« Care », sollicitude et vulnérabilité : pour un changement de paradigme…

— Ecrit le samedi 22 novembre 2008 dans la rubriquePhilo, Rencontres”.

Pour prolonger la réflexion sur le « care« ,

à l’occasion du choc éprouvé à la vision du film « Two lovers » de James Gray ;

de la conférence à venir, mardi prochain, à 18 heures, dans les salons Albert-Mollat, de la Librairie Mollat, 15 rue Vital-Carles à Bordeaux, dans le cadre de la saison 2008-2009 de la Société de philosophie de Bordeaux,

de Fabienne Brugère, présentant « Le Sexe de la sollicitude » ;

et de la lecture de « La Privation de l’intime » de Michaël Foessel,

ces rapides réflexions-ci :

mardi 25 novembre prochain,

ainsi que j’ai l’ai déjà annoncé en mon article  du 10 novembre « la Société de philosophie de Bordeaux reçoit« ,

notre collègue et amie Fabienne Brugère présentera son tout récent travail « Le Sexe de la sollicitude« ,

dans le cadre prestigieux des salons Albert-Mollat, 15 rue Vital-Carles, à 18 heures…

Si la démarche de l’auteur qu’est Fabienne se centre davantage sur des enjeux éthico-socio-économico-politiques
que directement existentiels,

pour le film « Two lovers« ,
ou existentialo-politiques,

pour l’approche de Michaël Foessel, dans « La Privation de l’intime« ,

de l’ordre de « l’intime » en tant que tel, très précisément, ici ;

ainsi que dans la perspective _ inquiète ! _ de ce que j’ai qualifié de (la) « réalité de la démocratie« 

dans le titre même de mon article sur ce livre :

« la pulvérisation maintenant de l’intime : une menace envers la démocratie« …

il n’en demeure pas moins que le point commun

au film,

à l’angle d’analyse de Michaël Foessel,

ainsi qu’au regard de Fabienne Brugère sur le « care » _ ou « sollicitude« ,

ainsi que Fabienne le traduit _, et qu’elle s’efforce de distinguer, et de la « compassion« , et de la « charité » ;

il n’en demeure pas moins que le point commun

_ et proprement nodal ! _

aux « regards » de Fabienne Brugère, de James Gray et de Michaël Foessel
_ soit un cinéaste new-yorkais et deux philosophes d’Outre-Atlantique (français)… _
est bien le concept _ qui me paraît crucial, en effet _, de « vulnérabilité » humaine.

Avec la conséquence qu’il faudra « mettre en chantier »,

et non sans même une certaine « urgence » _ dont l’appréciation dépend en partie de la conjoncture politico-économique ! _ ;

« mettre en chantier »

une « anthropologie fondamentale »
de l' »humain » comme sujet

_ et non « objet »

de ce que qu’Axel Honneth appelle, à nouveau (après d’autres), la « réification« , en son récent « La réification _ petit traité de théorie critique« , paru en traduction française aux Éditions Gallimard en février 2007 ;

et comme, « aussi, et en même temps, fin »
_ et non « seulement moyen »,
comme je me suis autorisé à l’indiquer en un autre de mes récents articles, celui du 18 novembre : « Conversation de fond avec un philosophe« .

J’ajouterai, encore, que,
comme le souligne bien à diverses reprises Fabienne Brugère en son essai,
les philosophes du « care » ont le souci de ne pas en rester à une approche seulement théorique, formelle et juridique _ générale _ du rapport à « l’autre » ;

mais incitent à une pratique effective et singulière, au cas par cas, de la « sollicitude » à l’égard des plus vulnérables et blessés,
notamment parmi les « exclus »
de la société néo-libérale, surtout…

En relisant le livre _ par mes soins annoté _ de Michaël Foessel, « La Privation de l’intime_ mises en scène politiques des sentiments« ,

je m’aperçois, après en avoir abordé l’idée au téléphone avec Fabienne Brugère, qu’il centre toute sa troisième partie sur la « sollicitude » et la « vulnérablité » humaines…

Lisons :

Page 112, après avoir montré que « l’amour n’implique nullement de rompre avec le monde« , il pose : « Mais il faut aller plus loin en demandant ce qu’il y a de commun entre la démocratie et l’intime. Comment expliquer que la même menace pèse sur l’un et sur l’autre ? Peut-on dessiner les traits d’une vulnérabilité du « vivre ensemble » qui caractérise autant la sphère personnelle que celle des liens politiques ? »

Michaël Foessel en vient alors à une analyse de la « sollicitude« , page 127 :

« Dans ses relations intimes, un individu attend des autres qu’ils lui permettent d’acquérir une confiance en lui-même qui est la première forme de l’estime sociale. On peut appeler « sollicitude » cette forme de reconnaissance affective, à condition de distinguer ce sentiment _ -ci _ de la pitié ou de la compassion, où le sujet _ qui s’y adonne _ jouit de se savoir _ lui _ secrètement épargné _ par la misère ou le malheur qui accable l’autre ; à la Lucrèce du « Suave mari magno… » du « De natura rerum« …

