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La perfection superlative de l’ « A Chloris » de Reynaldo Hahn par Benjamin Appl en le très original programme de son CD « Forbidden Fruit », avec son compère pianiste James Baillieu _ ou atteindre l’acmé de sérénité du plaisir…

29juil

Qu’on commence par écouter _ en boucle si nécessaire… _ la plage 11, d’une durée de 3’10, de l’assez extraordinaire CD « Forbidden Fruit » du baryton allemand Benjamin Appl _ Ratisbonne, 26 juin 1982 _ et de son compère pianiste James Baillieu _ Afrique-du-Sud, mars 1982 _,

le très original CD Alpha 912, enregistré à Lugano du 27 au 30 juillet 2020, et paru seulement _ du fait de sa marquante a priori peu commerciale singularité ?!? _ le 23 juin 2023 ;

soit une interprétation plus que parfaite

_ entre bien d’autres enregistrées d’excellente qualité ; cf par exemple mon article du 23 mai 2020 : « « ,

dans lequel je donnais à écouter deux interprétations très réussies de la sublime « À Chloris » de Reynaldo Hahn (Caracas, 9 août 1874 – Paris, 28 janvier 1945), sur un poème de Théophile de Viau (Clairac, 1590 – Paris, 25 septembre 1626 ; le poète avait été condamné à mort pour libertinage…) ;

un poème lui-même sublimissime (on découvrira l’entièreté de 100 vers des Stances « À Cloris«  aux pages 64 à 67 du passionnant « Après m’avoir tant fait mourir Œuvres choisies«  de Théophile de Viau, paru en 2002 en la collection Poésie-Gallimard… ; le poème datant de 1621)

S’il est vrai, Chloris, que tu m’aimes,
Mais j’entends, que tu m’aimes bien.
Je ne crois point que les rois mêmes
Aient un bonheur pareil au mien.
Que la mort serait importune
De venir changer ma fortune
Pour la félicité des cieux !
Tout ce qu’on dit de l’ambroisie
Ne touche point ma fantaisie
Au prix des grâces de tes yeux.

_ une interprétation, assez étonnante, par Philippe Jarrousky, en sa voix pour une fois non pas de haute-contre, mais de ténor, en son très réussi CD « Opium«  (Virgin Classics 50999 216621 2 6, un CD sorti en 2009) ;

_ et une autre, celle-ci, par Véronique Gens, en son très réussi, lui aussi, CD « Néère«  (Alpha 215, un CD sorti en 2015) ;

en un article que je concluais par ces mots « Reynaldo Hahn sait être prodigieusement simplement délicieux«  _

soit une interprétation plus que parfaite de ce chef d’œuvre insurpassable de la mélodie française qu’est le si délicatement fondant « À Chloris » du cher Reynaldo Hahn

Quelle diction française ! et au service de quel chant ! à un tel degré admirables !

Quel art superlatif de si merveilleusement incarner ce qu’il chante _ en français comme en anglais, et, bien sûr, en allemand ; et cela en des genres aussi divers, voire carrément opposés, aux antipodes les uns des autres, tels que la mélodie, le lied ou la chanson canaille de cabaret !… _ possède ainsi ce décidément prodigieux interprète chanteur-diseur qu’est Benjamin Appl, avec la complicité radieuse, elle aussi _ attentivissime ! _, du magique piano de James Baillieu…

Quelle enchanteresse incarnation, donc, ici,

lumineuse de douce, légère, méditative, claire, et tendre gravité _ à fondre on ne peut plus sereinement d’infiniment délicat plaisir : la « grâce«  même ainsi attrapée et restituée… _de ce sublimissime « À Chloris« … 

Et demain,

après pareille toute simple mise en bouche auditive enchanteresse,

je reviendrai me pencher, cette fois en détails, sur l’originalité remarquable de ce véritable bijou discographique assurément singulier (!) _ ce qui permet probablement de comprendre (mais pas justifier !) la longueur du délai (de trois années !) écoulé entre l’enregistrement, en juillet 2020, et la parution de ce  CD, en juin 2023 : lors de leur enregistrement de juillet 2020, à Lugano, Benjamin Appl et James Baillieu avaient tous les deux 38 ans… _ qu’est tout ce CD « Forbbiden Fruit » _ Alpha 912 _, de Benjamin Appl et son compère pianiste, excellentissime lui aussi, James Baillieu…

Ce samedi 29 juillet 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Et, avec trois mois de retard, une très juste célébration un peu tardive du sublime double album Schubert de Lars Vogt avec Tanja et Christian Tetzlaff…

27juil

Presque trois mois après mon propre article du 20 avril 2023 « « ,

ce n’est que ce mercredi 26 juillet 2023 qu’en un très bel _ et juste ! _ article intitulé « Arcadie« , Jean-Charles Hoffelé, sur son excellent site Discophilia, vient enfin rendre grâce au paradis disparu de la musique de Schubert telle qu’interprétée en état de grâce, sublime, par Lars Vogt et Tanja et Christian Terzlaff,

en leur absolument mémorable double album Ondine ODE 1394-2D « Schubert – Piano Trios – Notturno – Rondo – Arpeggione Sonata« …

Voici donc cet article si justement intitulé « Arcadie » :

ARCADIE

Reijo Kiilunen, le patron d’Ondine, n’a pas hésité un instant : lâché d’abord _ que Lars Vogt était… _ pour ses enregistrements en soliste par EMI, puis pour les échos de son festival de musique de chambre _ Spannungen _ par Electrola, il aura offert à Lars Vogt plus qu’un label, une amitié _ c’est capital _ qui aura permis à son art d’augmenter sa pureté stylistique _ épurée _comme sa dimension lyrique _ déployée. Qu’il enregistre ce qu’il souhaite, seul, avec orchestre, avec ses amis Tetzlaff, et quand il le voudrait _ le grand luxe, dont il a usé à la perfection des diverses facettes de son très grand art d’interprète probe et splendide…

