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Le lumineux génie d’arpenteur des villes de Régine Robin : un très profond retour à Berlin, en « Un Roman d’Allemagne » (aux Editions Stock)

30nov

De même que

dans le sublime arpentage de villes de l’hyper-généreuse et infatigable _ de curiosité à la fois ludique, joyeuse et non dénuée de gravité, infiniment perspicace en la profonde lucidité hyper-sensible de son regard de vérité _ Régine Robin,

Le Mal de Paris (en 2014) fait couple, par contraste, avec Mégapolis _ les derniers pas du flâneur (en 2009)

_ cf mes deux articles du 26 mars 2014 et du 16 février 2009 : Régine Robin, formidable exploratrice des méga-villes en mouvement : le cas-malaise de Paris et Aimer les villes-monstres (New-York, Los Angeles, Tokyo, Buenos Aires, Londres); ou vers la fin de la flânerie, selon Régine Robin _,

de même l’époustouflant, parce que très profond, Un Roman d’Allemagne qui vient de paraître ce mois de novembre, et toujours dans la très belle et importante collection Un ordre d’idées de Nicole Lapierre aux Éditions Stock,

fait couple, par approfondissement _ pardon de la répétition, mais nous sommes aussi dans le forage… _, cette fois, et par un amour qui plus que jamais la travaille, avec le si étincelant, déjà, Berlin chantiers _ essai sur les passés fragiles (en 2001),

qui m’avait si fort impressionné à la lecture

_ et si manque pour ce Berlin chantiers un article de ma part, c’est seulement que ce blog-ci (ouvert le 3 juillet 2008 avec l’article programmatique le carnet d’un curieux ) n’existait pas encore.

Et, en ce programmatique article, auquel je demeure plus que jamais fidèle, je citais, sinon Berlin, du moins ce que je nommais déjà des « villes-mondes«  : « Rome, Prague, Istanbul, Lisbonne, Naples, Buenos-Aires, etc… » :

c’est là dire mes affinités avec le regard et l’écriture, qui vont de pair, de cette prodigieuse regardeuse empathique, avec tout le recul de son intelligence si vive et si aigüe, si véloce et plus encore si juste, car on ne la lui fait pas, jamais !, sur fond de son inépuisable culture, qu’est Régine Robin !

C’est l’excellent Patrick Boucheron qui, le 17 novembre dernier, à Sciences-Po-Bordeaux,

en réponse à la question que je suis posais sur ce qui dans Mégapolis de Régine Robin pouvait éclairer sa propre réflexion sur « le projet urbain » pour lequel il est invité cette saison 2016-2017 à la chaire Gilles-Deleuze,

m’a appris la toute récente parution ce mois de novembre de ce magnifique Un Roman d’Allemagne, sur lequel rien n’a semble-t-il paru jusqu’ici dans la presse, du moins celle que que je lis.

A l’exception d’une fort belle recension de Georges-Arthur Goldschmidt, intitulée Une Allemagne vue de si près,

sur le site En attendant Nadeau.fr ;

et que voici :

Une Allemagne vue de si près
par Georges-Arthur Goldschmidt


Dans Un roman d’Allemagne, Régine Robin revient avec toute sa perspicacité et sa sensibilité sur une thématique qu’elle avait traitée avec son érudition et son énergie coutumières dans Berlin chantiers, à savoir la mémoire allemande prise entre national-socialisme et « Wiedergutmachung » (réparation), comme on disait en RFA, la partie occidentale de Allemagne. Le livre de Régine Robin porte essentiellement sur la RDA, cette partie de l’Allemagne anciennement occupée par l’Union soviétique et pour laquelle la question de la réparation ne se posait pas, préservée qu’elle prétendait être de toute « culpabilité » _ à l’égard du fascisme _ du fait de sa nature socialiste.

