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Un vrai grand livre est un palimpseste : Retour à Lemberg, « un livre sur l’identité et le silence » et « les lacunes laissées en nous par les secrets des autres »…

02avr

Pour Annie,

pour Lara,

and, of course,

for « Dear Philippe« ,

sur le merveilleux visage duquel

rayonne le merveilleux sourire

de son merveilleux grand-père Leon Buchholz,

tel qu’il est bien visible, ce merveilleux sourire,

sur la photo de sa famille (Lemberg, ca. 1913)

_ très heureusement conservée, à travers toules les vicissitudes ! Leon avait neuf ans, et était le seul à sourire ! _,

à la page 47 du merveilleux Retour à Lemberg

Quel immense livre,

_ ce merveilleux Retour à Lemberg, de Philippe Sands _,

vient faire, au final,

la prodigieuse enquête _ de six années (de 2010 à 2016), et comportant chacune un retour (physique) de son auteur, Philippe Sands à Lviv-Lemberg-Lwow _

entrelacée,

entre les complexes _ et patientes : de très long souffle ! _ minutieuses reconstitutions des parcours de vie des juristes :

Hersch Lauterpacht (Zolkiew, 16-8-1897 – Londres, 8-5-1960),

Raphaël Lemkin (Ozerisko, 24-6-1900 – New-York, 28-8-1959)

et Hans Frank (Karlsruhe, 23-5 1900 – Nuremberg, 16-10-1946) _ éminent juriste, en effet, lui aussi, et auteur-inspirateur des lois du Reich nazi, en plus d’avoir été l’avocat personnel de Hitler _,

d’un côté

_ et il faudrait presque ajouter à ces parcours de juristes (se frottant tous les trois à la question de savoir s’il existe ou pas des limites, et lesquelles, à l’absoluité de la souveraineté des États),

la reconstitution, aussi (mais à venir, celle-ci !), du parcours de vie d’Otto von Wächter (Vienne, 8-7-1901 – Rome, 10-9-1949), qui lui n’était pas juriste, mais seulement avocat (il avait été le condisciple de Lauterpacht à la Faculté de Droit de Vienne à partir de 1919, une fois que, contraint de quitter Lwow parce que, à ce moment, assez bref, les étudiants juifs y avaient été proscrits de l’université, Lauterpacht s’était replié à Vienne, où il fut alors le disciple du très grand Hans Kelsen ; d’abord, von Wächter fut le meneur, à Vienne en juillet 1934, des nazis autrichiens qui assassinèrent le 25 juillet 1934 le chancelier Dolfuss ; ensuite, il fut atrocement efficace à Lemberg, à son poste de Gouverneur de Galicie, auquel il avait été nommé par Hitler lui-même le 22  janvier 1942, en son entreprise d’extermination (qui se voulait totale, pardon du pléonasme !) des Juifs de Galicie ; et cela jusqu’à sa propre fuite de Lemberg, à l’arrivée de l’Armée rouge, le 27 juillet 1944 ; l’enquête de reconstitution de ce brillant parcours meurtrier d’Otto von Wächter se poursuivant pour Philippe Sands, notons-le bien, puisque l’enquête sur ce personnage constitue la matrice du travail présent de son prochain livre…);

et ce côté-là est le côté le plus accessible, déjà un peu balisé qu’il est par les curiosités des universitaires, historiens et historiens du droit, du monde entier

_ mais Philippe Sands fouille plus loin et beaucoup plus profond, dans le devenir singulier, riche et moiré, des identités complexes, et, in fine, mal connues jusqu’ici , de ces trois  personnages, Lauterpacht, Lemkin et Frank, sur lesquels vient se pencher l’enquête merveilleusement fine et perspicace de son formidable livre _ ;

et, d’autre part, d’un autre côté,

la plus malaisée reconstitution,

face à la relative minceur _ et les lacunes ! _ des archives familales conservées, face aux difficultés à recueillir des témoignages des derniers vivants susceptibles d’apporter  quelque connaissance tant soit peu fiable et avérée sur un passé familial qui s’est considérablement éloigné ; et plus encore face à ce qu’avait été, sa vie durant, le mutisme intransigeant, quoique souriant (« C’est compliqué, c’est le passé, pas important« , page 39 _ et en français dans le texte ; Leon Buchholz a vécu quelques cinquante-huit ans à Paris : de janvier 1939 à sa mort, à l’âge de quatre-vingt-treize ans, en 1997 ; il était devenu français ; et vénérait la France ! _), de Leon Buchholz lui-même,

la plus malaisée reconstitution, donc,

du parcours de vie de Leon Buchholz (Lemberg, 10-5-1904 – Paris, 1997), le grand-père maternel de Philippe Sands

d’autant plus qu’un tel mutisme n’était pas seulement sien, mais celui, partagé, de la plupart des membres de sa famille ; à commencer, et surtout, par le silence (et « le détachement« , écrit Philippe Sands, page 38), compliqué d’une étrange complète absence de rire, de l’épouse de Leon, Rita ;

Rita, née Regina Landes (Vienne, 1910 – Paris, 1986), la grand-mère maternelle de Philippe ;

Rita, « sortie de nulle part« , constate, page 61, Philippe Sands, au moment de leur soudain mariage, à Vienne, le 23 mai 1937 (Leon venait d’avoir trente-trois ans ; et Regina-Rita Landes, née en 1910, en avait vingt-sept ; soudain, car nul témoignage (ni ancien, ni présent), ni document écrit, n’apporte le moindre éclairage sur les prémisses de cette union ; pas une seule photo antérieure avec Rita : leur première photo ensemble est la photo officielle de leur mariage, et sur laquelle, remarque Philippe Sands, page 61, « ni l’un ni l’autre ne sourit en ce jour heureux« …) ;

Rita, Regina Landes, donc, était « viennoise et autrichienne«  (page 61),

tandis que Leon, lui, né autrichien à Lemberg en 1904, était devenu ipso facto polonais par le simple fait du Traité international avec la Pologne, signé le 28 juin 1919 (un « document connu sous le nom de « Petit traité de Versailles »« , page 111 ; un Traité qui avait pour but de garantir et assurer la protection (menacée) des minorités résidant sur le territoire de la Pologne ressuscitée ; l’ancienne Pologne avait été en effet dépecée une troisième fois, le 3 janvier 1795, par l’Empire de Russie, le Royaume de Prusse et l’Empire d’Autriche, qui s’étaient partagés la totalité de ses territoires ; la Galicie, avec sa capitale Lemberg, ayant été donnée à l’Autriche) ;

et cela, en tant que natif, le 10 mai 1904, de cette ville qui, de Lemberg, autrichienne, venait de devenir Lwow, polonaise ; et alors même que, ayant fui Lemberg, prise par l’armée russe l’été 1914, Leon résidait depuis lors à Vienne, auprès de sa sœur aînée Gusta, qui y avait épousé l’année précédente, en 1913 donc, le viennois Max Gruber ;

mais la famille de ces Landes, apprendra-t-on incidemment plus loin dans le livre, avait, elle aussi, des racines à Lemberg en Galicie…

La mère de Rita, Rosa Landes, étant veuve, ce fut elle, ainsi que ses trois fils, Wilhelm (l’aîné, « dentiste de son état« , et père d’un petit Emil, né en 1933), Bernhardt (père d’une petite Susanne, née en 1932) et Julius Landes, les frères de Rita-Regina, qui, au début de l’année 1937, donc, « accordèrent la main de Rita à Leon«  (page 62) ; et « c‘était la nouvelle famille viennoise de Leon«  (page 62)…

Comment Leon et Rita avaient-ils bien pu se rencontrer, à Vienne, se plaire, puis s’épouser ce 23 mai 1937 ?.. L’enquête de leur petit-fils Philippe, narrée dans le livre, fait chou blanc sur ce point ; et eux-mêmes n’en ont jamais rien dit non plus à aucun de leurs proches parents ou amis, du moins parmi ceux qui ont survécu et auraient pu en témoigner auprès de Philippe, ou de sa mère Ruth… Le mystère continue donc de régner ici.

Leon Buchholz, donc, le propre grand-père, adoré !!!, de l’auteur :

« un homme généreux et passionné,

dont le tempérament fougueux _ voilà ! _ pouvait se manifester de manière brusque et inattendue« ,

ainsi commence la présentation-portrait de son cher grand-père Leon, qu’entreprend, à la page 39, son petit-fils Philippe ;

qui poursuit _ lui qui, né le 17 octobre 1960, aura eu trente-sept ans au moment du décès de son grand-père en 1997 ; et chaque année le londonien Philippe Sands, de double nationalité française et britannique, venait passer quelques jours chez (ou avec) ses grands-parents français Buchholz, à Paris : il a donc eu le temps, sur la durée, de bien le côtoyer et le connaître, et l’apprécier, l’aimer… _ :

« J’ai beaucoup de souvenirs heureux,

et pourtant l’appartement de Leon et Rita _ situé vers le milieu de la rue de Maubeuge, non loin de la gare du Nord, à Paris _ ne m’est jamais apparu comme un lieu joyeux _ voilà, et cela en très net contraste avec le tempérament « généreux et passionné«  du grand-père Leon ; soit une conjonction d’éléments de base de l’énigme du couple (de presque cinquante ans de durée : 1937 – 1986) de ses grands-parents, à élucider, pour leur petit-fils. 

Jeune garçon _ dans les années soixante _j’en sentais _ de cet appartement _ déjà la lourdeur,

une tension _ voilà… _ faite d’appréhension _ de quoi donc ? _

et imprégnée du silence qui remplissait l’air _ mais les lieux parlent.

Je ne venais _ de Londres à Paris _ qu’une fois par an _ aux vacances _,

et pourtant je me souviens _ tout spécialement _ de l’absence _ endémiquement pesante _ de rires » _ en ce lieu de vie des grands-parents Buchholz…

et cela, donc, d’un autre côté,

un côté forcément plus restreint et peu ouvert aux débats _ et c’est un euphémisme ! _et d’abord à l’intérieur même du cercle des proches _ que ce silence devait avoir, semble-t-il, pour intention de protéger ! _,

le côté, donc, de l’histoire intime un mot qui va se révéler crucial ! _ de la propre famille _ Buchholz – Flaschner – Landes – Gruber, etc. _ de l’auteur, Philippe Sands ;

et cela à travers aussi, et peut-être surtout, le parcours de vie (ainsi que les souvenirs _ tamisés et plus ou moins transmissibles en fonction des époques et de l’avancée en âge de chacun _ à propos de ses parents, Leon et Rita) de sa propre mère Ruth, née _ le 17 juillet 1938, à Vienne _ Ruth Buchholz ;

Ruth, au départ éminemment chahuté de Vienne _ le 22 juillet 1939 _, à l’âge d’un bébé de tout juste un an _ un an et 5 jours _, et voyageant en train de Vienne à Paris sans personne de sa famille pour l’accompagner, son père se trouvant déjà à Paris, et sa mère étant restée à Vienne : comment fut-ce possible ? C’est à peine croyable !.. Et pourquoi était-ce son père, et non pas sa mère, qui allait prendre en charge, et tout seul, isolé, à Paris, un enfant si petit ? Il y a assurément là de quoi s’interroger !

Ce que résume bien le témoignage (pages 66 et 67), récent, je suppose, du cousin _ né à Vienne en 1933 _ Emil Landes _ chirurgien-dentiste de son état, comme l’était son père Wilhelm (le frère aîné de Rita), ainsi que l’ami d’enfance (l’expression se trouve à la page 499) à Londres, d’Emil, Allan Sands : le mari de Ruth et père de Philippe… _ :

«  »Comment Rita a-t-elle pu vivre à Vienne _ seule : sans son mari Leon, parti à Paris dès janvier 1939 (comment et pourquoi ?) _  jusqu’à la fin de 1941 ? » _ s’interroge Philippe. Son cousin _ en fait le cousin germain de Ruth _ Emil, qui _ lui _ avait quitté Vienne _ pour Londres avec ses parents _ en 1938 l’année de ses cinq ans _, ne se l’expliquait pas _ lui non plus, quand Philippe est venu, assez récemment, je suppose, au début de son enquête, peut-être en 2010, le consulter là-dessus. « C’est un mystère, et cela a toujours été _ mais depuis quand ? _ un mystère« , m’a-t-il dit doucement. Savait-il que Leon et Rita n’avaient pas quitté Vienne ensemble ? « Non. Ils ne sont pas partis ensemble ? » me demanda-t-il. Savait-il que Rita était restée à Vienne jusqu’à la fin de 1941 ? « Non » _ rien n’avait donc filtré de cela dans cette famille Landes non plus…

Et aussi :

« Je n’ai absolument aucune idée de la manière dont ton grand-père _ Leon _ s’est arrangé _ remarque bien intéressante : Leon était un homme aussi remarquablement discret qu’intelligent et courageux, au milieu d’effroyables menaces _ pour quitter Vienne« , me dit Emil, le cousin de Ruth.

« Et j’ignore comment il a pu permettre à sa fille _ un bébé (juif, qui plus est !) de tout juste un an _ de quitter Vienne _ quant à cet exploit-là, l’enquête nous en apprendra davantage un peu plus loin : Leon était admirablement ingénieux ! et audacieux !

Et Leon participa aussi, mais sans en faire état non plus, à la Résistance en France ; cela, il a fallu que son petit-fils le déduise de ses patientes et rhizomiques recherches, et de quelques témoignages qu’il est parvenu, avec un peu de chance aussi, à obtenir ; notamment à partir du décryptage d’une photographie d’un cortège lors d’une cérémonie en un cimetière : il s’agissait du cimetière d’Ivry-sur-Seine ; et c’était le 1er novembre 1944 ; Leon y figure juste derrière le général de Gaulle !.. (pages 86 à 88) _,

ou comment ta grand-mère _ Rita, la tante d’Emil, et juive elle aussi… _ a pu s’échapper » _, Philippe découvrira plus tard que ce fut le 9 novembre 1941 : « le lendemain, les « frontières du Reich allemand furent fermées aux réfugiés », toute émigration cessa et toutes les voies de départ furent bloquées. Rita partit à la dernière minute » : le caractère énigmatique de ce départ (au bon moment !) du Reich allemand de Rita, ne faisait donc que se renforcer… (ce sera à la page 74) ;

tout cela, cependant, ce n’est pas frontalement que nous l’apprendrons ; nous devrons en rester à des suppositions à partir de quelques indices, principalement une série de photos, datant (mais il aura fallu aussi l’établir !) de l’année 1941, et conservées chez elle par Rita, d’hommes vêtus de Lederhosen (culottes de cuir) et de Weissstrüpfe (hautes chaussettes blanches) : « signe, je le sais maintenant, de sympathie pour les nazis. Dans un tel contexte, ces chaussettes prenaient une allure sinistre« , commente Philippe Sands, page 256 ; et d’hommes se tenant en la compagnie de Rita dans un jardin d’un beau quartier du centre de Vienne (voir la photo, page 256), au décisif chapitre V, L’Homme au nœud papillon, pages 245 à 258. Ce beau jardin viennois, Philippe Sands, l’ayant localisé, le visitera : il jouxte le splendide immeuble du 4 Brahmsplatz, où résidait cet homme au nœud papillon dont on peut voir la photo à la page 241. Ces photos ont été découvertes par Ruth, sa fille, « parmi les papiers de Rita, après sa mort en 1986 » ; et Ruth « les avait ensuite rangées avec celles de Leon _ décédé, lui, en 1997 _ dans un endroit où elles étaient restées durant une décennie« , avant que Philippe ne les découvre à son tour, en 2010, et cherche à les comprendre, en sa méthodique et minutieuse enquête, où le moindre détail devient un magnifique (et indispensable) indice (page 247). Fin de l’incise.

Confiée par sa mère, Rita, à une étrangère, une anglaise, dont on commence par ne connaître que le nom, Miss Tilney

_ un nom inscrit à la-va-vite sur le quai de la gare de l’Est, sur un petit bout de papier jaune (la photo de ce document se trouve page 159), griffonné probablement dans la perspective, pour Leon, d’un contact ultérieur _,

la petite Ruth, née donc à Vienne le 19 juillet 1938, arrive à Paris, à la gare de l’Est, le 23 juillet 1939, à l’âge de tout juste un an, mais sans sa mère Rita, demeurée, elle, à Vienne ; Rita, quant à elle, ne retrouvera son mari Leon et sa fille Ruth, à Paris, qu' »au début de l’année 1942 » (page 75), en pleine Occupation ; et alors qu’elle avait quitté le Reich _ ici demeure un trou spatio-temporel de deux mois, plutôt étrange … _ le 9 novembre 1941 : « le lendemain _ 10 novembre 1941, et par décision d’Adolf Eichmann _, les « frontières du Reich allemand furent fermées aux réfugiés », toute émigration cessa et toutes les voies de départ furent bloquées. Rita partit _ ainsi _ à la dernière minute _ tiens donc ! Sa fuite fut, soit très chanceuse, soit préparée par une personne informée _ j’ajoute donc ici ce commentaire très parlant de Philippe Sands à la citation commencée de donner un peu plus haut ! Je ne sais pas écrit Philippe Sands, page 74 _ quand Rita arriva à Paris ni comment elle y parvint. Sur le Fremdenpass conservé par Rita en ses papiers _, il n’y avait ni tampon ni explication. D’autres documents confirment cependant qu’elle a bien retrouvé son mari à Paris au début de l’année 1942″ (pages 74-75)

_ soit quasiment deux mois après son entrée, probablement par la Sarre, en France :

« Le 14 août _ 1941, à Vienne _, on délivra à Rita un Fremdenpass, valable pour un an, lui permettant de voyager, de quitter le Reich et d’y revenir. Bien qu’elle fût enregistrée comme Juive, le tampon J rouge n’y figurait pas. Deux mois plus tard, le 10 octobre, la police de Vienne l’autorisa à quitter le pays, et elle partit pour Hargarten-Falck, dans la Sarre, à la frontière entre l’Allemagne et la France _ voilà.

Le voyage devait avoir lieu _ elle le savait ! _ avant le 9 novembre. La photo du passeport montre une Rita terriblement triste, les lèvres serrées, les yeux pleins de pressentiment. J’ai trouvé une copie de cette photo dans les papiers de Leon ; Rita l’avait envoyée de Vienne à Paris. Au dos, elle avait inscrit : « pour ma chère enfant, pour mon enfant en or » (…) Avec, un peu plus bas, ce commentaire : « Pour quitter Vienne, Rita a dû bénéficier de l’aide d’une personne ayant des relations«  (pages 73-74). Fin de l’incise.

Et Rita, Ruth et Leon étaient juifs tous les trois…

Leur survie à Paris sous l’Occupation nazie fut, elle aussi, forcément problématique ; comme l’avait été l’existence de Rita, juive, à Vienne, dans le Reich, au cours des trois _ très _ longues années précédentes : 1939-40-41 _ de séparation du couple qu’elle formait avec Leon

L’énigme à décrypter se précise peu à peu _ step by step.

Qui est donc cette Miss Tilney

qui s’est chargée de convoyer par le train de Vienne à Paris, la petite Ruth, ce bébé d’un an à peine, à son père Leon ?

Cette énigme-ci sera résolue.

Mais d’autres au moins aussi étranges, et à multiples rebondissements, viennent vite s’y adjoindre et jalonner le somptueux récit palpitant de cette enquête tant historico-juridique qu’intimement familiale _ ces deux pans de la même quête entremêlés, croisés, alternés _en ce merveilleux Retour à Lemberg

_ cf mes trois précédents articles d’approche, des 23, 29 et 31 mars derniers :

«

»

»  _ ;

je n’en suis qu’à ma troisième lecture de ce livre passionnant et si riche,

et je découvre à chaque fois de nouveaux micro-détails

avec de nouvelles macro-connexions à opérer

en fonction de nouveaux éléments de contexte que je découvre, au fils du récit, et dont je prends de mieux en mieux conscience, par ces connexions mêmes, et dont je me souviens de mieux en mieux, aussi ; mais c’est cela, lire vraiment un texte, c’est-à-dire découvrir, parcourir et déchiffrer les couches successives de matériaux d’un palimpseste ; matériaux directement issus des vies des personnes dont sont observés à la loupe, comme ici, les parcours, et se découvrant, dès que l’on creuse un peu ; cela pouvant même se réaliser au corps défendant de l’auteur, et à son insu :

ainsi, par exemple, pourquoi le prénom du frère cadet (Marc) de Philippe, n’est-il jamais prononcé dans le livre, les deux fois que celui-ci est pourtant évoqué ? Cf à ce propos, la précision que Philippe Sands lui-même donne dans un article sien The Diary: Philippe Sands du Financial Times du 3 juin 2016 :

At an event in London earlier this week, it was a relief to reach the part where I could make a few remarks.
I took the opportunity to express, very publicly, feelings of fraternal love towards my brother, who has put up with years of queries about obscure family memories for things I’ve written.
 
Later, over dinner at nearby Fischer’s — where the Wiener schnitzel wins out over all competition — he thanks me for my nice words,
then asks whether there was a particular reason he got no mention in the acknowledgments for my latest book.
I want to set him straight, but am unable to do so after leafing through the relevant pages.
Aghast, I immediately email my publishers with a corrective insert, extolling the virtues of my brilliant brother Marc, the finest.
Knopf in New York replies, asking if he is my only brother. “This information affects whether to use restrictive or non-restrictive commas,” they explain. I take an instant decision not to consult our father.
Et pourquoi Marc Sands n’est-il pas, non plus, cité dans la liste pourtant apparemment exhaustive des Remerciements de l’auteur à tous ceux qui lui ont apporté une aide, si menue ait-elle été (parfois même un seul mot !), donnée aux pages 499 à 505 de Retour à Lemberg ?… Fin de l’incise _ ;

chaque relecture apporte donc son lot de nouvelles connexions à essayer, comme autant de pistes s’offrant à explorer…

Après le bref Prologue : Une Invitation (pages 23 à 33 = 11 pages),

ainsi que le tout premier et très important _ fondamental et probablement principal ! _ chapitre I, Leon (pages 37 à 91 = 54 pages),

les chapitres impairs suivants, tous brefs,

_ et que l’on aurait pu superficiellement penser ne constituer que des chapitres de transition, pittoresques et anecdotiques, afin de pimenter le récit principal, qui est celui de la grande Histoire _,

sont consacrés à des personnages apparemment secondaires et fugaces _ ils ne réapparaîtront pas _, de témoins ou comparses _ probablement annexes… _ de l’intrigue familiale _ celle réputée a priori par nous secondaire _,

soient les chapitres III : Miss Tilney de Norwich, pages 161 à 182 = 12 pages) ; V : L’Homme au nœud papillon (pages 245 à 258 = 14 pages) ; VII : L’Enfant qui est seul (pages 321 à 328 = 7 pages) ; et IX : La Fille qui avait choisi de ne pas se souvenir (pages 375 à 384 = 10 pages),

chapitres qui constituent comme autant d’étapes de la démarche d’enquête familiale du petit-fils de Leon et Rita, quant au parcours de vie, notamment pendant la guerre et sous l’Occupation, de ses grands-parents…

_ je pense ici à la très belle enquête d’Ivan Jablonka à propos du parcours de vie (et de mort ) de ses grands-parents paternels, en Pologne, puis à Paris (sous l’Occupation), en son passionnant Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus _ une enquête ; cf aussi, sur ce beau livre, mon article du 9 avril 2012 : »

Et je pense aussi à l’enquête superbe, encore, et de par le monde entier, de Daniel Mendelsohn, Les Disparus (le livre est paru en 2006 aux États-Unis, et en 2007 pour son édition française) ; cf mes deux articles des 8 et 9 juillet 2009 : «  et » ; rédigés suite à ma lecture du livre suivant de Daniel Mendelsohn paru en français, en 2009 (mais l’original était paru aux Etats-Unis en 1999), L’Étreinte fugitive

Et aussi, forcément, à ce chef d’œuvre absolu que sont les travaux éblouissants de Saul Friedländer : L’Allemagne nazie et les Juifs, volume 1 : Les Années de persécution 1933-1939, paru en 1997, et volume 2 : Les Années d’extermination 1939-1945, paru en 2008 ;

précédé de son très beau Quand vient le souvenir, paru en 1978 ; et suivie de son merveilleux Où mène le souvenir _ ma vie, paru en 2016 ;

sur cette somme, cf mes deux articles en suivant des 16 et 29 septembre 2016 : «  et »

Et sur l’histoire de la Galicie,

consulter aussi l’admirable travail de Timothy Snyder Terres de sang _ l’Europe entre Hitler et Staline ; et mon article du 26 juillet 2012 : «

Cf aussi, à propos de ma rencontre avec le Père Desbois, le 31 janvier 2008, à Bordeaux, pour le colloque Les Enfants de la guerre, ainsi que ma lecture de son terrible Porteur de mémoires _ sur les traces de la Shoah par ballesces articles du 12 novembre 2008 et du 9 juillet 2009 : « … ; et »

Auparavant, j’avais lu, terrifié, eu égard au silence radical de mon père, né à Stanislawow le 11 mars 1914, l’impressionnant roman de Wlodzimierz Odojewki (Poznan, 14 juin 1930 – Piaseczno, 20 juillet 2016) Et la neige recouvrit leur trace, paru aux Éditions du Seuil, en 1973…

Un des premiers souvenirs de mon père, raconte ma mère (qui vient d’avoir cent ans le 11 février 1918 : quelles dates !), c’est celui de l’entrée des cosaques, sabre au clair, dans la cour de la maison de ses parents, à Stanislawow, en Galicie, au pied des Carpates ; sa mère Fryderyka (native de Lemberg, et fille de Sara Sprecher, de la famille Sprecher, de Lemberg…), ayant pu sauver à temps le petit Benedykt, traumatisé à vie… Au cours d’un épisode de ces guerres austro-russes d’alors ; j’en ignore la date…

Fin de cette longue incise bibliographique (et personnelle, aussi) ; et retour à Retour à Lemberg.

