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Mathias Enard, ou le creuseur pudique : face à l’énigme de l’oeuvre et les secrets du coeur (à partir de l’exemple de Michel-Ange à Rome _ et Istanbul !!!)

11sept

Voici, ce jour, une réflexion sur la présentation par Mathias Énard de son roman-fable-enquête Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants

soit un essai _ de réflexion artistique, entée sur des recherches d’érudition, tant à Rome (Mathias Énard fut pensionnaire de la Villa Médicis en 2005-2006) qu’à Istanbul, et très « en profondeur« , la réflexion artistique comme la recherche documentaire, de la part du probe, fin et patient Mathias Énard _ pour combler un trou de quatre mois dans la biographie de Michel-Ange :

d’avril 1506

_ quand, fuyant Rome (« Michel-Ange a quitté Rome sur un coup de tête, le samedi 17 avril, la veille de la pose de la première pierre de la nouvelle basilique San Pietro« , page 13), suite à une mésentente grave avec son employeur-commanditaire l’assurément peu commode pape-guerrier Jules II (« Il était allé pour la cinquième fois consécutive prier le pape de bien vouloir honorer sa promesse d’argent frais. On l’a jeté dehors« , ibidem…), le sculpteur, florentin, vient se réfugier à Florence, auprès des Médicis _,

à septembre 1506

_ on retrouve en effet le sculpteur à Bologne (possession pontificale, mais à ce moment-là en révolte contre l’autorité du pape), au mois de septembre 1506 ; deux mois plus tard, le 10 novembre 1506, Jules II reconquiert par les armes cette cité (qu’il connaît bien pour en avoir été jadis le cardinal-évêque : de 1483 à 1499) ; et très vite le pape et l’artiste se seront réconciliés ; mais, plutôt que de continuer à faire travailler en priorité le sculpteur au projet de son gigantesque tombeau pour la nouvelle basilique Saint-Pierre, Jules II préfère (l’architecte Bramante souhaitant aussi éloigner Michel-Ange _ un rival _ du chantier de la reconstruction de Saint-Pierre) lui confier la mission _ titanesque _ de peindre l’immense plafond de la chapelle sixtine : Jules II s’en soucie tout spécialement, en effet, car la chapelle sixtine, construite de 1477 à 1483, est une création de son oncle, le pape Sixte IV della Rovere (pape de 1471 à 1484) ; mais le bâtiment vient de souffrir d’importants dégâts causés par de récentes constructions adjacentes (d’une part, l’édification des appartements Borgia, pour le pape Alexandre VI ; d’autre part, le chantier _ colossal _ de la réfection de Saint-Pierre, qui avait débuté le 18 avril 1506) ; et c’est Michel-Ange, le peintre, qui va se consacrer à ce plafond de la Sixtine, de mai 1508 à octobre 1512…

présentation

donnée le mercredi 8 septembre 2010, dans les salons Albert-Mollat,

en dialogue avec Francis Lippa…

Rencontrer _ in vivo ! _ un artiste qu’on a un peu essayé de bien lire _ et qu’on va continuer d’essayer de bien lire : car en ce cas de l’artiste (« vrai« , donc !) Mathias Énard, l’œuvre (vraie ! ainsi qu’elle se révèle à l’épreuve de cette lecture…) ne se réduit certes pas à ce qui pourrait, d’elle, se résumer : elle y résiste et tient la route « vraiment«  ! c’est en cela qu’elle est, chose toujours un peu rare (et digne d’admiration !), une « œuvre vraie« _ ;

et avoir la chance, en plus, de disposer d’un peu le temps afin de s’entretenir (un peu, ici encore : une bonne heure et demi…), de dialoguer avec lui _ le podcast de l’entretien dure 62 minutes _, sur ce qui anime la démarche d’où sourd, jaillit, procède son propre créer,


c’est avancer un peu sur ce que Gaëtan Picon et Albert Skira formulèrent, naguère _ magnifiquement ! _, comme « les sentiers _ ce ne sont pas des boulevards ! _ de la création«  _ et que s’efforce de prospecter, modestement et en douceur (forcément ! rien ne s’y obtient en « forçant«  !), la poïétique :

sur ce chantier, j’essaie de mettre quelques petits pas, ici-même, en ce blog-ci, dans ceux, si fins, d’un Paul Valéry, ou d’un Gaston Bachelard, hier, d’une Baldine Saint-Girons, aujourd’hui (cf son tout récent et très important Le Pouvoir esthétique, aux Éditions Manucius : une analyse ultra-fine et lumineuse des pouvoirs sur la sensibilité !)… _ ;

et qu’ils entamèrent d’éclairer-explorer, avec une merveilleuse délicatesse _ quels trésors recèle la collection de ce nom, « les sentiers de la création« , aux Éditions Skira ; hélas interrompue ; et somnolant désormais sous une pellicule plus ou moins fine de poussière dans les bibliothèques, quand elle ne sollicite pas plus activement les « actes esthétiques«  _ pour reprendre le concept de Baldine Saint-Girons en son précédent maître-livre, L’Acte esthétique, aux Éditions Klincksieck _ d’un peu actives mises à contribution, fécondes, d’une culture vive : en chantier (musaïque) de création…

Eh bien voilà la chance qui m’est échue en l’espèce de la rencontre,

mercredi après-midi dernier, 8 septembre, sur l’estrade des salons Albert-Mollat,

en l’espèce d’un dialogue (nourri de curiosités ajointées)

avec l’auteur

et de Zone, et de Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants,

ce creuseur d’énigmes magnifique

qu’est le très patient et tranquille, solide, posé, Mathias Énard…

En ce dernier opus _ dont le chantier lui a pris au moins deux années, depuis l’amorce de l’« idée« , lors de son séjour romain (en 2005-2006) à la Villa Médicis, nous a-t-il confié, en mettant la main, en la (belle) bibliothèque de la Villa, sur le volume des Vies… de Vasari comportant le récit de la vie de Michel-Ange, puisque c’est ainsi que démarra l’enquête !.. ; et dont le fruit, ce livre-ci, Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants, vient de paraître ce mois d’août aux Éditions Actes-sud _,

c’est à l’énigme de la création si puissante de Michel-Ange _ sculpteur, peintre, architecte ; ainsi que poète : ses Sonnets et (autres Poésies : Madrigaux, Poésies funéraires, Épigrammes, Élégies, Canzone, ainsi que Stances…) franchissent trop peu le seuil de la connaissance (et a fortiori celui de la délectation) des amateurs d’Art : considérablement moins que son œuvre plastique, en tout cas ! _ que vient se confronter la curiosité probe, patiente, et plus encore profonde, du chercheur-artiste, ou artiste-chercheur _ puisque c’est surtout ce processus-là que les circonstances de son parcours l’ont un peu amené à privilégier, désormais, comme lui-même, en parfaite simplicité, l’a indiqué, spontanément mercredi, en prenant des distances avec les missions universitaires auxquelles il s’était d’abord plié et adonné _, Mathias Énard.

A qui se demande

comment l’auteur-artiste passe du souffle formidable, (quasi) d’un seul tenant

_ ou d’une seule « tenue«  de la part de qui narre : en une phrase unique, « dans le souffle« , d’un narrateur (tel que celui de Zone…), qui (se) repasse (mentalement) en revue, lors d’un voyage en train (récapitulatif !), entre les gares de Milan et de Rome, toute la complexité où s’est faite (construite) et défaite (déconstruite) sa vie _ a-t-il une œuvre, lui ?.. c’est un agent auxiliaire, de grade subalterne… _, et, en particulier, ses relations (complexes et parfois d’une violence extrême) aux autres, de travail _ pas mal en Orient : voilà pour l’« éléphant«  ! _, de guerre _ voilà pour les « batailles«  et pour les « rois«  ! _, et aussi (avec ses trois compagnes successives, en particulier) d’« amour«  _ « et autres choses semblables« , ainsi que Rudyard Kipling se l’est entendu dire de son interlocuteur l’aède indien, dans Au hasard de la vie ; ainsi que le rapporte l’épigraphe de Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants _ : mais avec quelles finesses d’inflexions (d’hémioles, dirait-on en musique) : c’est un chef d’œuvre walt-whitmanien que cette coulée une et unique de souffle ! _,

comment l’auteur-artiste passe du souffle formidable, (quasi) d’un seul tenant

_ de narration se confrontant (lui et son Soi en gestation) à l’étrangeté poignante (et difficultueuse) de l’altérité ! quasi monstrueuse, en son pouvoir de fascination… _

des 516 pages de Zone,

au feuilletage discret, léger, rapide _ mais toujours aussi fort et puissant ! _,

des feuilles de carnet (de recherche de traces _ en vue d’approcher, lui, d’un peu mieux éclairer, sinon percer à jour vraiment, pour lui, les énigmes de sens d’une œuvre si riche en une vie d’artiste si étendue et si féconde en chefs d’œuvre, et si divers, que l’œuvre colossal de Michel-Ange… _ en bibliothèques et archives, principalement à Rome _ aux Archives vaticanes _ et, ensuite aussi, à Istanbul _ aux Archives de l’empire ottoman _) du narrateur-chercheur-reconstitueur (en son penser),

mais qui apprend à méditer aussi _ pour lui ; et pour nous lecteurs, à sa suite, qui sommes conviés au récit tout à fait provoquant de sa recherche, en la curiosité stimulée, à notre tour, de notre lecture… _, sur les signes évanescents

