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Décès hier 6 mai 2023 de Menahem Pressler, pianiste, et membre du Beaux-Arts Trio…

07mai

J’apprends à l’instant, en consultant le site de ResMusica, le décès à Londres, hier 6 mai 2023, de Menahem Pressler, né à Magdebourg le 16 décembre 1923.

Décès de Menahem Pressler

Le pianiste légendaire du Beaux Arts Trio, , est décédé à Londres le 6 mai 2023 à l’âge vénérable de 99 ans.

Né à Magdebourg le 16 décembre 1923 au sein d’une famille juive, quitte l’Allemagne nazie en 1938 pour se réfugier dans ce qui deviendra l’État d’Israël, où il reçoit sa formation musicale (Eliahu Rudiakov et Leo Kestenberg). De là, il émigre aux États-Unis et remporte le Concours Debussy de San Francisco en 1946. Il est alors engagé par Eugène Ormandy pour faire ses débuts américains avec l’Orchestre de Philadelphie, ce qui lancera sa carrière soliste. C’est à cette époque qu’il enregistre de nombreux disques pour MGM notamment dans des répertoires plutôt originaux : la Sonate, la Ballade et les Pièces lyriques de Grieg, La Boîte à joujoux de Debussy et les Histoires d’Ibert, Pour les enfants de Bartók, les 24 préludes op. 34 de Chostakovitch, la Sonate piano n°9 et 10 pièces tirées de Cendrillon de Prokofiev. En 1955, Pressler fait la connaissance par l’intermédiaire de Robert Casadesus (un fidèle soutien) du violoniste Daniel Guilet qui lui-même le met en relation avec Bernard Greenhouse (violoncelle). Ils formeront dès lors la première mouture du légendaire Beaux Arts Trio et malgré le renouvellement des membres au fil des décennies, il restera le pianiste du trio jusqu’à sa dissolution en 2008. Outre ses activités de chambriste, Menahem Pressler enseigna également à partir de 1955 à la Jacobs School of Music de l’Université de l’Indiana à Bloomington.

Pressler reprit une activité de soliste après le Beaux Arts Trio _ en 2008, donc _ et fit même ses débuts avec l’Orchestre Philharmonique de Berlin en 2014 !

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Outre sa discographie de soliste antérieure au trio, il enregistra pour le microsillon dans les années 1960 à Vienne divers concertos publiés par la Guilde internationale du disque. Cette partie de la discographie a été partiellement rééditée par Doron, Doremi et Forgotten Records. Le Beaux Arts Trio a de son côté enregistré et même réenregistré une bonne part du répertoire de trio avec piano (Mozart, Haydn, Beethoven, Schubert, Schumann, Brahms…), chez Philips. Tous ces enregistrements ont été réédités dans un gros coffret en 2015. Menahem Pressler s’est aussi produit et a enregistré avec d’autres ensemble, notamment le Quatuor Emerson. Enfin en soliste, il a gravé quelques disques pour La Dolce Volta et plus récemment encore (2018) pour Deutsche Grammophon. (JBdLT)

 

En forme d’hommage,

voici la vidéo _ d’une durée de 113 ‘ _ du concert _ Haendel, Mozart, Debussy, Chopin _ que Menahem Pressler a donné, en soliste, à Tokyo, le 16 octobre 2017…

Ce dimanche 7 mai 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

En post-scriptum,

voici aussi, en précieux et très éclairant complément, un magnifique témoignage _ quelle splendide très simple humanité ! _ extrait de divers entretiens (à Waterloo, Tampere, Verbier, entre 2010 et 2012) de Bernadette Beyne avec Menahem Pressler, publié le jeudi 11 mai sur le site de Crescendo :

Hommage à Menahem Pressler : « la profondeur de la musique est plus que tout au monde ! »

LE 10 MAI 2023 par Bernadette Beyne

Décédé l’âge de 99 ans, le doyen des pianistes avait accordé une interview à Bernadette Beyne, co-fondatrice de notre média Crescendo.

Depuis la dissolution du Beaux-Arts Trio -il donnait son concert d’adieu au Festival Mendelssohn de Leipzig le 23 août 2009, Menahem Pressler multiplie les concerts, tantôt en récital, tantôt en concertos, tantôt en musique de chambre avec de jeunes interprètes.

Je me souviens l’avoir rencontré  à la Chapelle Musicale Reine Elisabeth peu après la fin du Trio et et lui avais demandé comment il envisageait son avenir. D’emblée, il m’avait répondu : « Je continue… Pressler and Friends ! ». Lorsqu’il était venu recevoir son « ICMA Lifetime Achievement Award » à Tampere (Finlande) en mai 2011, il arrivait de Bloomington (USA) où il avait enseigné après avoir joué en concert la veille à Paris. Il était arrivé à l’aéroport d’Helsinki où l’attendait une voiture pour l’emmener à Tampere où il déposa sa valise à la réception de l’hôtel pour rejoindre aussitôt la répétition en salle avec l’orchestre. Le soir, il jouait le Concerto Jeunehomme de Mozart lors de la soirée de gala, une beauté indiscible. Depuis, l’artiste accumule les prix, les concerts, les masterclasses. Récemment sont parus un DVD consacré à sa vie et un CD de Sonates de Schubert. Le 16 décembre dernier, il fêtait ses 90 ans. Tout récemment, on le rencontrait en récital à Liège… (lire la critique de François Mardirossian)…

– Que signifie pour vous la musique ?


La musique n’est pas seulement importante, elle est simplement tout pour moi : mon amour, ma vie, mon existence, ma profession. Rétrospectivement, cela signifie encore plus du fait de mon exil. Lorsque je me suis enfui d’Allemagne en 1938, tout mon environnement a changé d’un jour à l’autre. La plupart des gens n’ont aucune idée de ce que cela signifie d’avoir à quitter l’endroit où vous êtes né, où vous avez grandi, où tout est familier, pour arriver dans un pays où prévalent d’autres coutumes et une langue que vous ne connaissez pas. La seule chose qui n’avait pas changé, c’était la musique. Je me souviens très bien que lors de mon arrivé en Israël, j’ai eu des problèmes de nutrition et je perdais de plus en plus de poids. La seule chose qui m’a gardé en vie était la musique, ma compagne dans les bons et les mauvais moments… Elle était l’air que je respirais, les pensées, les émotions que je vivais… Et les émotions sont importantes parce que la musique est le langage de l’émotion. Personne mieux que Bach, Beethoven, Mozart, Schumann, Brahms,… ne comprennent ces émotions qui enrichissent tellement nos vies et, finalement, les rendent vivables.