Nous serions donc, de prime abord, tentés de recevoir ces brefs chapitres impairs comme faisant fonction de virgule, de pause, entre les principaux et gros chapitres _ les chapitres pairs _, parties prenantes, eux, d’un récit _ de portée universelle, lui _ de la grande Histoire, celui de la vie et de l’œuvre (mêlées), de ces deux grands juristes du droit international que sont Lauterpacht et Lemkin, ainsi que de la vie et de l’œuvre (de mort) du nazi important _ juriste de formation, lui aussi, et principal concepteur du statut juridique des lois du régime nazi ! et ce point est fondamental du point de vue du Droit… _, qu’est Hans Frank, un des principaux accusés (et condamnés) du procès de Nuremberg

soient les chapitres II, Lauterpacht (pages 95 à 158 = 64 pages) ; IV, Lemkin (pages 185 à 242 = 57 pages) ; VI, Frank (pages 261 à 327 = 66 pages) ; VIII, Nuremberg (pages 331 à 371 = 41 pages) ; et X : Jugement (pages 387 à 440 = 54 pages) ;

et juste avant le bref et tranchant Épilogue : Vers les bois (pages 441 à 453 = 13 pages).

Ces chapitres impairs, presque anodins _ historiquement _ par rapport aux chapitres pairs de la grande Histoire, comportent de menus, mais décisifs éléments _ ou détails _ d’énigmes, se présentant, à chaque étape de l’enquête, comme un défi à résoudre, et se révélant bientôt, l’un après l’autre, comme autant de pièces-ressources successives de la résolution du puzzle familial dont pas mal d’éléments étaient, bien sûr, cachés, soigneusement tenus secrets par les uns et les autres, et pour divers motifs _ des Buchholz,

amenant,

sinon toujours la pleine résolution frontale des étrangetés et énigmes (aux éléments se clarifiant pas à pas) _ l’auteur, en très fin avocat qu’il est, répugne à asséner de massives résolutions au lecteur, préférant laisser celui-ci mariner un moment dans ces bizarreries et difficultés à s’orienter au sein de ce qui se révèle peu à peu, en effet, un puzzle ; puis se faire lui même, à partir du dossier d’éléments d’abord épars, puis assemblés peu à peu et réunis par l’auteur, ses propres conclusions de lecteur, d’autant mieux assertées ainsi, et alors, en ce processus de découverte progressive par lui-même ! _,

du moins, de quoi se faire une idée un peu approchée _ mais sans trop lourdement y insister, de la part de l’auteur : un très filial respect demeure aussi très présent, quand la compréhension finit par se faire jour ! _ de ce que cachaient des secrets longtemps tus _ car trop douloureux à porter à une lumière trop vive _ et donc tenus floutés, laissés plutôt à esquisser, à un peu de distance et en arrière-plan ;

et dont quelques très menus signes-détails seulement affleurent, laissés, avec infiniment de pudeur et de délicatesse, à peine perceptibles, et dans les blancs du discours (ou dans des gestes ou expressions du regard surpris au vol) plutôt que dans des paroles explicites et nettes ;

comme en témoignent, si l’on y prête bien attention, les mots de commentaire contenus, mais fermes cependant et pleinement assumés, de la nièce de Leon, Herta Gruber-Peleg, à Tel-Aviv (« ni surprise, ni choquée« , commente la scène Philippe Sands, page 383) ;

et plus encore, bien sûr, le « sourire entendu » (page 384) sur le visage de Ruth, la mère de l’auteur, se souvenant de sa propre rencontre en Californie _ dans les années 70, m’a précisé de vive voix Philippe Sands _, avec Max, l’ami de jeunesse viennois de son père…

_ Ruth s’est mariée jeune, elle avait 18 ans, en 1956, à un londonien, Allan Sands, le meilleur ami de son cousin Emil Landes, immigré à Londres, à l’âge de cinq ans, en 1938 ; Allan et Emil, amis d’enfance, ont tous deux été étudiants en dentisterie, puis chirurgiens-dentistes… Et à l’instant où j’écris cela, je m’aperçois que le nom de Sands est comme pré-inscrit dans celui de Landes.

Pas mal d’humour, riche d’amour et de générosité, dans cette discrétion subtile et délicate, est assurément bien là, présent, chez les Buchholz, et à travers les générations qui se succèdent : Leon, Ruth, Philippe et maintenant les enfants de Philippe Sands et Natalia Schiffrin.

Rien n’est ici trahi, 

du moins pour ce qui concerne les actes de Leondont certains héroïques : je veux parler ici d’actes de Résistance, durant les années d’Occupation, à Paris, même si rien n’en sera vraiment précisé, ni a fortiori étalé par lui-même _ et pas davantage dans le récit que s’efforce d’en recomposer très filialement ici, son petit-fils Philippe…

Il s’agit de l’infatigable travail de Leon à l’UGIF, l’Union Générale des Israelites de France

_ dont le récit est rapporté aux pages 82-83, avec aussi cet épisode : « Brunner nommé à Paris le 9 février 1943, afin d’intensifier le processus de déportation des Juifs de Frances’étant personnellement rendu dans les bureaux du 19 rue de Téhéran _ de l’UGIF _ pour superviser les arrestations, Leon lui avait échappé en se cachant derrière une porte » ; récit transmis à Philippe par sa chère tante Annie, qui le tenait de son mari, Jean-Pierre, le frère cadet (1947 – 1990) de Ruth _ ;

ainsi que de ses liens avec les Résistants du groupe Manouchian, membres des MOI, les Francs-Tireurs et Partisans de la Main-d’Œuvre Immigrée

_ rapportés aux pages 87-88 : « Un membre de l’affiche _ l’affiche rouge d’Aragon, rendue célèbre par la chanson de Léo Ferré _ m’était familier _ rapporte Philippe Sands, page 88 _, Maurice Fingercwajg, un Juif polonais de vingt ans. Je connaissais ce nom : Lucette, une amie de ma mère avec qui elle allait à l’école tous les matins après la fin de l’Occupation, avait épousé Lucien Fingercwajg, le cousin du jeune homme exécuté. Le mari de Lucette m’a appris plus tard que Leon avait eu des contacts avec le groupe _ voilà _, mais il n’en savait pas davantage. « C’est pour ça qu’il est parmi les premiers dans le cortège du cimetière d’Ivry », m’a dit Lucien » _ dans ce cortège, Leon se trouve juste derrière le général de Gaulle, sur une photo (page 87) prise le 1er novembre 1944 à Ivry : « De Gaulle avait visité le Carré des Fusillés, le mémorial des combattants résistants exécutés par les Allemands pendant l’Occupation » (page 86) ; une photo que Leon avait conservée en ses papiers, et « la première que j’ai vue dans le salon de ma mère avant le voyage pour Lviv« , l’été 2010, indique Philippe Sands, à la recherche passionnée, désormais, de toute ce qu’avait eu à surmonter, en sa vie, ce grand-père adoré, depuis son départ de Lemberg…


Rien n’est trahi.

Tout au contraire ; une parfaite piété filiale _ Leon n’appelait-il pas Philippe « mon fils  » ? (page 39)vient, et toujours discrètement, s’accomplir.

Et par ce lumineux livre-tombeau

à son grand-père,

le petit-fils fait pleinement droit à ce que fut la vérité profonde de la vie de Leon

Halleluiah !

Le second exergue, à la page 10, du livre,

en l’occurrence, et en tout premier lieu, une extraordinaire citation des psychanalystes Nicolas Abraham et Maria Torok, extraite de L’Écorce et le noyau _ à la page 427 de l’édition dans la collection Champs des Éditions Flammarion _ :

« Ce ne sont pas les trépassés qui viennent hanter _ voilà ! _,

mais les lacunes _ fantômales _ laissées en nous _ sans que nous, qui les subissons, y puissions, du moins tout d’abord, grand chose ! _ par les secrets des autres« 

_ sur ces lacunes mêmes, cf mes articles des 16 et 17 juillet 2008, à propos de Jeudi saint, de Jean-Marie Borzeix : «  et » _ ;

ainsi que,

et un peu plus loin, à la page 12 de la Préface à l’édition française du livre _ et seulement elle ! Et le titre français de ce récit d’enquête, Retour à Lemberg, me semble, aussi, bien plus parlant que le titre originel East West Street _ On the Origins of « Genocide » and « Crimes Against Humanity », en déplaçant l’accent à la fois sur le lieu parfaitement identifiable de la ville de Lemberg-Lviv (un carrefour de tensions toujours très vives pour notre Europe, et face à la Russie), et sur la très concrète démarche d’enquête (avec d’inlassables « retours » physiques de l’auteur qui y poursuit très concrètement ses recherches autour d’Otto von Wächter), plutôt que sur la question plus théorique (même si elle est, bien sûr, très importante !), de la genèse des concepts du Droit international ; et même si les enjeux d’application de ces derniers, surtout, sont, plus que jamais en 2018, considérables ! pour une plus effective démocratie, on n’y insistera jamais assez… _,

la double expression suivante :

« Retour à Lemberg est un livre sur l’identité et le silence _ résume ainsi splendidement ce qui en fait le principal et l’essentiel, Philippe Sands !

Et nous découvrirons, peu à peu, qu’il s’agira aussi, fondamentalement (même si ce n’est pas théorisé par l’auteur), de la formation et du devenir des identités personnelles, toujours potentiellement ouvertes et dynamiques, perçues et appréhendées, ici, à travers celles des principaux protagonistes (surtout Leon, Lemkin et même Frank ; un peu moins Lauterpacht ; mais même aussi l’identité plastique de la personne de l’enquêteur-narrateur lui-même, par rapport, notamment, à l’identité ressentie plutôt que consciemment connue, de son grand-père, Leon… ; et sa merveilleuse capacité de sourire et de presque tout surmonter…) ; même si parfois, voire souvent, il arrive à certaines, ou même à la plupart, de ces identités en mouvement de ces personnes-personnages de Retour à Lemberg, de se fermer, puis demeurer, fixement, refermées (névrotiquement), faute, alors, d’assez de capacité dynamique et dynamisante de plasticité et de ré-ouverture, ou résilience, en elles, ces identités personnelles… Savoir rebondir… Et ces enjeux-là de plasticité et dynamisme de nos identités, nous concernent, bien entendu, chacun et tous, sans exception ! ; et cela aussi en fonction, forcément, des contextes (sociaux et culturels : complexes et mouvants, eux aussi ; et cela sein de l’Histoire générale, qui nous porte et emporte ; parfois nous soulève, et parfois nous pèse, ou nous engloutit et détruit), à commencer par les comportements et réactions des autres, et des autres en groupe (un phénomène auquel Raphaël Lemkin est particulièrement sensible ; lire ou relire ici, aussi, le Masse et puissance d’Elias Canetti, un autre contemporain (1905-1994) important de cette Europe centrale…) ; de ces autres auxquels notre moi a l’occasion, d’abord, et occasion positive, de plus personnellement s’identifier et former, subjectiver (cf par exemple le processus dintrojection de Mélanie Klein), mais aussi, d’autres fois, de parvenir à se déprendre, se libérer, s’extirper d’une emprise nocive, névrotique, ou perverse… Etc. _ ;

mais c’est aussi une sorte

_ à la John Le Carré (par exemple dans le sublime Comme un collégien) ; et il se trouve, en plus, que John Le Carré est un voisin et ami, à Londres, de Philippe Sands... _

de roman policier

c’est-à-dire une patiente et très déterminée enquête, à passionnants rebondissements, obstinément menée par l’auteur (qui nous la détaille _ et l’attention au moindre des détails est en effet capitale ! _, en presque la moindre de ses démarches, et nous y fait participer ainsi, magnifiquement !) au cours de six années de déplacements de par le monde (et à Lemberg et Zolkiew, en Galicie, désormais ukrainienne, tout particulièrement),

à rechercher et décrypter de très nombreux documents d’archives qu’il fallait d’abord repérer et dénicher (sans rien laisser passer d’important…), rassembler et réunir, comparer et connecter entre eux, pour parvenir, ainsi mis en rapport, à les faire vraiment parler ! Et parler implique toujours un contexte (hors-champ : à impérativement éclairer), ainsi qu’une adresse (à des personnes déterminées, spécifiquement motivantes…) ; et la pratique plurivoque de son métier d’avocat a bien aidé Philippe Sands en ces diverses tâches d’enquêteur-décrypteur, puis auteur-compositeur de son récit !

Et s’efforcer, plus encore urgemment, de recueillir, à contresens du temps filant à toute allure des horloges biologiques des vies

_ « But at my back I always hear

            Time’s wingèd chariot hurrying near« ,
s’exclamait To his coy mistress le poète Andrew Marvell… _ ;
et s’efforcer de recueillir tant qu’il est temps, et en sachant aussi à l’occasion les provoquer, d’irremplaçables témoignages (parfois d’un seul mot !), quand est en train de s’achever, pour ce qui concerne les exactions de la Shoah principalement, ce qu’Annette Wiewiorka a nommé l’« ère du témoin«  (cf son livre de ce titre) ; mais, cela, pas seulement à l’égard de meurtres de masse ; cela peut concerner aussi les menues existences les plus privées, certaines expériences les plus intimes, en la singularité la plus discrète ou secrète, des rapports les plus personnels des individus, à d’autres, avec d’autres, avec certains autres, qui leur sont chers, ou qui veulent leur peau !.. Les affaires de l’intimité peuvent elles aussi se dérouler sur des fonds de violence, aussi bien dans le déchaînement de leur effectivité objective que dans le vécu le plus inquiétant ou affolant de leurs ressentis _

mais c’est aussi une sorte de roman policier

à double entrée :

la découverte des secrets de ma propre famille _ autour des liens affectifs noués, et plutôt en secret, à Vienne, par son grand-père Léon, d’une part, et sa grand-mère Rita, d’autre part (chacun de son côté) ; et ce seront bien là les clés de l’énigme familiale du couple (un peu atypique, au final, mais peut-être pas tant que cela…) des grands-parents Buchholz… _d’une part,

et, d’autre part, l’enquête de l’origine _ ou plutôt de la genèse… _ personnelle _ de la part, cette fois, des deux inventeurs de ces concepts décisifs du droit international contemporain, à partir de 1945 : Hersch Lauterpacht et Raphaël Lemkin _ de deux crimes internationaux _ ou plutôt de leur dénomination et surtout détermination juridique officielle ; mais il fallait, bien sûr, et extrêmement précisément, les déterminer ! _ qui m’occupent _ lui, Philippe Sands _ dans ma vie professionnelle _ d’avocat spécialisé plaidant en ces matières dans des procès on ne peut plus effectifs _ au quotidien,

le génocide _ le néologisme a été créé de toutes pièces par Raphaël Lemkin, qui le propose pour la première fois en son livre Axis Rule in Occupied Europe, achevé de rédiger le 15 novembre 1943 (page 231), et publié un an plus tard, en novembre 1944 (page 235) _

et le crime contre l’humanité«  _ avec Hersch Lauterpacht (dont le livre An International Bill of the Rights of Man parut, lui, en juin 1945), René Cassin, qui fut le principal concepteur (dès ses années de la France libre, à Londres, auprès du général de Gaulle), puis rédacteur principal de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 ; René Cassin, donc _ dont je suis un ami de la famille, et d’abord de son neveu Gilbert Cassin _, en partage la paternité de conception et dénomination ; mais Hersch Lauterpacht était, lui un juif de Galicie, devenu, aussi, à Cambridge, un très pragmatique britannique ; alors que René Cassin préfère lui, en bon français qu’il est, et à Londres, auprès du général de Gaulle, raisonner et agir en termes de principes universels… Mais leur profond souci et le plus effectif possible du Droit, est bien le même…

Philippe Sands précisant alors :

« Au lecteur de décider

si l’enchevêtrement _ dans la (très heureuse !) rigoureuse alternance des chapitres impairs concernant les Buchholz, et pairs concernant les grands juristes, Lauterpacht et Lemkin, puis Frank et le déroulé du procès de Nuremberg (un grand merci, ici à Victoria Wilson, son « éditrice parfaite : attentive, aimante et sceptique, elle n’a cessé de me vanter les mérites de l’écriture lente, je lui en suis très reconnaissant« , page 505)  _ de ces deux histoires toutes deux passant par cette même cité de Lemberg-Lwow (aujourd’hui Lviv), et à des moments qui les concernent, directement ou indirectement, chacun et tous, et sous la pression tragique des mêmes causes ! _n’est dû _ ou pas _ qu’au hasard

_ ou bien, plutôt, et aussi !, à quelque(s) conjonction(s) de facteurs personnels (d’identité et subjectivation) communs prégnants, liés certes au lieu et au moment, et aux milieux, menaces et actions armées d’autres (= les autres, en groupes surtout ; et c’est là-dessus qu’insiste Lemkin pour l’incrimination de génocide, que, lui, identifie à partir du modèle de l’exemple arménien de 1915 (pages 194-196…) ; mais aussi, peut-être, à d’autres facteurs plus personnels et intimes, voire singuliers (et facteurs puissants de notre identité ! ou identification…), pouvant être, aussi, lourds de violences, et déjà de menaces, qui y interviennent, là encore, plus ou moins directement ou indirectement, de la part surtout, il est vrai, de groupes… C’est que « nul homme n’est une île«  ! selon l’expression de John Donne. Et c’est fondamentalement au sein même des échanges avec les autres (à commencer par celui de la parole, en l’apprentissage de la langue, puis de toute la culture… ;  ainsi que des regards), mais aussi de tous les autres signes, y compris corporels et les moins conscients, avec nos proches, d’abord (puis d’autres ; qu’il faut apprendre à apprivoiser ; et avec lesquels s’accorder plus ou moins…), que nous, humains, nous formons et forgeons peu à peu, et continûment, notre identité de personne-sujet (qui est ainsi ouverte, et non pas fermée)… Et sur cette articulation-là, Philippe Sands, avec une très grande humanité et merveilleuse délicatesse, creuse loin et profond, et profondément juste, en son balancement très mesuré entre le poids de ces divers facteurs d’identification...

Et, de plus, et encore, nous sommes ici sur le terrain de droits (et pas de simples faits bruts) : de droits (à revendiquer et soutenir) à faire naître et apparaître d’abord, délimiter et faire reconnaître, d’abord théoriquement et en droit positif, puis à faire entendre, respecter et protéger très effectivement, sur le terrain, cette fois, quand d’autres les bafouent et les violent ! Et osent théoriser sur ces abus, tel le Calliclès du Gorgias de Platon, ou tel Carl Schmitt : un cran philosophique au-dessus du médiocre Hans Frank… Cf aussi le riche Masse et puissance, d’Elias Canetti…

Et au passage, nous pouvons comprendre le conseil de Léon à son cher petit-fils Philippe (page 38 : « Leon m’encouragea à faire du droit« ), c’est-à-dire consacrer sa vie professionnelle la plus effective au Droit, et la défense vigoureuse et argumentée, la plus concrète, des droits… Cf aussi, plus tard, et à la page 437 : « Leon était ravi de mon choix de carrière« … Mais, ici, et cette fois avec son œuvre d’auteur, et auteur de ce si éloquent Retour à Lemberg, Philippe Sands donne encore beaucoup plus d’ampleur à la mission reçue de son cher grand-père. Et c’est très émouvant.

Le sens des faits _ avec la lucidité et la clairvoyance qui le conditionnent, ce crucial et fondamental « sens des faits«  _

et les détails (le diable, nous le savons, sait s’y cacher ! mais c’est aussi là qu’il se fait démasquer !) _ de ce voyage qui va d’Est en Ouest et retour

_ (East West Street _ On the Origins of « Genocide » and « Crimes Against Humanity » est le titre originel anglais de ce Retour à Lemberg… : East West Street étant la traduction anglaise du nom polonais de la rue principale de Zolkiew, berceau de la branche maternelle, les Flaschner, de la famille de Leon Buchholz (mais la maison des Lauterpacht, les parents de Hersch, se trouvait dans cette même rue de Zolkiew !) ; une rue qui s’est appelée, à diverses périodes de domination germanophone : autrichienne, puis allemande-nazie, LembergerStrasse…  _

est en partie au moins _ une affaire personnelle » et cela, déjà, pour chacun des protagonistes de ce récit : les juristes-concepteurs, qui sont aussi de très pragmatiques acteurs des nouvelles conceptions du Droit international, à la création duquel ils ont décisivement contribué alors ; les traqueurs-prédateurs nazis ; et les traqués et victimes (quelques uns parvenant à en échapper, mais la plupart des autres, pas), juifs surtout…

Et c’est un immense mérite de ce livre qu’est Retour à Lemberg, que de réussir à nous faire approcher, encore une fois avec une extrême délicatesse, ces facteurs personnels et intimes, d’identité, profondément « humains« , jusque dans les amours un peu compliquées et chahutées, de certains, et même de la plupart, des protagonistes pris ici comme objets d’analyse fouillée en cette enquête extrêmement minutieuse, même un Hans Frank ; tous impliqués, à divers degrés, et ne serait-ce que dans leur famille, dans les violences et soubresauts annexes de l’Histoire collective ; sous les regards réels (ou potentiels) d’autres, des autres, ainsi que de groupes se conglomérant (cf, par exemple, ici, le Masse et puissance, d’Elias Canetti) ; afin de mieux comprendre la part de ces facteurs humains et inhumains, tant dans les comportements effectifs que dans les jugements sur eux…

Bien sûr,

au départ de l’enquête menée par Philippe Sands ici,

il y a cette invitation universitaire _ au printemps 2010 : l’Ukraine indépendante (et surtout sa partie le plus occidentale, la Galicie et sa ville principale, Lviv) s’ouvrait alors un peu à l’Europe de l’Ouest… _ faite à l’avocat de droit international spécialisé en affaires de génocides et de droits de l’homme qu’il est

_ et qui découvrira la ville de Lviv à la toute fin du mois d’octobre 2010, et y prononcera sa conférence dans la salle même où se trouvèrent, étudiants, Hersch Lauterpacht et Raphaël Lemkin durant le cursus de leurs études de droit (de 1915 à 1919, page 104, pour Lauterpacht ; et de 1921 à 1926, page 192, pour Lemkin) ; de même que se trouva, aussi, dans cette même salle, Hans Frank, pour un fameux discours prononcé là le samedi 1er août 1942 (pages 293 à 295, avec deux photos) : « c’était l’anniversaire de l’incorporation de Lemberg dans le Gouvernement général _ que dirigeait Hans Frank _, comme capitale du Distrikt Galizien, germanisé depuis peu _ à partir de l’été 1941, et le déroulé de l’opération Barbarossa. (…) Le principal objectif de Frank était de restaurer _ à son profit de Gouverneur Général de (toute) la Pologne occupée _ un régime civil sous la houlette ferme _ et c’est un euphémisme ! _ du gouverneur _ de Galicie, à Lemberg _ Otto von Wächter… » _ son subordonné ; page 291 _

par la Faculté de Droit de l’Université de Lviv, et à propos des conceptions nouvelles, depuis 1945-46 _ et le procès de Nuremberg _ de ce droit.

