En cherchant bien…

Chaque lecteur de ce formidable livre _ parlant _ que sont les « Essais » de Michel de Montaigne

a probablement « son » Montaigne _ et variant, encore (= s’enrichissant !), au fil des années, et de ses (renouvelées) lectures ; tant mille sentiers (d’infinis trésors) partent, en la moindre de ses (longues) phrases, des bonheurs d’expression (et pensée : intimement mêlés comme bien rarement !) « à sauts et à gambades« …

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Le « Montaigne » de Thierry Roisin

s’incarne, magnifiquement vivant, en la performance

_ jusqu’à sa (propre) mise à nu d’auteur-écrivant, je veux dire, lui, Montaigne (28 février 1533 – 13 septembre 1592), osant parler, comme bien rarement jusque là ! à la première personne du singulier : à son secrétaire _ ici absent : sans doute hors-scène _ qui note, et souvent à la volée _ du moins c’est ce que je me représente, de mon fauteuil _ ;

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qui note, et souvent à la volée, donc,

cette pensée sans cesse naissante et renaissante, florissante ; et se précisant en s’allongeant plutôt qu’en se coupant, ou s’abrégeant ; cette pensée de chair _ comme rarement, en les Lettres de notre pays ; pensée issue aussi, et à brassées, des émotions du corps et des affects sensibles, ultra-sensibles _ ; cette pensée qui court et vole et s’enrichit en permanence : « tant qu’il y aura de l’encre et du papier« , dit-il ; et tant que lui-même, Montaigne, aura, du souffle… _

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Le « Montaigne » de Thierry Roisin

s’incarne, donc, et combien magnifiquement,

en la performance épatante _ même si le plus souvent parfaitement sereine _ de Yannick Choirat,

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le comédien seul à parler et se mouvoir _ sur le tapis-roulant de la vie (ou « branloire pérenne » probablement héraclitéenne : « tout coule » ; « on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve » : la Dordogne, en ce cas…) _

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sur une scène-tapis roulant sans cesse en mouvement ;

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mais selon divers rythmes toutefois :

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« je « passe » le temps, quand il est mauvais et incommode ; quand il est bon, je ne le veux pas « passer » ; je le retâte ; je m’y tiens ; il faut courir le mauvais et se rasseoir au bon« , dit-il, en son « dictionnaire tout à part » lui… ;

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rythmes

que scandent les deux musiciens, Agnès Raina, flûtiste, et Samuel Maître, clarinettiste, interprétant une musique originale de François Marillier ; et hors tapis-roulant, eux deux, de chaque côté de la scène et sur le devant ;

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avec même, à la fin, en ce tapis-roulant, une prairie (de vrai gazon, d’herbe vraie : afin de reposer, enfin, peut-être, et se décomposer en douceur, en l’humus commun ;

quand il s’agira d’avoir à cesser _ enfin… _ de bouger _ soi-même, du moins) ;

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au TnBA (jusqu’à vendredi soir prochain, 13 février)

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face aux choses

_ et même oiseaux, en couple (et « mouches à miel », en ruches) _

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venant, chacune _ les choses, chacune à son rythme _ à son heure, à sa rencontre,

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en la surprise, chaque fois (éclairage et musiques le ponctuant de leurs variations sensibles rythmées) de leur inépuisable _ merci la vie ! _ diversité ;

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dans le dispositif d’incarnation _ vraiment ! _ du texte (ou plutôt parole vivante) des « Essais« , en extraits choisis pour nous _ et disponibles intégralement sur le programme ad hoc)

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qu’a conçu et réalisé le dramaturge metteur en scène _ périgordin lui-même !!! de la vallée de la Dordogne (au Bugue) _, Thierry Roisin…

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Car Montaigne « s’essaye » en permanence à nous parler, à nous, chacun, au-delà du cercle de ses parents et proches auxquels ce « portrait en pied » que sont les « Essais » est d’abord, en priorité, destiné, avec une formidablement joyeuse liberté ; et de ton, et de sens !!!