_ presque complètement silencieux (ils ne sont pas bavards d’eux-mêmes : il faut y être attentif pour espérer accéder à si peu que ce soit de ce qu’ils laissent transparaître, tout de même, de leurs puissants secrets…) _,

de l’Art,

des 155 pages, allegro vivace, de Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants,

à qui s’interroge, donc,

la réponse de l’auteur-artiste,

dans l’en-direct vivant du dialogue improvisé,

se fait toute simple (et sans le moindre chi-chi, a fortiori) :

chaque livre a le nombre de pages

et le style

que lui donne, tout simplement, son sujet _ c’est-à-dire le questionnement à propos d’une énigme ! _ qui vient s’emparer de lui _ devenant l’enquêteur _,

et qui l’attelle, un bon moment, à sa mission de le mettre (= donner, offrir, rendre), ce sujet « prenant » _ cette énigme à éclairer un peu ! puis l’enquête sur elle, en l’altérité de ce à quoi celle-ci ose venir se mesurer… _, par écrit, en son écrire (de narration) :

musical _ d’où la verve du rythme du récit…

Ainsi,

si Zone a été l’achèvement en forme d’apothéose faulknérienne (à mes yeux, du moins) de la recherche de Mathias Énard à propos de l’énigme si profondément entée en nous, en leurs séquelles qui paraissent ne plus bien vouloir accepter d’en finir « vraiment« , des guerres (intestines fratricides) du XXème siècle sur le continent européen (et ses appendices sud- et est- méditerranéens…),


ainsi, donc,

voici qu’aujourd’hui Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants apparaît _ au lecteur passionné (et fouilleur patient aussi : mobilisé…) que je suis… _ comme la confrontation de la curiosité probe et ultra-fine de Mathias Énard

avec l’énigme des liens entre

le Grand Art du génie de l’artiste-à-l’œuvre connu de nous sous le nom de Michel-Ange,

d’une part ;

et,

d’autre part,

les frémissements secrets _ tant aux autres (l’homme est un taiseux) qu’à lui-même aussi, pour le plus enfoui… _ du cœur de l’homme de chair, avec ses puissantes pulsions (dans les parages de l’Autre !), qu’il était

en sa vie d’homme…

L’homme et l’artiste ;

la vie et l’œuvre _ en tensions complexes à démêler à l’infini ;

sus au simplisme !

Cf

et apprendre à méditer sur cela,

par exemple, le célèbre mais trop mal compris trop souvent

Contre Sainte-Beuve de Marcel Proust…

Car

c’est l’Art qui crée en partie importante _ ça n’est jamais ex nihilo, non plus… _ la singularité

qui va se construire (mais pas mécaniquement !) de l’artiste !

L’artiste découvrant lui aussi peu à peu ce processus _ expressif, sur ces denses et compliqués aventureux « sentiers de la création«  _ de métamorphose _ de son Soi _ qui le traverse et le déborde _ lui, son (petit) Moi, ainsi que les pulsions (sauvages) de son Ça ; et aussi son Sur-Moi… ; cf aussi Nietzsche : sur « la petite«  et « la grande raison« , in l’important Aux Contempteurs du corps, au livre premier d’Ainsi parlait Zarathoustra _ et lui échappe en grande partie _ aussi lucide s’efforce-t-il de devenir ! Bataille qualifie très justement ce processus de création d’« impouvoir«  (de l’artiste)_,

en son regard, plus ou moins acéré, et questionnant _ interrogateur _ aussi ce qu’il fait _ et pas seulement l’altérité à laquelle il ose, aventurier, se confronter…


C’est avec infiniment d’humilité (et douceur tranquille, en son intranquillité même ! _ à l’écritoire…) que Mathias Énard approche la lumière de sa bougie

(artisanale : il la compose de tout ce qu’il peut assembler-rassembler _ en partie, aussi, comme il se doit (et cela comme pour tout un chacun d’entre nous tous), de bric et de broc : avec les divers moyens du bord !.. _ en sa culture et historique et artistique : très fouillées et très fines, les deux _ un travail de micro-chirurgie !)

Mathias Énard approche la lumière de sa bougie

_ avec tout ce que lui a appris sa propre longue et lente fréquentation, intense, passionnée, infusée et murie, et de la Perse

et de la Turquie :

d’où la rencontre, ici, sur ces pages au moins, de Michel-Ange

avec le calligraphe-poète

(et secrétaire, au Divan, du grand vizir Atik Ali Pacha),

Mesihi :

Mesihi dont il pense, même, identifier les traits

en la figure et le corps déployé

d’Adam

sur le sublime plafond de la Sixtine… ;

Mathias Énard nous a-t-il ainsi confié en cette belle conférence de mercredi ! et c’en fut là un temps très fort !!! _


Mathias Énard approche la lumière de sa bougie, donc

_ je reprends et poursuis _,

de cette énigme de l’œuvre _ sidérant, il est vrai _ michel-angelesque _ quelle poigne ! _,

sans chercher _ certes pas ! _, à réduire _ nous sommes ici à mille lieux d’un réductionnisme grossier et  vulgaire ! _ cet Art _ de l’artiste ! _

au misérable « petit tas de secrets » de l’homme en sa vie,

et ses rencontres (de tous genres !),

avec leur part (déjà) ombreuse,

sinon sombre _ voire carrément noire… _

d’altérité.


C’est à l’aune de l’Idéal d’Art,

très haut, et très puissant,

bien au contraire,

que Mathias Énard envisage et aboute les brindilles des rencontres _ glanées en sa recherche d’archives, ou bien imaginées : par les secours conjugués de sa culture et de son propre imaginer d’écrivain ! _ de la vie d’homme de notre « Michelagnolo Buonarroti« …

Au-delà des circonstances, déjà hautes en couleurs et batailleuses, des rapports de l’artiste commandité avec ses très hauts et très puissants commanditaires (chefs de guerre manieurs de sabre : comme le furent et Jules II della Rovere et Bayazid II de la dynastie des Osmanli),

c’est au côtoiement (et aboutage) incommensurablement plus fin et plus complexe des sensibilités du poète et calligraphe _ Mathias Énard met l’accent sur cette part fondamentale de cet art, dont hélas rien (de son pinceau et de sa main…) n’aura été préservé-conservé, pour nous _ Mesihi (né à Pristina, au Kosovo, vers 1470 ; et mort le 30 juillet 1512 à Istanbul : moins d’un an après la mort sur le champ de bataille de Gökçay, le 5 août 1511, de son protecteur le grand vizir Atik Ali Pacha)

et de l’artiste multiforme Michel-Ange (né au château de Caprese, près d’Arezzo, le 3 mars 1475 ; et mort à Rome le 18 février 1564)

_ Mesihi avait environ trente-six ans ; et Michel-Ange, trente-et-un _

que nous fait nous approcher, en son écriture _ d’enquête _ précise, rapide et légère, probe _ très loin tant de la moindre complaisance à la rhétorique que de l’hystérie _ le pudique, mais très patiemment curieux chercheur de sens et de beauté _ les deux conjoints : c’est un artiste ! _, Mathias Énard,

en ce superbe bijou qu’est Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants

Et l’auteur lui-même de se pourlécher à l’avance _ avec nous _ de ce que la gent _ un peu trop, parfois, ou souvent _ pressée _ par utilitarisme ! _ de la meute journalistique _ ah l’inculture du résultat !.. _

va très bientôt _ « un mois« , a-t-il même estimé mercredi 8 septembre… _ intégrer désormais dans sa bio officielle de Michel-Ange

le séjour stambouliote et le début de construction de « son » pont sur la Corne d’Or,

à la façon dont des lecteurs des Onze de Pierre Michon ont accouru en nombre contempler au Louvre le tableau qui y était décrit en ses plus menus détails… ;

ou à celle dont le malheureux _ pressé et sectateur de l’utilitarisme de l’efficacité, probablement, lui aussi : Time is money ! _ expert en économie internationale (des Affaires) qui fréquente les allées du pouvoir, a plagié, à propos de l’œuvre rédigé de Spinoza, notre confrère philosophe bordelais, Patrick Rödel, pour son Spinoza, ou le masque de la sagesse (aux Éditions Climats : la couverture prévenait pourtant : « biographie imaginaire » !) : ouaf ! ouaf ! ouaf !