La moisson fut belle _ et c’est là un euphémisme… _, de Bach à Chopin, de Schubert à Brahms, mais si tôt _ = précocément ! _ achevée qu’on est déjà rendu à des publications posthumes _ Lars Vogt est décédé le 5 septembre 2022 _, justement aujourd’hui Schubert, demain Mozart pour deux concertos avec son Orchestre de chambre de Paris _ et nous attendons ces derniers avec pas mal d’impatience…

Légers, fusants, pur charme _ oui _, les deux Trios de Schubert ne laissent pas un millimètre au pathos _ en effet… _, d’un dessin admirablement classique _ oui _, une épure où se consume un jeu pianistique immatériel, quasi mendelssohnien _ comme c’est juste ! _ (le Finale sur les pointes et en estompe du Premier !) et où les archets chantent et flûtent _ voilà. Le Deuxième qu’on croit plus sombre sera tout aussi solaire _ oui _, d’une lumière peut-être plus affirmée encore, le Notturno lui-même, suspension d’un chant ténu au-dessus des eaux, est nacré d’un rayon de lune.

Sublime _ voilà !!! _, tout comme le dialogue très libre, au caractère improvisé _ mais oui _, de l’Arpeggione où l’archet _ amical, fraternel _ de Tanja Tezlaff se fond dans ce piano de chanteur _ voilà. Admirable album _ absolument : un trésor !!! _ qui ne disait en rien adieu, pour mieux nous serrer le cœur _ je parlais, pour ma part, de « tendresse » et de « vie« 

LE DISQUE DU JOUR

Franz Schubert (1797-1828)


Trio pour piano, violon et violoncelle No. 1 en si bémol majeur, D. 898
Notturno pour piano, violon et violoncelle en mi bémol majeur, D. 897
Rondeau brillant pour violon et piano en si mineur, D. 895
Trio pour piano, violon et violoncelle No. 2 en mi bémol majeur, D. 929
Sonate pour arpeggione et piano en la mineur, D. 821

……

Christian Tetzlaff, violon
Tanja Tetzlaff, violoncelle
Lars Vogt, piano

Un album de 2 CD du label Ondine ODE 11394-2D


Photo à la une : de gauche à droite, la violoncelliste Tanja Tetzlaff, le pianiste Lars Vogt et le violoniste Christian Tetzlaff – Photo : © Giorgia Bertazzi

Une pure merveille !

Ce jeudi 27 juillet 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Le charme vraiment prenant de la tendresse Porpora : le merveilleux CD « Salve Regina » des Muffatti, et le contreténor Clint van der Linde, chez Ramée

06juin

Dans la continuité _ et la frustation _ de mon article «  » du 3 juin dernier à propos de ce qui manque maintenant dans la discographie accessible de Nicola Porpora (1686 – 1768),

je suis tombé sur un admirable CD Ramée RAM 2102, paru le 24 mars 2022, par l’excellent contre-ténor sud-africain Clint van der Linde et l’Ensemble Les Muffati, intitulé « Salve Regina – Motets by Hasse and Porpora« ,

comportant, entre autres, un sublime « Salve Regina » de Nicola Porpora _ quelle merveilleuse tendresse ! _ composé en 1630, et dédié par Porpora à la cantatrice Zabetta, Elizabetta Mantovani, mezzo-soprano, pensionnaire à l’Ospedale degli Incurabili, à Venise :

un admirable motet au charme fou d’une tendresse, oui, sublime.

Lire aussi cette récente recensiondécouverte après l’audition du CD, et assez neutre poour une fois… _ de Christophe Steyne, sur le site de Crescendo, en date du 11 mars 2023, intitulée (sic) « Le Salve Regina et l’italianisme à l’heure baroque : deux nouvelles parutions » :

Le Salve Regina et l’italianisme à l’heure baroque, deux nouvelles parutions

LE 11 MARS 2023 par Christophe Steyne

Salve Regina, motets by Hasse & Porpora.

Johann Adolph Hasse (1699-1783) : Hostes Averni ; Alma redemptoris Mater.

Nicola Porpora(1686-1768) : Salve Regina ; Nisi Dominus.

Antonio Vivaldi (1678-1741) : Concertos pour cordes en sol mineur et en fa majeur RV 154 et 136.

Clint van der Linde, contreténor.

Les Muffatti.

Livret en anglais, allemand, français (paroles en latin et traduction en anglais).

Mars 2021.

TT 68’54.

Ramée RAM 2102

Salve Regina.

George Frideric Haendel (1685-1759) : Adagio-Allegro [The Lord is my Light HWV 255], Presto [Acis & Galatea HWV 49]. Salve Regina HWV 241. Praise the Lord with cheerful voice [Esther HWV 50]. Gloria HWV deest. Silete Venti HWV 242. Tu del Ciel ministro electo [Il Trionfo del tempo HWV 46a].

Julie Roset, soprano.

Leonardo García Alarcón,

Millenium Orchestra.

Livret en anglais, français, allemand (paroles en anglais, latin et italien, traduction en anglais et français).

Septembre 2021.

TT 73’49.

Ricercar RIC 442

Le Grand Tour du jeune Anversois Corneille-Jean-Marie van den Branden (1690-1761) stimule ce disque qui nous propose des inédits, dont un en lien avec les archives de l’archevêché de Malines, dépositaire de manuscrits légués par ce Seigneur de Reeth. Parmi ces découvertes, le Nisi Dominus écrit dans les années 1710 par Nicola Porpora, dont le CD invite aussi le Salve Regina en fa majeur dédié à Zabetta, célèbre contralto pensionnaire de l’Ospedale degli Incurabili à Venise. L’autre figure de ce récital est un élève et rival du compositeur napolitain, qui comme lui connut une carrière nomade, et qui lui succéda d’ailleurs comme maître de chapelle dans cet Ospedale : Johann Adolph Hasse, émané de la Cour de Brunswick-Lunebourg. Au sein de son important catalogue lyrique, voici Alma redemptoris Mater qui se rattache à la célébration mariale, et Hostes Averni dans sa version conservée au Conservatoire de Bruxelles, une des douze sources identifiées pour ce motet et qui reçoit ici son tout premier enregistrement.