Mais, ce qu’ignorent encore, ce printemps 2010 de leur invitation, les instances invitantes de Lviv,

c’est que, d’une part, les deux inventeurs de ces concepts, Hersch Lauterpacht (1897 – 1960) et Raphaël Lemkin (1900 – 1959), sont tous deux étroitement liés à leur ville de Lviv

_ Lauterpacht est né à la très proche Zolkiew (LembergerStrasse) le 16 août 1897, et gagna Lemberg, avec ses parents, en 1910, afin d’y faire ses études (dont le début de celles de droit, à l’université, de 1915 à 1919 ; en 1919, pour causes de mesures antisémites polonaises à l’université, il dut partir pour Vienne afin d’y poursuivre et terminer ces études de Droit : auprès du grand Hans Kelsen) ; mais ses parents continuaient, eux, de résider à Lwow (où ils y furent raflés, en août 1942, pages 144-145) ; quant à Lemkin, lui est venu à Lwow, en octobre 1921, afin d’y faire, lui aussi, ses études de droit : la prohibition des éudiants juifs de 1919 avait alors cessé, du fait de l’application du Traité des droits des minorités ; et dont il sortit diplômé le 20 mai 1926 _,

mais, mieux encore,

les invitants ignoraient aussi, et d’autre part, que leur invité, l’avocat londonien Philippe Sands (né à Londres en 1960, y vivant, y exerçant son métier d’avocat et d’enseignant à l’université, ainsi qu’y résidant toujours),

avait lui aussi de très étroits liens avec la ville de Lviv _ des liens familiaux et culturels (juridiques !), même si ces liens étaient encore assez vagues pour lui-même, à ce moment d’octobre-novembre 2010 : son grand-père Leon, en effet, ne lui avait pas dit un mot, pas plus du détail de ses dix années de petite enfance passées à Lemberg (de sa naissance, le 10 mai 1904, à son départ de la ville, au mois de septembre 1914, fuyant les armées russes) que du détail des vingt-quatre années suivantes de sa jeunesse passées à Vienne (de son arrivée chez sa sœur Gusta Buchholz-Gruber, en septembre 1914, à son départ (tout seul !) pour Paris et la France, au mois de janvier 1939).

puisque son grand-père maternel, Leon Buchholz (1904 – 1997), lui aussi, était né à Lemberg (le 10 mai 1904), y avait vécu (jusqu’en septembre 1914, et sa fuite vers Vienne), et y était revenu, à Lwow _ la Lemberg autrichienne étant alors devenue polonaise _, à l’été 1923 : c’était, à ce moment, afin, d’une part, de disposer _ du fait du Traité des minorités imposé par les Alliés, le 28 juin 1919, à la Pologne renaissante _ d’un passeport polonais _ qui lui était désormais nécessaire, en tant que né en Galicie ; et qui, d’une certaine façon, bien plus tard le sauvera des Nazis (quand il sera considéré, sur la foi de tels papiers, non pas comme juif autrichien, mais simplement apatride : sans mention, à l’encre rouge sur ces dits papiers, de sa judéité !)… _, et, d’autre part, de rendre visite à ses cousins Flaschner _ du côté de sa mère, Malke, née Flaschner _, à Zolkiew

_ et c’est cet été 1923-là, que Leon aurait pu croiser à Lwow, et Raphaël Lemkin qui effectivement y étudiait ; et même, peut-être, Hersch Lauterpacht, qui certes y avait cessé d’étudier l’été 1919 (où, pour contourner les mesures anti-juives prises alors à l’université de Lwow par les toutes nouvelles autorités polonaises, il avait dû gagner Vienne pour pouvoir y achever sa formation de juriste, auprès du grand Hans Kelsen) ; qui s’était marié (à Vienne, le 20 mars 1923) ; et qui, le 5 avril suivant, avait rejoint l’Angleterre pour occuper bientôt, en octobre, un poste de professeur de droit qui lui avait été offert, à Londres ; mais Hersch Lauterpacht aurait pu venir à Lwow depuis Londres, rendre visite à ses parents, qui continuaient, eux, et continuèrent de résider à Lwow ; ainsi que son frère David, et sa sœur Sabina, et leurs époux respectifs : Ninsia, pour David, et Marcele Gelbard, pour Sabina ; et leurs filles : Erica, pour David Lauterpacht, et Inka, pour Sabina Gelbard,… En 1945, de toute cette famille Lauterpacht résidant à Lwow-Lemberg-Lviv, n’aura survécu que la seule Inka Gelbard (nièce de Hersch) ; tous les autres avaient été assassinés…

Leon, lui, ne reviendra plus jamais à Lwow.

Après Vienne, c’est la France et Paris qu’il gagnera, en janvier 1939 ; et pour toujours :

devenu français, Leon adorait la France ;

et au fils qui lui naîtra le 3 janvier 1947, il choisira pour prénom Jean-Pierre

_ et au passage je note que le fils aîné de Philippe Sands a été prénommé, en 1995, Leo JP…


L’art de la recherche _ en quelque domaine que ce soit _comme celui de la réalisation d’une œuvre à accomplir, nécessite de prendre l’initiative de concevoir _ Sape audere !, telle est la devise des Lumières, comme le proclame bien haut Emanuel Kant, en son indispensable Qu’est-ce que les Lumières?, en 1784 _ et de faire, en procédant à de fécondes connexions :

rien n’est ici simplement subi passivement, ou reçu de l’extérieur ; pas davantage qu’isolément, non plus.

Et dans les rapports du sujet cherchant, et créant, à son réel environnant,

il ne s’agit jamais, en rien, de simples coïncidences purement circonstancielles et extérieures, étrangères aux personnes _ et à la personnalité même, singulière _ du chercheurs et créateur.

Surtout quand viennent interférer, comme ici, des jeux meurtriers et à très grande échelle, de chats et souris entre traqueurs et traqués, bourreaux et victimes :

ainsi,

et à côté de bien d’autres _ presque tous, à vrai dire ! _ de leurs parents,

la mère de Leon, Malka Buchholz, née Flaschner, est assassinée à son arrivée sur la rampe de Treblinka, au bout de la Route vers le paradis, au mois de septembre 1942 (page 360) ;

quand la mère de Rita, Rosa Landes, venait, moins d’une semaine auparavant, le 16 septembre 1942, de mourir d’épuisement à Theresienstadt (page 76)…

Malka, Rosa : deux des arrière-grand-mères de Philippe Sands ;

Treblinka, Theresienstadt : deux des grands sites d’assassinat des Nazis…

..

Ce en quoi, pour ce qui concerne au moins les bourreaux,

le moment (20 novembre 1945 – 1er octobre 1946) du procès de Nuremberg

allait se révéler décisif, face à la phénoménale mauvaise foi persistante et endurante de la plupart de ces prédateurs attrapés, capturés, et désormais maintenus, à leur tour, dans une nasse, à Nuremberg ;

tel Hans Frank

_ quant à son subordonné direct, Otto von Wächter, éminent résident de Lemberg en tant que Gouverneur de la Galicie nommé par Hitler lui-même (le 22 janvier 1942), et terriblement efficace en l’extermination de ses Juifs, il réussit à fuir l’avancée de l’Armée rouge quand celle-ci, lors du reflux de la Wehrmacht hors de l’Union soviétique, vint s’emparer de Lemberg, le 27 juillet 1944 ; Wächter parvint, lui, à échapper, du moins provisoirement, au châtiment : il put se réfugier à Rome, où il bénéficia de hautes protections ecclésiastiques… jusqu’à sa mort, à Rome, le 10 septembre 1949, semble-t-il.

Outre son passionnant film The Nazi legacy : what our fathers didréalisé avec l’étroite collaboration _ et participation à ce documentaire _ de deux fils de bourreaux nazis, Niklas Frank et Horst von Wächter (tous deux nés en 1939),

le présent travail en cours de Philippe Sands, et grâce à la vaste documentation _ familiale _ que lui a généreusement fournie Horst von Wächter, concerne, justement, le parcours de vie entier (décès compris, à Rome), d’Otto von Wächter, éminent et singulier citoyen de Lemberg…

L’œuvre d’écrivain-chercheur de Philippe Sands se poursuit donc, à côté de son travail d’avocat en droit international spécialisé dans les crimes de génocide et d’atteintes aux droits de l’homme : passionnante, en sa quête de vérité, comme en sa très profonde _ et empreinte de la plus grande délicatesse _ humanité.

Mais je voudrais m’attacher au plus émouvant _ et touchant _ de tout,

même, peut-être, par rapport aux combles de l’horreur que furent les massacres d’extermination _ Shoah par balles, chambres à gaz, etc. _ :

le portrait si délicat par Philippe Sands de son bien aimé grand-père Leon Buchholz,

via, ici,

_ et entre autres assez rares témoignages désormais disponibles, à partir de novembre 2010 (début de cette enquête), quant au passé viennois de Leon, entre 1914 et 1939, puisque c’est sur ce passé viennois-là que vient se focaliser, à ce stade de sa recherche, la curiosité de son petit-fils, afin de mieux comprendre ce qu’a pu être en vérité le couple assez étrange qu’ont formé ses grands-parents Leon et Rita, disons entre leur mariage « célébré le 23 mai 1937 au Leopoldstempel, une belle synagogue de style mauresque, la plus grande de Vienne » (page 61)et la naissance de leur second enfant, Jean-Pierre, à Paris, le 3 janvier 1947 _

via, ici, donc,

le témoignage « viennois« ,

obtenu par Philippe Sands « dans une maison de retraite avec une belle vue sur la Méditerranée, non loin de Tel Aviv » (page 376), en 2012 _ à au moins soixante-quatorze ans de distance (entre 1938, son départ de Vienne, et 2012, ce jour de leur rencontre à Tel-Aviv) _, de la cousine Herta, âgée de 92 ans,

une des nièces de ce grand-père Leon _ puisque Herta Peleg, née Gruber, est la seconde des filles (après sa sœur Thérèse-Daisy, née en 1914, et avant sa sœur Edith, née en 1923) de Gusta Buchholz (la sœur aînée de Leon) et son mari Max Gruber ; et témoin potentiel privilégié, du fait que c’est chez Gusta et Max Gruber (qui venaient de se marier en janvier 1913), que vinrent se réfugier, l’été 1914 à Vienne, Leon et sa mère Malka, quand Lemberg fut prise et en partie dévastée par l’armée impériale russe.

Herta Peleg :  « la fille qui avait choisi de ne pas se souvenir« ,

ainsi qu’elle-même l’affirme à Philippe Sands, le fils de sa cousine Ruth, à la page 380 :

« Je veux que tu saches que ce n’est pas vrai _ comme certains le disaient, tel son propre fils Doron, Doron Peleg, que Philippe avait réussi à contacter depuis Londres _ que j’ai tout oublié,

voilà ce qu’elle dit, les yeux rivés aux miens _ précise alors Philippe.

C’est juste que j’ai décidé il y a très longtemps que c’était une époque dont je ne souhaitais pas me souvenir.

Je n’ai pas oublié. J’ai choisi de ne pas me souvenir« …

Ce témoignage-clé (aux pages 380 à 384) qui constitue un apport crucial décisif pour l’intelligence de la personnalité de son grand-père Leon, telle qu’elle avait pu se révéler et s’épanouir en sa jeunesse, à Vienne,

a été obtenu par Philippe Sands à Tel Aviv en 2012,

soit soixante-quatorze ans après le départ de Vienne (en septembre 1938, page 375) d’Herta, qui n’a plus jamais revu son oncle Leon, qui lui-même quitta Vienne peu de temps après, en janvier 1939.

Dans l’état d’esprit qui était celui de Philippe Sands au moment de ce voyage à Tel-Aviv,

Herta Gruber-Peleg,

était, pour lui, la dernière nièce vivante de Leon _ ce qui n’était pas tout à fait le cas ; car Philippe découvrira un peu plus tard, en 2016 (cf page 531, dans la Postface), l’existence, et à Tel-Aviv aussi, d’une autre nièce de Leon, et qui, dira-t-il, pleura en lisant certaines pages de Retour à Lemberg (paru en anglais en 2016, en effet) ; mais il n’en précisera pas l’identité, indiquant seulement que Doron Peleg était son neveu ; il s’agit donc, ou bien de Thérèse-Daisy, l’aînée des trois soeurs Gruber, née en 1914, ou, plus vraisemblablement, d’Edith, la benjamine, née en 1923… _,

et semblait constituer le tout dernier témoin à pouvoir lui parler de Leon au moment de sa jeunesse _ et de son mariage avec Rita, en 1937 _ à Vienne :

« D’après moi _ venait d’écrire l’auteur page 376 _, Herta était la seule personne vivante qui pouvait avoir _ et donc transmettre _ des souvenirs de Vienne, de Malke et de Leon.

Elle ne voulait pas parler _ avait prévenu son fils Doron, Doron Peleg _,

mais on pouvait peut-être rafraîchir sa mémoire _ un bon avocat devait en être capable ; surtout avec l’aide de quelques photos anciennes que Philippe apporterait et lui mettrait sous les yeux…

Elle se souvenait peut-être du mariage de Leon et de Rita au printemps de 1937, ou de la naissance de ma mère _ Ruth _ un an plus tard, ou des circonstances de son propre départ de Vienne. Elle pourrait peut-être aussi m’éclairer sur la vie de Leon à Vienne _ un élément important ; c’était là ce que se disait Philippe Sands, chez lui, à Londres, devant la perspective d’une telle rencontre à Tel-Aviv… Elle accepta de me recevoir. Qu’elle consente à parler du passé était une autre affaire » (page 376).

Mais l’avocat subtil et empathique qu’est le chaleureux et remarquablement fin Philippe Sands, va superbement y réussir.

Et cet échange, durant deux pleines journées d’échanges intenses, avec Herta, dans son appartement de la maison de retraite où désormais elle vivait, face à la Méditerranée, constitue le sommet _ en toute délicatesse et pudeur _, et la clé finale, du questionnement de Philippe à propos de son grand-père Leon _ et de sa grand-mère Rita. A moins que d’ultimes témoignages, ou de nouveaux documents, sollicités et décryptés, livrent de nouvelles découvertes. La recherche a aussi quelque chose de passionnément infini.

Ces pages-ci (de 380 à 384)

de la rencontre de deux jours, donc, de Philippe Sands avec Herta, à Tel-Aviv, et ce qu’il va en apprendre,

et qui comprennent aussi, in fine, en un paragraphe de sept lignes, page 384, la mention du « sourire entendu«  de Ruth, la mère de Philippe,

quand celle-ci, un peu plus tard, lui raconte sa rencontre avec Max, en Californie, dans les années 70..,

vont venir donner au petit-fils de Leon, le plus beau et juste portrait de son merveilleux grand-père.

Et, à ce stade presque final de ma lecture, je voudrais ici rappeler les mots de son petit-fils qui, page 39, ouvraient le portait de son grand-père Leon :

« un homme généreux et passionné,

dont le tempérament fougueux pouvait _ à l’occasion _ se manifester de manière brusque et inattendue » ;

soit un homme passionné, foncièrement ouvert, mais sachant aussi parfaitement se contenir et demeurer discret, de même que très audacieux, et même héroïque, quand il le fallait…

Après les dix ans, de 1904 à 1914, de sa prime enfance à Lemberg,

Leon avait en effet vécu à Vienne vingt-quatre années, qui avaient été celles de sa jeunesse joyeuse : de l’automne 1914, à son départ pour Paris en janvier 1939.

Et il en vivra encore cinquante-huit de plus, à Paris, jusqu’à son décès en 1997 _ et son veuvage, depuis 1986.

Nous découvrons d’abord ceci, à l’important chapitre 133, et à la page 381 :

« Ce fut le nom de Leon qui suscita le souvenir le plus vif _ de la vieille cousine Herta.

Son oncle Leon, elle l’avait _ en effet _ « adoré »,

comme un frère aîné, de seize ans seulement son aîné.

Il était toujours dans les parages _ chez elle et ses parents, à Vienne _,

une présence constante.

« Il était si gentil, je l’aimais. »

Elle s’interrompit,

surprise par ce qu’elle _ elle campée d’habitude sur un plutôt ferme quant-à soi… _ venait de dire.

Puis elle le redit,

au cas où _ qui l’aurait chagriné _  je n’aurais pas entendu.

« Je l’aimais vraiment ».

Ils avaient grandi ensemble, expliqua Herta,

ils vivaient dans le même appartement après le départ de Malke pour Lemberg en 1919 _ quand la situation s’était apaisée là-bas, à Lwow, désormais.

Il était là quand elle était née en 1920, il avait seize ans, c’était un lycéen viennois.

La mère de Herta, Gusta, le gardait en l’absence de Malke.

Leon était une présence constante _ et marquante _ dans sa vie. » (page 382). 

Puis, ceci, un peu plus bas, toujours page 382 :

« Lorsque nous feuilletions les albums de photos _ ceux d’Herta comme ceux que Philippe avait apportés _,

son visage s’adoucissait _ voilà _ chaque fois qu’elle voyait une photo de Leon

_ la douceur de Leon suscitait, et maintenant encore, de la douceur…

 Elle reconnut le visage d’un autre jeune homme qui apparaissait sur plusieurs photos

_ qu’avait apportées Philippe ; et qui dataient toutes d’à partir de 1924, l’année des vingt ans de Leon, en l’épanouissement de sa période « viennoise« , en quelque sorte.

Regarder surtout les photos des pages 59 et 383.

Son nom lui échappait.

C’est Max Kupferman, lui dis-je, le meilleur ami de Leon.

« Oui, , bien sûr », dit Herta.

« Je me souviens de lui, c’était l’ami de mon oncle, ils étaient toujours ensemble.

Quand il venait à la maison, il venait toujours avec son ami Max. »

Cette remarque m’incita à l’interroger sur les amies de Leon.


Herta secoua la tête vigoureusement,

puis sourit, d’un sourire chaleureux

_ sourire, douceur, chaleur, sont décidément des marqueurs cruciaux dans le recueil très attentif des témoignages à propos de son grand-père Leon auxquels procède Philippe Sands.

Ses yeux aussi sourirent _ et ils parlent clair.

« Tout le monde passait son temps à demander à Leon _ et c’est là la pression du groupe _ « quand vas-tu te marier ? »  Il répondait toujours qu’il voulait ne jamais se marier » _ a précisé alors Herta : « toujours, jamais« .

Je l’interrogeai _ donc _ sur d’éventuelles _ parfois _ petites amies.

Elle ne se souvenait d’aucune amie.

« Il était toujours avec son ami Max ».

C’est tout ce qu’elle a dit,

répétant ces mots

_ « Il était toujours avec son ami Max« 

Doron _ le fils d’Herta _ demanda _ alors, avec beaucoup de modération dans le conditionnel de la formulation _ si elle pensait que Leon aurait pu être gay _ un mot, bien sûr, assez récent.

« On ne savait pas ce que c’était alors » _ dans les années 20 et 30 ; surtout une petite fille née en 1920… _,

répondit Herta, d’un ton égal _ et bien sûr les intonations de la voix, de même que les regards, comptent beaucoup dans l’expression des témoignages…

Elle ne fut ni surprise, ni choquée. Elle ne confirma, ni n’infirma« .

Fin ici du chapitre 133.


 

Puis, ceci, encore, au chapitre suivant, 134 (pages 383-384) :

« De retour à Londres,

je me suis replongé dans les papiers de Leon, rassemblant _ avec méthode _ toutes les photos que je pouvais trouver. (…)

 Je mis de côté toutes celles où il y avait Max,

les rangeant par ordre chronologique du mieux que je pouvais. (…)

Entre 1924 _ l’année des 20 ans de Leon _ et 1936, sur une période de douze ans _ et en 1936, Leon avait eu 32 ans, le 10 mai… _,

Leon avait collectionné plusieurs douzaines de photos _  pas mal, par conséquent ! _ de son ami Max.

Pas une année apparemment ne s’était écoulée sans qu’une photo ne soit prise, ou plusieurs.

Les deux hommes en randonnée. Jouant au foot. Á une cérémonie. Á une fête sur la plage, accompagnés de filles, bras dessus, bras dessous. Ensemble près d’une voiture dans la campagne.

Ces _ plusieurs douzaines de _ photos prises sur une période de douze années,

entre vingt _ 1924 _ et trente-trois ans _ 1937 _ (quelques mois avant son mariage avec Rita _ qui eut lieu le 23 mai 1937, pour ce qui concerne les données biographiques de Leon… _),

témoignent d’une _ très réelle _ relation de proximité _ entre Leon et Max.

Qu’elle fût intime ou non _ voilà l’adjectif qui revient ici _,

n’apparaît _ cependant _ pas clairement _ au vu des seules photos (toutes dénuées d’impudeur) étalées sur la table.

Les revoyant à nouveau _ et plus attentivement _ aujourd’hui,

avec _ désormais, en plus _ les remarques de Herta en tête

_ procéder aux connexions judicieuses (prenant en compte aussi le hors-champ !) est, forcéement, décisif ; tout élément doit être, toujours, et le plus correctement possible, bien sûr, contextualisé ! c’est-à-dire connecté à d’autres… C’est la justesse de cette connexion qui ouvre l’intelligence (ou pas) de la signification… Par l’auteur, au premier chef, évidemment ! Mais par nous, les lecteurs, aussi (lire est lui aussi un acte d’intelligence ; et donc un engagement de soi, personnel et singulier) ; ce qui nécessite, de notre part, en emboitant le pas, en quelque sorte, à la démarche même d’écriture inventive de l’auteur écrivant, quelques relectures, à chaque fois un peu plus attentives aux détails qui avaient pu jusque là nous échapper ; et sur lesquels l’auteur avait peut-être, justement, choisi de ne pas trop lourdement insister ! faisant confiance à notre propre finesse de lecteur attentif (ou pas) aux moindres nuances et intonations (voire aux silences) de ses phrases… Hic Rhodus, hic saltus _,

je me dis que c’était là une intimité d’un genre particulier _ peut-être, mais lequel ? A nous d’y méditer…

Leon avait dit qu’il ne voulait jamais se marier _ et il n’existait certes pas alors de mariage entre personnes de même sexe ; ni de pacs.

