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Une comparaison discographique de Concertos et double concertos pour clavecin de Bach : le Bach revigoré et proprement jubilatoire de Francesco Corti et il pomo d’oro…

17fév

À propos du tout à fait remarquable _ et déjà remarqué ici même au mois d’août dernier _ percutant CD « Bach Harpsichord Concertos III » par Francesco Corti, Andrea Buccarella et le décidément toujours magnifique il pomo d’oro,

voici que paraît cet intéressant article, en date d’hier 16 février 2023, sous la plume de Christophe Steyne sur le site de Crescendo : « Concertos et double concertos pour clavecin de Bach : trois nouvelles parutions« ,

qui me paraît à confronter à mon article du 20 août 2022 sur ce même CD : « « …

Concertos et double concertos pour clavecin de Bach : trois nouvelles parutions

LE 16 FÉVRIER 2023 par Christophe Steyne

Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Concertos pour clavecin no 3 en ré majeur BWV 1054, no 4 en la majeur BWV 1055, no 6 en fa majeur BWV 1057, no 7 en sol mineur BWV 1058.

Masato Suzuki, clavecin. Bach Collegium Japan.

Andreas Böhlen, Kenichi Mizuuchi, flûtes à bec. Natsumi Wakamatsu, Azumi Takada, violon. Yukie Yamaguchi, alto. Toru yamamoto, violoncelle. Seiji Nishizawa, violone.

Juillet 2019. Livret en anglais. TT 60’05.  BIS-2481

Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Concertos pour clavecin no 2 en mi majeur BWV 1053, no 4 en la majeur BWV 1055. Concertos pour violon en la mineur BWV 1041. Concerto pour deux clavecins en ut mineur BWV 1062.

Mario Sarrechia, Bart Naessens, clavecin.

Sara Kuijken, violon solo.

Sigiswald Kuijken, violon, violoncello da spalla, direction.

La Petite Bande. Yun Kim, violon. Marleen Thiers, alto. Edouard Catalàn, basse de violon.

Octobre 2021. Livret en anglais, français, allemand. TT 62’39. Accent ACC 24385

Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Concertos pour deux clavecins en ut mineur, ut majeur, ut mineur BWV 1060-1062. Concerto pour clavecin, hautbois et cordes en ré mineur BWV 1059 [reconstruction F. Corti].

Francesco Corti, Andrea Buccarella, clavecin. Emmanuel Laporte, hautbois.

Ensemble Il Pomo d’Oro.

Avril 2021. Livret en anglais. TT 55’48. Pentatone PTC 5186 966

Au sein d’une discographie déjà abondante, l’actualité s’enrichit de trois nouvelles parutions consacrées aux concertos pour un ou deux clavecins. Affichant chacune un accompagnement réduit à un pupitre par partie, pour des effets au demeurant très contrastés selon l’esthétique qui se dégage de chaque album. Après un album de concertos à deux clavecins par Suzuki père et fils admiré par Ayrton Desimpelaere voilà huit ans, après un premier volume de concertos pour un seul clavecin (dont une reconstruction du BWV 1059), Masato et le Collegium Japan reviennent boucler l’intégrale des BWV 1052-1058. Dont celui décalqué du quatrième Brandebourgeois, ici superbement servi par les flûtes d’Andreas Böhlen et Kenichi Mizuuchi. On retrouve le même instrument à deux claviers (Kroesbergen, 1987, d’après Couchet), on retrouve le même accompagnement aminci, que la captation reproduit avec un relief et une densité qui remplument un peu la lésine des effectifs, au prix d’une certaine dureté et d’une image frontale.

On retrouve aussi le même genre d’interprétation radiographique, qui comblera les amateurs de lisibilité, de recto tono. Les mouvements vifs brillent comme un cristal aux arêtes pures, mais dépourvu de la moindre chaleur, de la moindre souplesse d’influx. Un usinage sidérurgique. Alors que dire des mouvements lents ?, d’une glabre et réfrigérante géométrie, désertés de tout affect, raclés à l’os. Suspecterait-on jamais l’Adagio e piano sempre de pouvoir flotter aussi impassiblement, tel un bloc de banquise dans un océan glacé ? Les oreilles avides d’un littéralisme élagué se rappelleront la phrase de Saint-Exupéry (Terre des hommes) : « il semble que la perfection soit atteinte, non quand il n’y a plus rien à ajouter mais quand il n’y a plus rien à retrancher ». Du territoire expressif visité par ces opus, ne reste-t-il pourtant qu’un cadastre piqué à la machine à coudre ?, se demanderont en revanche les contempteurs de cette approche digne d’un scanner.

