vrai au travail comme dans l’œuvre réalisée _, qui serait impossible par des moyens directs et conscients, de la différence qualitative _ singulière, donc ; cf ici la monadologie de Leibniz _ qu’il y a dans la façon dont nous apparaît le monde, différence qui, s’il n’y avait pas l’art, resterait le secret éternel _ voilà _ de chacun _ inconnu de lui-même le premier, aussi et d’abord.

Par l’art seulement _ et en une œuvre réalisée : hors de soi _, nous pouvons _ par l’expression-création de l’auteur, d’abord ; mais aussi, ensuite, par la contemplation du regardeur, en phase avec l’auteur via l’œuvre vraiment regardée _ sortir de nous _ voilà _, savoir _ atteindre, découvrir, apprendre, connaître, explorer _ ce que voit un autre de cet univers _ sien _ qui n’est pas le même que le nôtre, et dont les paysages _ le mot est donc présent ici sous la plume aussi de Proust ! _ nous seraient restés aussi inconnus que ceux qu’il peut y avoir dans la lune _ et donc, « le style, c’est l’homme-même« , selon l’intuition très lucide de Buffon.

Grâce à l’art, au lieu de voir un seul monde, le nôtre, nous le voyons se multiplier, et, autant qu’il y a d’artistes _ vraiment _ originaux _ et sans artifices pour s’en donner seulement l’apparence trompeuse, sur le marché de l’art _, autant nous avons de mondes _ via nos regards ainsi descillés _ à notre disposition, plus différents les uns des autres _ en leur singularité et leur style unique _ que ceux qui roulent dans l’infini _ cosmique _, et qui, bien des siècles après qu’est éteint le foyer dont il émanait, qu’il s’appelât Rembrandt ou Ver Meer _ ou Sophocle, dans la parole de Marx ; ou Mozart, ou Schubert _, nous envoient encore leur rayon spécial  » _ à nous d’apprendre à le capter…

Fin de la citation.

car j’ai très vite pris conscience _ je reprends l’élan de ma phrase _

que cet Enfance, dernier chapitre reprenait et prolongeait, en un très vaste geste de grande cohérence et d’archi-lucide approfondissement, rien moins que l’œuvre entier, ainsi que, plus fondamentalement encore, la vie entière de René de Ceccatty _ lui-même me le confirmant très vite, au passage d’un échange nourri de courriels _,

remontant, donc, jusqu’à ses tous premiers écrits de jeunessequ’il me fallait, en conséquence, impérativement lire _ du moins ceux publiés, à partir de septembre 1979 (pour Personnes et personnages) _ pour les vraiment connaître, ligne à ligne en quelque sorte, eux aussi :

d’abord, la série _ passionnante et magnifique ! _ consacrée à ses amours malheureuses (de novembre 1993 à octobre 2002) avec celui qu’il nomme Hervé : Aimer (paru en 1996), Consolation provisoire (1998), L’Éloignement (2000), Fiction douce (2002) et Une Fin (2004) ;

puis, celle consacrée à ses amours encore bien compliquées et bien déceptives avec celui qu’il nomme Raphaël : L’Hôte invisible (2007) et Raphaël et Raphaël (2012) ;

mais aussi le riche recueil de nouvelles, paru en mars 1993 au Mercure de France, Le Diable est un pur hasard ;

la très engagée _ et cruciale ! _ biographie de Violette Leduc, sous-titrée Éloge de la Bâtarde, parue chez Stock en 1994, et ré-éditée en 2013, qui comporte de multiples et très précieuses indications autobiographiques de la part de René de Ceccatty ; indications qui témoignent, aussi, de la place éminente et cruciale _ j’insiste _ à la fois, de la lecture, au cours de la décennie 70, de l’œuvre de Violette Leduc par René, et du rôle décisif de cette entreprise biographique _ qui fut d’abord, et c’est à relever, une thèse de philosophie, sous la direction, si l’on peut dire, du leibnizien Yvon Belaval, qui fut soutenue à la Sorbonne, en décembre 1980 _ dans le devenir écrivain de René de Ceccatty ! C’est là un travail absolument décisif ! ;

et, surtout, ses trois _ assez extraordinaires ! _ premières œuvres signées de son nom _ dont, geste merveilleux, René de Ceccaty m’a adressé un exemplaire de chacune _, publiées aux Éditions de la Différence _ lesquelles viennent hélas de mettre la clef sous la porte : ces œuvres ne sont donc plus disponibles en librairie… _, et consacrées à ses toutes premières amours _ Hugues, Jacques, à défaut de son premier amour, Norman : du moins c’est ainsi que René de Ceccatty les prénomme en faisant des personnes rencontrées (et désespérément aimées de lui), des « personnages«  _Personnes et personnages (publié en septembre 1979), Rues et jardins des capitales (septembre 1980) _ une œuvre stupéfiante qui m’a époustouflé ! un pur chef d’œuvre… _et Esther (février 1982). .

Car Enfance, dernier chapitre entreprend _ pour peut-être enfin comprendre vraiment… _ de reprendre à la base, c’est-à-dire à la petite enfance de l’auteur _ d’abord en Tunisie, de sa naissance le 1er janvier 1952 à son départ, fin juin 1958 ; puis à Montpellier, jusque vers 1963, année de la probable « sortie de la petite enfance« , à la fin de sa classe de 6e, comme l’estime René de Ceccatty lui-même… _, les constituants _ voilà ! _ de base et référentiels cruciaux de toute son expérience de toute sa vie.

Car « l’enfance,

insiste René de Ceccatty page 349 d’Enfance, dernier chapitre,

se poursuit _ mais oui ! _ à l’âge adulte,

qu’elle nourrit _ terme capital : elle donne les modèles des principaux comportements qui seront à suivre ; et, presque en aveugles, le plus souvent imités et copiés _

et qui ne cesse _ aussi, cet âge adulte _ de la revivre _ dans des répétitions étranges, plus ou moins pathologiquement subies _

ou de la réinterpréter » _ quand on parvient à enfin un peu mieux la comprendre, cette enfance _ ;

de même qu' »elle _ cette enfance, toujours _ cherche dans les enfances des autres (parfois plus jeunes, parfois plus vieux, parfois ayant vécu dans d’autres cultures et d’autres milieux) son propre écho« 

_ de normalité-conformité, en quelque sorte ; et de même, encore, qu’elle cherche cet écho dans, si possible, de grands livres : quand les « analogies«  ou « semblances«  esquissées et tentées, pourraient nous devenir vraiment pertinentes et vraiment éclairantes, au lieu des confusions projectives paresseuses et complaisantes, désastreuses, elles, voire pathologiques : fi des illusions des grossiers amalgames trompeurs et des clichés !..

Et cela _ cette résurrection, donc, de l’enfance _  advient tout particulièrement dans la proximité _ physique des corps, et essai de tendresse : quand on se livre entièrement et vraiment _ amoureuse.

Lisons ce très beau passage, aux pages 400 et 401 :

« L’intimité sentimentale, la violence des sentiments _ les deux sont très proches, voire coexistent _, font resurgir _ voilà _ l’enfance.

Les premiers rapprochements des corps sous l’emprise conjuguée du désir et de l’amour,

appellent aux confidences, érotisant _ dont acte _ l’enfance.« 

Et cet autre, à nouveau page 401 :

« Dans l’amour,

à l’âge adulte (si jeune ou vieux soit-on),

l’enfance redevient _ les verbes sont tous très importants _ cruciale.

Elle revient _ rien moins ! _sur un mode tantôt mièvre et complaisant, tantôt tragique.

Nul amour ne remédie _ certes _ aux peines inconsolables _ c’est dit _ de l’enfance.

Et c’est même, cette confrontation,

l’épreuve contre laquelle s’écrasent _ voilà _ tant d’illusions _ de soi à soi : un phénomène terriblement ravageur. Que de dégâts !

Incapables de se mesurer _ et résister victorieusement _ aux forces indestructibles _ à ce point ! _ de l’enfance,

combien d’amours ont été défaites _ sans relevailles réussies _ au terme de ce combat

qui _ de même que l’Inconscient _ ignore le temps,

et fait resurgir _ le verbe revient donc _ dans l’étreinte des amants,

le spectre _ terriblement assassin _ d’une enfance _ irréversiblement et irrémédiablement _ meurtrie.

C’est dans cette réapparition _ spectrale _,

et dans cette incapacité,

parfois toutes deux _ confuses et perturbantes qu’elles sont _ à l’insu des amants (l’inconsolable et celui qui échoue à consoler _ à preuve, ici, Consolation provisoire, paru en 1998 : le second volume des péripéties de la relation à Hervé, avant (et chaque titre parle !) L’Éloignement, Fiction douce et Une Fin _),

que se niche le secret des _ incompréhensibles sinon _ échecs amoureux, des ruptures, des désespoirs _ subis et atterrants : dévastateurs.

(…)

L’amoureux étant une ombre vide _ sans pouvoir ! _,

et l’inconsolé, un spectre terrifiant _ et non résistible…

C’est ainsi que je m’explique mes défaites amoureuses _ reconnait et assume l’auteur.

Je parle (…) des liaisons qui se sont _ inexorablement _ délitées _ celle avec Hervé, et celle avec Raphaël, singulièrement _

et qui m’avaient mis en présence de démons,

non pas venus de mon enfance,

mais de celles de mes partenaires _ qui les subissaient, sans remèdes _ :

je n’étais _ cependant _ pas _ non plus moi-même _ à la hauteur« 

_ cette situation, très durablement prolongée, qui plus est, ces deux fois-là, ne manquant pas, non plus, en lecteur engagé en sa lecture que je suis, de m’interroger…

L’écriture formidablement vivante de cet Enfance, dernier chapitre procède d’une nécessité personnelle très puissante de la part de l’auteur :

« Je suis piégé.

Piégé par le gouffre d’un passé qui m’aspire«  _ lit-on, avec gravité et même effroi, page 27 :

l’injonction (de mémoire,

et donc d’œuvre à réaliser comme moyen de tenter de domestiquer si peu que ce soit cette surpuissante mémoire,

et affronter pour le vaincre le « gouffre«  aspirant des impressions, « ombres«  et « spectres«  tellement vivaces, issues du passé tel qu’il a été vécu et ressenti…),

est donc au moins aussi forte que l’« aspiration«  vertigineuse du « gouffre«  même de ce passé gravement blessé  !

Mais c’est aussi sans doute, quelle que soit son inefficacité, la moins mauvaise des solutions ; du moins pour quelqu’un qui écrit. René de Ceccatty consacre à cette réflexion quelques pages elles aussi extrêmement lucides. Biaiser et fuir lâchement est encore plus sûrement contreproductif.

Nécessité personnelle étroitement liée aussi, conjoncturellement _ et ce point est bien sûr très important _ au moment _ d’assez étroite fenêtre temporelle _ de l’écriture de cet immense livre, au devenir-détérioration-naufrage du vieillissement de sa mère (née le 22 mai 1924), qui allait s’accélérant, ces années-là de la décennie 2000, avec tout particulièrement la dégradation catastrophique de sa mémoire immédiate, et un relatif maintien _ mais pour combien de temps encore ? _ de bribes-lambeaux de sa mémoire la plus ancienne ;

sa mère : sa plus étroite confidente de toujours, et son témoin affectivement le plus proche et le plus sûr

_ le cas de son frère Jean, lui aussi écrivain, étant à mettre bien à part ; leur lien est lui aussi, ultra-sensible, et la mise en regard de leurs regards respectifs sur leur mère (et leur père), mais aussi sur leurs vies (ainsi que leur œuvre à tous deux) demande les plus grandes précautions ; dont acte _

qui demeurait encore, la dernière _ autour de lui _ de cette plus lointaine petite enfance… ;

et à laquelle René, de Paris, venait régulièrement rendre visite à Montpellier _ où résidaient et sa mère et son frère :

« Je vais et je viens _ par de constants allers-retours _ dans ma mémoire

à la fois ravivée _ par les questions de sa mère _

et éteinte _ par la survenue de nouveaux souvenirs-écranspar mes visites aux Violettes _ la maison de retraite où finit par entrer sa mère en 2011.

Maman, attendue et inattendue, prévisible et imprévisible, fait _ donc, elle aussi  _ renaître des souvenirs _ mais oui ! _ en me posant les mêmes questions sur les protagonistes de son passé, qui ont échappé _ mais pour combien de temps ? _ à la destruction _ progressive et implacable _ de sa mémoire«  _ lit-on page 29 :

ce sont là, pour René, des éléments incitateurs de mémoire à propos de son enfance, tant en Tunisie qu’à Montpellier…

Quant à sa propre mémoire,

et aux lieux

_ divers, en effet, de par le monde, et donc ailleurs même, bien sûr, qu’à Montpellier ou Mégrine, en Tunisie (où René vécut les deux périodes de son enfance effective, objective : de 1952 à 1958, puis de 1958 à 1963…) :

nous allons comprendre pourquoi et comment de nouveaux lieux plus tardifs et extérieurs à ceux où fut effectivement et objectivement vécue l’enfance, voire carrément à leurs antipodes géographiques,

viennent pourtant pleinement participer, poétiquement et sensitivement, à l’élaboration la plus véridique de l’authentique « paysage intérieur«  ayant constitué et constituant encore, à l’âge adulte, l’enfance, au final inachevable, telle que singulièrement ressentie (et reconnue comme telle par lui) de René de Ceccatty _

auxquels cette mémoire essaie de (et parvient, et réussit, à _ mais est-ce entièrement volontaire ? non ! l’alchimie poétique est bien plus riche, ouverte et complexe ! _) s’accrocher,

Ainsi René écrit-il superbement, et de toute sa foncière honnêteté, et dès la page 36 de son Enfance, dernier chapitre :

« Quelques lieux _ auxquels tenter, alors, au moment de l’écriture, d’arrimer l’effort de sa mémoire _ tiennent _ et secourent _ encore.

Comme les cyprès de la cour _ du petit appartement de René à Montpellier, où il réside quand il vient rendre visite à sa mère (et à son frère Jean) ; ces cyprès tendus tels de longs doigts vers le ciel… _,

comme l’appartement de ma grand-mère maternelle _ à Montpellier aussi (celle-ci est décédée en 1983) _, devant lequel je passe en me rendant aux Violettes _ la maison de retraite où réside sa mère depuis 2011 _,

comme le pavillon de la colline de l’Aiguelongue _ toujours à Montpellier _ où vivait ma grand-mère paternelle _ décédée à Montpellier en 1995 _,

comme

_ et nous voici maintenant ailleurs, dans l’espace comme dans le temps, de l’enfance telle qu’elle s’est effectivement passée et a été intérieurement vécue _

la maison de Brosses en Bourgogne _ non loin de Vézelay _ où j’ai écrit pendant dix ans _ durant les années 80 et 90 _,

comme la Villa Kagurazaka de Tokyô où j’ai séjourné dix-huit mois _ en 1977-78-79 ; et sur un tout autre continent, l’Asie, que l’Afrique et l’Europe de l’enfance objective et intérieurement vécue de René :

« habiter, écrire, ne se feraient désormais que sur le modèle _ et c’est décisif ! _ japonais, face à _ voilà _ la fenêtre donnant _ celle-ci la toute première _ sur un paysage _ offert au regard, ouvert sur des lointains clairs (et potentiellement maritimes), à l’inverse complet du vertige aspirant d’un « gouffre«  noir… _ aéré, aérien, dominé par le ciel, le soleil, la lumière, l’espace nu, qu’il soit urbain ou champêtre« , doit-on bien remarquer et retenir, à la page 37 : cette vue ouverte sur le ciel aidant considérablement l’imageance de l’artiste _,

dans le quartier d’Iidabashi,

comme _ enfin, découvert le plus récemment, en avril 2014 _ les collines d’Oulhaça El Gheraba près de Beni Saf

_ un lieu où vient de, très brièvement, se rendre René ce printemps récent-là (à l’occasion d’une commémoration du poète Jean Senac) en une Algérie où ni lui, René, ni sa mère, n’avaient jusqu’alors jamais porté leurs pas, et dont la rencontre (éblouie : « à demi aveuglé par le contrejour, parmi les ânes et les tombes« , lira-t-on, plus loin, page 382) constitue probablement la clé (découverte presque par hasard, et quasi involontairement, sans préméditation, du moins : une grâce de la vie tardive) de tout (rien moins !..) cet immense livre-recherche qu’est Enfance, dernier chapitre, et de la pacification irénique (pardon du pléonasme !) qui a merveilleusement suivi cette miraculeuse « visite«  algérienne… Les Irène (dont le prénom, grec, signifie « paix« ), aidant à apaiser la douleur des blessures (par flèches reçues) des saint-Sébastien…

Saint-Sébastien soigné par Irène est un sublime tableau du peintre arlésien Trophime Bigot, conservé au Musée des Beaux-Arts de Bordeaux _,

Et je reprends ici l’énumération des « lieux qui tiennent encore » de la phrase de la page 36 :

« Quelques lieux tiennent encore,

comme les cyprés de la cour,

comme l’appartement de ma grand-mère maternelle devant lequel je passe en me rendant aux Violettes,

comme le pavillon de la colline de l’Aiguelongue où vivait ma grand-mère paternelle,

comme la maison de Brosses, en Bourgogne, où j’ai écrit pendant dix ans,

comme la villa Kagurazaka de Tokyo où j’ai séjourné dix-huit mois, dans le quartier d’Iidabashi,

comme

_ aussi, et tout particulièrement, même si (et alors que), à ce moment encore précoce, page 36, de son récit-enquête, rien encore de spécifique ne vient signaler au lecteur la singularité et l’importance (très grande) de ce lieu-là, pour l’avancée de la conquête du dessin de ce « paysage intérieur«  de son enfance, dont il cherche si fort à dessiner et clarifier les traits ! _

les collines d’Oulhaça El Gheraba, près de Béni Saf,

car maintenant le paysage algérien est venu ajouter _ et très positivement, il faut y insister ! Et c’est même tout bonnement, la clé principale du « paysage intérieur«  découvert in fine, et s’étant élaboré tout au long de l’enquête personnelle, singulière, idiosyncrasique, que constitue aussi ce merveilleux livre… _

son filtre, son « transparent »«  

aux filtres et « transparents » déjà présents, et successifs, rajoutés _ positivement déjà, eux aussi _ au fil des années, séjours et voyages, de la mémoire de René, et de l’écriture inspirée et respirante de ce merveilleux livre.