Tel est donc, avec deux jours et deux nuits (de réflexion-méditation) de recul,

ce que je puise

dans ma rencontre-conversation avec ce créateur-artiste passionnant important qu’est Mathias Énard.


Titus Curiosus, ce 11 septembre 2010

Le diagnostic d’une impasse _ ou les dégâts de l’idéologie et de la démagogie électoralistes dans la « crise » universitaire _ par Marcel Gauchet

23avr

Un constat d’expert _ particulièrement navré _ face au gâchis (à court, à moyen ainsi qu’à long terme, fort probablement !) de l’actuelle « mise en crise«  (et en « pourrissement« ) délibérée(s) de l’Université française ; et ce par une piètre « tactique » de démagogie électoraliste (populiste) ;

par Marcel Gauchet _ co-auteur de « Conditions de l’éducation« , en novembre 2008 ; et de « Pour une philosophie politique de l’éducation _ Six questions d’aujourd’hui« , en octobre 2003, avec Marie-Claude Blais et Dominique Ottavi _, ce jour dans « Le Monde » :

« L’« autonomie » veut dire la mise au pas des universitaires« 

Propos de Marcel Gauchet,

recueillis par Maryline Baumard et Marc Dupuis

_ et farcis, à mon habitude, de quelques commentaires…

LE MONDE | 22.04.09 | 10h11  •  Mis à jour le 22.04.09 | 15h08

Dans votre dernier livre, « Conditions de l’éducation« , vous mettiez _ le livre est paru au mois de novembre dernier _ l’accent sur la crise de la connaissance. Le mouvement actuel dans l’enseignement supérieur n’en est-il pas une illustration ?

L’économie _ conçue d’une certaine façon, du moins : pas au service des besoins des personnes _ a, d’une certaine manière, dévoré _ = détruit _ la connaissance. Elle lui a imposé un modèle qui en fait une machine à produire des résultats dans l’indifférence à la compréhension et à l’intelligibilité des phénomènes _ ce qui est particulièrement niais et grave. Or, même si c’est une de ses fonctions, la connaissance ne peut pas servir uniquement à créer de la richesse _ surtout financière; et pour quelques uns, surtout, en priorité. Nous avons besoin d’elle _ aussi et d’abord _ pour nous aider à comprendre notre monde _ en sa complexité à toujours déchiffrer… Si l’université n’est plus du tout en position de proposer un savoir de cet ordre _ de l’intelligence du réel : l’idéal des Lumières _, elle aura échoué. Or, les savoirs de ce type ne se laissent ni commander _ mécanico-technocratico-militairement _ par des comités _ que ce soient des « comités Théodule« , ou que ce soient, carrément, de l’ordre de la « nomenkatura«  des « soviets » _ de pilotage, ni évaluer par des méthodes quantitatives _ un point crucial de l’analyse de Marcel Gauchet.

N’est-ce pas pour cela que la question de l’évaluation des savoirs occupe _ dans le dispositif législatif (ou de « décret«  !) à mettre en place _ une place centrale dans la crise ?

Alors que les questions posées par les modalités de l’évaluation sont très complexes, puisqu’elles sont inséparables d’une certaine idée _ non neutre, non in-nocente ! et « qui commande«  tout !.. _ de la connaissance, elles ont été réglées _ par les modalités législatives (ou de « décret« ) :  » le diable se cache toujours dans les détails » _ de manière expéditive par l’utilisation d’un modèle _ mathématico-physique _ émanant des sciences dures _ championnes (et pour cause !) du réductionnisme au tout-« quantitatif » !.. Ces grilles d’évaluation sont contestées jusque dans le milieu des sciences dures pour leur caractère très étroit _ très peu fin _ et leurs effets pervers _ en cascade… Mais, hormis ce fait, ce choix soulève une question d’épistémologie fondamentale : toutes les disciplines de l’université entrent-elles dans ce modèle ? Il y a des raisons _ puissantes _ d’en douter.

Ce n’est pas un hasard si les sciences humaines ont été en pointe dans le mouvement. Il s’agit pour elles de se défendre _ bec et ongles… ; et « à mort«  _ contre des manières de les juger _ et « évaluer« , noter ; et « condamner » !.. _ gravement inadéquates _ eu égard à leurs spécificités, plus fines et « délicates«  L’exemple le plus saillant est la place privilégiée accordée aux articles dans des revues « à comité de lecture« , qui dévalue totalement la publication de _ vrais _ livres _ ouverts, eux, à l’appréciation (tous azimuts) d’un beaucoup plus large public cultivé ; et « hors côteries« , lui… ; ainsi, et d’abord, que de « pairs » : compétents ! ; et pas livrés à un jugement discrétionnaire, intéressé, et partisan : très « étroit« , en effet, lui ; et partiel, et partial… Or pour les chercheurs des disciplines humanistes _ et le qualificatif est bien à prendre « à la lettre » (celle qui sert « l’esprit«  ! et un « idéal » de « l’Homme«  : là-dessus, lire Alain…)… _, l’objectif principal et le débouché naturel de leur travail est le livre _ soit bel et bien une œuvre propre et singulière ; pas un simple (ou vulgaire) instrument de carrière : cf la vigoureuse et magnifique description on ne peut plus et on ne peut mieux « réaliste«  du régime éditorial « stalinien » dans la Hongrie d’après 1956 par Imre Kertész dans « Le Refus«  ; ou le monde (et la « novlangue« ) selon le « 1984 » du lucidissime George Orwell (en 1948)… On est en pleine impasse épistémologique. _ absolument : mais ces « décideurs »-légiférant-(ou-« décrétant« )-là s’en soucient-ils seulement ? eux qui ne pensent (machiavéliquement _ plutôt que machiavéliennement !) qu’au nombre de « ré-élections » qui les obsèdent (en se rasant quotidiennement la barbe ou la moustache le matin…) ?.. Et à ce compte, le champion (et « modèle« ) serait : un certain Berlusconi…

Toutefois, la source du malaise _ de cette « mise en crise » de l’université ; et de la place civilisationnelle du savoir, de l’enseignement ; et de l’apprentissage et de la transmission (sur-qualifiés à tours de bras de vilains « conservatismes« ) _ est bien en amont des textes de réforme qui cristallisent aujourd’hui les oppositions.

