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Pour pause, lecture ce jour du terrible « Le jour où je n’étais pas là » (paru en 2000)…

28déc

Afin de conquérir davantage de repères biographiques (et de domiciliation _ à la page 174, j’ai relevé la significative phrase : « Seules les dates et les adresses résistaient à la multiplication de nos récits«  entrecroisés et parfois, voire souvent, contradictoires : ce qui amuse pas mal l’ironie très joueuse de la narratrice… _) des Cixous, Klein, Jonas, etc., qui me manquent toujours,

je viens de lire, puisé dans mon ample bibliothèque cixoussienne, « Le jour où je n’étais pas là« , paru aux Éditions Galilée en 2000, que je n’avais pas encore lu…

J’y ai trouvé une bien intéressante concomitance _ affirmée et clairement reconnue _ entre la grossesse du premier garçon né _ leur fille Anne-Emmanuelle, elle, est née, à Sainte-Foy-la-Grande, le 27 juillet 1958 _ d’Hélène Cixous et son mari Guy Berger, le petit Stéphane, nommé Georges, dans le récit _ le petit Stéphane Berger est né le 1er mai 1959, et lui aussi à Sainte-Foy-la Grande (en Gironde) ; et il décèdera à Alger, le 1er septembre 1961, où sa grand-mère maternelle la sage-femme Ève Cixous, née Klein, l’avait pris en charge, et s’occupait, en sa Clinique d’Alger, très soigneusement de lui, en sa fragilité d’enfant malade… _, et la construction de la Villa Èva, à Arcachon, au quartier des Abatilles…

Et Hélène Cixous, jeune agrégée d’Anglais, va en effet occuper un poste de Professeur d’Anglais au Lycée-Collège Grand Air d’Arcachon, à compter de la rentrée scolaire de septembre 1959 _ Chantal Thomas, alors arcachonnaise, l’a eu comme professeur d’Anglais, de septembre 1959 à juin 1962 ; cf mon article du 18 août 2018 : Un passionnant et très riche entretien avec la merveilleuse Chantal Thomas à Sciences-Po Bordeaux, le 8 mars 2018… ;

et Hélène Cixous eut à la fois pour collègue au lycée et pour voisin immédiat, au quartier des Abatilles, Jean Laurent, qui fut mon collègue de Lettres au Lycée Grand-Air quand j’y enseignais la philosophie, les années scolaires 1976-77 et 1977-78… _ ;

et cela jusqu’au mois de juin 1962, où elle obtint un poste d’Assistante d’Anglais à l’Université de Bordeaux…

Et quinze jours après le décès, à Alger _ auprès de sa grand-mère Ève et son oncle maternels Pierre Cixous _, de Stéphane-Georges, l’enfant mongolien d’Hèlène et son mari Guy Berger,

naît _ le 22 septembre, et peut-être, ou peut-être pas encore, à Arcachon, ce n’est pas indiqué… _ son frère le petit Pierre-François…  

Pages 70-71 de « Le jour où je n’étais pas là« , on lit cette tardive lettre-ci,

destinée au fils décédé il y a près de quarante ans, le 1er septembre 1961 :

« Lettre à mon fils auquel je n’ai jamais écrit de lettre

Mon amour, à qui je n’ai jamais dit mon amour,

 

J’écris dans la maison _ aux Abatilles _ que j’ai fait construire à cause de toi, en hâte de toi et contre toi tandis qu’Ève notre mère te gardait _ à Alger, et pas à Arcachon… _, je construisais je n’écrivais plus, au lieu de poèmes, je bâtissais je répondais en pierres à ton arrivée _ ce fut le 1er mai 1959, à Sainte-Foy-la-Grande _ pour les temps des temps, je t’accueillais, je te prévenais, j’élevais en vitesse une maison où nous garder et nous séparer, je faisais la maison où tu n’es jamais venu _ voilà. Maison achevée le premier septembre196-1 jour de ton propre achèvement _ à Alger.

Je ne pense jamais à l’origine de cette maison née de ta naissance. Dès que j’ai su ton nom du jour au lendemain j’ai _ alors, soudainement _ cessé d’écrire. 

J’écris dans cette maison que j’ai bâtie afin de ne plus jamais écrire. 

J’ai hérité de cette maison où je t’écris de ton interminable passage.

Je te dis tu, je te fais venir, je te tire hors du nid inconnu.« 

« Brève trêve de ce il, je prends dans mes bras le fantôme de l’agneau écorché« .

Et ces phrases aussi, que j’extrais de la page 111 :

« Aucun pressentiment _ qui aurait permis d’un peu se préparer. Et c’est alors. Arrive quelque chose, ce n’est pas rien, c’est un décret. La lettre dit : demi-tour. Et véritablement ici commence une vie. Tout d’un coup tout ce que je n’aurais jamais fait, je l’ai fait. Jusqu’à présent j’avais décidé de parcourir les différents continents. J’arrêtai mon périple au seuil de l’expédition, je cessai d’être nomade et je dressai _ Allée Fustel de Coulanges _ la maison du mongolien. Nous aussi nous vivrons dorénavant en compagnie des animaux affectueux. »

Et encore ceci, page 112 :

« Ce qui faisait maison c’était l’obéissance à Désignation l’envoyée des distributeurs de destins que je n’appelai pas Dieu cette saison-là. Je décidai _ aussi _ d’accroître nos corps sans perdre un instant, soucieuse du nombre et de l’harmonie du troupeau, je diluerai l’agneau sans nez à la laine râpeuse dans un bain d’agneaux bruns bien bêlants et musclés. Plus il y aura d’enfants tourbillonnants moins il sera l’attirant le fascinant. Je prévoyais l’irradiation. Contre l’éclat irrésistible du mongolien nous allions aligner toute une infanterie. Dans les mois qui suivirent _ ce 1er mai 1959 _ je lançai une grossesse en contre-attaque, sans m’affaiblir à y penser. Je parai. Je dressai. Nous élevons la maison _ voilà _ pour nous y enfermer autour de lui. Nous adoptons sa description. C’est une langue. Nous nous mettons à ses saccades, elle se jappe, elle se claudique, elle a ses froissements, ses frottements ses freins. Nous aussi nous aimerons la musique. J’entrai dans une adoptation méthodique. La peau du mongolien, grenue gauche gênée, je l’enfile je passe sur mon âme tout le costume.« 