Car, en effet, de nouveaux lieux, conducteurs, électriques, d’émotions mémorielles de son enfance vécue  _ ou en fournissant, du moins, d’efficients sinon équivalents, du moins analogues ; et même de stupéfiantes nouvelles clés : miraculeusement éclairantes ! _sont venus s’ajouter, et qui, paradoxalement, aident le narrateur de cette quête, René de Ceccatty, à accéder _ quelques magiques « télétransportations«  aidant _,

à travers et en dépit de l’éloignement paradoxal des lieux et des années,

à accéder à la découverte de ce qu’il nomme superbement, pages 101 et 382, son « paysage intérieur » personnel

(page 248, il utilise aussi l’expression de « mon paysage« ),

qui se peaufine et s’améliore ainsi ; et vient de mieux en mieux, de plus en plus précisément et justement, se dessiner, au fil des découvertes mémorielles successivement rafraîchies et des pages successivement rédigées.

De même qu’il use, page 341 ,

de l’expression aussi très significative _ à la fois géographique et mentale : dans l’espace, le temps, la mémoire, et aussi ce que je nomme « l’imageance«  _ de « voyage intérieur« 

pour désigner ce processus d’enquête mémorielle (et d' »imageance« , donc) de son livre ;

et page 382,

de l’expression capitale, cette fois, de « visite intérieure« ,

afin de spécifier, cette fois très singulière, l’apport véritablement unique _ et totalement inouï les heures précédant cette « visite« , qui seulement là va se révéler, en son intimité si chaleureuse, quasi familiale _ de cette rencontre algérienne _ rencontre irénique : pacifiée et heureuse, enfin ! après toutes ces années tourmentées (et même violentes) _ de son « paysage » _ pas seulement un paysage géographique, mais aussi un paysage affectif ; en cette « visite intérieure«  passant par le « cimetière familial«  (page 382) de la famille de Julien (qui n’y est jamais venu), « un petit cimetière qui ne comptait qu’une dizaine de tombes blanches, limitées, chacune, par deux stèles dont l’une portait le nom du défunt en caractère romain et l’autre en arabe«  (page 383), et où repose « Khadra, la mère de Julien«  (page 383) _,

qui est aussi le paysage d’Oulhaça El Gheraba :

« Or, je n’ai éprouvé cette sensation _ voilà _

de visite intérieure _ de ce qui demeurait en lui (à pacifier !) de son « enfance intérieure » qui fut si angoissée…  _

dans aucun des paysages _ revus en y retournant plus tard, par exemple ceux de Tunisie, mais pas seulement eux _

de ma propre enfance » ;

et encore, page 346,

de l’expression de « musée intérieur« ,

employée pour désigner à nouveau _ mais cette fois lui-même se trouvant, et se représentant, en la situation d’écrire, en son petit appartement de Montpellier _ le lieu principal sans doute où se déploie le processus d’enquête mémorielle et d’écriture qui lui est attachée, constitutif de tout ce livre :

« J’édifie _ à Montpellier, donc, et chez lui, dans son petit appartement avec, dans la cour, des cyprès dressés vers le ciel mauve pervenche _

et je meuble

un musée intérieur

ici même » _ et en particulier ce jour (d’hiver) d’écriture, mémoire et imageance-là : parmi les photos, les tableaux, quelques objets et meubles (mais très, très peu, en fait, ont été conservés par René) et les archives familiales, surtout, que René a recueillies et conserve, sans forcément procéder, non plus, à leur dépouillement exhaustif…

Un peu plus haut, en cette même page 346,

René de Ceccatty avait repris cette situation-cadre _ liant fenêtre ouverte sur le ciel, arbres verts, et écriture _ qui constitue comme le cadre-fil rouge du livre _ au fil de ses quelques télétransportations outremer (et outreterre aussi : par exemple vers les forêts denses de la Creuse, ou le Tarn-et-Garonne natal de son père, un paysage riant) _ :

« Je vois par le balcon _ de son petit appartement montpelliérain _ le ciel mauve pervenche de la deuxième moitié de l’hiver, et je confirme que Courbet _ à la différence de Frédéric Bazille _ a manqué cette nuance _ de mauve pervenche ;

cf plus haut mes illustrations de cette nuance de mauve pervenche si bien saisie par le languedocien Bazille, et qu’a manquée, dixit René, le jurassien Courbet (et c’est dans ce même Jura qu’étaient installés, depuis le XVIIe siècle, venus de Vénétie, les ancêtres Pavans de Ceccatty de la branche paternelle de René et de Jean).

L’un des cyprès découpe habilement à contre-jour _ un élément qui revient, et marque le regard _ ses doigts de sorcière dressés vers le soleil dont les rayons déposent sur les rideaux des paillettes insolentes _ sur le mode anomique du clinamen lucrétien _ et des ombres molles _ légèrement mouvantes : « vibrantes, changeantes, palpitantes« , pour reprendre les trois qualificatifs de la page 260.

Et un rectangle de lumière crue sur les carreaux polychromes _ sont-ce les mêmes ou bien en sont-ce d’autres que ceux d’un des (quatre successifs) appartements de Montpellier (peut-être le dernier, aux Marronniers ?) de ses parents ? _ des années 1960 de mon enfance. »

Et juste en suivant la phrase « J’édifie et je meuble un musée intérieur ici même« ,

ceci encore, aux pages 346 et 347 :

« J’ai ouvert les fenêtres _ du petit appartement _ :

un vent tiède anime les reliques _ familiales (photos, paysages peints, de son père, correspondances, journaux intimes de ses parents) que l’appartement recèle et que René conserve précieusement : d’où le choix ici de ce terme de « musée«  _, caresse le carrelage,

fait virevolter élégamment les poussières dans le faisceau du soleil _ à la façon, ici encore, du clinamen de Lucrèce.

Au loin, quelques nuages bas rappellent la menace _ d’orage _ qui pèse sur le miracle _ un terme à souligner : en effet, ils existent et sont toujours fugaces et fragiles : à nous d’apprendre, avec Kairos, à les saisir _ de transparence matinale.

Une petite fille arabe _ qui est-elle ? _ balbutie sur le trottoir en sautillant.

Me revoici _ comme soudain télétransporté ! _ de l’autre côté de la Méditerranée _ en Tunisie ? en Algérie ?

Je m’éloigne des Indes, du Jura, de cette part connue et inconnue d’une ascendance _ côté paternel, ici : celui des Pavans de Ceccatty _ que j’ai en commun avec une petite foule _ de parents, et encore aujourd’hui de cousins. Encore que les branches mortes _ à chaque génération _ n’aient pas manqué« 

_ l’Algérie, elle, se trouvant,

sauf l’épisode paternel de préparation militaire d’Arzew (en 1943-44 : les mois précédant le départ de son père pour les Etats-unis : ses parents se connaissaient depuis l’été 1943, et s’étaient promis l’un à l’autre, mais ils ne se marièrent, à Tunis, qu’en février 1946),

du côté de l’ascendance maternelle ; et cela depuis l’arrière grand-mère Gabrielle qui avait débarqué en Algérie, au Telargh, en 1884 (cf page 34 du livre) ;

mais aussi, nous venons de le voir, du côté d’Oulhaça El Gheraba et de la famille de son ami Julien, même si celui-ci est « né en France« , et n’a pas encore posé un pied en Algérie.

Mais l’Algérie, c’était aussi et surtout le pays de la guerre, et des violences qui y font fait rage dès 1945, et tout le temps de l’enfance de René en Tunisie, à Mégrine (de 1952 à 1958) ; et même a continué de planer sur sa famille la noire ombre portée de ces violences d’Algérie, après leur installation bousculée à Montpellier l’été 1958… 

Émotions mémorielles « intérieures » :

inéchangeables avec quiconque aurait pu au même moment, et en même temps que lui, les vivre : pas même avec son frère Jean.

C’est en effet la singularité de cette « enfance intérieure » qui intéresse très spécifiquement, et exclusivement, René de Ceccatty ; et non ce qu’il peut y avoir de commun avec d’autres, fut-ce avec son frère Jean.

Car ces émotions mémorielles « intérieures » sont de l’ordre de ce qui est singulièrement ressenti _ que ce soit de fait, ou potentiellement, en puissance _, et qui donc ne peut pas être commun ; pas plus qu’objectif, ni objectivable : sinon, peut-être, justement, mais très médiatement alors, en cette matière signifiante très subtile (et génialement conductrice) qu’est le miracle obtenu et réalisé par l’écriture des sensations et émotions personnelles en pareil _ ou de semblable pouvoir _ chef d’œuvre d’art à réaliser…

Un « paysage intérieur« 

qui n’est,

pas davantage que ceux que peignait son père, dans la Creuse,

réalisé ici _ en l’écriture _pour lui non plus, à son tour, directement et immédiatement « sur le motif« 

(et même carrément immergé en ce « motif« ,

comme il le fallait probablement au départ, pour les premières impressions « motivantes » et inspirantes,

pour les paysages _ vraiment peints ensuite seulement, un peu plus loin et un peu plus tard que sur le vif de ce « motif« , en atelier et au calme gagné par ce recul spatial et temporelde son père),

mais seulement et plus tard, médiatement,

d’après _ d’après seulement, et à partir de _ ce « motif« 

_ ce « motif«  premier émouvant et premier moteur, qui, ayant, en tel lieu particulier inspirant, effectivement ému et touché la sensibilité de l’artiste, a continué, par les harmoniques allongées de ses résonances singulières en lui, de provoquer et mouvoir la dynamique du geste d’art qui est venu seulement ensuite, un peu après (et en suite de cela) pour exprimer quelque chose plus ou moins directement issu de ce « motif«  de départ, en quelque œuvre plus ou moins complexe (et jamais une pure et simple copie brute) réalisée :

tel, autrefois, le geste « dansé«  de peindre du père de René, et, comme, il y a peu, le geste aussi, et « dansé« , d’écrire de René, en la lente et riche gestation-maturation de son livre ; gestes dont les traces, les œuvres, peut-être à leur tour, émouvront, plus tard encore, à la lecture, le lecteur du livre, au regard, le regardeur du tableau ou de l’image, à l’écoute, l’écouteur mélomane du disque ou du concert de musique, se mettant à son tour, lui, à « danser«  ; lecteur-regardeur-écouteur qu’à l’occasion, nous pourrons nous trouver, les uns ou les autres, en concordance et résonance vraie avec une œuvre, avoir quelque jour à être : modestement « dansant » à notre tour et dans son prolongement vibrant… _

et toujours avec un minimum de retard, de recul, et au calme (celui du silence vibrant aussi de rumeurs et de lumière d’une chambre-cellule d’écriture ou/et lecture : et si possible avec vue sur le ciel et les nuages, « les merveilleux nuages » baudelairiens…),

avec, en l’œuvre, ce qui va demeurer (et continuer d’agir sur nous) d’un minimum de « recul » de « composition » (ou « mise en scène » _ et ici René de Ceccatty, auteur, s’inspire de l’exemple de la rédaction des trois volumes de mémoires, de son ami Hector Bianciotti, à partir de (et après) son expérience acquise, auparavant, de romancier de fiction _) qui l’éclaire, ce « paysage intérieur » de l’enfance, et le rende, ainsi, un poil plus lisible, mieux ressenti et enfin mieux compris…

Par l’art, toujours à conquérir _ et c’est un processus sans fin : « tant qu’il y aura de l’encre et du papier au monde« , écrit Montaigne en son essai De la Vanité, III, 9 ; René de Ceccatty le sait bien lui aussi… _, de la littérature et de la poésie.


Le regardeur du paysage peint, comme le lecteur du livre de littérature imprimé, ou comme l’écouteur mélomane de musique enregistrée au disque (ou écoutée au concert), a besoin, pour une vraie et profonde lecture-réception active-imprégnation empathique de l’œuvre de « paysage » rencontrée et abordée sur le terrain _ et cela, en quelque art que ce soit _d’une certaine (haute) qualité de recul, de retard, de silence subtil _ y compris au milieu d’autres _ de sa propre imageance, de sa propre réflexion et de sa propre méditation _ à l’écart le plus possible des mortels clichés qui éliminent les singularités _ ;

il a besoin du plus large spectre de résonances et harmoniques adéquates, lesquelles seules permettent l’accès vrai _ par « télétransportation« , donc : le mot-hapax, à la page 306 de ce merveilleux Enfance, dernier chapitre, me devient familier ! _ à ce qui, via l’œuvre, va, à nous aussi, nous parvenir, par ces étranges transports _ « télétransportations«  donc, pour nous aussi : il y a vraiment quelque chose de magique là-dedans… _ de l’alchimie sensitive des toutes premières impressions _ inspiratrices et mobilisatrices de l’imageance _ vécues et ressenties en première ligne c’est-à-dire éprouvées « sur le motif » premier, originaire et mobilisateur, voire dans quelque pleine et presque totale immergeance en lui : je pense ici à un Cézanne face au (et dans le) paysage s’imposant à lui de la Sainte-Victoire, un peu plus haut que son atelier, et entre les oliviers, au-dessus d’Aix.; comme notre Frédéric Bazille de Montpellier, au Méric… _ par les artistes-auteurs, ayant nécessité déjà elles-mêmes, ces toutes premières « impressions » étranges et mobilisatrices, une certaine qualité de recul et de résonance _ à laisser sonner, ou dissoner _, de leur propre part, à eux _ ne serait-ce que de bien vouloir consentir, eux, à se prêter à elles, de bien vouloir accepter, eux, de les accueillir, elles, en leur étrangèreté anomique singulière, le plus pleinement et justement possible, quand la plupart, au contraire, redoutent et fuient cela ! _ ;

ainsi que d’une opération, par l’artiste, de mise en perspective, ensuite, en l’œuvre se réalisant _ en toute sa matérialité physico-chimique, cette fois _ par laquelle le processus de transfiguration-transmission, maintenant en cette nouvelle étape, passe ; et à laquelle, provisoirement, il aboutit ; en attendant que la « vision » ainsi captée, saisie et notée, en mode « paysage« , ne vienne, à notre tour, nous lecteurs-spectateurs-auditeurs, nous toucher-émouvoir, en quelque sorte en bout de bout de ligne. Et à charge pour nous, encore, d’aider, comme on le peut, à partager cela : avec d’autres, élargissant ainsi, avec rigueur, et sans confusionnisme, le spectre qualitatif des résonances singulières _ c’est du moins ainsi que je le ressens…

Le « défi » de la consonance des âmes s’atteint en effet seulement au prix de la satisfaction des exigeants et subtils réquisits qualitatifs, à chacune des étapes de cette très improbable _ improbable déjà, et au moins, en son étrange impulsion de départ, mais improbable encore à chacune des étapes… _, chaîne d’émotions et gestes (d’art) s’alignant et se mettant d’étape en étape en phase…

Voici in extenso, aux pages 101, 382 et 248 d’Enfance, dernier chapitre,

le détail des phrases des trois références _ cruciales _ à propos de ce « paysage intérieur » de René de Ceccatty,

auxquelles je viens de me rapporter :

_ la première phrase se trouve à la page 101 :

« Le paysage intérieur de l’enfance  _ telle est l’expression capitale ! il s’agit du « paysage«  ressenti, en soi (et singulier), des émotions et sensations _

ne se présente-t-il pas à nous  _ remarquons la prudence et la modestie de la forme interrogative choisie _

comme une langue étrangère,

un chaos onirique _ c’est à la fois très mystérieux et très déroutant et déstabilisant ! _,

qui réclament tous deux voilà ! _

pour être traduits

_ et c’est bien à une telle transposition poétique, avec visée de la plus grande vérité accessible de sensations ressenties, que nous avons ici à faire, afin de nous faire accéder, dans toute leur magie, aux impressions-sensations auxquelles mènent les « télétransportations«  du récit… ;

page 37, René de Ceccatty (grand traducteur, principalement de l’italien et du japonais) parle aussi, à son propos d’auteur, du geste d« accueillir en moi un système de traduction visuelle et intérieure,  fabriqué _ pour ce qui le concerne, lui _ durant mon séjour à Tokyo _ où débutèrent ses travaux de traduction du japonais _ sur la colline de Kagurazaka, dans l’îlot de Fukuromachi, où mon petit appartement allait, par ailleurs, inscrire en moi une forme définitive _ et c’est absolument crucial pour lui ! _ de l’habitation et de l’écriture«  (liés, comme on le voit ici)… _

un curieux mélange _ assurément ! _ 

d’oublis,

de faux sens,

d’à-peu-près

_ et revoici la semblance flottante (cet improbable bricolage de fou !) dont parlent si bien, et Marie-José Mondzain, et Michel Deguy, très fins hellénistes tous deux ; cf la vidéo et le podcast de mes merveilleux entretiens avec eux deux, le 7 novembre 2017 avec Marie-José Mondzain, au Théâtre du Port-de-la-Lune, et le 9 mars 2017 avec Michel Deguy, à la Station Ausone de la librairie Mollat ; qui complètent en beauté mon entretien si riche et magnifique (cela dit en toute humilité et modestie) avec René de Ceccatty au Studio Ausone de la librairie Mollat, le 27 octobre dernier, dont re-voici le lien au podcast _

qui, cahin-caha

_ par un sublime invraisemblable bricolage inspiré on ne sait par quelles improbables conjugaisons, plus ou moins cahotées (!), d’intuitions-inspirations essayées et tentées, avec « diastole et systole«  (Marie-José Mondzain), ou un « admirable tremblement du temps«  (Chateaubriand, puis Gaëtan Picon) ; René de Ceccatty parle, lui (page 260), de « relation vibrante, changeante, palpitante«  des souvenirs entre eux… _,

parviennent _ par quelle paradoxale transmutation ? mais elle advient ! _

à une forme _ seulement un peu étrange, mais étonnamment juste ! _

de vérité _ mais oui ! le résultat de l’œuvre terminale est incommensurable avec les données très parcellaires et fort décousues, et d’abord inertes (car isolées), de départ… _ 

miraculeusement _ et dynamiquement, grâce à ces archi-vivantes mises en connexion _

restituée ?« , page 101 ;

et c’est là rien moins que la clé majeure, si paradoxale soit-elle, mais justement !.,

de toute la poiesis merveilleuse de René de Ceccatty, il faut le souligner !!!

