Archives du mois de mai 2009

Lieux communs (ou pas) romains (2) : temps, perception, oeuvre _ le cas exemplaire du « génie » de Goethe se dé-couvrant peu à peu en son (prolongé) séjour romain…

23mai

Pour poursuivre ma réflexion d’hier, « Lieux communs (ou pas) romains : entre peinture et photographie au XIXème siècle « ,

entamée à partir 1) de ma lecture du livre-catalogue de l’expo « Voir l’Italie et mourir » ; et 2) de l’article du Monde (sous la double signature de Michel Guerrin et Philippe Dagen) « L’Italie en peintures et en photographies : sujets communs, lieux communs » ;

et la mener un peu plus loin,

en creusant si peu que ce soit autour des liens se tissant entre temps, perception et œuvre ;

et à partir de la remarque de cet article (de Michel Guerrin et Philippe Dagen, donc ; experts s’il en est…) autour de ce qui distingue une certaine approche photographique de l’attitude dominante et tentatrice du « cliché« , avec le fait le plus fréquent, sans doute, de succomber au « lieu commun » ;

attitude _ sinon « posture«  à adopter… _ présente souvent (le plus souvent, du moins…) dans un certain « pictorialisme » des peintres d’abord (avant, à leur suite, les photographes) ; quand ils ne « parviennent » pas vraiment, ni tout à fait, à un style _ et leur style ! _, du moins…

D’où les dégats endémiques de ce « pictorialisme« -là (des « clichés » dans les têtes !..) parmi les photographes aussi…

Mais je me souviens d’être parvenu à une remarque similaire lors de ma lecture _ patiente : elle prend, forcément, un certain temps ; surtout crayon (du passionné que je suis : de Rome, entre autres, et tout particulièrement !) en main :

le « Journal » de « Voyage en Italie » prenant à Goethe lui-même un certain temps

(soit plusieurs années : d’autant qu’avant de retourner séjourner longuement encore à Rome _ et c’est là, en ce re-tour, seulement, que son regard « devient » vraiment profond ! et perspicace ! après le bousculement pataud, pataugeant, balourd, toujours trop niais, de la première « dé-couverte » ; et la nécessité de l' »acclimatation« … _, Goethe part visiter, un certain temps aussi, Naples) _ ;

lors de ma lecture patiente (et crayon en main) du « Journal » de « Voyage en Italie » de Goethe :

Arrivé à Rome, Johann Wolgang von Goethe commence, effectivement

_ tout « génie » qu’il est (ou plutôt « est capable d’être » :

mais même le « génie » doit s’apprendre, en « se désembourbant » : des « clichés« , précisément ! : cf la magnifique formulation de Nietzsche en son « Prologue » d' »Ainsi parlait Zarathoustra » : « Il faut encore porter du chaos en soi pour donner naissance à une étoile dansante«  !) _,

Goethe commence par « tomber » _ et « patauger » longtemps, même lui ! _ dans la plupart des « clichés » courant les rues (et les esprits plus encore !!!) sur Rome, en « touriste » (débarquant de la germanique Weimar) qu’il commence par être, lui aussi, à la rencontre

_ pas encore assez « découverte«  (c’est-à-dire qui soit enfin assez dé-tachée des « clichés« ), justement… _

des monuments un peu célèbres, déjà , ou depuis presque toujours _ Goethe est un grand lecteur (et des auteurs latins classiques, pour commencer) devant l’Eternel… _ ; et qui « encombrent » encore son regard…

Mais ce qui va aussi l’aider un peu _ si peu que ce soit : mais c’est le décisif en l’affaire ! _ à se dé-tacher (donc !!!) des « clichés« , et à enfin rencontrer, avec (enfin !) un peu plus de « fraîcheur » (d’artiste « vrai« ), Rome ;

et pas seulement en la forme pré-formatée de ses plus (et trop) célèbres monuments : à « identifier« , tout d’abord (en « bon élève » qui se souvient « bien » de la « leçon » apprise auprès des premiers « maîtres« …) ; et « re-connaître«  : « ah ! c’est donc cela, le Panthéon ! » ; et ce que va permettre bientôt à grande échelle l’invention, puis la diffusion généralisée, auprès des « touristes », du « Baedeker » ;

c’est que Goethe aussi dessine

(et se prépare sans doute même _ il l’écrit en son « Journal » ; avant, plus tard, d’y renoncer… _ à peindre ; en compagnie de plusieurs amis peintres séjournant longtemps, voire s’étant « installés« , à Rome et en la campagne romaine : la tentation d' »installation » à Rome venant faire le siège aussi de Goethe)

à Rome ;

qu’il va,

à l’instar des glorieux _ et si beaux : quels dessins !!! _ exemples de Poussin, Claude (« Le Lorrain« ) et du Guaspre (Gaspard Dughet, « il Poussinetto » : le neveu même, et romain, lui, de Poussin),

flaner _ et crayonner _ sur le « motif »,

notamment dans la si proche (belle) campagne romaine _ par exemple du côté du Pont Milvius, sur le Tibre, et des prés autour de la fontaine de l’Acqua Acetosa ; ou du côté du vieux Pont, aussi, de la Via Nomentana sur l’Aniene ; ou sur le chemin, ombragé de pins, de Tivoli…

Bref, la perception « vraie » a besoin,

soit de la contemplation d’un temps réellement calme, pacifié _ pour s’ôter les taies de l’œil obstruant la perspicacité du regard de celui qui passe _ ;

soit de la bousculade de l' »événement » « passant » et ne « repassant » pas _ ou la croisée bousculante de « Kairos » ! _,

ainsi que le remarquent (excellemment) Michel Guerrin et Philippe Dagen à propos des violences (mortelles : pour les hommes comme pour les bâtiments !) du « Risorgimento«  garibaldien :

à propos des photos _ magnifiques !!! _ des émeutes de Rome (en juillet 1849, par Stefano Lecchi, pages 264-265) ou de Palerme (en juin 1860, par Gustave Le Gray, pages 270 à 273), avec sinon cadavres, du moins ruines toutes fraîches…

Un livre décidément passionnant à « vraiment » regarder que ce « Voir l’Italie et mourir » !


Titus Curiosus, ce 23 mai 2009

Lieux communs (ou pas) romains : entre peinture et photographie au XIXème siècle

22mai

Un petit dossier sur une partie d’Histoire du regard étranger sur Rome,

au XIXème siècle, quand, dans les débuts de la photographie,

les photographes viennent mettre leurs pas dans ceux des peintres

et sur leurs « platebandes »…

D’abord, cet échange de courriels avec l’ami Plossu :

De :   Titus Curiosus

Objet : « Photographie et peinture dans l’Italie du XIXème siécle »
Date : 11 mai 2009 18:13:17 HAEC
À :   Bernard Plossu

Cc :   Michèle Cohen

« Photographie et peinture dans l’Italie du XIXème siécle » !