Dans sa notice, Clint van der Linde nous explique avoir choisi de présenter ces quatre œuvres sacrées en commençant par les plus graves pour terminer avec les plus aiguës, les plus dramatiques. La voix mixte est garante de la variété des couleurs sur l’ambitus. La manière italianisante, aux portes du style galant, se voit traitée en respectant la veine tantôt opératique (le Hostes Averni ornementé dans le da capo), tantôt introvertie. En privilégiant « les grands arcs d’expression plutôt que se limiter au détail », le contreténor s’offre une vocalisation ample et un souffle contrôlé, que ce soit dans le trait ciselé ou les phrases étirées. Pour faire bonne mesure, le CD est complété par deux brefs concertos de Vivaldi, que Van den Branden rencontra en toute modestie dans les ruelles de la cité sérénissime : les archets de l’ensemble Muffatti abordent ces intermèdes avec une palette moelleuse, tout à l’image d’une prestation vocale très léchée.

Le Salve Regina, mais pas que. Cette anthologie toute vouée au Care Sassone s’entend comme un tribut à la période italienne de Haendel (1706-1710) mais aussi plus largement comme « une transposition musicale des mille et une facettes de la psychologie humaine » et une valorisation d’un art sans pareil « de la mélodie dédiée à la voix », nous dit la notice signée de Marc Maréchal. Introduite par un concert instrumental emprunté à la Bibliothèque d’Uppsala (un assemblage tiré d’un anthem et d’un Masque), et guidé par l’inspiration au long cours du Millenium Orchestra qui semblerait prêt à avaler un opéra, le récital aligne l’antienne mariale, un extrait de l’oratorio Il Trionfo del tempo, et ce Gloria de paternité douteuse avant son authentification par le professeur Joachim Marx. On y apprécie les vocalises agiles de Julie Roset (Quoniam tu solus sanctus, où Leonardo García Alarcón ronge le frein), tandis que le Salve Regina montre une voix studieuse, blême et sans couleur, au galbe tendu et pour tout dire peu flatteur, rétif à la tendresse du sujet.

Ce timbre monochrome s’assouplit et s’enrichit néanmoins dans le chant de louange Praise the Lord with cheerful voice agrémenté de l’éloquente harpe de Marie Bournisien. Quand Esther fut représenté au King’s Theatre en 1732, le compositeur était déjà retourné en Italie : c’est certainement là, parti recruter des solistes pour la scène londonienne, qu’il rédigea son Silete Venti, pièce principale de ce CD (une petite demi-heure). Après la Symphonia enfiévrée par l’orchestre, on peut apprécier la saine ventilation et le registre lumineux de la soprano, qui exploite sa voix comme un ductile instrument, presque indifférent au texte. Au-delà du brio, l’italianisme ne s’accommoderait-il d’une expression moins droite, qui ne semble là que pour poser des notes, si maitrisées soient-elles jusque dans les cimes (la conclusion du Dulcis amor Jesu) ? Dommage que l’ensemble de ce motet ne soit à l’image du « Surgent venti », où Julie Roset semble enfin prête à fendre l’armure pour ces vents qui se lèvent.

Ramée = Son : 8,5 – Livret : 8,5 – Répertoire : 9 – Interprétation : 9

Ricercar = Son : 8,5 – Livret : 8,5 – Répertoire : 9 – Interprétation : 7

Christophe Steyne

 

Une merveille de CD…

 Ce mardi 6 juin 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

La somptueuse beauté, tendre et discrète, et qui touche, de François Couperin en ses Messes : la « Messe propre pour les couvents » (en 1690), par Olivier Latry sur les Grandes Orgues de la Chapelle Royale de Versailles, et l’Ensemble vocal « Chant sur le Livre alterné », dirigé par Jean-Yves Haymoz…

09mai

C’est un peu pour me nettoyer l’ouïe de la musique trop peu naturelle de Pancrace Royer (Turin, 1703 – Paris, 1755) _ cf mon article d’hier 8 mai « «  _ que je suis venu, très vite, rechercher le réconfort de la sublime discrétion et tendresse d’intimité de François Couperin (Paris, 1668 – Paris, 1733) en ses sublimissimes Messes _ pour orgue _ de 1690.

Ce François Couperin qui affirmait : « J’aime beaucoup mieux mieux ce qui me touche, que ce qui me surprend » ; une parole que Laurent Brunner _ le directeur de la Collection Château de Versailles Spectacles _ commente très justement : « un manifeste de sa musique, et son ancrage dans la tradition française« …

Et cela en partie sous l’encouragement du bel article de ce jour même, de Frédéric Muñoz, « Les Messes pour orguee de Couperin, avec Olivier Latry et Jean-Yves Haymoz, à Versailles« , sur le  site de ResMusica.

Dans la magnifique et généreuse nef de la Chapelle royale de Versailles, les deux Messes pour orgue de François Couperin rehaussées d’un plain-chant lumineux _ emprunté pour l’occasion au grand Henry Dumont (Looz, 1610 – Paris, 1684) _ sonnent en gloire sous les doigts inspirés d’Olivier Latry.

Les Messes pour orgue de François Couperin sont largement représentées au disque. De nombreux organistes intéressés par l’orgue classique français ont proposé leur version, traduisant souvent de fort belles réussites par le choix des instruments _ un élément toujours, bien sûr, capital _ et des diverses propositions de plain-chant alterné. En effet, depuis les années 1950 et la naissance d’une discographie vinyle en plein essor, on a vu fleurir au fil des années une trentaine de versions, mettant en valeur tel ou tel orgue historique. André Marchal fut l’un des premiers, à l’orgue du Prytanée militaire de La Flèche (Sarthe). Cette période fut celle de la redécouverte des répertoires classiques français et surtout d’une manière de jouer qui se voulait déjà historiquement informée, avec en particulier Michel Chapuis en tête _ oui _ qui révéla alors ces œuvres à la fin des années 60 sur le magnifique instrument historique de Saint-Maximin _ oui. D’autres musiciens suivirent cette voie, y compris certains peu habitués à ce répertoire. Pierre Cochereau, initié aux notes inégales (manière particulière de rythmer les croches), enregistra suivant ces enseignements ce livre d’orgue à Notre-Dame de Paris. Par la suite, ces pièces, devenues familières aux mélomanes, tentèrent de nombreux organistes jusqu’à nos jours, offrant un choix discographique abondant _ en effet.