La seconde suite de phrases se trouve à la page 382 :

« Lorsque, conduit par deux amis algériens, Hamir Nacer et Mourad (je ne connaissais le second que depuis la veille), j‘ai découvert les hauts plateaux d’Oulhaça El Gheraba,

il m’a semblé que j’entrais dans _ et c’est à prendre à la lettre : sur le modèle de son père pénétrant le paysage très dense des épaisses forêts de la Creuse ; et s’y immergeant carrément !.. _

un paysage intérieur _ sien, propre _,

un arrière-pays _ et ici, nous retrouvons le mot et l’intuition sublimes d’Yves Bonnefoy ; lire son magique L’Arrière-pays _,

qui réunissait _ fraternellement _   

mon enfance

(qui pourtant n’avait _ en effet ! _ pas connu un tel paysage, puisqu’elle se divisait entre la nudité marine du Nord tunisien, le Languedoc, et les forêts touffues traversées de torrents et éclairées de pâturages montueux du centre de la France _ dans la Creuse, autour de Bourganeuf _)

à d’autres enfances _ d’autres personnes que soi _,

et à une Bourgogne _ aussi : serait-ce celle de la maison du village de Brosses ? mais là René de Ceccatty demeure elliptique et choisit de n’en pas développer les raisons : quelque chose peut-être de l’ordre d’une « plaie« , probablement toujours à vif en lui : comme à l’égard du Japon, ou de la Corée… ; ou bien plutôt, et bien plus positivement, il s’agit plutôt ici de la Bourgogne des « craus » situées du côté du Creusot (dans le département de Saône-et-Loire, où s’étaient installés les parents de son ami Julien)… Il m’aura fallu plusieurs lectures (et mises en relation d’éléments épars dans le livre, et ailleurs) pour m’en rendre compte : « lire, vraiment lire » demande un minimum de patience, continuité et perspicacité empathique !

le prénom « Julien » apparaît à huit reprises, et très disséminées dans le récit :

pages 30, 56, 212, et ces trois fois dans la même expression « mon ami Julien« 

(page 30, à propos d’Oulhaça El Ghera, le « village de l’arrière-pays d’où est originaire la famille de mon ami Julien«  ;

puis page 56, à propos d’une conversation de René avec sa mère, aux Violettes (où celle-ci est entrée en 2011), dans laquelle « nous commentions l’existence des trois enfants de Julien«  ;

et page 212, à propos de l’invincible différence, entre René et son frère Jean, du « regard sur nos expériences partagées«  : « Que dire alors de mon ami Julien et ses dix frères et sœurs ?« … ;

puis page 269, lors de la perte brutale (« qui m’a déchiré« , écrit-il)  de son amie Catherine Lépront, dans l’expression « j’ai pu, en partie, amoindrir le deuil en le vivant avec Julien _ voilà _ près de moi et près d’elle qui l’aimait beaucoup «  : la mort de Catherine Lépront est survenue le 19 août 2012 ; René de Ceccatty venait d’écrire à la phrase qui précède : « La mort de mes amis (Gillles Barbedette, Clarisse Nicoïdski, Elisabeth Gille, Hector Bianciotti) m’a plongé dans un état de stupeur qui prouvait le caractère inattendu de sa violence » ; et à la page précédente, René de Ceccatty avait écrit : « le deuil de l’amour est paradoxalement moins cruel que celui de l’amitié qui repose sur la réciprocité, sur le partage, sur l’échange. Dans le cas d’un amour partagé, la mort du partenaire produit _ il est vrai _ un effet analogue (et sans doute plus désespérant _ encore _) à celui que produit la mort d’un ami avec qui on échangeait analyses, émotions, confidences, rires tentant d’atteindre la vérité. Mais souvent l’amour se vit dans la solitude que la mort de l’autre ne fait que confirmer » : René évoquant ici ce que fut pour lui la mort d’Hervé en octobre 2002… ;

puis à la page 382, au moment de cette renversante « visite intérieure«  à Oulhaça El Gheraba,  avec la bouleversante émotion de « cette hospitalité dont le prénom de Julien avait été le sésame«  magique ! ;

et deux fois encore, à la page suivante, la page 383, toujours lors de la visite à Oulhaça El Gheraba : dans la mention d’abord de « la tombe de Khadra, la mère de Julien« , sur laquelle « nous venions de nous recueillir » dans le « petit cimetière (familial) qui ne comptait qu’une dizaine de tombes blanches, limitées, chacune, par deux stèles dont l’une portait inscrit le nom du défunt en alphabet romain et l’autre en arabe«  ; puis, sept lignes plus bas, dans la mention de « la maison du père de Julien, abandonnée depuis plus d’un demi-siècle«  et « tombée en ruine, dominant la vallée en friche et des flancs rocheux, et, sur la gauche, les contreforts habités du village voisin (Souk El Tenine, à moins que ce ne soit Sidi Rahmoune) » ;

et l’ultime fois, dans le « dernier chapitre« , à la page 423, lors des obsèques de la mère de Jean et René, dans l’expression : « Julien, qui partage ma vie«  : « Jean avait décidé qu’il n’y aurait aucun rituel funèbre autre que les gestes nécessaires à la mise en bière, la fermeture du cercueil et l’inhumation. Il ne voulait aucun autre témoin que nous deux, Julien, qui partage ma vie, et Eilathan, et Laszlo s’il avait pu venir (…) Nous avions dissuadé les autres membres de notre famille d’assister à ce qui n’était pas un cérémonial. Nous voulions l’inhumation crue parce que la mort l’était « 

Voilà donc pour ces huit occurrences, discrètes et disséminées, de ce prénom « sésame«  de « Julien«  au cours des 432 pages de ce si merveilleux Enfance, dernier chapitre… _

 

il m’a semblé que j’entrais dans un paysage intérieur, un arrière-pays ,qui réunissait mon enfance à d’autres enfances

et à une Bourgogne  _ je reprends donc ici l’élan de la phrase _

que je voyais par transparence,

à demi aveuglé par le contre-jour _ algérien de ce si lumineux jour d’avril 2014 _

parmi les ânes et les tombes.

Reçus _ ce mot est capital _ (nous étions quatre, Hamid Nacer, Mourad et Camille, une jeune Ivoirienne)

par des fermiers dont je connaissais _ seulement _ le nom et possédais une adresse imprécise,

et qui, eux, ne me connaissaient pas _ pas du tout _,

nous étions émus très fortement _  

de cette hospitalité _ voilà ! _ 

dont le simple prénom de Julien _ l’ami de René ; et qui, lui-même, Julien, n’était jamais de sa vie venu là ! _

avait été le sésame _ existent donc des sésames, dans nos vies !.. Quelle chance ! _ :

une famille qui ouvrait sa maison _ oui _,

arrêtait le temps _ en un moment très simple et évident d’éternité _

de la journée pour nous,

préparait un repas, 

nous amenait au cimetière familial _ où repose « Khadra, la mère de Julien«  (page 383).

… 

H’mimet _ oncle de Julien _,

sa deuxième femme, sa jeune fille, sa petite-fille, _ les Irène

nous recevaient _ voilà _

comme si nous étions des intimes,

parce que j’avais prononcé _ en sésame, ouvre-toi ! _

le prénom de son neveu _ Julien _

né en France _ et jamais venu, lui, en Algérie.

Or, je n’ai éprouvé cette sensation de visite intérieure  _ une expression capitale ! : une découverte idiosyncrasique interne à sa propre sensibilité, et absolument non programmée, sur le terrain géographique de ce qui semblait lui convenir et surtout l’accueillir de toute éternité, du fait de sa propre histoire personnelle, lentement déroulée et un peu cabossée, au fil des cahots de toutes ces années, et, surtout, de toutes (les heureuses comme les malheureuses) rencontres advenues… _

dans aucun des paysages de ma propre enfance« soit une clé (décisive !) de la « démarche«  d’écriture et d’efforts d’imageance de René de Ceccatty, du moins pour le lecteur un peu attentif que je m’efforce d’être ; je reprends ici volontiers ce terme d’imageance que j’ai forgé pour caractériser ce que Marie-José Mondzain nomme, elle, les « opérations imageantes«  ; et qui convient parfaitement, selon moi, aux « démarches«  d’écriture et mémoire ouvertes (avec apports enrichissants de « transparents«  et « va-et-vients«  divers) de René de Ceccatty… _, page 382 ;

Et la troisième phrase se trouve à la page 248 :

« La mer, la mer.

Près d’elle, j’ai vécu toute mon enfance et mon adolescence _ à Mégrine, en Tunisie, puis à Montpellier, dans le Languedoc.

A moins de dix kilomètres, accessible en train, à vélo, en voiture.

Le rendez-vous estival (et même hivernal) était inévitable. 

Elle fait à tel point partie de mon paysage _ l’adjectif possessif est donc à souligner _

que lorsque je vois s’étendre un vaste espace blanc par dessus les toits de la ville (à Paris, à Tokyô),

je m’attends  _ voilà !  _

à voir se profiler _ à l’horizon _

la ligne bleue qui la signale cette mer _,

comme

_ et revoilà la semblance (!) de ce processus d’imageance dont je me suis entretenu avec Marie-José Mondzain au Théâtre du Port-de-la-Lune, à Bordeaux, le 7 novembre dernier : cf la passionnante vidéo de cet entretien magnifique ! _,

comme je l’avais vu _ effectivement, cette fois _ apparaître, en me promenant en forêt, dans les monts de Seoraksan, à Sokcho, en Corée. Il s’appelle maintenant, l’hôtel où j’étais allé en 1977, pour les fêtes de fin d’année, le Hanwha Resort Seorak Sorano.

En écrivant ces noms coréens,

je fais resurgir _ car telle est la puissance, mêmee involontaire ici, d’un art vrai _

plus que la ligne bleue de la mer du Japon (entre la Corée et le Japon), que j’ai souvent appelée par erreur mer Intérieure, qui en est une autre, entre les îles de Kyûshû, Shikoku et Honshu.

Ce n’est pas seulement la Méditerranée qui réapparaît,

mais ce séjour coréen très bref « , page 248 ;

que suit encore ce passage, lui aussi essentiel, page 249 :

« Il en est toujours ainsi _ pour nous, pour nos rapports à elle _

de l’enfance.

 

A travers combien de filtres et d’anticipations temporelles (c’est-à-dire de souvenirs ultérieurs)

faut-il passer _ voilà _

pour parvenir _ voilà _

à une zone qui ne sera plus jamais _ mais l’a-t-elle jamais été ? et est-ce rédhibitoire ?.. Non ! Bien au contraire. Même si ce n’est pas à n’importe quelles conditions non plus... _

vierge ?

 

Car que reste-t-il en moi de _ ce qu’avait été pour lui, alors, en cette prime enfance effective, en Tunisie _

la plage de Saint-Germain, de Hammamet,

déjà détrônée _ mais est-ce complètement ? _ par tous les étés passés de l’autre côté, en Languedoc ?

Détrônée aussi par le Pacifique vu à partir de Shichirigahama, la côte de Kamakura, avant Enoshima.

Sans parler des étés plus récents.

En écrivant le mot « transparent« ,

écrit René de Ceccaty, page 36 _ et c’est un passage très important à propos de sa « démarche » générale de méthode _,

je pense _ en auteur _

aux écrans qui se dressent _ avec une ambivalence qui est loin d’être seulement ou surtout négative, comme le redoute un peu trop dans ce passage-ci, me semble-t-il du moins, ce pessimiste rigoureux presque invétéré (mais pas vraiment !) René de Ceccatty _

entre ma mémoire présente et son objet qu’elle invente _ par imageance ouverte (et féconde !) _

plus qu’elle ne se le remémore _ mais qui, paradoxalement, aident, ces « écrans« , ces « transparents« , à réussir à mieux approcher, ressentir (et mieux faire ressentir, aussi) l’enfance vécue pourtant sans et loin d’eux, et bien antérieurement à eux, ces « écrans«  qui se sont, depuis l’enfance vécue, interposés.

Et je sais que désormais il ne faut plus _ idéalement _ espérer faire renaître _ telles qu’ils et elles furent effectivement vécues alors par le très jeune Re-né ! en sa prime enfance _ ces images, ces visages, ces paysages, ces impressions, ces angoisses _ tout spécialement : René demeure presque un anxieux atavique… _, ces attentes, ces déceptions, ces illusions, ces désenchantements _ qu’il lui faudrait, au moins partiellement, conjurer pour être un peu plus et un peu mieux pleinement heureux ; mais il y vient, il y vient : la paix arrive !.. _ de mon enfance,

mais que,

tout au plus,

je recomposerai _ voilà, et même avec bonheur ! _

un tableau

aussi composite _ certes _ qu’une courtepointe,

fait de fragments hétéroclites _ et alors ? c’est bien davantage, ici, un enrichissement qu’une altération-détérioration : bien des choses disparates viennent (ou finissent par) prendre leur place et curieusement s’harmoniser en une vie assez longue et assez cohérente, au final, par-delà cette surprenante, d’abord, mais enrichissante diversité _

et empruntés  _ mais infiniment positivement ! pourvu que soit dans la plus grande justesse de « semblance« …  _

à de multiples expériences _ voilà : le terme d’« expériences » étant à prendre à la lettre et au sérieux : il faut les cultiver ! _

qui se sont intercalées _ pas seulement donc en parasites nocifs et opaques, mais en tremplins au pouvoir magique de vision comme rétrospective… _

entre le passé et moi.

Et ce passé _ tel qu’il avait été vécu, lui : plus pauvrement, dans bien davantage d’ignorance _

n’attendait sans doute

_ mais oui !

et c’est même là l’acquis principal de l’« expérience«  (le titre de l’ultime essai des Essais (III, 13) de Montaigne est justement « De l’expérience« ) de toute une vie vraiment vécue : cf ici Proust,

ou Montaigne, avec sa ludique et très jouissive méthode (de « semblances«  et « télétransportations« ) « à sauts et à gambades » et dans l’interlocution permanente et questionnante avec, via ses livres; comme via les maximes peintes par lui sur les poutres de sa librairie, l’amitié vivante des auteurs disparus, certains depuis presque la nuit des temps (dans l’Antiquité gréco-romaine, principalement) mais aux pensers toujours bien actifs pour lui : à revenir « conférer« , discuter, contester, régulièrement, et avec fermeté, avec lui, au présent de la méditation et de l’écriture, afin de penser avec (et aussi contre) eux, avec toujours un plus de justesse, en affinant les détails (où le diable se cache !) : par rapport à eux, et contre eux, si nécessité s’en faisait ressentir !

Tel saint Jérôme en sa cellule de méditation (vu ici par Jan van Eyck),

Jan van Eyck (about 1395-1441)  Saint Jerome in his Study  Oil on linen paper on panel, about 1435  20.6 x 13.3 cm (panel), 19.9 x 12.5 (painted surface)  Institute of Arts, Michigan, Detroit, USA

Montaigne n’était donc pas sans interlocuteurs de qualité, en sa librairie solitaire… _

Et ce passé n’attendait sans doute

que toutes ces expériences à venir _ tel est le paradoxe à accepter, et auquel il faut faire confiance, en cette vie à venir…  _

qui lui donneraient  _ enfin, parce que convoquées ou reçues avec le plus grand souci de la justesse ! et avec l’« à-propos«  qu’il faut _

son sens,

_ demeuré forcément _ inachevé _ faute d’assez de points de comparaison ; et c’est là le lot de la pauvreté d’expérience de toute enfance (et pas seulement de l’enfance, d’ailleurs) ; « Infans«  : qui ne parle pas encore ; privé de parole et privé de culture… Et il n’y a pas que les enfants qui manquent de culture ; et de points de comparaison un tant soit peu judicieux (cela s’appelle « l’expérience«  se constituant ; pour qui, du moins, a appris à se la bâtir-élever avec un tant soit peu de sagacité) _

au moment où il était _ aphasiquement en quelque sorte, alors : l’infans est celui qui n’a pas encore appris à parler (et élaborer sa perception du réel) ! et, cette incapacité est une forme d’infirmité qu’il faudra absolument tenter de corriger ! Et l’ignorance ne concernant certes pas que les enfants !!! _

vécu«  _ et lequel passé vient enfin (hourrah ! ou alleluhia ! comme on voudra) trouver et achever son sens, voilà, comme ici, en ce sublime (mais oui !) travail d’écriture et de semblance sans cesse s’ajustant qu’est ce merveilleux Enfance, dernier chapitre !

Le résultat positif paradoxal de l’apport de ces quelques « transparents » successifs bricolés et ajointés « cahin-caha« ,

étant que « le paysage d’enfance » est alors, et alors seulement, mieux approché et « visité » que jamais

et enfin _ ou presque _ compris.