Il s’agit du catalogue d’une expo qui devrait vous intéresser
, Bernard, Michèle, au Musée d’Orsay (jusqu’au 19 juillet 2009),
dont le titre officiel,
d’après un mot de Gœthe à propos de Naples (dans son « Journal » de « Voyage en Italie« )
mais pas du meilleur goût,
est « Voir l’Italie et mourir« 

Passionnant pour certaines photos :

une (de Giorgio Sommer, pages 2-3) du quai de Messine avant le tremblement de terre ;
d’autres _ superbes ! page 186 : le théâtre de Marcellus ! _ d’un nommé Robert Mac Pherson,
très actif à Rome entre 1957 et 1871 ;

comme ont pu l’être les frères Alinari à Florence ;
et bien d’autres encore : à Venise, à Naples ; et ailleurs…

Sur la peinture,
si l’œuvre du gallois Thomas Jones (un génie ! à découvrir !!!) est bien évoquée
(pages 38-39),
un choix beaucoup trop limité sur les peintres : Granet ou Fabre ne sont même pas mentionnés ;
Jean-Antoine Constantin, juste évoqué
(page 43)

Le livre de l’expo (sur une idée d’Ulrich Pohlmann et de Guy Cogeval)
est édité par Flammarion : « Voir l’Italie et mourir » ; et vaut 39 Euros…

Passionnant !

Titus

Ensuite, en réponse à un message d’invitation au vernissage de son expo lot-et-garonnaise :

De :   Bernard Plossu

Objet : Re : « Photographie et peinture dans l’Italie du XIXème siécle »
Date : 11 mai 2009 18:33:27 HAEC
À :  Titus Curiosus

Merci du tuyau !

Je rentre de LUCCA, une merveille !

et de Sovana, et de PITIGLIANO, superbe village, et de Carrara !

el B

Tu penses venir au vernissage de Musée de Gajac, jeudi 14 à 18h, à Villeneuve sur Lot ? Je sais que ce n’est pas à  coté…

l ‘expo est : les photos de « Avant l’âge de raison » et « Hirondelles andalouses« …

De :   Titus Curiosus

Objet : Vernissage à Villeneuve/Lot demain à 18h + Lucca
Date : 13 mai 2009 06:08:16 HAEC
À :   Bernard Plossu

Je ne pourrai pas venir demain à Villeneuve/Lot
(au vernissage du Musée de Gajac, à 18h),
étant pris trop tard dans l’après-midi à mon travail.
Je le regrette bien.

Pour le livre sur la photo en Italie au XIXème siècle,
il est très intéressant ; même si un peu frustrant
parce ce qu’il laisse deviner qui n’a pas été montré…

Tu verras toi-même.
Il y a sans doute des recherches à mener à partir de là…
Par exemple, sur ce photographe Robert Mac Pherson à Rome…


Sur Lucca,
il y a un excellent roman de Charles Morgan
« Sparkenboke« 
qui se passe à Lucques…
je l’ai lu il y a longemps ;
mais je me souviens encore des remparts de Lucques comme il en parlait…
Il y a longtemps que je n’y suis passé… A re-découvrir, en effet !

Titus

Ensuite,

sur cette expo parisienne,

ce papier aujourd’hui dans Le Monde,

avec quelques commentaires miens, au passage :

« L’Italie en peintures et en photographies : sujets communs, lieux communs« 

LE MONDE | 22.05.09 | 17h32  •  Mis à jour le 22.05.09 | 17h32

Les relations entre peinture et photographie au XIXe siècle : sujet classique de réflexion en histoire de l’art _ classique et épineux. Sa difficulté se vérifie tout au long de l’exposition du Musée d’Orsay « Voir l’Italie et mourir« , qui centre la démonstration sur un seul pays et quelques « motifs » : les paysages italiens, les monuments et ruines, les populations, sont d’excellents « sujets » pour les praticiens du daguerréotype ou du tirage papier, comme pour ceux de l’huile sur toile _ cf mon article sur l’expo Granet de l’été 2008 au Musée Granet d’Aix-en-Provence : « François-Marius Granet, admirable tremblement du temps, Aix, Paris, Rome« 

Ajoutons les relevés et projets réalisés par des architectes français au cours du même siècle, présentés à quelques pas de l’exposition, et ce sont plusieurs centaines de pièces qui sont proposées. C’est considérable, peut-être trop. Et c’est logique, car l’Italie a été le principal séjour des artistes et savants européens aux XVIIIe et XIXe siècles. Combien de voyageurs érudits, collectionneurs plus ou moins scrupuleux, élèves des Beaux-Arts en quête de modèles et écrivains se sont-ils succédé à Rome, Florence et Venise ? Allemands, Anglais, Français, Nordiques, Russes : l’Europe se donnait rendez-vous sur les escaliers de la Trinité-des-Monts et devant la basilique Saint-Marc _ assurément ! pour le « grand tour«  d’avant les vrais débuts dans la vie (sérieuse)

UN RAPPORT AU TEMPS DIFFÉRENT

Le résultat, qui privilégie donc les artistes étrangers aux Italiens, est un peu répétitif, plus à même de satisfaire un public de passionnés _ dont je suis pour ce qui concerne, pour commencer, Rome ! Les photographies dominent _ oui : et c’est tant mieux : pour des découvertes ; le champ de la peinture étant, lui, beaucoup mieux « balisé«  _, alors que les peintures semblent là pour ponctuer le parcours, donner un contrepoint coloré, inviter à comparer _ oui : trop de lacunes graves de ce côté-là…

Du peintre au photographe, la motivation est similaire _ pour le principal, en effet… Dès les années 1840, les premiers praticiens de la photographie se précipitent à leur tour à Rome, Pompéi, Sienne, partout en somme. L’inventaire photographique de l’Italie n’est qu’un épisode d’une « chronique » _ oui !!! _ qui a commencé à la Renaissance _ sinon plus tôt _ cf le journal de voyage de Pausanias dans la Grèce antique : « Description de la Grèce« 

L’exposition s’ouvre de façon emblématique sur des toiles magnifiques _ c’est très vrai !!! mais peu nombreuses (et déjà bien connues)… _ de Valenciennes, Jones et Corot. Dans la continuité, les portiques, pins, collines, bergères, tombeaux, le Colisée, les thermes de Caracalla sont photographiés selon des angles que les peintres connaissent depuis longtemps _ certes ! La composition _ oui ! _ ressemble de façon criante à celle des études à l’huile. Les mêmes stéréotypes _ oui ! le plus souvent ; mais pas toujours… _ s’imposent : l’église, la basilique, la brune mélancolique, le gueux héroïque, les feuilles d’acanthe des chapiteaux corinthiens, le marbre exalté par le soleil. Imperturbable, l’accrochage énumère les sujets communs _ dans tous les sens du terme.

Il y a des photos et des peintures remarquables _ oui ! _ dans « Voir l’Italie et mourir« . Mais que démontre leur rapprochement ? L’antériorité de la peinture sur la photo ? C’est un truisme. La similitude des « motifs » ? Il ne pourrait en être autrement. Il n’y a pas mille façons de regarder, à Rome, le château Saint-Ange depuis la rive opposée du Tibre.