Les déterminants de l’empathie ne se réduisent pas à l’arithmétique. L’émotion ne s’indexe pas sur la taille. Chez le label Accent, le même effectif d’archets (au plus, un quintette) manifeste une entropie supérieure à l’interprétation nipponne, mais aussi un net surcroît de chaleur communiquée à l’auditeur. Application du principe thermodynamique de conservation d’énergie ? À comparer le BWV 1055, les allegros ne sont pas moins animés avec l’équipe de Kuijken, mais le larghetto respire bien plus aisément. La malléabilité des cordes exsude un coloris et une saveur que nous ne percevions guère autour de Masato Suzuki. Toujours est-il que le mélomane devra adhérer à ce giron plutôt qu’un véritable orchestre, et accepter de souscrire à l’avis de Sigiswald Kuijken (« tous ses concertos appartiennent au genre de la musique de chambre ») au sein d’une notice à l’argumentaire partial. Laquelle explique aussi (pas très clairement) le recours à un violoncello da spalla pour le BWV 1062 (erronément répertorié comme BWV 1061 dans le tracklisting).

Côté solistes, on apprécie le tempérament de Sara Kuijken, aux phrasés étudiés qui déjouent les évidences (remarquable élasticité dans l’allegro assai) quitte à paraître parfois mal assurée. On salue le jeu fin et sensible de Mario Sarrechia, son articulation lubrifiée, son propos juste et soupesé (comme le final du BWV 1053 pétille sainement !). Le brillant alumnus des Conservatoires d’Anvers et Amsterdam est rejoint par Bart Naessens dans un tandem là encore parfaitement ciselé. Ce CD s’annonce comme premier volume d’une trilogie qui, outre les six concertos pour clavecin soliste (sans le BWV 1058 ?), compte rassembler à terme les trois doubles concertos pour clavecins, le double concerto pour violons, et les deux concertos pour violon

On mesure toutefois ce que l’interprétation du BWV 1062 concluant le disque Accent avait de prudente quand on sursaute _ avec jubilation ! _ à l’écoute du même concerto, qui fait irruption au début de l’album Pentatone. Le premier volume de l’intégrale des concertos solistes par Francesco Corti avait enthousiasmé notre plume et notre magazine _ et moi aussi !!! cf mon article du 21 mai 2022 : « «  _, qui le récompensait d’un Joker Millésime distinguant les douze meilleurs enregistrements de l’année 2020 ! Le livret invoquait un continuo attesté pour le BWV 1055, plaidant pour plusieurs archets par partie (3/3/2/1/1), extrapolés aux trois autres concertos de ce tome I. Nous voici ici cependant revenus à un équipage congru, mais valeureux par ses individualités : Evgeny Sviridov et Anna Dimitrieva aux violons, Stefano Marcocchi, à l’alto, Catherine Jones au violoncelle, Paolo Zuccheri au violone.

Codicille à cette série BWV 1052-1058, on nous offre ici le BWV 1059, inachevé par Bach mais complété par Francesco Corti (en s’inspirant des airs de la cantate Geist und Seele wird verwirret), comme Gustav Leonhardt l’avait osé en son temps (et gravé en 1960 sous étiquette Das Alte Werk), ainsi que d’autres tel Suzuki que nous évoquions ci-dessus. Tous les détails de cette intéressante (et très conjecturale) reconstruction sont honnêtement présentés dans le livret qui renseignera dûment les anglophones.

L’interprétation des quatre concertos affiche une vigueur peu commune, presque militante _ oui, oui… _, aiguisant les rythmes et affutant les tempos, poussant les partitions dans leurs retranchements. Y compris dans les andante et adagios, concentrés comme des instants paraboliques, resserrés d’un geste unificateur qui révoque la nuance, certes. Que dira-t-on alors des mouvements vifs ?! C’est musclé, parfois chahutant, souvent étourdissant, toujours stimulant _ pour notre jubilation ! Même combat que dans le disque de Masato Suzuki ? Du moins, la physionomie diffère, voire les enjeux : là dominait une impression de sécheresse, ici triomphe la force, tout aussi brute peut-être mais mieux hydratée, et qui n’oblitère pas l’éloquence. La démonstration intimide toutefois. On souhaiterait que la motorisation poussée à fond les manettes réintroduise quelque subtilité _ quant à moi, je me régale et y trouve le portrait le plus idoine que je me fais du puissant père Bach…

On saluera la virile découpe que les deux violonistes russes inculquent au tracé, et le non moindre élan que les cordes graves impulsent à la motricité. Andrea Buccarella partage la même pugnacité que son compatriote. Deux clavecins faits par Andrea Restelli d’après le « Christian Vater 1738 » de Hanovre sont les complices de cette lecture aussi radicale qu’incendiaire _ voilà. On s’enflamme ! La conduite est magistralement, autoritairement, impeccablement gérée. Irrésistible, mais désarçonnant, verrouillez votre ceinture ! _ et décollez !