Ajointé, ici, à l’effet tellement crucial pour René, des trois syllabes enfin pacifiées _ voilà ! _, par sa visite printanière éblouie à Oulhaça Et Gheraba, du mot « Al-gé-rie«  :

résolvant d’un coup, et pour toujours, l’énigme de ses terribles crises d’angoisse subies au long de sa petite enfance, et au-delà…

On remarque aussi que

le tout début du précédent récit-roman (paru au mois de mars 2012) de René de Ceccatty, Raphaël et Raphaël _ en partie autobiographique pour le dire un peu vite, et pas très exactement _,

entamait très concrètement l’arpentage, par le narrateur-auteur lui-même, de certaines rues de Montpellier _ ce chapitre premier est intitulé « La Promenade«  _

à la recherche de traces _ venant relancer et inspirer sa mémoire _ qui soient encore visibles sur le terrain de cette enfance sienne,

entre juin 1958 _ l’arrivée de René à l’âge de six ans, par avion, à Marignane, en France, ayant quitté, avec sa mère et son frère, la Tunisie ; son père ayant préparé leur accueil à Montpellier dès la fin de l’automne 1957 _

et, disons, septembre 1963 _ qui pourrait rétrospectivement marquer le passage (mais, forcément, c’est plus flou) à quelque pré-adolescence, pubertaire : soit un début de sortie de l’enfance proprement dite ; le narrateur-auteur ayant alors onze ans et demi, et allant entrer en classe de 5ème _ :

« Le continent noir _ sic : c’est par ces mots très forts, voire terribles, que s’ouvre le récit, page de Raphaël et Raphaël _

s’est rouvert _ le phénomène est donc récurrent et impressionnant, tant par sa taille gigantesque que sa couleur très sombre.

Il suffit de peu _ une occasion _

et il faut tout _ pour s’y livrer vraiment et à plein.

Je l’ai voulu, je ne m’en étonne pas.

Tant de détermination à creuser en moi une brèche _ dans le présent pour laisser émerger quelque chose du passé _

qui ne demandait _ elle-même, cette « brèche«  : comment l’interpréter ? Ne serait-ce qu’une pulsion masochiste persistante ? Non ! un appel à la résilience, au contraire… _

qu’à s’élargir et s’approfondir  _ mais pour le meilleur ! dans l’œuvre vraiment accomplie par cet ample et très riche travail de remémoration et d’écriture ! _,

devait bien donner quelques résultats :

ils se sont fait attendre,

mais ils sont là désormais, incontestables.

J’accueille _ afin de les expérimenter et aider à s’épanouir alors et explorer _

de vieilles sensations assoupies :

elles se réveillent _ telle quelque sombre belle-au-bois-dormant_,

elles n’étaient pas mortes, ni parties _ mais attendaient comme en stand-by leur délivrance, leur révélation…

Je suis allé dans cette rue pavillonnaire _ non nommée ici, et que le lecteur curieux que je suis, n’était pas tout à fait parvenu, à lui seul, à identifier : René m’y a aidé _

d’une ville _ Montpellier _

que je n’ai jamais visitée _ pour simplement y avoir tout simplement vécu et habité au quotidien, et n’y revenir que pour des raisons familiales très fortes : venir tenir compagnie à sa mère, surtout : elle vieillit, et partira un peu plus tard, en 2011, en maison de retraite, aux Violettes ; et pas du tout en touriste visiteur visitant…

J’y suis allé un lundi de pluie avortée, de ciel poisseux, d’août _ 2008  _ moite » :

tel est donc le début, page 7, du récit de Raphaël et Raphaël.

Et page 8, très explicitement :

« J’étais trop _ sic _

décidé à visiter _ avec ce que ces mots comportent d’organisé et de méthodique, et d’abord de volontaire ! ; mais aussi d’« intérieur« , pas seulement via la géographie physique… _

mon enfancevoilà donc déjà exprimé alors, cet été 2008, le projet même d’Enfance, dernier chapitre, commencé, donc, d’être spatialement préparé pedibus (avant sa pleine mise en œuvre par l’écriture qui va suivre) en ces journées montpélliéraines d’août orageux 2008, de ce Raphaël et Raphaël (qui paraîtra en mars 2012, aux Éditions Flammarion) ; alors que Enfance, dernier chapitre, achevé courant 2016, paraitra en janvier 2017 aux Éditions Gallimard _

pour qu’elle _ cette enfance elle-même, donc : sponte sua, en quelque sorte ; tels les processus nocturnes de l’Inconscient ! _

me fasse le cadeau d’une visite _ seulement _ inopinée _ et seulement par surprise et hasard, sans disponibilité véritable, non plus pour vraiment la saisir, et explorer vraiment, et comprendre : comprendre ! _,

elle-même « .

Et, en effet, page 9 :

« Je faisais une « démarche«  _ voilà : d’auteur, d’écrivain-explorateur (de sensations anciennes à rafraîchir vraiment !) _

en marchant dans cette lumière orageuse » :

«  »Démarche » est en effet le terme administratif _ la notation est bien sûr pleine d’humour vis-à-vis de soi-même de la part de l’auteur déambulant… _

qui convient à mes raisonnements très volontaristes« ,

vient juste de préciser René de Ceccatty _ le très courageux, en son œuvre comme en sa vie _, page 9, de ce qui s’avère constituer, en ce lundi menaçant du mois d’août 2008,  un tout premier moment de préparation _ voilà _  sérieuse et ouverte de l’enquête beaucoup plus exhaustive que va déployer en une splendide déambulation mémorielle de très vaste et lumineuse ampleur ce merveilleux _ pardon de tant me répéter ! _ Enfance, dernier chapitre

Mais le hasard, la chance _ de quelques rencontres effectives vraiment positives _,  ainsi que la faculté grande ouverte d’imageance de l’auteur écrivant qu’il est aussi, et très conjointement _vont aussi intervenir…

Nous attendons désormais avec beaucoup d’empathie et la patience qui convient : sans précipitation ! _ et nous mesurons aussi l’ampleur de la tâche qui cette fois à nouveau s’ouvre : René de Ceccatty la qualifiera-t-il, une nouvelle fois aujourd’hui, de « continent noir«  ?.. _,

ainsi que de confiance,

la prochaine étape à venir de cette démarche poétique et visionnaire d’investigation probe, vaillante et courageuse

de ce qui avait été, en 2008, qualifié, avec le pessimisme d’un anxieux non encore pacifié, de « continent noir » de la mémoire _ fragmentaire, forcément, en même temps qu’inquiétant _, de son passé,

de la part de l’audacieux explorateur ultra-sensible et ô combien poétique, qu’est René de Ceccatty

de ce passé sien ;

et de son Inconscient ;

ainsi que des incidents des rencontres d’altérité _ certaines bonnes et heureuses, cela s’avère aussi ! _ advenues,

ainsi que cela ne manque pas d’advenir  en toute vie humaine un peu poursuivie et tenue.

Car il n’est pas de vie humaine sans un minimum de rencontres _ cf mon article du printemps 2007, re-publié le 26 octobre 2016 : Pour célébrer la rencontre _ d’au moins quelques autres que soi…

Assisterons-nous à de nouvelles « télétransportations » ?

Nous verrons bien…

Titus Curiosus, ce mardi 12 décembre 2017

Poursuite d’enquête sur les liens de résistance entre Pierre de Bénouville et les Portmann, père et fils

27sept

Aujourd’hui, 27 septembre 2014,

je fais le point des avancées de ma recherche à propos des liens de résistance entre Pierre de Bénouville (Amsterdam, 8 août 1914 – Paris, 4 décembre 2001) et les Portmann, Georges (Saint-Jean-de-Maurienne, 1er juillet 1890 – Sainte-Eulalie, 24 février 1985), le père, et René (Caudéran, 5 décembre 1918 – Ténès, Algérie, 1er août 1957), le fils.

En prolongement de mon article du 31 juillet dernier : La fécondité magnifique du détail dans le travail d’enquête de Robert Belot sur les Résistances en France sous l’Occupation

À cette fin _ et sur les conseils avisés de Jacques Hogard, le neveu de Pierre de Bénouville _,

je me suis procuré et j’ai lu _ méthodiquement, et donc à trois reprises _ le superbe livre de souvenirs de Pierre de Bénouville, Le Sacrifice du matin, paru en 1945 _ dans l’édition (tardive) de 1983, aux Editions Robert Laffont _ ;

ainsi que le très beau, aussi, L’Aventure incertaine _ De la Résistance à la Restauration, de Claude Bourdet, paru en 1975 _ dans la ré-édition de 1998, aux Editions du Félin _ ;

et Résister _ Histoire secrète des années d’Occupation, de Jacques Baumel, paru en 1999 _ dans l’édition originale de 1999, aux Editions Albin Michel _ :

Pierre de Bénouville, Claude Bourdet et Jacques Baumel étant trois des principales chevilles ouvrières de Combat, puis des MUR, auprès de Henri Frenay

_ dont je n’ai pas encore lu La Nuit finira _ Mémoires de Résistance 1940-1945, paru en 1973, parce que ce sur quoi se focalise ma présente recherche concerne plus particulièrement, d’une part, les activités de René Portmann, auprès de Pierre de Bénouville, dans le Service des Relations Extérieures des MUR (d’octobre 1943 à août 1944), ainsi que, d’autre part, les circonstances très précises des arrestations de Claude Bourdet-Lorrain, le 24 mars 1944, et d’Alain de Camaret-Nizan et Armand Magescas-Miranda, le 26 mars 1944, à un moment où Henri Frenay ne se trouvait plus à Paris, mais à Alger ; cependant, j’ai pu d’ores et déjà constater que les noms de Georges Portmann et de René Portmann ne figurent, ni l’un, ni l’autre, dans La Nuit finira. Pas davantage, d’ailleurs, non plus, que dans les deux livres de Claude Bourdet et Jacques Baumel : les services étaient le plus rigoureusement possible compartimentés, sinon absolument étanches… Et d’autre part, j’ai lu le Henri Frenay _ de la Résistance à l’Europe, de Robert Belot…

Mes interrogations portent donc ici sur la chronologie des liens de Résistance entre, d’abord, Georges Portmann (1890-1985) et Pierre de Bénouville (1914-2001) ; puis entre René Portmann (1919-1957) et le même Pierre de Bénouville.

Et cela, eu égard à l’action _ salvatrice ! _ du Professeur Georges Portmann à l’égard de mon père, le Dr Benedykt Lippa (Stanislawow, 11 mars 1914 – Bordeaux, 11 janvier 2006), qui était son assistant en ORL à Bordeaux, et citoyen polonais :


Georges Portmann _ qui avait été Secrétaire Général à l’Information et Directeur de la Radio, Vichy, du 4 janvier 1941 au 16 février suivant, dans l’éphémère gouvernement de son ami Pierre-Etienne Flandin… _ prévenant mon père, début juin 1942, que la Gestapo allait incessamment venir l’arrêter, et permettant ainsi à mon père de quitter à temps Bordeaux (franchissant la ligne de démarcation à Hagetmau, dans les Landes, le 7 juin 1942, grâce à un transport en autocar organisé par une infirmière résistante de la clinique Bagatelle, à Talence, dans la banlieue de Bordeaux).
De fait, très peu de temps après, les Allemands sont venus chercher mon père au domicile de sa fiancée (= ma mère, Marie-France Bioy) et de ses parents, où habitait mon père depuis sa démobilisation (comme engagé volontaire, en septembre 1939) et son retour à Bordeaux, à l’été 1940, 177 rue Judaïque à Bordeaux.


De plus, parmi les documents précieux qui m’interrogent, est restée, parmi les papiers de mon père, une carte de recommandation (non remise à son destinataire, puisque conservée par mon père…) au « Dr Rigault, chargé de cours d’ORL«  à Toulouse, par laquelle le professeur Portmann recommandait mon père _ que « la rigueur des temps a mis dans la nécessité de partir«  : de la zone occupée… _ à ce médecin toulousain ; la carte est datée d’« octobre 42«  _ mon père a-t-il rendu visite à ce Dr Rigault lors de son séjour dans la région de Toulouse, au 561e GTE de Beaupuy, de décembre 1943 à juillet 1944 ?.. Qui était donc ce Dr Rigault ? Etait-il Résistant ?.. Mon père a-t-il pris contact avec lui, et l’a-t-il rencontré ? font partie des questions que je cherche à éclairer, à Toulouse…


Mon père, en effet, un an et demi plus tard que ce 7 juin 1942, est resté à Toulouse _ et plus précisément, au 561e GTE de Beaupuy, dont le siège et le cantonnement se situaient au Domaine de La Gaillarde ; et peut-être aussi, le dernier mois (de la mi-juin à la mi-juillet 1944) au 561e GTE de Toulouse, rue de Belfort : sur ce dernier point une ambiguïté demeure… _ du 10 décembre 1943 au 20 juillet 1944 ; et il a cependant pu revenir à Oloron, d’où il était venu (il faisait alors partie du 526e GTE ; comme il en re-fit partie, du moins officiellement, à ce retour : selon la légalité très sourcilleuse du régime de Vichy), le 22 juillet 1944, en dépit des troubles de cette période (ou même grâce à eux), en bénéficiant d’un nouveau « contrat agricole«  de complaisance, auprès, à nouveau, du professeur de philosophie au collège d’Oloron, Pierre Klingebiel…

C’est Philippe Grandclément (1904-1974) _ le frère aîné du fameux André Grandclément (1909-1944), membre dirigeant de l’OCM en Aquitaine, et qui sera assassiné par d’autres Résistants, dont Roger Landes, le 27 juillet 1944, au Muret _, qui, alors qu’il commandait le 526e GTE des Basses-Pyrénées, a d’abord exfiltré mon père du camp de Gurs, à la fin août 1943 (mon père y était interné pour franchissement illégal de la ligne de démarcation), en lui obtenant un « contrat agricole » de complaisance auprès de Pierre Klingebiel (1896-1984), professeur de philosophie à Oloron (qui avait déjà fourni de tels « contrats agricoles » de complaisance à des républicains espagnols protestants, afin de les exfiltrer, eux aussi, de Gurs) ; puis qui lui a évité de partir pour l’Organisation Todt, ou pire (cette fois à la mi-décembre 1943), alors que, sur ordre du préfet de région de Toulouse, il envoyait de nombreux autres T.E. au camp de Noé, à des fins de triage _ mon père, lui, fut chargé d’organiser l’infirmerie du 562e GTE de Beaupuy (au Domaine de La Gaillarde), lors du transfert de ce GTE de Clairfont à Beaupuy, au mois de décembre 1943 ; et d’y faire fonction de médecin pour les Travailleurs Etrangers qui allaient y être cantonnés.

Philippe Grandclément dirigeait peut-être _ voire probablement… _ encore le 526e GTE départemental des Basses-Pyrénées lors du passage de mon père, en provenance de Toulouse, à la Villa Montréal à Jurançon le 21 juillet 1944, Philippe Grandclément étant toujours assisté de celui dont je déchiffre le nom comme étant peut-être Gourmençon _ Joseph de Goussencourt (Saint-Eman, Eure-et-Loir, 6 mai 1896 – Trévoux, Finistère, 23 septembre 1989), découvrirais-je plus tard !.. _ ; en revanche, ce n’est plus lui, Philippe Grandclément, qui dirige ce GTE départemental des Basses-Pyrénées le 4 août 1944, à Jurançon, mais E. Delluc, qui dirigeait auparavant jusque là le 525e GTE départemental des Hautes-Pyrénées, dont le siège se trouvait à Bagnères-de-Bigorre :

21 juillet (Jurançon), 27 juillet (Saugnacq-et-Muret), 4 août 1944 (Jurançon), ces dates forment pour nous une chaîne d’indices…


Ce mois de juillet 1944, mon père est ainsi revenu, par ses propres moyens _ le vent tournait alors pour les Allemands , et pour Vichy ! _, de Beaupuy (et Toulouse) à Oloron, muni de gros livres de médecine qu’il n’avait certes pas pu se procurer ailleurs qu’en une ville universitaire telle que Toulouse ; non sans s’être arrêté, cette journée du 21 juillet, au siège du 526e GTE départemental des Basses-Pyrénées, situé à la Villa Montréal, à Jurançon, afin de régulariser, mais oui !, sa situatio (légale) de T.E. ; le commandant du GTE, probablement encore Philippe Grandclément ce 21 juillet 1944-là _ en tout cas, c’est la même signature (à l’encre verte) de son même adjoint (Joseph de Goussencourt, donc !) que le 26 août et le 16 septembre 1943 : un nommé Gourmençon, semble-t-il, à ce que je déchiffre sur divers documents administratifs de ce 526e GTE (non : de Goussencourt ! Antoine-Marie-Joseph de Goussencourt), jusqu’à ce 21 juillet 1944 compris (depuis le 26 août 1943, pour le premier de ces documents, et jusqu’à ce 21 juillet 1944, pour le dernier d’entre eux), et demeurés en possession de Pierre Klingebiel en ses archives privées ; le nom de Philippe Grandclément apparaissant, lui, aux dates des 26 août, 16 septembre et 19 novembre 1943 _, le commandant du GTE, donc, probablement encore Philippe Grandclément ce 21 juillet 1944-là, produisant pour mon père, une nouvelle fois, un « contrat agricole » de complaisance, et à nouveau auprès du même Pierre Klingebiel à Oloron. La situation générale du pays, entre le débarquement du 6 juin, en Normandie, et celui _ à venir bientôt… _ du 15 août, en Provence _ ce second débarquement allait être décisif en provoquant, sur ordre de Hitler, le repli immédiat des troupes allemandes du sud de la France vers le nord et l’est du pays… _, avait déjà bien changé par rapport à celle de décembre 1943. Et mon père sera présent à Oloron au moment de la Libération, par les Résistants locaux, de la ville, le 22 août 1944 ; notamment, il interviendra afin d’éviter de plus graves ennuis à un cousin de ma mère _ l’oloronais Marcel Bioy _, aux opinions un peu trop bruyamment pétainistes…