Ainsi que, aux pages 113-114 :

« D’un jour à l’autre je fis conversion, et j’adoptai la fameuse ligne du mongolien celle que je n’avais pas remarquée tout de suite, le signe de reconnaissance caché dans la paume de la main. À l’âge de vingt-deux ans _ Hélène est née le 5 juin 1937 _ je venais de découvrir _ ce 1er mai 1959, à la maternité de Sainte-Foy-la-Grande _ l’autre monde du monde, et d’un seul coup. Personne ne nous avait avertis. Ma mère non plus la sage-femme allemande à Alger personne ne lui avait parlé des autres êtres humains quand même jusqu’alors nous, la famille _ des Jonas ainsi que des Cixous _, nous avions su que les autres êtres humains quand même c’étaient les Juifs c’est-à-dire nous, c’était nous notre famille _ des Jonas d’Osnabrück… _ qui d’une part se repliait et se multipliait pour résister à sa propre étrangeté, c’était notre propre maison _ de Nicolaiort 2, à Osnabrück _ assiégée qui finissait par craquer et céder et du jour au lendemain, ma mère _ en 1929 _ abandonnait la direction _ d’abord envisagée _ de Berlin et tournant le dos au nord allait en sens inverse, suivant l’indication de l’infinie impuissance qui contient lorsqu’on la retourne en sens contraire une infinie puissance. C’est ainsi qu’elle arrivait au Sud _ en passant par Paris, à Oran _ et aussi loin du centre et de l’origine qu’elle avait pu l’effectuer, tandis que par ailleurs les autres membres de la famille autre s’en allaient aussi au plus loin de la Ville la plus Ville _ Osnabrück, la ville de la paix… _ jusqu’aux portes les plus périphériques de la planète _ Johannesburg, le Paraguay, le Chili, l’Australie, etc.
Or à notre grande surprise voilà que nous étions débordés sur notre flanc par un peuple dont nous avions tout ignoré, et peut-être qui sait un peuple encore plus ancien et plus anciennement banni et nié que le nôtre mais qui n’avait pas alors d’historien. J’étais troublée, je sentis ma faiblesse philosophique, j’entrai dans des incertitudes concernant surtout les définitions les limites les frontières les barrières les espèces les genres les classifications, d’un côté n’étais-je pas née mongolienne ayant donné naissance à un mongolien, et donc née de sa naissance, mais d’un autre côté pensai-je la nature n’étant pas finie et définie mais non fermée, percée de trous par hasard tout ne pourrait-il pas nous arriver et nous être, dieu, un animal, ou l’immortalité, en passant par un de ces trous inconnus ?« 

Un opus magnifique, assurément.

Bien sûr, en tant qu’auteure-autrice (et aussi, et peut-être et surtout d’abord, réceptrice !) de ses livres, Hélène Cixous focalise le récit que son Livre _ car c’est à la fin des fins lui, le Livre, qui, chaque fois, vient ultimement décider _ lui dicte, en les échanges qu’elle, l’autrice, veut bien avoir avec lui, le Livre, en les méditations suivies de ces séances d’écriture auxquelles elle choisit de se livrer, sur les éléments qu’elle accepte et choisit d’intégrer au récit de ce Livre, et en en excluant bien d’autres possibles  jugés simplement ici et cette fois étrangers à la thématique majeure, et toujours questionnante pour elle, de ce Livre-ci une prochaine fois, peut-être…

Ses récits de vérité ne constituant jamais, non jamais, une autobiographie autorisée : ce qui va advenir en le Livre dépassant, et de loin _ et bienheureusement ! _, les aventures et mésaventures advenues et survenues à sa seule petite personne et son ego historique…

Ainsi, pour ce qui concerne les raisons de la construction de cette maison (qui deviendra bientôt, mais un peu plus tard, sa maison d’écriture…) d’Arcachon, qui m’intéresse ici,

l’autrice ne dit ici _ je dis bien ici : en ce Livre-ci… Ailleurs, un autre livre, ou aussi une simple amicale conversation, pourrait s’y attacher, et cela sans la moindre censure sienne… C’est le Livre qui décide… _ pas un mot de son mari (depuis 1955 et jusque fin 1964, où ils divorceront) et père de l’enfant Stéphane, qu’elle choisit de prénommer ici, comme son propre père, Georges : Guy Berger, titulaire d’un CAPES de philosophie depuis juillet 1956, et nommé alors à Bordeaux, où Hélène va poursuivre ses études d’Anglais, jusqu’à l’Agrégation, qu’elle obtient en 1959 ;

