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L’humour « ouragant » d’Hélène Cixous : de Siegfried Katzmann lecteur de Freud et Walter Benjamin, en 1937-38, à Fred Katzmann, « petit homme gallinacé » et « le deuxième ultramoche parmi les prétendants » d’Eve, après 1985-86

07fév

Hier, au terme de mon second article à propos de 1938, nuits, d’Hélène Cixous

_ soit d’abord, en prologue,  le 4 février,

puis  hier 6 février _,

j’en suis venu à désirer placer maintenant le focus de mon regard-lecture-analyse

sur un élément à mes yeux capital de l’œuvre d’Hélène Cixous :

son formidable et merveilleux humour

_ et c’est un élément tout spécialement actif, en contrepoint (permanent ; et c’est un trait de famille : son père, Georges Cixous, sa mère, bien sûr, Ève Klein-Cixous, ses deux enfants, sa fille et son fils, sa tante Erika Klein-Barme, etc.) de l’horreur narrée, en cet opus nouveau-ci, 1938, nuits,

et cela tout particulièrement à propos du personnage-pivot de cet opus qu’est Fred Katzmann,

qu’Hélène, elle, à la différence de son fils et de sa fille (chez laquelle Fred a, avec Ève, au moins résidé quelques jours, « à Ithaca New-York« , « en 1988« , comme indiqué, au passage (page 86) de la conversation d’Hélène avec sa fille et son fils, conversation développée aux pages 84 à 88) ;

Fred Katzmann, donc,

qu’Hélène, donc, n’a peut-être jamais (dans le récit, la chose demeure dans le flou) rencontré de son vivant (Fred Katzmann étant décédé à Des Moines, Iowa, le 18 septembre 1998 ;

cependant, page 10, Hélène dit ceci, à propos de sa mère Ève :

« Bien des fois, j’ai cru la perdre _ pour un homme, qu’Ève aurait donc suivi ? _, je l’ai perdue _ en vrai ? du vivant d’Ève ? qui serait de fait partie rejoindre un homme ? ou bien s’agirait-il bien plutôt, voilà !, d’une perte (par intermittences) de rêve, ou dans les rêves ?.. Ève se mettant à déserter les rêves de sa fille, Hélène ? Á ce stade du tout début de l’opus, page 10, le lecteur est incapable de savoir sur quel pied il va bien pouvoir danser, en ce récit sans guère de repères sur lesquels pouvoir un peu compter pour se fixer tant soit peu en une relative stabilité de l’ordre du discours : la narratrice jouant à s’amuser un peu de nous, ses lecteurs un peu désorientés… Tout flotte encore un peu, avec légèreté, dans de l’indécidable ; et c’est une forme d’humour de l’auteur vis-à-vis des lecteurs entamant ici avec confiance leur lecture… _, elle est revenue.

Cela me fait penser _ nous y voilà donc _ au voyage _ lequel ? Fred et Ève en firent plusieurs, dans des pays lointains, pour des vacances (nous l’apprendrons plus loin, aux pages 85, 86, 88, par exemple : Hawaï, New-York, Istanbul, Buenos Aires, Majorque…) ; qu’a pu donc avoir de particulier ce voyage (de « road movie« , évoqué page 10 : qu’est-ce à dire ?) auquel Hélène fait allusion ici ?.. _ qu’elle _ Ève _ a  fait avec Fred _ nous y voilà ! Et telle est la première apparition (onirique ? et de quand daterait un tel rêve ?..) de Fred Katzmann dans cet opus, 1938, nuits _

j’étais occupée _ en réalité bien effective ? ou seulement en pensée ou imagination, voire en un rêve ?à Des Moines, en Iowa, en 2000 _ mais à cette date, Fred, lui, est déjà mort (le 18 octobre 1998) ! S’agirait-il ainsi, là, d’un rêve ?.. C’est bien possible : Hélène sait aussi en jouer… _,

Fred avec sa Cadillac blanche, c’est lui qui conduisait _ où, dans l’Iowa, à partir de Des Moines ? et quand donc ? En un rêve rêvé par Hélène en 2000 ? Ou bien un rêve censé se dérouler, lui, en 2000 ? Et pourquoi alors une telle date ?.. Du fait du nombre rond ?.. _, il est un peu plus jeune qu’elle _ de deux ans _, il n’a pas tout à fait 90 ans _ en effet, en 2000 : né en 1912, et décédé en 1998, Fred ne les atteindra pas vraiment ; il aura seulement 86 ans… ; mais en 2000, il serait bien né il y aurait 88 ans… _, elle dit : il fait plus vieux que moi.

Je les ai regardés prendre la grande route, pour leur road movie _ comment l’interpréter ? s’agit-il là d’un pur cliché onirique ? Hélène s’amuse avec nous, ses lecteurs… _ Fred s’était fait une élégance de fiancé américaine, américaine l’élégance, une rose blanche à la boutonnière, Ève comme d’habitude, pantalon, bons souliers _ de marche ou de randonnée _, prête, ready, the readiness is all _ Shakespeare, Hamlet, V, 2 _, tu connais ça ? _ serait-ce à Fred que s’adresserait ici Ève ? Probablement oui, même en ce rêve d’Hélène… Selon Ève, c’est du Heine, Fred démarre deux secondes trop tard, ils entrent dans l’immense route américaine.

Cinq jours passent, ont passé _ sans recevoir de nouvelle d’eux deux et de leur Cadillac… _, à la fin je n’ai plus retenu mon angoisse ou ma colère, après cinq jours s’ils étaient morts sur la route, j’en mourrais, s’ils n’étaient pas morts une énorme colère me transporterait _ de n’avoir pas reçu de nouvelles _, et le sixième jour j’ai éclaté. Ève n’avait pas vu le temps passer _ ni pensé seulement  à passer quelque petit signe, un petit coup de fil à Hélène, pour la prévenir que tout allait bien... Pour Fred non plus le temps ne passe pas _ d’abord depuis (et du fait) qu’il est décédé ; nous savons, à ce stade du récit, page 190, si peu de choses de lui ; il n’est guère davantage qu’une mince silhouette, de quelques rares traits. Vous auriez pu m’appeler ! criai-je. Assassins !