Et, en plus des activités de Georges Portmann à Bordeaux en juin 1942 _ informé de très prochaines rafles de la Gestapo à Bordeaux, il en prévient mon père, ce qui permet à celui-ci de fuir Bordeaux pour passer en zone non-occupée, se dirigeant vers Oloron, où vivaient deux des oncles (Pierre Bioy, pharmacien à Oloron, et Xavier Bioy, maire d’Hérère) de sa fiancée, ma mère, Marie-France Bioy : Oloron est le berceau de la famille Bioy… _ sur lesquelles je désire obtenir des précisions,

je m’interroge aussi sur l’affaire de l’arrestation à Paris (le 26 mars 1944, à 10 heures), au domicile de Max Brusset, 28 boulevard Raspail, de


_ ou bien Armand Magescas, Miranda, de son nom de résistance

(ici, selon le témoignage, en 1982, de Georges Portmann, en ses Souvenirs, publiés en 1982, page 168 :

Georges Portmann, prévenu _ cette fois aussi : à Paris en mars 1944, comme à Bordeaux en juin 1942… _, à 9 heures, de l’intervention de la Gestapo au domicile de Max Brusset, 28 boulevard Raspail, où devaient se réunir, à 10 heures, un certain nombre de résistants, dont Pierre de Bénouville ; et réussissant à prévenir les divers membres du réseau qui devaient s’y retrouver, sauf Armand Magescas-Miranda, débarquant, lui, tôt le matin même de ce 26 mars, à la gare d’Austerlitz, d’un train de nuit en provenance de Biarritz… Et Pierre de Bénouville passant d’abord, comme il avait été préalablement convenu entre eux, rue Benjamin Franklin, où Georges Portmann, en sa clinique parisienne, l’attendait pour se rendre ensemble chez Max Brusset),

_ ou bien Alain de Camaret, Nizan, de son nom de résistance

(là, selon le récit, en 1945, de Pierre de Bénouville, page 326 du Sacrifice du matin :

en effet, selon Pierre de Bénouville, c’est à la gare d’Austerlitz, et tôt le matin, que la Gestapo intercepte Armand Magescas à sa descente du train de Biarritz _ et non lors de son arrivée au domicile de Max Brusset, boulevard Raspail, vers 10 heures, comme dans le souvenir (bien plus tardif) de Georges Portmann en 1982. Et c’est Alain de Camaret _ parvenant, dès dix heures, au domicile de Max Brusset, boulevard Raspail, de retour dare-dare de la gare d’Austerlitz, où il n’avait pas pu retrouver Armand Magescas, cueilli lui par les Allemands sur le quai, dès sa descente du train ; et exfiltré de la gare « par une porte dérobée«  (selon ce que signale Pierre de Bénouville, page 326 du Sacrifice du matin) _ qui se fait prendre dans la souricière tendue par les Allemands au domicile de Max Brusset.


Je remarque, au passage, que dans Le Sacrifice du matin, Pierre de Bénouville ne mentionne pas une seule fois le nom du Professeur Georges Portmann _ dont le nom demeurait bien trop sulfureux en 1945, au moment de l’écriture du Sacrifice du matin : Georges Portmann avait été ministre (Secrétaire général à l’Information) du gouvernement de Vichy en janvier-février 1941 ; et s’apprêtait, pour cela, à affronter un procès d’épuration devant la Haute Cour de Justice : il y sera acquitté le 27 février 1946)… ;

et que, si il y parle à plusieurs reprises, en revanche, de René Portmann _ le fils aîné de Georges Portmann _,

Pierre de Bénouville ne cite ce nom de René Portmann (ou bien, aussi, son pseudonyme : La Varende _ mais aucun de ses autres pseudonymes : 3 bis, Godard, et même 15, que cite Robert Belot dans L’Affaire suisse : le travail d’enquête historiographique de ce dernier est magnifique ! Au passage, je remarque qu’à cinq reprises dans ce livre, Robert Belot prend soin de préciser ou rappeler que 3 bis est le pseudonyme de René Portmann : aux pages 262, 321, 322, 395 et 395, à propos de courriers en date, respectivement, des 31 janvier, 5 février, 18 février, 17 janvier et, à nouveau, 18 février 1944 : soit bien avant la décision de Pierre de Bénouville de quitter Paris pour gagner Alger… _), à propos des activités de ce dernier pour le service des Relations Extérieures des MUR, qu’à partir du mois de mars 1944,

c’est-à-dire seulement une fois que Pierre de Bénouville l’a choisi _ et très vraisemblablement à la suite de cette catastrophe qu’a été l’arrestation de Nizan – Alain de Camaret (qui a eu lieu le dimanche 26 mars 1944) ; si je lis bien Le Sacrifice du matin, je constate, page 327, que, rendant compte de ce qui se passe à la date du lundi 27 mars, Pierre de Bénouville écrit : « J’ai, l’après-midi, rendez-vous avec La Varende. Fortoul y viendra. La Varende remplacera Nizan« pour remplacer, à Paris, un des membres de son réseau _ mais remplacer qui, alors ? Nizan, comme je viens de le citer ? ou plutôt, carrément lui-même, Bénouville ?.. Sans doute faut-il ici établir une chronologie plus fine… _, à la direction du Service des Relations Extérieures des MUR, une fois que lui-même, Bénouville, aura quitté Paris, c’est-à-dire les tous premiers jours du mois d’avril 1944 _ ce qui sera réalisé probablement le 5 avril au soir, selon mes calculs, par un train de nuit l’exfiltrant vers Toulouse et Tarbes, via Limoges _ ; car le dimanche de Pâques _ repère mémorable ; et c’est à partir de ce repère que j’effectue mes calculs rétrospectifs sur ses journées précédentes… _, le 9 avril 1944, Pierre de Bénouville, qui a franchi clandestinement la frontière par la montagne _ la Rhune _ du côté d’Ascain durant la nuit, le passe à Saint-Sébastien, comme il l’indique précisément à la page 336 du Sacrifice du matin.

Mais je lis aussi, page 328, à propos des conséquences pour leur réseau à Paris, de ce départ vers l’Espagne de Maurice Chevance _ quelques jours avant lui, Bénouville, et probablement le vendredi 31 mars pour ce qui concerne Chevance, et par le même itinéraire et grâce aux mêmes relais fixés par Armand Magescas, d’après l’indication donnée à la page 335 du Sacrifice du matin _ et de lui-même, Bénouville :

« Cheval _ Georges Rebattet _ et Dormoy _ Marcel Degliame _ nous remplaceront _ à quels postes de l’organisation, précisément ?  _ pendant notre absence. Mais je ne partirai _ se souvient s’être dit ce décisif lundi 27 mars, Pierre de Bénouville _ que quand mon service _ celui des Relations Extérieures des MUR _ fonctionnera de nouveau normalement » ; et cela _ entre le lundi 27 mars et le mercredi 5 avril _ allait prendre dix jours ;

car ce ne sera que le 5 avril _ si je calcule bien, à rebours, à partir du dimanche de Pâques 9 avril que Pierre de Bénouville se souvient d’avoir passé à Saint-Sébastien, page 336 _, par un train de nuit, que Pierre de Bénouville quittera Paris, vers Limoges, Toulouse _ où il rencontrera Conze, de l’ORA, qui l’accompagnera jusqu’à un rendez-de vous, à Tarbes, organisé par Armand Magescas – Miranda… _, et enfin Tarbes ; où il rencontrera _ le 6 _ Pouey-Sanchou, dit d’Ossau, et son adjoint Quérillac, qui lui font rencontrer, surtout, _ Paul _ Gelos, secrétaire de la mairie de Saint-Jean-de-Luz, et _ Pierre _ Larramendy (« l’hôtelier dont la maison _ de Chantaco _ sert de relais au-delà de Saint-Jean« , page 334 :

« le soir _ de ce 6 avril, donc _, mes guides et moi couchons à Pau _ sans plus de précision ; Armand Magescas est palois. Son père, Félix, avocat à la cour d’appel de Pau, avait son domicile 17 rue Samonzet, à Pau. Le lendemain matin _ le 7, page 335 _, nous sommes à Biarritz. En fin de journée, je gagne Saint-Jean-de-Luz par le train. (…) Gelos, le secrétaire de mairie _ de Saint-Jean-de-Luz _, m’attend à la sortie _ de la gare de Saint-Jean-de-Luz. (…) Le soir, je couche _ non loin _ à Chantaco, chez Larramendy. J’y passe toute la journée du lendemain _ celle du 8 avril _, jusqu’à la tombée de la nuit, au moment où, entre chien et loup, le maire d’Ascain _ en fait, il ne s’agit pas là du maire d’Ascain, mais de son secrétaire de mairie, François Bertrand, comme me l’a indiqué le neveu de celui-ci, Guy Lalanne ; et comme c’est mentionné à la page 256 du « 1936 – 1945 Ascain, Ciboure, Saint-Jean-de-Luz, Urrugne Témoignages d’une époque«  de Guy Lalanne et Jacques Ospital , publié par Jakintza en 2012 (ajout du 6 octobre 2022) _ un bon bonhomme solide, vient me prendre à vélo. Mes hôtes me prêtent une bicyclette« … Puis, grâce à trois relais de guides (basques) successifs, le faisant cheminer de nuit sur les deux versants de la montagne « immense » à franchir _ page 336 : « Nous sommes comme des insectes sur son dos rond, des insectes perdus entre des brindilles «  _, Pierre de Bénouville parviendra en Espagne, et, depuis Irun, par un autocar, « vers dix heures« , rejoindra Saint-Sébastien, le dimanche de Pâques 9 avril. Et « Le lundi _ de Pâques, 10 avril 1944 _, une auto, que protège l’insigne du Corps diplomatique _ Armand Magescas disposait en Espagne de très efficaces appuis _, vient me prendre et me conduit à Madrid« , conclut le récit de ce départ de France Pierre de Bénouville, pages 336-337 du Sacrifice du matin



D’autre part, et encore,
dans les Entretiens (réalisés entre septembre 1998 et juin 2000) de Pierre de Bénouville avec Laure Adler, intitulés Avant que la nuit ne vienne, page 86,

Pierre de Bénouville indique ceci, à propos de son passage à Vichy début décembre 1940, à la recherche de compagnons _ tel son ami Roger de La Grandière, rencontré par lui à l’entrée de l’Hôtel du Parc _, prêts à gagner avec lui, Alger, pour rejoindre l’armée d’armistice là-bas, dans l’espoir de reprendre le plus tôt possible le combat contre les Allemands :


à la question de Laure Adler :

« _ Quelle fut donc votre moisson, à Vichy ? Avez-vous réussi à convaincre certains de vos amis, qui étaient proches du Maréchal, de vos idées et de votre combat pour la guerre ?« ,

Pierre de Bénouville répond, de manière un peu inattendue, à y réfléchir :

« _ Mais bien sûr.

Je me suis lié avec un médecin très réputé, le professeur Portmann _ la retranscription (par Laure Adler ?) oublie le second N de Portmann ; mais, surtout, devons-nous induire de cette réponse que ce « médecin très réputé, le professeur Portmann«  faisait partie, lui aussi, des « amis«  d’avant-guerre de Pierre de Bénouville ? Georges Portmann (né en 1890) appartient en effet à une autre génération que celle des amis (ce sont des jeunes gens) que Pierre de Bénouville (né en 1914) cherchait à « recruter«  à Vichy (et aussi, en suivant, à Paris, où il retrouve son ami Michel de Camaret qui, lui, est né en 1915), afin de gagner ensemble l’Algérie : « Humbert de Croy, Alain de Chavagnac, Roger de La Grandière, Albert Bénard, Armand du Tinguy du Pouët, et beaucoup d’autres porteurs de noms de notre terroir » (la liste de ces amis se trouve à la page 43 du  Sacrifice du matin)… ; et, d’autre part, Georges Portmann, membre de la très officielle Commission d’armistice de Wiesbaden, est-il, dès ce début de décembre 1940, converti à la nécessité de reprendre le combat contre les Allemands ? alors que le mois suivant, il va devenir, le 2 janvier 1941, auprès de son ami Pierre-Etienne Flandin, Secrétaire général à l’Information du gouvernement de Vichy, ainsi que directeur de la radio (et cela jusqu’au 16 février suivant, quand Darlan évincera Flandin et ses proches, dont Georges Portmann, du gouvernement de Vichy) : la chronologie du parcours politique (et bientôt résistant…) de Georges Portmann semble ici tout de même un peu bousculée… _,

Je me suis lié avec un médecin très réputé, le professeur Portmann,

qui a accepté _ immédiatement, dès cette rencontre à Vichy, ce mois de décembre 1940 ?..de faire pour moi un réseau« …


Mais cela, à quelle date se fit-il au juste ? Quand « se fit » donc ce « réseau« -là ?

La réponse faite par Pierre de Bénouville à Laure Adler dans le feu de leur conversation, me semble condenser des époques distinctes…

..

Certainement pas dès ce mois de décembre 1940, mais bien plus tard : au moins après avril 1942 (et le retour de Laval au pouvoir à Vichy), et même, le plus probablement _ mais jusqu’ici, je ne l’ai pas encore précisément identifié… _, au cours de la seconde moitié de l’année 1943, à partir de l' »installation » de Pierre de Bénouville à Paris _ où ils purent à nouveau se rencontrer, Georges Portmann y ayant une clinique… _, au mois de juillet 1943 :

ne pas oublier, en effet, que Pierre de Bénouville ne fait la connaissance de Henri Frenay _ grâce à son vieil ami Jacques Renouvin (1905-1944), devenu en 1942 chef national des Groupes francs de Combat (et, après l’arrestation de Jacques Renouvin, le 29 janvier 1943, ce sera Serge Ravanel qui lui succédera à la tête de ces Corps-Francs des MUR…) _ que le 4 décembre 1942, à Montélimar, et ne s’engage très effectivement dans Combat que le 17 décembre 1942 ;

même s’il travaillait déjà pour Henri Frager _ qu’il a connu, lui, presque dès son arrivée sur la Côte d’Azur, au tout début de 1941, vraisemblablement, grâce à leur ami commun, Georges Batault, « replié à Cagnes«  : au moment de son retour dare-dare, après son passage à Vichy, à la mi-décembre 1940, et, surtout, s’être presque fait arrêter, ainsi que son ami Michel de Camaret, le 25 décembre, chez lui, 141 avenue Victor-Hugo, à Paris _ ;

et, par Frager, pour le réseau Carte, d’André Girard…


Je remarque aussi que, alors que,

page 114 du Sacrifice du matin, Pierre de Bénouville fait débuter sa collaboration, via Henri Frager, avec le réseau Carte, au mois de septembre 1941 _ après les épisodes de son arrestation et internement à Alger, puis de son internement, ensuite, à Toulon : c’est en effet le 8 août 1941 que, acquitté par le tribunal militaire de Toulon, Pierre de Bénouville retrouve enfin sa liberté et peut rejoindre « tout de suite Cannes pour y reprendre (ses) contacts« , page 93 du Sacrifice du matin _, Bénouville ne rencontrant  pour la première fois Carte lui-même, André Girard, (à Cannes) qu’un peu plus tard : « Au retour d’un voyage rapide _ qu’il faudrait dater précisément _ au cours duquel j’avais _ venant de son domicile de Biot _ traversé Marseille, Lyon et Clermont-Ferrand pour y retrouver des camarades que je voulais utiliser dans le nouveau service que je créais _ alors, pour Frager (et Carte)… _, Frager me prévint enfin que Carte désirait me voir le lendemain à Cannes » (page 128) : sans plus de précision de datation, cependant (mais Pierre de Bénouville a déjà commencé de se rendre à Genève, et d’y nouer des contacts très fructueux, qui constituent l’amorce de la future Délégation suisse des MUR, qu’il aménagera au cours des premiers mois de 1943, pour Frenay, Combat et les MUR, autour de Philippe Monod et du général Davet ; cf page 123, pour ces tous premiers contacts suisses de Pierre de Bénouville ; cf aussi L’Affaire suisse, page 87)…


Le biographe de Pierre de Bénouville, Guy Perrier affirme cependant, lui, page 75 de sa biographie Le Général Pierre de Bénouville, le dernier des Paladins  :

« Frager recrute Bénouville à l’automne 1942 _ et non pas dès septembre 1941 _ et le fait entrer dans le réseau Carte » ;
et page 76 (et, semble-t-il, d’après surtout, ce qu’en a dit Carte, dans son livre en réponse à celui de Bénouville, Peut-on dire la vérité sur la Résistance ?, paru aux Editions du Chêne, en 1947) :

« Bénouville fera au moins _ écrit prudemment Guy Perrier _ trois voyages en Suisse : novembre 1942, décembre 1942 et janvier 1943« .
La chronologie, ici, demeure donc floue.