Et encore moins de procréation médicalement assistée.

Les solutions fines à la configuration personnelle de telles relations étaient possiblement alors moins formatées que ce qui se déploie à très grande échelle aujourd’hui dans nos sociétés moutonnières, alors même que les individus se figurent être absolument singuliers et uniques : par un aveuglement (de totale cécité !) habilement construit par de très peu visibles, voire invisibles, dispositifs algorithmiques sociaux…


Max avait réussi à quitter Vienne _ quelles raisons précises l’y avaient donc incité ? _ ;

comment, quand, je ne le savais pas _ et c’est bien dommage : ni Herta Gruber-Peleg, née en 1920, et nièce de Leon ; ni Emil Landes, né en 1933, et neveu de Rita, ne l’ayant jamais su, ne pouvaient donc pas le savoir ; et même Emil Landes, bien trop jeune en 1937-38, ne pouvait évidemment pas avoir connu ni se souvenir de ce Max Kupferman… Et qui d’autre, maintenant, pouvait apporter un nouveau témoignage fiable sur tout cela ?..

Il était parti _ mais à quelle date ? dès 1937 (soit le moment où cessent les photos jusqu’alors si fréquentes de l’ami Max, au moins dans la collection qu’en conserva Leon) ? plus tard ? mais quand ? Et qu’est ce qui avait donc pu motiver son départ, à lui, de Vienne, et d’Autriche ?.. L’Anschluss (Max aussi était juif) ne se produisit que l’année suivante : au mois de mars 1938… Et pour quelles raisons Max était-il parti tout seul ?.. Qu’est- ce qui avait pu retenir si fort l’ami Leon à Vienne ? Sa profonde affection pour sa mère Malka ? Le désir de se marier et d’avoir des enfants ? Qui pourrait le dire ? _

il était parti

pour l’Amérique, New-York, puis la Californie _ Philippe Sands n’indique pas précisément ce qui lui permet de l’affirmer : une correspondance entre Max et Leon ? un témoignage particulier, tel celui de Ruth, issu de leur rencontre californienne ?.. Cela n’est pas explicité.

Il était _ cependant _ resté en contact avec Leon _ par échange de lettres ? et en permanence ? Il semblerait que oui, mais là encore Philippe Sands laisse discrètement ces éléments dans le flou. Il en reste au stade de l’allusion. Durant l’Occupation, Leon se trouvant à Paris sous la botte allemande, il avait dû leur être assez difficile de communiquer par le courrier, très surveillé ; chacun (Leon à Paris, Max en Amérique) devait disposer d’une adresse sûre et fiable de l’autre afin de réussir à le joindre, sauf à utiliser les services de la poste restante, mais dans une ville forcément préalablement connue de soi (peut-être Max a-t-il résidé toutes ces années-là, sans en bouger, à New-York…). La pratique de la poste restante était fréquente en France sous l’Occupation et le régime de Vichy. Par exemple, Hannah Arendt et ses amies allemandes du XIVéme arrondissement de Paris (dont Herta Cohn Bendit), l’utilisaient, une fois parvenues en zone libre et ayant à s’y déplacer (Lourdes, Toulouse, Montauban, Marseille), en 1940-41… _ ;

et plusieurs années plus tard, lorsque ma mère était _ ce « était à«  semble impliquer un minimum de résidence dans la durée _

à Los Angeles _ Ruth était devenue adulte, et depuis longtemps ! Ruth a épousé Allan Sands, l’ami d’enfance de son cousin Emil Landes (né en 1933, lui), en 1956 (elle avait 18 ans) ; j’essaie de me repérer… Mais Philippe Sands ne donne pas davantage de précision sur ce séjour de Ruth Sands à Los Angeles _,

elle l’avait rencontré _ Ruth, et à sa suite Philippe, sont donc tout à fait en mesure de dater correctement cette rencontre californienne de Ruth et de Max (dans les années 70, m’a dit de vive voix Philippe).

Leon avait-il indiqué à sa fille l’adresse de Max en Californie ? Ou avait-il communiqué à Max les coordonnées de Ruth lors de son passage ou séjour à Los Angeles ?.. C’est plus que probable… Mais cette précision ne nous est pas donnée ; Philippe Sands nous dit que Leon et Max gardèrent contact (mais à distance, sans se voir), l’un habitant Paris, et l’autre en Amérique : par-dessus l’Atlantique qui les séparait désormais ; et surtout il nous laisse penser que Leon a favorisé cette rencontre californienne entre son ami de toujours, Max, et sa fille, Ruth. Qu’avait donc dit Leon à sa fille (trentenaire alors) ?.. Et celle-ci en a-t-elle, depuis, confié le détail à Philippe ? C’est très vraisemblable. Mais le récit tel qu’il est publié, préfère, avec délicatesse, s’abstenir d’entrer dans ce détail du devenir de l’amitié viennoise de Leon et de Max..

Il s’était marié tardivement _ qu’est-ce à dire ? quand, plus précisément ? _,

m’avait dit ma mère _ née, elle, en 1938 ; et Max Kupferman ayant, pouvons-nous supposer, approximativement l’âge de Leon, né lui en 1904 ; cela pour tenter d’évaluer ce que pouvait être l’âge de Max (certainement plus de soixante ans) au moment de cette rencontre californienne (au cours des années 70) _,

et il n’avait pas d’enfants _ et avoir des enfants (ou pas) peut être très important pour certaines personnes.

Comment était-il ?

Chaleureux _ nous y re-voilà ! _,

aimable _ tiens, tiens ! _,

drôle _ et c’est parfaitement perceptible sur pas mal des photos de Max conservées par Leon : Max adorait plaisanter et rire ! _,

selon elle

_ et toutes ces micro-appréciations d’intonations que nous fournit ici Philippe Sands, nous apprennent, elles aussi, beaucoup.

Au passage, et à propos de l’importance de ces intonations de la voix, je veux souligner ici le vif et très émouvant plaisir qu’éprouve Philippe Sands (et c’est parfaitement perceptible sur la vidéo), à tenir, en concert, le rôle de récitant ; de récitant d’extraits de son Retour à Lemberg, accompagnés de merveilleuses illustrations musicales (Erbarme dich, de la Passion selon Saint-Matthieu de Jean-Sébastien Bach, chanté par Laurent Naouri, etc…), dans le spectacle  qu’il donne quatre fois par an de par le monde, en compagnie magnifique de proches amis : musiciens, chanteurs, comédiens… Mais la profession d’avocat en apprend déjà beaucoup sur les intonations efficaces…

Pour ma part, je me souviens d’avoir proposé à mes élèves de Terminale, l’année de ma toute première année d’enseignement de Philosophie (c’était en 1972, au lycée René Cassin, à Bayonne), en sujet de dissertation, ce fragment d’Héraclite (dit l’Obscur) : « Ces gens qui ne savent ni écouter, ni parler« … J’y suis particulièrement sensible ; et d’abord au « savoir écouter« 

Et j’ai été aussi récitant lors de concerts de La Simphonie du Marais et Hugo Reyne ; la toute première fois, ce fut pour un concert Lully, dans le grand salon de l’Hôtel-de-Ville de Lyon, le 20 novembre 1993… Plus tard, j’ai aussi appris sur le tas à parler à la radio (France-Culture, France-Musique, à Paris, à Versailles) ; puis à devenir modérateur pour des entretiens, chez Mollat, à la Cité du Vin, au Théâtre du Port-de-la-Lune, à Bordeaux. Cf mon listing d’entretiens disponibles par podcasts et vidéos. Etc.

Je suis donc très sensible à l’importance des intonations de la voix… Fin de l’incise.

Comment était-il ?

Chaleureuxaimable, drôle, selon elle.

« Et flamboyant » _ voilà !

Philippe et sa mère ont maintenant tout loisir d’entrer bien plus avant, dans leurs échanges, dans le détail de ce qu’ils ont appris de Leon, qui se trouve être aussi, par ailleurs, allais-je écrire, pour elle, le père, et pour lui, le grand-père dont ils ont connu d’autres facettes de l’identité, complexe, riche et dynamique ; de même que pour l’identité de quiconque, si l’on veut bien creuser un peu…

Et toutes ces remarques sur ce qui émanait de la personnalité de Max telle que Ruth a pu l’éprouver lors de cette tardive rencontre californienne, sont magnifiquement corroborées par la photo en gros plan du visage de Max (et celui de Leon), prise en 1929, à Vienne, dans une étroite cabine de photomaton : plus de quarante ans avant que Ruth ne découvre le visage et ne perçoive la personnalité de Max, le viennois, en Californie…

Elle avait souri _ encore et toujours ce fondamental sourire : d’intelligence et d’affection, les deux _,

d’un sourire entendu

_ Ruth savait donc. Mais n’avait rien dit, jusque là.

Philippe n’avait pas non plus demandé grand chose à sa mère, avant ce voyage à Lviv, en octobre 2010 ; et avant l’apparition de cette affectueuse curiosité ainsi déclenchée, à Lviv, envers la personnalité pas assez encore connue de lui jusque là, de ce grand-père Leon, qu’il aimait tant. Oui, ce fut bien ce voyage très émouvant d’octobre 2010 à Lviv qui fut le catalyseur de cette curiosité et de toute cette démarche d’enquête, et qui mena à cette meilleure connaissance par Philippe de son grand-père, via tout ce dossier ; et cela à côté de son enquête sur les parcours de vie et les œuvres des juristes Hersch Lauterpacht, Raphaël Lemkin et Hans Frank, et à propos de l’articulation conflictuelle entre les droits nationaux et le droit international…

Mais maintenant, Ruth a tout loisir de bien en parler à Philippe, et avec ce joli sourire d’intelligence complice entre eux deux…

Je retournai _ poursuit Philippe Sands _, à la seule lettre de Max que j’avais trouvée _ que sont devenues les suivantes ? puisque le contact entre Leon et Max s’est poursuivi jusqu’aux années 70 au moins… _ dans les papiers de Leon.

Écrite _ aux États-Unis _ en mai 1945, le 9, le jour où les Allemands avaient capitulé face à l’Union soviétique.

C’était _ visiblement _ une réponse à une lettre de Leon

_ quel pouvait être son contenu ? Leon avait-il pu déjà avoir connaissance, en avril 1945, et à Paris, de l’étendue des meurtres de Juifs en Europe centrale et orientale ? et, plus particulièrement du sort des proches de son ami Max Kupferman ?.. _,

expédiée depuis Paris _ qui avait été libéré le 25 août 1944 _ un mois plus tôt _ début avril 1945, donc : détails en effet significatifs…

Max décrivait la perte de membres de sa famille _ perte dont il venait de recevoir, d’Europe centrale, probablement, confirmation ; car il demeure assez peu probable qu’en avril 1945, Leon ait pu déjà disposer depuis Paris, de beaucoup d’informations sur les massacres d’Europe centrale ; et cela en dépit des relations nouées avec le réseau des gens de l’UGIF… Mais qui sait ? Leon était ingénieux et audacieux… _,

l’instinct de vie _ qui était le sien _,

l’optimisme retrouvé _ ce que Boris Cyrulnik a baptisé la « résilience« 

Ses mots _ de Max _ dénotaient un espoir _ mais lequel ? _ palpable _ si les signes sont bien là, sous nos yeux, c’est à nous qu’il revient d’apprendre à les interpréter ; et en fonction, bien sûr, des contextes, mouvants…

Ce que Philippe Sands s’est efforcé, bien sûr, de faire, au fur et à mesure des avancées (à rebondissements) de ses investigations…

Comme Leon _ pense alors par devers soi et comme à voix haute Philippe _,

il buvait la vie _ telle est la dominante du tempérament joyeux et optimiste (« flamboyant«  !) commun aux deux amis, Max et Leon ! _,

même si la coupe _ étant donné la situation, de part et d’autre de l’océan _ n’était qu’à moitié pleine

_ et ce qui tranche, aussi, avec l’absence endémique de rire de l’épouse de Leon, Rita…

Même si Rita et Leon donnèrent à Ruth un petit frère, Jean-Pierre, né à Paris le 3 janvier 1947.

Des choix drastiques furent donc faits, et à plusieurs reprises, et par chacun des impliqués ;

et où chacun d’entre eux se trouvait alors : à Vienne, à Paris, à New-York, en Californie ; ainsi qu’en fonction des divers lieux où il pouvait se déplacer, ou fuir, échapper à la nasse…

La dernière ligne _ de cette ultime lettre de Max conservée par Leon dans ses papiers : que devinrent les autres ? _ accrocha mon regard,

comme lorsque je l’avais lue pour la première fois,

mais c’était alors pour une raison différente,

sans connaître le contexte _ forcément crucial ! _,

avant d’avoir entendu le témoignage _ sur le vif, et irremplaçable _ d’Herta.

Max se référait-il à des souvenirs viennois _ précis _ lorsqu’il avait écrit ces mots,

lorsqu’il avait envoyé des « baisers affectueux » à Leon,

avant de terminer sa lettre par une question ?

« Dois-je répondre à tes baisers, avait écrit Max _ avec une bonne pincée d’humour noir _, 

ou sont-ils seulement pour ta femme ? » 

          

Sur cette question des droits les plus intimes _ je reprends cet adjectif in fine très important _ de la personne,

face aux pressions (et parfois _ voire souvent _ aux violences _ par exemple, en l’occurrence, homophobes _) des autres _ et le plus souvent en groupes (très vite fanatisés, qui plus est…) _,

deux autres situations _ et souffrances, chagrins _ peut-être proches, sinon exactement similaires,

ayant affecté l’intimité de deux des autres principaux protagonistes de l’enquête :

Raphaël Lemkin,

et Hans Frank,

doivent être aussi abordées quant à ce volet de l’intimité personnelle, et peut-être même singulière ;

et ses droits…

D’abord, et surtout _ par la détresse qui la nimbe d’un bout à l’autre, semble-t-il… _la situation personnelle de Raphaël Lemkin,

comme s’y intéresse, avec pudeur ainsi que prudence, Philippe Sands _ et d’après son enquête sur lui, éminemment scrupuleuse et la plus complète possible : un travail de bénédictin ; presqua analogue à celui que fit Lemkin à propos de Hans Frank ! _au chapitre 136 (de la partie X Jugement), et surtout à la page 390 ;

Lemkin, qualifié, page 390, de « célibataire endurci« , ne s’était, en effet, pas marié ;

de même qu’est souligné, page 442, le fait qu’il « mourut sans enfants« .

Il n’avait eu ni « le temps, ni les moyens de mener une vie maritale« , avait-il confié _ en 1959, soit l’année même de sa mort _ à Nancy Ackerly,

une jeune étudiante _ « de Louisville, Kentucky » _ avec laquelle, au printemps 1959, à New-York, il avait sympathisé et lié amitié _ après s’être amusé un jour qu’il se promenait dans un parc, et l’avait rencontrée par hasard, alors qu’elle « pique-niquait avec un ami indien sur la pelouse du Riverside Park, non loin de Columbia University« , à New-York, à lui claironner, par fanfaronnade, qu’il était capable, lui qui n’était plus un tout jeune homme (il allait avoir cinquante-neuf ans), de dire « je vous aime«  en vingt langues différentes ! (page 185).

Et, bientôt « devenus proches« ,  l’été qui suivitet qui allait être celui-là même de sa mort, d’une crise cardiaque, le 28 août 1959 _,

Raphaël Lemkin et Nancy Ackerly ont travaillé « ensemble sur le manuscrit _ des Mémoires de Lemkin que Lemkin intitula Totally Unofficial » (page 185) ; ce qui fait de cette jeune femme, qui fut sa confidente de prédilection en 1959, un témoin très privilégié de son parcours de vie.

Raphaël Lemkin était un homme à la personnalité singulière, un individu assez isolé socialement _ un « outsider«  ! ai-je entendu à diverses reprises le qualifier Philippe Sands… _ :

un homme « solitaire, déterminé, compliqué, émotif et volubile,

quelqu’un qui n’était pas véritablement charmant, mais qui « essayait _ et sans vrai succès _ de charmer les gens » »,

d’après l’éditorialiste Robert Silvers (page 196), qui l’avait bien connu, et en a parlé en ces termes à Philippe Sands ;

et cela, malgré une indiscutable sociabilité :

« Sociable _ il se liait plus facilement que Lauterpacht _, il vivait en homme du monde » (page 389) ;

mais c’est seul, tristement seul, qu’une fois rentré chez lui, il se retrouvait

et s’éprouvait, douloureusement :

sans personne auprès de qui vraiment s’épancher, se confier ;

contre qui se serrer, se blottir,

à qui s’abandonner ;

et étreindre…

 

Sa mère Bella l’en avait pourtant prévenu, averti, mis en garde, notamment la dernière fois qu’il était passé revoir ses parents, chez eux, à Wolkowysk, en Pologne, à la fin octobre 1939 :

« Bella insista, rappela à son fils que le mariage était un moyen de se protéger,

qu’un homme « solitaire et sans amour » aurait besoin d’une femme, une fois « privé » du soutien de sa mère.

Lemkin ne l’encouragea pas à poursuivre«  _ un tel discours.

Raphaël « répondit aux efforts de Bella avec affection, prit dans ses mains la tête de sa mère, caressa ses cheveux, baissa ses yeux, mais ne fit aucune promesse.

« Tu as raison », c’est tout ce qu’il put lui offrir, espérant que sa vie de nomade lui sourirait davantage à l’avenir« , page 210.

Le texte de ces Mémoires de Lemkin ne trouvant pas d’éditeur à ce moment (1959-1960)

probablement du fait du décès de Lemkin, le 28 août 1959 ; et plus encore de l’absence d’un vrai réseau d’amis fidèles, ou de disciples, auprès de lui, et ayant souci du soin de son œuvre ainsi que de sa mémoire au regard de la postérité.

Raphaël Lemkin n’avait pas non plus d’héritier dont il serait demeuré proche :

le fils de son frère Elias, son neveu Saul Lemkin, né en 1927 (la famille d’Elias avait réussi à survivre aux Nazis comme aux Soviétiques, et à rejoindre l’Amérique après la guerre), vivait lui-même, « à quatre-vingt ans passés« , assez isolé à Montréal, dans des conditions plus que modestes, quand Philippe Sands le rencontra pour recueillir son témoignage sur son oncle Raphaël ; mais les liens familiaux entre Raphaël Lemkin et son neveu Saul, étaient très distendus (pages 210-211).

Et la jeune étudiante qu’était Nancy Ackerly, en 1959, ne disposait, quant à elle, d’aucune autorité, ne serait-ce qu’universitaire, pour assumer et assurer ce rôle de conseil auprès d’un éditeur _,

le texte, donc, de Totally Unofficial

« finit _ un peu perdu, et en tout cas non édité (et donc demeuré invisible)… _ (…)

dans les entrailles de la New-York Public Library« 

_ de laquelle Bibliothèque, ce n’est que bien « des années plus tard » que « un jeune universitaire américain mentionna le manuscrit, et m’en fit _ ensuite _  parvenir une photocopie« , raconte Philippe Sands (page 186) ; ayant pris connaissance de l’existence de ce document, très précieux pour sa propre recherche concernant Lemkin (sa vie personnelle solitaire, sa vie professionnelle un peu compliquée et conflictuelle, ainsi que son rapport passionnel à son œuvre de juriste), Philippe Sands obtint donc de s’en procurer une photocopie, qui, bien sûr, le passionna et dont il tira énormément d’éléments pour son travail de reconstitution du parcours de vie et de la genèse à méandres de l’œuvre de juriste de Raphaël Lemkin. Et un tel travail de précision de reconstitution dans les moindres détails, tant d’une vie que d’une œuvre, est, bien sûr, la seule méthode qui vaille.

Plus loin,

aux pages 209-210,

continuant de se pencher sur les méandres peu heureux _ et c’est un euphémisme _ de la vie de Lemkin, Philippe Sands note bien que « l’une des caractéristiques frappantes de la biographie de Lemkin est en effet l’absence de référence _ qu’elle ait été exprimée, cette « absence de référence à toute relation intime« , par lui-même, ou bien reconnue et établie par d’autres _ à toute relation intime _ sic : cela va donc assez loin. Lemkin ferait-il donc partie de ceux qu’on qualifierait aujourd’hui d’« asexuels«  ? Probablement que non.

De tous les documents que j’ai dépouillés _ poursuit Philippe Sands _aucun ne mentionne _ en effet _ une femme, bien que certaines aient apparemment manifesté _ publiquement _ un intérêt pour lui.« 

Et c’est ce qui transparaît aussi, plus loin, page 390, de ce document privé exceptionnel et particulièrement expressif qu’est la petite œuvre poétique _ totalement inédite _ de Raphaël Lemkin, « trente poèmes qu’il avait écrits et qu’il avait voulu partager avec _ sa jeune amie et collaboratrice de 1959 _ Nancy » Ackerly ; et que celle-ci, bien des années après la disparition de Lemkin, adressa, par la poste, à Philippe Sands :

« La plupart _ de ces poèmes, résume Philippe Sands _ portait sur les événements _ de diverses sortes, probablement _ qui avaient façonnés sa vie et était (sic) heureusement _ pour sa faible qualité poétique ? pour ce qu’elle révélait (un peu trop ?) de la vie de son auteur ?.. _ restée dans l’ombre,

 mais certains poèmes parlaient d’affaires de cœur _ nous y voilà.


Visiblement, aucun n’était destiné à une femme en particulier _ qu’il aurait aimée ou courtisée un peu durablement _,

mais deux d’entre eux s’adressaient apparemment _ au vu de la syntaxe _ à des hommes.

Pris dans « l’effroi de l’amour »

_ est-ce là le titre du poème ? ou bien une expression significative du poème dont est cité l’extrait qui suit ? _,

il écrivait :

M’aimera-t-il davantage

Si je ferme la porte à clef

Lorsqu’il frappera cette nuit ?

Un autre, sans titre, s’ouvrait sur ces vers _ mais la suite (plus impudique ?) ne nous est pas ici donnée _ :

Monsieur, ne vous débattez pas

Laissez-moi baiser

Votre poitrine avec amour.

Philippe Sands concluant, page 391, ce passage à propos des confessions poétiques _ inédites _ de Raphaël Lemkin _ qui comporte probablement d’autres richesses biographiquespar ces mots :

« On ne sait à quoi _ à quel hors-champ bien réel (inconnu jusqu’ici) de son existence _ ces vers faisaient référence.

Il semble cependant que Lemkin avait vécu une vie _ entière _ de solitaire,

et qu’il avait peu de personnes avec qui partager sa frustration

…sur l’évolution du procès » _ de Nuremberg,

eu égard aux difficultés qu’il avait en effet éprouvées à obtenir la place officielle de premier plan, et au procès de Nuremberg même, qu’il désirait en ce décisif procès, au service de la reconnaissance universelle de son concept de « génocide« 

Et dans l’Épilogue de Retour à Lemberg, à la page 442,

nous retrouvons cette notation de Philippe Sands : « Lemkin mourut sans enfants ».

D’autre part,

Philippe Sands remarque, page 231, dans la Préface que Lemkin rédigea pour son livre capital Axis rule in Occupied Europeque de tous les groupes de personnes dont Raphaël Lemkin s’attachait à vouloir défendre _ sur le terrain du droit international _ les droits  _ en particulier les « Juifs, Polonais, Slovènes (?), et Russes » ; semble exister ici une maladresse de traduction… _,

« d’un groupe au moins, il ne faisait aucune mention :

les homosexuels« .