Vers l’âge de vingt ans, François Couperin compose deux Messes pour orgue qui resteront _ en effet… _ ses seules compositions dédiée à cet instrument. La première dite « à l’usage ordinaire des paroisses pour les fêtes solennelles » s’adresse à un orgue d’importance, de 16 pieds, tel que l’on pouvait en trouver dans les cathédrales ou de grandes églises comme Saint-Gervais à Paris où il était titulaire _ oui ! _, comprenant un pédalier de large tessiture. L’écriture réclame des caractéristiques bien précises sur le type d’instrument, l’auteur indiquant les mélanges de jeux à utiliser. La seconde Messe dite « propre pour les couvents de Religieux et Religieuses » est écrite pour un orgue de plus petite taille (8 pieds) que l’on trouvait habituellement dans les abbayes, avec un pédalier plus court, ce dont Couperin tient compte dans son écriture.

A Versailles, les proportions de l’orgue sont intermédiaires, et conviennent pour ces œuvres dans leur ensemble. Olivier Latry offre ici une très belle version _ oui !!! _, par une utilisation très mesurée et véridique de l’orgue, à la fois rayonnante et intime _ et là l’essentiel est magnifiquement dit. Les tempi sont parfaitement adaptés _ et c’est aussi important, bien sûr _ à l’acoustique généreuse de la chapelle, et l’ornementation chatoyante qui agrémente le discours renforce l’émotion _ forte, en sa délicatesse _ de cette musique, notamment dans les pièces méditatives que sont les Tierces ou les Cromornes en taille. L’orgue est utilisé suivant _ bien sûr _ l’une ou l’autre des Messes à l’échelle _ différente _ d’un instrument de cathédrale ou de couvent.

Chaque cathédrale, chaque diocèse, utilisait un plain-chant qui pouvait varier dans sa présentation. Les mélodies, l’ornementation, l’homophonie ou la polyphonie étaient autant de paramètres qui fluctuaient _ oui _ en fonction des lieux et des traditions. Au XVIIᵉ siècle, le compositeur Henry Du Mont écrit plusieurs Messes royales en plain-chant musical. Ces œuvres sont idéales _ voilà _ pour la pratique de « l’Alternatim », c’est à dire un dialogue alterné entre les versets de l’orgue et l’ordinaire de la messe, suivant ici la technique du chant sur le livre _ voilà _ qui rajoute une ou plusieurs voix, dont certaines sont improvisées _ tout cela étant important… Ainsi, tout le texte de la liturgie est _ ainsi _ exposé soit à l’orgue, soit au chœur. C’est la Messe du 6ᵉ ton de Dumont qui a été choisie ici pour s’insérer harmonieusement avec les interventions musicales de Couperin pour sa Messe pour les Couventset la Messe IV « Cunctipotens genitor Deus » choisie par Couperin lui-même pour celle « à l’usage des Paroisses ».

Fidèle à cette pratique du chant sur le livre, Jean-Yves Haymoz dirige le groupe vocal _ éponyme _ en mettant l’accent sur la variété des interventions : plain-chant tantôt à la basse, au ténor, à une ou plusieurs voix, faisant de cette version une découverte _ généreuse et superbement venue _ dans toutes les possibilités que peut offrir une simple ligne de mélodie latine. Les six voix mixtes du petit groupe vocal _ Clémence Carry, Marthe Davost, Jeanne Lefort, Cyril Escoffier, Marc Mauillon, Jean-Marc Vié _ forment ainsi un ensemble équilibré _ oui _ qui joue à parts égales _ oui _ avec l’orgue. Le déroulement musical de la Messe est ainsi complet, y compris le motet incontournable placé à la fin de la cérémonie, juste avant la conclusion de l’ensemble : le fameux Domine salvum fac Regem (Seigneur, sauvez le Roy).

Cet enregistrement devient désormais _ voilà ! _ l’une des références _ discographiques _ de l’œuvre en ce lieu emblématique _ qu’est la Chapelle Royale du Château de Versailles, achevée de construire en 1710 _ où François Couperin fut lui-même organiste titulaire. Sa musique rayonne _ oui, en tendresse et humilité _, portée par des musiciens spécialistes de cet art baroque français. Encore un très bel ensemble dans la collection autour de l’orgue historique du Château de Versailles, enrichi par une prise de son véridique et une iconographie très soignée.

Pour commencer,

j’écoute en boucle le merveilleux CD Château de Versailles CVS082 de la sublimissime discrète « Messe propre pour les couvents«  _ avec, intercalé, le plain-chant tiré de la « Messe du Sixiesme ton«  de Henry Dumont _, par Olivier Latry aux Grandes Orgues de la Chapelle royale du château de Versailles, et l’Ensemble vocal « Chant sur le livre » dirigé par Jean-Yves Haymoz _ un CD enregistré du 5 au 9 janvier, et /ou bien du 4 au 6 avril 2022…

Avec ici en court extrait (de 3′ 39) cette vidéo-ci

Une réalisation musicale et discographique splendide ! _ quelle élévation de tout ! _,

d’Olivier Latry et Jean-Yves Haymoz, donc…

Ce mardi 9 mai 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

La superbe et très féconde démarche exploratoire, avec le chercheur Olivier Fourès, de l’excellent Ensemble Le Consort : le merveilleux (et très riche de sublimes découvertes) CD « Vivaldi Chelleri Ristori – Teatro Sant’Angelo », avec le charme profond, tendre et intense de la mezzo-soprano Adèle Charvet…