L’université souffre au premier chef de sa mutation démographique _ depuis, juste après 1968, la première « réforme Edgar Faure » de l’Université, pour ce qui concerne la France… Elle a mal vécu une massification _ en effet ; sans démocratisation authentique, hélas ; c’est-à-dire au mépris de la qualité ; et du « qualitatif« _ qui s’est faite _ quasi exclusivement _ sous le signe de la compression des coûts et qui s’est traduite par une paupérisation _ de l’Université (et ses acteurs). Il faut bien voir que nous sommes confrontés ici à un mouvement profond, qui relève de l’évolution des âges de la vie, et qui étire la période de formation _ au moins universitaire, de « jeunes » devenus aussi, à bien des égards, pour beaucoup (et « en masse« , générationnellement ; « bombardement«  des larges mass medias aidant), des « adulescents » de plus en plus longtemps « prolongés«  _ jusqu’à 25 ans. L’afflux vers l’enseignement supérieur est donc naturel _ dans les « normes sociales » en cours, c’est-à-dire « modernes«  !.. _, indépendamment du contenu offert _ bien sûr : on y a un peu moins « regardé« , le plus souvent, sans doute… Étant donné la « culture politique » française, dans l’imaginaire collectif _ et cela, depuis les rois Bourbon, probablement, et les édits « pacificateurs«  de Henri IV, dont l’édit de Nantes (le 30 avril 1598) _, l’université devient le prolongement naturel de l’école républicaine gratuite et presque socialement obligatoire _ en effet : d’où la formidable prégnance populaire encore de notre devise « Liberté – Egalité -Fraternité«  !.. Je ne crois pas plausible _ selon quels critères : de pragmatisme (de « besoins«  techniques des « métiers possibles« ) ? de fort resserrement des budgets (économiques) ? _ de maintenir le modèle de cette école républicaine jusqu’à 25 ans ; mais je comprends pourquoi _ de par cette histoire : et française, et républicaine _ les gens y croient. C’est même constitutif de notre pays _ oui : au moins depuis Henri IV ; ou François Ier ; ou plus en amont encore : qu’en disent les historiens du Moyen-Âge ?.. Mais cette spécificité en rencontre une autre _ tout aussi (et presque autant) « française«  historiquement… : ce que comprit fort bien l’habile Louis XVIII ; après Napoléon, lui-même… _, qui joue en sens inverse, à savoir l’existence d’un système à part _ de « distinctions » et « privilèges«  _ pour la formation des élites, celui des grandes écoles. Il s’ensuit que nos dirigeants, issus en général de ce circuit « d’élite« , sont peu intéressés par l’université, quand ils ne la méprisent pas _ certes.

Notre université paie donc le prix d’une spécificité hexagonale ?

Ce partage universités/grandes écoles pèse très lourd. Partout ailleurs, le problème de l’université est vital puisqu’il y va de la formation des élites. Mais pas chez nous, la bourgeoisie française disposant d’un système ultra-sélectif de grande qualité pour la formation de ses rejetons, qui a de surcroît l’avantage unique d’être gratuit _ au nom du « mérite«  (et de la méritocratie). Mieux : on peut même y être payé pour apprendre : voir Polytechnique ou Normale Sup _ idem. L’université de masse, en regard, tend à être traitée comme un problème social _ et non, prioritairement, de formation (et accès) au savoir. Nos gouvernants viennent de découvrir qu’elle était aussi un problème économique _ pour le budget de l’État (et la charge des contribuables). Mais leur regard reste conditionné par le passé : ils veulent des résultats _ pré-formatés, à la façon d’un « plan«  de type « soviétique« , selon la responsabilité de « patrons » (des Universités), selon la logique plutôt uniforme (de rentabilité prévisionnelle) des « marchés«  _ pour pas cher.

C’est sur un terrain déjà bien miné qu’arrive le mot nouveau _ bien connoté (de « loi«  décidée « par soi-même« ) _ d' »autonomie » ?

Ce mot admirable _ en effet : cf ce qu’en dit Kant (en la « Critique de la raison pratique« , ou dans les « Fondements de la métaphysique des mœurs«  _ que personne ne peut récuser n’est _ en cette occurrence-ci ! _ qu’un mot _ d’orwelienne « novlangue«  Il est illusoire de croire que parce qu’on a le mot, on a la chose _ nous ne sommes pas dans le monde féérique des marques et « logos«  (cf « Propaganda _ comment manipuler l’opinion en démocratie« , d’Edward Bernays (neveu de Freud : le livre-pionnier parut en 1928 aux États-Unis ; ou « La Stratégie du désir _ une philosophie de la vente » de Dichter Ernest (en 1960; la traduction française parut aux Éditions Fayard en 1961) : bibles des imaginatifs communicants du « marketing«  Demandons-nous ce qui se cache derrière ses promesses apparentes _ d’« autonomie«  Pour avoir une autonomie véritable _ et non « illusoire«  _, il faut disposer de ressources indépendantes. Or, en France, c’est exclu, puisque le bailleur de fonds reste _ du moins pour le moment, provisoirement _ l’Etat. On peut certes développer des sources de financement autres. Elles font peur à un certain nombre de mes collègues, mais je les rassure tout de suite, ça n’ira jamais très loin : le patronat français ne va pas par miracle _ du fait de lourdes « pesanteurs sociologiques » historiques… _ se mettre à découvrir les beautés _ « pour la forme« , gratuites _ d’un financement qu’il n’a jamais pratiqué. Notre « autonomie à la française » ne sera donc qu’une autonomie de gestion _ administrative ! _ à l’intérieur de la dépendance financière et du contrôle politique final _ Ouf ! _ qui va avec. Le changement est moins spectaculaire _ et davantage « poudre aux yeux«  _ que le mot ne le suggère.

D’autres modèles étaient _ on remarque la formulation au passé _ possibles ?

Certains pays de l’Est comme la Pologne ont pris un parti radical dans les années 1990. L’État a opéré une dotation des universités en capital ; et elles sont devenues des établissements indépendants. A elles de faire fructifier leurs moyens et de définir leur politique. Si un tel changement était exclu _ toujours au passé ! nos « pesanteurs«  sont endémiquement lourdes (sur la plutôt « longue durée« , dirait peut-être Braudel) ; et la « rupture«  surtout matamoresque… _ chez nous, ce n’est pas seulement en raison du « conservatisme » français. C’est aussi et surtout que notre système n’est pas si mauvais _ tiens donc ! _ et que tout le monde le sait, peu ou prou. A côté de ses défauts manifestes, il possède des vertus cachées.

On pourrait même soutenir, de manière provocatrice, qu’il est « l’un des plus compétitifs du monde« , dans la mesure où il est l’un de ceux qui font _ financièrement, à la « débrouillardise«  _ le mieux avec le moins d’argent. C’est bien la définition de la compétitivité, non ? Dans beaucoup de disciplines, nous sommes _ culture d’une certaine « ingéniosité » aidant, peut-être… _ loin d’être ridicules par rapport à nos collègues américains, avec des moyens dix fois moindres.

Et vous pensez que le grand public _ soit le « peuple souverain« , qui vote ! mais de qui donc peut-il bien être le « public«  spectateur ?.. _ en a une vision déformée ?

Comment le connaîtrait-il ? L’image romantique _ éthérée _ du « chercheur » dissimule une réalité _ au quotidien des travaux _ très différente. La recherche est probablement le secteur le plus compétitif, le plus concurrentiel, le plus soumis à la pression _ rien moins ! _ de tous les secteurs de la vie sociale _ on peut en lire un compte-rendu féroce de la vie dans les laboratoires universitaires dans l’autobiographie de Paul Feyerabend, « Tuer le temps » (en traduction française aux Éditions du Seuil en 1996). C’est d’ailleurs l’un des motifs de la désaffection _ des postulants-étudiants _ pour les sciences. Il faut une vocation solidement chevillée au corps pour endurer cette vie de moine-soldat, où vous avez à vous battre tous les jours pour _ accrochez-vous bien ! _ rester dans le coup, obtenir des moyens, faire valider vos résultats, le tout pour un salaire sans aucun rapport avec ceux des cadres de l’économie _ commerciale, vendeuse. Il y a _ donc _ quelque chose de fou _ versant sadisme _ dans le besoin d’en rajouter une couche _ de la part des pouvoirs ! _ et de resserrer encore le contrôle, comme si les chercheurs n’étaient pas capables de détecter seuls _ par une autonomie de l’intelligence, cette fois _ les sujets porteurs _ de fécondité de leur ingéniosité _, comme s’ils étaient assez stupides pour aller s’embourber dans des domaines qui n’ont aucun intérêt pour personne. Qui donc fait preuve d’aveuglement, ignorance et incompétence, ici ?

Le pire à mes yeux pour l’avenir _ c’est lui qui est en balance, en bascule ; au bord de la ruine (par la « casse«  de ce qui marche !) _ est dans cette prétention à « programmer _ de points nodaux administratifs : de tout-puissants « présidents«  d’université ! _ la recherche« . Comme s’il pouvait exister des « méta-chercheurs » en position de piloter le travail des autres ! _ ainsi « subalternisés » et placés et maintenus « aux ordres » : en totale situation d' »hétéro-nomie« , pour le coup : par cette « caporalisation«  des structures de décision et pouvoir… La situation normale _ du point de vue de la saine raison, et de la légitimité (de droit) _ est celle du chercheur qui soumet _ en le proposant à un jugement et une discussion de viabilité _ un projet à des instances _ de conseil, à l’amiable ; chacun faisant entendre librement ses réflexions _ qui le jugent réaliste, ou prioritaire, compte tenu des moyens disponibles, exactement comme un banquier prend un risque _ qui engage sa responsabilité _ en prêtant de l’argent à une entreprise _ afin de soutenir et faire réussir l’ambition ainsi dessinée par le postulant. Mais l’idée _ même de la recherche à inventer et mener, et le programme des travaux qu’elle induit _ ne peut venir que du chercheur ! Autrement, le conformisme _ voilà le péril ; l’académisme au détriment de l’audace ! de l’originalité ! du « génie » !.. _ est garanti. C’est une machine à tuer l’originalité dans l’œuf _ voilà ! _ qui se met en place.