Qui étaient pourtant passibles, le fait est bien connu, d’abord du port de l’étoile rose, et qui furent très effectivement persécutés en tant que groupe identifiable _ ainsi marqué et fiché _ et stigmatisé…

Que déduire de pareille omission en ces écrits de Lemkin ?

Probablement une gêne toute personnelle de la part de Lemkin en sa vie d’homme sexué ;

et dont, à ce point d’être incapable de pouvoir l’aborder en son texte de droit _ pouvait-il y en avoir de vraies raisons théoriques ? _il souffrait et avait honte…

Raphaël Lemkin serait peut-être ainsi un gay

_ mais le mot n’est pas cette fois prononcé pour lui, faute de discours de quiconque sur lui sur ce chapitre : pas de Niklas, comme pour Hans Frank ; pas de Doron, comme pour Leon Buchholz ;

dans le cas de Raphaël Lemkin, son neveu, Saul Lemkin, qui vivait (pauvrement) à Montréal, ne sait rien de la vie personnelle et intime de son oncle, et ne porte pas le moindre jugement sur elle… _

qui n’aurait pas vraiment assumé ses penchants… ;

ou leur éventuelle publicité…

Et cela, que ce soit du temps de sa vie en Pologne _ quand ses parents, Bella et Joseph, n’avaient pas encore été exécutés par les Nazis ; ce fut à Treblinka (page 422) _, ou ensuite aux États-Unis…

Mais les pratiques homosexuelles, à cette époque _ avant 1960 _, et notamment à New-York,

constituaient-elles, ou pas, un comportement de groupe ?..

S’agissait-il là _ comme le néologisme qu’est le vocable de « gay«  _, ou pas,

d’un phénomène sociologique, et d’époque ?..

Etait-ce l’assignation de sa propre singularité à un groupe, qui lui répugnait ?

Ou plutôt, la constitution en quelque sorte officielle et au sein de la théorie juridique d’un tel groupe d’Homosexuels ?..

Le point serait intéressant à creuser…

Ce qui concerne, maintenant, le cas de Hans Frank

sur cette part relativement tue de sa propre intimité,

et cela malgré (ou à cause de) ses liaisons bien connues, voire ses affichages avec diverses maîtresses,

se trouve au chapitre 109 (de la partie VI, Hans Frank), et à la page 315 ;

et il est abordé par Philippe Sands à partir des analyses _ d’une sévérité impitoyable ! _ du dernier fils (né en 1939) de Hans Frank,

Niklas Frank,

en partie à partir de confessions, dans le Journal de l’épouse de Hans _ et mère de Niklas _, Brigitte Frank,

à propos de l’intimité _ en effet plutôt bizarre _ de leur couple :

« Niklas avait compris que

sa mère _ d’un côté _ exerçait une forte emprise _ psychique _ sur Frank,

malgré son attitude cruelle _ à lui, d’un autre côté _ envers elle

_ en une relation de couple sado-masochiste, et doublement perverse en quelque sorte.

« Sa cruauté _ envers Brigitte son épouse, « de cinq ans son aînée«  _ devait servir à cacher son homosexualité », me dit Niklas.

Comment le savait-il ?

Grâce aux lettres de son père

et au Journal de sa mère.

« Chaque fois, de nouveau _ c’était donc endémique… _,

il semble que mon Hans lutte désespérément _ et en vain ! _, encore et encore »confiait Brigitte à son Journal, « pour se libérer de son attitude juvénile _ qu’est-ce-à-dire ? qui datait de sa jeunesse ? qui concernait son attirance envers des jeunes gens ?.. _ pour les hommes »en référence au temps qu’il avait passé en Italie _ la référence demeure obscure, faute de disposer d’informations sur la jeunesse ou/et les voyages de Frank en Italie…

C’était pourtant le même Frank _ mais y a-t-il vraiment là incohérence ? _ qui avait favorablement accueilli le paragraphe 175a du code pénal du Reich étendant la prohibition de l’homosexualité_ adopté le 28 juin 1935 (in la note 103 de la page 481 ; avec cette précision : « Frank avait prévenu que « l’épidémie de l’homosexualité » menaçait le Reich« …) ; mais seulement si celle-ci tournait à l’exclusivité…

Et les Nazis (race de seigneurs !) n’avaient pas la moindre complaisance pour ce qui ressortait de l’universel, ou même du général.

Un tel comportement, avait déclaré Frank, est « l’expression d’une disposition contraire à la norme de la communauté nationale » _ une norme, c’est-à-dire un simple habitus majoritaire : de fait, et non de droit ; mais que peut donc signifier le droit pour un Nazi ? sinon le simple fait brut de la force, et de son pur arbitraire… ; cf ici les analyses de Carl Schmitt ; ou, déjà, en amont, le discours que prète à son personnage de Calliclès, dans Gorgias, Platon… _ qui doit être puni sans merci « si l’on ne veut pas que la race périsse » _ seulement par pragmatisme bien compris.

« Je crois qu’il était gay », dit Niklas » (page 315), en conclusion de ce raisonnement.

Et voici donc l’autre occurrence de ce mot « gay » (page 313, donc),

avec la question de Doron Peleg, à Tel-Aviv, à propos de Leon Buchholz (page 383)

dans Retour à Lemberg.

Ce qui nous ramène

à réfléchir à ce qui constitue, et en lui donnant forme,

dans le temps d’une vie humaine, tant au sein de la personnalité de l’individu, que dans l’évolution de ses rapports aux autres,

et dans l’affiliation _ tant recherchée par soi qu’assignée par d’autres (ou les autres) _ à divers groupes, sociaux, raciaux, ou autres,

l’identité :

l’identité, toujours complexe et dynamique, est toujours potentiellement ouverte,

et comporte toujours au moins une part de plasticité…

Et nous retrouvons ici la distinction et les approches concurrentes que faisaient dans leurs démarches de conceptualisation théorique du droit (et des droits)

Hersch Lauterpacht et Raphaël Lemkin ;

et que continue d’interroger, aussi, Philippe Sands…

Dont voici le podcast (de 56′ 38″) de la présentation de son livre,

mercredi 28 mars, à la Station Ausone,

tel qu’il vient d’être d’être mis en ligne par le site de la librairie Mollat…

Ainsi que la vidéo.

Ce lundi 2 avril 2018, Titus Curiosus – Francis Lippa

Le buzz sur Call me by your name

10mar

Suite à la très récente cérémonie des Oscars 2018,

divers clips vidéos sur le bien intéressant film Call me by your name (Chiamami col tuo nome) de Luca Guadagnino

(et à partir d’un scénario de James Ivory _ oscarisé pour la peine ! et, à 90 ans, pour la première fois de sa très brillante carrière de cinéaste (avec, entre autres réussites, Chambre avec vue, en 1986, Maurice, en 1987, Retour à Howards End, en 1991, etc.)… _, d’après le roman Appelle-moi par ton nom d’André Aciman né le 2 janvier 1951 à Alexandrie, en Egypte, écrivain américain d’origine Italo-turque : à découvrir ! )

ont captivé mon attention ;

et cela, alors même que je n’ai pas le temps de me déplacer pour aller voir le film en salle en ce moment :

probablement parce qu’il s’agit là, même seulement entr’aperçue à travers ces simples clips,

d’une représentation assez réussie _ même ainsi tronquée, faute de voir vraiment le film en son entièreté ! je le répète !… _ de la naissance et du déploiement plus ou moins timide ou audacieux du désir, et de la séduction _ au moment de l’adolescence, principalement (et de l’ouverture à la sexualité adulte) : le jeune Elio a 17 ans cet été-là (choisi par le film), en 1983 (au lieu de 1987 dans le roman) _,

et cela,

quels que soient les sexes des deux personnes _ le désirant et le désiré, l’amant et l’aimé aurait dit Platon ; ou aussi, d’un seul et même mouvement, de la part des deux amants, à la fois désirants et désirés, les deux, l’un de l’autre : cela arrive aussi, heureusement… _ en cette situation et moment de naissance et déploiement du désir amoureux _ plus ou moins réciproque et plus ou moins simultané.

Soit une éducation sentimentale _ en 1983, donc ; moment où la fixent en ce film le scénariste James Ivory, et le réalisateur Luca Guadagnino ; alors que l’auteur du récit de départ, André Aciman, avait, lui, choisi 1987…

Et via le regard d’Elio, âgé de 17 ans ce lumineux été-là de 1983 _ Oliver, lui, l’objet de son désir, en a alors 24 ; puisque tel est l’écart d’âge fixé par le roman…

Et les acteurs du film, tant Timothée Chalamet (Elio), qu’Armie Hammer (Oliver),

sont stupéfiants de vérité _ en ce délicat cheminement amoureux vers Cythère _ : magnifiques !!!

Au point de carrément crever l’écran _ chacun à sa façon, bien sûr : de sujet et d’objet du désir ; même si l’objet du désir est loin de demeurer inerte en l’évolution de la situation amoureuse ; il n’est certes pas qu’un objet : l’objet vit et réagit ! Et le voici bientôt séduit… de leur magique présence…

Quelles magnifiques incarnations de leurs personnages d’Elio et d’Oliver

offrent de tels acteurs, à pareil degré de charisme…

_ sur cette incarnation des personnages,

voir mon article du 25 septembre 2011 à propos de La Voix des personnages de Martine de Gaudemar : «  ;

et, à titre de rappel, et à propos de la construction même (ouverte) du sujet, qu’est la subjectivation,

cet autre article-ci, du 4 février dernier :  »

Or, rien _ bien an contraire ! _ dans le film n’assigne quelque identité sexuelle _ close et définitive _ à aucun des personnages protagonistes de ce récit _ parents compris, d’ailleurs… _ ;

nous sommes à mille lieues, dans ce film parfaitement intelligent et sensible _ juste ! _, de tout ghetto, et de tout communautarisme _ et de quelque propagande que ce soit : c’est bien seulement d’amour (et de sa part d’effarement face à son apparition et à ses ouvertures) qu’il s’agit là _ ;

d’ailleurs, le mot gay _ pas plus que ceux d’homo- et d’hétéro- sexualité, non plus _ n’est jamais prononcé…

Il ne s’agit pas là, en effet, d’une initiation à la sexualité _ et moins encore à l’homosexualité _,

mais simplement de la naissance et du déploiement d’un premier amour _ et cela quels que soient les genres des personnes qui vont s’aimer et s’aiment…

A comparer, sur ce point, à mon article-critique du 31 janvier dernier «  …

Voici, aussi _ en une sympathique vidéo (de 13′) _, une intéressante et significative analyse du film, en italien : Il significato di Chiamami col tuo nome, par un jeune Italien d’aujourd’hui, Lorenzo Signore

un point de vue de quelqu’un d’une autre génération que la mienne ;

ainsi que de celles des James Ivory (né à Berkeley, le 7 juin 1928 : 89 ans), le scénariste officiel, André Aciman (né à Alexandrie, le 2 janvier 1951 : 67 ans), l’auteur du roman de départ, ou Luca Guadagnino (né à Palerme, le 10 août 1971, d’un père sicilien et d’une mère algérienne : il a 46 ans), le cinéaste.

Quant aux acteurs, Timothée Chalamet est né à New-York le 27 décembre 1995, et a donc 22 ans ; et Armie Hammer, à Los Angeles, le 28 août 1986, et a 31 ans : ils ont un écart d’âge de 9 ans, au lieu des 7 ans de leurs personnages, Elio et Oliver. Au moment du tournage du film, en mai-juin 2016, Timothée avait 20 ans, et Armie 29. Mais cela gêne-t-il notre adhésion à leur incarnation ? Pas le moins du monde, tant le charisme, certes différent, de chacun d’eux, irradie, rayonne, triomphe ; emporte en nous bouleversant notre conviction…

Une dernière remarque : alors que le scénario définitif situe l’été (six semaines aux mois de juillet et août) de la rencontre des personnages en 1983,

le roman avait choisi, lui, de le situer quatre ans plus tard, en 1987 ; l’angoisse du sida était passée par là…

Pour le solaire et tendre été de son film, Luca Guadagnino n’a pas voulu de l’ombre diaboliquement rongeuse de ce noir-là…

Ce sur quoi, pour ma part _ et quelle que soit l’insuffisance de la position de qui n’a pas vu une seule fois, le film, mais seulement divers clips !!! _, je désire mettre l’accent,

c’est sur l’extraordinaire jubilation heureuse qui se dégage au vu de ces images _ au passage, écouter l’amusante confidence d’Armie Hammer sur son vécu (« the most uncomfortable« , dit-il) du tournage de la séquence proprement dyonisiaque (orgasmique !) splendide (à commencer par le jeu de ses chaussures, des tennis blanches, sur le sol) quand il s’éclate, les yeux fermés, sur la piste de danse du dancing, sur la chanson Love my way ; et cela par comparaison avec son vécu d’acteur du tournage des (pourtant plus délicates, a priori !) scènes d’intimité sexuelle ; mais c’est sur la tendresse de celles-ci qu’a désiré mettre l’accent, à l’image sur nos rétines, Luca Guadagnini… _,

à commencer par la pénétrante _ infiniment douce _ sensualité des lieux _ la belle et grande maison (la splendide Villa Albergoni, à Moscazzano) et son luxuriant jardin-parc,

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la délicieuse tranquille petite ville de Crema,

Image associée

..

la riche campagne lombarde environnante,

le bord de mer (ou plutôt de lac : Garde ;

à la différence de la côte ligure de B. (Bordighera ou Bogliasco) dans le roman d’Aciman…),

la montagne (les éclaboussures de la grande cascade du Serio, à Valdombione, dans les Alpi Orobie, au nord de Bergame)… _,

Call Me by Your Name, Luca Guadagnino, Armie Hammer, Timothée Chalamet

Cascate Del Serio

des décors,

de la lumière _ principalement celle de l’été italien, surtout dans les environs de Crema (mais pas seulement…) où eut principalement lieu, quasi familialement, le tournage, au plus près du domicile même de Luca Guadagnino, à Crema, en mai-juin 2016 _,

ô combien merveilleusement saisie par  le directeur de la photographie, Sayombhu Mukdeeprom (collaborateur régulier du si grand Apichatpong Weerasethakul)…

Pour ne rien dire de la douceur et même tendresse du jeu _ précis au cordeau, et dans la dynamique magiquement fluide et amoureuse (même réfrénée) de leurs gestes _ des acteurs.

Ils sont proprement prodigieux ! Quel sublime casting !

Sensualité bienheureuse

qui me rappelle celle, merveilleusement épanouie elle aussi, de l’émilien (de Parme) Bernardo Bertolucci, tout particulièrement dans l’éblouissant (et mozartien) La Luna _ de lui, j’avais adoré (et c’est un euphémisme !), à sa sortie française, Prima della Rivoluzione

Ou celle de certains Francesco Rosi,

tel, pour n’en choisir qu’un, le merveilleux Trois frères.

Oui, un bonheur ! italien…

Ce dimanche 10 mars 2018, Titus Curiosus – Francis Lippa

 

La cohérence du blog : Jocelyn Benoist, Martine de Gaudemar et le statut de réalité des personnages de fiction (ou pas)

04fév

Ecoutant jeudi dernier 1er février, au Studio Ausone, Jocelyn Benoist

présenter en une superbe passionnante conférence de nouvelles réflexions-analyses à partir de son plus récent ouvrage, L’Adresse du réel

(qui vient de paraître aux Éditions Vrin, et dans l’horizon _ et critique ! _ des thèses de son collègue Markus Gabriel : cf de celui-ci Pourquoi le monde n’existe pas !),

_ de ce L’Adresse du réel, voici le texte de la Quatr!ème de couverture : « Le début du XXIe siècle a été marqué par le retour du réalisme en philosophie. Sous ce nom, on trouve cependant des doctrines et attitudes variées. Ce livre en propose une évaluation critique et développe une interrogation sur la signification de cette exigence réaliste. Il défend l’idée que, s’il faut maintenir la fonction critique, donc de départage, de la notion de « réalité », son sens n’implique pas qu’on doive ou puisse lui attribuer une adresse fixe, mais au contraire l’exclut. Il faut faire droit au caractère intrinsèquement contextuel du réel. Il faut également lui reconnaître une irréductible pluralité de dimensions, qui fait des expériences esthétique – requalifiée comme poétique – ou morale aussi bien qu’épistémique autant d’épreuves essentielles du réel.«  _,

me vient assez vite à l’esprit le beau livre que Martine de Gaudemar_ que nous avions reçue, toujours pour notre Société de Philosophie de Bordeaux, dans les salons Albert-Mollat le 11 décembre 2012 _, avait consacré à La Voix des personnages (le livre était paru aux Éditions du Cerf le 11 mai 2011).

Me souvenant très clairement que j’avais consacré un article _ voici un lien à celui-ci : Le chantier de liberté par l’écoute du sensible, de Martine de Gaudemar en son justissime « La Voix des personnages » _ à cet ouvrage qui m’avait captivé,

je recherche cet article mien dans l’archivage bien commode de mon blog En cherchant bien _ sur le site de la librairie Mollat _,

et le trouve instantanément, à la date du 25 septembre 2011.

Mais surtout je découvre que l’ouverture de cet article mentionne, et à un double titre, le nom de Jocelyn Benoist ! :

« Sur le conseil de l’amie Fabienne Brugère,

je viens de lire _ avec enthousiasme ! _ les 451 pages de l’excellent (dynamisant !) La Voix des personnages de Martine de Gaudemar, paru en mai dernier _ 2011 _ aux Éditions du Cerf,

dans la collection dirigée par Jocelyn Benoist ;

lequel _ d’autre part _ viendra ouvrir la saison 2011-2012 de notre Société de Philosophie de Bordeaux (ce sera le mardi 11 octobre _ 2011 _, à 18 h 00, dans les salons Albert-Mollat, rue Vital-Carles), sur le sujet « Voir, vu, visible«  ;

de Jocelyn Benoist, les derniers travaux parus _ du moins à cette date (de l’article) du 25 septembre 2011 _, aux Éditions du Cerf,

sont,

outre le tout dernier Éléments de philosophie réaliste, paru, lui, le 1-6-2011 aux Éditions Vrin,

Concepts _ Introduction à l’analyse (paru le 28-7-2010), et Sens et sensibilité _ L’Intentionalité en contexte (paru le 12-9-2009)« …

Et en cherchant un peu encore parmi les archives des articles de mon blog En cherchant bien,

je découvre encore,

au sein cette fois de mon article Créer versus s’adapter : l’urgence du comment contrer la logique mortifère du totalitarisme des normes d’existence, selon Roland Gori dans son si juste « La Fabrique des imposteurs » du 25 janvier 2013,

cette incise-ci (à propos des _ décisifs et complexes _ processus de subjectivation des individus humains) :

« Quand je parle _ et c’est ici Roland Gori qui s’exprime _ dans les chapitres précédents de « fabrique des subjectivités », je me réfère essentiellement aux travaux de Foucault qui considère le sujet et l’individu comme un produit des techniques de subjectivation

_ cf aussi (et là c’est moi qui commente), sur les processus de « subjectivation« , le travail passionnant de Martine de Gaudemar, dans son très riche La Voix des personnages cf aussi le podcast de la présentation par elle de ce livre à la librairie Mollat, le 11 décembre dernier (c’est-à-dire le 11-12-2012)ainsi que mon article du 25 septembre 2011 : Le chantier de liberté par l’écoute du sensible, de Martine de Gaudemar en son justissime « La Voix des personnages »… ; mais Martine de Gaudemar envisage elle aussi, comme Roland Gori (et comme Donald Winnicott), le processus de subjectivation (de la personne infiniment en gestation), comme un « jeu » qui doit résolument être ouvert à l’accomplissement en partie aléatoire des personnes ; comme un« jeu » « artiste« … ; à contre-pied d’une quelconque « bovarysation« , dans les rapports du sujet aux « personnages«  (les fictifs comme les réels, mais ces derniers eux aussi toujours en partie fantasmés…) que celui-ci, le sujet, est amené à plus ou moins volontairement, mais d’abord pulsionnellement, forcément, fréquenter… _,

autrement dit des modes de civilisation et de pouvoir qui le font apparaître _ lui, le sujet et l’individu _ autant qu’ils le soumettent« …

Et j’apprends par là-même aussi la date de la réception chez Mollat, et pour notre Société de Philosophie de Bordeaux, de Martine de Gaudemar pour ce beau livre : ce fut le 11 décembre 2012…

Bref, tout cela paraît très cohérent ! Le blog conservant les traces de ce qui fut un jour noté…

Et, au-delà de la question du statut de réalité des personnages clairement de fiction,

le sujet humain comporte, en puissance au moins, une essentielle ouverture-plasticité existentielle empruntant à l’ordre du fantasmatique et du fictionnel…

Ce dimanche, 4 février 2018, Titus Curiosus – Francis Lippa

Un bel et salutaire entretien avec Robin Renucci dans Le Monde :  » L’industrie du divertissement nous dévore »

16avr

Un très remarquable article-entretien dans Le Monde de ce dimanche de Pâques 2017, avec cet excellent comédien qu’est Robin Renucci : « L’industrie du divertissement nous dévore »

Robin Renucci : « L’industrie du divertissement nous dévore »


Acteur, metteur en scène, Robin Renucci, le médecin de campagne de la série télévisée « Un village français », sera à l’affiche du Festival d’Avignon.

LE MONDE | 16.04.2017 à 07h40 • Mis à jour le 16.04.2017 à 12h32 | Propos recueillis par Sandrine Blanchard


Je ne serais pas arrivé là si…


… si Mme Martin, ma première institutrice, n’avait pas, tous les matins, demandé à sa classe d’agencer _ faire (et même, si possible, créer ; de même que nous osons créer nos phrases quand nous parlons, pour peu que nous ne reproduisions pas des formules toutes faites, et leurs clichés prêts à ne pas penser…) : c’est essentiel en le processus d’éducation ! ne pas seulement recevoir, écouter, copier, reproduire (tels les robots) ; cf mon passionnant entretien avec Denis Kambouchner, le 18 septembre 2013, à propos de son décisif L’École, question philosophique ; ainsi que les deux articles de ce blog que j’ai consacrés à ce livre majeur le 24 février et le 13 mars 2013 : « Penser vraiment l’école : l’indispensable et urgent débrouillage du philosophe _ l’admirable travail de Denis Kambouchner et Ecole et culture de l’âme : le sens du combat de Denis Kambouchner _ appuyé sur le « fait du bon professeur »… »  _ des petites cases africaines et des petits hommes noirs. Et si M. Richard, mon maître d’école primaire, ne m’avait pas fait découvrir la poésie avec Les Pauvres Gens de Victor Hugo _ dans La Légende des siècles. Enfant, je vivais à Tonnerre, dans l’Yonne, au-dessus de la cellule de dégrisement de la gendarmerie où mon père travaillait. De ma chambre, j’entendais des cris. Très vite, j’ai compris qu’on pouvait mettre à distance _ une distanciation à la Brecht _ des craintes, des angoisses, grâce à la fiction, au récit. L’inquiétude de l’enfant qui a du mal à s’endormir ou qui a peur, et à qui on raconte des histoires dans lesquelles il peut s’identifier, se réfugier, tout cela lui permet _ très effectivement, grâce à ces petits pas de côté de la mise, si peu que ce soit, à distance vis-à-vis du réel subi, du jeu avec… _ de comprendre avec le recul très précieux qu’offrent les mises en perspective _ le monde, d’être humain _ voilà ; sinon, l’individu demeure au stade du clone et du robot ; et n’accède pas au statut de sujet libre.