Et Pierre de Bénouville ajoute, à propos du Professeur Portmann, toujours page 86 de ses Entretiens avec Laure Adler :

« Je lui avais donné une adresse à Paris, chez une amie _ qui donc était cette amie, Nicole Durand ? _, où on m’adressait le courrier

_ et j’ouvre ici une assez longue incise à propos des divers lieux où Pierre de Bénouville a pu alors se cacher alors à Paris :

à quel moment, cela ? En quelle année ? Probablement pas dès le mois de décembre 1940, quand Bénouville et Portmann font (semble-t-il…) connaissance à Vichy ; mais, vraisemblablement bien plus tard, à partir, au moins, du mois de juillet 1943, quand Pierre de Bénouville, quittant Lyon (comme allait le faire, à sa suite, tout l’état-major des MUR : Bourdet, Baumel, etc.), après l’affaire de Caluire, (re-)vient s’installer (logements et « bureaux« ) en divers lieux de Paris ;

divers lieux de Paris que j’ai essayé de répertorier dans ce qu’en écrit (souvent très elliptiquement) Pierre de Bénouville :

ainsi, pour ce qui est des logements de Pierre de Bénouville (outre ses divers « bureaux« , qui peuvent, eux aussi, servir à l’occasion de planques), en mars 1944, quand sa femme (épousée civilement à Pessan, non loin de Toulouse et tout près d’Auch, le 22 juin 1943 : le lendemain même de la tragédie de Caluire, avec l’arrestation de Jean Moulin) le rejoint à Paris (après leur mariage en pays gascon, celle-ci était restée cachée jusqu’alors chez des amis dans le Cantal), ils habitent (cf page 323 du Sacrifice du matin) « avenue Marceau, l’appartement de la mère _ Marguerite Boissier _ de la fidèle amie _ genevoise _ qu’est Odette Massigli _ épouse du diplomate René Massigli (1888-1988). Les fenêtres de ma chambre donnent sur la cour de la Légation de Suède. » (…) Et « Nizan _ Alain de Camaret _ occupe toujours l’hôtel particulier que j’avais loué pour Frenay _ à Passy, dans l’éventualité du retour de Henri Franay, d’abord de Londres, puis d’Alger _ et qu’avec Pierrot _ Mussetta _ il avait transformé en forteresse. Miranda _ Armand Magescas _ n’a pas quitté son appartement de la rue Saint-Didier. Mais c’est à mon corps défendant _ précise ici Pierre de Bénouville _, car si le centre (sic) du boulevard Haussmann est pris _ et c’est ce qui se produira le samedi 25 mars 1944 ! _, les Allemands retomberont _ aussitôt _ sur son domicile« .  Et Pierre de Bénouville dispose à Paris de pas mal d’autres planques : rue Caumartin, avenue Niel, boulevard des Batignolles ; mais aussi rue de la Pompe, aux Halles, etc. _,

et, bien sûr, forcément, très soigneusement discrets :

courant juillet 1943 (cf le chapitre 48 du Sacrifice du matin, aux pages 282-283-284 : « J’avais organisé mon secrétariat particulier chez une amie d’enfance, Jacqueline Gruner, avenue de Breteuil. Avec elle, je m’étais installé _ voilà ! _ dans différents quartiers de Paris _ voilà !  _, des bureaux, des appartements de travail, des boîtes aux lettres. (…) Mes camarades du Comité Directeur des Mouvements Unis de la Résistance ne tardèrent pas à me rejoindre _ cette fin juillet et durant le mois d’août 1943 _ à Paris. Emmanuel d’Astier revint de Londres » (cela, ce fut le 25 juillet 1943 : une date-repère, donc…) ;

de plus,

et cela juste avant de commencer à loger un moment chez son ami Armand Magescas, rue Saint-Didier (« Je me rendis _ « en zone Nord« , et à Paris, ce mois de juillet 1943 _ en élément précurseur _ c’est là clairement exprimé. A Paris, mon ami Magescas _ né, lui, en 1905 _, que nous appelions du nom espagnol de Miranda _ peut-être du nom de ce camp franquiste par où passaient, internés un trop long moment, la plupart de ceux qui avaient franchi les Pyrénées clandestinement, et s’être fait interpeller par la Guardia civil… ; cf là-dessus cet autre livre passionnant de Robert Belot, Aux frontières de la liberté _ Vichy, Madrid, Alger, Londres _ S’évader de France sous l’Occupation _ parce qu’il s’occupait des lignes traversant les Pyrénées, avait un appartement rue Saint-Didier. Je m’installai _ un moment, donc _ avec lui. Comme il était administrateur d’une société d’exportations et d’importations installée au 76, boulevard Haussmann, je lui proposai de me prendre dans son affaire sous le faux nom, que j’adopterais pour Paris, d’Albert Langlois. Ainsi donc, j’avais une raison sociale, une couverture et un bureau où je pouvais travailler presque au grand jour. Parmi les employés de Magescas, tout le monde me croyait « Langlois »…« , pages 282-283 du Sacrifice du matin),

Pierre de Bénouville, afin de se refaire une santé (!), commence même par séjourner une semaine à l’Hôtel Bristol, ainsi qu’il le raconte avec humour à Laure Adler, page 221 d’Avant que ne vienne la nuit :

« Au milieu de l’été 1943 _ après la tragédie de Caluire, le 21 juin, et son mariage civil avec Georgie Thimonnier, à Pessan, près d’Auch, dans le Gers, le 22 juin dans l’après-midi, et avoir manqué se faire prendre par les Allemands à leur retour à Toulouse, le soir de cette journée (cf le chapitre 47 du Sacrifice du matin, pages 271 à 282) _, alors que j’étais le second de Frenay,

je parcourais _ cette fin juin et ce mois de juillet 1943 : Pierre de Bénouville et son épouse ont pris d’abord le chemin du Cantal (= le train vers Aurillac) _ en tout sens la France clandestine, exalté et de plus en plus surveillé _ son épouse restant alors cachée dans la région de Mauriac… J’étais alors très fatigué. Les Allemands s’approchaient de plus en plus de moi. Je sentais le piège se refermer sur moi. Pour avoir la vie sauve, il fallait se retirer.

Je me suis dit qu’on n’est jamais mieux protégé que chez l’ennemi. J’ai donc décidé d’aller m’installer à l’Hôtel Bristol _ à Paris. (…) Je suis resté dans cette chambre pendant une semaine« , juste avant de « s’installer«  provisoirement chez l’ami Magescas, rue Saint-Didier, et demeurant à Paris désormais ; « J’étais arrivé au Bristol épuisé, affamé, car à l’époque, trouver à manger était une obsession. Dans cet hôtel de luxe, il suffisait de téléphoner au service d’étage et je me faisais apporter tout ce que je voulais sur un plateau« ;

sur la datation de cette ré-installation à Paris de Pierre de Bénouville, puis de la venue à Paris de tout l’état-major des MUR ,

cf aussi le chapitre « Paris en été«  de L’Aventure incertaine de Claude Bourdet, pages 237-238-239 : « Je me souviendrai toujours de cette installation des Mouvements unis fin juillet ou début août 1943. (…) Il fallut trouver des logements et des locaux. (…) Bénouville installa le bureau central du service « Suisse » chez Jacqueline Gruner, avenue de Breteuil (…) Ce grand appartement devint vite un lieu de travail très actif, car les membres du service y préparaient toute la documentation à destination des Alliés (…). Vers la fin d’août, notre installation était complète«  ;

cf encore Jacques Baumel, Résister, page 368 : « Octobre 1943. L’installation des MUR _ à Paris _ est à peu près faite« …) ;

cela, en ce Paris quitté précipitamment au petit-matin, très tôt (à cinq heures, dès la levée du couvre-feu), du 25 décembre 1940, après avoir manqué se faire arrêter, lui et son ami Michel de Camaret, à son domicile d’avant-guerre, 141 avenue Victor Hugo (cf le chapitre 8 du Sacrifice du matin, aux pages 44 à 48 : « Nous sûmes, à la fin de la matinée _ de ce 25 décembre 1940 _, à un rendez-vous que j’avais donné au fils de ma concierge, que c’était à six heures du matin que, suivis de policiers français, les Allemands s’étaient présentés et qu’ils m’avaient demandé«  ; et « Les Allemands perquisitionnèrent chez moi, puis repartirent en emportant quelques papiers personnels. Pendant quatre ans, à intervalles réguliers, ils ne cessèrent jamais de revenir visiter ma maison«  de l’avenue Victor-Hugo, ainsi s’achève ce chapitre 8…).

Fin ici de l’incise sur les divers domiciles parisiens de Pierre de Bénouville, de courant juillet 1943 (à son retour, de Lyon, puis son mariage près de Toulouse, à Paris), jusqu’au tout début avril 1944 (lors de son départ vers l’Espagne, afin de rejoindre Alger).

Je reprends donc le passage interrompu de la page 86 d’Avant que ne vienne la nuit, à propos des liens de résistance noués entre Pierre de Bénouville et le Professeur Georges Portmann :

« Je _ = Pierre de Bénouville _ lui _ = Georges Portmann _ avais donné une adresse à Paris, chez une amie, où on m’adressait le courrier.

Et cette amie s’appelait Nicole Durand _ qui était donc au juste cette Nicole Durand ? Voilà un mystère qu’il faudrait bien élucider…

Le jour où Alain de Camaret a été arrêté _ le dimanche 26 mars 1944 _, il allait relever la boîte aux lettres en question _ dans ce récit tardif de Pierre de Bénouville à Laure Adler, de l’arrestation de Nizan – Alain de Camaret, le 26 mars 1944, il n’est pas question, cette fois, du rendez-vous (et de la souricière) au domicile de Max Brusset, 28 boulevard Raspail. Que doit-on en déduire ?


Au moment où je partais de chez moi _ ce dimanche 26 mars _, avenue Marceau faut-il en déduire que Pierre de Bénouville et son épouse Georgie n’ont pas encore quitté, ce dimanche, l’appartement de l’avenue Marceau, après la catastrophe de la prise par les Allemands du « Centre » de l’avenue de Breteuil ; et pas déjà rejoint l’hébergement de substitution de la rue Hamelin ? En effet, c’est bien le lendemain (le lundi 27 mars 1944) seulement, que s’opèrera ce transfèrement, comme l’indique explicitement La Sacrifice du matin, page 327… _, le matin _ c’est Pierre de Bénouville qui parle ; et dans ce souvenir, plus de cinquante ans plus tard après l’événement, son domicile, ce dimanche 26 mars 1944, était donc encore l’appartement de l’avenue Marceau (celui de la mère d’Odette Massigli, Marguerite Boissier), et pas encore celui (d’un autre ami) de la rue Hamelin, pour lequel il lui faut, à lui et son épouse, déménager de toute urgence… _, je me suis surpris à vérifier _ par précaution : nous sommes bien, ce dimanche, le surlendemain de l’arrestation de Claude Bourdet-Lorrain et de Jacqueline Gruner-Juliette au « bureau«  de l’Avenue de Breteuil, le vendredi 24 mars ; et Pierre de Bénouville était, et c’est peu dire, sur le qui-vive : sur des charbons ardents… _ que la voie _ pour qui ? pour son ami Nizan parti « relever la boîte-aux-lettres«  de chez Nicole Durand (mais aussi, ne l’oublions pas !) pour prévenir Armand Magescas, à son arrivée de Biarritz, à la gare d’Austerlitz…) ? ou bien pour lui-même, Pierre de Bénouville ? Il y a ici une ambiguïté qui fait question… _ était libre.


Et j’ai appelé cette Nicole, et je lui ai dit : « _ Tout va bien, Nicole ? »

Elle m’a dit : « _ Oui, tout va bien, mais pas pour toi ».
Je lui ai dit : « _ Bien. Très bien, merci. »

Et j’ai compris qu’il y avait _ ce jour, aussi, ce dimanche 26 mars, à nouveau _ quelque chose _ de grave _ qui se passait.
La Gestapo _ en effet _ était là _ chez Nicole Durand, donc… _

et a arrêté _ là, à cette « boîte-aux-lettres«  qu’il s’apprêtait à relever… _ un de mes seconds, le frère de Michel, Alain de Camaret _ Nizan _, qui n’est jamais revenu« …


Alors que dans Le Sacrifice du matin, en 1945, Pierre de Bénouville indique, page 326, que
« Nizan _ Alain de Camaret _ est arrivé _ au rendez-vous chez Max Brusset ; et en revenant de la gare d’Austerlitz où il n’avait pas pu retrouver Armand Magescas, puisque c’est sur le quai que celui-ci avait été immédiatement arrêté par les Allemands, à sa descente du train, et que les Allemands avaient quitté la gare avec leur prisonnier « par une porte dérobée«  (page 326 du Sacrifice du matin), à son insu, donc : cela je l’induis du reste des indications… _ exactement à l’heure dite _ dix heures, ce 26 mars 44 ;

et sans que puissent intervenir,

ni Pierre de Bénouville, arrivé trop tard boulevard Raspail (pour l’informer de la souricière tendue là par la Gestapo, comme il en avait été lui-même prévenu, soit par Georges Portmann, soit par Max Brusset…), de son domicile de l’avenue Marceau et de la boîte aux lettres de l’avenue Victor-Hugo ;

ni Max Brusset, qui se cachait chez sa voisine de l’étage du dessus, les Allemands occupant son appartement… _,

et qu’il a été pris immédiatement dans la souricière«  ; ce même dimanche 26 mars 1944, où a donc été arrêté aussi Armand Magescas – Miranda, mais lui plus tôt, ce matin-là, à sa descente du train, sur le quai de la gare d’Austerlitz.


Selon le récit des Entretiens,

c’est au domicile de Nicole Durand que s’est produite l’arrestation de Nizan (« Il allait relever la boîte aux lettres en question« ) ;

alors que c’est au domicile de Max Brusset que cette arrestation est advenue (« Arrivé exactement à l’heure dite _ dix heures _, Nizan a été pris immédiatement dans la souricière« ), selon le récit du Sacrifice du matin

Et si il est assez peu vraisemblable qu’il s’agisse du même domicile, cependant de l’ambiguïté, ici aussi, demeure, et m’interroge : quel lien peut-il donc y avoir entre l’adresse de Max Brusset et l’adresse de Nicole Durand ?.. Cela est à creuser !

Où se situe donc le domicile de cette Nicole Durand à Paris ?..

Et comment parvenir à le savoir ?..

Jusqu’à présent, je n’ai rien découvert concernant cette dame, amie donc de Pierre de Bénouville ;

sinon, tout de même _ mais est-ce vraiment approprié à l’identification de cette personne ? _, ce que rapporte Robert Belot, ce très remarquable chercheur _ et défricheur, ainsi, de détails décisifs ! _, à la page 104 de L’Affaire suisse, avec l’expression _ mais probablement cryptée… _ qu’utilise Philippe Monod (à Genève), en une note adressée à Pierre de Bénouville (à Lyon), le 20 avril 1943,

quand il parle de « la bonne Madame Durand » _ peut-il s’agir de la même personne que la Nicole Durand qu’évoque Pierre de Bénouville dans son récit tardif à Laure Adler ?.. Et qui peut donc cacher ce pseudonyme, si c’en est un, sous la plume de Philippe Monod, en avril 1943 ?.. A cette date d’avril 1943, il faut noter que Pierre de Bénouville ne s’est pas encore « ré-installé«  à Paris, où il n’est retourné, et très brièvement, qu’en février précédent, pour aider (en vain) à délivrer son ami Renouvin, prisonnier à Fresnes (cf Le Sacrifice du matin, pages 226 à 228 : « Le soir même j’étais dans le train roulant vers Paris, que je n’avais pas revu depuis décembre 1940 » ; il y passe deux journées et une seule nuit) ; il y retournera tout aussi brièvement le 16 mai suivant pour y rencontrer Max – Jean Moulin (pages 247 et 248 : « Max était à Paris. J’arrivais à Paris où je n’étais plus allé depuis l’arrestation de Renouvin«  et « Je repartis le soir même pour Mâcon, afin de me concerter avec Frenay« ) ; à propos de ces brefs retours à Paris avant le mois de juillet 1943, je remarque cependant, aussi, cette note de bas de page de Pierre Péan, dans son Vies et morts de Jean Moulin, à la page 428 : « selon Bénouville _ probablement lors d’un entretien Péan / Bénouville le 29 septembre 1998 _, il recrute Magescas lors de son voyage «  : Pierre de Bénouville n’évoque pas ce voyage à Paris au mois d’avril 1943, et, surtout, ses retrouvailles avec son ami Magescas, dans Le Sacrifice du matin_

et, cela, pour le travail de recherche de Robert Belot, d’après « un fonds d’archives inédit constitué de lettres et de notes que le siège de la Délégation à Genève fait parvenir au « Centre « , c’est-à-dire à Lyon, quai Saint-Vincent, où se trouvent _ encore à ce moment, c’est-à-dire au mois d’avril 1943 : aux mois de juillet et août ils déménageront à Paris _ les bureaux du service des relations extérieures des MUR, dirigé par Bénouville, et grâce au courrier retour de celui-ci. Avec le fonds Davet, nous possédons un corpus de toute première importance parce qu’il permet de reconstituer au jour le jour la perception que les résistants avaient des enjeux et des acteurs du moment« , pour reprendre la précision donnée par Robert Belot, page 97 de L’Affaire suisse ;

voici donc ce passage, à la page 104 de L’Affaire suisse :

« L’argent est le thème obsessionnel de cette toute première phase _ celle du mois d’avril 1943, donc _ de l’histoire de la Délégation _ suisse des MUR à Genève. On lui a donné _ à l’argent, donc : très impatiemment attendu des Américains, via leur ambassade de Berne _ le nom charmant de « cadeau de fiançailles », explique Robert Belot. Le « cadeau de fiançailles » est attendu dès la mi-avril _ mais il n’arrivera que le 7 juin… (cf page 117) _ comme le rapporte Monod en termes quelque peu sibyllins :

« 9 m’apprend ce soir _ le 20 ou le 21 avril 1943 _ que son cadeau de fiançailles lui sera livré demain mardi par le bijoutier qui le fera livrer chez 14. Je suis heureux de savoir que la bonne Madame Durand _ voilà l’expression intéressante ! _ se chargera de le transmettre aux époux qui pourront je pense l’admirer avant la fin de la semaine. »

« 9 » est américain, c’est tout ce que nous savons de lui, et de « 14 » nous ignorons tout, comme de « Madame Durand »… », précise en commentaire Robert Belot, page 104 de L’Affaire suisse