Ils changent de temps selon la langue de leur échange. En 2000 _ Fred est mort depuis le 18 septembre 1998  _ ils voyageaient en anglais, mais pour se disputer venait l’allemand. Avec moi, le français. Je criais en français » _ dans ce rêve, rêvé en 2000 par Hélène, ou bien se déroulant en 2000 pour Hélène ? Mais qu’est-ce qui donc, à ce moment-là du passé, aurait pu lui faire penser-rêver à ce Fred ? Hélène est donc encore bien loin d’avoir découvert le Bericht qui va lui faire regarder d’un tout autre œil celui qui était demeuré pour elle un simple « M. Katzmann«  !..

On ne sait pas non plus ce qui dans les faits advenus permet au fils d’Hélène de parler, lui aussi, comme sa sœur, assez précisément, et avec humour, de Fred Katzmann, aux pages 85 à 88 (« C’était le deuxième ultramoche parmi les prétendants _ des vieux jours d’Ève : en 1986, Ève (née le 14 octobre 1910) a atteint les 76 ans _, dit mon fils, mais le contraire du premier ultramoche _ sans plus de précision ! _ que je haïssais, je le trouvais _ lui, Fred _ sympathique _ le fils d’Hélène a donc connu au moins ces deux prétendants-là, « ultramoches«  _, l’œil vif, le pas petit saccadé comme d’une poule. D’une marionnette « , page 86) ; il se peut ainsi que lui aussi l’ait très effectivement rencontré, et observé ; et possiblement, comme sa sœur, aux États-Unis… ;

et, d’autre part, Hélène, quant à elle, pourrait, aussi, c’est une autre éventualité-hypothèse, ne s’être rendue (mais était-ce en réalité vraie ? ou seulement en rêve ?.. Se pose la question !) à Des Moines, Iowa, qu’en 2000, soit postérieurement au décès de Fred Katzmann (survenu le 18 septembre 1998) : qu’y serait-elle venu y faire, ou y chercher ? et pour quelles obscures raisons ? Elle ignorait tout alors de ce petit « trésor«  (page 9) qu’allait devenir pour elle le Bericht de Fred ! Au cas où ce ne serait pas en rêve qu’elle s’y serait rendue, à Des Moines, Iowa… ;

en se souvenant de cette remarque de la page 10 (à propos d’un voyage de road movie, en Cadillac blanche, de Fred et Ève), à saisir (ou manquer) au vol de la lecture qui débute, mais trop elliptique pour ne pas demeurer au lecteur, et encore ! si il y fait attention, plutôt énigmatique, à la seconde page, page 10, donc, de 1938, nuits : le lecteur, surtout rapide, ne prend guère garde alors, à ce moment, à pareille allusion pour lui bien vague (et très anecdotique) au point de lui sembler carrément gratuite !), faute de référentiel factuel un peu solide auquel pouvoir, dès ici de son début de lecture, se raccrocher… : « j’étais occupée _ à quoi donc faire de beau ou d’utile ? _ à Des Moines, en Iowa, en 2000« , déclare ainsi ici, à la volée, et quasi clandestinement, Hélène, la narratrice ; à moins que ce séjour d’Hélène à Des Moines Iowa, soit sans le moindre rapport avec la personne de Fred Katzmann, vague compagnon de voyage occasionnel de sa mère…

Et c’est là un des traits assez marquants, à mes yeux du moins, des récits parlés (telle une conversation devant un amical lecteur un peu attentif…) d’Hélène Cixous ; soit une façon aussi d’allumer-attiser un peu, sur le vif, la curiosité du diligent (et bienveillant) lecteur complice, comme le dirait un Montaigne :

Siegfried-Fred Katzmann (Burgsteinfurt, 15 août 1912 – Des Moines, 18 septembre 1998), donc :

il est un personnage éminemment tragique en son présent, puis passé, de Siegfried Katzmann en Allemagne, lors de l’épouvantable effroi des nuits d’Enfer de 1938 (et peut-être 39), à Osnabrück, puis Buchenwald ;

puis, il est devenu un personnage un peu comique, du moins à partir de 1985 et ses retrouvailles, le 20 avril de cette année-là, à Osnabrück, avec sa coréligionnaire et concitoyenne de jeunesse, à Osnabrük, avant 1929, Ève Klein, (devenue en 1936, par son mariage à Oran avec Georges Cixous, né, lui, à Oran le 9 mai 1908 et décédé à Alger le 12 février 1948, Ève Cixous),

du moins aux yeux d’Ève (« on le reconnaît à coup sûr à son petit format cagneux, voix sonore, petit homme », dit-elle, page 14), mais aussi des enfants d’Hélène, sa fille et son fils, qui l’ont semble-t-il un peu rencontré, notamment à New-York, en 1988 (et quid, ici du « restaurant de la rue de Trévie«  (à New-York ?..) dans lequel Fred « s’est fait voler son portefeuille«  resté dans une poche de sa veste accrochée à un portemanteau du restaurant ?, ainsi que l’évoque la fille d’Hélène, à la page 86.

Existerait-il donc une « rue de Trévie » à New-York ??? :

métamorphosé qu’il s’est, ce Siegfried allemand d’Osnabrück, en traversant l’Atlantique en mars 1939 sur un bateau néerlandais, le « Nieuw Amsterdam« ,

en Fred Katzmann américain de Des Moines, médecin orthopédiste pour enfants, porteur, à l’occasion, de « chemises hawaïennes et de colliers de fleurs« , voyageant en vacances de par le vaste monde, avec Ève, retrouvée par lui à Osnabrück le 20 avril 1985, pour une cérémonie d’hommage aux Juifs d’Osnabrück :

« Il avait envie de jouir de la vie, on parlait restaurant _ c’est ici la fille d’Hélène qui raconte, page 85 _, ils _ Fred et Ève _ vont à Hawaï ; je vois les photos de Fred avec la chemise hawaïenne et le collier de fleurs, une des raisons pour lesquelles on _ un référentiel collectif, qui semble réunir ici Hélène et ses deux enfants _ n’a jamais tenté d’accéder _ vraiment _ à lui