BIS = Son : 8,5 – Livret : 8 – Répertoire : 10 – Interprétation : 6

Accent = Son : 9 – Livret : 8 – Répertoire : 10 – Interprétation : 9

Pentatone = Son : 9 – Livret : 9 – Répertoire : 10 – Interprétation : 9,5

Christophe Steyne

C’est bien intéressant !

Ce vendredi 17 février 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Incarner la voix ferme, vibrante et chaleureuse _ mains comprises _ de Montaigne sur la scène : le « Montaigne » de Thierry Roisin (et Yannick Choirat) au TnBA

11fév

Chaque lecteur de ce formidable livre _ parlant _ que sont les « Essais » de Michel de Montaigne

a probablement « son » Montaigne _ et variant, encore (= s’enrichissant !), au fil des années, et de ses (renouvelées) lectures ; tant mille sentiers (d’infinis trésors) partent, en la moindre de ses (longues) phrases, des bonheurs d’expression (et pensée : intimement mêlés comme bien rarement !) « à sauts et à gambades« …

Le « Montaigne » de Thierry Roisin

s’incarne, magnifiquement vivant, en la performance

_ jusqu’à sa (propre) mise à nu d’auteur-écrivant, je veux dire, lui, Montaigne (28 février 1533 – 13 septembre 1592), osant parler, comme bien rarement jusque là ! à la première personne du singulier : à son secrétaire _ ici absent : sans doute hors-scène _ qui note, et souvent à la volée _ du moins c’est ce que je me représente, de mon fauteuil _ ;

qui note, et souvent à la volée, donc,

cette pensée sans cesse naissante et renaissante, florissante ; et se précisant en s’allongeant plutôt qu’en se coupant, ou s’abrégeant ; cette pensée de chair _ comme rarement, en les Lettres de notre pays ; pensée issue aussi, et à brassées, des émotions du corps et des affects sensibles, ultra-sensibles _ ; cette pensée qui court et vole et s’enrichit en permanence : « tant qu’il y aura de l’encre et du papier« , dit-il ; et tant que lui-même, Montaigne, aura, du souffle… _


Le « Montaigne » de Thierry Roisin

s’incarne, donc, et combien magnifiquement,

en la performance épatante _ même si le plus souvent parfaitement sereine _ de Yannick Choirat,

le comédien seul à parler et se mouvoir _ sur le tapis-roulant de la vie (ou « branloire pérenne » probablement héraclitéenne : « tout coule » ; « on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve » : la Dordogne, en ce cas…) _

sur une scène-tapis roulant sans cesse en mouvement ;

mais selon divers rythmes toutefois :

« je « passe » le temps, quand il est mauvais et incommode ; quand il est bon, je ne le veux pas « passer » ; je le retâte ; je m’y tiens ; il faut courir le mauvais et se rasseoir au bon« , dit-il, en son « dictionnaire tout à part » lui… ;

rythmes

que scandent les deux musiciens, Agnès Raina, flûtiste, et Samuel Maître, clarinettiste, interprétant une musique originale de François Marillier ; et hors tapis-roulant, eux deux, de chaque côté de la scène et sur le devant ;

avec même, à la fin, en ce tapis-roulant, une prairie (de vrai gazon, d’herbe vraie : afin de reposer, enfin, peut-être, et se décomposer en douceur, en l’humus commun ;

quand il s’agira d’avoir à cesser _ enfin… _ de bouger _ soi-même, du moins) ;

au TnBA (jusqu’à vendredi soir prochain, 13 février)

face aux choses

_ et même oiseaux, en couple (et « mouches à miel », en ruches) _


venant, chacune _ les choses, chacune à son rythme _ à son heure, à sa rencontre,

en la surprise, chaque fois (éclairage et musiques le ponctuant de leurs variations sensibles rythmées) de leur inépuisable _ merci la vie ! _ diversité ;

dans le dispositif d’incarnation _ vraiment ! _ du texte (ou plutôt parole vivante) des « Essais« , en extraits choisis pour nous _ et disponibles intégralement sur le programme ad hoc)

qu’a conçu et réalisé le dramaturge metteur en scène _ périgordin lui-même !!! de la vallée de la Dordogne (au Bugue) _, Thierry Roisin…

Car Montaigne « s’essaye » en permanence à nous parler, à nous, chacun, au-delà du cercle de ses parents et proches auxquels ce « portrait en pied » que sont les « Essais » est d’abord, en priorité, destiné, avec une formidablement joyeuse liberté ; et de ton, et de sens !!!