– Quels événements ont été les plus mémorables dans votre long parcours ?


Inoubliables, les rencontres avec mes différents professeurs. Très important, le prix que j’ai gagné en 1946, au Concours Debussy de San Francisco. Mon professeur ne m’y avait pas envoyé pour gagner, mais juste pour voir si j’étais assez bon pour envisager une carrière de concertiste. Le jury présidé par Darius Milhaud m’a donné le premier prix. C’était pour moi une responsabilité écrasante !


Très importante aussi, ma rencontre avec Arthur Judson, le fondateur de la « Columbia Broadcasting System » (CBS ), qui m’a fait signer un contrat à long terme. Il m’a fait jouer avec Eugene Ormandy et l’Orchestre de Philadelphie. C’était mon premier concert aux États-Unis. J’ai joué le Concerto de Schumann et j’ai aussitôt obtenu un contrat pour quatre concerts dans les quatre saisons suivantes. C’était la deuxième fois seulement qu’un soliste signait un tel contrat dans l’histoire de l’orchestre.


Une troisième événement important, c’est la création du Beaux Arts Trio qui a été presque le fruit d’un accident. Je faisais alors beaucoup d’enregistrements en soliste pour MGM -Schumann, Prokofiev, Chostakovitch, Ernst Bloch, Milhaud,…- et je voulais enregistrer de la musique de chambre, je pensais aux Trios de Mozart. Le directeur de MGM était d’accord, mais je devais trouver les partenaires pour former un ensemble. A l’époque, il n’y avait pas réellement de Trios constitués, des solistes se réunissaient pour jouer ensemble, et il y en a eu de fantastiques ! Après la guerre, j’avais passé un été à travailler avec Robert Casadesus à Fontainebleau. Il m’avait fait rencontrer Daniel Guilet (1899-1990) un violoniste russe dont le nom de baptême était Gullevitch et qui avait travaillé au Conservatoire de Paris sous la direction d’Enesco ; il avait fait ses débuts avec le très réputé Quatuor Joseph Calvet. Sous l’occupation, il avait rejoint les Etats-Unis grâce à l’aide de Casadesus, ce qui lui a sauvé la vie. Guilet était très proche du violoncelliste américain, Bernard Greenhouse qui avait étudié à la Juilliard School et plus tard avec Emanuel Feuermann et Diran Alexanian puis, finalement, avec Pablo Casals dont il fut un des rares étudiants officiels avant de devenir son assistant à l’Ecole Normale Alfred Cortot. Guilet me l’a présenté, « juste pour jouer Mozart »… et, plus de trente ans plus tard, il était toujours là… C’est ainsi qu’a commencé l’histoire du Trio. Nous étions sensés réaliser seulement quelques enregistrements et dissoudre le Trio dès la fin du contrat. Pour nous préparer, nous avons donné une série de concerts pendant un mois, puis nous avons été invités, en remplacement, au Festival de Berkshire à Tanglewood, la résidence d’été de l’Orchestre Philharmonique de Boston. Nous avons joué Beethoven (op.1 n°3, op.70 n°1, l’ Esprit, et l’Archiduc op.97). Un vrai succès ! C’était le 13 Juillet 1955. A la fin de la saison, nous avons réalisé que nous avions donné 70 concerts de musique de chambre ! Et nous avons abandonné l’idée de dissoudre l’ensemble… Robert Casadesus nous a introduits en Europe et notre carrière s’est envolée… Casadesus disait qu’il n’avait plus entendu un tel Trio depuis Cortot-Thibaud-Casals… Il exagérait, bien sûr, mais son enthousiasme était authentique. Nous lui devons notre carrière. Robert a également composé un trio pour nous, nous étions très proches.


Un autre moment mémorable, c’ est le jour où on m’a offert d’être « Artiste en résidence » avec des tâches d’enseignement à l’ « Indiana University ». Tout d’abord, j’ai refusé ; puis j’ai accepté à condition de considérer mon engagement pour un semestre. J’ai donc essayé d’y enseigner… Aujourd’hui, 55 ans plus tard, j’y suis toujours. J’aime enseigner _ voilà! _ ; mes étudiants viennent de partout dans le monde ; ils sont comme mes enfants et la fierté de ma vie.
Ce sont les points forts, mais il y a aussi d’autres moments très importants comme par exemple mon mariage. Je suis marié depuis 65 ans et j’aime ma femme comme au premier jour. Il y a aussi eu la naissance de mes enfants…

"Transmettre à la jeune génération" - Ici, à Tampere, lors d'une soirée conviviale à l'occasion de la remise des ICMA, le "Jeune Artiste de l'Année", David Kadouch, aux côtés du "Lifetime Achievement"
« Transmettre à la jeune génération » – Ici, à Tampere, lors d’une soirée conviviale à l’occasion de la remise des ICMA, le « Jeune Artiste de l’Année », David Kadouch, aux côtés du « Lifetime Achievement »

– J’ai lu le livre de William Brown consacré à votre enseignement. Vous y dites notamment que la partition est très importante…


Oui, bien sûr, c’est là que tout se trouve, c’est là qu’il faut chercher le sens profond de la musique. L’enseignement a été est est toujours très important dans ma vie parce qu’il est la façon de transmettre la musique à la jeune génération et de l’aider à éviter les erreurs que l’on a faites soi-même. Tout le monde fait des erreurs ; mais si pouvez aider les jeunes à trouver en eux-mêmes combien la musique est importante à côté de la technique et de la compréhension des styles, si vous pouvez les aider à trouver le profond « feeling », la profondeur de la musique, c’est très important et ce n’est pas facile : comment pouvez-vous dire à quelqu’un quelque chose pour laquelle vous n’avez aucune explication concrète. C’est un véritable défi. A Bloomington, je peux choisir mes élèves et ne prendre un étudiant qu’après lui avoir parlé : savoir comment il se voit, comment il voit la vie. Et je trouve toujours exactement les valeurs qui étaient les miennes : travailler longtemps et longtemps pour pratiquer l’amour pour la musique, faire le sacrifice de soi, mettre sa volonté à l’épreuve et trouver la satisfaction en dépit de l’effort et de la solitude dans laquelle on se trouve. Ces personnes, j’ai confiance en elles. Il y a des enseignants qui sont satisfaits lorsque les élèves sont techniquement au point. Cela ne me satisfait pas. Si vous avez appris le piano techniquement, vous devez aussi apprendre mentalement, vivre la musique au plus profond de vous-même. Il y a bien sûr le « know how », l’habileté à jouer de l’instrument. Mais le musicien professionnel doit offrir à son audience ce qu’est réellement, profondément la musique, celle de Mozart, Beethoven, Ravel, Debussy, Schubert,… Là est la différence avec le musicien amateur qui peut s’adonner pleinement à ses émotions ; il est libre. Le musicien professionnel doit veiller à ce que les émotions soient sculptées comme un arbre, garder leur contrôle et les exprimer de manière à ce que tout le monde puisse les comprendre.