En fait, et on l’avait constaté dans les rares expositions qui avaient déjà adopté ce principe, le rapprochement au mur de la peinture et de la photographie d’une église ou d’un paysage appauvrit plus qu’il n’enrichit. Parce qu’il incite à ne voir dans les œuvres que des « motifs », des « sujets », alors que l’essentiel est ailleurs _ voyons voir… _, du moins pour les œuvres d’importance, qui échappent au constat.

Prenons le rapport au temps. Ce qui fascine dans la photographie, c’est ce que le peintre n’a pas le temps de peindre _ tiens donc ! une contrainte féconde : et l’occasion fait alors le larron… C’est le cas pour des événements _ ponctuels ; éphémères… _ : l’éruption du Vésuve demi-heure par demi-heure (Giorgio Sommer), le bombardement de Rome en 1849 (Stefano Lecchi), les combats de Garibaldi et des siens à Palerme en 1860 (Le Gray). Mais c’est vrai aussi, et c’est plus intime, pour la silhouette furtive du touriste, les draps qui sèchent sur le Forum romain _ page 191 ! _, le regard du modèle costumé qui est las de poser en brigand d’opérette. C’est la peinture qu’il faut oublier, ici, pour saisir le sentiment _ sans doute ! _ de ces images.


« Voir l’Italie et mourir« ,au Musée d’Orsay, 1, rue de la Légion-d’Honneur, Paris-7e. RER Musée-d’Orsay. Tous les jours, de 9 h 30 à 18 heures ; jeudi jusqu’à 21 h 45 ; fermé le lundi. De 5,50 € à 8 €. Jusqu’au 19 juillet. Catalogue « Voir l’Italie et mourir« , textes collectifs, éd. Musée d’Orsay/Skira-Flammarion, 39 €….

 

Philippe Dagen et Michel Guerrin

Article paru dans l’édition du 23.05.09

Je suis d’accord sur l’essentiel de l’article,

comme l’indiquaient déjà mes rapides messages à Bernard Plossu…

La photo permet parfois de nouveaux regards,

qui ne soient pas des clichés !

Hein, Bernard ?!?

Titus Curiosus, ce 22 mai 2009

une merveille de délicatesse et profondeur musicale : les oeuvres pour flûte et musette (de Philidor, Hotteterre, Boismortier…) du CD « Le Berger poète », par (et sous la direction de) François Lazarevitch

21mai

A écouter avec ravissement les Couperin _ Louis et François _, Charpentier et Rameau,

et tout particulièrement dans une récente rafale de CDs étonnamment vivants et magnifiquement justes, tant de rendu de l’esprit que de soin de l’interprétation, par une nouvelle excellente (et extrêmement réjouissante, donc) génération de « baroqueux« 

_ cf mes articles de musique des 9 et 13 mai : « Trois nouvelles merveilles musicales, encore, de “style français”, en CD : des oeuvres de Gottlieb Muffat, Jean-Philippe Rameau et Gabriel Fauré »

et « quand les musiciens aiment passionnément la musique : le cas de l’oeuvre de Rameau » ;

mais aussi, un peu plus lointainement ceux _ puisse l’énumération n’être pas trop décourageante !!! _ des 7 novembre 2008 : « Retour aux fondamentaux en musique : percevoir l’oeuvre du temps aussi dans l’oeuvrer de l’artiste » (sur les « Pièces de clavecin » de François Couperin et Jean-Philippe Rameau) ;

26 décembre 2008 : « Un bouquet festif de musiques : de Ravel, Dall’Abaco, etc… » (et Berlioz, et Carl-Philipp-Emanuel Bach, etc…) ;

12 janvier 2009 : « une merveilleuse “entrée” à la musique de goût français : un CD de “Sonates” de Jean-Marie Leclair, avec le violon de John Holloway » ;

28 janvier 2009 : « Le charme intense de la musique de style français (suite) : avec des oeuvres de Marc-Antoine Charpentier et Georg-Philip Telemann » ;

30 janvier 2009 : « Douceur (de la musique) française _ ou pas » (en comparant des œuvres de Carlo Graziani _ premier violoncelle dans l’orchestre de La Pouplinièire de 1747 à 1762 _ et Francesco-Maria Veracini) ;

2 février 2009 : « Le “sublime” de Marc-Antoine Charpentier + la question du “déni à la musique”, en France » ;

25 février 2009 : « La grâce (et l’intelligence) “Jaroussky” en un merveilleux récital de “Mélodies françaises”, de Jules Massenet à Reynaldo Hahn _ un hymne à la civilisation de la civilité » ;

10 mars 2009 : « la poétique musicale du rêve des “Jardins sous la pluie”, voire “La Mer”, de Claude Debussy, sous le regard aigu de Jean-Yves Tadié » ;

21 mars 2009 : « Musique et peinture en vrac _ partager enthousiasmes et passions, dans la nécessité et l’urgence d’une inspiration » (à propos de Rameau, Enescu, Martinů et Fasch : dans des oeuvres, toutes, d’esprit français !) ;

11 avril 2009 : « “Vive Rameau !” : le “feu” du génie de Rameau en un jubilatoire CD Rameau (”Zoroastre” et “Zaïs”) par Ausonia et Frédérick Haas » ;

et encore du 18 avril : « Du sublime dans la musique baroque française : le merveilleux “vivier” Marc-Antoine Charpentier…« … _,

j’aurais pu penser que j’avais « cueilli » la « crème » du meilleur du « Baroque français« …

Et pourtant je viens de tomber sous le charme intensément fruité, très puissant en même temps qu’infiniment doux et souple

(et d’une simplissime « évidence » musicale ! bravo !!!),

d’un CD titré « Le Berger poète » (CD Alpha 148 : « Suites et Sonates pour flûte & musette« ), par Les Musiciens de Saint-Julien, que dirige, de la flûte traversière et de la musette, le très talentueux et merveilleusement inspiré François Lazarevitch ;

l’article qui vient

venant comme prendre une place de choix au sein de cette série d’articles sur de très beaux CDs de musique de « goût », plus encore que de « style« , si je puis dire, « français« …

Et avant que de citer quelques extraits du très remarquablement éloquent « argumentaire » que donne, en avant de chacun des disques des « Musiciens de Saint-Julien« , son ensemble, François Lazarevitch

_ qui n’a rien d’un vulgaire « musiqueur » distributeur de tonneaux de musique comme d’autres de bière : au baril et à l’hectolitre… _,

il me faut dire d’abord la qualité du plaisir à écouter un programme aussi magnifiquement « choisi » que parfaitement élégamment, et avec « vie« , « donné«  par les interprètes-instrumentistes des « Musiciens de Saint-Julien« , entourant et donnant la répartie à François Lazarevitch à la flûte traversière et à la musette

_ le « portail » du CD Alpha 148 donnant à bien contempler (à loisir !) en gros-plan le somptueux « détail » de la musette du « Portrait du Président Gaspard de Gueidan (1688 – 1767) en joueur de musette« , de 1735, un somptueux lui-même tableau du merveilleux Hyacinthe Rigaud

(1659 – 1743 _ un peintre  véritablement majeur du « premier XVIIIème siècle« … : une exposition « Hyacinthe Rigaud intime » va se tenir très prochainement au musée des Beaux-Arts Hyacinthe Rigaud de Perpignan, du 23 juin au 30 septembre 2009),

visible (j’ai pu l’y contempler l’été dernier) au spendide Musée Granet d’Aix-en-Provence,

qu’analyse, avec son brio de « feu d’artifices » coutumier, mon ami de Québec Denis Grenier _,

et interprètes-instrumentistes que je veux citer :

Alexis Kossenko et Philippe Allain-Dupré (ami lui aussi) à la flûte traversière, tous deux ; Matthias Loibner, à la vielle à roue ; Lucas Guimaraes Peres, à la basse de viole ; André Henrich, au théorbe, au luth et à la guitare ; et Stéphane Fuget au clavecin.