Largement autobiographique, issu pour une grande part de son destin personnel de rescapée _ l’auteur est née en 1939 à Paris, de parents Juifs polonais réfugiés _, ce livre est édifié sur le « trébuchement « de la mémoire allemande. Dans la moindre ville où résidait une victime du nazisme (juif, communiste, sinti, homosexuel, etc.), de petits pavés gravés en rappellent _ désormais _ le souvenir. Régine Robin y situe sa propre mémoire, prise entre le yiddish, le français, sa langue maternelle, et l’allemand. Comme elle le dit elle-même, elle « a traversé plus de soixante-quinze ans des XXe-XXIe siècles, partagé les enthousiasmes de l’après-guerre et les désenchantements qui les ont suivis ; a vu les idéologies du siècle tourner, le communisme disparaître, se couvrir d’opprobre, alors qu’il avait représenté l’horizon et le principe espérance _ selon l’expression d’Ernst Bloch, en 1954, à laquelle fit face, en 1979, le principe responsabilité, de Hans Jonas… _ au lendemain de la guerre ».

D’où les déambulations, les errances, les dénégations et les retournements berlinois qui habitent ces pages denses et précises _ oui. On voit surgir des personnages souvent inconnus et des itinéraires qui en disent long sur l’état de choses en RDA finissante et sur la façon d’aborder ce passé toujours présent. Il en surgit des inconnus qui auraient tout aussi bien pu prendre place dans l’Histoire, tels cette Eve et ce Peter que le mur _ dressé le 13 août 1961 (cf page 40 du livre) _ séparera à jamais, ou cette Eva Platz d’abord échouée à Cuba au lendemain de la Nuit de Cristal, et qui, après être passée par l’Allemagne de l’Ouest, finit sa vie en RDA. Ce sont de multiples apparitions qui, toutes, ramènent à cette présence souterraine _ oui, et à divers titres _ dans la mémoire de la terreur nazie ; ainsi la ligne S3 de la S-Bahn, ce chemin de fer intérieur qui dessert Berlin et passe par des lieux historiques comme le cimetière où est enterrée Rosa Luxemburg, et qu’empruntèrent aussi deux tueurs de femmes de l’époque hitlérienne. L’anecdotique fait la substance de l’historique.
Régine Robin capte tous ces aspects de Berlin et les donne à voir avec toute la pesanteur de l’époque nazie, où le peuple était mêlé au crime, à celle de la RDA, paralysée par la stupidité de ses gouvernants. On se demande ce qu’avaient bien pu faire ces vieillards qu’elle croise dans les rues de Berlin ; peut-être l’un d’eux avait-il connu ce jeune musicien juif Konrad Latte qui avait, de planque en planque, pu survivre à Berlin, aidé entre autres par le pianiste Edwin Fischer, ou comme Marie Jalowicz Simon, une jeune juive, elle aussi cachée par des Berlinois. C’est, en effet, la Shoah qui est le fond de voix _ voilà ! _ de ce livre, cette survie toujours miraculeuse où régnaient la terreur absolue et le crime absolu érigé en morale nationale. En RDA, où tous étaient antifascistes, surtout les anciens nazis, « on exalta la libération grâce aux Soviétiques, et toutes les dates qui pouvaient s’y raccrocher, mais on occulta la spécificité du génocide des Juifs, qui fut classé dans la même catégorie générique que toutes les autres victimes du fascisme ». Tel est bien le fond sur lequel s’édifie la conscience allemande, sur ce qui ne fut jamais commis encore et reste en filigrane irréparable.

Le parcours historique que ce livre reconstitue est décrit au travers des éléments les plus caractéristiques. L’ouvrage célèbre _ dirigé par Harald WelzerGrand-papa n’était pas un nazi, auquel le livre fait référence, le montre bien : personne, parmi les témoins interrogés, n’a participé en rien au génocide juif… À chaque instant Régine Robin s’est heurtée à cette dénégation de fond _ oui _ si nette, et qui est de même nature _ probablement oui _ que le consentement initial qui a rendu la Shoah possible [1]. Un roman d’Allemagne est une anthologie passionnante des tours et détours des exercices mémoriels au travers de divers personnages qui ont eu un rôle politique ou littéraire.