_ vraiment, et vraiment sérieusement ; avant de découvrir son Bericht (rédigé en 1941), laissé sur une étagère de son couloir par Ève, et qui dormait là, sans avoir été lu par quiconque (pas même Ève, fort peu soucieuse du passé : « Ma mère laisse traîner le rapport de Fred, sur une étagère depuis l’année 1986, elle ne le lit pas. Ça ne sert à rien, elle est contre le couteau dans la plaie« , page 79), avant qu’Hélène ne le découvre, ce Bericht (« c’est de l’or« , « ce trésor« , page 9), en 2018… _,

c’est quelqu’un qui ne faisait pas d’histoires » ; et qui a cependant été « le « personnage familier » pendant plusieurs années _ une dizaine d’années tout au plus, à partir de 1986, énonce ici la fille d’Hélène, toujours page 85, pour de banals voyages de tourisme de par le monde, en compagnie de sa grand-mère, Ève…

Une pièce rapportée par Ève, qu’aurait-il _ donc bien _ pu dire _ d’un peu original et vraiment intéressant, autre que des clichés _ à la famille d’Ève ? » ;

mais aussi, et c’est l’expression immédiatement suivante, probablement encore dans la bouche de la fille d’Hélène ; mais ce pourrait être aussi dans celle de son frère : car ils sont bien d’accord sur leur image de Fred, l’un deux laissant échapper un « On en a vu défiler des hommes à côté d’Ève«  (toujours page 85) ; une remarque apparemment anodine, mais factuellement assez intéressante : Ève, toujours active et en chemin, souliers de marche ou randonnées aux pieds, était éminemment pragmatique, et restée jeune, et pas seulement d’esprit, longtemps ; et quasiment jusqu’au bout… ; cela, nous l’apprenons ici, au détour de ces remarques plutôt anodines… ;

et avec lequel Fred,

je reviens ici sur la focalisation du discours-conversation sur lui spécialement entre Hélène et ses deux enfants,

il semble bien qu’Ève a effectivement fait pas mal de voyages (de tourisme) à travers le monde : « Pour Ève, Fred servait (sic : Ève est fondamentalement une pragmatique !) à voyager. Istanbul. Buenos-Aires. Majorque« , page 88 ; le narrateur demeurant ici indistinct au lecteur ;

lui, Fred, avait peut-être vis-à-vis d’Ève, quelque arrière visée matrimoniale (Fred était en effet devenu veuf, à Des Moines, en 1983) ;

mais, outre qu’il était « ultramoche«  (page 86 ; et le criterium esthétique est rédhibitoire pour Ève ! elle le proclame bien fort, à propos des hommes : « J’ai pas rencontré tellement d’hommes intéressants. J’ai vu pas mal de médecins _ Ève Cixous, devenue veuve le 12 février 1948, avait créé à Alger une clinique d’accouchements ; elle était sage-femme. Ils étaient mariés. René, c’était un bon camarade. Un garçon bien, intelligent, honnête, on a fait des voyages, c’était pas la grande générosité mais il était gentil.

Finalement Fred, le seul Allemand, un médecin, et pas marié _ en fait veuf depuis 1983. Un homme très intelligent. Mais, qu’est-ce que tu veux, la limite, c’est mon sens de l’esthétique« , page 15 : Fred était « ultramoche« , page 86…),

« Ève avait _ aussi _ dit qu’il était impuissant » (page 85) ;

en conséquence de quoi « Ève ne pouvait _ décidément _ pas être amoureuse de lui c’était un intellectuel discret » (énonce encore l’un des deux enfants d’Ève, pour justifier leur absence de vraie curiosité à son égard, toujours page 85)… _

j’en suis donc venu à penser à placer maintenant le focus de mon regard-lecture

sur un élément à mes yeux capital de l’œuvre d’Hélène Cixous :

je veux dire son formidable et merveilleux _ toujours présent _ sens de l’humour.

Un humour tout à la fois extrêmement léger,

mais aussi proprement « ouragant«  _ au participe présent ! cette forme verbale de l’action étant utilisée par l’auteure à la page 24 de 1938, nuits ;

et en voici l’occurrence :

l' »Événement » (et il s’agit, en cette occurrence-là, de celui de la « Kristallnacht » !« advient partout, imprévisible, ouragant, déchaînant des éléments encore inconnus, émissaire de la fin du monde«  ; c’est dire là toute la démesurée puissance de ce qui vient ouraganer…

Ouragant au passage aussi le lecteur ! qui en est bouleversé…

Et cet humour, Hélène,

qui le partageait tellement

_ et même, et peut-être surtout, au cours de leurs épiques disputes _

avec sa mère Ève,

continue de le partager aussi _ mais sans se disputer ! _ avec ses deux enfants,

avec leur regard à la fois terriblement amusé _ et amusant _,

en même temps que terriblement lucide

sur les traits _ défauts comme qualités _,

les travers,

des personnes croisées et rencontrées,

tel ici ce pauvre Fred, le médecin orthopédiste pour enfants de Des Moines, Iowa,

et compagnon de quelques uns des voyages tardifs d’Ève, de par le monde, à partir des années 1986-87-88,

_ et suite à leur(s) rencontre-retrouvailles (depuis 1929) à Osnabrück le 20 avril 1985,

pour le colloque en hommage aux Juifs d’Osnabrück, organisé par Peter Junk et Martina Sellmayer _

et qui a eu de plus en plus de mal à marcher

au fur et à mesure de son vieillissement…

Cet humour ouragant, donc,

que Hélène Cixous partage avec les plus grands,

tels Montaigne, Shakespeare, Proust,

ou Kafka.

Je parlerai de Freud et de l’illusion

dans mon prochain chapitre

à propos de ce très riche récit _ « une banque de graines« , « des graines de vérité« , des expressions cruciales : à prendre très à la lettre ! (page 11) ;

ou encore « un trésor » (page 9) _,

nous avait averti l’auteure,

en ouverture de ce récit sien,

et à partir de sa lecture comme « hypnotisée » du Bericht de Siegfried-Fred Katzmann,

rédigé par ce rescapé de Buchenwald

en une semaine « hallucinée » de mars 1941, à Des Moines, Iowa,

à la page 11, de 1938, nuits


Ce jeudi 7 février 2019, Titus Curiosus – Francis Lippa

« 1938, nuits », ou dans la peau de Siegfried-Fred Katzmann (1912 – 1998) : le très véridique dialogue poursuivi à l’infini d’Hélène Cixous avec ses proches, qu’ils soient défunts, lointains, et même réticents jusqu’au mutisme