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Et le livre, inaugurant la vraie modernité du « sujet » (humain)

_ « Bien faire l’homme« , nous dit-il en son ultime essai « De l’expérience« , livre III, chapitre 13 : et c’est même le dernier mot de ce Montaigne-ci _ le « personnage » représentant l’auteur toujours vivant des « Essais« , sur ce tapis-roulant d’herbe verte-là ! _,

assumant sa pensée et sa parole (singulières, propres) ;

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et le livre

donne tout aussitôt naissance _ lui, Montaigne, n’étant alors plus là _ au « genre » _ tout à la fois libre et exigeant ; et aussi exigeant que « libre » ! _ des « essais«  : en commençant par Bacon en Angleterre (où les « Essais » ont été très vite traduits, par Florio) ;

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Bacon, initiateur de la méthode expérimentale dans les sciences…

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« Genre » tout neuf, s’inspirant, donc, en sa vivacité joyeuse _ et tout aussitôt féconde _, de la visée d’honnêteté libre et objective, autant que ludique et ouverte, de Montaigne ;

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visée exemplaire

sans s’être jamais voulue didactique ou doctorale : par la seule vertu vive, allègre (et sans lourdeur), de l’exemple « honnête », plus qu' »utile », d’abord ;

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cf le titre de l’essai inaugural du livre III : « De l’utile et de l’honnête« …

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Et Yannick Choirat a cette merveilleuse vitalité-là ; ludique, tonique, et pleine de sainte colère, aussi, parfois :

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il incarne à généreuses brassées la jeunesse portante (et inspirante sans didactisme) de Montaigne ;

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ainsi que la liberté de sa totale nudité

pour le lecteur qui sait le lire ; et converser _ aussi librement que lui _ avec lui, en lucide confiance, sans finasseries ou détours : car « un parler ouvert ouvre un autre parler

et le tire hors,

comme fait le vin

et l’amour » _ oui ! au chapitre 1 « De l’utile et de l’honnête« , en ouverture du Livre III des « Essais« .

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Et le texte des « Essais » est si riche, déjà (à incroyable profusion !),

que ce sont mille découvertes, pour nous qui regardons et écoutons, en 80 minutes, à peine, sur cette scène tapis-roulant…

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Qui connaît les mille perspectives, échappées sur la campagne, et aussi luxuriants recoins, des « Essais« , en mille et unes couches proliférantes superposés ?..

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Ainsi, qui avait déjà fait son miel de ce sublime passage _ incarné si épatamment ici par le jeu flamboyant, éloigné de tout maniérisme : vif, tout simplement ! _, des « mains parlantes » de Yannick Choirat ?
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Le voici donc, pour le seul plaisir _ faute du jeu (magnifique) du comédien sur la scène _, du texte ici

(dans l’essai 12 du livre II, « Apologie de Raimond Sebond« ) :

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« Quoi des mains ? nous caressons, requérons ; nous promettons, appelons, congédions, menaçons, prions, supplions, nions, refusons, interrogeons, admirons, comptons, confessons, repentons, craignons, vergognons, doutons, instruisons, commandons, incitons, encourageons, jurons, témoignons, accusons, condamnons, absolvons, injurions, méprisons, défions, dépitons, flattons, applaudissons, bénissons, humilions, moquons, réconcilions, recommandons, exaltons, festoyons, réjouissons, complaignons, attristons, déconfortons, désespérons, étonnons, écrions, taisons » _ aussi, provisoirement…

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Montaigne est, fondamentalement, ce « rencontreur » que Thierry Roisin et Yannick Choirat, aidés de quelques autres _ comme cela se doit au théâtre _, nous donnent, à notre tour, à « rencontrer » ici, sur la scène du TnBA, ainsi : venant nous parler avec les mains aussi

_ soit « mains comprises » !… _

comme font les Gascons, du midi…

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Bon « Montaigne«  _ « mains comprises », donc ! _ de Thierry Roisin (et Yannick  Choirat) !

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Titus Curiosus, ce 11 février 2009