non plus que de la succession des postes d’enseignante qu’elle, Hélène, a occupés ces années 1957 à 1962 : d’abord à Sainte-Foy-la-Grande _ où sont nés successivement sa (ou plutôt leur) fille Anne-Emmanuelle (dite ici Nana), le 27 juillet 1958 ; puis son (ou plutôt leur) fils Stéphane (dit ici Georges), le 1er mai 1959 _, jusqu’en juin 1959 ; puis à Arcachon _ et  à ce jour, j’ignore le lieu (serait-ce à Arcachon ? peut-être pas encore…) où est né Pierre-François (dit ici Pif) Berger, le 22 septembre 1961 ; cependant, la date évoquée dans le récit rédigé demeure étrangement flottante, dans le récit qu’en fait l’autrice, page 69 : « D’ailleurs, lorque l’enfant Georges _ Stéphane _ était déjà décédé et enterré dans le Cimetière juif de Saint-Eugène, mon fils continuait à m’être vivant tout le temps que la nouvelle de l’événement ne m’était pas encore parvenue, ce qui se produisit juste avant la naissance de son frère _ le petit Pierre-François _, mon fils vivant _ à cette date du 1er mai 1999, quand Pierre-François vient chez sa mère rechercher (probablement pour les papiers nécessaires à son prochain mariage) leur vieux livret de famille, en partie démembré, « déchiqueté » même, dit-elle… « Il y a quinze jours », dit ma mère, en arrivant _ d’Alger, ce mois de septembre 1961 _ juste à temps _ Ève n’est-elle pas sage-femme ? _ pour le suivant _ la naissance de Pierre-François, dans le courant du mois de septembre 1961 : le 22, si l’on veut être précis. Il y a une quinzaine de jours, dix ou quatorze, qu’importe, on est à la croisée, déjà mort toujours vivant toujours un peu moins mort que mort, mais sur le livret de famille terme conseillé : décédé. Tout de suite après la nouvelle _ du décès, à Alger, de Stéphane _, mon fils le suivant _ Pierre-François _ entre _ en inscription réglementaire officielle de naissance _ dans le petit livre déchiqueté _ le livret de famille. Mais même alors. Jusqu’à ce matin je n’ai jamais lu le livre. Je n’avais jamais lu le livre. Je n’avais jamais lu la nouvelle. Il n’y avait pas de date«  _, jusqu’en juin 1962 ; et enfin à la Faculté des Lettres et Sciences humaines de Bordeaux, où elle vient d’obtenir un poste de Maître-Assistant…

_ la plupart de ces données biographiques-ci sont issues du volume intitulé « Hélène Cixous, Photos de Racines« , paru aux Éditions des Femmes au mois de juin 1994, sous les signatures conjointes de Mireille Calle-Gruber et Hélène Cixous ; et plus précisément, issues des pages 209 et 210 de la partie finale de l’ouvrage, intitulée « Lexique« , et rédigée par Mireille Calle-Gruber.

En ouverture, page 179, à l’intéressante partie précédente (des pages 177 à 207), intitulée, elle, « Albums et Légendes« , comportant 36 très précieuses photographies, et légendées, de la famille d’Hélène Cixous,

peut cependant se lire cette sévère phrase d’avertissement : « Toutes les biographies comme toutes les autobiographies comme tous les récits racontent une histoire à la place d’une autre histoire« .

À bon entendeur, salut !

Car ce sont les secrets de vérité les mieux enfouis et plus récalcitrants à elle-même

qui constituent le fond essentiel visé à retrouver _ en son actif et réceptif « rêvoir«  _ de la recherche enchantée éperdue, opus après opus, livre après livre, de l’inlassable infini _ « tant qu’il y aura de l’encre et du papier« , disait notre cher Montaigne _ chantier poétique à poursuivre et prolonger, toujours reprendre-préciser-approfondir, du très fécond Rêvoir _ de ce qu’offrent à re-visiter, toujours un peu plus à fond, de vivantes et mortelles vies chéries interrompues seulement physiquement ; mais les conversations avec de tels vivants bien que partis peuvent toujours se poursuivre et enrichir, grâce aux actualisations-révisions de l’infiniment précieux rêvoir… _ d’Hélène Cixous

Et cela, sur un fond général de drame historique à dimension foncière toujours d’universel. À complet contresens, donc, du moindre misérable ridiculissime narcissisme autocentré…

Les références-modèles d’Hélène en les conversations avec les éminents fantômes choisis de ses Livres, étant rien moins que ce que nous ont laissé en précieux héritage les chers et chéris Livres de conversations avec fantômes plus que vivants et essentiels d’Homère, Platon, Virgile, Dante, Montaigne, Shakespeare, Poe, Freud, Proust ou Kafka _ et désormais Derrida aussi _ : il me faudra, forcément y revenir.

À la lumineuse manière, tout spécialement, bien sûr, des conversations enchantées en sa tour (cf le minutieux passage, magnifique, de la page 116 de « Ruines bien rangées« ) du cher Montaigne, à son écritoire, en sa librairie avec poutres infiniment conversantes _ une fois l’ami La Boétie disparu _ de sa magique tour, entre terre et ciel, de Montaigne _ sur une butte entre Dordogne et Lidoire _, avec sa large vue enthousiasmante sur le plus profond et léger à la fois intense bleu du ciel, par dessus le sanglant tragique déchaîné des intestines guerres de religions contemporaines _ l’Histoire subissant aussi ses très sinistres répétitions, avait averti le bien lucide Thucydide…

Ce mardi 28 décembre 2021, Titus Curiosus – Francis Lippa

« L’Indignation, une passion morale à double sens » : un appendice à l’anthropologie politique de Michaël Foessel

08août

Mardi dernier 4 août, Michaël Foessel,

maître de conférences à l’Université de Bourgogne,

et conseiller de la direction de la Revue Esprit,

et auteur des très remarquables La Privation de l’intime _ mises en scènes politiques des sentiments, paru en octobre 2008 aux Éditions du Seuil,

et État de vigilance _ Critique de la banalité sécuritaire, paru en avril 2010 aux Éditions Le Bord de l’eau,

et qu’il a présenté dans les salons Albert-Mollat le mardi 18 janvier dernier, dans le cadre de la saison 2010-2011 de la Société de Philosophie de Bordeaux _ dont voici un comte-rendu (avec podcast intégré de la conférence) : Sur un lapsus (« Espérance »/ »Responsabilité ») : le chantier (versus le naufrage) de la démocratie, selon Michaël Foessel _

vient de publier dans la rubrique Rebonds de Libération,

un excellent article,

qu’il me plaît de répercuter ici,

avec de légers _ espérons ! _ commentaires :

L’indignation, une passion morale à double sens

Le titre du best-seller de l’année 2010 (Indignez vous ! de Stéphane Hessel) est paradoxal. On s’est étonné qu’un homme parvenu à un tel âge prodigue des leçons de révolte ; en réalité, le mystère est d’abord grammatical : peut-on conjuguer la colère à l’impératif ? Parler de l’indignation comme d’un devoir, c’est oublier qu’il s’agit d’une passion et que l’on ne commande pas aux sentiments comme aux pensées. Exiger d’une personne qu’elle s’indigne apparaît aussi peu censé que de l’obliger à aimer ce qu’elle avait tenu jusqu’ici pour insignifiant.