04fév

Le nouvel opus d’Hélène Cixous, 1938, nuits

_ qui vient de paraître aux Éditions Galilée le 24 janvier dernier,

et dont je suis, ce lundi 4 février, à la troisième lecture : y découvrant chaque fois de nouveaux trésors (et parfois carrément décisifs ! mais oui !!) d’abord non relevés-remarqués,

tant l’écriture toujours inventive, tout à la fois légère et sans jamais de lourdeurs, mais dense en sa merveilleuse cursivité (conversationnelle),

est riche de mille infra-détails archi-fins (et jamais gratuits !)

laissés inaperçus du lecteur le plus attentionné, toujours un peu trop pressé en courant la si riche, même si légère et aérée, phrase ; 

comme il arrive à notre lecture des merveilleux, tout à la fois infiniment légers et incroyablement denses, eux aussi, avec leurs prodigieux ajouts de détails les plus fins, Essais de Montaigne :

on n’a jamais fini d’en découvrir, à chaque lecture-relecture, d’infiniment riches aperçus (constructifs, et non abyssaux à s’y perdre-noyer ! : toujours ouverts et enrichissants pour notre intelligence du réel abordé ; et notre propre permanente conversation-réflexion de lecteur avec un tel texte-trésor…) qui, généreusement offerts, s’ouvrent aussi à la méditation… ;

et je pourrai citer aussi, pour pareille aventure de richesse infiniment renouvelée de lecture, et l’écriture de Proust, et l’écriture de Shakespeare… _,

est un chef d’œuvre

_ ramassé en 146 pages et quatre chapitres, dont deux brefs (de 9 et 8 pages) :

le premier, introductif, aux pages 9 à 17 : « Un petit livre dort dans la nuit« ,

et le quatrième, conclusif, aux pages 139 à 146 : « Je voudrais parler d’espoir » ;

le second et le troisième, plus copieux (de 52 et 64 pages) parce que comportant l’essentiel de la recherche-enquête-méditation-conversation à laquelle se livre ce 1938, nuits,

aux pages 19 à 71 : « Il y a quelque chose dans l’air« , sur la Nuit de Cristal du 9 au 10 novembre 1938 telle qu’elle fut vécue à Osnabrück par le jeune (il avait 26 ans) Siegfried Katzmann ;

et aux pages 73 à 137 : »Ici, Buchenwald« , pour le troisième, sur le séjour de Siegfried Katzmann à Buchenwald, du 12 novembre (page 129 : « c’est le 12 novembre« ) au 13 décembre 1938 (même si le Bericht reste muet sur la date de cette sortie de Siegfried du KZ) ;

et comportant, ces deux chapitres-là, des sous-parties titrées

(« Etwas« , « Nun« , « Curriculum vitæ«  et « La mort perdue de Benjamin« , pour le chapitre 2 « Il y a quelque chose dans l’air«  ;

puis, « Un Siegfried« , « Choix de Juifs« , « Le chêne de Gœthe« , « Dans l’intérieur de Fred«  et « En route !« , pour le chapitre 3 « Ici, Buchenwald« ) ;

il me faut aussi remarquer, au passage, que semblent (mais je peux bien sûr me tromper) demeurer ignorés de l’auteure, ici, c’est-à-dire à ce moment de l’été 2018 de son écriture (à moins qu’elle-même n’ait choisi de nous laisser en l’obscurité d’un tel savoir de sa part), les moyens et péripéties de sortie de Buchenwald de Siegfried Katzmann, le 13 décembre 1938 (cf cette Kurzbiographie für Frederick S. (Siegfried) Katzmann),

ainsi que le détail (non narré par Fred en son Bericht) de ce qui a très factuellement permis son départ vers les États-Unis en avril 1939, à bord du vaisseau « Nieuw Amsterdam« , si ce n’est le fait, mais pas tout à fait suffisant, cependant, d’avoir fait une demande préalable d’un Visum, auprès de l’ambassade des États-Unis, à Paris, probablement  (les mémoires sont, et demeurent, flottantes…) en 1937 :

le récit du Bericht s’interrompant en effet juste avant cette sienne inespérée sortie de l’Enfer de Buchenwald… ;

il faut aussi bien marquer

que ce que narre ici l’auteure,

est sa propre lecture, absolument fascinée et vibrante, du récit (Rapport, Bericht) que Siegfried Katzmann,

devenu (ou métamorphosé en) Fred Katzmann (à son arrivée aux États-Unis, à New-York, à Ellis Island, pour commencer), en avril 1939, puis désormais installé comme médecin orthopédiste pour enfants au fin fond du Midwest, à Des Moines, Iowa),

a narré, l’espace d’une semaine comme hallucinée, au mois de mars 1941, en son Bericht… ;

et qu’il n’a, semble-t-il, pas jugé utile, ce Fred Katzmann de 1986, d’assortir ni d’un appoint, ni de quelque commentaire un peu surplombant, en quelque postlude final, lors de son envoi (« Par chance, en 1986, Fred exhume son Bericht, il l’envoie à « Ève-le-rêve-de-des-vieux-jours »… « , page 66) de ce Bericht (de 1941 ; « un truc qui dort dans un tiroir depuis quarante-quatre ans« , page 77) à Ève, tel quel donc (brut !), en 1985 ou 86, à sa vieille amie d’Osnabrück, Ève Klein, devenue Cixous, à Paris, de ce Bericht, donc (ainsi demeuré brut et compact) de 1941, tapé à la machine, et sans guère d’espace (« Tu as déjà vu tellement de mots sur une seule page ? Bon, pour le papier, oui. Pour moi, ça manque d’air« , pouvait ainsi dire, de sa manière inégalable (à notre tour, nous l’entendons prononcer cette vive, alerte et lucidissime parole !), Ève à sa fille Hélène, en ce début de mois de juillet 2018, page 15 ;