« Nous sommes tous des Juifs allemands », conclut Régine Robin à l’issue de ce remarquable ensemble d’études qui touchent au cœur de la réalité de ce pays désormais réunifié et fort loin de ces passés [2].

1. Cf. Patrice Loraux, Consentir, Le Genre Humain. Éditions du Seuil, nº 22, novembre 1990

2. Voir Gérard Noiret, Poésie du monde. Berlin, dans EaN n°20.

Je reprends ici  le fil de mon discours, et le récit de ma découverte, grâce à Patrick Boucheron, de la parution toute récente de ce si beau et si important Un Roman d’Allemagne :

et voici pour cela mon courriel du 25 novembre dernier à Régine Robin :

Chère amie,

venant juste d’achever ma première lecture de votre magnifique (et troublant) Un Roman d’Allemagne,
je me propose de suggérer à la librairie Mollat _ ainsi qu’au Goethe Institut de Bordeaux _ de vous inviter à nouveau
pour venir présenter à Bordeaux ce très fascinant travail,
qui fait couple au moins avec Berlin Chantiers,
de même que Le Mal de Paris fait couple avec Mégapolis

C’est l’excellent Patrick Boucheron,
venu à Sciences-Po Bordeaux jeudi il y a 8 jours, à propos du « projet urbain » auquel il a été sollicité d’apporter sa réflexion d’éminent historien,
qui, à ma question post-conférence _ c’était la toute première question _ comparant ce qu’il venait de brillamment proposer, à votre si riche Mégapolis,
a indiqué que venait de paraître _ et je l’ignorais ! _ de vous ce nouvel opus, Un Roman d’Allemagne ;
que me suis empressé d’aller acheter et lire (dévorer) !

Ensuite, et en aparté, au moment des petits-fours, Patrick Boucheron _ nous correspondons par courriels à l’occasion _ m’a confié n’avoir pas lu Mégapolis,
à la différence de Berlin Chantiers, La Mémoire saturée _ sur lequel il a insisté dans sa réponse à ma question _ et Le Mal de Paris.

Je l’ai vivement incité à se plonger, pour approfondir sa réflexion sur « les projets urbains », dans votre Mégapolis !

J’ai pas mal de questions à vous poser concernant votre très vive fascination pour Berlin (et la RDA),
alors que vos parents venaient de Pologne (Kaluszyn, à l’est de Varsovie),
et parlaient yiddish et polonais surtout
_ mais allemand aussi, comme mon père (né en mars 1914, à Stanislawow, à l’extrême sud de la Galicie, lui).

Ce tropisme (de quasi Ossie) envers Berlin et la RDA
est-il surtout dû au fait prégnant des convictions communistes de votre père ?

Mais je me suis posé aussi de semblables questions
à propos de l’attachement à Berlin _ au point de choisir d’y vivre plutôt qu’à Budapest _ d’Imre Kertesz,
qui n’était certes pas (et n’avait jamais été) communiste, lui _ cf son superbe Le Refus.
Quel immense écrivain !
Mais je me suis aussi interrogé sur sa durable absence de critiques envers la société occidentale, lors de ses divers témoignages _ Sauvegarde, journal 2001-2003, Dossier K., L’Holocauste comme culture, L’Ultime auberge ; mais nul regard critique de sa part… _ sur sa durable vie quotidienne à Berlin,
alors que j’y étais très attentif…

De toutes façons, Un Roman d’Allemagne est un chef d’œuvre !!!
C’est proprement éblouissant.

Je vous embrasse,
en vous supposant parisienne en ce moment…

Francis

D’autre part, Régine Robin, ayant été l’épouse du metteur en scène, berlinois, Wolfgang Epstein _ mais j’ignore tout de lui _,

a vécu aussi, et assez longtemps à Berlin… 

Voilà, pour commencer…

Titus Curiosus, ce mercredi 30 novembre 2016 

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