On peut assez rarement écouter une musique aussi parfaitement vivante et « vraie« , je veux dire aussi poétiquement juste et tendre, en la moindre des nuances d’un phrasé aussi délicatement fin et lumineux des musiciens.

Pour (un peu) entrer en la compréhension du « secret » de pareille réussite,

et avant que Jean-Christophe Maillard, le maître bien connu de la musette (auprès duquel François Lazarevitch a appris cet instrument), ne détaille très compétamment le programme du concert si royalement « choisi » de ce si heureux enregistrement, aux pages 16 à 23 du livret du CD,

voici quelques extraits bien éloquents de l’argumentaire vif et rapide (en à peine deux pages du livret) de François Lazarevitch,

sous le titre « Le Berger poète« .

D’abord, autour des répertoires de la flûte traversière et de la musette

_ « instruments au rayonnement extraordinaire tout au long de la première moitié du XVIIIème siècle« , dit d’entrée François Lazarevitch en sa présentation, page 12 _

sous la Régence et le premier Louis XV

(= entre 1715 et 1740 :

Louis XV n’a pas encore vraiment entamé, alors, la « ronde« , éclatante, à la Cour de ses brillantes maîtresses ; des sœurs de Mailly-Nesles, la première à paraître officiellement en cet « office« , fut l’aînée, Louise-Julie, comtesse de Mailly, en 1737, seulement… ; la Pompadour n’apparaissant, elle, Jeanne Bécu, qu’en 1745 seulement…),

ce programme du « Berger poète » « n’évoque en rien l’univers pastoral » effectif (champêtre) :

« ainsi même la sonate pour musette extraite du fameux « Pastor Fido » publié par Nicolas Chédeville sous le nom _ usurpé ! _ d’Antonio Vivaldi est intrinsèquement une admirable pièce de virtuosité _ très éloignée du « champêtre » rural !.. _ dans le plus pur style d’une « sonata da chiesa » pour violon« , page 12 toujours…

C’est que ces instruments « sont attachés » tout symboliquement « à l’image«  _ « de cour« , héritée, via « L’Astrée » d’Honoré d’Urfé et les cours (ainsi qu’« Académies« ) italiennes (ultra raffinées) de la Renaissance, des Grecs et des Romains de l’Antiquité… _ du berger aussi ancienne qu’indélébile.

Avec cette symbolique forte, importante et particulièrement touchante qui s’attache alors à l’image du berger : ne craignant ni l’isolement ni le silence, la tête tournée vers le ciel, le berger médite sur les beautés de la nature dont il est partie intégrante. Par ses relations privilégiées avec la Nature, sa vie entière avec le mystère de la Création n’est que poésie. Toujours marchant, il est un homme libre, guidant son troupeau en huchant« …

Cf aussi le fait que « dans la tradition chrétienne, David est un berger ; et Jésus, le Bon Pasteur, né dans une étable, entouré de bergers, est la lumière et le guide de son troupeau« 

D’autre part, « la musique de Jacques Hotteterre et de ses contemporains est essentiellement française dans l’esprit :

le rondeau de la « sarabande«  de Pierre Danican Philidor,

« Le Rossignol en amour » de François Couperin,

tout comme le « menuet«  ou la « gavotte«  de Jacques Hotteterre

…des harmonies toujours en suspension,

des mélodies simples et suaves, finement ornées,

dont l’épanchement ne va jamais sans retenue.

Semblant ne vouloir jamais s’imposer _ mais seulement aimablement se proposer… _,

cette musique _ confie avec beaucoup d’émotion François Lazarevitch page 13 _ me touche délicatement et profondément _ oui ! ces deux caractères sont proprement essentiels ! _,

comme j’espère qu’elle touchera l’auditeur _ oui, tout autant, à la suite des interprètes !


Et le chef d’assurer, page 13 du livret :

« Enfin, le « Berger poète«  symbolise ce que je cherche en musique :

tenter toujours de tourner le dos à l’effet _ vide _,

et trouver la vérité simple _ elle est à conquérir _ du son qui n’a pas besoin de se grimer,

le franc-parler et le naturel de l’articulation _ du phrasé musical _,

la conscience de la hiérarchie subtile _ à l’infini ; certes _ des notes permettant une clarté de discours et une ornementation improvisée _ libre et vraie ! _ qui fasse sens

_ le principal est dit ici…

Une liberté fondée sur une conscience du tempo qu’il faut aiguiser _ oui, au doux fil du tranchant de la « lame«  de chaque instrument… _  jour après jour.

Chercher ce que peut être « le vray poids »

_ l’expression est empruntée au grand Georg Muffat, en sa « Préface » au « Florilegium II » de 1698 : « Premières Observations sur la manière de jouer les airs de Ballets à la Française«  _

de chaque temps musical ;

et essayer de comprendre toujours mieux _ l’impossible « miracle«  de la « balance«  _ où donner de la liberté et où être ferme »…


Le livret du même François Lazarevitch à son précédent CD « A l’Ombre d’un ormeau _ brunettes  & contredanses« , des Musiciens de Saint-Julien, CD Alpha 115,

précise lumineusement ces données et clés d’interprétation d’une musique si délicatement raffinée et tellement poétiquement touchante, dans le si parfait « naturel«  de sa si claire « simplicité«  :


« Il n’y a nulle si bonne et désirable finesse

que la simplicité« ,

reprend-il, page 14 de ce livret-là, de François de Sales.

Avec ce commentaire-ci, assez éclairant :

« La simplicité n’est pas la facilité, loin de là _ on veut bien le croire, d’expert ! _ ;

et ce naturel qui lui est attaché demande un profond et patient travail«  _ délicatement tenu bien discret, avec la plus exquise politesse, de l’évidence de l’auditeur…

Et « une part importante du paysage musical français du XVIIIème siècle » _ en effet _, « jusqu’ici », « n’a que très peu retenu l’attention.

C’est qu’il est fragile et discret !

En lui, pas de tours de force, pas de paillettes, pas d’éclat _ qui époustoufle et tétanise.

Juste _ et voici l’essentiel ! _ un peu de charme, de la légèreté et de la naïveté _ toute de douceur _ ;

l’esprit français de toujours, en somme« , page 14 : c’est magnifiquement résumé là !

Vient alors une excellente explication des sources vives de ce travail :

« la chanson et la danse _ jamais très loin de la musique française, en effet _ ont en commun de ne pouvoir tolérer le complexe, le « travaillé »…

Leur fonction même impose _ certes ! _ la simplicité.