« Vers 2 heures de la nuit de juillet (2018), maman m’appelle d’en haut _ forcément ! Elle (décédée le 1er juillet 2013), de sa voix (bien audible !), me prévient qu’elle me jette par la fenêtre en urgence un paquet précieux. (…) On dirait un livre. Je le ramasse. Quel poids ! Pas de doute c’est de l’or. Je remonte avec ce trésor _ voilà ! qui, telle quelque belle-au-bois-dormant de pauvre papier, sommeillait depuis toutes ces années : 1938, 1941, 1985, 1986, 2018… ; et que la lecture incisive d’Hélène, puis, à notre tour, la nôtre, plus ou moins ensommeillée, d’abord, et curieuse et attentive, réveille et vient rendre prodigieusement vie ! _ vêtu de papier blanc« … : ainsi débute 1938, nuits, en ouverture de son premier chapitre (« Un petit livre dort dans la nuit« ), à la page 9 :

et par là nous mesurons combien ce nouvel opus-ci d’Hélène Cixous continue, et c’est fondamental !, de poursuivre _ voilà ! _, sa merveilleuse conversation, devenue d’outre-tombe depuis cinq ans, avec sa mère, bien que celle-ci soit décédée le 1er juillet 2013 (« C’est le cinquième 1er juillet, depuis que ma mère est partie sac au dos faire le tour de l’autre monde, je ne sais jamais d’où elle va m’appeler _ voilà ! de temps en temps, Ève vient appeler Hélène ! _ la prochaine fois« , toujours page 9 ;

et Hélène, la narratrice principale de ce récit (à très riches tiroirs, bien plutôt qu’en abyme : il n’a rien d’abyssal ! puisque, au lieu de nous y enfoncer et nous y perdre, nous ne cessons, avec l’auteure, de jubilatoirement nous élever ! Et il progresse toujours un peu, ce récit, investigation de micro-détail après investigation de micro-détail (et à nous, lecteurs, d’apprendre à les relier, ces micro-détails, en le puzzle, toujours un peu ouvert, qu’ils composent !) dans sa quête de la vérité à débusquer !) poursuit, page 10 : « Elle _ Ève _ m’a confié la garde _ voilà ! _ de son appartement parisien, où tout séjourne _ en parfaite quiétude _ dans l’ambre _ préservatrice _, ses présences _ le mot est bien sûr capital ! _, parmi lesquelles _ aussi, forcément _ son absence _ certes _, ses archives _ cela aussi est capital : et c’est bien un « trésor«  ! qui nous a été très délicatement légué (par Ève), et est donné à partager (par Hélène, sa fille, en sa propre écriture, à son tour) sans aucun doute… _, ses aventures, ses vies et opinions. J’en ai pour des dizaines d’années de fouilles _ comme Schliemann à Troie. En vérité à la fin, je n’aurai _ toujours _ pas fini » _ puisque la richesse, infinie, de ce fond conservé, est en effet inépuisable) ;

mais que sa chère mère soit décédée (cf Homère est morte), n’a presque guère d’importance aujourd’hui pour Hélène, puisque leur richissime conversation-dialogue _ et c’est bien là le principal ! _se poursuit presque plus que jamais, du moins « tant qu’il y aura de l’encre et du papier en ce monde«  (Montaigne disait plus précisément : « Qui ne voit que j’ay pris une route _ d’écriture-conversation _ par laquelle, sans cesse et sans travail, j’iray _ très décidément et avec jubilatoire (et contagieuse) alacrité ! _ autant qu’il y aura d’ancre et de papier au monde ?  Je ne puis tenir registre de ma vie par mes actions : fortune les met trop bas ; je le tiens par mes fantasies« , ou imageance jouissive, au début de son essai De la Vanité (III, 9), afin de la saisir et noter, cette fugace, mais si précieuse, vie…

et aussi tant qu’Hélène dispose de sa sérénissime montanienne Tour d’écriture, l’été, à Arcachon :

la double conversation-dialogue entre Ève et Hélène se poursuit donc, opus après opus, pour notre plus grand bonheur renouvelé et augmenté de lecture ! _

le nouvel opus d’Hélène Cixous, 1938, nuits,

est un chef d’œuvre absolu,

un miracle de réussite

en ce niveau de perfection

et du récit _ haletant et sidérant _ des faits vécus rapportés,

et de la méditation _ profonde _,

et de l’écriture _ incroyablement vivante, juste

et merveilleusement poétique, en sa fastueuse imageance,

jusque dans le rendu-analysé au ras des émotions rapportées et commentées du subi-vécu, ici, de l’horreur,

de ses surprises, et essais, au fur et à mesure, de parade,

ou toujours bien fragile et misérable tentative incertaine et mortellement dangereuse d’accommodation

de « l’Aktionné »


Cette fois-ci, et à nouveau pour cet opus-ci,

le Prière d’insérer

que prend soin de nous proposer, en ouverture détachée, sur feuille volante, du livre

_ ici en deux pages et sept lignes _

l’auteure,

est une clé simplissime magnifique :

« C’est le quatrième livre

_ après Osnabrück, en 1999, Gare d’Osnabrück à Jerusalem, en 2016, et peut-être (?) Correspondance avec le mur, en 2017 _

qui me ramène à Osnabrück

_ mais aussi Dresde, où vécut aussi Omi, ne serait-ce qu’en 1934,

et même en 1938 : demeure ici une certaine ambiguïté laissée par l’auteure… _,

la ville de ma famille maternelle _ les Jonas.

Je cherche

_ voilà ! tous les livres d’Hélène constituent une recherche infinie de vérité (des malheurs advenus ; et pas mal tus) ;

celle-ci, la vérité, ayant été cachée, volée, ou carrément massacrée.

Je cherche à comprendre

_ et voilà bien le terme capital ! l’alpha et l’oméga de tout l’œuvre d’Hélène Cixous ! _

pourquoi Omi ma grand-mère

_ Rosie Klein, née Rosalie Jonas, à Osnabrück, le 23 avril 1882 (et décédée à Paris le 2 août 1977) _

s’y trouvait encore _ à Osnabrück,

ou bien plutôt à Dresde ? N’est-ce pas le consul de France à Dresde qui, au lendemain de la Nuit de Cristal, prie Rosie de quitter au plus vite l’Allemagne, grâce à son passeport français (« Madame, vous devriez partir« , page 104), puisque Rosie Klein fut aussi strasbourgeoise, auprès de son mari Michaël Klein (décédé en 1916, pour l’Allemagne, sur le front russe), jusqu’en 1919, où elle rejoignit sa famille Jonas, à Osnabrück… Et ses filles Ève et Erika Klein sont en effet toutes les deux nées à Strasbourg, en 1910 et 1912.. _

en novembre 1938

_ lors de la Kristallnacht du 8 au 9 novembre.