Quelles conséquences l' »autonomie » _ ainsi instituée _ aura-t-elle sur la vie professionnelle _ concrète, effective, « au quotidien«  _ des enseignants-chercheurs ?

L' »autonomie » entraîne le passage des enseignants-chercheurs sous la coupe _ un terme à bien mesurer ! _ de l’université _ via le « président » qui y est (et sera) élu _ où ils travaillent. L’établissement, à l’instar de n’importe quelle autre organisation ou entreprise, se voit doté d’une gestion de ses « ressources humaines«  _ on les connaît bien déjà ; on les voit fonctionner… _, avec des capacités de définition _ rigidifiée _ des carrières et, dans une certaine mesure, des rémunérations. C’est un changement fondamental _ de caractérisation du pouvoir de décision _, puisque d’un statut qui faisait de lui _ l’enseignant-chercheur _ un agent (indépendant) du progrès de la connaissance _ son objectif et sa priorité ! _, recruté par des procédures rigoureuses _ en effet ! _ et évalué par ses pairs _ enseignants-chercheurs indépendants (d’esprit) eux-mêmes _, il passe à celui d’employé _ plus que dépendant ! désormais : incité (le couteau sous la gorge) à la servilité ! _ de cet établissement.

Jusqu’où va ce « changement fondamental » ?

C’est un changement complet de métier _ rien moins ! Il est visible que la mesure de cette transformation _ d’abord idéologique (caporalière) ; et électoraliste _ n’a pas été prise _ par l’opinion, endormie face au pouvoir politique concepteur et signataire du décret (du 22 avril). L' »autonomie » des universités veut dire en pratique la mise au pas _ avec passage de la nuque et du col (et de toute la tête ; ainsi que le buste) sous les fourches caudines _ des universitaires. Toute la philosophie de la loi _ une jolie expression _ se ramène _ ah ! _à la seule « idée » _ c’est une philosophette _ de la droite en matière d’éducation, qui est de créer des « patrons de PME«  _ voilà !!! _ à tous les niveaux _ des ex-« services publics«  de l’Instruction-Enseignement-Éducation _, de la maternelle à l’université _ au service des seuls « besoins » (prévisibles) de la clientèle (électorale d’abord) des « parents-d’élèves » (souvent affolés, et à juste titre, par les graves incertitudes d’avenir de leurs enfants)… Ô Mânes d’Alain, soulevez-vous !.. Il paraît que c’est _ le « management«  de type-PME _  le secret de l’efficacité _ managériale… On peut _ de fait, sinon de droit : c’est une hypothèse d’école aimable… _ juger que le statut antérieur _ des « enseignants-chercheurs«  _ était archaïque et n’était plus tenable _ pragmatiquement _ à l’époque d’une université de masse ; mais encore fallait-il expliciter _ devant l’opinion publique (citoyenne), et en vue d’un débat honnête ! (= véritablement « démocratique«  !) _ les termes de cette mutation _ à mener, tambour battant et bannières au vent, au nom de la « modernité » « réformiste«  ; versus les « conservatismes«  « corporatistes«  de tous poils ; l’air est connu… _ et clarifier _ mais qui peut bien rechercher la clarté en matière de « machiavélisme » ?.. _ les conséquences à en tirer.

Ce statut _ la « bête«  à mettre à bas ! _ était un concentré de l’idée du « service public à la française« , avec ses équilibres subtils _ oui… : fruits d’une Histoire de compromis pacifiés (non sans secousses, ou embardées, d’ailleurs…) _ entre la méritocratie, l’émulation et l’égalité. Toutes les universités ne sont pas égales, personne ne l’ignore ; mais tout le monde est traité de la même façon. Il n’y a rien de « sacro-saint » là-dedans ; mais on ne peut « toucher«  _ au nom de quelque « rupture«  que ce soit ! : de quel côté est se cache ici l’idéologie ? _ à tels produits de l’histoire _ il faut en avoir suffisamment conscience ! _ qu’en pleine connaissance de cause _ c’est peut-être là un peu beaucoup demander ! ces derniers temps… _ ; et en mettant toutes les données sur la table _ sinon, gare aux conséquences des méfaits de « Gribouille«  : nous avons pu constater, cet automne, où ont mené les deux mandats flambants de George « W« . Bush !.. Tout le monde n’en a pas encore pris de la graine _ à part les slogans des communiquants (« Yes, YOU can«  !!!) : cherchez l’erreur !..

C’est donc tout le fonctionnement de notre société qui _ par ricochets _  est interrogé là ?

Le problème universitaire est un bon exemple _ en effet : paradigmatique ! _  du problème général _ de fond : et posant des choix politiques fondamentaux _ posé à la société _ ou « Nation« , je ne sais (ou « le peuple« )… _ française, celui d’assurer l’adéquation à la « marche du monde«  _ dite « globalisation« _ de notre « modèle » hérité de l’Histoire ; et organisé autour de l’idée de République. Toute la difficulté _ et de tout Politique ! _ est de faire évoluer ce « modèle«  _ « français » (et antérieur, déjà à la « République » depuis 1789 _ sans brader notre héritage _ et ses valeurs _ dit « républicain« . Nous ne verserons pas d’un seul coup _ même par la vertu de quelque volontarisme bonapartien (de « rupture« ) !!! _ dans un modèle compétitif et privé _ ultra-libéral _, qui n’a jamais été _ de fait _ dans notre histoire _ comme quiconque a pu s’en pénétrer, même avec un cursus secondaire médiocre (ou pire). Comment intégrer davantage de décentralisation et d’initiative _ « girondines« , en quelque sorte… _, tout en maintenant un État garant de l’intérêt général _ s’il demeure un tel « idéal régulateur«  qui soit « voulu«  (= effectivement) par le « corps national«  _ et de l’égalité des services ? _ s’ils demeurent, aussi, en tant que vrais « services publics«  ?.. C‘est ce point d’équilibre entre les mutations nécessaires _ « globalisation » poussant à la roue (« de l’Histoire« ) _ et la persistance de son identité historique _ difficile à renverser ou rayer d’un seul trait de crayon magique (par décret !) _ que le pays recherche _ d’élection en élection ; à coup de changements de majorité… Il n’est pas « conservateur » : il est « réactif«  _ au quart de tour !.. Mais pour conduire ce genre d' »évolutions« , il faut procéder à découvert, oser le débat public _ et davantage de « vraie » démocratie (= honnête)…

Ce qui a été _ tactiquement _ absolument évité…

Le gouvernement a fait le choix d’une offensive éclair _ à la Bonaparte au Pont d’Arcole _, sur la base d’une grande méconnaissance _ par incompétence foncière (et mépris) _ du terrain universitaire. Probablement, ce sentiment d’urgence _ un des effets pervers de ce malheureux quinquennat ; renforcé d’une très dangereuse pente à la présidentialisation ; sans freins ; et un rabotage de la plupart des contrepouvoirs _ a-t-il été multiplié par le choc _ (très médiocrement !) médiatique seulement, hélas ! : c’est un indice du poids des « communiquants » parmi les conseillers du « Prince« , à la Cour… _ du « classement mondial des universités » fait par l’université de Shanghaï _ et un enseignant de Chimie ! _, qui a secoué nos élites _ si l’on peut s’exprimer ainsi… : « autoproclamées« , plutôt _ dirigeantes ; sans leur inspirer, hélas, le souci de se mettre _ effectivement !!! _ au courant. Si vous ajoutez à cela une image d’Épinal _ = un cliché ! _ de ce qu’est le système universitaire américain, aussi typique du sarkozysme _ hollywoodien _ que largement fausse ; plus l’idée que n’importe quelle stratégie de communication bien menée _ à la façon que décrit Machiavel : tantôt « en lion« , tantôt « en renard«  ; avec comme postulat la plus grande ignorance (et crédulité) possible(s) de à qui on s’adresse (cf « Gorgias » de Platon)… _ vient à bout de tous les problèmes _ principalement d’opinion (ou électoraux) _, vous avez les principaux ingrédients de la « crise » actuelle _ et de la situation, choisie tactiquement, de « pourrissement« .