– Vous parlez de vos « erreurs ». Est-il indiscret de vous demander d’en parler ?


(sourire…) Dans la vie, nous procédons souvent par essais et erreurs. Si vous sentez que ce que vous essayez de penser et de faire n’est pas vous, il faut avoir le courage de dire : « Non, ce n’est pas moi ». Il faut continuer en prenant un chemin qui est parfois opposé ; mais il faut le faire. Cela ne veut pas dire « vouloir faire plus beau » ; c’est autre chose ; c’est être totalement en accord avec soi-même.

Dans le livre qui vous est consacré, vous parlez des pianistes « qui en rajoutent »…


Oui, mais je parle là de fantastiques pianistes… Horowitz… J’ai connu Horowitz. Quand je l’écoutais, ce n’était pas sa fantastique technique qui me séduisait mais la beauté de ce qu’il faisait quand il jouait Chopin. Pour Argerich, rien n’est difficile, elle fait tout ce qu’elle veut, c’est fantastique « of course »,… qui n’aimerait pas cela ? Mais la musique est plus que Horowitz, plus qu’ Argerich. Prenez une simple sonate de Mozart, de Haydn, il y a encore plus que la beauté, il y a toute la profondeur du sentiment humain. Nous avons été les premiers à jouer l’intégrale des Trios de Haydn et c’est une chose dont je suis fier et surtout heureux : d’avoir vécu l’expérience, de les avoir fait connaître et aimer. Pour cet enregistrement, notre Trio a obtenu un grand prix à Londres, un prix qui avait été attribué aux plus grands artistes du moment : Gilels, Horowitz, Rubinstein, Heifetz. Pour nous, c’était vraiment un grand honneur et une grande joie.

Au cours de votre longue carrière, le monde de la musique a beaucoup changé, parfois pour le meilleur, parfois pour le pire. qu’est-ce qui vous a le plus impressionné à cet égard ? Comment vivez-vous ces changements ?


Aujourd’hui, nous avons maintenant un public beaucoup plus large qu’au début de ma carrière, et c’est très important. La radio et la télévision nous permettent d’atteindre des millions de personnes. Il y a aussi beaucoup de nouvelles salles de concert, nous « conquérons » aussi de nouveaux territoires, je pense à la Chine, à l’Inde… Je regrette par contre que l’on ne pratique plus la musique comme avant dans les familles. Je regrette également que le travail de relations publiques joue un rôle dominant _ hélas. De moins bons musiciens ont parfois plus de succès que de grands musiciens, tout simplement parce que le public n’a plus les mêmes exigences qu’avant, parce que l’apparence est plus importante que le contenu, que l’émotion contenue dans la musique .

Vous jouez Mozart, un compositeur souvent associé à une grande « simplicité »…


Ce que vous appelez « simplicité » est ce qui donne tant de joie. Il fut un temps où les concertos de Mozart étaient rejetés par de nombreux pianistes. Le grand Arthur Schnabel disait que c’était dû au fait que de nombreux étudiants en musique trouvaient que Mozart était trop facile pour eux… Les musiciens expérimentés savent qu’il est très difficile _ en effet… _ de jouer un concerto de Mozart. Et croyez-moi, même les plus grands musiciens sont et ont été confrontés à de tels défis. Heifetz, le musicien le plus parfait, a dû se battre ; Horowitz a dû se battre… Il y a quelques exceptions, Rubinstein par exemple, merveilleusement doué par nature ; il avait une relation très naturelle avec la musique. La simplicité est en fait essentiellement la pureté _ voilà. Jouer un concerto de Mozart est toujours un défi. Mais si vous y arrivez, c’est un grand bonheur, comme un grimpeur qui atteint le sommet de l’Everest.

Tampere, le 5 avril 2011, Menahem Pressler a donné à son public le "Jeunehomme" de Mozart en compagnie de l'Orchestre Philharmonique de Tampere dirigé par Hannu Lintu
Tampere, le 5 avril 2011, Menahem Pressler a donné à son public le « Jeunehomme » de Mozart en compagnie de l’Orchestre Philharmonique de Tampere dirigé par Hannu Lintu

Comment un jeune pianiste peut-il arriver à une telle pureté ?


Pour les jeunes pianistes ce n’est pas facile, parce qu’ils veulent mettre un peu d’eux-mêmes dans la musique. Le jeune pianiste se demande ce qu’il peut apporter de lui-même dans une œuvre. Je lui conseille par contre de se demander : « Qu’est-ce que je peux faire de la musique qui est devant moi ? Comment puis-je au mieux la servir ? » _ voilà.

Quelle a été votre recette secrète de longévité du « Beaux Arts Trio »… 55 ans…


Le secret est sans doute dans la force de la première rencontre _ oui. J’ai tellement appris des personnes que j’ai rencontrées, et aucune ne m’a autant touché que Guilet. Un grand musicien mais il n’était pas la personne la plus facile pour répéter et pour travailler. Travailler avec lui, c’était le sang, la sueur et les larmes. Le secret réside aussi dans les relations interpersonnelles _ oui. Si vous voulez vraiment faire de la musique de chambre, vous faites appel aux sentiments de vos partenaires. Un faux accent peut être considéré comme une insulte. Le cours des choses sera discuté, bien sûr, les arguments seront échangés, mais le partenaire aura l’impression qu’il y a un manque de respect mutuel. Et croyez-moi, de toute petites choses peuvent conduire à la discorde. Il faut donc être très prudent tout en sachant ce que l’on veut vraiment _ voilà : tact et exigence partagée.