06mai

Comme en un luxueux merveilleux _ et assez inattendu _ complément à mes réflexions sur la démarche exploratoire si féconde du répertoire de ténor de Michael Spyres en son récent très impressionnant CD Erato « Contra-Tenor«  _ cf mon article détaillé d’hier vendredi 5 mai « «  _,

voici, ce samedi 6 mai, la révélation d’un tout aussi merveilleux _ inattendu et magnifiquement bienvenu _ CD, le CD « Teatro Sant’Angelo« , Alpha 938, de l’Ensemble Le Consort _ sous la direction très en verve du superbe violon du grand Théotime Langlois de Swarte ! _ et la mezzo-soprano Adèle Charvet,

consacré au répertoire passablement _ et bien à tort !!! _ méconnu d’opéra baroque du Teatro Sant’Angelo, à Venise,

à l’époque _ de 1713 à 1739 _ qui a vu le triomphe opératique vénitien d’Antonio Vivaldi (Venise, 4 mars 1678 – Vienne, 28 juillet 1741),

et qui vient nous révéler ici quelques sublimes _ mais oui, véritablement !!! _ airs, non seulement du grand Vivaldi lui-même, mais aussi de quelques uns de ses confrères compositeurs d’opéras contemporains, méconnus, eux _ et, peut-être scandaleusement, à tort ! _,

tels, entre quelques autres encore, Fortunato Chelleri _ en fait  Keller, du nom de son père, allemand ; sa mère est une Bassani, de Padoue ; mais il est né à Parme… _ (Parme, 14 mai 1687 – Cassel, 14 décembre 1757), et Giovanni Alberto Ristorni (Bologne, 1692 – Dresde, 7 février 1753),

lesquels, il est vrai, ont vécu et exercé surtout en Allemagne, où tous les deux, au terme de leur carrière, sont décédés _ mais le vénitien Vivaldi est, lui aussi, décédé loin de Venise : à Vienne, le 28 juillet 1741…

Et au passage,

saluons bien volontiers le très fécond travail d’abord de recherche, et puis de découvertes, à Venise _ dans le trésor des richissimes archives des bibliothèques de Venise ; ainsi, cf sur ce blog « En cherchant bien« , mes précédents articles «  » et «  » des 23 février et 12 mai 2022  _, puis de préparation musicale pour ce CD « Sant-Angelo » _ avec Sophie de Bardonnèche, Justin Taylor et Adèle Charvet, comme indiqué en page 3 du livret _, d’Olivier Fourès,

qui signe aussi le passionnant texte du livret, intitulé « Coulisses vénitiennes« …

Et voici _ avec des ajouts (en vert) de ma part, dont des liens d’accès à pas mal de podcasts d’airs à écouter ici ! _ ce que, de ce bien beau CD, déclare Pierre Degott, sur le site de ResMusica, en un article intitulé « Une soirée au Teatro Sant’Angelo avec Le Consort et Adèle Charvet« , en date du 3 mai dernier :

Une soirée au Teatro Sant’Angelo avec Le Consort et Adèle Charvet

 …

Dans un programme fait de quelques tubes vivaldiens et de nombreuses raretés – dix airs donnés en première mondiale –, Adèle Charvet et l’ensemble Le Consort nous font revivre quelques soirées d’un des plus emblématiques théâtres vénitiens. Espérons _ oui ! _ que cet album sera le hors-d’œuvre de grandes aventures à venir.

L’intérêt de ce beau CD est double. Sur le plan musicologique, il nous emmène vers la lagune afin de découvrir le répertoire _ bien trop méconnu jusqu’ici (et c’est même scandaleusement incompréhensible !)  _ d’un des plus célèbres théâtres de la Sérénissime, le Teatro Sant’Angelo. Comparé au San Giovanni Grisostomo ou au San Giovanni e Polo, théâtres officiels de la noblesse vénitienne, le Sant’Angelo était le lieu « alternatif » et « populaire » _ voilà… _, aux moyens plus restreints certes, mais à la créativité musicale toujours permanente et débridée _ cela s’entend ici, et se savoure ! Quelle inventivité ! C’était, de 1713 à 1739 _ des dates bien sûr importantes… _, le théâtre de Vivaldi, dans lequel il prete rosso fit représenter une vingtaine _ pas moins _ de ses propres opéras. C’est là que furent créés L’Olimpiade, Arsilda, regina di Ponto, La verità in cimento et L’incoronazione di Dario, tous représentés sur l’album _ et avec quels airs !!! Dont « Sovvente il sole«  extrait de l’opéra Andromeda liberata (créé à Venise en 1726), un opéra découvert à Venise par Olivier Fourès. Le programme fait la part belle également à deux musiciens aujourd’hui _ incompréhensiblement… _ oubliés, mais qui, dans l’ombre de Vivaldi, ont également assuré autrefois le pain quotidien du théâtre _ tous deux, il est vrai, ont surtout vécu et exercé en Allemagne, où ils décéderont : Ristori (né à Parme), en 1753 à Dresde ; Chelleri-Keller (né à Bologne), en 1757, à Cassel… De Giovanni Ristori, on entendra trois airs extraits de son opéra Cleonice, ainsi que quelques pièces tirées de ses opéras Temistocle, Arianna et Don Chisciotte. De , musicien surtout connu pour ses activités en Allemagne, on entendra deux extraits de son opéra Amalasunta, ainsi qu’un mouvement de sonate. Mélodies ensorcelantes _ voilà… _, soutenues par un accompagnement souvent réduit à sa plus simple expression, mais toujours sobre et efficace _ et comment ! On goûtera encore davantage les airs « Il mio crudele amor » de et « Patrona reverita » de , respectivement accompagnés d’une simple basse continue ou d’un théorbe. On rêve d’assister à l’une de ses soirées du Sant’Angelo, surtout lorsqu’on entend l’extrait _ bien trop bref (1′ 24) ! _ de Don Chisciotte _ créé à Dresde le 2 février 1727 _, ouvrage visiblement héroïco-comique reposant sur le mélange des genres, concept théâtral impensable dans la France de l’époque, mais depuis Monteverdi (1567 – 1643) et Cavalli (1602 – 1676) typique _ en effet _ de l’opéra vénitien populaire que nous redécouvrons aujourd’hui.