Quelle « sortie de crise » imaginez-vous ?

Quelle que soit l’issue du mouvement _ de tensions _, le problème _ de fond _ de l’université ne sera pas réglé. Le pourrissement est (…) fatal, mais la question restera béante et resurgira _ « réforme« -t-on jamais par simples décrets ?.. Peut-on museler pour toujours la voix du peuple ? Si le gouvernement _ qui joue la tactique _ croit que parce qu’il a gagné une bataille, il a gagné la guerre, il se trompe. La conséquence la plus grave _ à court terme, du moins _ sera sans doute une détérioration supplémentaire de l' »image » de l’université, ce qui entraînera la fuite des étudiants qui ont le choix vers d’autres formes d’enseignement supérieur ; et ne laissera plus à l’université que les étudiants non sélectionnés ailleurs. De quoi rendre le problème _ social ; puis culturel ; et, in fine, civilisationnel _ encore un peu plus difficile.

Propos recueillis par Maryline Baumard et Marc Dupuis

Article paru dans l’édition du 23.04.09.

Marcel Gauchet :

historien et philosophe, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, Marcel Gauchet, 62 ans, a publié beaucoup d’articles, notamment dans « Le Débat« , revue dont il est rédacteur en chef. On lui doit aussi de nombreux ouvrages où la démocratie, le pouvoir et le politique sont centraux. La transmission est un sujet qui lui importe ; et il a co-signé, fin 2008, en collaboration avec Marie-Claude Blais et Dominique Ottavi, « Conditions de l’éducation«  (aux Éditions Stock, 2008) _ on se souvient aussi, par les trois mêmes, en novembre 2003, d’un excellent et nécessaire « Pour une philosophie politique de l’éducation _ Six questions d’aujourd’hui« 

A méditer

_ on pourra lire avec profit « Prendre soin 1 _ De la jeunesse et des générations«  de Bernard Stiegler ;

ainsi que consulter le site d’« Ars Industrialis« , qu’il dirige _ ;

et l’Histoire, qui prend toujours du temps _ et son temps (propre !) ; au delà des variations des opinions et des votes aux élections des électeurs _ jugera,

comme d’habitude…

Titus Curiosus, ce 23 avril 2009

Le suicide d’une philosophe : de la valeur de vérité (et de justice) dans le marigot des (petits) accommodements d’intérêts (4 _ en forme d’apothéose)

20nov

Sur l’épisode n°5

_ « sur la sollicitude des philosophes, et la sollicitude heideggerienne en particulier«  _

d’une série d’articles d’Yves Michaud _ « Un Suicide dans les règles » _,

à propos la (bien) pénible affaire du « suicide d’une philosophe«  suite à sa non-titularisation,

dans des circonstances (universitaires) de formes (on ne peut plus) légales (« dans les règles« ), certes,

mais sans guère de « sollicitude«  (« care » : donc éthique), semble-t-il :

voici, du moins, une nouvelle pièce (d’analyse philosophique _ pointue…) à verser, aujourd’hui, à ce dossier ;

et on ne perdra certes pas son temps à accepter de bien vouloir lire in extenso ce nouvel article d’Yves Michaud en son blog « Traverses » du site de Libération, à la date de ce jour : « Rédigé le 20/11/2008 à 16:54« …

En pleine lecture de l’essai « Le Sexe de la sollicitude » de Fabienne Brugère,

qui le présentera à la Société de Philosophie de Bordeaux, dans les salons Albert-Mollat de la Librairie Mollat _ 15 rue Vital-Carles, à Bordeaux _ mardi prochain, 25 novembre, à 18 heures,

je n’ai donc pu que me trouver « interpellé »

par le sous-titre de ce nouvel « épisode »

de la (très remarquable) analyse michaldienne de ce (bien) pénible « cas » :

« sur la sollicitude des philosophes, et la sollicitude heideggerienne en particulier« , donc…

Dans une forme absolument « désopilante«  (!!!)

qui n’est pas sans rappeler le talent _ ou le génie : déchaîné ! _ du Swift des « Instructions aux domestiques »

(afin de « résoudre » « au mieux » l’assez difficile famine irlandaise _ de son temps, en 1745),

Yves Michaud nous prie, nous, lecteurs, de bien vouloir lui pardonner quelque « excès » d’humour noir » :

l’adjectif « désopilant » est, en effet, employé par l’auteur de cet article (d’anthologie) lui-même, pour l’usage de « Heidegger » que « se permet » _ sans doute en vertu de la « méta-fiction » ! _ un auteur de romans japonais, M. Tsutsui Yasutaka ;

en voici le détail :

« Histoire de sourire dans une affaire sinistre,

je renvoie sur ces quelques points à un roman désopilant du japonais Tsutsui Yasutaka, grand maître de la méta-fiction, « Les cours particuliers du professeur Tadano » _ ce roman, de 1990, est paru en traduction française aux Éditions Stock, en 1996.

Que les Brestois se rassurent, le livre de Yasutaka _ né en 1934 à Ōsaka _ ne se passe pas à l’Université de Bretagne occidentale ; et le professeur Tadano n’y enseigne pas la philosophie allemande !

Dans ce  roman, le professeur Tadano, qui a l’air de s’y connaître en jargon heideggerien authentique _ comment ne pas admirer l’emploi d’un tel terme en pareille occurrence ?!.. _, paraphrase ainsi la pensée du maître :

« Tenez, par exemple, quand on aide les autres, quand on couche avec eux, quand on les trahit, quand on se fait transmettre le virus du sida, tout ça, c’est de la sollicitude dans la terminologie de Heidegger » ;

ou encore :

« L’authenticité, c’est quand l’homme fait face à sa souffrance et à sa peine, qu’il l’assume, sans chercher à lui échapper

en faisant du tourisme de masse ou en se réfugiant dans la bouffe,

bref,

qu’il existe réellement en tant que lui-même. » Fin de la citation du roman japonais.

Yves Michaud s’en excuse un peu plus loin, au final de l’article :

« Qu’on me pardonne, pour finir, mes quelques traits d’humour noir.
D’abord ils soulagent.
Ensuite j’espère bien qu’ils ne dissimulent pas mon sentiment profond : que toute cette histoire fut et demeure strictement
_ l’adverbe aussi est important _ « dégueulasse ». »

Merci…

Et sur le fond, maintenant,

lire tout le détail de l’article sur le site « Traverses » d’Yves Michaud…


Titus Curiosus, ce 20 novembre

Le suicide d’une philosophe : de la valeur de vérité (et de justice) dans le marigot des (petits) accommodements d’intérêts

08nov

Un article _ hélas _ significatif (du présent : de la « société »…) sur l’excellent blog de philosophie de François Noudelmann : « 24 heures Philo » _ sur le site de Libération ; en date du 3 novembre 2008…

03/11/2008

« Une philosophe broyée par l’université de Brest »

(sic)

Par Jacques Dubucs, Jean Gayon, Joëlle Proust, Anouk Barberousse, Philippe Huneman•

«  Marie-Claude Lorne, philosophe, s’est donné la mort à 39 ans. En 2004, agrégée de l’Université, elle avait soutenu une thèse de philosophie des sciences et bénéficié, durant sa rédaction, de plusieurs subventions internationales. Par la suite, elle a effectué deux séjours postdoctoraux, à Montréal et à l’Institut d’Histoire et de Philosophie des Sciences et des Techniques de Paris (IHPST). Elle a enfin été élue en mai 2007 à un poste de Maître de Conférences à l’Université de Bretagne Occidentale (Brest).

Engagée dans une recherche de longue haleine sur les notions de fonction, d’information et d’intentionnalité en psychologie et en biologie, ainsi que sur la biologie contemporaine du développement, Marie-Claude Lorne devenait clairement une autorité en philosophie de la biologie, une interlocutrice privilégiée de ceux qui, Français comme étrangers, sont au premier plan de cette discipline. Tous ceux qui l’ont croisée ont été impressionnés par l’exigence et la clarté de sa pensée. Sur le terrain des idées, Marie-Claude ne transigeait jamais. Beaucoup se souviendront de ses interventions passionnées lors des colloques de philosophie. Pour cela, ses amis l’admiraient et enviaient son intransigeance : jamais elle ne cédait devant un argument qu’elle n’estimait pas intégralement clair ou satisfaisant.