Pourtant, d’Athènes à Madrid, c’est sous la bannière de l’«indignation» que les manifestants se sont regroupés. Que les Indignés aient investi des places publiques démontre _ au moins par l’exemple _ qu’il existe entre la politique et certains sentiments un rapport privilégié. L’indignation ne se commande pas, mais une révolution ne se décrète pas non plus, elle advient à la manière d’un événement imprévisible. Les Indignés ont montré que cet événement révolutionnaire, même lorsqu’il ne se déploie pas jusqu’à son terme, a d’abord lieu dans les consciences.

Pour que l’inédit devienne possible, il faut que le monde tel qu’il va apparaisse intolérable. Or, l’indignation est une passion morale : elle saisit sur un mode affectif la différence entre ce qui est _ selon l’ordre du fait _ et ce qui devrait être _ selon l’ordre du droit. C’est là sa supériorité sur la raison dont la tendance _ la pente native _ consiste à tout expliquer _ c’est-à-dire justifier _ : les plans d’austérité par le poids de la dette, les licenciements par les exigences de compétitivité ou les politiques sécuritaires par les risques terroristes. Les peuples s’indignent lorsque ces raisons _ alléguées _ ne suffisent plus à convaincre. Dès lors, ce n’est pas seulement la psychologie des hommes qui change, mais leur perception _ factuelle, hic et nunc _ du monde. Les excès _ = abus _ du pouvoir apparaissent _ enfin _ en plein jour et les appels à se montrer «raisonnables» sont perçus _ alors _ comme des provocations cyniques _ intolérables.

L’indignation est une manière nouvelle de regarder _ et juger _ le réel. Ceux qui éprouvent cette passion ne voient pas toujours _ au-delà de l’appréciation _ ce qu’il faudrait faire _ pratiquement _, ils perçoivent en revanche très clairement ce qui ne peut plus _ de droit _ durer. Rien de surprenant, puisqu’on entre dans le problème de la justice à partir de l’expérience _ ressentie, éprouvée _ de l’injustice. On a raison de faire de l’indignation le point de départ de la résistance : les indignés se retrouvent, sans le vouloir, dans le camp des adversaires de l’ordre établi.

Loin de tout lyrisme révolutionnaire, l’indignation constitue un critère négatif pour l’action publique _ étatique. Comme l’écrit Spinoza : «N’appartiennent pas au droit politique _ = sont illégitimes _ les mesures qui soulèvent l’indignation générale.» Rien ne permet de dire qu’une mesure politique est juste _ = légitime _ parce qu’elle est voulue par la majorité _ légale. En revanche, une loi qui suscite la réprobation de tous _ soit, le peuple ! _ est nécessairement _ le peuple étant (en droit) souverain ! _ injuste _ illégitime ! On peut _ de fait _ gouverner par la crainte ou par l’espérance _ ou encore avec l’apathie des gouvernés _, pas en transformant le peuple en une armée _ soulevée _ d’indignés _ nous en avons un exemple aujourd’hui en Syrie…

L’indignation est une passion pour notre temps. Elle correspond à une époque qui ne croit plus dans les utopies positives _ de modèles d’État-société à construire : cf Ernst Bloch, Le Principe-Espérance ; ou Cornelius Castoriadis, L’Institution imaginaire de la société _, mais est encore _ pour longtemps ? _ capable de se montrer sensible aux injustices les plus criantes _ quand celles-ci arrivent à être encore ressenties… Dans des démocraties désenchantées et en crise, il est devenu difficile de communier _ dynamiquement _ autour de valeurs positives. Faute d’«avenir radieux», il nous reste la certitude _ encore révoltante _ que le présent est inacceptable.

Si l’indignation désigne le sentiment d’une dignité _ voilà le terme crucial : cf Kant : les Fondements de la métaphysique des mœurs _ perdue et à reconquérir, elle demeure pourtant une passion triste _ non tournée vers l’accomplissement d’un épanouissement, selon Spinoza. Détournée de son sens _ de rétablissement de la justice contre l’injustice factuelle éprouvée et avérée _, elle mène au lynchage autant qu’à la révolution. Aux deux, parfois. On _ le quotidien (répété) de la majorité des médias à l’appui de certains pouvoirs qui y cherchent une justification _ nous somme de nous indigner devant les faits divers _ dont l’avènement médiatique fut celui de la presse du XIXe siècle _ plutôt que _ voilà l’opération de détournement _ devant les injustices collectives, au risque d’entrer dans une recherche _ de mentalité magique _ du bouc émissaire. «Indignez-vous !», c’est aussi le discours des politiciens sans scrupule qui présentent _ comme le torero au taureau la muleta _ le port de la burqa ou les fraudes aux minima sociaux comme les véritables objets du scandale _ et pas les détournements de fonds à grande échelle (surtout très opportunément légalisés ; et inscrits durablement dans les mœurs). Le citoyen d’aujourd’hui est invité quotidiennement à la révolte, mais à condition que celle-ci demeure particulière _ et pas générale, ni universelle _ pulsionnelle _ seulement _, donc antipolitique _ et sans amplitude d’effets.