 

Ainsi que _ quelques uns de _ ses frères et sœurs _ Jonas : elle en eut huit.

Deux de ses frères (dont l’« Oncle André », Andreas Jonas, décédé à Theresienstadt le 6 septembre 1942) et deux de ses sœurs (et je n’ai pas encore réussi à déchiffrer desquels et desquelles d’entre eux, ses frères, et d’entre elles, ses sœurs, il s’agissait), en plus de certains cousins et cousines, sont décédés l’année 1942, à Theresienstadt et Auschwitz (et peut-être Sobibor aussi), nous est-il révélé, sans davantage de précisions, aux pages 63-64 de 1938, nuits

Cela faisait pourtant des années que les Monstres _ criminels _ occupaient le ciel allemand

et proféraient _ on ne peut plus clairement  : depuis la publication vociférante (le 18 juillet 1925) de Mein Kampf !!! ; et, bien sûr, l’arrivée de Hitler au pouvoir le 30 janvier 1933 _ des menaces de mort à l’égard des Juifs,

mais Omi continuait _ obstinément _ de penser qu’elle était allemande

même après avoir été déclarée nonaryenne,

même quand la langue allemande _ cf de Victor Klemperer le très éclairant LTI, la langue du IIIe Reich _ carnets d’un philologue _ a formé de nouveaux abcès antijuifs tous les mois.


Certes son mari

_ Michaël Klein (Trnava, 24 septembre 1881 – Beranovitch, 27 juillet 1916 : Trnava, en l’actuelle Slovaquie ; Beranovitch, en l’actuelle Biélorussie-Belarus) _

était bien mort pour l’Allemagne _ sur le front russe _ en 1916

mais quand même« .

« Comme je n’arrive _ décidément _ pas à rentrer _ directement _ à l’intérieur _ voilà _ de ma grand-mère

_ afin de vraiment enfin la comprendre, ainsi que son parcours, avant de parvenir, peut-être fin novembre 1938, chez sa fille Ève et son gendre Georges Cixous, à Oran, sur l’autre rive de la Méditerranée (Rosie n’a jamais su nager !) _

je me décide _ et voilà le détour qu’opère cet opus-ci _ à entrer dans la Nuit Décisive

_ celle (ou plutôt celles, au pluriel) de la Kristallnacht, du 9 au 10 novembre 1938 (au nombre de « 280 ? Ou 1400 ?«  incendies de synagogues, page 99) ; ainsi que de celles, terribles nuits, qui vont suivre, en particulier, et d’abord, à Buchenwald, toujours cette fin d’automne 1938… ; mais il s’agit ici, en l’occurrence, de la Kristallnacht d’Osnabrück, avec l’incendie de la Synagogue de la Rolandstrasse, et de ce qui s’en est suivi aussitôt pour bien des Juifs de la ville _

par l’intérieur _ grâce à un Rapport (Bericht), rédigé en allemand, à Des Moines, en mars 1941 (page 62), par Fred Katzmann, et adressé, quarante-quatre ou cinq ans plus tard, en 1985 ou 86, à son amie de jeunesse, à Osnabrück, Ève Klein, devenue en 1936 à Oran Ève Cixous (Ève et Georges Cixous s’étaient rencontrés à Paris en 1935), la mère d’Hélène :

Siegfried, devenu Fred aux États-Unis, Fred, citoyen de Des Moines, Iowa, (et électeur démocrate), donc, et Ève s’étaient en effet retrouvés le 20 avril 1985 à Osnabrück, à l’invitation de deux historiens de l’histoire des Juifs de la ville, Peter Junk et Martina Sellmayer, pour une journée-rencontre d’hommage aux Juifs d’Osnabrück (page 93), et étaient devenus bons amis (« Fred était le dernier ami de ma mère« , page 26) ;

mais Ève, fondamentalement pragmatique et tournée exclusivement vers le présent et l’avenir, n’avait pas du tout jugé utile (« Ça ne sert à rien, elle est contre le couteau dans la plaie« , page 79) de lire ce Rapport (Bericht) que lui avait adressé le vieux Fred en 1986 (« Ma mère laisse traîner le rapport de Fred, c’est-à-dire de Siegfried, sur une étagère depuis l’année 1986, elle ne le lit pas « , page 79) ;

elle l’avait seulement plus ou moins négligeamment déposé « sur l’étagère du couloir » (page 11) de son appartement ; probablement à destination, quelque jour à venir (ou pas), de la curiosité (infinie et sans relâche, elle ne l’ignorait bien sûr pas !) d’Hélène… ;

et page 14, en un dialogue imaginaire post-mortem (rédigé cet été 2018), Hélène prête visionnairement ces mots (ou cette pensée) à sa mère :

« Et elle :

_ J’avais préparé ça _ voilà ! Ève est magnifiquement prévenante ! _ pour toi. C’est la déposition de Fred. Pleine à craquer » (page 14) _

je me décide à entrer dans la Nuit Décisive par l’intérieur

de Siegfried K., un ami _ sans plus de précision, ici, pour ce Prière d’insérer _ de ma mère

_ Ève Klein (Strasbourg, 14 octobre 1910 – Paris, 1er juillet 2013) ; et Siegfried Katzmann (né à Burgsteinfurt, le 15 août 1912 et décédé à Des Moines (Iowa), le 18 septembre 1998 ; mais Siegfried est installé avec sa famille à Osnabrück dès le mois de décembre 1912). Deux plus ou moins amis de jeunesse ; avant qu’Ève ne quitte Osnabrück et l’Allemagne dès 1929 : Ève allait alors avoir 19 ans, et Siegfried, 17.