Le 22 septembre, elle laissait à son domicile une lettre annonçant son suicide ; le 3 octobre, son corps a été retrouvé dans la Seine. Sa disparition est une grande perte pour la philosophie, française comme internationale ; elle laisse une œuvre interrompue que ses collègues auront à cœur de rendre publique.

Pourquoi cette jeune musicienne et mélomane raffinée, se comptant beaucoup d’amis, cette femme enthousiaste aimant les bons vins, les dîners et les soirées d’après conférences, a-t-elle ainsi abrégé sa vie ? Sa longue lettre d’adieu fait état de sa «non titularisation» comme maître de conférences à l’Université de Bretagne Occidentale. Il faut savoir qu’en général, cette titularisation va de soi ; son refus nécessite des carences majeures publiquement attestées (non effectuation du service, incompétence pédagogique majeure, violence _ et encore, celles-ci n’ont que très rarement entraîné un rejet du corps universitaire, comme beaucoup peuvent en témoigner).

Chercheuse hors pair, Marie-Claude Lorne était aussi une enseignante irréprochable : de multiples témoignages d’étudiants et de collègues viennent maintenant nous le confirmer. Ainsi, cette sentence, prise par une commission de spécialistes ayant siégé et œuvré dans des conditions peut-être légales mais déontologiquement invraisemblables et inacceptables au regard des us et coutumes universitaires, s’avère indubitablement une «décision injuste» (deux membres présents sur dix titulaires et dix suppléants ont siégé ; contre tous les usages de l’Université, la décision n’a été communiquée à l’intéressée qu’après trois mois, à la veille de la rentrée). Marie-Claude a elle-même souligné l’injustice foncière de cette décision dans sa lettre d’adieu. Après le drame, huit des membres de la commission de spécialistes ont véhémentement protesté par lettre auprès de l’Université, du recteur, du ministre et du Conseil National des Universités.

De fait, une telle décision n’avait rien d’irréversible, tant les amis que Marie-Claude avait alertés, étaient déterminés à faire valoir son droit à l’encontre d’une sanction qu’ils estimaient, sur la forme comme sur le fond, inique. Néanmoins, quelle que soit l’issue des recours, elle disait se voir condamnée à exercer à l’avenir son métier dans un «environnement professionnel hostile», perspective qu’elle refusait à juste titre de supporter. Même si nous ne comprendrons jamais vraiment pourquoi Marie-Claude a vécu cette décision comme injuste au point de se donner la mort, il est clair qu’elle l’a entendue comme un arrêté ultime, irrévocable à l’encontre de sa légitimité comme philosophe, c’est-à-dire comme une violence symbolique extrême.

Marie-Claude aimait vraiment la vérité, fidèle en cela à l’exigence originelle de la philosophie. Le semblant, quelque nom qu’on veuille bien lui donner _ « diplomatie » les bons jours, « hypocrisie » les mauvais _ elle n’en voulait pas. Elle n’a jamais cédé là-dessus, refusant de feindre de se ranger aux avis de plus puissants pour tirer les bénéfices de son allégeance. D’où, bien sûr, des difficultés prévisibles ; elle les connaissait et les acceptait.

La tragique disparition de Marie-Claude Lorne nous interpelle sur un monde du travail capable d’ainsi broyer les individus, et demande une réaction énergique. Toutes les enquêtes le montrent : le taux des suicides déclenchés par des motifs professionnels est en hausse inquiétante. Lorsqu’une telle dérive en vient à toucher des institutions républicaines, elle est particulièrement insupportable.

A Brest, Marie-Claude en a payé le prix. Un prix démesuré. »

Jacques Dubucs (Directeur de recherche, Directeur de l’IHPST (CNRS/Paris I Sorbonne/ENS) ; Jean Gayon (Professeur à l’Université Paris I Sorbonne) ; Joëlle Proust (Directeur de recherche, Institut Jean Nicod (CNRS/EHESS/ENS)) ; Anouk Barberousse, Philippe Huneman (Chargés de recherche à l’IHPST).

Rédigé le 03/11/2008 à 15:05

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Voici les sites qui parlent de Une philosophe broyée par l’université de Brest :

Commentaires

Avec pressions à la clé.
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés… même à l’Université.

Avec tristesse et révolte, je pense à cette femme brillante bien sûr, mais surtout intègre et bien trop jeune pour un tel destin tragique.

http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=46451

Rédigé par: candide | le 03/11/2008 à 17:09

Ce genre de geste, malheureusement, se renouvellera … Ce ne sera que la conséquence logique de l’autonomie des Universités qui permettra toutes les magouilles locales de petit groupes de baron(ne)s locaux sans aucun contrôle … Aujourd’hui, ces contrôles sont déjà rares … la preuve !

Rédigé par: B.D. | le 03/11/2008 à 17:14

L’université compte autant de cuistres que de savants ; et parmi les raisons de son effacement, les batailles pour trois ronds de frites, les rivalités de personnes, de territoires… D’où la nécessité d’apprendre les hommes, avant d’étudier les livres… Quelle triste affaire qui sent le provincialisme à plein nez… Sans compter qu’un poste de maître de conférences n’est déjà pas la panacée pour un savant de haut niveau : faut-il un dessin des obligations de service ? Refuser la titularisation dans ce cas, c’est effectivement renvoyer la personne sur les bords de Seine, lui courbant l’échine et l’injuriant en bas-breton

Rédigé par: Vieux Taxi | le 03/11/2008 à 17:40

Bien entendu, je ne connais ni cette collègue, ni les « dessous » de l’affaire. Mais je sais que le monde universitaire peut être, au moins autant que le monde des affaires, impitoyable ; et qu’en outre on n’y a pas droit à l’oubli ! J’assure les collègues de ma profonde sympathie.

Rédigé par: quercus | le 03/11/2008 à 17:56

La lente mais irrésistible putréfaction de l’Université démontre l’achèvement de la phase terminale du nihilisme européen : le milieu philosophique lui-même est profondément gangréné par le cynisme, le ressentiment et la volonté de vengeance. Aucune générosité intellectuelle ni aucune recherche désintéressée de la vérité ; seulement des conflits d’ego et des haines recuites. Alors effectivement, ceux qui _ parce qu’ils existent _ tentent vraiment de « penser » dans ce cloaque doivent avoir le cœur bien accroché. Mme Lorne était probablement trop délicate pour l’Université. Qu’elle repose en paix.

Rédigé par: Crocodile | le 03/11/2008 à 18:08

Cette affaire très regrettable a déjà fait l’objet d’articles sur le net beaucoup moins clairs et objectifs que celui-ci. Néanmoins, il me semble qu’un suicide est chose trop personnelle pour qu’on puisse s’en saisir pour faire le procès de l’Université comme d’aucuns l’ont essayé ailleurs.
Il est en effet très rare qu’une titularisation soit refusée. Maintenant, je suis scandalisé par les conditions dans lesquelles la décision a été prise : deux membres présents seulement. Que faisait donc le collègue chargé de présider la section de spécialistes en question ? Cela fait partie de ses attributions de téléphoner aux uns et aux autres pour avoir du monde.

Rédigé par: Pomponius | le 03/11/2008 à 18:46

L’émotion m’étreint à lire ces lignes. Universitaire scientifique, bien que beaucoup plus modeste que Mme Lorne, j’ai également ressenti cette violence sans nom à l’issue de ma thèse au moment où j’envisageais de me tourner vers la recherche.
Cet absolu respect de la vérité que j’ose estimer partager avec elle ne permet pas de s’accomoder du « système ». « Psychorigide« , ai-je souvent entendu.
Mme Lorne par son geste désespéré (?) ou héroïque attire notre attention sur ce qui ne va pas en Philosophe _ qui guide vers la Vérité. Puisse-t-elle trouver le repos de l’esprit dans le grand sommeil de la mort.

Rédigé par: michel | le 03/11/2008 à 18:52

Encore sous le choc pour quelqu’un que je ne connaissais pas, mais pour une situation qui concerne la pseudo collégialité à l’université. Cet événement en rappelle d’autres…

Ce drame nous touche tous et nous oblige à réfléchir au « fonctionnement » de nos belles institutions.