La politique commence lorsque les individus sont en mesure de hiérarchiser _ en valeur _ leurs amertumes et de transformer leurs passions tristes en occasions de créer _ dynamiquement et constructivement. Pour que l’indignation devienne une passion politique, il faut donc qu’elle se distingue des petites colères du quotidien qui isolent _ voilà : chacun pour soi ; et pas de Dieu pour personne _ l’individu en le condamnant au ressentiment _ cf l’analyse qu’en fait Nietzsche _ et à la défense de ses intérêts privés. A l’inverse, l’indignation _ un sentiment de l’ordre du droit _ possède un potentiel politique parce que, ainsi que Spinoza la définit, elle désigne l’exaspération éprouvée pour _ c’est-à-dire contre _ celui qui fait du mal à un «être semblable à nous». On ne s’indigne pas du tort qui nous est fait personnellement, mais de celui qui est imposé à nos semblables _ éprouvés comme faisant partie de la catégorie d’« autrui« , en sa dignité (universelle) de « personne«  C’est seulement à ce moment que les autres cessent d’être des concurrents pour devenir des alliés _ stratégiques _ potentiels _ dans la logique utilitariste (proliférante depuis Adam Smith).

Il est donc crucial de distinguer l’indignation spontanée de la colère artificielle. La première éclaire les peuples alors que la seconde rameute les foules _ habilement (lire ici Machiavel) instrumentalisées. Autant le scandale médiatique nous fixe sur le particulier (un crime, un exemple de corruption, le comportement privé d’un homme public), autant l’indignation collective permet de saisir le général _ ou plutôt l’universel _ dans le singulier. Cette passion opère lorsque les dérives de la finance ou encore la dureté des lois sur l’immigration deviennent visibles dans la précarité d’une existence _ malmenée un peu trop visiblement. L’indignation donne corps _ via l’imageance _ aux abstractions : plutôt que de vitupérer contre les agences de notations, elle s’émeut d’un monde qui leur accorde _ au quotidien durablement institué par les habitudes installées : une seconde nature ! _ un tel pouvoir.

Sur la Porta _ Puerta, madrilène ; et non milanaise, ou romaine _ del Sol, les Indignés sont parvenus momentanément à passer de la solitude au commun _ en route vers un « peuple » ?.. Certes, l’indignation fonde une communauté de la souffrance et non une communauté de l’espérance. Mais ce «pâtir ensemble» est le préalable _ voilà _ de toute action politique sérieuse, de tout «agir ensemble» _ pour passer de l’éthique au politique… Les revendications concrètes et l’exigence de justice émergent à partir de la certitude _ cruciale _ d’appartenir au même monde _ condition d’une vraie démocratie ; à rebours des fascismes méprisants qui ont ces derniers temps le vent (mauvais) en poupe… Contre la vision _ ultra- _ libérale de la liberté _ comme licence de suivre ses pulsions : à la Calliclès, dans Gorgias de Platon _, les Indignés font l’expérience de ce que la liberté des uns commence _ voilà : c’est une construction collective pratique (forte et fragile à la fois) : elle a ses avancées et ses reculs ; rien n’est acquis ; la régression de la barbarie menace ! _ là où commence, et non pas là où s’arrête, celle des autres _ à suivre !


Michaêl Foessel

Avec les commentaires (redondants)

de Titus Curiosus en vert

Titus Curiosus, le 8 août 2011

 

 

 

Très fortes conférences d’Olivier Mongin et Bernard Stiegler à propos de ce qu’est « faire monde », à l’excellent Festival « Philosophia » de Saint-Emilion

31mai

Avant de me mettre au travail, ce matin (du 31 mai 2009),

ce courriel à mes amis en Provence (la galeriste) Michèle Cohen, à Aix, et (le photographe) Bernard Plossu, à La Ciotat,

en pensant au vernissage de l’exposition de Bernard Plossu « French Cubism _ hommage à Paul Strand« , à la NonMaison, que dirige Michèle Cohen à Aix-en-Provence :

 De :   Titus Curiosus

Objet : Alors ? + le festival « Philosophia » à Saint-Emilion
Date : 31 mai 2009 07:13:48 HAEC
À :   Bernard Plossu

Cc :   Michèle Cohen

Alors ? Ce vernissage _ à la NonMaison à Aix à 18h _ fut-il joyeux ?

Quant à moi,
je n’ai pas regretté ma balade saint-émilionnaise :
il faisait très beau
_ ce samedi après-midi du 30 mai _ ;
et le festival de « philosophie »
_ cela ne court pas les rues… _,
(probablement…) pour marquer « en hauteur » le classement du « paysage viticole » du « pays » de Saint-Émilion au « Patrimoine mondial de l’humanité » (de l’Unesco)
avait choisi pour thème : « monde« , « mondialisation » et « universalité« …


Les conférences d’Olivier Mongin, le directeur d’Esprit (nous nous connaissons : la Société de Philosophie de Bordeaux,
dont je suis un membre _ un peu _ actif du bureau, l’avait reçu il y a quelques années _ c’était le 15 mars 2001, au CAPC _ ; et il se souvenait de moi),
et de mon ami Bernard Stiegler _ je l’avais moi-même reçu pour la « Société de Philosophie«  le 18 novembre 2004, dans les salons Albert Mollat _
furent brillantes _ et même brillantissimes ! _ :
à la fois d’un très haut niveau de pensée
_ sur ce qu’il faut essayer de penser de la « mondialisation » et de la « crise«  (de « civilisation » !) : rien ne vaut les philosophes pour aider la lucidité !!! _
et à la portée d’un public pas nécessairement spécialiste des concepts (les plus pointus)

Je vais écrire un article

et sur ces 2 conférences
et sur le « concept » même
_ très remarquable (comme sa « réalisation« , par Éric Le Collen) _ de ce « Festival » de philosophie : une grande réussite,
qui attire beaucoup de monde dans cette ville d’art
(comme Aix, même si plus petite de taille ; et dépourvue d’université : l’université est à Bordeaux…) qu’est Saint-Émilion (qui a l’atout _ extraordinaire ! _ de son merveilleux vin ; et tout à côté, il y a aussi Pomerol !)