Il faut donc constater que le souvenir de l’arrestation de Nizan – Alain de Camaret le 26 mars 1944, tel qu’en fait le récit Pierre de Bénouville à la toute fin des années 90
ne coïncide
ni avec le souvenir-témoignage, en 1982, de Georges Portmann _ qui affirme que c’est Armand Magescas qui fut le seul à être arrêté en arrivant au domicile de Max Brusset, boulevard Raspail _,
ni, non plus, avec le récit premier, et bien plus détaillé, qu’avait fait en 1945 _ si j’en crois, du moins, mon édition de 1983 : il faudrait comparer les textes des éditions successives… _ Pierre de Bénouville dans Le Sacrifice du matin, aux pages 322 à 328 _ Alain de Camaret étant arrêté en arrivant au domicile de Max Brusset, à l’heure prévue (de dix heures)…


Voici donc, maintenant, le détail de ces deux récits,
en commençant par celui de Georges Portmann, page 169 de ses Souvenirs :


après avoir rappelé, à la page 168,
d’abord « les réseaux de résistance qu’animait Pierre de Bénouville, et dont mon fils René fut à ses côtés un des membres les plus actifs«  _ dont acte ! _ ;
puis,

que « c’est 28 boulevard Raspail dans le salon de Max Brusset que je (je = Georges Portmann) lui (lui = Pierre de Bénouville) présentai mon fils _ la date n’en étant pas indiquée…
René Portmann, qui dirigeait en Savoie un des réseaux de résistance _ mais pas auprès de Valette d’Osia, comme je l’avais précédemment envisagé dans mon article du mois de juillet ; là-dessus, j’ai obtenu d’utiles précisions de la part d’Eric Le Normand, de l’AERI _, étant complètement brûlé, avait été rappelé à Paris _ à quelle date ? comment ? par qui ? Nous l’ignorons à ce jour…

Tout naturellement, je proposai à Pierre de le prendre avec lui, ce qu’il fit, après avoir jugé de la qualité de l’homme« ,

voici, maintenant, le récit par Georges Portmann, en 1982, de l’arrestation d’Armand Magescas, pris dans la souricière de la Gestapo au domicile de Max Brusset _ et pas à sa descente du train de nuit en provenance de Biarritz, sur le quai de la gare d’Austerlitz _ :


« Ce salon _ de Max Brusset, 28 boulevard Raspail _ devait d’ailleurs devenir _ quelque temps plus tard cette présentation par Georges Portmann de son fils René à Pierre de Bénouville _ le lieu d’un drame qui fut heureusement limité _ à l’arrestation d’une seule personne : Armand Magescas, selon Georges Portmann _ par une intervention in extremis _ la sienne, après réception, vers neuf heures, de l’information de l’intervention de la Gestapo à dix heures…
Ma vie professionnelle _ raconte le Professeur Portmann _ se passait _ en partie, du moins : en dehors de ses activités maintenues aussi à Bordeaux ; Georges Portmann faisant le va-et-vient entre Bordeaux et Paris _ dans une maison de santé privée, 15 rue Franklin _ à Paris.

Mon bureau était devenu une des boîtes à lettres _ telle celle de Nicole Durand… _ du réseau de Pierre de Bénouville.
Il m’arrivait ainsi de prévenir les membres du réseau du lieu et de la date des réunions _ indépendantes du « bureau » de Juliette, avenue de Breteuil, indique et souligne à plusieurs reprises, de son côté, Pierre de Bénouville dans Le Sacrifice du matin.

Un certain matin _ le rendez-vous du réseau, ce 26 mars 1944, avait été fixé pour dix heures _
Je fus, une heure avant _ vers les neuf heures du matin, donc _, prévenu _ Georges Portmann dispose décidément toujours de très utiles informations… _ que la Gestapo viendrait nous surprendre _ comment la Gestapo en avait-elle été mise au courant ?.. _,

et je téléphonais à tous ceux que je pus atteindre de ne pas se rendre boulevard Raspail.


Pierre _ de Bénouville _ devait venir me retrouver à Franklin, et je pus _ donc, ainsi _ l’intercepter.


Max Brusset, comme il nous le raconta par la suite, resta chez lui jusqu’au dernier moment afin de limiter les dégâts _ mais que pouvait-il faire une fois les Allemands présents dans son appartement, et lui terré, se cachant à l’étage au-dessus, chez sa voisine ? Sinon téléphoner (très brièvement) de chez sa voisine, comme Pierre de Bénouville en a témoigné…

Et il ne s’enfuit par un vasistas dans la maison voisine que lorsqu’il entendit les coups de sonnette des policiers allemands _ ici, le témoignage de Georges Portmann diverge de celui de Pierre de Bénouville.


Malheureusement nous ne pûmes alerter à temps Magescas _ débarquant, lui, du train de Biarritz à la gare d’Austerlitz _ qui tomba entre leurs mains _ en arrivant chez Max Brusset, dans l’esprit de Georges Portmann, semble-t-il, quand il dit : « Ce salon _ de Max Brusset, boulevard Raspail _ devait d’ailleurs devenir le lieu d’un drame _ celui de l’arrestation d’Armand Magescas _ qui fut heureusement limité par une intervention in extremis«  Il fut arrêté, martyrisé et resta gravement handicapé« .


Et voici maintenant le récit des arrestations de ce 26 mars 1944 par Pierre de Bénouville en 1945 dans Le Sacrifice du matin,
qui débute avec le récit de précédentes arrestations, déjà, le 24 mars, au domicile de Jacqueline Gruner – Juliette, avenue de Breteuil,
un des « bureaux«  _ et plus spécialement celui de la « voie Lahire« , vers la Suisse _ où travaillait très fréquemment Pierre de Bénouville à Paris.

Je rapporte ici ce récit à partir de la page 323 du Sacrifice du matin :
« Arrivé de Suisse, Miranda _ = Armand Magescas _ part pour trois jours. Il ira jusqu’à Saint-Sébastien préparer notre passage _ celui de Maurice Chevance et de lui-même, Pierre de Bénouville, par l’Espagne vers Alger, où se trouvent et Frenay et de Gaulle, afin d’y rejoindre ces derniers. Armand Magescas se rend ainsi à Saint-Jean-de-Luz et à Saint-Sébastien préparer les modalités pratiques du dispositif de passage en Espagne, par Ascain et la montagne ; puis du voyage, depuis Saint-Sébastien, vers Madrid.


Pour la durée de mon absence _ à Alger _, je me suis choisi un remplaçant _ à la tête du service des Relations Extérieures des MUR, à Paris, et pour servir de relais-directeur avec la Délégation suisse des MUR à Genève _, René Portmann _ voilà ! mais ce choix peut-il avoir eu lieu avant l’arrestation de Nizan, le dimanche 26 mars 1944 ?.. _, qui a été _ jusqu’à quel moment ? _ responsable des maquis de Savoie _ dans les Bauges et la Maurienne ; mais pas auprès de Valette d’Osia _ ; nous le baptisons La Varende _ mais La Varende, au départ, ne devait-il pas devenir l’assistant de Nizan, plutôt que carrément le remplaçant de Pierre de Bénouville ?..


Je l’initie _ mais à partir de quand ? Peu avant ce projet de départ de Chevance et Bénouville vers Alger ? Ou bien dès, au moins, le mois d’octobre 1943, à suivre l’analyse de la correspondance entre Pierre de Bénouville et la Délégation suisse des MUR, à Genève, que mène très remarquablement Robert Belot dans L’Affaire suisse ? _, avec Nizan _ Alain de Camaret _ et Juliette _ Jacqueline Gruner _, au fonctionnement du service _ des Relations Extérieures des MUR, désormais situé à Paris : depuis juillet-août 1943… (…).


Tout est en ordre. J’ai fait mes adieux à tous mes camarades. Chevance et moi allons partir.


Miranda va rentrer d’un instant à l’autre _ quel jour sommes-nous donc ? vendredi 24 ? samedi 25 ? dimanche 26 ? Non, nous sommes encore, ici, le vendredi 24 _ et me dire _ Armand Magescas est en effet un grand connaisseur des Pyrénées (il est palois ; et d’une famille très anciennement fixée à Peyrehorade, au confluent des Gaves de Pau et d’Oloron, et de l’Adour) ; ainsi que grand connaisseur de l’Espagne, en particulier au cours de la guerre civile espagnole (d’où le choix de ce pseudonyme : Miranda) ; et son épouse est espagnole _ quelle voie nous suivrons _ d’abord pour pénétrer clandestinement de France en Espagne ; ensuite, pour rejoindre, à partir de Saint-Sébastien, Madrid, et Gibraltar, puis Alger.


Il a, pour le surlendemain _ de ce 24 mars, jour dont se souvient ici Pierre de Bénouville ; et le surlendemain, c’est bien le dimanche 26 mars ; et c’est ce 26 mars seulement qu’Armand Magescas débarquera effectivement du train revenant de Biarritz… _, rendez-vous avec nous _ chez Max Brusset, 28 boulevard Haussmann, très probablement… _, vers dix heures du matin _ car c’est bien là l’heure du rendez-vous d’ores et déjà fixé, avec certains (dont Georges Portmann) chez Max Brusset ; et ce que permet en effet, à Armand Magescas – Miranda, cette arrivée très matinale du train de nuit en gare d’Austerlitz ; outre la capacité de passer même auparavant aussi chez lui, rue Saint-Didier, voire au « bureau«  du boulevard Haussmann. Armand Magescas est donc bien au courant de ce rendez-vous fixé chez Max Brusset dimanche 26 mars à dix heures !


Nous sommes _ ce vendredi 24 mars _ en train de déjeuner hâtivement, ma femme et moi, avenue Marceau, lorsque Nizan arrive en trombe _ depuis l’appartement de Passy, probablement, qui lui sert de domicile.
Il attend que le concierge qui sert _ à table _ soit sorti de la pièce et me dit :
_ « La Gestapo est chez Juliette » _ avenue de Breteuil.
Il vient en effet de téléphoner chez notre amie pour lui rappeler que j’irai travailler chez elle l’après-midi,
et tout de suite elle lui a dit qu’elle était très malade et qu’elle ne pourrait pas nous recevoir.
(…)
_ « Je suis très malade », a répété Juliette : « très malade. » (…) « J’en ai au moins pour un an ! »
Je dis à ma femme de m’attendre en préparant _ aussitôt _ nos valises _ il faut e plus vite possible déguerpir ! ; Pierre et Georgie de Bénouville vont trouver à se faire héberger chez un ami totalement indépendant des réseaux de Résistance, rue Hamelin, de l’autre côté de la place de l’Etoile par rapport à l’avenue Marceau ; mais quand se fera ce changement de domicile ? Le lundi 27 mars seulement : le récit de ce départ de l’appartement de l’avenue Marceau pour celui de la rue Hamelin, se trouve à la page 327 du Sacrifice du matin

Je me précipite dans un bureau de tabac proche et, pour vérifier _ cette terrible nouvelle de Nizan _, compose le numéro Suffren 49-10 _ de Juliette – Jacqueline Gruner.
(…)
_ « Je voudrais parler à Mademoiselle Gruner. »
_ « Al est sortie », dit l’homme. « Mais ça serait t’y pas monsieur Barrès ? » (…)  « Et al m’a dit de vous dire », continue la voix, « de bien prévenir tous les copains de venir aujourd’hui. Al est souffrante et pourra pas travailler demain. »
(…)
Nous sommes _ présentement _ seuls, Nizan et moi, pour faire face à l’orage.
Et il faut se presser, car Claude Bourdet qui sait que je devais préparer le courrier pour la Suisse chez Juliette, doit y passer _ ce vendredi 24 mars _ avant quatre heures
_ cf ce que corrige de ce détail Claude Bourdet page 324 de L’Aventure incertaine.


Il n’y a pas moyen de faire autrement : je pars guetter devant la porte _ avenue de Breteuil, donc.
(…)
Un instant je monte chez mes parents qui habitent à deux pas de là. Ils quitteront _ eux aussi _ Paris le jour même _ pour se mettre immédiatement à l’abri des représailles de la Gestapo à l’égard de la parenté de Pierre : il n’y a pas une seule seconde à perdre !
Je reviens prendre ma faction _ avenue de Breteuil.
L’heure limite _ quatre heures de l’après-midi _ s’écoule. Bourdet manque souvent ses rendez-vous et je ne suis donc pas étonné qu’il en soit ainsi aujourd’hui, mais bien au contraire soulagé.
Je rejoins Nizan à qui j’ai fixé un point de rencontre près des Invalides. Lui-même doit non loin de là retrouver La Varende _ René Portmann.


Il faut vite prendre des décisions _ pour la sécurité-survie du Service, et de ses membres : en interrompre l’hécatombe.
D’abord prévenir Chevance que l’avenue de Breteuil _ qu’il connaît lui aussi _ est brûlée.
Puis envoyer tout de même le courrier.
Je ne peux me séparer ni de Nizan ni de Fortoul. C’est Dominique Faroni qui partira vers la frontière _ suisse. J’ignore qui sont Fortoul et Dominique Faroni : probablement des porteurs de courrier.


En prenant le métro vers dix heures du soir _ ce vendredi 24 mars, toujours ? ou déjà samedi ?.. _, nous _ avec qui, précisément, se trouve ici Pierre de Bénouville ? Nizan ? La Varende ? Fortoul ? et où se rend-il ? avenue Marceau, encore ? ou bien rue Hamelin, déjà ?.. Non, le départ, avec son épouse, pour la rue Hamelin ne se produira que le lundi ! _ rencontrons Vélin _ André Bollier _, qui est certain _ hélas à tort _ que Claude n’a pas été pris parce qu’il aurait été retenu ailleurs par un autre rendez-vous. C’est un samedi soir _ le 24 mars était un vendredi. Que déduire de cette donnée, ici (« C’est un samedi soir« …), du récit ? Que le récit de Pierre de Bénouville vient là de condenser les deux journées ?..


Le dimanche _ le 26, par conséquent… _, nous nous concertons _ comment ? où ? et à quelle heure, très tôt le matin… _ avec Nizan et La Varende _ René Portmann, donc : « adjoint« , alors de Bénouville (ou de Nizan) , au service des Relations Extérieures des MUR, avant d’y devenir le « remplaçant«  de Pierre de Bénouville quand celui-ci sera parti, début avril (le soir du 5), vers Alger ; et que Nizan aura été arrêté (un peu plus tard dans cette même matinée du 26 mars : à dix heures !)par la Gestapo…


J’appelle le boulevard Haussmann _ au 76, se trouve en effet un autre des « bureaux«  de Pierre de Bénouville, là où siège l’entreprise d’import-export que dirige Armand Magescas _ d’une cabine téléphonique _ qui donc Pierre de Bénouville cherche-t-il à y contacter ?.. Je l’ignore.
Un Allemand me répond en mauvais français, s’impatiente qu’on ne parle pas. (…) Et il raccroche _ le « bureau«  du boulevard Haussmann est donc désormais lui aussi brûlé ! Nouvelle catastrophe, après celle de l’avenue de Breteuil !..


Avec La Varende, nous bondissons rue Saint-Didier _ au domicile personnel de Magescas. (…) C’est là _ chez lui, à son domicile _ que doit _ au moins possiblement _ se rendre Magescas en sortant du train _ de nuit venant de Biarritz, à la gare d’Austerlitz.
Sur un bout de papier, je gribouille :
« Ne va pas au bureau _ du boulevard Haussmann. Rendez-vous _ impératif ; et c’est un rappel : Miranda, en étant déjà au courant… _ à dix heures chez le gendre de Robert ».


J’ai en effet rendez-vous _ avec qui exactement ? _ ce matin-là _ le dimanche 26 mars _ chez Max Brusset dont le beau-père a pour prénom Robert.
Brusset habite boulevard Raspail _ au 28. Il fut avant guerre chef de cabinet de Mandel.
Et il a conservé de précieux contacts aux PTT. Il doit précisément me faire rencontrer des gens des Postes et de la radiodiffusion _ dont Georges Portmann ? Lequel fut, en effet, à Vichy, du 4 janvier au 16 février 1941, non seulement Secrétaire général à l’Information, mais aussi directeur de la radio : il y connaît beaucoup de monde ; et Pierre de Bénouville (dont le métier est journaliste !) l’avait rencontré (et noué un très précieux contact avec lui) lors de sa venue à Vichy, la première quinzaine de décembre 1940.

De bonne heure, le matin _ de ce dimanche 26 mars 1944 _, Nizan _ qui habite la villa (à trois entrées différentes) de Passy, que Bénouville réserve à l’éventuel retour à Paris, de Londres, puis d’Alger, de Henri Frenay… _ passe me voir _ où ? est-ce déjà au nouveau domicile de la rue Hamelin, si Pierre de Bénouville et son épouse Georgie ont quitté l’appartement de l’avenue Marceau dès le vendredi 24 mars, à l’annonce que le « bureau«  de l’avenue de Breteuil était « brûlé«  ! Non, ils ne quitteront l’avenue Marceau que le matin du lundi 27 mars, avant le déjeuner (cf Le Sacrifice du matin page 327) : le lendemain, par conséquent, de ce dimanche très bousculé.

Je lui confirme _ et lui aussi, comme Miranda, en est informé ; et il n’y a pas (pas encore du moins, de si bonne heure) contre-ordre… _ le rendez-vous _ de dix heures chez Max Brusset.
Et pour plus de sécurité, je lui demande d’aller _ d’abord, auparavant _ attendre Magescas à la gare _ d’Austerlitz, à l’arrivée du train de nuit de Biarritz : nous sommes alors, en effet, de très bonne heure ; et il s’agit d’empêcher coûte que coûte l’ami Magescas de se rendre au « bureau«  du boulevard Haussmann, désormais « brûlé«  ; et même à son domicile de la rue Saint-Didier, probablement lui aussi « brûlé« . Il y a très grave péril en la demeure…


Au moment où je sors de chez moi _ encore avenue Marceau, donc  _, je décide d’aller à deux pas de là pour voir si rien n’est arrivé pour moi dans une boîte aux lettres installée avenue Victor-Hugo et où aboutit une des lignes du Jura.
Je m’y rends. L’amie qui m’accueille _ qui est-elle ? Serait-ce elle, la mystérieuse Nicole Durand ?.. _ n’a rien reçu.