– Vous donnez ce soir le Winterreise de Schubert avec Christophe Prégardien. Comment cela se passe-t-il ?**
C’est la première fois que j’accompagne un chanteur : c’est pour moi une expérience passionnante ; j’apprends _ voilà _ énormément, je suis à l’affût de son chant, de sa respiration… _ oui.

– Etes-vous confiant dans le futur ?


Pas dans le futur du monde, son écologie, ses armes. Mais une chose dont je suis sûr, c’est que la musique est ce qui restera dans le futur.

Propos recueillis par Bernadette Beyne
Waterloo, Tampere, Verbier 2010 – 2012

* Indiana University Press – Bloomington and Indianapolis, 2009
** c’était à Verbier en juillet 2012

Crédits photographiques : Martin Hoffmeister / ICMA

C’est magnifique d’humanité la plus vraie.

De René de Ceccatty, la pièce de théâtre « Frühling », au printemps de son magnifique parcours d’écrivain ; ou de quoi « parfaire un portrait déjà presque complet »…

17mar

En cette arrivée de printemps 2023,

voici que Bruno Smolarz,

que René de Ceccatty _ et sur son œuvre lire d’abord mon article du 12 décembre 2017, consacré à son livre (et chef d’œuvre !) décisif « Enfance _ dernier chapitre« , paru chez Gallimard le 2 février 2017« « , et celui du 24 mai 2016, consacré à son magnifique roman « Objet d’amour« , paru chez Flammarion le 30 septembre 2015  : « «  _ avait eu l’occasion de rencontrer, en 1977, lors de son long séjour au Japoncf son « Mes Années japonaises« , paru en 2019 ; sur ce livre, cf mon article du 20 avril 2019 : « «  _, tous deux avaient « sympathisé à l’Institut franco-japonais où nous enseignions ensemble« , à Tokyo,

vient proposer sa publication, aux Éditions Atéki, du tout premier texte paru, en l’occurrence une pièce de théâtre, de René de Ceccatty, rédigée à l’âge de seize ans, en mai 1968, créée à Montpellier le 21 juin 1969, puis reprise au mois de juillet 1969, pour 17 représentations au Festival d’Avignon, la pièce de théâtre « Frühling« ,

dont Bruno Smolarz a assez récemment découvert un des très rares exemplaires, relié et dédicacé (par René à son cousin Claude Antony _ auparavant, Bruno Smolarz s’était procuré chez un libraire à Paris la plupart des livres de René de Ceccatty que celui-ci avait dédicacés à l’ami Hector Bianciotti, décédé depuis, en 2012) _), sur Internet sur le catalogue d’un libraire de livres anciens… 

D’où ce désir amical de faire plus largement partager au lectorat fidèle de René de Ceccatty cet en quelque sorte opus 1 de son œuvre…

L’édition de ce livre-ci adjoint à ce « Fruhling » de 1968-1969 (aux pages 57 à 93),

outre un riche très intéressant Avant-propos de l’auteur intitulé « Sans coulisses ni rideau » (aux pages 15 à 43),

et un dossier de presse d’articles parus en Provence au mois de juillet 1969 (aux pages 97 à 113),

les tout à fait précieux témoignages d’aujourd’hui des deux autre interprètes, avec René de Ceccatty lui-même, de cette pièce interprétée à trois 3 fois à Montpellier, puis 17 fois à Avignon en juillet et juillet  1969 :

Nathalie Castagné (« Une autre présence« , aux pages 115 à 134),

et Colette Smirou (« L’échelle« , aux pages 135 à 149);

et enfin, extrait de « Personnes et personnages » _ dont René m’a fait cadeau d’un exemplaire, précédemment dédicacé de sa main à sa « chère mamie« , sa grand-mère maternelle Françoise (« douce et affectueuse« , née au Telagh, en Algérie, le 13 février 1893 et décédée à Bagnole-Sur-Cèze, le 23 mai 1983), et re-trouvé, lui aussi, par lui cette fois, chez un libraire de livres anciens, avec ces mots : « et pour Francis Lippa dont les recherches méritaient bien que ce livre fasse un long chemin pour lui arriver. Amicalement, René de Ceccatty, 38 ans plus tard le 18 octobre 2017« ... ; page 7, le livre est dédié « à Eilathan«  _, paru aux Éditions de la Différence, en 1979 (aux pages 193 à 221), la suite de « Frühling« , intitulée « Frühling II« , aux pages 151 à 212.   

Ce même 18 octobre 2017, René m’avait aussi adressé son merveilleux « Jardins et rues des capitales _ roman«  _ achevé d’imprimer le 25 septembre 1980, avec cette autre dédicace de sa main : « Pour Francis Lippa qui retrouvera dans ces pages une Italie qu’il aime et pourra parfaire un portrait déjà presque complet. Amicalement, René de Ceccatty, Paris le 18 octobre 2017« . Paru en 1980, et lui aussi aux Éditions de la Différence de Joaquim Vital et Colette Lambrichs. Un chef d’œuvre singulier absolument éblouissant _ le livre est toujours disponible en librairie.

Au delà de la diversité des genres abordés par ses multiples _ et très divers… _ livres , depuis, désormais, ce « Frühling » de 1968 qui paraît ce mois de mars 2023 aux Editions Atéki, et ce « Personnes et personnages » paru en 1979 aux Éditions de la Différence, et jusqu’à « Le Soldat indien » _ cf par exemple, et parmi plusieurs autres que j’ai consacrés sur ce blog « En cherchant bien«  à cet opus, mon article « «  du 3 février 2022  _ paru aux Éditions du Canoë de Colette Lambrichs le 4 février 2022,

l’œuvre de René de Ceccatty _ de même que sa personnalité ! _ comporte une très puissante lumineuse unité dont on perçoit de tous premiers bourgeons en cet opus quasi premier qu’est ce « Frühling » de mai 1968 _ « Bien que cette œuvre ait été écrite en mai 68, on n’y sent ni âpreté, ni révolte, ni surtout rien qui rappelle le souffle révolutionnaire« , écrivait la journaliste Annie Voiron dans un article du Méridional intitulé « Retrouvailles au Café-Théâtre avec « Frühling » » le 13 juillet 1969, peut-on lire à la page 101… Et à la page 99, une splendide photo de René de Ceccatty et Nathalie Castagné pris sur le vif d’un entretien avec le journaliste J. Faure à propos de « Frühling« , parue dans Le Dauphiné Libéré du 11 juillet 1969, en un article intitulé, lui, « Chez Janot Lartigue, trois étudiants renouvellent l’expérience du café-théâtre en présentant, dès ce soir, « Frühling ou le printemps de la vie«  »