Je rentrais chez moi avec plus de quiétude et avec l’essentiel : le goût _ voilà _ de la différence de l’autre _ en la diversité profondément enrichissante de sa possible singularité. Hors de mon cadre familial, dans un autre lieu de transmission _ et apprentissage _ qu’est l’école, grâce à l’éducation artistique et culturelle _ c’est essentiel ! _, j’acquérais d’autres _ très précieuses _ valeurs. J’ai eu très jeune le désir de m’émanciper _ et devenir sujet. J’étais en très bons termes avec ma famille, mais je savais que je ne serais pas gendarme, que je ne manipulerais pas les armes et que je ne vivrais pas dans des champs d’angoisse _ mais dans des champs de joie.


Votre mère était couturière. C’est grâce aux costumes qu’elle faisait que votre vie a changé…


Absolument. Ma mère reconstruisait des costumes de théâtre sur la table de la salle à manger. J’avais 15-16 ans, et, un jour, je vois des comédiens entrer dans notre appartement à Auxerre. Ils venaient du Théâtre national de Strasbourg (TNS) pour refaire leurs costumes de La Comtesse d’Escarbagnas _ de Molière _ et de Mademoiselle Julie _ de Strindberg. J’avais le sentiment qu’ils étaient libres, différents, dans leur comportement, leurs vêtements, leur parfum. Ils sentaient le patchouli ! Ils m’ont proposé d’assister à leurs répétitions. Puis j’ai suivi les stages organisés par le directeur de la troupe, Maurice Massuelle, dans la maison de Romain Rolland à Vézelay _ un auteur passionnant, ne serait-ce que comme fondateur de la musicologie en France. J’y ai passé un été entier d’émancipation absolue. La naissance de la liberté.


C’est donc au cours de cet été-là que vous décidez de votre voie…


Oh oui ! C’était comme un appel _ voilà. Nous étions mélangés _ sans ségrégation ; là-dessus lire Jacques Rancière : Le Maître ignorant _ cinq leçons sur l’émancipation intellectuelle ou Le Partage du sensible  _ entre amateurs et professionnels, et menions un travail rigoureux, très exigeant _ c’est absolument nécessaire pour avancer vraiment… Il n’y avait pas ce que j’ai pu entendre par la suite – et contre quoi je me suis battu toute ma vie : l’idée que l’amateur est lié _ pieds et poings, et pour toujours _ à l’amateurisme. L’« amateurat » est _ en fait _ quelque chose de très puissant _ par sa dimension même d’amour, et d’abord de désir _, c’est la genèse _ mais oui ! _, c’est ce qui m’est arrivé : cela s’appelle l’éducation populaire. Le monde qui s’ouvre _ voilà _ tout d’un coup.


L’été suivant, j’ai refait des stages à Valréas, dans la Drôme, avec René Jauneau, autre rencontre _ situation décisive ! _ fondamentale. J’y rencontre Hubert Gignoux, Jean Dasté. Je suis entraîné dans un mouvement, celui de la conscience politique du théâtre, et de la décentralisation théâtrale. Mes pères et parents s’appellent Charles Dullin, Jacques Copeau, Louis Jouvet… Il y a une phrase de Dullin qui est pour moi fondamentale : « Le théâtre est une entreprise artisanale qui met en contact profond _ voilà, et cela par delà les temps et les lieux de chacun… _ un auteur et un public. »


En tant que spectateur, quel a été votre premier coup de cœur théâtral ?


1789, d’Ariane Mnouchkine, que j’ai vu lorsque j’étais lycéen _ au lycée Jacques-Amyot d’Auxerre ; Robin Renucci est né le 11 juillet 1956 au Creusot ; et 1789 a été créé au mois d’août 1970 à la Cartoucherie de Vincennes… _ grâce à mes professeurs de musique et de philosophie. Il s’agit là encore d’éducation populaire : tous ces animateurs de MJC, ces médiateurs _ metteurs en relation _, ces enseignants de l’éducation nationale, passionnés _ voilà _ de littérature, de poésie, de théâtre, nous transmettaient _ très effectivement _ de la culture _ véritable. Je me souviens d’une professeure de mathématiques qui nous emmenait à un concert de Brassens à Paris et qui nous conseillait de voir Tous les autres s’appellent Ali, de Fassbinder. J’ai été marqué par ces gens qui nous faisaient de l’éducation à l’art _ c’est crucial ! _ alors que ce n’était pas au programme scolaire. Je suis attaché à ces valeurs de transmission _ et c’est humainement capital, en effet !


Quand vous partez à Paris, quel regard vos parents portent-ils sur votre souhait d’une carrière artistique ?


Ils ont laissé faire. Je suis parti à Paris dès le bac en poche, pour intégrer _ en 1975 _ l’école Charles-Dullin. Je m’étais malgré tout inscrit en fac d’italien à Censier, mais j’ai très vite arrêté. J’habitais dans une chambre de bonne de 10 mètres carrés. Je faisais des ménages dans l’école Dullin pour payer ma formation _ toute vraie formation impliquant de vrais engagements. Mes profs m’avaient repéré, et très vite j’ai donné des cours. Et puis il y a eu la cerise sur le gâteau : j’ai décroché le concours du Conservatoire national d’art dramatique. Entrer au Conservatoire… le bonheur décuplé ! J’étais stakhanoviste dans mon envie d’apprendre _ là encore, un ressort fondamental : une curiosité de fond. Elève, alors que je ne faisais aucun casting, que je n’avais pas d’agent, là encore la chance survient : je tourne dans Eaux profondes, de Michel Deville _ en 1980, et d’après le très beau roman Eaux profondes de Patricia Highsmith _, avec Jean-Louis Trintignant et Isabelle Huppert, puis dans Les Quarantièmes rugissants, avec Michel Serrault.


A quel moment choisissez-vous de changer votre nom et de vous appeler Robin Renucci et non Daniel Robin ?


Petit, tout le monde m’appelait Robinou, Robinet, Binbin. Daniel, c’était pour mes parents. Lorsque j’entre au Conservatoire, il y a Muriel Robin parmi les élèves. Cela faisait deux Robin ! J’ai eu envie de rassembler les noms de mes deux familles : celle, hédoniste bourguignonne, de mon père _ Robin _ et celle, autarcique corse, de ma mère _ Renucci. Ma mère disait toujours : ne rit pas trop parce que tu vas pleurer demain. C’est horrible, non ? J’ai été élevé dans les cimetières où elle allait pleurer le dimanche pendant que je jouais avec les graviers et les fleurs.


« Escalier C », le film de Jean-Charles Tacchella _ d’après le roman éponyme Escalier C d’Elvire Murail _, vous vaut, à 30 ans, une nomination au César du meilleur acteur. Pourtant, à cette époque, vous critiquez le cinéma et dites aimer votre métier, mais pas la profession. Pourquoi ?


C’était sincère. Je me suis peut-être grillé en disant cela. Mon premier plan de cinéma, je l’ai fait avec Jean-Louis Trintignant. Le moteur n’est pas encore lancé, il entoure mes épaules de son bras et me dit : “tu sais, ça va être formidable, ça va bien se passer”. [Long silence. Les larmes lui montent aux yeux]. Excusez-moi, cela m’émeut parce qu’être mis en confiance c’est l’humain absolu _ oui ! _, et non pas ce rapport de compétitivité dans lequel on évolue en permanence. Lorsque ensuite j’ai tourné avec des gens qui étaient plus égotiques, cela n’avait pas la saveur du début, cette envie _ magnifiquement généreuse _ de voir l’autre aller au maximum jusqu’au sublime, peut-être _ de ses possibilités.


Je suis entré dans ce qu’on appelle l’industrie cinématographique, avec ses qualités mais aussi ses grands défauts en matière de sens voilà _ et de rapports humains. Nous sommes dans les années 1980, le libéralisme se développe _ ce sont les années Thatcher et Reagan _, l’individualisme forcené _ au détriment de toute solidarité, détruite… _, qui clive les gens, se met en place. Entre ma sortie du Conservatoire, en 1981, et 1990, ce sont mes années de cinéma les plus importantes, mais elles n’ont jamais le goût de ces moments avec le public que j’avais connus _ au, dans et par le théâtre _ à Valréas. Le métier est piteux en conversations de fond, beaucoup de personnes ont pour projet principal _ et exclusif, peut-être _ de gagner de l’argent. On ne me proposait que des sous. On ne me regardait que par rapport au succès d’un film. Escalier C m’a offert un décollage terrible, mais, en même temps, c’était corrosif.


Pourquoi ?


Parce qu’on parle de vous comme d’une tête de gondole qui entre sur le marché. Financièrement aussi, ce n’est pas évident – quand on vient d’un milieu modeste où l’on sait ce qu’est l’argent – de gagner trois ou quatre smics par jour. Par jour ! Tout d’un coup, il y a un problème de sens _ voilà un terme capital. On me propose trois ou quatre films dans l’année, mais j’ai le sentiment de ne pas être à ma place _ en se trouvant réduit à un produit comptable. Je n’ai pas voulu me brûler les ailes. Je voulais simplement être un bon acteur – loin du star-system –, qui peut avoir la reconnaissance _ effective et non usurpée _ du public _ cf ici ce que Marie-José Mondzain dit de la place du spectateur dans la conception même des œuvres, et leur effectuation ; avec aussi l’importance du hors-champ _ tout au long de sa vie.


C’est pour cela que vous acceptez _ en 1987 _ Le Soulier de satin ?


Oui. Antoine Vitez m’explique qu’il part sur une aventure de deux ans avec une pièce de douze heures. Il y a aura Didier Sandre, Ludmila Mikaël… Cela a été ma bouée. Jouer à Avignon, dans la Cour d’honneur, c’est un moment de grâce _ et comment ! _ du théâtre. Et puis retrouver les pas de Jean Vilar, la réflexion sur l’éducation populaire, sur la décentralisation, tout cela me ramenait au bon endroit _ et face au bon public. Mais je voulais aussi faire de la télévision. Mes parents n’allant ni au cinéma ni au théâtre, ils ne pouvaient me voir que dans des téléfilms. Par la suite, j’ai été content de retrouver au cinéma Claude Chabrol _ pour les films Masques, en 1987, et L’Ivresse du pouvoir, en 2006 _, Bernardo Bertolucci _ le génial auteur de La Luna, de Prima della Rivoluzione, du Conformiste, 1900, etc. ; pour le film The Dreamers, en 2003.._ ou Gérard Mordillat _ ami, lui, de Frédéric Gros, et qui a aidé ce dernier de quelques conseils pour son premier roman, Possédées ; pour le film Vive la Sociale, en 1984 _, des réalisateurs qui avaient du sens.


Vous dites : « Je suis un pur produit de l’éducation populaire. » Est-ce pour cela que vous avez créé l’Association des rencontres internationales artistiques (ARIA) en 1998 ?


Oui, bien sûr. Je gagne ma vie, je n’ai pas de problème d’argent, nous vivons en Corse avec nos quatre enfants, tout va bien. Je me dis : comment être utile, comment rendre _ voilà _ à d’autres ce que j’ai reçu, être cohérent avec moi-même ? Dans cette montagne corse _ à Olmi-Cappella, précisément _ qui m’a tant donné de par ma mère et qui est tellement en voie de désertification _ hélas ! _, je raconte à des élus les aventures fondatrices et fonder, afin de transmettre, est essentiel _ que j’ai vécues à Vézelay et à Valréas _ des villages vivants. Et je leur propose de rendre un ancien et immense bâtiment scolaire, qui tombait en ruine, à l’éducation populaire _ voilà. D’y organiser des stages en été. Ils m’ont fait confiance.


N’ont-ils pas trouvé cela utopique ?


Si, complètement. Mais, dès le premier été, les quinze spectacles réalisés ont eu un grand succès. Alors on a continué, trouvé des financements, réhabilité le bâtiment, construit un théâtre, et cela fait bientôt vingt ans que dure l’aventure, avec toujours la même exigence artistique _ cela aussi est très important : ne jamais transiger avec cette visée de l’excellence, qui est sans prix ! L’ARIA – pour laquelle je suis évidemment bénévole – a créé des vocations _ bravo ! _ de metteurs en scène, d’acteurs. Le théâtre sert à unir _ le public réuni là _ et à libérer _ au lieu d’époustoufler-sidérer-capturer de purs spectateurs _, encore faut-il nommer _ bien effectivement _ les chaînes qui nous aliènent.


Dans notre société de consommation effrénée, on se sent perdu _ noyé dans un maelström de faux repères : les marques… On va dans le mur sur plan écologique, mais on continue. Le théâtre mise sur l’intelligence du public _ via la distance de la rampe entre la scène et la salle _, reste le lieu où l’homme parle _ à distance toute humaine _ à l’homme. Les gens ne se rendent pas compte qu’ils sont _ réduits à de vides rouages _ dans une industrie _ oui : machinale, mécanique _ du divertissement qui les mange, les dévore. L’obscène _ Marie-José Mondzain emploie même, à ce propos, le mot de pornographie : cf notre entretien du 16 mai 2012 à propos de son Images (à suivre) _ de la poursuite au cinéma et ailleurs ; et mon article récent du 15 mars dernier sur son Confiscation des mots, du temps et des images : « Le superbe « Nettoyer une expression » de Marie José Mondzain en son « Confiscation des mots, des images et du temps »  _ est revenu, mais ils ne savent pas nommer cette angoisse naissante.


Etes-vous pessimiste ?


Je ne suis ni pessimiste ni optimiste, je suis absolument combatif _ bravo ! Il faut agir et faire _ oui : et sans relâche. J’agis dans un centre dramatique national itinérant, Les Tréteaux de France_ dont, enfant, j’ai assisté à diverses représentations, avec Jean Danet : de pièces de Shakespeare (Hamlet), Claudel (L’Otage), Pirandello (Chacun sa vérité), Camus (Caligula), Sartre (La P. respectueuse)… _, parce que la notion de service public m’importe beaucoup _ oui !!! L’idée est de poursuivre le chemin de Jean Vilar, d’aller à la rencontre d’un public qui manque au théâtre. Mon combat est de tenter que les gens s’emparent de la langue _ qui aide à mieux penser, mieux juger. Le grand privilège d’aujourd’hui, c’est ceux qui ont les mots face à ceux qui ne les ont pas _ quelle tragédie : la détérioration de l’école y a sa part, à partir, notamment, de la suppression de la formation des instituteurs dans les Écoles Normales. D’où l’importance _ énorme ! _ de l’éducation artistique et culturelle dès l’école _ on n’insistera jamais assez là-dessus : cf en mon entretien du 20 mai 2011 avec Jean Clair, sur son Dialogue avec les morts ce qu’en dit superbement celui-ci.


Qu’est-ce qui vous a convaincu de participer à la série télévisée grand public « Un village français » ?


L’idée était séduisante : il s’agissait de raconter, à travers 72 heures de fiction, la seconde guerre mondiale dans _ la complexité à pénétrer de _ la zone « grise ». Daniel Larcher, mon personnage de médecin, va se conscientiser au contact _ violentissime _ de l’Histoire. Il n’est ni un héros ni un salaud. On nous a beaucoup menti sur la réalité. Durant toute ma scolarité (je suis né dix ans après la guerre _ le 11 juillet 1956 _), le « roman national » consistait à raconter que toute la France avait été résistante.


Quel regard portez-vous sur cette campagne présidentielle ?


Nous sommes davantage dans le bavardage que dans la parole _ une parole qui soit vraiment assumée, sans parler du scandale (que d’aucuns voudraient banaliser, et quasi justifier !) des mensonges et parjures en tous genres de tant d’acteurs politiques présents... Cette campagne électorale est complètement tiraillée entre ceux qui sont pour l’intérêt général _ et la solidarité avec les autres _ et ceux qui sont pour la défense _ cynique _ des intérêts privés _ égoïstes. Nous n’avons pas été _ assez _ clairs sur la nécessité _ oui ! pour sauvegarder ce que sont l’idéal et les dispositifs concrets de la démocratie véritable _ d’assainir les liens entre l’argent et le pouvoir. Le Conseil national de la Résistance – auquel je reste très fidèle _ oui, et combien j’approuve cela ! _, car c’est de là que vient la question de l’éducation populaire – disait très précisément qu’il fallait séparer les banques du pouvoir, et séparer les médias du pouvoir.


Aujourd’hui, il y a ceux qui sont capables de tenir ce programme, et ceux qui ne le sont pas. Cela se voit de manière extrêmement claire _ en effet. Après, ce qui est déplorable, c’est que ce soit édulcoré par, d’un côté Poutou, d’un côté Mélenchon, d’un côté Hamon… Tout cela crée de la division dans des pensées qui pourraient _ et devraient _ être rassembleuses, mais qui se diluent _ dispersant hélas les voix. Je suis atterré de savoir que Marine Le Pen risque d’être au deuxième tour et que, vraisemblablement, ce sera face à Fillon ou Macron. Mes pensées sont de gauche. Mais, franchement, je ne sais pas _ non plus _ si je serais sécurisé que la gauche _ mais laquelle ?  celle qui se prétend « progressiste » et renie le mot de « socialiste »  ?.. _ soit maintenant au pouvoir. Il faudrait vraiment qu’elle soit active _ certes !!!!! _, pas comme elle l’a été _ trois fois hélas _ ces dernières années.


Une chose est certaine : le libéralisme tel qu’il nous est proposé _ l’ultra-libéralisme _ est une impasse absolue _ catastrophique ! _ et l’avenir est au métissage de nos sociétés. Il est inconcevable de ne pas se rendre compte que l’évolution du monde, quoi qu’il arrive, va vers le métissage. C’est l’avenir de l’humanité. Quant à l’avidité envers l’argent, c’est un système corrosif _ de corruption et de haine _ dont il faut sortir. Peut-être Benoît Hamon est-il en avance sur la question du travail et de la subsistance qui serait assurée par la société ?


Propos recueillis par Sandrine Blanchard

« Le Faiseur », de Balzac, mise en scène Robin Renucci, en tournée du 21 avril au 5 mai
« L’Enfance à l’œuvre », à partir de textes de Romain Gary, Henri Michaux, Arthur Rimbaud, Marcel Proust. Spectacle itinérant du 7 au 26 juillet dans le cadre du Festival d’Avignon
20es Rencontres internationales de théâtre en Corse, du 5 au 12 août

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/culture/article/2017/04/16/robin-renucci-l-industrie-du-divertissement-nous-devore_5111966_3246.html#G39Y9BjjoIBX6fu8.99

À méditer…

Titus Curiosus, ce dimanche 16 avril 2017

 

Le superbe « Nettoyer une expression » de Marie José Mondzain en son « Confiscation des mots, des images et du temps »

15mar

Aux Éditions des Liens qui libèrent, Marie José Mondzain vient de faire paraître, le 22 février dernier, un magnifique et dynamisant Confiscation des mots, des images et du temps ;

qu’elle a pris soin de m’adresser ;

et que j’ai lu cette fois à nouveau avec intense jubilation, tant je partage,

(depuis mes lectures de Image, icône, économie _ les sources de l’imaginaire contemporain, en 1997, L’Image peut-elle tuer ?, en 2002, Le Commerce des regards, en 2003, Homo spectator : voir, faire voir, en 2007, Images (à suivre) : de la poursuite au cinéma et ailleurs…, en 2011, pour m’en tenir à ses ouvrages proprement théoriques, si je puis dire, assez improprement…),

et combien profondément !, ses analyses

_ cf mes articles du 26 novembre 2011, Dans et par le battement des images, les aventures du sujet (tenir bon ou céder) vers sa liberté : le livre (montanien !) « Images (à suivre) _ de la poursuite au cinéma et ailleurs » de Marie-José Mondzain », et du 22 mai 2012, Sur nos propres opérations imageantes face à l’imageance même de quelques chefs d’oeuvre de l’Art _ au cinéma et ailleurs _, le regard lumineux de Marie-José Mondzain en sa conférence à la librairie Mollat le 16 mai 2012 », celui-ci après notre entretien à propos de cet Images (à suivre) dans les salons Mollat le 16 mai 2012… Et Homo spectator constituant une référence quasi permanente sous ma plume…

Au passage, je remarque l’identité de l’expression « opérations imageantes« 

sous la plume de Marie-José Mondzain,

et dans la bouche de Michel Deguy, qui lui parle d' »opérations poétiques« , en notre (merveilleux !) entretien (de 75′) à la Station Ausone jeudi dernier 9 mars,

à propos du magnifique et très riche La Vie subite (aux Editions Galilée) de cet immense penseur, poète et philosophe _ et à chaque ré-écoute de ce podcast, je me surprends à rire chaque fois davantage de la finesse toujours discrète, mais bien perceptible, de l’humour, en sa parole, en son souffle, en son rythme, du merveilleux Michel Deguy…

Cf aussi mon article du 23 décembre 2009 sur le livre décisif de Martin Rueff sur la poétique de Michel Deguy, Différence et identité : Michel Deguy, situation d’un poète lyrique à l’apogée du capitalisme culturel :

la situation de l’artiste vrai en colère devant le marchandising du « culturel » : la poétique de Michel Deguy portée à la pleine lumière par Martin Rueff

Or, en regardant d’un peu près la bibliographie de Marie-José Mondzain, je constate qu’en novembre 2008 est paru un recueil d’articles en hommage à Roland Barthes, intitulé Vivre le sens, qui rassemblait les signatures de Marie-José Mondzain et de Michel Deguy, ainsi que celles du grand Carlo Ginzburg, d’Antoine Culioli et de Georges Didi-Huberman.

Cette proximité de penser entre Michel Deguy et Marie-José Mondzain, me frappe donc.

Fin de l’incise ; et retour à la lecture de ce Confiscation

La quatrième de couverture de ce Confiscation résume excellemment à la fois les origines et les finalités de l’exercice exigeant du penser

auquel se livre, à nouveau ici, cette chère Marie-José Mondzain ;

la voici donc, pour commencer, cette quatrième de couverture, avec mes farcissures :

Confiscation

Ne faut-il pas rendre _ voilà ! _ au terme « radicalité » sa beauté virulente _ vivement réveillante ; mais c’est aussi qu’il y a péril aux endormis ! _ et son énergie _ rendant effectivement le courage de se remettre bien debout, ainsi que la vaillance de s’y tenir _ politique ?

Tout est fait aujourd’hui _ par la très massive propagande (et incessant pilonnage) des médias inféodés aux pouvoirs dominants des puissances d’argent _ pour identifier _ faussement, malignement : George Orwell, au secours ! _ la radicalité aux gestes les plus meurtriers et aux opinions les plus asservies. La voici réduite à ne désigner _ aux oreilles et yeux des adhérents à cette doxa  dénués du moindre esprit si peu que ce soit critique : le public addictif de leurs suiveurs dociles…  _ que les convictions doctrinales _ fossilisées en dogmes arrêtés très vite fermés à la moindre ombre d’interrogation ou de soupçon tant soit peu critique _ et les stratégies _ les plus cyniques et mortifères _ d’endoctrinement.

La radicalité _ véritable, et probe _, au contraire, fait appel au courage _ ainsi qu’à la vaillance : versus paresse et lâcheté ; cf l’actualité comme jamais aujourd’hui de Kant en son lumineux Qu’est-ce que les Lumières ? _ des ruptures _ vis-à-vis de ces doxas et catéchismes en tous genres _ constructives _ elles, et véritablement _ et à l’imagination la plus créatrice _ cf ici le merveilleux L’Institution imaginaire de la société du plus grand que jamais Cornelius Castoriadis ; alors que le livre est paru en 1975.