Il _ Siegfried Katzmann _ a _ en novembre 1938 _ 25 ans _ ou plutôt 26 : il est né le 15 août 1912 _, il vient d’arracher _ en dépit des mille obstacles des lois anti-juives nazies _ son doctorat de médecine _ à l’université de Bâle, en Suisse _,

la Grande Synagogue _ d’Osnabrück, située « à l’angle de la Rolandstrasse«  (page 21) _ lui brûle devant la figure,

le voilà _ immédiatement après (« sofort » :

« Blitz, dringend, sofort, Foudre, Urgentissime, Immédiatement, c’est la formule de la galvanisation. (…) Il y a une force secrète dans le style de ce message _ de commandement de la SS, en l’occurrence de Reinhardt Heydrich SS Gruppenführer _, dans le rythme, peut-être dans la récurrence du mot Sofort, qui exerce une pression _ sur les récepteurs SS aux ordres, de par le Reich tout entier _ sur une certaine zone _ du cerveau… _, tout de suite, accélère les réflexes _ voilà _, économise _ bel euphémisme ! _ la pensée, imprime, déclenche _ par stimulus – réaction ! _, dit mon fils _ Hélène converse avec et sa fille et son fils tout au long du récit de ce 1938, nuits _, le télégramme part-arrive, toutes les synagogues partent en crépitant et hurlant dans les flammes exactement au même instant _ par tout le Reich : voilà. Comme prévu par le télégramme, les Juifs sortent, pas tous, et tous encore ou déjà en pyjamas. (…) Par chance _ bel euphémisme pour celui qui va se faire aussitôt capturer ! _ Siegfried _ lui _ a son grand manteau d’hiver, la nuit _ de novembre _ est glaciale, le feu de la Synagogue réchauffe _ certes _ son visage, il profite _ très momentanément _ de la chaleur de la Synagogue, ça il l’aura oublié« , lit-on dans le récit que fait Hélène de sa lecture du Bericht, jusqu’à avoir « l’esprit hypnotisé«  (page 129), de ce saisissant Bericht de Fred-Siegfried Katzmann, qu’Ève n’avait, elle, surtout pas voulu ouvrir-regarder-lire, elle s’en était bien gardé !, pages 116-117) _

naufragé _ tel Robinson Crusoë, en totale déréliction dans la sauvage solitude de son île déserte (cf aux pages 86 et 127) _ à Buchenwald, pour l’inauguration _ quel humour ! du KZ _ par les _ tous _ Premiers Déportés.

Je le suis _ voilà ; du verbe « suivre« , plutôt ;

même si Hélène, en lisant et écrivant, se met aussi « dans sa peau«  :

« dans l’intérieur de Fred«  est même le titre du sous-chapitre de onze pages qui débute page 109…

Il ne sait pas _ immédiatement : la conscience comporte toujours un tant soit peu (au mieux minimalement, mais ce peut être plus durable) de retard, d’accommodation progressive à ce qui lui arrive, surtout de surprenant, inattendu, imprévu, voire imprévisible, et qui plus, et surtout, est formidablement mortellement violent !.. _ ce qui _ si brutalement et dans un tel déchaînement barbare de violences _ lui arrive.

C’est nouveau, ça vient d’ouvrir

_ c’est un totalement bouleversant Événement ;

cf la belle réflexion de l’auteure sur ce mot-concept d’Événement : un mot-concept spécifiquement français, remarque et insiste Hélène à la page 24 : « Une autre difficulté pour l’auteur : le mot Événement. On ne peut pas plus s’en passer que du mot Dieu. Il advient partout, imprévisible, ouragant (sic : un participe présent verbal), déchaînant des éléments encore inconnus, émissaire de la fin du monde.

_ Sans ce mot, on ne pourrait rien dire, dis-je _ commente Hélène.

_ C’est le mot qui nomme sans nommer, dit ma fille _ Hélène a en effet pour interlocuteurs présents (et intervenant très finement dans sa méditation-recherche-écriture), et sa fille, et son fils ; et leurs commentaires (jamais conflictuels) sont superbement riches de finesse. Car Hélène ne cesse de converser-dialoguer aussi avec quelques présents proches, pas seulement des absents et des défunts, telle sa mère, l’éruptivement hyper-ironique Ève. Et c’est là un échange en permanence éminemment vivant et fécond qui transparaît sur la page. Et on comprend par là qu’Hélène tienne à ne recevoir quiconque d’autre qu’eux, ses enfants, dans sa Tour d’écriture (à la Montaigne) d’Arcachon-Les Abatilles, ses deux mois d’été consacrés d’une manière absolue, sinon sacrée, à son œuvre sacrale d’écriture…

_ C’est le mot-Dieu en français, dis-je. C’est _ même, carrément : quelle formidable et essentielle confidence ! _ pour ce mot que j’écris en français _ langue ainsi fondamentalement ouverte, selon Hélène, au surgissement du non encore conçu, mais par là et ainsi concevable. Hélène a enseigné l’anglais (et en anglais), parle parfaitement allemand, et bien d’autres langues encore, dont l’espagnol.

Dans mes autres langues, en anglais, il n’y a pas d’Événement, en allemand non plus«  _ d’où la terrible difficulté de commencer, en ces autres langues, à se représenter-figurer la simple éventualité, déjà, de la possible, mais si difficilement croyable (et, par là, qui soit, tant soit peu, un minimum efficacement prévisible) survenue-irruption-disruption de tels Événements monstrueux, à ce degré d’inhumanité-là…

Ce n’est pas terminé _ avec cette hyper-violente Kristallnacht.

Bien au contraire ! ces 9 et 10 novembre 1938 à Osnabrück (et dans tout le Reich hitlérien) ; ça se déchaîne, et ça va s’amplifier ; il va s’agir ici de l’ouverture aux premiers déportés du KZ de Buchenwald (dont les travaux de terrassement avaient commencé, avaient dit les journaux, en « juillet 1937  » : page 94), qui y entrent le 12 novembre 1938 (« c’est le 12 novembre, il fait un jour nocturne, glacial (…), un des effets de l’arrivée-entrée dans le KZ Buchenwald _ note alors Hélène, page 129, de ce qu’elle lit-découvre dans le Bericht de Siegfried-Fred _ est l’ablation du monde où j’habitais _ disait Siegfried 1938 – Fred 1941 _ encore la semaine dernière _ chez lui, à Osnabrück. C’est ce qui arrivait _ commente Hélène _ aux voyageurs qui parvenaient à l’Ètranger absolu, pure hypothèse, car nul n’est jamais revenu from this unknown country pour en raconter la réalité autre. Et déjà on a renoncé à tout ce qui était connu. Me voici donc _ tel l’Ulysse d’Homère, l’Énée de Virgile, ou le Dante de sa propre Divine Comédie… _ comme chez-les-morts _ voilà !!! _, ceux qui ne pourront jamais rien dire » _ et dont il faut donc relayer la parole empêchée et interdite, massacrée, page 129). Mais l’entreprise nazie de persécution va très bientôt se muter en systématique extermination des Juifs _ cf les deux tomes de ce considérable monument qu’est L’Allemagne nazie et Les Juifs, de Saul Friedländer : Les Années de persécution (1933-1939) et Les Années d’extermination (1939-1945)...