Mais si leur difficulté est invisible, elle est surtout bien réelle ;

et c’est pour cela que ces mélodies _ objet propre de ce CD Alpha 115 « A l’Ombre d’un ormeau _ brunettes  & contredanses » !.. _ ont aussi été un important vecteur pédagogique dans la formation _ même _ du goût musical« , toujours page 14.

« Les petits airs sont le lieu privilégié _ précise, alors, d’expert, François Lazarevitch _ pour l’assimilation _ pédagogique musicale _ de l’articulation et du langage des petites notes d’agrément et des doubles élaborés » _ « le double est une variation du couplet d’un air ; cette pratique étant une part essentielle de l’art du goût du chant des XVII & XVIIIémes siècles« , vient préciser alors une note de bas de page…

« Quant aux danses, aucun précepte, aucune recette ne résumera jamais _ certes : le travail est infini… _ ce qui permet de créer l’impression _ décisive _ de mouvement ;

comment « marquer (…) si bien les mouvemens de la danse (…) qu’on se sent comme inspirer même malgré soy l’envie _ aux autres _ de danser » _ indiquait ce même Georg Muffat toujours en sa même importante « Préface » au « Florilegium II » de 1698 : « Premières Observations sur la manière de jouer les airs de Ballets à la Française« 

C’est en vivant le bal _ oui ! _ et en recherchant cette indicible sensation de communion dans le mouvement avec les danseurs _ oui… _ que l’on y parvient peu à peu« , indique, avec force encouragement, François Lazarevitch, page 15.


« D’un côté, la beauté de la danse repose _ oui _ sur la cadence, liée à la rigueur absolue _ certes _ du tempo ;

et de l’autre, le charme des petits airs dépend de la liberté prise souplement _ un terme décisivement crucial _ avec la mesure.

Et cette rigueur et cette souplesse sont les deux axes _ oxymoriquement conjoints ! _ qui mènent à la maîtrise _ non purement technique seulement : jamais simplement « carrément«  mécanique _ du temps et du phrasé, travail de toute une vie ».., commente ô combien justement ! François Lazarevitch, page 15.


De cette musique :

il s’agit de « dépasser le graphique (des notations si « bizarres » _ à la première lecture, au premier « déchiffrage« , de la partition… _) et de tenter de lui donner sens _ vivant ! et vrai ! _ afin de le rendre compréhensible et intéressant _ et même bien davantage : délectable ! _ tant pour l’exécutant que pour l’auditeur », page 15.


« Depuis lors
_ il s’agit des commencements de sa formation musicale auprès d’un de ses premiers « maîtres«  de musique : Daniel Brebbia (avec Pierre Boragno ; et Philippe Allain-Dupré ; et Jean-Christophe Maillard ; et d’autres encore…) _,

ce répertoire n’a jamais quitté mon esprit ;

et j’aimerais toujours me laisser toucher _ sans ankylose _ par le doux esprit de sa poésie

et la beauté sobre de ses mélodies,

antidote aux violences contemporaines », ajoutait encore François Lazarevitch ;

qui concluait alors :

« Le travail est là ;

alors continuons…« 

En effet… 

Un disque merveilleux de grâce et poésie musicales

que ce CD « Le Berger poète : Suites et Sonates pour flûte & musette« , par François Lazarevitch et Les Musiciens de Saint-Julien,

le CD Alpha 148, à paraître très prochainement…

Titus Curiosus, le 21 mai 2009

La connaissance intime de l’autre via la « cardiognosie » du romancier moderne (en son usage du monologue intérieur) : à l’aune de l’augustinisme, par Jean-Louis Chrétien

15mai

Un remarquable article de Nicolas Weill dans Le Monde de ce jour, le 15 mai 2009, vient conforter à la fois mon grand intérêt pour le livre important de Jean-Louis Chrétien « Conscience et roman 1 _ la conscience au grand jour« , paru le 23 avril dernier aux Éditions de Minuit ; et un certain agacement à l’égard de ce que je ressens comme un hyper-pessimisme augustinien.

J’ai achevé la lecture de ce grand livre il y a plus d’une semaine ; et en laissais la lecture « reposer » (= « mitonner« ) un peu dans l’alambic à circonvolutions de ma mémoire-pensée avant de m’y « attaquer » sérieusement un peu frontalement ; jusqu’à découvrir ce matin cet excellent article de Nicolas Weill, qui partage mon angle de vision : quant au perspectivisme augustinien de Jean-Louis Chrétien _ auteur d’un « Saint Augustin et les actes de paroles« , pas encore lu, mais à lire urgemment…

Il faut dire que j’avais grandement apprécié le livre précédent de Jean-Louis Chrétien : « La Joie spacieuse _ essai sur la dilatation« , davantage en empathie, cette fois-là, avec ce que je pourrais qualifier, le plus modestement possible, de spinozisme et de « waltwhitmanisme«  _ de Walt Whitman, lire le formidablement dynamisant « Feuilles d’herbe » _ de ma propre idiosyncrasie

Ce travail-ci, aujourd’hui, de Jean-Louis Chrétien nous introduit au cœur d’une des questions majeures de la modernité (et de son devenir ; son avenir même : face au nihilisme qui le ronge et détruit ce qu’il recèle pourtant de forces de « vie » !) :

celle de l’identité personnelle se forgeant, fondamentalement, par la qualité des liens à l’autre (et à l’altérité)

_ c’est-à-dire ce qui se nomme proprement,

selon l’analyse qu’en fait on ne peut mieux lucidement Michaël Foessel,

l' »intimité«  :

cf là-dessus, de Michaël Foessel, le très important « La Privation de l’intime« 

(sur ce livre, majeur lui aussi pour l’intelligence de l’aujourd’hui, cf mon article du 11 novembre 2008 : « la pulvérisation maintenant de l’intime : une menace envers la réalité de la démocratie« ).

Ainsi que de leur connaissance, et de leur accessibilité, ou pas

_ à cette identité et à cette intimité des personnes _, à d’autres (que soi) :

à la page 17, Jean-Louis Chrétien cite un mot de François Mauriac, « en 1928, dans son ouvrage « Le Roman«  »,

en réponse à ces affirmations de Jacques Maritain, dans « Trois réformateurs » (en l’occurrence, Luther, Descartes, Rousseau), en 1925 : « Il y a un secret des cœurs qui est fermé _ même _ aux anges, ouvert seulement à la science sacerdotale du Christ. Un Freud aujourd’hui, par des ruses de psychologue, entreprend de le violer. Le Christ a posé son regard dans les yeux de la femme adultère, et tout percé jusqu’au fond ; lui seul le pouvait sans souillure. Tout romancier lit sans vergogne dans ces pauvres yeux ; et mène son lecteur au spectacle. »

François Mauriac remarque : « Je ne sais rien de plus troublant que ces  lignes pour un homme _ soit un romancier tel que lui-même ! _ à qui est départi le don _ sic _ redoutable de créer des êtres, de scruter le secret des cœurs« . Voilà donc ce qui fait ici question !

