«

juil 23

Les W.C. étaient fermés de l’extérieur

Horacio Castellanos MoyaHoracio Castellanos Moya est un des piliers de la belle maison des Allusifs, un auteur fidèle que Brigitte Bouchard, vaillante éditrice du Québec qui en remontrerait beaucoup aux éditeurs français en matière de courage éditorial, tant dans ses choix littéraires que dans son parti pris graphique, publie avec constance et réussite depuis ses début, traduit par Robert Amutio et André Gabastou. C’est ce dernier qui s’est attaqué à Effondrement, le roman rose de l’écrivain salvadorien avec le souci de rendre l’acidité et le coupant de sa prose une fois encore tendue autour de personnages excessifs et au bord de la crise de nerfs. La fascination qu’exerce Thomas Bernhard sur Moya est évidente, le titre pourrait d’emblée nous le rappeler, son goût pour la farce noire, son excès traversé d’une drôlerie dramatique rappellent souvent le génie autrichien. Mais ici la latitude a changé, la comédie change d’horizon, les bouffons sont moins couverts. En Amérique Centrale les tragi-comédies semblent moins feutrées, l’hystérie plus prompte à être démasquée : on hurle plus vite peut-être. On hurle en tout cas très tôt dans Effondrement puisque la protagoniste principale de cette tornade littéraire a franchi toutes les barrières et lâche son fiel sans trêve le jour où sa fille se marie. Pas question pour elle que son mari, le très respecté président du parti au pouvoir – nous sommes au Honduras – , aille se montrer à cet événement qui lui paraît monstrueux : Teti, leur enfant unique, épouse un Salvadorien, divorcé, le père de son enfant – une petite merveille dont sa grand-mère ne veut se séparer à aucun prix –  et qui est évidemment un communiste, c’est-à-dire un monstre qui menace la famille, le pays tout entier et ses valeurs de droiture. Alors au diable les apparences, aux orties les défroques, dona Lena Mira Brossa enferme son mari dans les toilettes jusqu’à ce que passe l’heure de la cérémonie et elle ne va pas se priver de lui dire ce qu’elle a sur le coeur, un torrent de bile, de haine, de rancoeur recuite, une logorrhée de délires paranoïaques où se dévoile le vrai visage, profondément aliéné, d’une femme qui vomit son époque et s’accroche avec folie aux vestiges d’un passé qu’elle croit glorieux. Grande bourgeoise capricieuse auquel le mari ne sait plus quoi dire, lui qui s’est inventé une autre vie, avec d’autres enfants, elle vocifère sa tragédie intime, celle d’une mère qui a perdu un des ses bébés et ne l’accepte pas, celle d’une représentante de la classe des possédants qui sent son monde bousculé par l’infamie des révoltés. Elle hurle et on aurait envie d’en rire si ne nous taraudait l’impression que sous ce vernis, cette arrogance, cette méchanceté, ne se dissimulaient un abime profond, un tourment insondable. C’est une tornade déclenchée par une femme qui vacille au bord du gouffre et que plus personne ne peut aimer. Cette fois encore Horacio Castellanos Moya nous chavire en nous faisant croire qu’il se déchaîne sur et avec une hystérique caricaturale. Mais c’est pour mieux nous écraser le visage sur l’insupportable réalité de pays où la vie ne paraît plus guère possible aux âmes raisonnables.

Effondrement sort en librairie le 19 août prochain et il fera sans aucun doute partie des romans étrangers qui compteront lors de cette rentrée.