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juin 06 2015

Pourquoi j’ai choisi « Tintin au pays de l’Or noir » par Monique Dollin du Fresnel

Tintin_au_pays_de_l_or_noir_Les_Aventures_de_Tintin_tome_15Ce choix obéit à deux raisons.

Tout d’abord, c’est un album qui a une histoire particulière, différente de tous les autres. En effet, Hergé l’a écrit en deux fois, avec une interruption notable de sept ans. Il le commence en septembre 1939 et les premières planches paraissent dans « Le Petit Vingtième » et dans « Cœurs vaillants ». La période est pleine d’incertitudes, mais Hergé reste dans une écriture résolument optimiste, reprenant la chanson de Charles Trenet, sortie en 1938 « Boum ! Quand notre cœur fait boum » qu’il transforme en « Quand vot’ moteur fait boum » chantée joyeusement par deux Dupondt toujours autant déphasés.

Hélas, la guerre et la Débâcle de juin 1940 vont interrompre l’écriture de cette 9ème aventure de Tintin. Lorsqu’Hergé reprend le canevas de cette histoire en 1948 et 1949, il s’est passé huit ans et il a publié sept albums supplémentaires, rajoutant les personnages incontournables de la saga « tintinesque » que sont le capitaine Haddock, la Castafiore et le professeur Tournesol ainsi que son lieu emblématique : le château de Moulinsart. Le tour de force d’Hergé est de les avoir intégrés de manière naturelle, comme si, depuis les premières planches de « l’Or noir », leur place à chacun dans les vignettes suivantes, était évidente. Ainsi, le capitaine Haddock est rajouté en page 3, où on le voit téléphoner très brièvement à Tintin pour lui dire qu’il part pour une mission secrète d’où il reviendra en page 54.

On s’interroge à juste titre sur le contenu de cette mission, mais il ne pourra jamais l’expliquer. Il se contentera de la formule « c’est à la fois très simple et très compliqué », empêché par les facéties d’Abdallah d’en dire davantage ; remarquable pirouette de la part d’Hergé pour inclure ce personnage important sans qu’il n’ait aucune incidence sur la propre aventure de Tintin. L’insertion de La Castafiore et de Tournesol est plus discrète. On ne les verra pas, mais on entend la diva dans une vignette de la page 42 où Tintin, allumant un poste de radio, tombe par inadvertance sur une retransmission de l’Air des Bijoux. Quant au professeur Tournesol, il est présent par une lettre qu’il écrit à Tintin et dans laquelle il l’informe avoir trouvé le remède contre les effets pilaires, si ce n’est désopilants, du N 14 sur le système pileux des Dupondt. Bien sûr, cette recherche ne s’est pas faite sans expériences… explosives, dont le château de Moulinsart a fait les frais si l’on en juge par la photographie de sa façade dévastée jointe à la lettre.

Cet album, comporte deux nouveaux venus, l’émir Ben Kalish Ezab et son fils, l’insupportable Abdallah. Pour dessiner ce dernier, Hergé s’est inspiré de la photographie du jeune roi d’Irak Fayçal II. Abdallah est l’anti Tchang. Si les autres enfants et adolescents présents dans nombre de ses albums, ainsi Coco (Tintin au Congo), le fils du maharadjah, (Les Cigares du pharaon), Zorino, (le Temple du Soleil), Miarka (les Bijoux de la Castafiore) sont touchants et sympathiques, Abdallah est vraiment un sale gosse. Pourtant, Hergé va arriver à le rendre sympathique au point d’arracher quelques larmes à son émir de père, larmes vite ravalées devant l’ingéniosité malfaisante de cette petite peste. Mais la fessée méritée que le brave capitaine Haddock lui administre à la page 58 arrive à point nommé pour soulager notre marin préféré tout autant que le lecteur agacé, sans que cela ne devienne sujet à débat.

Ensuite, la deuxième raison est que, contrairement aux autres albums, celui-ci s’insère dans une réalité historique brûlante, où le Moyen-Orient apparait comme une région à géopolitique complexe, ce qu’elle est toujours à l’heure actuelle et plus que jamais. En toile de fond : la rivalité entre deux compagnies pétrolières, l’Arabex et la Skoil Petroleum, rivalité révélée par l’antagonisme entre l’émir Ben Kalish Ezab et le cheik Bab el Ehr. Hergé s’est inspiré de la situation tendue voire conflictuelle entre les compagnies américaines, anglaises et allemandes pendant et après la seconde guerre mondiale pour le contrôle de l’exploitation du pétrole au Moyen-Orient, particulièrement en Iran et en Irak. Cette géopolitique du pétrole est plus que jamais dans l’actualité, preuve en est une fois de plus du génie d’Hergé dans l’anticipation, en écho à un autre grand auteur visionnaire : Jules Verne.

Avec cette rivalité pétrolière, et comme autre événement historique dont Hergé s’inspira pour la version de 1949, apparait la naissance de l’Etat d’Israël. En effet, il y est question de la Palestine aux mains des occupants anglais, et de la lutte pour l’indépendance de la part des Juifs de l’Irgoun. En 1969, à la demande de son éditeur anglais, Hergé dut « actualiser » le contenu de l’album, en remplaçant les militaires britanniques par des soldats arabes inspirés de l’armée jordanienne. Par la même occasion, il inventait un pays imaginaire : le Khemed, et sa capitale : Wadeshah. Ainsi, Hergé, en gommant les quelques allusions historiques de l’album, le replaçait dans la ligne de tous les autres, dans une fiction difficile à dater et donc indémodable.

Près de 45 ans après, la réalité géopolitique du Moyen-Orient vue par Hergé n’a pas pris une ride. Les mêmes ingrédients que sont les conquêtes territoriales, l’indépendance à l’égard de grandes puissances et la manne pétrolière sont tout aussi dangereuses et toujours d’une terrible actualité.
Mais que fait Tintin ?

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