Buchenwald est _ en effet ; et cf ici l’admirable Le Chercheur de traces, d’Imre Kertész : à Weimar, Buchenwald et Zeitz, après un bref passage sien à Auschwitz…  : attention ! chef d’œuvre ! Si vous ne le connaissez pas, à découvrir toutes affaires cessantes ! _ à côté de Weimar.

Weimar, c’était Gœthe.

Siegfried est un modeste Robinson aktionné en 1938 _ à Buchenwald, tout à côté ; en novembre et décembre 1938 : du 12 novembre (son entrée) au 13 décembre (sa sortie), pour être très précis.

Avant _ cette lecture hallucinée du Bericht de Siegfried-Fred _ je ne savais pas _ de l’intérieur : c’est là dire le formidable pouvoir d’une écriture… _ ce que c’était, un juif aktionné _ confie ici Hélène.

Suivons _ voilà en effet le fil-conducteur de ce livre-ci ! le but final étant rien moins que de parvenir enfin à l’intelligence « de l’intérieur«  d’Omi en ces années (1933-38) de nazisme, où Omi demeura dans le Reich… _

Siegfried _ en le récit-Rapport (Bericht), de celui qui vient de devenir Fred Katzmann, à Des Moines, Iowa, en mars 1941 _

dans la fameuse Nuit Nazie aux mille incendies _ du 9 au 10 novembre 1938 _,

prologue _ seulement ! Pire, bien pire encore, allant, en suivant, monstrueusement, bientôt advenir et se déchaîner !… cf à nouveau les deux tomes du chef d’œuvre extraordinaire et magnifique (par la qualité d’une puissance prodigieuse des témoignages recueillis) de Saul Friedländer, L’Allemagne nazie et les Juifs : Les Années de persécution (1933-1939), et Les Années d’extermination (1939-1945)… Á lire aussi, toutes affaires cessantes ! _

au temps de l’Anéantissement _ la Shoah ; mais Hélène ne prononce pas ce mot, alors anachronique ; tout particulièrement aux États-Unis, et dans l’Iowa de Fred, à Des Moines, en 1985-86.

J’aimerais tant pouvoir _ maintenant, mais c’est trop tard ; le Dr Fred Katzmann, orthopédiste pour enfants, est décédé le 18 septembre 1998, à Des Moines _ lui demander _ et que Fred puisse très effectivement et précisément y répondre _ pourquoi, comment _ en son détail de circonstances _, il est encore là »  _ ayant réussi à survivre à tout cela ; et d’abord à sortir de Buchenwald, le 13 décembre 1938 (Hélène n’en dit rien : le savait-elle seulement alors ? Peut-être pas…) ; Fred Katzmann n’en avait probablement pas laissé un témoignage, du moins aisément accessible jusqu’alors… Pas même en accompagnement de l’envoi, tel quel, de ce Bericht de 1941 à Ève, en 1986. Cependant, Ève et Fred (« le dernier ami de ma mère« , page 26 ; « Pour Ève, Fred servait surtout à voyager. Istanbul. Buenos Aires. Majorque. Sans aucun rapport avec la racine. On ne pouvait imaginer plus extraordinairement dissymétrique« , page 88) se rencontrèrent plusieurs autres fois, outre leurs voyages d’agrément (c’est-à-dire de tourisme de retraités) de par le vaste monde : sinon, peut-être, à Des Moines, Iowa, tout du moins à New-York, ainsi qu’en témoignent la fille et le fils d’Hélène, page 86 :

« _ Je me souviens de lui quand il est venu à Ithaca New-York avec Éve, dit ma fille, en 1988, il avait 76 ans, ils étaient chez moi _ voilà _,

je me souviens d’un déjeuner rue de Trévie (à New-York ? cette mention sonne bizarre…), il s’est fait voler son portefeuille ce jour-là, il avait accroché sa veste au portemanteau du restaurant,

avec son jabot, un petit homme gallinacé _ sic _, vif dans la conversation. 

_ C’est pas un Apollon, dit Éve.

_ C’était le deuxième ultramoche parmi les prétendants _ d’Ève _, dit mon fils _ qui connaît de lui au moins une photo… _, mais le contraire du premier ultramoche que je haïssais, je le trouvais sympathique, l’œil vif, le pas petit saccadé comme d’une poule _ la métaphore est donc filée. D’une marionnette«  _ c’est donc que le fils d’Hélène a pu voir et observer marcher ainsi Fred Katzmann ; et il partage l’appréciation de sa sœur : lui aussi entrant dans le registre du « gallinacé« , avec son « le petit pas saccadé comme d’une poule« … Page 14, Ève, quant à elle disait : « on le reconnaît à coup sûr à son petit format cagneux, voix sonore, petit homme« 

Hélène concluant, en forme de commentaire de cet échange avec ses enfants à propos de Fred, page 87 :

« Franchement, je ne le connaissais pas _ de l’intérieur, avant la lecture de ce Bericht Pour moi, il n’a jamais été Fred. Je l’appelais M. Katzmann _ lors de ce qu’ont pu être leurs rencontres effectives, ou pas ; ou du moins leurs échanges à distance : de courriers, voire téléphoniques…

Je ne savais rien de lui.

Ève ne m’a jamais rien dit _ voilà ! _ de son histoire« 

_ et voilà pourquoi Hélène a ignoré les circonstances précises de la sortie du KZ de Buchenwald de Siegfried, et les péripéties de ce qui a suivi ce séjour d’un mois (12 novembre – 13 décembre) au KZ de Buchenwald dans la vie de Siegfried Katzmann ;

à commencer par sa sortie du camp, le 13 décembre 1938 (selon sa Kurzbiographie),

puis son départ in extremis d’Allemagne, au mois d’avril 1939,

et son embarquement sur le navire « Nieuw Amsterdam« , et son débarquement à New-York et Ellis Island .

Á suivre : ceci est un prologue…

Ce lundi 4 février 2019, Titus Curiosus – Francis Lippa

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