Et je me permets de citer ici cet extrait _ qui n’a pas pris une ride ! _ de mon article du 12 décembre 2017 « « , à propos de l’indispensable « Enfance _ dernier chapitre » :

« ce merveilleux et magnifique chef d’œuvre pourquoi craindre le mot ? ou l’éloge ? je ne le gaspille pas, tout gascon pourtant que je suis _ qu’est Enfance, dernier chapitre

me paraît illuminer du miracle de sa force de vérité, et de sa considérable richesse et densité sans cesse dansante et virevoltante, traversée qu’elle est des lumineuses fulgurances, parfaitement dynamisantes, de ses « télétransportations«  : voilà, peut-être ai-je ici mis le doigt sur une clé décisive de son écriture-inspiration ! _ toute la décennie littéraire 2010 :

rien moins que ça ! Et j’insiste !

 Parviendrais-je, pour ma modeste part, à assez le faire bien entendre ?  j’y tiens beaucoup.
Partager ce qu’on place haut est un devoir d’honnête homme prioritaire : je n’aimerais pas demeurer seul dans la joie de mon admiration de lecteur ! Face à la misérable prospérité journalistique ignare, si aisément satisfaite de tant d’impostures grossières en littérature, cyniquement reposée sur le critère chiffré du « puisque ça se vend ! « , et partie prenante pseudo-culturelle du nihilisme régnant…

En effet, quasiment six mois de lectures-relectures hyper-attentives, plume à la main et qui encore se poursuivent _,

car j’ai très vite pris conscience que cet Enfance, dernier chapitre reprenait et prolongeait, en un très vaste geste de grande cohérence et d’archi-lucide approfondissement,

rien moins que l’œuvre entier,

ainsi que, plus fondamentalement encore _ puisque c’est l’intelligence sensible de celle-ci, la vie, qui constitue le fond de la visée de son écriture _, la vie entière de René de Ceccatty

vie entière reprise et éclairée, et magnifiée, par le travail hyper-scrupuleux (de la plus grande honnêteté) et d’une stupéfiante lucidité, de son extraordinairement vivante et palpitante écriture, sans temps mort, tunnel, lourdeur, ni faiblesses ! Quels défauts peut donc bien trouver encore René de Ceccatty à son livre ? Je me le demande… Montaigne trouvait-il, lui aussi, des défauts à ses Essais ? Ou Proust à sa Recherche ? Et que René de Ceccatty ne se sente pas accablé par ces comparaisons pour son livre !

Sur cet enjeu majeur de la lucidité de la visée de fond de l’intelligence même de sa vie _ sur ce sujet, se reporter au sublime raccourci, si essentiel, de Proust : « La vraie vie, c’est la littérature «  _,

l’enquête la plus probe et fouillée qui soit que mène ici René de Ceccatty, recherche rien moins que ce qu’il nomme son « enfance intérieure », en s’employant non seulement à débusquer-révéler-mettre au jour (et comprendre !) sinon ce que factuellement celle-ci fut, en son bien lointain désormais ressenti, au moins via quelques approximations ou équivalences de celui-ci, ce ressenti passé et enfui ; mais aussi esquisser ce que peuvent et pourront en être de coriaces effets dévastateurs, encore, à long terme, tels que ceux-ci parfois persistent en l’âge adulte, et souvent pour le pire ».

Ce vendredi 17 mars 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Ecouter au vol quelques unes des Inventions (« cantabile ») de Johann-Sebastian Bach, par Tatiana Nikolayeva, au piano, en concert à Tokyo, en 1977

26août

En écoutant ce matin France-Musique sur mon autoradio,

en conduisant,

j’ai entendu quelques unes des Inventions de Johann-Sebastian Bach (BWV 772 à 786),

interprétées par Tatiana Nikolayeva, sur un piano,

en concert à Tokyo, en 1977…

Et c’est assez bien…

Pour une œuvre à vocation d’abord pédagogique…

En sa sobriété dénuée de sécheresse, en matière de « jeu cantabile« ,

selon l’objectif principal que lui assignait leur auteur même, à destination de son cher fils aîné Wilhelm-Friedmann…

Ce jeudi 26 août 2021, Titus Curiosus – Francis Lippa

Le trio éruptif de la grande maison climatisée de Sendagaya, à Tôkyô, en juillet 1978 : en affinant le détail de mes relectures de « Mes Années japonaises » de René de Ceccatty

22avr

En poursuivant mes relectures du Mes Années Japonaises de René de Ceccatty

_ cf mon article d’avant-hier _,

je découvre d’infimes détails qui avaient échappé jusqu’ici à la vigilance de ces relectures,

et dans lesquels sont présents de judicieux indices de ce sur quoi René de Ceccatty ne désirait visiblement pas s’appesantir, mais qui révèle à qui sait le relever-déchiffrer  _ ainsi d’abord qu’à lui-même, aujourd’hui… _ bien des choses capitales !

Car c’est au lecteur, par la sagacité de son attention non superficielle, ni trop distraite ou oublieuse, de venir chercher _ un peu _ les déceler-repérer-découvrir, ces indices présents, et relier-contextualiser à d’autres indices de cet ouvrage-ci _ à d’autres pages  un peu éloignées de ce récit-ci _ou bien d’antérieurs de l’auteur _ dans l’œuvre duquel tout, découvre-t-on détail après détail (cf le modèle donné par le récit de L’Hôte invisible), se tient…


En poursuivant ces relectures, je repère en effet de très discrets détails  _ et certains capitaux pour l’intelligence du tout ! _, dont l’importance m’avait jusqu’alors échappée :
lire René de Ceccatty demande une grande _ et très suivie _ attention à de minuscules indices, présents, mais _ dans le flux allègre et très fluide du récit _ peu mis en évidence.
Ce qui, personnellement, me plaît tant !