L’autre intérêt _ proprement musical, lui _ de l’album réside dans l’interprétation _ splendide !!! _ toute en ombres et lumières _ oui ! _ de la jeune mezzo-soprano Adèle Charvet _ née à Montpellier le 25 mai 1993 _, encore peu connue au disque des amateurs de musique baroque. Sa voix possède tout le moelleux et le velouté d’un contralto comme Kathleen Ferrier, dont elle sait recréer le mélange de calme, de douceur et d’intensité. Contrairement à son illustre prédécesseure, elle sait également s’enflammer dans les pages virtuoses qui parsèment l’album – « Siam navi » de L’Olimpiade et « Con piu diletto » de La verità in cimento, par exemple –, ne redoutant ni les vocalises les plus hardies, ni les intervalles les plus audacieux qui font tout le prix et toute l’expressivité _ aussi percutante qu’intensément prenante _ de ce répertoire. C’est néanmoins dans les pages sobres et mesurées que nous préférons nous régaler des couleurs cuivrées de ce bel instrument. Nous ne mentionnerons que le « Nell’onda chiara » de l’Arianna de Ristori, aux sonorités véritablement planantes et envoûtantes _ oui. L’ensemble , dirigé depuis son violon par , n’est est pas à sa première incursion dans la musique vénitienne. Devant tant d’affinités avec ce répertoire, nous ne pouvons que souhaiter _ oh oui ! _ que soit explorée plus avant la programmation originale et innovante des théâtres dits « secondaires » de la Sérénissime.

Teatro Sant’Angelo.

Michelangelo Gasparini (1670-1732) : « Il mio crudele amor » extrait de Rodomonte sdegnato.

Fortunato Chelleri (1690-1757) : « Astri aversi » et « La navicella » extraits de Amalasunta ; adagio de la Sonate en trio en sol majeur.

Giovanni Alberto Ristori (1692-1753) : « Con favella de’ pianti », « Quel pianto che vedi » et « Qual crudo vivere » extraits de Cleonice ; « Su robusti » extrait de Un pazzo ne fa cento, ovvero Don Chisciotte ; « Aspri rimorsi » extrait de Temistocle ; « Nell’onda chiara » extrait de Arianna.

Antonio Vivaldi (1678-1741) : « Siam navi » extrait de L’Olimpiade RV 725 ; « Sovvente il sole » extrait de Andromeda liberata RV 749.27 ; « Ah non so, se quel ch’io sento » extrait de Arsilda, regina di Ponto, RV 700 ; « Con più diletto » et « Tu m’offendi » extraits de La veritá in cimento RV 739 ; « Quella bianca e tenerina » extrait de L’incoronazione di Dario, RV 719.

Giovanni Porta (1675-1755) : « Patrona reverita » extrait de Arie nove dà batello.

Adèle Charvet, mezzo-soprano ; Ensemble Le Consort, violon et direction musicale : Théotime Langlois de Swarte.

1 CD Alpha.

Enregistré en février 2022 au Temple du Saint-Esprit, Paris….

Notice en français, anglais et allemand.

Durée : 66:10

Cf aussi l’article intitulé « Adèle Charvet Teatro Sant-Angelo » de Charles Sigel, paru le 15 avril 2023 sur le site de ForumOpera.com

15 avril 2023
La fougue et le velours

C’est à la fois l’évocation d’une maison d’opéra disparue, et, partagé entre airs de bravoure et lamenti, le portrait d’une jeune voix se confrontant à un répertoire en grande partie méconnu.


Du Teatro Sant’Angelo de Venise, il ne reste rien, sinon un arrêt du vaporetto, qui perpétue son nom, un campiello et un ramo _ une impasse _ « del teatro ». Il était au bord du Grand Canal, côté gauche en descendant, juste avant la grande courbe de Ca’Foscari. C’est là qu’à partir de 1713 et jusqu’en 1739 Vivaldi fut une manière de multitâche, à la fois impresario, directeur musical et compositeur, suivant l’écriture et l’adaptation des livrets, dirigeant les opéras des autres (tout en précisant « Jamais je ne joue avec l’orchestre, à l’exception de la soirée d’ouverture car je ne m’abaisse pas [sic] à faire le métier d’exécutant »). Il y fit représenter une vingtaine de ses propres opéras (sur une cinquantaine recensée). Il ne manquait pas d’adversaires dont le vindicatif Benedetto Marcello, dont la famille était co-propriétaire du théâtre, qui écrivit un pamphlet, Il Teatro alla moda, qui touchait plus ou moins directement le Prete Rosso.

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© Tom Garcia

C’est le musicologue (et violoniste) Olivier Fourès qui a élaboré _ oui _, avec Adèle Charvet et Théotime Langlois de Swarte, le programme de ce disque, qui veut raconter pittoresquement _ avec un choix de quelques sublimes airs d’opéra qui y ont été donnés _ l’histoire de ces théâtres bourdonnants où se perpétuait un genre, celui de l’opéra à la vénitienne, né ici en 1637, à l’ouverture du premier opéra payant, le San Cassiano, mais dont le véritable père spirituel avait été Monteverdi avec Il Ritorno d’Ulisse (1640) puis Le Couronnement de Poppée (1641).

Production courante

Il s’agit donc ici d’un florilège d’airs _ voilà _ qui ont le point commun d’avoir été créés _ ou donnés _ au Sant’Angelo, petite salle ouverte en 1677, beaucoup moins dotée que les cossus San Giovanni e Polo ou San Giovanni Grisostomo, très productive, plutôt à bon marché, célèbre pour ses tempêtes en carton-pâte, ses grottes de Neptune et autres palais d’Armide ou île d’Alcina en toiles peintes. Comme le San Cassiano qui avait connu des heures glorieuses, mais se survivait à lui-même, le Sant’Angelo était un théâtre au budget modeste, attirant un public populaire. Il faisait flèche de tout bois et n’avait pas les moyens de s’offrir les dispendieux castrats, dont les cachets mettaient les impresarii sur la paille.