Mes condoléances sincères et mes pensées à ses proches
Avrel

Rédigé par: Avrel | le 03/11/2008 à 18:56

Triste Université qui est une véritable « machine à formater du tiède » : recherches audacieuses et recherches critiques étouffées ; recrutements de complaisance ; rabougrissement de la pensée au profit de de pathétiques batailles entre ego mal placés…

Rédigé par: Isabelle | le 03/11/2008 à 18:57

Actuellement, c’est toute la philosophie académique, du secondaire à l’Université, qui se laisse broyer sans piper mot et consent à son propre marasme et avilissement. On n’entend que Badiou sauver un peu l’honneur, alors que tous les professeurs de philosophie sans exception devraient aller dans les rues expliquer le « Discours de la servitude volontaire » ou « Le Capital« .
Et en interne, que dire, sinon que ça pue intensément ? Inégalités monstrueuses des charges de travail, incapacité à se mettre d’accord sur des progressions d’apprentissage raisonnées, incapacité à motiver et harmoniser des évaluations, querelle des chapelles (continentale ou analytique, appepienne ou acirephienne), rareté malthusienne des postes et guerres intestines subséquentes (qui font à présent des morts), isolement ; et impossibilité de poursuivre un travail de recherche dès lors qu’on enseigne dans le secondaire tant l’avalanche de classes et de copies rend impossible même le loisir nécessaire à la lecture et à la simple pensée, etc., etc.
Non, décidément, la philosophie n’est pas faite pour tout le monde. Il faut pour pouvoir en vivre tolérer un degré de turpitude, de violence et de miasme qui ferait vomir n’importe qui possédant quelque bon sens réellement partagé.
Evidemment, les pages du magazine « Philosophie », ou les joliesses et belles phrases médiatico-lénifiantes de Raphaël E. ne donnent aucune idée de tout cela, ni d’ailleurs non plus des sacrifices qu’il faut faire pour pouvoir réaliser son rêve de penser et enseigner en compagnie de maîtres en humanité si l’on n’est pas issu d’un milieu d’héritiers. Car le fond de l’affaire est là. La philosophie académique est la chasse gardée de l’Ecole réactionnaire et de la réaction tout court. On y tire à vue sur tout ce qui n’a pas l’apparence de respecter, relativement à ces turpitudes, un silence de bon aloi, bourgeois et cossu comme l’essentiel du recrutement philosophique académique lui-même, comme si ce silence-là était en soi une garantie de justesse et de justice.

Hélas, à quelques exceptions près, les « philosophes », dans leur silencieuse grégarité, auront consenti à la disparition de l’Ecole publique, si elle disparaît ( ce qui, au train où vont les choses, ne va pas manquer d’arriver). Sans doute même beaucoup auront-ils souhaité cette disparition, n’y voyant aucun inconvénient, pour pouvoir eux aussi, comme untel et untel dont le nom ne mérite pas d’être cité, vivre « philosophiquement » en vendant de la conférence culturelle à des gogos tout aussi héritiers qu’eux, à raison de 6000 euros la demi-journée.
Non, la montagne de dégoût qui a anéanti Mme Lorne n’est pas du tout inconcevable : il est très facile de l’éprouver et il est très difficile de ne pas y céder. On aimerait souvent, comme Nietzsche, pouvoir trouver un prétexte honnête, une maladie, pour quitter cet affligeant milieu et aller respirer enfin l’air des cimes afin de retrouver le meilleur de l’humanité en discutant contre, tout contre, Platon.

Rédigé par: pamyr | le 03/11/2008 à 19:26

J’étais loin d’être aussi brillant que Mme Lorne, mais je comprend sa souffrance, de six années de sacrifices impossibles à courir après la CNU et une qualification.
L’université française tue la qualité et la compétence, on le sait depuis longtemps. On découvre qu’elle le fait au sens propre.

Rédigé par: Jo | le 03/11/2008 à 19:32

Voilà pour cet article et ses commentaires de lecteurs sur le blog 24 heures Philo.

N’étant pas moi-même universitaire ; et, éprouvant, a contrario _ positivement donc _, pas mal d’estime ; et c’est un euphémisme : beaucoup ! _ personnelle _ pour la plupart des collègues philosophes qu’il m’arrive de fréquenter, notamment au sein de la « Société de philosophie de Bordeaux » ;

je n’en ai que davantage d’aisance à citer ces différents témoignages ci-dessus, sur le blog 24 heures Philo, donc, comme l’expression symptômatique du malaise de toute notre société _ rien moins ! envisagée comme un tout solidaire… _ ; ainsi, ce malaise, que celui des institutions _ l’université, mais plus largement, l’Ecole,

qui ont en chargent d’aider à « se former », « se développer », « s’épanouir », les esprits (et les personnes)…

Malaise face aux valeurs de vérité et de justice…

Montaigne intitulait le premier « essai’ de son troisième et dernier livre d' »Essais » : « De l’utile et de l’honnête« …

J’ai la chance de ne pas disposer de _ ni subir _ un « tempérament » pessimiste ;

il n’empêche ;

je suis, ou/et demeure, « de plus en plus » inquiet

de ce qu’un des commentateurs de l’article publié sur ce blog de François Noudelmann et Eric Aeschimann nomme « le nihilisme européen » _ ou plutôt « occidental » ? voire « mondialisé » ?.. _,

et qui sape les fondements de la confiance de chacun

tant en ses propres forces _ jusqu’à des suicides, tel que celui de cette philosophe de trente neuf ans !… _,

qu’en les autres,

en « le monde »…

Très personnellement, donc,

je me permets ici d’exprimer mon accord avec la « réception », par Laurent Joffrin, dans son (bel) éditorial _ « Yes, he can » _ de Libération le jeudi 6 novembre, de l’élection de Barack Obama à la fonction de présidence des Etats-Unis d’Amérique ;

et l’accès, de fait, de ce dernier _ « beau, jeune et bronzé« , s’est autorisé à proférer l’inénarrable bouffon Berlusconi (un des « toutous » de Busch encore en poste…)  _ à un certain leadership mondial ; et cela, qu’on s’en satisfasse, ou accommode, ou pas ; ou plus ou moins… ;

quand il _ Laurent Joffrin _ débute ainsi son article :

« L’avenir a changé de camp.

Pendant plus de vingt ans, les conservateurs l’avaient annexé.

Ils viennent de le perdre.« 

Car c’est aussi ainsi que j’ai interprété, en un article précédent _ « Sur le réel et le sérieux : le « point » de Paul Krugman sur l’enjeu de l’élection américaine du 4 novembre aux Etats-Unis » _, l’attribution, ce mois d’octobre-ci, du “prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel” à Paul Krugman ;

par comparaison avec l’attribution de ce même “prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel”, en octobre 1976, il y a exactement trente-deux ans, à  Milton Freedman…


J’ose interpréter ces divers événements

comme davantage que seulement un signe,

comme un bien réel sursaut

_ celui que Nietzsche, l' »anti-nihiliste » en chef, appelait si fort de ses voeux, par exemple dans « Ainsi parlait Zarathoustra _ un livre pour tous et pour personne » _,

comme un bien réel sursaut, donc, pour s’extirper de ce « nihilisme« ,

de la « pulsion de mort » mortifère

_ selon Freud (dans ses si essentiels « Essais de psychanalyse« ) ;

qui,

tant sadiquement que masochistement,

sape _ durablement et terriblement : en l’effondrant, à force de l’effriter… _ le sol même sur lequel s’efforcent de marcher, et essaient de se tenir (debout), et d’avancer, les personnes « humaines »…

Bref, à rebours de ce que ce suicide de la philosophe semble montrer

_ plutôt que « démontrer »… _,

je veux voir, en l’élan

_ interprétant le sien, personnel, d' »élan », comme celui d’un peuple entier (le peuple de Walt Whitman, en ses « Feuilles d’herbe« ) qui « se réveille » de ses mauvais rêves (d’alcoolique) _ ;

je veux voir, en l’élan qui porte Barack Obama

_ comme en l’élan qui avait porté, le mardi 8 novembre 1932, Franklin Delano Roosevelt _,

un « espoir » d’inversion _ enfin, depuis trente deux ans !!! (1976) _ de nos valeurs « sociales » :

politiques (à propos du rôle et de la valeur de l’Etat _ et du service public !!! _,

économiques,

culturelles ;

existentielles, in fine

Modestement,

Titus Curiosus, ce 8 novembre 2008

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