En « photo« ,
« Hôtel » n’est pas encore sur les étals des librairies à Bordeaux
_ en tout cas pas au rayon « Beaux-Arts » et au nom de Plossu (où je le cherche !), à la librairie Mollat…

J’ai acheté le très intéressant _ et c’est un euphémisme ! passionnant, devrais-je plutôt dire ! _ « Controverses _ une histoire juridique et éthique de la photographie« ,
paru chez Actes-Sud, par Daniel Girardin et Christian Pirker _ et le Musée de l’Elysée à Lausanne…

En attendant vos échos du vernissage à la NonMaison,

je vous embrasse,

Titus

Après une première conférence non philosophique

_ j’avais préféré aller écouter Carmen Añón Féliu, paysagiste et expert évaluateur du « Comité du Patrimoine Mondial » de l’Humanité (de l’Unesco : elle avait participé à la décision de l’inscription de Saint-Émilion sur la liste de ce prestigieux label) _ sur le sujet le « Patrimoine mondial, une valeur universelle ?« ,

plutôt que le philosophe Pierre-Henri Tavoillot sur le sujet de « Une leçon particulière sur l’universel : les Lumières » _,

dont la teneur, certes non in-intéressante, m’a tout de même parue un peu « courte« , tant de contenu de questionnement que d’apport de « faits » ou de « critères » ;

la conférence d’Olivier Mongin a comblé, a contrario, mon appétit de perspectives fouillées perspicaces, concrètes tout autant qu’audacieuses ;

sur le sujet de « Mondialisation et reconfiguration des territoires« , c’est aussi le professeur à l’Université Nationale du Paysage, de Versailles, que nous avons pu entendre, à partir, notamment, d’une très riche (philosophiquement) et large (géographiquement) expérience, dont témoigne le livre « La Condition urbaine : la ville à l’heure de la mondialisation« …

Olivier Mongin met en avant la difficulté que peuvent présentement connaître les « territoires«  (relativement statiques ; même si le mot d' »espace » contient aussi la racine « spes« , l’espoir…) ; et avec eux (= ces « territoires« ), en conséquence, l' »habiter » des hommes, face à l’extraordinaire puissance des « flux » (et leurs « liquidités« ) sur lesquels « fonctionne » l’économie post-moderne mondialisée, désormais…


Ainsi Olivier Mongin cite-t-il un auteur américain mettant en avant « ce » que « le mur » tant « protège«  (en l’isolant de l’altérité d’un dehors) qu' »exclut » et « met en danger«  (en l’exposant à toutes forces hostiles), dans la logique (urbaine) des « malls«  (mais pas seulement ceux du « vendre« , bien connus dorénavant de par le monde _ avec partout les mêmes « enseignes« , vendant et répandant partout les sempiternelles mêmes « marques » _ : ceux, aussi, des « quartiers hautement surveillés et protégés« , en expansion continue de par la planète !), on ne peut plus vectoriellement…

Ce qui m’a personnellement rappelé la perspective distincte de (l’européen) Georg Simmel en son si bel article « Porte et pont » (in « Les Grandes villes et la vie de l’esprit« , par exemple ; ou encore in « Philosophie de la modernité« ) ; à laquelle s’oppose le raisonnement en « ami ou ennemi » d’un autre européen, mais pas du même bord philosophique, Carl Schmitt…

Olivier Mongin a aussi cité, à propos d’une « ville globale » argentine _ hermétiquement coupée de son voisinage, mais parfaitement connectée à toutes les autres « villes globales » du globe… _, Saskia Sassen (« La Globalisation : une sociologie« ), à laquelle j’ai consacré un précédent récent article (le 21 avril 2009 : « Du devenir des villes, dans la “globalisation”, et de leur poésie : Saskia Sassen« )…

Bref, la ville doit « composer » _ et harmonieusement, si possible : elle est fondamentalement un dispositif de « rencontres« , de « réunions », de « cohabitations« … _ des forces diverses, dans un espace (« urbain« ) relativement identifiable ; selon la logique de la « polis«  : le terme dérive, héraclitéennement, de « polemon« , le conflit…

Et « se reconfigurer » aussi…

Bref, les questions de fond concernent  le « co-habiter« , le « vivre ensemble » ; avec ses circuits divers, ses cercles, ses parcours (de « flux« , déjà : la rue…) en mouvements incessants ; d’où le caractère crucial et plus que jamais « actuel » des enjeux de la démocratie (qui soit « véritable » !) ; qu’Olivier Mongin a très clairement pointés..

Les évocations par Olivier Mongin des mégapoles, telle Kinshasa _ avec un « habiter » totalement oxymorique… _, ou de la « ville globale » (à la Saskia Sassen…), telle celle qui jouxte Buenos Aires,

gagneront à êtres comparées aux regards et analyses de Régine Robin dans son très beau « Mégapolis » _ cf mon article du 16 février 2009 : « Aimer les villes-monstres (New-York, Los Angeles, Tokyo, Buenos Aires, Londres); ou vers la fin de la flânerie, selon Régine Robin« … ;

qui m’a valu cette réponse de Régine Robin, en date du 18 mars, et sous l’intitulé « votre beau texte » :

Nicole Lapierre m’a fait suivre votre blog consacré à mon livre. Il est très beau, très poétique. J’en suis très émue et heureuse.
Restons en contact.
Très amicalement et poétiquement.
Régine Robin.