Ainsi, par exemple, le quartier, puis la grande maison, de Sendagaya _ à Tôkyô _, maison climatisée obligeamment prêtée pour le caniculaire mois de juillet 1978 (page 225),
dont je n’avais pas jusqu’alors perçu _ le nom de Sendagaya, d’entrée, ne me parlait pas assez ! _ qu’y avaient séjourné, le mois torride de juillet durant, non seulement le couple formé par René et sa compagne Cécile, mais, surtout, le mélodramatique trio « hystérisé » que vient former avec eux deux, ce très chaud mois de juillet 1978, R., étudiant ami de René :
entre rires des uns
et larmes et plaintes de l’autre
_ un trio « inverse » du « trio anglais » des landes du Devon, en 1980 (nous est-il indiqué, à la page 225 aussi), un trio formé cette fois de René, R., et leur amie logeuse anglaise (une céramiste, amoureuse et connaisseuse du Japon ; et qui allait très bientôt épouser son ami sculpteur japonais de Kyôto, comme nous l’apprenons à la page 174 ; lequel ne tardera pas à venir la rejoindre en Angleterre ; ce qui allait amener René et R. à quitter la petite maison de poupée de Totnes pour venir-revenir en France, au mois de juillet 1980, et habiter désormais à Paris).
D’où l’importance aussi de ce que narrent les retrouvailles à Nice, bien longtemps après le Tôkyô de juillet 1978, de René avec celle qu’il nomme « l’ombre blonde » d’un autre trio _ précisément ce couple de Français qui avait prêté à René et Cécile, sa compagne d’alors, ce mois de juillet 1978, leur grande maison climatisée de Sendagaya ; et la maîtresse japonaise du mari… _ ;
trio marqué, lui aussi désormais, par la trahison et l’abandon _ puis la mort du mari, resté définitivement là, au Japon, avec sa compagne Japonaise.
D’où la place, alors, du rappel de l’écriture antérieure de Raphaël et Raphaël… 
Et c’est aussi ce même mois de juillet 1978 qu’avait eu lieu le « basculement » révélateur (page 93) de Kiyosato (dont le détail n’est pas, non plus, narré : l’auteur le laisse dans l’ombre protectrice du non-dit) :
probablement juste avant _ mais ce n’est pas clairement indiqué ; ce pouvait être pendant, ou après… _ le séjour de ce mois de juillet caniculaire dans la maison climatisée de Sendagaya, au bord de la rivière Kanda _ qui a suivi ce « basculement » de fond, profond, de l’esprit de René sur ses perspectives à long terme d’existence
Mais page 78 vient de nous être indiquée par l’auteur, la révélation-confidence, en une lettre à sa mère datée du mois de juin précédent _ lettre conservée, retrouvée et relue quarante ans plus tard _de la description _ mais absente, elle, ici ! seulement évoqué, le détail de cette confidence de René à sa mère ne nous est pas, lui, livré ! Vis-à-vis du lecteur, l’auteur demeure extraordinairement discret sur tout cela : que tient-il donc à protéger par là ? _ de « la situation où je me suis mis » (sic) avec R. formule tout de même parlante en sa sobriété ; mais qu’implique-t-elle plus précisément ? Le début, déjà, d’une cohabitation de René et de R. , à Ichigaya par exemple ? …
Et déjà, en une lettre précédente du mois de mai, pour l’anniversaire de sa mère (le 22 mai),
René lui avait signalé « un de mes étudiants à l’intelligence et à la culture exceptionnelles, avec lequel je vais voir des films japonais récents, de « cinéma d’auteur » » en fournissant _ l’archive conservée est en cela précieuse ! _ « son prénom et son nom »
D’où l’importance de ces expressions-ci
disséminées _ aux pages 66, 73, 93, 131, 225 ; et c’est moi qui les relie ici entre elles _ dans le cours du récit, alerte et fluide _ et fragmenté _, que, forcément, chapitre vif après chapitre vif _ sans nulle lourdeur, jamais ! _, nous suivons :
_ page 66 : « Le malheur (…), c’est en juillet 1978 qu’il advint. Ce malheur évident (…), tonitruant, ostentatoire, brutal et sélectif » _ sans plus de précisions : à quoi de tangible peuvent donc se rapporter de si étranges adjectifs ? Le lecteur curieux s’interroge, et reste sur sa faim… _ ;
_ page 73 : « L’événement de la catastrophe » _ comment éclate-t-il ? et en quoi consiste-t-elle ? _ ;
_ page 93 : « En juillet 1978, il y avait dix mois que j’étais au Japon. Et déjà tout était écrit _ inscrit dans la structure et la qualité de la situation (et sans doute aussi d’un genre littéraire appliqué à la vie…), mais sans de plus amples précisions, ici non plus. Tout, je crois. La fin de ma vie précédente _ avec Cécile _, le début de mon autre vie _ avec R. _, et, d’une certaine manière, la fin de cette autre vie _ avec R. _ aussitôt _ par anticipation de fatalité, ou obsolescence programmée. Nous sommes allés, R. et moi, dans les hauteurs, à Kiyosato.
J’avais oublié ce nom qui pourtant m’a obsédé pendant vingt ans.
C’est à Kiyosato que tout a basculé, que j’ai compris que c’était cette route-là que _ dorénavant _ je prenais,
la route du Japon, des traductions de littérature, d’une nouvelle forme de pensée, de rapport au monde.
Mais j’ai fait semblant _ alors _ de ne pas comprendre. Cela s’appelle probablement le refoulement. La culpabilité aussi » _ voilà.
_ page 131 : « Tous ces juillets _ précédents : de 1967 à 1977 : l’auteur vient de rapidement les passer en revueportaient en puissance le juillet le plus terrible, celui de l’année 1978 » _ le plus terrible en quoi ? _.
_ page 225 : « Dans les parages du quartier Sendagaya _ à Tôkyô. Ce mois de juillet 1978 réclame _ de celui qui, cet automne 2018, quarante annnées plus tard, écrit et se souvient _ une autre visite _ mentale : pour celui qui tâche, parfois très douloureusement, de se ressouvenir avec un peu de précision et justesse (tant objective que subjective) de ces épisodes difficiles et peu glorieux, plus ou moins efficacement refoulés, de son passé. Il ne compte pas pour peu dans le naufrage _ de quoi ? lequel ? Nous ne le saurons pas clairement. (…)
De ce terrible juillet 1978nous étions tous les trois _ tiens donc ! et c’est en cette unique occurrence, ici, que nous le découvrons, en un très furtif et quasi imperceptible passage, page 225 _ dans cette grande maison,