Cf aussi les divers volumes de ce grand livre qu’est Le Principe Espérance, d’Ernst Bloch.

La véritable urgence _ à l’encontre de toutes celles qui acculent, de plus en plus massivement de jours en jours, d’années en années, au burn-out ; cf le remarquable travail de Pascal Chabot en son très incisif Global burn-out, paru en janvier 2013 _ est bien pour nous le combat _ à mener, sans relâche et sans fin, sans jamais renoncer _ contre la confiscation _ voilà ! _ des mots, des images et du temps _ mots, images et temps (de la vie, unique, pour chacun) constituant les tous premiers biens fondamentaux de notre humanité véritable (inlassablement en chantier de construction !), en tant, à la fois, que personnes et que citoyens, pour le moment encore, du moins ; et biens qui sont, en les divers usages que nous avons à en faire, en permanence à élaborer, former, forger, élever, construire, affiner, et pas seulement réparer au fur et à mesure des raréfactions, dégâts, blessures, mutilations, disparitions, aliénations (surtout insensibles ; cf la grenouille ébouillantée peu à peu, à petit feu, sans qu’elle cherche à nul moment à sauter hors du bocal…) qu’ils subissent.

Ici, que devient l’école ? Et son service public ? Cf le grand livre (indispensable !) de Denis Kambouchner, L’École, question philosophique, paru en 2013, ainsi que mes (modestes) articles des 24 février et 14 mars 2013 sur ce livre majeur : Penser vraiment l’école : l’indispensable et urgent débrouillage du philosophe _ l’admirable travail de Denis Kambouchner et Ecole et culture de l’âme : le sens du combat de Denis Kambouchner _ appuyé sur le « fait du bon professeur »

Les mots les plus menacés sont ceux que la languetelle une nouvelle LTI ; cf la lumineuse analyse de Victor Klemperer à l’égard des dégâts opérés sur la langue allemande de Goethe par la langue des Nazis : LTI, la langue du IIIe Reich _ Carnets d’un philologue  _ du flux mondial de la communication verbale et iconique _ existe en effet aussi un terrible impérialisme des images (dont celles des nouveaux multi-médias) que décrypte si bien Marie-José Mondzain _ fait peu à peu disparaître _ rien moins : la langue, vivante, en effet, évolue au fur et à mesure de ses usages, et en particulier, forcément, de ses usages statistiquement dominants ! via les médias de masse _ après leur avoir fait subir _ à ces mots les plus menacés : ici la réflexion de Marie-José Mondzain se focalise sur les mots « radicalité« , « radicalisation« , « déradicalisation«   _ torsion sur torsion _ voilà _ afin de les plier _ voilà _ à la loi du marché _ et de ce que leurs commanditaires cherchent à faire croire au public adhérant et vite captif, en addiction ; sur le marché (et la révolution culturelle libérale), cf Dany-Robert Dufour : Le Divin marché. Peu à peu, c’est la capacité d’agir _ voilà _ qui _ par la paresse et la lâcheté induites par ces habitudes de croire, et de croire penser ! _ est anéantie _ voilà ! de plus en plus monopolisée qu’elle est, cette « capacité d’agir« , par les pouvoirs de l’argent et ses séides, affaiblissant jusqu’à ceux qui s’y opposent et leur résistent _ par ces confiscations mêmes, qui veulent anéantir toute énergie transformatrice _ qui irait au détriment de (et en résistance à) leurs intérêts de pouvoir (surtout financier). Si ces propositions font penser que je crois dans la force révolutionnaire de la radicalité _ vraie : créatrice et libre, imaginante _, on ne s’y trompera pas, à condition de consentir à ce que la révolution ne peut exister qu’au présent. La lutte n’est et ne sera jamais finale, car c’est à chaque instant que nous sommes _ en permanence, sans relâche, y compris et d’abord physique, nerveuse… _ tenus _ voilà ! C’est là le devoir même

(à l’égard de soi comme surtout des autres : je déteste personnellement l’expression « se devoir de«  quand elle se substitue à l’élémentaire et très impératif « devoir«  ! telle la racine des plus éhontés cynismes sans vergogne ! auxquels nous assistons maintenant, aujourd’hui même, de la part de politiques aspirant (ô la belle exemplarité !) à la fonction présidentielle !!!) ;

c’est là le devoir même d’assumer sa condition d’humain, peu à peu conquise, à l’échelle des peuples comme à celle, aussi, des indivividus-personnes-citoyens ; mais ce qui a été gagné et s’est construit, à la fois lentement, mais aussi par sauts, par bonds, peut, forcément, aussi se détériorer, s’abimer, se ruiner, se perdre et être perdu, peut-être, ou parfois, sans retour ; « Civilisations, nous savons que nous sommes mortelles« , mais résistons !.. _ ;

car c’est à chaque instant que nous sommes tenus

d’être les hôtes _ accueillant _ de l’étrange _ cet étrange même à oser (« Sapere aude ! » est bien la devise des Lumières, comme nous l’a appris Kant), à oser concevoir, oser penser, donc, par ce que personnellement je nomme « imageance« , à partir de ce que Marie-José Mondzain, quant à elle, nomme « opérations imageantes«  _ et de l’étranger _ en un devoir d’hospitalité et d’accueil _ pour faire advenir ce _ c’est-à-dire cette radicalité créatrice, donc _ qu’on _ c’est-à-dire ces pouvoirs et leurs inféodés _ nous demande justement de ne plus attendre et même de repousser _ avec agressivité, colère, fureur, même. La radicalité n’est pas un programme _ ni a fortiori un complot _, c’est la figure de notre accueil _ authentiquement créatif ; du moins s’y essayant : à la Montaigne en ses Essais… ; et de ce qui s’y partage _ face à tout ce qui arrive _ de non programmé, et cela via quelque algorithme que ce soit _  et ainsi continue de nous arriver _ pour peu que ces arrivées-là, en leur diversité, hors de nous et aussi en nous, ne soient pas tout bonnement assassinées, noyées, anéanties et effacées de ce qui s’expérimente jusque dans le plus quotidien.

Pour moi,

le fond du problème _ civilisationnel _ abordé dans ce livre important, consiste dans le crucial et complexe processus de constitution et destruction-annihilation

(menant, non pas à quelque « radicalisation« , mais bien à ce qu’il faut qualifier de « fanatisme » : par « fanatisation« , donc, si on veut, pour bien nommer ce processus _ cf ici les fortes analyses d’Étienne Borne, en son lucidissime Le Problème du mal, publié en 1958 aux PUF)

de la subjectivation _ concept détaillé notamment par Michel Foucault _ dans le devenir même, tout au long de leur vie, des personnes ;

avec la place qu’y prennent et occupent

et la liberté

_ ainsi que la responsabilité qui va avec, notamment face au mal ; cf à propos du constat, pages-131 130, qu’« il n’y a pas de réelle contradiction entre la radicalité du mal chez Kant, et la banalité du mal chez Arendt, parce que l’un et l’autre reconnaissent l’irréductible liberté propre à tout homme. La radicalité renvoie à l’énigme de la liberté, la banalité à la possibilité pour tous de devenir le sujet du mensonge et de la cruauté« , les deux superbes citations, pages 131 et 133, empruntées à l’article, en 1994, Kant et l’idée du mal radical, de Myriam Revault d’Allonnes : « On voit déjà pourquoi le mal radical peut être dit « banal » : il est radical parce qu’il est banal. Il est le mal de tous, même si tous ne le font pas. » et « C’est nier l’insondable pouvoir de la liberté que de vouloir _ par une politique de la régénération (on dirait aujourd’hui « déradicalisation«  !) _ extirper du cœur de l’homme jusqu’au désir de faire le mal : le mal est le mal de la liberté«  : c’est très clair ! _

dans le moindre de nos actes,

et aussi, justement, la radicalité _ voilà ! _ de nos opérations imageantes, à chaque instant ;

radicalité telle que l’analysent _ à partir, par exemple, de quelques lectures très précises de Platon (Timée) ou Aristote (De l’âme) _ un Cornelius Castoriadis,

mais aussi un Ferdinand Deligny, thérapeute,

ou un Masao Adachi, cinéaste,

dans les analyses passionnantes qu’en livre ici Marie-José Mondzain.

Sur le fanatisme

_ un mot curieusement absent ces derniers temps ; et plutôt que de « radicalisation« , pourquoi ne parle-t-on donc pas, ou plus, de « fanatisation » ?.. _ 

comme une des « trois figures essentielles du mal humain« ,

voici ce que disait en 1958, en Le Problème du Mal, Étienne Borne :

Le devoir, inséparable d’une attitude polémique contre le mal, c’est-à-dire de débat _ voilà _ et de combat avec le monde et les hommes, trouve sa vérité philosophique et concrète dans la passion. Rien ne trahit plus le cœur humain que la réduction de la vie morale à une lutte de la raison contre les passions en vue de la possession d’une sagesse paisible. Ôtée la passion, il ne resterait de l’homme qu’une plate caricature, une ombre sur un mur _ oui : désubjectivée… L’immoralité lorsqu’elle va jusqu’au bout d’elle-même poursuit la même dégradation : le propre du vice est d’être sans passion, comme un rituel et une mécanique _ voilà. L’Enfer est le désert de la passion et il faudrait le dire de glace et non de feu _ en effet ! L’homme entre _ oui _ en immoralité l’expression est bien intéressante ! _ lorsqu’il organise la fuite _ oui, par un dispositif _ devant la passion, comme l’avouent si elles sont correctement interrogées les trois figures essentielles du mal humain, le dilettantisme, l’avarice, le fanatisme. Les décrire serait la tâche d’une phénoménologie morale ; on se contentera de les analyser brièvement comme autant de philosophies en action _ contre lesquelles mettre en garde.

Le dilettantisme est un don juanisme _ voilà _ du cœur, des sens et de l’esprit. Rendez-vous élégant de tous les humanismes et de toutes les cultures, produit précieux des civilisations décadentes par excès de richesses, le dilettantisme est monstrueusement intelligent, il excelle à montrer la relativité et le mélange indéfinis du bien et du mal dans les intentions et les actions humaines, il se garde de la partialité et de l’engagement comme d’une grossière faute de goût, il se réclame des apparences successives et contradictoires de la nature et de l’histoire. Le dilettante pratique une technique d’évanouissement du mal _ voilà ! _ qui fait du monde un beau mensonge. Parce qu’il refuse la passion, l’accès à l’existence lui est interdit _ oui. Parce qu’il a peur de prendre le mal au sérieux dans l’angoisse _ que nous avons à assumer, en dépit de son inconfort immédiat _, toute réalité et la sienne propre deviennent de purs possibles sans substance. Le dilettante ne vit pas, il a l’air de vivre _ désubjectivé qu’il est.

L’avarice, en dépit d’un lieu commun tenace, n’est pas une passion. Ne pas vouloir dépendre, s’enfermer dans un système de sécurité, chercher une expérience de parfaite suffisance à soi, c’est l’avarice même _ oui _ et le contraire de la passion qui est l’épreuve continue _ oui : splendide vérité ! _ d’une vulnérabilité à autrui _ voilà : la passion s’expose à l’altérité, et dans la durée longue de la fidélité. L’avare vrai est Gobseck et non pas Harpagon, ce timide, inconséquent et comique apprenti. L’avare intégral entasse l’argent pour ne rien devoir à personne et pour avoir entre ses mains l’infaillible solution de tous les problèmes, pour constamment se retirer et dominer sans le faste puéril du pouvoir visible, bref pour tenir toujours efficacement le mal _ de la dépendance envers autrui _ à distance. L’argent n’est qu’un moyen _ mais très général, en l’apparence de son efficace _ d’y parvenir, plus vivement symbolique, parmi beaucoup d’autres. Le pharisaïsme, ce respect littéral de la loi, qui demande austérité et vertu réelles, est une technique sûre _ car littérale et mécanique _ de préservation du péché et par conséquent une forme d’avarice et une même carence de passion. L’avare est toujours ce prudent, ce vertueux qui a la morale avec lui et qui a su se séparer du mal. Incapable de reconnaissance, il se perd dans une ingratitude de dimensions métaphysiques, parce qu’il n’a pas voulu s’engager _ voilà _ dans la passion qui dissout _ en effet _ les sécurités _ et les prévisibilités _ et dans le risque qui s’ouvre à _ l’inconnu de _ l’espérance.

Le dilettante et l’avare étaient des êtres de solitude, des hommes psychologiques ; le fanatique est un être de communauté, un homme foncièrement sociologique _ un suiveur de pur conformisme. Le dilettantisme était une esthétique universelle, l’avarice un absolu de morale, le fanatisme est une religion politique _ oui _ qui entend résoudre dans l’histoire le problème du mal par des techniques d’écrasement et d’extirpation radicale _ par le meurtre généralisé.  Il professe une doctrine de salut par la nation, la classe ou le parti. Le fanatique est aussi bien esclave terroriste que maître despotique : c’est le même esprit de tyrannie, le même manichéisme qui ne supporte pas le partage des valeurs, le dialogue _ voilà _ des expériences _ une expression que reprendrait, j’en suis sûr, Marie-José Mondzain ; mais pour qu’il y ait « expérience« , encore faut-il qu’il y ait un « sujet«  ; et que celui-ci ait pu, déjà, se constituer en un processus un peu développé de « subjectivation« … ; là-dessus, relire Walter Benjamin et Hannah Arendt… _ et qui a besoin pour se rassurer _ mais très mal ! et pas vraiment ! très illusoirement !!! _ sur le bien et le vrai d’une unification _ artificieuse et criminelle _ des consciences _ réduites alors à de purs réflexes pavloviens !!! et panurgiques… _, impériale, charnelle, violente. Familier des procès d’hérésie, le fanatique poursuit à la fois le déshonneur, la réfutation et la mort de l’adversaire. Sa cruauté est le fruit d’une haine sans passion _ la passion impliquant toujours, elle, un processus long et complexe ; et comportant un engagement envers l’autre, ou envers de l’altérité en son objet visé _ qui s’exerce légalement, mécaniquement _ voilà _, rituellement _ aussi. Le fanatique réduit ses victimes à une condition anonyme, substitue à leur visage concret _ voilà _ la définition abstraite de l’hérétique et du traître _ ôté tout visage… Il résout le problème du mal par la destruction des méchants, comme on vient à bout d’une invasion de microbes et d’un vol de sauterelles _ ou d’une infestation de poux. Mais dépersonnalisant _ et désubjectivant _ l’esprit et lui ôtant la moindre opération d’imageance _, perpétuant la guerre par sa mythologie de la dernière des guerres avant la victoire totale, il paraît parfois se confondre avec l’esprit du mal.

Dilettantisme, avarice et fanatisme ne cessent d’ajouter au mensonge, à l’ingratitude, à la haine ; ils sont le mal parce que dès le départ ils ont refusé cette participation au mal dans l’angoisse _ celle de la liberté (et de la responsabilité), et aussi de l’amour _ qui est la seule voie _ qui prend toujours un minimum de temps, de réflexion, voire de débat avec d’autres, qui soient des interlocuteurs proposant des objections, un dialogue _ vers la libération ; chacun d’eux est un système cohérent et fort de liquidation _ annihilation _ du mal, une solution intégrale _ supposée ! _ du problème — ; et vécus ils aboutissent à une exaspération du mal. Il manque aux moralismes comme aux immoralismes de connaître que la passion est la substance de la vie ; ou plutôt ils n’en ont que trop conscience, tant sont savantes et habiles les précautions qu’ils prennent pour ne se point brûler à cette flamme.

La passion sera alors pour la conscience morale critère d’authenticité. L’âme du devoir est ce prophétisme qui, depuis les temps de l’ancien Israël, se manifeste par la dénonciation des tyrannies et des servitudes, la protestation contre l’iniquité de la mort, la guerre aux idoles, c’est-à-dire au partage de Dieu en valeurs ennemies. Le dilettantisme oubliait, en moquant l’esprit de sérieux, que la colère et l’indignation sont les premiers sentiments moraux. La conscience morale ne sera fidèle à sa propre essence que si elle ne renie pas ses origines. En ce premier sens et comme par enracinement _ à nouveau du radical _, le devoir est déjà passion, ou dilettantisme vaincu.

Fin de citation.

Ici,

et commentant le nettoyage entrepris superbement par Marie-José Mondzain des mots et expressions à partir de « radical« , « radicalisé« , « radicalisation » et « déradicalisation, »

je mettrai donc l’accent sur l’apport magnifique à l’intelligence des enjeux de ce qui nous _ sujets que nous essayons de constituer _ menace et de ce contre quoi il nous faut défendre les sources et ressources _ oui _ de notre liberté la plus effective, efficiente et la plus concrète _ à l’œuvre et en œuvres _ à déployer, développer, épanouir, faire resplendir en actes et en œuvres dans la joie,

que constituent et donnent les trois derniers chapitres de Confiscation,

que Marie-José Mondzain intitule « Image » (aux pages 143 à 164), « Zone et zonards » (aux pages 165 à 189) et « Paysages » (aux  pages 193 à 207).

Analysant, au sous-chapitre (d' »Image« ), qu’elle intitule justement « L’imaginaire radical » (aux pages 153 à 164), les démarches et positions-propositions très riches de Cornelius Castoriadis,

Marie-José Mondzain précise, page 156 :

« L’image est justement le site _ un terme à méditer _ inassignable _ voilà ce qu’elle va, et très brillamment, expliciter et justifier : notamment en commentant, un peu plus loin, au chapitre suivant, certaines pages (37 d) du Timée de Platon, à propos de la « Chôra«  ; et, aussi, des pages du traité De l’âme d’Aristote, à propos du « Diaphane« … _ qui met _ avec audace et pertinence à la fois _ en rapport _ dynamisant et fécond _ ce qui est _ apparemment, au départ du penser-juger, pour soi-même, en son effort courageux de méditation-analyse-prospection _ sans rapport« .

Et, page 157, elle cite l’extrait suivant de la page 481 de L’Institution imaginaire de la société, de Cornelius Castoriadis :

« La représentation est la présentation perpétuelle, le flux incessant dans et par lequel quoi que ce soit se donne. (…)

Le flux représentatif fait précisément voir _ percevoir, concevoir _ l’imagination radicale comme transcendance immanente _ expression-oxymore  que ne renierait pas Michel Deguy ! _,

passage _ voilà ! _ à l’autre _ en son altérité profonde de départ _,

impossibilité pour ce qui « est » d’être

sans _ simultanément _ faire être _ voilà ! _ l’autre (…)

En tant qu’imagination radicale _ nous y voilà ! _,

nous sommes ce qui « s’immanentise » dans et par la position d’une figure

et _ d’un même inséparable mouvement _ « se transcende » en détruisant cette figure par le faire-être d’une autre figure« .

Extrait que Marie-José Mondzain commente aussitôt ainsi :

« L’écriture de Castoriadis est en général si claire qu’on ne peut qu’être encore surpris _ et ébranlé _ par la difficulté et l’absence de fluidité qui surgissent ici dans son expression même« .

Et elle poursuit ce très significatif commentaire pensif, voire interrogatif, de l’extrait, un peu plus loin (page 160) :

« Cet extrait énigmatique est un véritable tour de force conceptuel _ nécessaire et fécond, en son défi _

qui fait qu’une source obscure et même ténébreuse _ plus loin, elle va lui appliquer le terme de « zone«  _ éclaire de tous les feux de l’incarnation _ encore elle ! _ ce qui donne naissance non seulement au sujet _ voilà _, mais à la société tout entière.

Elle est le brasier nucléaire,

détenteur d’une puissance quasi atomique

et sans lequel il n’y a ni invention de l’ordre ni création des événements de l’histoire « .

Et encore :

« Le texte mérite qu’on y examine de plus près les termes _ oui _ dans lesquels l’hypothèse de « l’imagination radicale » plaide pour la radicalité de toute exigence _vraie _ de _ vraie _ liberté, qu’elle soit individuelle ou collective« .

Et cela pour mettre l’accent, page 161, sur le fait que

« chez Castoriadis, la défense de la radicalité

modifie la fable _ du labyrinthe de Dédale et du fil d’Ariane (à impérativement suivre à rebours afin de parvenir à s’en sortir) _

et lui confère au contraire son tranchant »

_ et cela, à l’exact inverse de la pensée « qu’il tient à la continuité _ douce et réconfortante _ d’un fil qu’il suffirait de suivre en le faisant défiler dans sa main _ d’instituer la fidélité des trajectoires et de permettre à la fois d’en finir avec la terreur _ telle celle du Minotaure _ et de retrouver la lumière vivante de l’ordre »

Et de poursuivre :

«  »Tranchant » est un mot radical et fondateur _ voilà, les deux ! _ dans le labyrinthe des explorations, des carrefours et des choix _ à effectuer.

Trancher, c’est choisir en opérant une coupure ;

et pour cela il faut que le fil soit celui du rasoir,

celui de la lame aiguisée, prête pour le combat « .

Ainsi, Marie-José Mondzain avance-t-elle, pages 162-163 :

« Le tranchant du fil _ avec la conséquence de la déprise-rupture qui s’ensuit _ transforme _ donc _ le récit labyrinthique

car le triomphe du Minotaure ne tient qu’à un fil, et sa défaite aussi.

Si le labyrinthe est une affaire

non plus d’architecte abritant la voracité « d’un monstre de la folie unifiante »,

mais de géographe et de géomètre,

alors ce qui importe à chaque carrefour _ voilà _,

ce n’est pas, comme pour le Petit Poucet, de conjurer l’égarement par la conservation des traces ou la continuité d’un fil,

mais au contraire de créer la scène de la séparation _ ou audace de la déprise _ :

pas de fil d’Ariane,

mais à chaque carrefour un combat

pour pouvoir emprunter justement le chemin barré.

La ruse salvatrice du fil d’Ariane consistait à retrouver son chemin,

donc à pouvoir rebrousser

afin de sortir par une issue qui n’est autre que l’entrée elle-même.

Bien au contraire, les carrefours du labyrinthe sont des sites décisifs, sans retour _ voilà ! _,

dont le franchissement ne s’opère qu’en termes de lutte et d’énergie imaginaire c’est-à-dire créatrice.

Pour Castoriadis,

on ne peut pas se perdre si on invente _ soit un acte d’institution imaginaire : acte(s) d’institution de soi comme sujet, comme acte(s) d’institution de la société _ la suite _ cf ici les analyses de ce que sont la « suite » et la « poursuite » dans le travail précédent de Marie-José Mondzain : Images (à suivre) _ de la poursuite au cinéma et ailleursAinsi que mes articles : Dans et par le battement des images, les aventures du sujet (tenir bon ou céder) vers sa liberté : le livre (montanien !) « Images (à suivre) _ de la poursuite au cinéma et ailleurs » de Marie-José Mondzain et Sur nos propres opérations imageantes face à l’imageance même de quelques chefs d’oeuvre de l’Art _ au cinéma et ailleurs _, le regard lumineux de Marie-José Mondzain en sa conférence à la librairie Mollat le 16 mai 2012

Choix radical et créateur sur un territoire construit et pensé comme un réseau de chemins _ se croisant, se ramifiant _

où l’on évite les fils _ non créateurs _ de retour et ceux de l’égarement. »

« Le labyrinthe impose _ ainsi _ la nécessité _ courageuse _ du saut (…),

le choix d’une voie périlleuse dont l’issue ne tient pas à la continuité d’un fil,

mais qui tisse lui-même _ de son initiative _ le fil arachnéen où vient se poser _ maintenant, hic et nunc _ son pas et s’inventer son itinéraire.