Et à la page 18, est citée la réponse ferme de Mauriac : « Ce secret des cœurs, dont Maritain nous assure qu’il est fermé aux anges eux-mêmes, un romancier d’aujourd’hui ne doute pas que sa vocation la plus impérieuse soit justement de le violer.« 

Etant (bien) entendu que de la qualité de ces liens (dont ceux des « cœurs« ) à l’autre, découle aussi, en aplomb et en surplomb _ cf déjà les analyses de Mélanie Klein sur l' »introjection » du moi chez le petit enfant, avant la parole… _, car les impliquant et les commandant, rien moins que la conception de soi, et du rapport à soi

(ainsi que des autres, et des rapports à eux) :

question éminemment cruciale, que celle de la conception

(et de la formation effective : au sein des processus d’éducation et d’enseignement, ainsi que d’initiation vraie à une culture riche)

de l’identité personnelle

_ à l’heure grotesque, sinon ubuesque, de l’inflation misérable des ego, d’autant plus narcissiques, que plus vides, ces « baudruches« , ces « outres de vent » gonflées de la prétention de leur « rien » !..

Et que _ ou combien ! _ de mauvais _ hauts ! _ exemples, ici, de « bassesses« , sur les tribunes, les estrades, sur lesquelles se focalisent les projecteurs et les sunlights, et les lucarnes blafardement luminescentes des pauvres écrans de télévision…

Sur ma lecture du livre de Jean-Louis Chrétien

et de ses six chapitres (après celui de présentation de la problématique) :

1) je me suis amusé à l’alacrité jouissive de la description de la comédie mondaine stendhalienne (surtout dans « Lucien Leuwen » et « Le Rouge et le Noir » ;

2) j’ai apprécié la très grande qualité de vista de l’approche, si riche (= pleine) de détails, du « monde » dans l’œuvre balzacien (surtout à travers de remarquablement fines analyses de « La Cousine Bette » et d' »Albert Savarus« )

_ au point que « en régime d’omnisignifiance _ tel que l’envisage l’option d’une Création infiniment bonne _ le détail révélateur, le détail qui n’a rien de contingent _ du moins dans l’absolu du cadre (théologique) ainsi envisagé _ (se) soulève la question de savoir s’il y a vraiment quelque chose comme des détails« . Alors « c’est lui _ le détail ! _ qui hérite de l’omnisignifiance chrétienne en la métamorphosant : dans la lumière de l’humain, il n’est rien qui ne fasse sens«  _ et soit absolument absurde ! Avec cette référence, alors , déjà, page 31, à Balzac : « Ceux qui se lassent des descriptions balzaciennes méconnaissent que voir une demeure et les choses qui s’y trouvent, c’est déjà explorer l’âme et l’histoire de ceux qui l’habitent. L’importance croissante du concept de « milieu », si bien étudié par Leo Spitzer et Erich Auerbach, va dans le sens de cette omnisignifiance. Tout étant solidaire, il n’y a plus de détails.«  Et tout spécialement : « un lieu réel d’omnisignifiance est la ville, et particulièrement la grande ville«  « Une ville est un lieu de saturation du sens », énonce Jean-Louis Chrétien, page 32. Etc… Fin de l’incise sur le « monde » balzacien…

3) j’ai découvert l’impressionnante ampleur, et hauteur, et profondeur, de vue métaphysique d’un Hugo (tant dans « Les Misérables » que dans « L’Homme qui rit » et « Les Travailleurs de la mer » ;

4) j’ai retrouvé la richesse de l’approche woolfienne de la complexité du réel, des points de vue, jusqu’à la morbidité

_ qui m’avait irrité dans le film, s’inspirant et de son style, et de son aventure personnelle (suicidaire, jusqu’au suicide effectif conclusif) du film « The Hours » (de Stephen Daldry, en 2003), d’après le roman de même titre de Michaël Cunningham, en 1999 : en français « Les Heures » _,

dans la lecture de l’incommunication (tragique) des personnages des (magnifiques) « Vagues » de Virginia Woolf ;

5) j’ai un peu déploré le choix de « Lumière d’août » pour entrer dans l’univers faulknerien, plutôt que les alternatives du « Bruit et la fureur« , ou « Sanctuaire« , ou « Absalon ! Absalon !« , à cause d’une vision davantage marquée, ici, par le poids du péché (que dans d’autres des romans de cet auteur tellement majeur ! en effet) : où se trouve, ici, l' »allègement » (« Light« ) de l’héroïne, Lena Grove, qui, enceinte, vient par hasard accoucher ce mois d’août-là au pays de « Yoknapatawpha County« , entre l’Alabama d’où elle vient, et la Louisiane vers où elle va ; et croise le parcours (= la via crucis) du martyr Joe Christmas…

et 6) j’ai pris grand plaisir à entrer dans l’univers (torturé : à je ne sais quel quantième degré !) beckettien par ce choix de « L’Innommable« , que je ne connaissais pas…

Voici donc, maintenant, l’article très clair et très juste de Nicolas Weill,

un peu truffé, à ma façon, de « commentaires« , au fil des phrases :

« Conscience et roman, I. La Conscience au grand jour », de Jean-Louis Chrétien : le roman et son péché originel« 

in LE MONDE DES LIVRES | 23.04.09 | 10h54  •  Mis à jour le 23.04.09 | 10h54

Pourrions-nous lire un roman si nous ne présupposions pas à l’avance que son auteur, à l’instar de Dieu, possède le don

_ possiblement éclairant pour le lecteur : à quoi « servirait«  sinon le temps pssé à la lecture d’un livre ? et cela depuis les premiers livres : sacrés ! cf le grand Nietzsche d’« Ainsi parlait Zarathoustra« , au chapitre magnifique « Lire et écrire«  : « Jadis l’esprit était Dieu ; puis il s’est fait homme ; maintenant il est plèbe » (en 1882-83) ; et aussi : « encore un siècle de lecteurs, et il va se mettre à puer« _

le don de sonder les reins et les cœurs de ses personnages ? Cette convention, qui a fini par avoir valeur d’évidence, Jean-Louis Chrétien s’y attaque dans ce premier volet d’une entreprise qui en comportera deux. Pour le philosophe, il s’agit de mener une réflexion de grande ampleur _ oui ! _ sur l’histoire de la conscience _ rien moins : c’est son objet ! _, telle qu’elle a été mise en forme _ oui, afin de mieux « ressentir«  (en l' »aisthesis« )… _ par le roman _ soit le « genre«  de livre le plus lu désormais : ce « miroir«  (de l’identité moderne), comme le nomme Stendhal, placé « le long du chemin«  de la vie de la plupart : « l’ai-je bien parcouru ? »  (ou « bien descendu ? » _ plutôt que « grimpé !« , on le remarquera : soit le « sens » de la pente « attractive«  et ultra-majoritairement dominante…) _ au cours des deux derniers siècles.