Une corporation de plumitifs produisait des livrets au mètre, versifiant Homère ou l’Arioste. Ici, Grazio Braccioli, Angelo Costantini, Stefano Benedetto Pallavicino, Domenico Lalli, Giovanni Palazzi, tous personnages dont les noms ne parlent plus guère qu’aux spécialistes. Le plus sollicité, copié, recyclé étant l’inépuisable Métastase (ici représenté par deux de ses livrets, L’Olimpiade pour Vivaldi et Temistocle pour Ristori).

Clichés à tous les étages

De belles histoires qu’on connaissait déjà _ oui _, des décors qui bougent, des voix si possible spectaculaires… Quelques musiciens dans la fosse, une dizaine, répétant en hâte une partition elle aussi peu chiche en clichés. Airs de bravoure ou déploration larmoyantes, tout était codé _ en effet _ et les spectateurs en redemandaient. L’opéra était un genre de consommation courante, et les salles, avec leurs loges, des lieux de sociabilité, voire de rencontre, sorbetti à l’appui _ en effet…

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Le projet de reconstruction du Teatro San Cassiano

Dans l’écosystème de l’opéra les musiciens étaient nécessaires, à défaut d’être suffisants. Sont mis en avant ici deux honnêtes professionnels, qui, dans leurs années de jeunesse _ ils sont nés en 1687 et 1692 _ vinrent recevoir l’influence de Vivaldi.


Ainsi Fortunato Chelleri passa-t-il par Venise au cours de sa vie de musicien itinérant _ notamment de par les cours allemandes… L’opéra ne sera pas l’essentiel de sa production (il n’en composera que dix-sept, performance moyenne selon les critères de l’époque); il sera surtout maître de chapelle à Würzburg et Cassel. Un Alessandro, une Pénélope feront peu de succès au Sant’Angelo, mais son Amalasunta, Regina dei Goti (1718) y réussira mieux (le livret s’intéressait à Téodogonde Amalasunta, fille de Théodoric…)

Une Europe italophile ou italomane

Giovanni Alberto Ristori y fait aussi un bref _ oui _ passage. En 1713, Ristori arrive à Venise avec son père, qui dirigeait une troupe de comédiens à Dresde _ voilà. Vivaldi lui commande un Orlando Furioso (livret de Grazio Braccioli). L’opéra est représenté plus de 40 fois, raconte Olivier Fourès. Deux ans plus tard, il repart à Dresde (qui sera pendant trente ans sous un prince très italophile, Auguste III, le bastion de Johann Adolf Hasse, disciple à Naples de Porpora et d’Alessandro Scarlatti, et de son épouse chanteuse Faustina Bordoni, d’ailleurs vénitienne) ; puis Ristori créera une troupe à Saint-Pétersbourg, autre capitale italianisée ; il y fera venir des musiciens du Sant’Angelo, dont les Madonis, Luigi le violoniste et Antonio, le corniste, le hautboïste Dreyer ou Girolama Valsecchi (femme d’Antonio Madonis), contralto célèbre pour son expressivité, qui avait justement fait ses débuts à Venise dans l’Orlando avec la Campioli et la basse Carli, et que sa carrière avait menée de Bruxelles à Prague, de Munich à Brno.


Ainsi la musique italienne circulait-elle dans toute l’Europe _ voilà ! _, dans les bagages de troupes itinérantes _ oui _, celles des Denzio, Ristori, Bioni, Peruzzi, Galeazzi _ toutes ces précisions sont très intéressantes !

© Capucine de Chocqueuse

© Capucine de Chocqueuse

La flamme qui transcende les poncifs

Disque inattendu _ oui : le terme m’est aussi venu sous la plume… On aurait pu penser qu’Adèle Charvet profiterait du répertoire vénitien pour montrer son timbre de mezzo dans toute son opulence, qu’elle aurait déniché quelques airs spectaculaires pour mettre en valeur tout ce qu’elle a conquis dans le registre grave.
Or c’est autre chose qu’elle donne à entendre ici : un florilège d’airs (dont beaucoup inédits au disque _ oui _) souvent dans le registre central, tout en s’offrant tout le catalogue des ornements brillants, où sa voix scintille à l’envi.

Des airs qui, s’ils sont inédits ou méconnus, donnent, avouons-le, l’impression qu’on les a déjà entendus quelque part _ ce n’est pas là mon opinion _, et ne valent qu’interprétés par quelqu’un qui en transcende les poncifs. Et avec une générosité qui les dépasse. C’est le cas avec la jeune mezzo-soprano, dont on sait quelle flamme l’anime _ oui ! Et c’est bien là l’essentiel !..

Ainsi des deux extraits d’Amalasunta de Chelleri. Le premier air, « Astri aversi » coche toutes les cases du canto fiorito, coloratures escarpées, introduites par des violons, puis tout l’orchestre agitato, aria di furore, expressif par sa virtuosité. Reprise avec de nouveaux ornements, aussi nets qu’inventifs, trilles impeccables, sur des basses tempétueuses, agilité sur toute la tessiture, très longue, énergie, la démonstration est brillante _ oui !
Le second air, « La navicella », tout en lignes mélodiques qui s’entortillent, contemplatif et charmeur, semble le parangon du chant spianato et offre à Adèle Charvet prétexte à montrer la belle homogénéité de sa grande voix (et ses graves) sur un tissu moiré de cordes entrelacées.
Un de ces airs vénitiens à la Vivaldi dont on se demande s’ils n’ont pas été écrits lors d’un déplacement en gondole, tant l’écriture y semble nautique, avec ondes et vaguelettes.

© Robin Davies

© Robin Davies

L’intéressant Ristori

Chant spianato encore dans l’aria « Con favella de’ pianti », extrait de la Cleonice de Ristori, air dont on oublie la mélodie passablement répétitive sur un ostinato de cordes qui semble pasticher Vivaldi pour n’écouter que le beau phrasé, le velours du timbre de la chanteuse _ oui _, et les couleurs blêmes qu’elle suggère. Du même opéra, l’aria « Quel pianto che vedi » est d’un tout autre intérêt avec ses sauts de notes, ses grands traits et sa virtuosité dramatique, air de fierté où l’héroïne proclame ne pas vouloir de la pitié de son amant. « Qual crudo vivere » (Cleonice toujours), déploration toute simple, sur une phrase inlassablement descendante, est justement chantée avec autant de sincérité que de délicatesse _ oui _, et le parfum de nostalgie que suggère naturellement ce timbre.
Belles couleurs de voix, fantaisie, effets martelés et riche tissu orchestral à nouveau dans « Su robusti », extrait de Un pazzo ne fa cento, ovvero Don Chisciotte, du même Giovanni Alberto Ristori, air purement théâtral.