Cela fait plaisir…

Quant à l’ami Bernard Stiegler,

sa prestation _ sur le sujet « Du marché au commerce » et dans une forme olympique ! _ fut particulièrement brillante, tant il a su amener le public (très nombreux et extrêmement attentif dans le cloitre de la collégiale par cette belle après-midi splendidement ensoleillée _ de nombreux livres furent achetés après la conférence !) à entrer dans une intelligence jubilatoire du présent (et de sa « crise« ) en pénétrant peu à peu la conceptualisation stieglérienne, à propos de ce qui sépare le « commerce » des singularités qualitatives (de « personnes » qui sont des « sujets« )  d’un « marketing » qui vise l’accélération _ spéculative financière : strictement comptable _ de l’efficacité d’un dispositif d’achat par de simples (et de plus en plus « simplets« , « crétinisés« …) « cœurs de cible«  ;

dont le fort habile neveu de Sigmund Freud, Edward Bernays, parti d’Autriche faire fortune aux Etats-Unis, rédigea en 1928 le mode d’emploi basique : « Propaganda : comment manipuler l’opinion publique« …

En lieu et place du « commerce« , par exemple, de l’amour,

dans la logique complexe et qualitative d’un parcours (plus ou moins, et peut-être infiniment, labyrinthique et long ; avec, aussi, un certain coefficient d’improbabilité ; ainsi que de l’imprévu, plein de charme !) de « désirs » échangés,

procéder par ce dit « marketing » à la mise en place _ sociétale, instituée _ de dispositifs pavloviens strictement « réflexes » de satisfaction rapide de « pulsions » (« déchargées« ) par la « consommation« ,

c’est-à-dire l’achat, payé en espèces sonnantes et trébuchantes ;

ou mieux, en leur équivalent électronique ;

de « dépense« ,

de biens et services identifiés (et « fidélisés » _ mais ce n’est pas ici une vertu… _ addictivement en « marques » :

sur l’addiction, lire Avital Ronell : « Addict : fixion et narcotextes » ;

et sur les « marques« , lire Naomi Klein : « No logo _ la tyrannie des marques« …).

Bernard Stiegler s’en prend alors plus spécifiquement à la « bêtise systémique » d’une « consommation » « crétinisée » ;

qui ne prend jamais le temps (devenu bientôt trop coûteux pour elle) d’un peu mieux évaluer,

ni d’échanger des impressions _ un « consommateur » en a-t-il jamais ? _ avec d’autres (« dépenseurs » d’argent : on se contente de « faire les comptes » !..),

en une logique (spéculative strictement comptable ! et à toute vitesse ; et parfois assez complexe…) de rendement d’intérêt (financier !) le plus « à court terme » possible installée par et en faveur d’actionnaires « spéculateurs » hyper mobiles (= les principaux bénéficiaires d’un tel « jeu » de « placements« …) ;

pas même pour le profit,

davantage « engagé« , lui, dans les arcanes du « réel » et d’un « travail » de transformation des choses (et selon de bien réels « métiers« ),

des « investisseurs » d' »entreprises« …

Bref, l’alternative de la souricière (de l’aujourd’hui sociétal de « crise« ) est bien :

_ ou bien le « choix » « réaliste » de ces valeurs « spéculatives » « irréelles » de profit pour soi du seul « marché«  (auquel poussent certains élus politiques, que Bernard Stiegler n’hésite pas, au passage et sans s’y attarder, à nommer ; dans le sillage du « There is no alternative » d’une Mrs Thatcher, à la fin des années 70 ; ou d’un « Le problème, c’est l’État » d’un Ronald Reagan au début des années 80) ;

_ ou bien la décision (généreuse : moins intéressée et égocentrée) d’un « commerce » plus « solidaire« , tant des personnes que des citoyens, de tout remettre à plat de ces échanges de soi avec les autres sur de plus saines (= vraies) bases :

où il s’agit enfin, et pour chacun, de « consister » ; en une « intimité » à d’autres non instrumentalisés, ni « jetables » après hyper rapide « consommation » (et « consumation« ) de quelques « services » « vite faits bien faits« …

C’est là situation de fait

_ cf ici l’alternative d’un Cornelius Castoriadis dès les années 50 entre un « vrai socialisme » ; et une « réelle barbarie« … (bien du chemin restant à accomplir pour le comprendre mieux…) _

que les nouvelles technologies _ de plus en plus sophistiquées et efficaces, certes ; celles du « temps-lumière » (après le « temps-carbone« …), selon les expressions du tout récent « Pour en finir avec la mécroissance » de Bernard Stiegler (avec Alain Giffard et Christian Fauré) _ proposent, de gré ou de force, aux organisations inter-humaines ;

à commencer par politiques et économiques :

ainsi Bernard Stiegler a-t-il très brièvement « remarqué« , au passage _ les cloches de la collégiale sonnant alors à toute volée et longuement par-dessus le cloître… _, qu’appelés très prochainement à voter, nous disposions (encore) d’une certaine responsabilité de « citoyens » ;

et que certains chefs d’État, de fait, « appuient » (davantage que d’autres personnes) certains « dispositifs relationnels » (de marketing) qui « néantisent » le sujet en la personne ;

à nous d’en prendre (un peu) mieux conscience ;

et d’en tenir (un peu mieux) compte en nos actes ; pour choisir (et pas seulement un jour d’élection) entre  (tout) ce qui va vers l' »in-humain« , et (tout) ce qui y « résiste » !..