Les colères _ en effet !!! _ de ce penseur, lui-même grand lecteur des Pères de l’Eglise _ oui ! _, apparaissent très vite. Et ses développements _ riches d’une très grande perspicacité ! _ se révèlent imprégnés d’une indignation _ oui _ à la Bernanos face à la démesure _ ou le sacrilège… _ d’une littérature qui ose _ certes ! _ se substituer au Créateur. Cette irritation s’exprime en notes, remarques et apartés, sur le mode du coup de griffe à notre civilisation _ et à son pauvre nihilisme si ridiculement narcissique, et tragiquement (c’est à craindre) égocentré… Doit-on pour autant le ranger dans la catégorie, forgée par Antoine Compagnon, des « Antimodernes«  ? Oui, mais à condition de ne pas assortir l’expression de ses connotations politiques d’usage…

L’aventure du roman accompagne une métamorphose du sujet moderne _ oui !!! là-dessus, lire aussi le premier grand livre, en 1963, de Marthe Robert : « L’Ancien et le nouveau » (reparu dans la collection « Les Cahiers rouges«  des Éditions Grasset _ qui ne trouve guère grâce _ et pour cause ! _ à ses yeux. Celle qui transforme le moi en subjectivité recroquevillée _ oui ! _, sous l’effet des mutations propres à la société bourgeoise et individualiste. L’illustration caricaturale d’une telle évolution est l’actuel piéton urbain enfermé maladivement derrière ses écouteurs _ assourdissant (et anesthésiant, carrément !) tout : là-dessus, lire le très grand livre aussi, mais pas assez remarqué, d’Alain Brossat « La démocratie immunitaire » (paru à La Fabrique, en 2003, déjà) ; en plus du livre tout aussi remarquable et tout récent, lui, de Guillaume Le Blanc : « L’Invisibilité sociale«  : il est paru le 18 mars 2009, aux PUF... Pour Jean-Louis Chrétien, ce moi-là est des plus haïssables. Fait-il au moins de la bonne littérature ? La réponse est donnée à travers le parcours d’une figure de style : le monologue intérieur. Comme le style indirect libre, qui fera l’objet du prochain volume, ce procédé a le mérite de serrer au plus près _ en effet, pour la délectation de ce qui s’y révèle à notre connaissance _ l’entrelacement de la conscience contemporaine et du roman.

L’inspiration phénoménologique et religieuse de l’auteur _ oui _ lui permet d’établir une hiérarchie _ oui ! _ entre les diverses œuvres abordées, à partir de leur usage respectif du monologue intérieur. Il s’agit des « Misérables« , d’Hugo, ici magnifiquement réhabilité comme penseur de haut vol _ et Jean-Louis Chrétien donne envie de lire aussi « L’Homme qui rit » et « Les Travailleurs de la mer » : Victor Hugo prenant la dimension (à la Whitman !!! ) d’un immense métaphysicien ! _, des « Vagues« , de Virginia Woolf, de « Lumière d’août« , de Faulkner, de « L’Innommable« , de Beckett, ou de « La Comédie humaine« , de Balzac _ le premier chapitre du livre (après celui d’introduction : « L’Exposition de l’intime dans le roman moderne« , pages 7 à 40) étant tout de même consacré, pages 43 à 92, à l’œuvre de Stendhal : « Stendhal et le cœur humain presque à nu« 

LE SCEAU DE LA DÉMESURE

Tous ces classiques sont confrontés à une aune secrète _ absolument ! _ qui désigne un idéal _ doublement « chrétien« , si je puis me permettre pareille expression en cette occurrence particulière-ci… _ dont le sujet et la fiction modernes s’éloignent le plus : le moi des « Confessions« , auquel Jean-Louis Chrétien a consacré un admirable « Saint Augustin et les actes de paroles » (PUF, 2008). Le moi augustinien, en cherchant la vérité, découvre en lui un au-delà de lui-même _ et qui est aussi un infini (plein) _, alors que notre subjectivité à nous n’exhumerait que les faux-semblants d’une _ misérable _ intériorité narcissique _ vide : lire là-dessus la lecture pascalienne des si audacieux « Essais«  de Montaigne en ses « Pensées » : soit une résistance augustinienne toujours vivace (ou plutôt ravivée) à l’ère d’un premier avènement d’une magnifiquement humaine assomption de l’« humanité » : « bien faire l’homme« , dit Montaigne, au sublime chapitre final (Livre III, chapitre 13 : « De l’expérience« )…

Le geste fondateur du romancier, parce qu’il ose _ oui _ s’instituer en scrutateur _ certes _ des consciences et s’arroge le droit, jusque-là divin

_ en effet : c’était aussi l’audace, mais non sur le mode, biaisé (lui) de la fiction, de Montaigne en ses « Essais« , donc : en se donnant, lui, Montaigne, à pénétrer (par l’« indiligent lecteur« , qui sortirait un peu de son « indiligence«  : c’est là le seuil et le sas !.. « Hic Rhodus, hic saltus« …) ; à pénétrer, donc, un peu, en son activité de penser « sur«  son penser même, « en acte«  _

de pénétrer par effraction _ par son surplomb de romancier, ce « mensonge«  en acte qui prétend « dire la vérité«  (dixit Aragon _ assez expert, semble-t-il, en la chose…) sur les autres que lui-même… _ la conscience d’autrui,

se retrouve frappé du sceau de la démesure. Pour la nommer _ cette « effraction« _, le philosophe a forgé le néologisme de « cardiognosique », qui désigne ce viol de l’intimité _ nous y voilà _ propre au roman tel que nous le connaissons _ en « notre«  modernité.

Cet arrachement au sacré _ certes _ et à l’altérité _ en son mystère : saccagé par ce « réductionnisme » vandale ! _ laisse les personnages seuls avec eux-mêmes

_ et sans amour (vrai : d’un autre) ; sans liens d’intimité (authentique) avec la personne (sacrée) de l’autre : au-delà du corps (ou de la viande : cf le trouble que provoquent les images sidérantes-médusantes d’un Francis Bacon… ; ou d’un Lucian Freud) ; au-delà du corps de l’autre, donc, tenu entre ses bras, en quelque sorte ; au-delà de ce qui se réduit de plus en plus à des comportements érotiques pornographiques (lire là-dessus, peut-être Jean-Luc Marion : « Le Phénomène érotique« , paru aux Éditions Grasset en 2003) _,

dans une société en décomposition _ putride. Reste à savoir si l’écrivain y participe avec plus ou moins de scrupules _ lui-même… Écrits par un Stendhal qui fut à l’école des « idéologues«  _ Destutt de Tracy, etc… _, héritiers révolutionnaires des Lumières, les monologues intérieurs omniprésents dans « Lucien Leuwen » ou « Le Rouge et le Noir«  incarnent une sorte de cas-type _ et cible première de Jean-Louis Chrétien ici, dénonçant son « théâtre«  mesquinement, en sa « comédie » sociale, « mondain«  _ de l’intériorité claquemurée dans l’individualisme conquérant _ des égotismes don juanesques beyliens, en ce premier exemple… Chrétien soutient même que Stendhal anticipe les analyses de Durkheim sur l’« anomie », cette déliaison sociale que la sociologie considère comme caractéristique de l’époque contemporaine.