Mais c’est décidément dans le dramatique que Ristori est à l’aise.
Ainsi, extrait de Temistocle, « Aspri rimorsi », sur un texte de Metastase (qui sera repris par Mozart pour un air de basse) est un bel air sinueux, descendant vers le bas de la voix, avec des effets de notes non vibrées, de la sincérité dans l’expression de la douleur (de beaux graves, là aussi), une palette sombre, des dissonances, des frottements. Et une orchestration étonnamment riche. C’est l’une des belles plages de ce disque _ qui en comporte beaucoup ! _ et la musique est à la hauteur du texte : « Aspri rimorsi atroci, figli del fallo mio, Perché sì tardi, oh Dio, mi lacerate il cor ? – Âpres remords, atroces remords, Enfants de ma faute, Pourquoi avoir tant attendu, ô Dieu, Pour me déchirer le cœur ? »
Parfois Ristori semble pasticher Vivaldi. Ainsi « Nell’onda chiara », l’air d’Arione extrait d’Ariana avec ses pizzicati de cordes en tapis, sur lesquels la voix legato déroule ses courbes rêveuses dans une écriture centrale ne s’offrant qu’une incursion jusqu’au sibémol.

Vivaldi fait du Vivaldi

Mais Vivaldi aussi fait du Vivaldi. Voir « Sovvente il sole » (Andromeda liberata, 1726). Mais après tout, pourquoi changer une formule qui gagne ? De belles broderies du violon de Théotime Langlois de Swarte sur des accords imperturbables et, par-dessus, la voix d’Adèle Charlet : registre élevé radieux, legato, ornements en imitation du violon, musicalité partagée avec lui, complicité à faire respirer _ oui _ cette musique, et, pour Adèle, belle maitrise de la demi-voix avant un pont rêveur, puis une reprise aérienne, ondulant dans le très haut de la tessiture, merveilleusement transparent, jusqu’à un rallentando final par Le Consort, cordes et théorbe, tout en délicatesses et en écoute _ oui, oui.

© D.R.
© D.R.

C’est une musique que ses interprètes doivent aider

Dix ans plus tôt, l’aria « Ah non so, se quel ch’io sento » (Arsilda, regina di Ponto, 1716), introduit par le clavecin de Justin Taylor, sonnait plus âpre et la voix d’Adèle Charvet, qui semble frôler ses limites supérieures et s’y mettre en danger sur un tempo très lent, accentue encore le sentiment désolé, auquel semblent compatir le violon, le violoncelle et un théorbe. Pour le coup, on peut parler là de bel canto, tant ce sont les couleurs de la voix qui expriment le sentiment,
Si « Tu m’offendi » extrait de La veritá in cimento (1720) semblera reprendre une formule toute proche (plainte avec accompagnement dolent et ondulant, beau phrasé mélancolique, intégration des ornements, vocalises expressives à pleine voix, surtout jeu belcantiste sur les couleurs de la voix avec l’éternel bercement du gondolier), « Con più diletto » extrait du même opéra contrastera par sa gaieté : air fiorito, appartenant au genre codé des arie di riso, chanté par l’insolente Rosane avec les ornements prestes qu’il faut, sur un orchestre qui palpite : « Avec plus de plaisir, mon Amour / S’en va volant vers un autre objet. / Je me ris, fou, de tes pleurs / Si tu prétends m’ôter la liberté. »

Sous influence napolitaine

La pièce la plus tardive date de 1734, c’est l’aria « Siam navi » de L’Olimpiade. Olivier Fourès le considère « d’une autre époque, celle où la mode napolitaine envahit les théâtres vénitiens. C’est un langage plus uniformisé que le chaos « vénitien » qui faisait jusqu’alors feu de tout bois. Les systématiques trémolos, fusées et vocalises méridionales inspirent clairement Vivaldi, mais il s’agit probablement de la dernière flamme de l’opéra « vénitien ». Air agitato, souvent enregistré, qui fait penser à certains concertos vivaldiens fameux, comme La Tempesta di mare : périlleux sauts de notes, sollicitant le medium et le haut de la voix, avec grandes vocalises en triolets, sur un tempo foudroyant, d’une difficulté redoutable et dont Adèle Charvet se tire avec honneur. « Tutta la vita é mar » dit le texte. Vivre c’est naviguer sur une mer tempétueuse et le Consort le dit avec autant que virtuosité qu’Adèle Charvet.
« Les vents impétueux sont nos passions ». La passion du chant est en tout cas manifeste _ oui ! _ à tous les moments de ce bel enregistrement.

Un très beau, et très nécessaire, fruit du superbe travail et musical, et discographique, que ce très beau CD ;

avec des révélations musicales de toute première grandeur !!!

Et maintenant,

découvrons vite _ même si c’est risqué pour les investissements de l’édition discographique : un récital de très beaux airs trouvant ces derniers temps plus aisément le chemin déjà tortueux (faute, aussi, d’assez de médiateurs compétents et efficaces…) des mélomanes et discophiles, qu’un opéra entier, et d’un compositeur jusqu’ici inconnu, c’est sûr !… _ un opéra complet d’un de ces compositeurs jusqu’ici délaissés de la scène, du concert et du disque, tels qu’un Ristori ou un Chelleri-Keller, et redécouverts ici grâce aux recherches pionnières patientes et découvertes musicales de première grandeur _ insistons-y… _ d’un chercheur-expert audacieux et tenace _ et un peu compétent musicalement _, tel qu’Olivier Fourès…

Ce samedi 6 mai 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

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