On ne subit pas le labyrinthe comme un piège préétabli et élaboré par d’autres pour notre perte,

on évolue labyrinthiquement dans des espaces sans retour _ mais qui ont une histoire, et qui, aussi, vont la faire _

dont l’énergie inaugurale _ voilà : aude sapere ! _ nous est sans cesse à charge _ avec espérance.

Quand l’énergie de la provenance n’est autre que celle de la destination elle-même,

les carrefours et les bifurcations inscrivent dans l’espace des zones _ le mot apparaît ainsi ici _ imprévisibles

où se décide à chaque instant _ par nous comme sujet décidant, et sur le champ _ une forme _ voilà _ sans précédent.« 

Avec cette conclusion, pages 163-164, de ce chapitre « Image » et cette sous-partie « L’imaginaire radical » :

« L’image est l’apparition _ survenant alors _ de cette forme ;

la zone est le site de cette géographie des possibles _ s’esquissant ainsi, et ayant à se préciser, dessiner, par nous.

Et on appelle peut-être « artiste« 

le corps qui donne à l’apparition de cette forme une visibilité autorisant le partage,

c’est-à-dire donnant à ce partage le nom d’un acteur qui est celui d’un auteur.« 

Et « c’est à partir de cette zone _ nécessairement indistincte au départ, en même temps, et surtout, que formidable gisement-source d’énergie… _

que je propose

d’inscrire un nouveau déploiement de la radicalité imaginative _ voilà _,

créatrice d’espaces et de temporalité communs » ;

et « je déplacerai le curseur de la lecture de Platon,

pour y repérer (…) une indication fondatrice du rapport de l’image à la temporalité

et à l’exercice étonnant qu’il fait de sa propre fantasia

pour penser l’inscription radicale de l’image dans un site _ ou « zone » _ d’absolue indétermination« .

Dans le chapitre suivant intitulé « Zone et zonards« , pages 165 à 189 _ de Confiscation,

et à partir des lectures _  commentées _ de passages du Timée de Platon par Cornelius Castoriadis et Jacques Derrida,

Marie-José Mondzain en vient, page 167 et suivantes,

« au point nodal où la problématique de l’eidos _ l’idée _ croise _ voilà _ celle de l’eikôn _ l’image.

Platon, plus haut dans le Timée, avant d’inscrire et de décrire son « imaginaire radical »,

avait nommé le temps image _ eikôn _ mobile de l’éternité (37d, 5).

Dire du temps qu’il est image,

et dire de cette image qu’elle est éternité en mouvement,

est une formulation d’une audace et d’une puissance inouïe oui !

Dans une formule de trois mots,

Platon hausse eikôn à hauteur de la zone où se joue le devenir sensible et visible du monde intelligible lui-même,

en se déployant dans le réel selon le nombre en mouvement.

L’image est donc ce qui met en relation dans le temps,

l’éternité de l’idée

et l’espace où nous expérimentons la réalité sensible du devenir dans son apparition _ même.

L’image est apparition voilà ! _ de l’idée dans le monde du devenir temporel.

Mais Platon veut aussitôt préciser la nature de ce « lieu » inassignable,

celui du troisième genre de l’être

où cette relation opère,

où l’eikôn est mouvement de l’eidos, de l’idée en son éternité.

L’image est pour toujours du « troisième genre », lieu non de l’être, mais du « naître ».

C’est pourquoi l’étape suivante de la méditation platonicienne

vient répondre à la question du lieu de naissance _ voilà _ de l’apparition sensible de l’idée.

Platon imagine, au sens plein _ voilà _, la béance _ voilà _ de ce lieu vide _ vacant _ qu’est le site de la gestation du visible.

Il en fait l’hypothèse, le fait surgir, comme si c’était un néologisme, sous le nom de chôra.

Evidemment, ce mot n’est pas un néologisme,

il existe à côté et à distance de topos, qui est le mot de la localisation (…).

Et pourtant, atypique, chôra arrive ici dans le champ philosophique comme une énigme lexicale

qui n’en finira pas de poser un problème de traduction.

Dans la langue commune, il désigne l’espace non urbain.

Il est le champ qu’on peut cultiver, le hors-champ de la cité,

qui échappe à la détermination des limites et des institutions.

Ainsi le mot va-t-il occuper un site intermédiaire,

entre friche et culture, bornage et illimitation,

dont le nom a la porosité de la membrane qui sépare et compose le voisinage entre le logos, qui le désigne, et le muthos, qui l’hallucine.

Platon, pour l’introduire, doit absolument inventer _ oui ! _ ce troisième genre de l’être (triton genos)

qui ne relève

ni du monde intelligible et solaire des idées,

ni du monde des ombres sensibles propre aux incertitudes et aux apparitions précaires.

On doit donc imaginer _ voilà ! _ une « zone » _ voilà ! _ d’où un régime de visibilité surgit _ voilà ! _

à l’image _ seulement, certes _ de l’éternité _ mais incarnant bel et bien celle-ci ! _,

une « zone » d’indétermination originaire _ et féconde _,

sans laquelle _ toutefois _ il serait impossible pour un vivant pensant et parlant d’envisager,

de donner son visage à l’apparition de l’idée _ apparition de l’idée qui, donc a besoin d’un tel visage

Imaginer cette zone sans jamais la voir,

c’est reconnaître en elle la condition _ voilà : comme transcendantale _ de la visibilité elle-même« , page 169.

Et, poursuit Marie-José Mondzain,

« Aristote hérite de cette exigence « mythique » _ de Platon _ lorsque, dans le traité De l’âme, il donne le nom de « diaphane » à une instance sans nom (anonymos)

qui est _ aussi et encore _ la condition invisible de la visibilité.

La chôra platonicienne a bien la diaphanéité, la transparence, de ce qui est _ à la fois _ le recueil et la matrice du visible.

L’origine du visible se trouve _ ainsi _ dans l’invisibilité matricielle de la chôra,

chôra dont il _ Platon _ nous dit qu’elle est obscure (amudron), difficile à penser (kalepon noient), à peine croyable (mogis piston), donnée comme en rêve (oneiropoloumen) et de façon batarde (nothos).« 

Marie-José Mondzain peut donc conclure ce passage, pages 169-170 :

« Platon est donc en effet le premier à formuler en philosophie la nécessité de poser dans sa radicalité _ voilà ! _ une instance imaginaire,

c’est-à-dire de poser l’hypothèse sans laquelle on ne peut rien voir _ voilà ! le regard (tout regard) a une histoire : le regard doit impérativement se former, dès les premiers moments et jours de l »ouverture des yeux du nourrisson ; cf ici par exemple les analyses, dès 1958, de René Spitz (1887-1974) dans Du regard à la parole _ la première année de la vie Et il faut ici aussi se pencher sur le devenir de l’appréhension des formes signifiantes chez les animaux, dans les travaux des éthologues… _

qui donne dans la vie sensible

son lieu voilà ! _ à la pensée

et sa possibilité au savoir« . 

Ajoutant tout aussitôt, page 170 :

« Castoriadis _ tout anti-platocien qu’il se veut _ doit bien à Platon cette symbiose théorique entre originaire et imaginaire,

même s’il ne traduit pas _ lui, Castoriadis _ chôra,

que je traduis ici _ écrit-elle _ par « zone ».

Ce réceptacle du visible en est la source, la matrice (métra),

nourrice (tithènèn) du visible (48a-52e).

L’invisible est _ ainsi _ la condition du visible,

à partir d’un espace sans lieu _ voilà ! _

qui opère radicalement _ comme source féconde _ comme pure indétermination matricielle et donc féconde sans avoir eu besoin d’être fécondée _ mais qui va peu à peu nourrir le visible s’élaborant à partir d’elle, de la réception-assimilation plus ou moins riche, de références culturelles, de tout ce qui va s’apprendre des échanges de signes (dont, pour les humains, la langue !) avec les autres.

On peut saisir au passage la raison pour laquelle les penseurs chrétiens se sont saisis de cette chôra

pour nommer _ en effet _ la Vierge, matrice et nourrice d’un divin bâtard,

membrane diaphane et intacte, qui met au monde, comme on fait apparaître sur un écran l’image naturelle,

archétype de toutes les images possibles, image inengendrée de l’inengendré,

visibilité qui ne cesse de mourir pour ressusciter.

Cette matrice est bien ce qui donne son visage à la transcendance,

ce qui permet (…) d’envisager la visibilité de l’idée.« 

« Traduire chôra par « zone »

est assez fidèle au dispositif spéculatif qui formule les conditions de l’image et du visible,

car zonè est la ceinture _ voilà ! cet élément est important _,

le périmètre _ mais vague et indéterminé, lui, à la différence de la ligne distincte, elle, de l’eidos !.. qui donne sa forme au visible,

la limite de l’incirconscriptible

en même temps que _ déjà, aussi _ l’inscription _ graphè _ de l’illimité.

Mais ce graphe défie l’écriture et sa lisibilité ;

il opère en excès, en débordé de la matérialité des signes.

Le grapheus, lorsqu’il fait des images, est _ ainsi _ un « zonard »,

comme l’est tout artiste dont les gestes _ s’inventant _ qui font naître le sensible

se posent _ dans leur fulgurance _ sur le seuil indiscernable du visible et de l’invisible.

Affaire de membrane, que les Grecs ont désignée du nom d’hymen », pages 170-171.

Marie-José Mondzain explique alors pourquoi elle a « choisi d’appeler « zone  » cette chôra » de Platon et de Castoriadis :

« la raison la plus forte est que cela permet aux zonards, sans domicile fixe et sans identité assignée,

aux exilés et exclus de toutes provenances,

de partager _ avec fécondité _ un site d’hospitalité inconditionnelle,

où tout est possible,

où rien n’est soumis à l’empire _ implacable _ de la nécessité.

Nous pouvons partager avec les zonards la liberté _ ouverte et ouvrante  _ de cette imagination radicale,

c’est-à-dire les débats collectifs sur les conditions de la communauté,

les conversations du regard _ cf Le Commerce des regards _

qui font advenir à la parole _ et c’est très important _ les expériences de la sensibilité.« 

Et elle en déduit que

« nous devons construire ensemble la scène de ce partage.


C’est dans la zone de ce partage de l’appartenance de tout vivant à un espace de liberté et d’invention,

dans cet espace transgénérique, propre à l’image,

que s’inscrivent _ à la fois _ nos gestes inventifs

et nos résistances.« 

Avec cette conséquence cruciale :

« La confiscation _ revoici le mot ! _

et la perte de cette ressource de la radicalité _ ou le cœur du problème abordé en ce livre important ! _,

réduisent tout sujet _ non sujet, en fait, car seulement et totalement passif, décérébré _ de ce dépérissement _ amenant à une terrifiante désubjectivation, annihilation (et suicide) de (ce) qui avait vocation à constituer et devenir un vrai sujet… _

à tenter les expériences _ mais en sont-ce vraiment ? _ extrêmes

que sont la _ fausse _ piété fanatique _ le mot « fanatisme«  apparaît bien ici _,

les rites _ faussement _ purificateurs

et _ tragiquement (en tout ce qu’ils détruisent en les autres comme en soi) _ initiatiques du sacrifice meurtrier et suicidaire _ sadisme et masochisme sont toujours de très puissants facteurs _,

les fureurs de l’intolérance _ envers autrui _

et l’obéissance aveugle _ et affreusement vide _ à des recruteurs impitoyables.  « , page 172.

« Il faut cesser de voir trop commodément _ les convertis à la terreur comme des barbares, des monstres ou des fous.

Ils incarnent _ plus simplement _ la misère profonde _ tant culturelle qu’économique, ainsi que les résultats _ de l’imaginaire collectif

que le capitalisme ne cesse de tarir (…) avec les produits euphorisants, qui se veulent salvateurs, du divertissement et de la guerre sainte » :

ce précisément contre quoi Marie-José Mondzain appelle ici à résister.


Car, dit-elle, pages 172-173,

« c’est au nom de cette résistance possible

que je plaide ici

pour la radicalité émancipatrice de tous les gestes d’hospitalité

et de création« .

Et « créer, c’est sortir de l’impuissance« .

Et « donner à sentir, c’est produire du commun« _ authentiquement partageable _, page 188.


Le dernier chapitre, intitulé « Paysages« , de Confiscation

aborde ce que Marie-José Mondzain appelle, pages 193-194,

« la porosité des espaces

dans lesquels se joue le passage _ mais oui _ de la violence inhospitalière du monde habité,

au site _ de création artiste, ou autre, à la place de la violence et du meurtre ! _ où l’imagination radicale produit la zone sismique _ de création, donc, avec ses cataclysmes _ où poussent avec obstination les saxifrages irréductibles« .

Marie-José Mondzain prend en priorité deux exemples,

touchant « à la question cruciale du hors champ » ;

question qui l’intéresse depuis longtemps, en ses analyses d’images, au cinéma et ailleurs :

_ le hors champ de Poussin et de ses paysages tragiques _ tels ceux des « Quatre saisons« , au Louvre, mais aussi le « Paysage orageux avec Pyrame et Thisbé«  (du Städel Museum de Francfort-sur-le-Main) _ ;

_ et le hors champ du cinéaste japonais Masao Adachi _ notamment dans son film de 1969 « A.K.A. Serial Killer« , et d’après son texte de 1971 « Questions imaginaires au tueur en série. L’affaire Norio Nagayama« .

Avec cette thèse, pages 200-201 :

« Le paysage est bien le palimpseste toujours déchiffrable _ pour qui incline à décrypter… _ de toutes les passions,

c’est-à-dire de tous les crimes commis et de toutes les violences subies,

et même de tous les chagrins éprouvés par ceux qui laissent derrière eux les traces innocentes et visibles de leur disparition violente.

L’événement _ lui-même, en tant que tel _ disparaît du champ _ de vision du regardeur _ ;

et c’est son hors champ, donc le paysage, qui devient mémoire sans fin _ du moins potentiellement _ des crimes invisibles » _ qui y ont eu lieu.


« En suivant l’analyse d’Adachi,

on peut entendre que le premier crime du serial killer est toujours déjà le deuxième,

dans la mesure où il s’inscrit sur la toile _ voilà ! _ des violences désubjectivantes _ voilà !! _

et donc destituantes du paysage

dont il est l’infime symptôme, le misérable rejeton _ superbe analyse !

Les crimes les plus terribles (…) sont commis par des corps pour ainsi dire déshérités d’eux-mêmes _ oui : de sujets désubjectivisés ! nihilistes parce qu’annihilés _,

qui imaginent  _ bien illusoirement _ pouvoir exister _ enfin ! _ dans le regard  _ !!! _ des autres

à la seule condition _ qui soit accessible aux locataires de ces corps, via les médias de masse d’aujourd’hui offerts _ d’organiser le spectacle des tueries qu’ils perpètrent au prix de leur propre disparition.

Examiner la scène où se déroulent des scénarios du désastre,

déchiffrer dans l’espace des villes

la violence inhospitalière et la brutalité de ce qui n’est plus « rencontre », mais « choc accidentel avec le corps de la terreur »,

voilà ce que Masao Adachi voulait filmer

en laissant sa caméra glaner les signes _ voilà ! _ de la déréliction, du désespoir et de la haine dans l’espace urbain de Tokyo.

Si Adachi ne cherchait pas à connaître ou à faire connaître la personne du serial killer,

c’est parce qu’il n’était « personne ».

Le criminel n’était _ certainement _ pas radical.

Adachi déplace _ donc _ la question de la terreur et du crime

pour envisager _ et nous faire envisager, aussi _ dans sa radicalité la responsabilité politique _ oui _ du geste cinématographique _ lui-même _ dans son adresse à la communauté tout entière« , page 202.

« Je crois que nous pourrions de la même façon aujourd’hui filmer

ou décrire l’espace que nous traversons chaque jour

pour en laisser voir _ et faire voir _ la violence dans les signes de la pauvreté _ voilà _,

pour montrer la matière même et les traces visibles et tangibles de l’isolement et de l’inhospitalité « ,

poursuit Marie-José Mondzain.

Et, page 203 :

« Dans le mouvement de sécularisation,

dont on dit qu’il est la marque du désenchantement du monde,

la réanimation sauvage du sacré _ superbe expression _

redonne du service à des fanatismes _ revoici le mot _

qui, précisément, indiquent un besoin de réenchantement dans les propositions les plus extrêmes _ et pas les plus « radicales«  !

Les nouveaux catéchismes imposent des fidélités factices _ certes ! _

et des dépendances suicidaires.

 

Faute de confiance _ authentique_ et de fiabilité _ vraie _,

on se jette à corps perdu _ c’est le cas de le dire ! _ dans les croyances les plus ineptes »

_ et à mes yeux la lente mais profonde détérioration de l’école, pour des raisons probablement d’abord d’économie de budget (mais aussi de mépris des personnes), a sa part de responsabilité aussi ;

celui qui a enseigné (avec bonheur, mais oui !!!) à philosopher durant quarante-deux années, peut rétrospectivement en juger…

Alors, page 204 :

« Y aurait-il des paysages où l’on ne peut _ nécessairement, fatalement _ que tuer ou mourir ?

N’est-ce pas dans le vaste hors champ des actes terroristes qu’a lieu la destruction criminelle de la planète _ Michel Deguy dirait, lui, de la Terre _ elle-même ? « 

Alors, et cependant, Marie-José Mondzain voit dans ce qu’elle nomme « un geste d’art« , page 205,

« le fait de tout geste prenant le risque _ aussi vertigineux _ de manifester cette puissance _ ouverte _ de l’informe

dans la forme même _ de ce qui devient œuvre.

C’est ce que je souhaiterais faire entendre, poursuit-elle, page 205-206, en disant que l’art est toujours zonard,

traitant toujours de l’intraitable _ et acceptant de s’y affronter _

et faisant advenir dans le sensible la temporalité singulière d’une phantasia turbulente et joyeuse _ parce que joyeusement joueuse.

C’est dans l’espace atomique sans limites des opérations imaginantes _ voilà _

que se développe cette zone privilégiée et insigne

où se déploient _ oui _ les jeux _ voilà _ de notre liberté.

Et je crois que la radicalité véritable _ puisque là est le fond de la question de ce livre _ est inséparable de la force irrésistible du rire et de la joie.

Même quand ils s’emparent du pire,

les gestes d’art nous rendent _ très effectivement _ heureux,

car nous y puisons les ressources _ fécondes _ de la joie et du partage.

La joie et le rire sont une source irrépressible d’énergie politique. »

Avec cette conclusion, page 207 :

« Au cœur d’un même événement,

deux régimes sonores se font _ ainsi _ entendre,

deux énergies

dans leur tension _ essentielle _ turbulente et jubilatoire _ oui !!! _ :

celle des craquements jaillissant des fractures _ « saxifrages », dit l’auteur ! _ qui détruisent les chaînes _ d’aliénation _

et rompent le silence de la fatalité _ à immanquablement subir _ et des enchaînements _ mécaniques, algorithmiques, robotisés _,

et celle qui surgit, dans la stridence _ d’art _ des voix, des corps qui dansent ou vagabondent sans orientation prévue,

car ils s’en remettent _ voilà _ à la pure radicalité _ oui : un pur commencement à ouvrir et déployer _ de la rencontre _ vraie : cf mon propre texte, en 2007, Pour célébrer la rencontre, que publia, alors, sur son site, Bernard Stiegler… _ avec celui ou celle qui arrive,

qu’on n’attend pas

et qu’on ne doit _ simultanément _ jamais cesser d’attendre _ afin de savoir être toujours prêt à l’accueillir, en son vivace et souvent bref passage ;

et d’abord apprendre à être apte à savoir, à la seconde, voir, puis saisir, ce qui (et d’abord qui), là, passe furtivement et très vite ;

à l’image du joyeux en même temps que tranchant divin Kairos, aux chevilles ailées,

qu’il peut nous arriver de croiser !

Pour rester radicalement fidèle à cette énergie _ voilà ! _

il faut bien consentir à ce qu’il n’y ait jamais de « lutte finale »,

mais une fidélité tenace _ oui, de chaque instant ! _

envers tout ce que nous devons

ne jamais cesser de combattre

si nous voulons ne pas cesser d’inventer _ oui _

pour le partager » _ absolument.

En trois pages excellemment ramassées,

la conclusion du livre, aux pages 209 à 211, vient relier lumineusement

la double thèse finale de Marie-José Mondzain, soient ces « deux propositions«  _ d’action on ne peut plus effective ! _ que sont

et « l’urgence d’une réappropriation _ par chacun et par tous _ de la parole« ,

et « l’impérieuse nécessité d’un combat _ tout à la fois puissant et joyeux _ contre la confiscation _ éhontée et à très grande échelle : mondialisée ; mais l’art peut, lui aussi, beaucoup ; et même une seule courageuse personne, parfois  _ des images et des mots« ,

à ce qui,

au long des analyses-explorations très fouillées de l’ensemble de ce livre,

est venu, justement, les fonder :

« C’est dans la composition _ au sens de la dynamique des forces, en physique _ sociale _ un art éminemment subtil à construire _ des relations d’échanges et de luttes _ les deux, qui sont liées _

que la paix _ vraie : « union des âmes«  dit Spinoza _ signifie un état positif de la vie antagonistique _ cf ici les décisives analyses de Nicole Loraux, en son La Cité divisée _ l’oubli dans la mémoire d’Athènes

Deux forces radicales _ à la fois de fond, et de capacité de commencement _ agissent dans cette composition _ avec sa résultante _ :

celle qui produit consistance et liaison _ au lieu de schize et déliaison haineuse _ dans un espace de fiabilité _ tellement et ô combien bafouée ces derniers temps-ci _ de la parole

et celle qui fait surgir _ dans l’inattendu de gestes d’essais de création _ des formes inédites _ voilà ! _ dans le voisinage périlleux _ parfois, sinon souvent, vécu dans l’angoisse _ de l’informe _ avec ses ressources de plasticité _ et la béance _ ouverture féconde _ d’un chaos _ généreux _ « …

Et « ces deux énergies s’originent peut-être _ ensemble ! _ dans une zone indiscernable d’indétermination radicale,

où le temps met en mouvement les images de l’éternité« .

Ce qui permet à Marie-José Mondzain de souligner, en commentaire :

« C’est cela, l’imaginaire _ ou «  »imageance« je préfère, pour ma part, ce terme, forgé à partir d’un participe présent de verbe d’action-création… _,

c’est cela, sa radicalité » _ ou puissance (formidable !) de commencement.

Et on comprend que les pouvoirs installés craignent cette puissance rivale de leurs efforts de main-mise, et cherchent à la domestiquer ou l’asservir, en (se) la payant, pour leur exclusif profit !!! Sur ce point, le rappel (in Image, icône, économie _ les sources byzantines de l’imaginaire contemporain) des querelles de l’iconoclastie, est aussi bien éclairant…

Et c’est à cette capacité d' »imageance« -là, en chaque sujet humain,

qu’il nous faut permettre d’apparaitre, surgir ;

et c’est elle qu’il faut protéger, préserver, encourager, en ses commencements,

afin d’aider à la cultiver vraiment par les meilleurs moyens qui soient

et contribuer à ce qu’elle se déploie pleinement,

en chacun des hommes,

afin d’aider à étendre, en se réalisant, en un processus épanouissant de subjectivation, leur humanité vraie,

attaquée qu’elle est par les opérations de décérébrage et désubjectivation à échelle mondiale,

de misérables (!) marchands d’illusions …

Merci, chère Marie-José, pour ce travail  bien utile, dans ces combats pour la culture vraie,

versus les impostures installées…

Titus Curiosus, ce mercredi 15 mars 2017

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