La sollicitude désigne le soin que l’on prend de l’autre, en tant qu’il n’est pas vécu comme une charge pour celui qui le prodigue, ni comme un dû pour celui qui le reçoit _ hors du calcul d’intérêt du contrat, nous voici plongés, celui qui « prodigue«  le « soin« , l’égard, comme celui qui le « reçoit », d’emblée dans l’ordre _ absolument généreux, lui ! _ de la grâce… Le point est d’importance _ en effet ! _ : à l’instar de toute relation intime _ amour, amitié : toujours uniques ! ni interchangeables, ni remplaçables ! _, la sollicitude est réciproque. Il n’y a pas d’un côté celui qui « donne », de l’autre celui qui « reçoit ». Les rôles de l’agent et du patient sont réversibles, puisque même le sujet qui offre son aide ou sa présence accepte d’être _ au moins _ instruit par l’autre » _ l’amour et l’amitié vont beaucoup plus loin, bien sûr, sur le don (de soi) et l’accueil (de l’autre) : le don y étant absolu ; au point que c’en est même un critère ; ou un révélateur !

Pour un exemple cependant « limite » (d’amour), je citerai ce que nous donne à voir Patrice Chéreau dans son très fascinant « Intimité » _ « Intimacy« , à Londres, en 2000 : en matière de don charnel de soi (à l’autre)…

Avec ces effets-ci : « Loin de se cantonner à la sympathie pour la souffrance, la reconnaissance affectuve joue un rôle dans la prise de conscience, par un sujet, de sa faculté d’agir. Le point commun à toutes les théories de la reconnaissance réside dans cette conviction que la constitution du Moi est inter-subjective« , page 128.

Et sur l' »intime« , ceci, page 142 : « L’intime désigne un ensemble d’expériences où le savoir ne fonctionne plus comme la promesse d’une maîtrise _ technique, reproductible, mécanisable. Ainsi que le note Judith Butler, « la reconnaissance commence avec l’idée que l’on est perdu dans l’autre, absorbé dans et par une altérité que l’on est et que l’on n’est pas » _ in « Défaire le genre« , aux Editions Amsterdam, en 2006, page 272. Dans une relation intime, il est exclu de se retrouver tel que l’on était au départ. C’est le sens de la décision implicite qui préside à n’importe quel rapport d’intimité, et qui consiste à concéder à un autre le droit de porter un discours de vérité sur soi _ amour comme amitié sont « connaissance » en vérité ! (…) Le véritable désir, emblème d’une forme de liberté _ dit alors magnifiquement Michaël Foessel, page 143 _ est celui de se trouver lié à l’autre » _ en pareille vérité révélée (alors entre soi) : un beau risque ! Et par là « l’intime désigne un apprentissage de la précarité«  _ des soi qui s’y livrent, en se donnant (à cette altérité-là)…

Vient alors la conclusion, pages 157-158 : « L’intime est un ensemble de liens qui nous constituent et nous dépossèdent _ et décentrent : on est loin de s’y retrouver inchangé ! La préservation _ à défaut d’avancée, ou a fortiori de « conquête » _ de l’authenticité _ terme de vérité crucial et nodal en pareille affaire ! _ est une indication pour aborder la démocratie _ avec une relative confiance (et foi) _ depuis le point où elle s’apparente à l’intime : sa vulnérabilité.« 

Et c’est donc sur ce terme de « vulnérabilité« 

_ capacité de recevoir une certaine dose (non mortelle) de blessure faisant un minimum souffrir _,

que s’achève ce beau livre de salubrités personnelles et collectives démocratiques (ou civilisationnelles) de Michaël Foessel : « La Privation de l’intime« .


A mardi 18 heures, 15 rue Vital-Carles,

pour écouter Fabienne Brugère

aussi sur la « vulnérabilité« , à partir du « Sexe de la sollicitude« …

Sans négliger, non plus, de courir aller voir _ ou plutôt regarder _ le « Two lovers » de James Gray…

Titus Curiosus, ce 22 novembre 2008


Post-scriptum :

je peux

_ et même dois ! _

encore ajouter la conclusion _ terrible ! _ d’Yves Michaud à propos de la « sollicitude« ,

en le plus récent article_ à ce jour _ de son (excellent !) blog « Traverses« , sur le site de Libération,

quant à l’impératif prioritaire

de pratiquer _ « effectivement », sur-ajouterais-je, pléonastiquement !… _ la sollicitude, et ne pas faire seulement qu’en parler ou en écrire… :

« Un suicide dans les règles (5) : sur la sollicitude des philosophes et la sollicitude heideggerienne en particulier« 

cf là-dessus mon article du 20 novembre :

« Le suicide d’une philosophe : de la valeur de vérité (et de justice) dans le marigot des (petits) accommodements d’intérêts (4 _ en forme d’apothéose)« …

Cela nous rappelle bien des « pratiques » politiques d’aujourd’hui

« rongeant » (gravement…) la « réalité » même de la démocratie :

dire _ et « proclamer » sur l’estrade ; « où sont les caméras ? » _

en même temps qu’on « fait » _ hors estrade, et hors caméras _

tout le contraire exactement de cela…


Soit la pratique _ « magicienne » _ de bonimenteur

du camelot,

dans le jeu _ virtuôse, voire virtuôsissime ! _ de bonneteau…

Éthique, politique, vérité, droit, justice : ou les enjeux bien réels de l' »authenticité« ,

dans l’éventail déployé des « pratiques », en camaïeu :

de la sphère de l' »intime« , à la vie publique de la démocratie,

en passant par le champ ouvert de la « sollicitude« …

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