C’est là situation de fait que les nouvelles technologies proposent de gré ou de force aux organisations des rapports du « commerce » humain, dans tous ses aspects ;

et à l’aune, donc, de l’alternative (puissante) entre « non-inhumain » ou bien « inhumain » : à nous d’en prendre mieux et plus fermement conscience…

L’enjeu étant bien la « singularité » à découvrir, faire émerger et cultiver_ ou pas _ pour l’épanouir _ ou la laisse périr d’inanition _, des personnes…

Ou la singularité, aussi, d’œuvres de « culture« ,

tels les vins de ce terroir de Saint-Émilion

_ et de Pomerol, pour lequel Bernard Stiegler a « avoué » une certaine prédilection… _,

à l’heure d’une certaine « parkérisation » plus ou moins galopante, par « marketing » et « pré-formatage » de « produits« 

_ à la (de plus en plus pressante, semble-t-il… ; mais c’est à voir !..) demande, précisément de « consommateurs« -« acheteurs » ;

davantage que du fait même de l’excellent « connaisseur des vins« , en leur singularité, justement (!), qu’est le célèbre Robert Parker

(l’auteur en effet célébré et porté au pinacle _ par des « consommateurs » ? des « amateurs » ? voire des « amoureux » ?.. _ du « Guide Parker des Vins de France« …) _,

justement,

aux dépens des « terroirs » et des savoirs (hautement) cultivés d’œnologues-artistes, au moins autant qu’artisans :

« Le vin de terroir est-il l’avenir de la viticulture mondiale ?« ,

devaient on ne peut plus opportunément et « en connaissance de cause » (!) s’interroger, avec le public, le lendemain matin le « Professeur de géographie et d’aménagement ; et membre de l’Institut » Jean-Robert Pitte, en compagnie de Denis Saverot, Directeur de la rédaction de « La Revue du Vin de France« , et, éminent viticulteur « du cru » saint-émilionnais, Alain Moueix, Président de l' »Association des Grands Crus Classés de Saint-Émilion« …

Bernard Stiegler aimant tout particulièrement choisir

pour exemples de la « mise en place » des concepts assez pointus que sa recherche d' »intelligence _ au plus fin, au plus précis, au plus juste ! _ de la complexité du réel » propose,

des situations « parlant » _ et « en vérité » ! _ « au plus près » des savoirs d’expérience de ses auditeurs-interlocuteurs…

Et le public d’agréer à l’analyse…


A une question d’un auditeur (se) demandant

si le « marketing » ne représentait pas une tendance fondamentale de « l’humain » en tant que « nature humaine« ,

Bernard Stiegler a répondu, avec beaucoup de nuances

_ car le « pharmakon« , lui-même entre remède et poison, est autant affaire d’infinie délicatesse dans le « dosage » que de choix des finalités entre aider et nuire, porter assistance et porter tort (tant à soi-même, par masochisme, qu’à autrui, par sadisme), construire et détruire ; et cela dans l’ambivalence tissée au cœur même (battant !) du jeu de « composition« , d’assonances et dissonances, harmonie et dysharmonie, des « pulsions » et « désirs« , évoluant, eux-mêmes, ces « affects« , avec « plasticité« , entre « émotions« , « sentiments » et « passions » (lire ici tant le « Traité des passions de l’âme » de Descartes que la sublime « Éthique » de Spinoza)… _,

Bernard Stiegler a répondu, avec beaucoup de « nuances »

que, quant à lui, il ne pouvait pas se prononcer s’il existait, ou pas, une « nature » de l' »humain » ;

que tout ce qu’il pouvait « assumer« , c’était la possibilité (et le devoir) d’une « retenue » certaine de la « personne » (toujours en devenir « métastatique » elle-même et en (ou plutôt par) ses actions : il l’a expliqué à l’aide de l’image des « tourbillons » du fleuve _ il a dit « la Gironde » _ qui « se maintiennent » comme « tourbillons » dans le jeu complexe et tourmenté, parfois violent et imprévisible, des courants) envers les tentations (ou « pulsions » brutes),

présentes en chacun de nous _ sans exception : là-dessus, on pourra lire le magnifique « Passer à l’acte« , de Bernard Stiegler, paru le 6 juin 2003 aux Éditions Galilée _, et pouvant s’exprimer et « éclater » (= « exploser« …) à tout moment, si nous n’apprenons pas à les « retenir« , à les « conduire« ,

envers les tentations

de nous comporter « in-humainement« .

Succomber, ou pas, à ces « tentations » permanentes de l' »in-humain« ,

voilà ce qui caractérise le projet _ tant personnel que collectif ; et collectif, d’abord, forcément ! « civilisationnel » ! _ de se comporter en « personne« , ainsi qu’en citoyen responsable, aussi,

« majeur« 

_ cf ici le toujours et plus que jamais indispensable et actuel (!) « Qu’est-ce que les Lumières ? » d’Emmanuel Kant _

en une société où « l’autre » (aussi bien que « soi« -même !!!) est aussi « vraiment » pris en compte _ existentiellement, l' »affaire » dépasse la simple éthique ; et est proprement, via les rapports inter-humains économiques de tous les instants, « politique » ! _ autrement qu’en un simple « moyen« , « instrument« , « outil » (ou « cœur de cible » : calculable), réductiblement ;

ou objet de prédation, carrément…


On voit ici combien _ et avec quelle urgence ! _ s’impose la tâche (philosophique !) de (re-) mettre au clair une « anthropologie fondamentale«  pour ce temps-ci de technologies hyper-rapides _ lire ici Paul Virilio : par exemple « Vitesse et politique« … _ et hyper-efficaces…

A laquelle « anthropologie fondamentale« , il me semble que le travail de longue haleine, et avec quelle belle constance ! de Bernard Stiegler contribue magnifiquement…

Un « Festival » de philosophie de très grande qualité que ce « Festival Philosophia » de Saint-Émilion ;

et particulièrement efficacement organisé par Éric Le Collen (et son équipe) ;

qui permet au « pays de Saint-Émilion » de bien « cultiver« , le long des années qui passent (et en progressant vraiment), son label de « Patrimoine mondial » de l’Humanité…

Titus Curiosus, le 31 mai 2009

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