Je la quitte et suis déjà dans l’escalier lorsque le téléphone sonne dans l’appartement. Un instant elle hésite à répondre, puis me prie d’attendre et décroche.
Elle dit :
_  « Un instant. »
Puis, pâle, elle me rejoint :
_ « On demande d’urgence M. Barrès » _ un des pseudonymes de Pierre de Bénouville. « Que dois-je répondre ? »


Je remonte vite,

je cours aux fenêtres qui donnent sur l’avenue pour vérifier qu’aucune voiture suspecte ne stationne,
puis après un instant je me décide à prendre l’appareil et à dire :
_ « Allô ! qui demandez-vous ? »
Je reconnais la voix de Max Brusset que nous appelons Montherlant.
Il murmure plus qu’il ne dit :
_ « Ne viens pas à la maison. Ils sont chez moi. »
La communication est tout de suite coupée.
Comment a-t-il pu savoir le numéro de l’endroit _ cette « boîte-aux-lettres » de l’avenue Victor-Hugo… _ où j’étais ?

J’apprendrais par la suite que la Gestapo s’est présentée chez lui alors qu’il était encore au lit _ sans donc en avoir été prévenu par un coup de fil de Georges Portmann, peu après neuf heures.
Par un escalier intérieur, il a grimpé, à peine vêtu, à l’étage supérieur où une vieille dame, qui dormait encore, n’a pas été autrement surprise de voir entrer chez elle ce monsieur en pyjama.
Elle a accepté de le cacher.


Brusset s’est alors souvenu du numéro de téléphone d’une amie commune _ qui est-elle ? est-ce celle-ci, la fameuse Nicole Durand ?.. _ qui a quelquefois fait des liaisons entre nous.
Il a eu l’idée de lui téléphoner et de lui demander mon adresse _ que Max Brusset, par précaution de sécurité du service, ignorait donc, car « Miranda – Magescas, Nizan », et Pierre de Bénouville lui même, « sont les seuls à connaître«  cette adresse de l’avenue Marceau, celle de « cette demeure qui fut la nôtre pendant de longs mois« , à son épouse, depuis son arrivée, du Cantal, à Paris, et lui-même (Le Sacrifice du matin, page 327)…
Celle-ci _ l’amie contactée par Max Brusset _, bien entendu _ sécurité oblige ! _, l’ignorait. (…)
Néanmoins (…) à tout hasard, elle donna le numéro de téléphone de l’appartement de l’avenue Victor-Hugo. C’était en effet elle qui m’avait fourni cette boîte aux lettres.

Il s’agit maintenant _ poursuit son récit Pierre de Bénouville, page 326, et suite à ce coup de fil de Max Brusset, vers les neuf heures _ d’empêcher _ à tout prix ! _ Miranda-Magescas et Nizan _ Alain de Camaret, parti gare d’Austerlitz prévenir l’ami Magescas à sa descente de train, de ne surtout pas se rendre boulevard Haussmann, au « bureau«  brûlé… _ de monter chez Brusset.


Je me précipite dans le métro _ il n’y a pas une minute à perdre !
Les changements _ depuis l’avenue Victor-Hugo _ sont longs.
Lorsque j’arrive _ aux alentours du 28 boulevard Raspail, le domicile de Max Brusset _, il est _ déjà _ 10 heures passées.
J’apprendrai plus tard _ probablement par Max Brusset _ que Nizan est arrivé exactement à l’heure dite, qu’il a été pris immédiatement dans la souricière _ dès qu’il a sonné _,
et que pendant que je l’attendais _ au dehors, à proximité de l’immeuble _, on le fouillait, on le frappait, on l’interrogeait et que commençait son martyre.

Quant à Miranda-Magescas _ continue son récit Pierre de Bénouville, page 326 du Sacrifice du matin _,
Nizan n’a _ même _ pas vu le voir à la sortie de la gare _ d’Austerlitz : à quelle heure donc ? Très tôt ; bien avant les dix heures du rendez-vous chez Brusset ! _,
car il était attendu sur le quai par la Gestapo
et a été désigné aux policiers dès sa descente de train par la secrétaire de notre société _ celle d’import-export que dirigeait Armand Magescas _ du boulevard Haussmann _ cette adresse du boulevard Haussmann ayant été elle-même découverte probablement lors de l’intervention de la Gestapo chez Jacqueline Gruner – Juliette, le vendredi 24 mars, avenue de Breteuil.
Cette femme ignorait tout de notre société secrète (…). Quelques claques vigoureuses la feront parler.
Ainsi elle acceptera de dire qu’elle croit que Miranda-Magescas _ le patron de l’entreprise d’import-export _ va rentrer de Biarritz par le train du matin.
Cela ne l’empêchera pas d’être déportée«  (…) : « comme juive. Nous avions toujours ignoré qu’elle l’était« …

Les catastrophes, avenue de Breteuil le 24, boulevard Haussmann le 25, à la gare d’Austerlitz et boulevard Raspail le 26 mars 1944, se sont ainsi enchaînées, ces terribles trois jours de la fin mars 1944.

A propos de cet enchaînement de catastrophes de la fin mars 1944

_ il faut y ajouter, en effet, la catastrophe du samedi 25 mars, comme l’indique Claude Bourdet, page 324 de L’Aventure incertaine : « Les catastrophes ne s’arrêtèrent pas là _ à son arrestation, après celle de Juliette – Jacqueline Gruner, et la main-mise par la Gestapo sur tous les papiers de ce « Centre » de la « Voie Lahire« , avenue de Breteuil… _ : le lendemain _ du vendredi 24 mars, avec la double arrestation de Claude Bourdet lui-même et de Jacqueline Gruner, avenue de Breteuil : le samedi 25 mars, donc _, un autre bureau de la « Voie Lahire » _ celui du boulevard  Haussmann : c’est très probablement à celui-là que Claude Bourdet fait ici allusion _ était pris ; le surlendemain _ le dimanche 26 mars _, Camaret et Magescas étaient arrêtés _ dans quel ordre ? d’abord, Magescas, à sa descente de train ; ensuite Camaret, ayant sonné chez Max Brusset, vraisemblablement. Je les ai retrouvés à Compiègne le 1er ou le 2 juin« , indique Claude Bourdet, page 335 de L’Aventure incertaine : pas moins de deux mois après, les mois d’avril et de mai s’étant donc écoulés pour eux dans les geôles et entre les griffes de la Gestapo… ;

et c’est bien de Compiègne que tous ces membres (et amis entre eux) de Combat et des MUR partirent ensemble, en un même convoi, pour l’Allemagne, « probablement le 3 au matin, car nous sommes restés trois jours en route, et nous sommes arrivés le 6 _ juin 1944. Je m’étais joint _ Claude Bourdet, ici, poursuit son récit, à la page 337 de son livre _ aux camarades que je connaissais, en particulier Alain de Camaret, Armand Magescas et d’autres camarades _ encore : lesquels ? _ du service de Bénouville, arrêtés fin mars » ;

« Enfin, un matin au petit jour _ le 6 juin 1944 _, nous sommes arrivés au camp de Neungamme« , où, plus tard dans la journée, un « Hollandais, prisonnier politique » dira « avec un grand sourire dans les yeux : « ils ont débarqué ce matin à l’aube en Normandie ; faites passer« … », ainsi que rapporte cet élément de datation en effet mémorable, Claude Bourdet à la page 339 de L’Aventure incertaine.

Fin ici de l’incise de ce que rapporte Claude Bourdet des conséquences de l’intervention des Allemands au « bureau«  de l’avenue de Breteuil, et « centre«  de la « voie Lahire« , le 24 mars 1944 _ ;

À propos de cet enchaînement de catastrophes de cette fin mars 1944,

je détache cette remarque rétrospective de Pierre de Bénouville, récapitulant la succession des arrestations, cette fin mars 1944, page 327 du Sacrifice du matin :

« Quelles sont les découvertes faites par la Gestapo ? Comment a-t-elle pu intervenir _ aussi _ chez Brusset qui fait partie d’un circuit tout à fait différent _ il faut le souligner _ de celui où j’ai inséré Juliette ? » _ Jacqueline Gruner, arrêtée chez elle, avenue de Breteuil _ ;

et encore cette autre remarque, page 333 du Sacrifice du matin :

« Les Allemands ont dû trouver chez Juliette _ avenue de Breteuil, donc _, sur un morceau de papier oublié ou dans un carnet, l’adresse du boulevard Haussmann, où celle-ci n’était venue qu’une fois.

Cependant leur intervention boulevard Raspail, chez Brusset, demeure _ elle _ inexplicable » _ étant donné le cloisonnement des services ainsi que des agents, auquel veillait impérieusement Pierre de Bénouville, probablement sur les conseils très stricts de Jean Gemälhing,

comme l’indique aussi pour sa part Jacques Baumel dans son Résister, pages 85 à 87 :

« Gemähling avait mis au point un certain nombre de règles qui peuvent paraître aller de soi, mais qui étaient difficiles à respecter, et pourtant impératives si on voulait espérer survivre plus de six mois. (…) Ces règles étaient développées dans un véritable petit guide du parfait espion que Gemähling avait rédigé avec une virtuosité remarquable. Il l’avait fait taper par une secrétaire de Belpeer _ un ami commun marseillais : Jacques Baumel vivait à Marseille ; et Jean Gemälhing a fait partie, à Marseille, du réseau de Varian Fry… _ et m’en avait confié un exemplaire. J’ai malheureusement perdu ce texte étonnant dans mes pérégrinations ultérieures. Tout y était répertorié. (…) Je dois à mon observance presque maniaque de ces règles d’avoir non seulement survécu, mais, ce qui est une sorte d’exploit, de n’avoir jamais été arrêté par les forces de répression » _ bien que n’ayant jamais quitté, lui, Jacques Baumel, le territoire métropolitain toutes ces années d’Occupation, ni pour Londres, ni pour Alger ; mais résidant, jusqu’à la Libération, d’abord dans le Midi (Baumel est marseillais), puis à Lyon, et ensuite à Paris, ou parcourant la France occupée.


Ces journées du vendredi 24 et du dimanche 26 mars 1944, ont été ainsi arrêtés, le vendredi 24, Jacqueline Gruner – Juliette et Claude Bourdet – Lorrain ; puis Armand Magescas – Miranda, le dimanche 26, très tôt le matin. Puis, un peu plus tard, à dix heures, Alain de Camaret – Nizan, toujours ce même dimanche 26 mars… Et peut-être, ou probablement, d’autres…


Et ici, à propos de ces divergences de témoignages-souvenirs que j’ai en ce travail de confrontation relevées,
je voudrais citer une belle réflexion de Claude Bourdet sur la très réelle difficulté d’apporter à la détermination des faits historiques, la contribution, le temps passant, des souvenirs, même les plus sérieux et sincères, des acteurs et témoins de l’Histoire, page 146 de L’Aventure incertaine :


« Je me suis étendu sur ce problème _ celui des incertitudes de datation et de contextualisation, pour qui essaie de témoigner par l’acte de se souvenir, de faits vécus passés… _ pour montrer comme il est difficile, trente ans après _ les faits _, de rapporter de manière tout à fait précise _ et sans erreur _ des événements auxquels on a été pourtant étroitement mêlé. Moulin, Delestraint, Marcel Peck, les trois hommes qui auraient _ à propos de l’occurrence précise dont Claude Bourdet traite alors, à propos d’événements du mois de septembre 1942 _ qui auraient pu le mieux _ aider, contribuer, à _ préciser cette chronologie, sont morts. Aucun de nous ne tenait de « journal ». Chacun conserve un souvenir assez vivant des événements _ certes _, mais quant aux dates, quant aux relations _ très importantes pour comprendre ce qui s’est passé, et l’établir le mieux possible… _ avec d’autres faits qui se sont produits à la même époque, c’est plus douteux. C’est pourquoi on relève certaine contradictions dans tous les récits.« 


C’est bien sûr là que doit venir prendre le relais des témoignages des acteurs de l’Histoire, le travail propre, et spécifique, des historiens :

vérifiant la stricte matérialité des faits mêmes, et les contextualisant sans relâche, afin d’affiner leurs analyses de ce qui s’est passé, et en commençant, forcément, par essayer d’établir _ et c’est fondamental et basique ! _ ce qui s’est effectivement produit _ en mettant la précision maximale possible sur les lieux et sur les dates, voire les horaires ; ainsi que sur l’identification des personnes… _ ; en s’appuyant aussi, outre la critique des divers témoignages dont ils disposent, sur ce que peuvent nous apprendre, jour après jour, des archives parmi celles qui sont heureusement conservées, quand elles sont judicieusement explorées et interrogées. Soit un chantier complexe et riche, ouvert à l’infini _ tant le moindre détail devient très important pour qui peut en tirer parti…


Maintenant,
sur le parcours de résistance singulier de René Portmann (= La Varende, Godard, 3bis, 15 : soient les divers pseudonymes qu’indique Robert Belot dans L’Affaire suisse _ la Résistance a-t-elle trahi de Gaulle ?…),
j’ai repéré et lu avec soin tout ce qu’en dit Robert Belot dans L’Affaire suisse (aux pages 36, 219, 261 à 263, 280 à 283, 295, 321-322, 327, 363 à 365, 384, 398-399, pour être exhaustif).


Or la chronologie accessible, semble ici indiquer _ cf déjà mon article du mois de juillet : La fécondité magnifique du détail dans le travail d’enquête de Robert Belot sur les Résistances en France sous l’Occupation _ que René Portmann est en étroite liaison avec Pierre de Bénouville bien avant ce mois de mars 1944 quand Pierre de Bénouville lui demande de s’apprêter à le remplacer _ en fait, probablement, d’abord remplacer Nizan – Alain de Camaret (initialement prévu pour le remplacer lui, Bénouville) ; puis, une fois Nizan arrêté, alors le remplacer lui-même : par la force de ce tragique concours de circonstances !.. _, à Paris, au Service des Relations Extérieures des MUR, quand il a décidé (ainsi que Maurice Chevanche) de partir au plus tôt rejoindre _ en fait,ce sera aux premiers jours d’avril _, et via le très risqué passage en Espagne, Alger :


soit au moins dès le 22 octobre 1943 (à suivre ce qu’indiquent les remarquables analyses _ d’après les archives du service des Relations Extérieures des MUR et celles de sa Délégation suisse de Genève _, de L’Affaire suisse, à la page 283).


Cf, ainsi, les diverses références aux courriers échangés (envoyés ou reçus par René Portmann) :
le 17 janvier 1944 (page 264),
le 31 janvier 1944 (page 280),
vers le 2 février 1944 (page 281),
le 5 février 1944 (page 321),
et deux courriers le 18 février 1944 (pages 321 et 322)
que cite et utilise Robert Belot en son livre.


C’est pour cela que la chronologie des diverses activités de résistance de René Portmann m’intéresse spécialementnotamment les modalités de son passage des maquis des Corps-francs de Savoie, dans les Bauges et la Maurienne _ Georges Portmann, son père, est natif de Saint-Jean-de-Maurienne…au Service des Relations Extérieures des MUR à Paris _ via peut-être, aussi, un passage par Lyon : mais dès le mois d’août 1943, les services des MUR ont tous quitté Lyon pour s’installer à Paris _et, plus spécialement encore, en rapport avec la Délégation de Genève des MUR, dirigée, là-bas, par le général Davet et Philippe Monod : peut-être Éric Le Normand, qui connaît particulièrement ce dossier des maquis de Savoie, pourra-t-il apporter sur ce point de nouvelles précisions...

Et je recherche aussi des précisions sur ces personnes trop rarement citées dans les travaux des historiens : Max Brusset _ qui fut chef de cabinet de Georges Mandel au ministère des PTT _, Nicole Durand, etc. : membres plus obscurs, jusqu’ici, des réseaux de Pierre de Bénouville…

De même que j’aimerais savoir ce que sont devenus, après la guerre _ et d’abord dans l’immédiat après-guerre _, ceux de ces Résistants qui ont survécu à ces événements :

_ par exemple Armand Magescas, à son retour de déportation _ à la différence d’Alain de Camaret, ou de Jacqueline Gruner, qui ne sont pas rentrés : je sais seulement que Pierre de Bénouville l’a fait travailler avec lui aux Editions Robert Laffont  _,

_ et aussi, bien sûr, René Portmann :

pourquoi la chronique historiographique est-elle aussi silencieuse à son sujet ?

De même, déjà, que les propres témoignages de Pierre de Bénouville sur lui, tant dans Le Sacrifice du matin que dans Avant que la nuit ne vienne ;

_ ainsi que Georges Portmann, du moins avant son brillant retour au Sénat le 19 juin 1955 :

quels éléments de son dossier concernant ses activités de Résistance, conduisirent-ils à son acquittement le 27 février 1946 par la Haute Cour de Justice ?

L’Histoire de l’épuration, de Bénédicte Vergez-Chaignon, qui, page 510, cite seulement _ hélas _ le nom de Georges Portmann au sein d’une liste d’autres personnalités acquittées _ sans nulle précision, ni commentaire _, demeure, je l’ai déjà dit, décevante, du moins pour ma recherche le concernant, lui.

Sans compter que n’existe à ce jour aucun travail historiographique consacré ce bordelais éminent qu’a été George Portmann !

Tout cela est à suivre…

À côté de mon enquête principale de micro-histoire,

je veux dire celle que je poursuis sur le parcours de mon père, homme discret, dans le Sud-Ouest sous l’Occupation,

entre juin 1942 et septembre 1944…

Titus Curiosus, le 27 septembre 2014

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