ne m’est pour ainsi dire rien resté _ de souvenir un tant soit peu tangible, par ces menues sensations ayant résisté à l’oubli _ que la chaleur _ de la canicule _, la voix de Jessye Norman chantant des mélodies françaises et les pleurs de Cécile.
Elle nous en voulait de ne pas pleurer. Elle accueillait nos rires _ ceux de René et de R. _ en pleurant plus fort » _ et c’est là tout ce qui sera dit de cette situation d’alors aux conséquences destructrices.
« Malheur« , « catastrophe« , « basculement« , « terrible » _ à deux reprises, dont un « le plus terrible«  _, « naufrage » :
soient d’éminemment significatifs qualificatifs pour désigner un jalon crucial  du « mélodramatique » épisode étiré _ le mot « mélodrame » est en effet prononcé page 145 : « Il y avait, accompagnant le mélodrame de l’adultère, une légèreté solidaire, probablement, de la duplicité, un comique, dont non seulement j’étais conscient, mais que je recherchais… » _ des années 1976-1980 pour René, Cécile et R. _ le malheureux trio (brossé en très rapides traits en ces lignes volontairement elliptiques, d’un dire demeurant très allusif) de la villa de Sendagaya, ce mois de canicule de juillet 1978 _,
entre Paris, Denain, Tôkyô _ à partir du mois de juillet 1978, pour ce qui concerne l’irruption-immixion physique de R. dans ce qui vient former provisoirement ainsi (mais c’est loin d’être fini) un trio dans la grande maison de Sendagaya (page 78) _, Paris, puis Torquay et Totnes _ au cours du printemps 1980 où l’affaire des atermoiements de cet incommode trio finira par se dénouer avec la rupture violente de Cécile, restée, elle, en France, et la dissolution finale du trio (page 173) _, et le retour-installation définitif à Paris, en juillet 1980 pour deux d’entre ce trio éruptif _ qui loueront alors une chambre de bonne « près du métro aérien de Passy », page 177 (et page 218)…
Cet été-là 1978, 
après le mois de juillet passé par le trio dans la grande maison climatisée _ prêtée _ de Sendagaya, 
le mois d’aôut, en suivant, fut passé par eux à Karuizawa (page 192) _ situé au nord-ouest de Tôkyô, en région montagneuse, Karuizawa se trouve dans la proximité immédiate des hauteurs de Kiyosato : que déduire de la chronologie des péripéties alors passablement chahutées du trio ? D’autant que René avait déjà commencé à louer, avant même le prêt pour un mois (celui de juillet) de la maison climatisée de Sendagaya, un second petit appartement, dans le quartier d’Ichigaya, non loin de son appartement de Kagurazaka… _ :
« Je savais l’atermoiement exclu_ poursuit l’auteur, page 193. Et en même temps, si déterminé que j’aie été, je me laissais porter _ jusqu’à l’ivresse existentielle _ par le flux. Je n’avais aucun sens des responsabilités _ certes _ et j’étais convaincu de ne pas me mentir à moi-même puisque je ne mentais pas aux autres. Erreur ».
Très vite, René avait en effet trouvé un second logement _ « J’ai déjà pris (dès juin) un second appartement : je vais de l’un à l’autre », page 78 _, à partager avec R., dans le proche quartier d’Ichigaya, pendant qu’il continuait de partager celui de la Villa Kagurazaka _ son logement officiel et le plus effectif à Tôkyô _ avec Cécile :
« Je ne sais plus jusqu’à quand j’ai gardé l’appartement d’Ichigaya où je fuyais Cécile _ voilà _ pour retrouver R. _ voilà, ici, c’est dit. Sans doute jusqu’à l’automne 1978 où Cécile _ n’en pouvant plus ! _ est repartie pour la France _ ce qui réglait au moins la question du double logement ; mais Cécile n’en appelle pas moins tous les soirs de France ; le lien entre elle et René n’est donc pas coupé. Et il ne le sera, par la violente lettre de rupture de Cécile, que dix-huit mois plus tard…
Pour louer cet appartement j’avais dû demander la caution d’un ami _ Kôtarô _ que j’avais mis au courant. (…) Il m’aida sans manifester le moindre trouble ni me poser aucune question », page 82.
« Et, sans m’interroger, sans me demander aucune justification, rien en retour, il avait signé un engagement à payer toutes mes dettes si j’en avais, la propriétaire l’ayant exigé parce que je n’étais pas japonais.
L’appartement était tout en bois, non loin de la rivière Kanda. (…) Toutes les pièces étaient à tatamis. Là aussi _ comme à la Villa Kagaramuza _, les voisins, de l’autre côté de la rue, jouaient au mah-jong », page 83.
Un dernier élément, page 204, m’intrigue fortement,
à propos des conditions _ qualitatives _ particulières du début _ à Tôkyô, au mois d’avril ou mai 1978 _ ainsi que de la fin _ à Paris, au retour de René de Spoleto, fin juillet 1994 _ de la relation sentimentale singulière de René et de R. :
« Quant à l’amour
_ le mot est prononcé ; et c’est, me semble-t-il, l’unique fois du récit _,
il était né _ au printemps 1978 _dans des conditions si douloureuses et tellement culpabilisées
_ lesquelles donc ? à part la situation (évidente) de l’adultère du trio, elles ne sont à nul moment approchées-détaillées-décrites d’un peu près… _
qu’il n’avait pu _ et ce tout petit mot, ici, est capital, comme impliquant quelque fatalité-destin irréfragable, ou quelque obsolescence quasiment programmée (?) ; voilà qui donne considérablement à penser, si peu que l’on consente à s’y pencher-méditer-réfléchir… _,
malgré quinze années de vie partagée _ de mai 1978, à Tôkyô, à juillet 1994, à Paris, donc _,
se déliter _ fin 1993 et le premier semestre de 1994, avec l’irruption (explosive) d’Hervé dans la vie de René _ qu’avec violence et absurdité ».
Et nous n’apprendrons pas davantage ici la raison de ces deux très fortes appréciations, non plus que le détail des circonstances impliquées par elles. Le récit en restant à ces allusives très brèves notations-affirmations.
Que veut-il donc décidément par là protéger, en révélant le moins possible ?..
Ne se trouveront, mais à propos seulement du début de cet amour, en 1978 (mais aussi 1979), que les expressions, intrigantes déjà pour n’être en rien, elles non plus, explicitées, page 134, de