Et le livre, inaugurant la vraie modernité du « sujet » (humain)

_ « Bien faire l’homme« , nous dit-il en son ultime essai « De l’expérience« , livre III, chapitre 13 : et c’est même le dernier mot de ce Montaigne-ci _ le « personnage » représentant l’auteur toujours vivant des « Essais« , sur ce tapis-roulant d’herbe verte-là ! _,

assumant sa pensée et sa parole (singulières, propres) ;

et le livre

donne tout aussitôt naissance _ lui, Montaigne, n’étant alors plus là _ au « genre » _ tout à la fois libre et exigeant ; et aussi exigeant que « libre » ! _ des « essais«  : en commençant par Bacon en Angleterre (où les « Essais » ont été très vite traduits, par Florio) ;

Bacon, initiateur de la méthode expérimentale dans les sciences…

« Genre » tout neuf, s’inspirant, donc, en sa vivacité joyeuse _ et tout aussitôt féconde _, de la visée d’honnêteté libre et objective, autant que ludique et ouverte, de Montaigne ;

visée exemplaire

sans s’être jamais voulue didactique ou doctorale : par la seule vertu vive, allègre (et sans lourdeur), de l’exemple « honnête », plus qu' »utile », d’abord ;

cf le titre de l’essai inaugural du livre III : « De l’utile et de l’honnête« …

Et Yannick Choirat a cette merveilleuse vitalité-là ; ludique, tonique, et pleine de sainte colère, aussi, parfois :

il incarne à généreuses brassées la jeunesse portante (et inspirante sans didactisme) de Montaigne ;

ainsi que la liberté de sa totale nudité

pour le lecteur qui sait le lire ; et converser _ aussi librement que lui _ avec lui, en lucide confiance, sans finasseries ou détours : car « un parler ouvert ouvre un autre parler

et le tire hors,

comme fait le vin

et l’amour » _ oui ! au chapitre 1 « De l’utile et de l’honnête« , en ouverture du Livre III des « Essais« .

Et le texte des « Essais » est si riche, déjà (à incroyable profusion !),

que ce sont mille découvertes, pour nous qui regardons et écoutons, en 80 minutes, à peine, sur cette scène tapis-roulant…

Qui connaît les mille perspectives, échappées sur la campagne, et aussi luxuriants recoins, des « Essais« , en mille et unes couches proliférantes superposés ?..

Ainsi, qui avait déjà fait son miel de ce sublime passage _ incarné si épatamment ici par le jeu flamboyant, éloigné de tout maniérisme : vif, tout simplement ! _, des « mains parlantes » de Yannick Choirat ?

Le voici donc, pour le seul plaisir _ faute du jeu (magnifique) du comédien sur la scène _, du texte ici

(dans l’essai 12 du livre II, « Apologie de Raimond Sebond« ) :

« Quoi des mains ? nous caressons, requérons ; nous promettons, appelons, congédions, menaçons, prions, supplions, nions, refusons, interrogeons, admirons, comptons, confessons, repentons, craignons, vergognons, doutons, instruisons, commandons, incitons, encourageons, jurons, témoignons, accusons, condamnons, absolvons, injurions, méprisons, défions, dépitons, flattons, applaudissons, bénissons, humilions, moquons, réconcilions, recommandons, exaltons, festoyons, réjouissons, complaignons, attristons, déconfortons, désespérons, étonnons, écrions, taisons » _ aussi, provisoirement…

Montaigne est, fondamentalement, ce « rencontreur » que Thierry Roisin et Yannick Choirat, aidés de quelques autres _ comme cela se doit au théâtre _, nous donnent, à notre tour, à « rencontrer » ici, sur la scène du TnBA, ainsi : venant nous parler avec les mains aussi

_ soit « mains comprises » !… _

comme font les Gascons, du midi…

Bon « Montaigne«  _ « mains comprises », donc ! _ de Thierry Roisin (et Yannick  Choirat) !

Titus Curiosus, ce 11 février 2009

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