_ « scènes violentes dont j’étais l’acteur ou la victime (qui) étaient beaucoup plus spectaculaires _ tiens donc ! _ que ce que je pouvais lire dans les romans japonais ou français que je découvrais ou expliquais en cours » ! ;
et de 
_ « la vie hystérique et contradictoire _ qu’est-ce à dire ? _ que j’avais mise en place _ comment ? _, ayant chassé Cécile, l’ayant renvoyée en Europe _ en septembre 1978 _ en prétendant l’aimer encore, alors que mes priorités étaient déjà tout autres, et que je préparais _ comment ? _ ma vie commune avec R. » ;
et cela, nous est-il précisé, à propos « de sentiments _ lesquels donc ? _ par lesquels je passais _ voilà ! ce fut donc assez complexe… _ durant l’année qui se déroula de mai 1978 à juin 1979 » :
soit jusqu’au terme de l’effectuation par René, à Tôkyo, de ses deux années de service national actif ; et son retour _ laissant R. , lui, à Tôkyô _ en juillet à Paris, où il retrouvera Cécile, pour encore sept (derniers) mois : en février 1980, René ira rejoindre R. _ ayant fait, lui, le voyage d’Europe _ en Angleterre, dans le Devon. Puis Cécile finira par lâcher enfin prise…
Il s’agit donc ici de la palette probablement assez composite (et contrastée) des « sentiments » de René à l’égard de R. , tels qu’éprouvés au fil de ces quatorze mois de résidence _ partagée _, alors, à Tôkyô…
Pour un peu plus de précisions sur les circonstances factuelles et le vécu repensé de la fin-délitement « avec violence et absurdité » (comment ?) de cet « amour » entre René et R., en 1993 et 94,
il nous faudra tâcher d’aller rechercher quelques bribes de précision dans les récits-romans consacrés à l’histoire d’Hervé, dont, principalement, en son début lui aussi passablement éruptif _ qu’en déduire ? une compulsion de répétition ?.. _Aimer.
Sur l’art d’écrire _ assez magique et merveilleux ! _ de René de Ceccatty,
je remarque cette appréciation que le narrateur-auteur porte lui-même, tout à la fin de ses Années japonaises, page 244, sur l’art de l’écrivain Henri Thomas,
dont il apprend, lui à peine arrivé à Tôkyô, le décès qui vient de survenir en France le 3 novembre 1993 :
Henri Thomas, 
« un écrivain que j’admirais _ voilà _ pour la mystérieuse façon fragmentaire, capricieuse, arbitraire, masquée _ oui pour chacun de ces adjectifs _ dont il livrait quelques épisodes de sa vie d’un passé plus ou moins éloigné. (…) Ses livres témoignaient _ avec délicatesse et élégance _ de ses passions, des drames qui frôlaient la tragédie sans y sombrer. Il en présentait la pénombre, l’aspect irrésolu : cet inachèvement faisait partie d’une métaphysique de son écriture, qui me séduisait » _ René de Ceccatty est aussi un extraordinaire auteur d’articles de lecteur de livres (ici pour Le Monde) : quel double art et de l’analyse et de la synthèse ! quelle vertigineuse acuité-profondeur-amplitude de perspicacité-intelligence de ce qui est !
Comment mieux caractériser que par ces mêmes mots employés pour l’art, ici, de Henri Thomas
ce qu’on pourrait qualifier, à son tour, si ce n’est de « métaphysique de l’écriture » _ il n’y a pas d’ambition d’ordre métaphysique dans l’écriture présente de René de Ceccatty ; à la différence de ses tout premiers essais d’écriture en son adolescence… _, du moins de magie splendide de l’art poétique du récit de René de Ceccatty ?
Et tout particulièrement en ce splendide Mes Années japonaises
Quant au fond traité  _ grave et essentiel pour la maturation humaine de la personne même de l’homme René de Ceccatty, en son compliqué parcours sentimental, au-delà de l’auteur de ses livres qu’il est aussi, même si les deux sont consubstantiellement liés !par cet archi-lucide Mes Années japonaises,
je dirai que
la conquête par René de la sérénité lui aura été, en effet, longue, compliquée _ à cahots répétés (mais pas chaotique !) : la compulsion répétitive d’impasses affectives n’ayant rien d’un chaos… _, et demeurée un peu longtemps fragile :
il lui fallait probablement découvrir son vrai « paysage intérieur » personnel,
ainsi qu’il le narre avec émerveillement aux pages 101 et 382 de son Enfance, dernier chapitre _ cf mon article du 12 décembre 2017 : … 
Au moins a-t-il su opérer-accomplir ici un lucide et splendidement sensible point-bilan _ peut-être enfin apaisant : c’est ce que nous lui souhaitons _ de ses étapes sentimentales japonaises _ en plusieurs strates : à Tôkyo (septembre 1977 – juin 1979), Torquay et Totnes (février-juin 1980), Paris et Brosses (juillet 1980 – juillet 1994) _ compliquées et mal réglées sur le vif, jadis _ parce que refoulées, non vraiment affrontées-assumées ; et qui continuaient de le travailler encore un peu, par intermittences, ne serait-ce qu’en quelques nocturnes cauchemars ; ainsi que, pour lui, écrivain, faute d’une écriture qui ait été alors à la hauteur des complications affectives à identifier-pénétrer afin de vraiment pouvoir les surmonter _ de son parcours sentimental de personne.
Et le récit qu’il nous en donne ici _ et maintenant, en un âge désormais quasi pleinement accompli ! _ est tout simplement magistral, en l’allègre et légère _ naturelle _ fluidité _ splendidement conquise _ de cette lumineuse _ dénuée de tristesse comme de pesanteur, et plus encore du moindre didactisme, est-il besoin de le dire ? _ écriture ;
celle-ci ayant désormais accédé à un vrai pouvoir, aussi _ pour lui-même _, de rémission thaumaturgique personnelle ; même si cela se situe, pour nous ses lecteurs, à la marge de notre lecture enthousiaste charmée.
À elle seule _ indépendamment, bien sûr, de tout le chemin d’écriture parcouru par l’auteur depuis ses tout premiers ouvrages de jeunesse _, par ses aperçus si justes sur le réel même _ mais oui, car c’est lui qui est ici rejoint _ du monde et des personnes,
la force rayonnante de beauté vraie (et sobre _ et musicale _) de son livre, se suffit à elle-même pleinement.
À suivre…
Ce lundi 22 avril 2019, Titus Curiosus – Francis Lippa
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