A l’autre bout de la chaîne, dans « L’Innommable« , Samuel Beckett pousse au contraire la pratique du monologue à un point de rupture salutaire _ par tout ce que lui, Beckett, casse en sa dénonciation jubilatoirement desespérante.

Le fil rouge de cet essai se révèle donc plutôt comme le récit d’un renoncement progressif _ au XXème siècle, donc, beaucoup moins complaisant pour l’égotisme que le siècle précédent (et son abcès de fixation « romantique« …) ; du moins pour les chefs d’oeuvre (woolfiens, faulkneriens et beckettiens) sur lesquels choisit de faire pencher son attention et sa vigilance l’analyste _ au privilège de la « cardiognosie ». Plus un écrivain hésite devant ce privilège _ et carrément le casse en mille morceaux, le brise, le pulvérise _, plus il est grand, suggère Chrétien. A l’inverse, cette voix d’aujourd’hui, qui me réduit aux murs  _ insonorisés et anesthésiants _ du « monde privé », est comparée à celle du ventriloque _ misérablement narcissiste _ qui n’entend que lui. Pour Chrétien, parler sans personne à qui s’adresser _ cf le terrifiant (malgré lui, à son corps défendant ; et non fictif !!!) « E-Love _ petit marketing de la rencontre » de Dominique Baqué (ainsi que mon article du 13 décembre 2008 sur lui : « Le “n’apprendre qu’à corps (et âme) perdu(s)” _ ou “penser (enfin !) par soi-même” de Dominique Baqué : leçon de méthodologie sur l’expérience “personnelle” » )… _ est l’indice d’une souffrance particulière à notre temps. C’est aussi le péché originel de la littérature _ romanesque ? ou romanesque seulement ?… Quid de l’« essai«  à la Montaigne ? ou du penser d’un Nietzsche ?.. _, et sa leçon.


CONSCIENCE ET ROMAN, I. LA CONSCIENCE AU GRAND JOUR de Jean-Louis Chrétien. Minuit, « Paradoxe« , 288 p., 28 €….

Nicolas Weill

Soit, une brillante analyse d’un livre très important qui nous donne de quoi méditer sur un enjeu civilisationnel profond, grave : essentiel, même !Hier, je relisais avec mes élèves le discours du « dernier homme » que le Zarathoustra de Nietzsche fait prononcer, en un monologue intérieur, en son propre discours du « surhumain » (au chapitre 5 du « Prologue » d' »Ainsi parlait Zarathoustra » : le « discours du surhumain » s’étendant, lui, sur les trois chapitres 3, 4 & 5) à celui qui « va vivre le plus longtemps » :celui-ci, le « dernier homme » ne cessant de répéter, en disant (bien !) « nous« , et en clignant des yeux (et c’est d’abord à lui même que s’adresse la recherche de « connivence » !) :« nous avons inventé le bonheur« ..….Je cite ces « paroles« (de « monologue intérieur » autant que d’« adresse à d’autres«  ;

et qui ne sont, ces « autres« -là, que des « semblables« , « tout pareils aux mêmes »…)

in extenso (dans la traduction de Georges-Arthur Goldschmidt) :

« Qu’est l’amour ? Qu’est-ce que la création ? Qu’est le désir ? Qu’est une étoile ?« 

« Voilà ce que demande _ aux autres ou/et à lui-même _ le dernier homme ; et il cligne de l’œil« , fait dire Nietzsche à son personnage de Zarathoustra, cherchant à « parler » à la « fierté » de ceux « qui ne (le) comprennent pas » en son appel à un sursaut (du « surhumain« ) à l’encontre du nihilisme…

Puis : « Nous avons inventé le bonheur« ,

« disent les derniers humains ; et ils clignent des yeux. »

Et : « Jadis tout le monde était fou« ,

« disent les plus finauds ; et ils clignent des yeux« .

Et à nouveau : « Nous avons inventé le bonheur« ,

« disent les derniers hommes ; et ils clignent des yeux. »


Quant à la description que donne le Zarathoustra de Nietzsche, de cette « sagesse » terminale

(de « fin d’humanité » et de « fin de l’Histoire » ! ô la sublime parousie, ici !!!),

au style indirect, alors,

elle est prodigieuse de vérité sur l’« opinion » _ en voie d’unanimisme, peut-être _ de notre temps :

« La terre alors sera devenue petite et le dernier homme y sautillera qui rend _ à son image ! _ toute chose petite. Son espèce est indestructible comme le puceron des bois ; le dernier homme, c’est lui qui vivra le plus longtemps » _ et les records de longévité effectivement se battent…

« Ils ont quitté les contrées _ nordiques _ où il est dur de vivre : car l’on _ noter la forme impersonnelle de la grégarité : majoritaire ; et malheur à l’isolé ! _ a besoin de chaleur. On aime encore _ pas par désir, et encore moins par passion ; mais par « besoin«  ! attention à la chute, quand le service déçoit ! ou déchoie... _ le voisin _ à commencer par les dits « compagnons« , « copains » et « copines » avec lesquels on partage le pain et (tout) le quotidien… _ et l’on se frotte à lui, car l’on a besoin de chaleur. »

« On marche avec précaution _ lire ici, en assomption triomphante de ce « souci« , Hans Jonas : « Le Principe responsabilité«  Fou donc celui qui trébuche encore sur des pierres ou des humains«  _ c’est-à-dire d’autres que soi (et « non encore « in-humains » !..« , préciserait Bernard Stiegler…)…

« On travaille encore car le travail est un divertissement _ vive l’« entertainment » !.. Mais on prend soin _ on a appris à « gérer«  !.. _ que ce travail ne soit pas trop fatigant.

On ne devient plus ni riche ni pauvre, l’un et l’autre sont trop pénibles. Qui veut encore gouverner ? _ quelques uns s’agitent bien encore un peu, sur ce terrain-ci… _ qui veut encore obéir, l’un et l’autre sont trop pénibles.

Point de berger et un troupeau. Chacun veut la même chose : chacun sera pareil, celui qui sentira les choses autrement, ira volontairement _ de lui-même _ à l’asile d’aliénés » _ se re-faire « conformer« 

Et enfin : « On est malin et on sait tout ce qui s’est passé : ainsi on n’en finit pas de se moquer. On se querelle encore mais on se réconciliera bientôt _ sinon ça abîme l’estomac.
On a son petit plaisir pour le jour et son petit plaisir pour la nuit : mais l’on révère la santé
 »
_ plus que tout : c’est elle la panacée, qui fait « durer« 

Qu’adviendra-t-il de nous et par nous ?.. Ce sont-là _ à notre échelle, du moins _ des enjeux à ne pas trop négliger :

de ce devenir-là de l' »humain » ; au risque de l' »in-humain« …

Le premier mérite de ce livre important qu’est « Conscience et roman 1 _ la conscience au grand jour« , de Jean-Louis Chrétien,

est de nous en faire bien ressentir non seulement l’ampleur, mais les « prises » (singulières) de toute son amplitude sur l’identité des « soi » et leurs rapports à l’altérité des « autres » ; dans le jeu (voire la disparition !) des « liens » discrets, sinon « secrets » (pour des tiers _ que ces « liens » ne regardent pas !), de l' »intimité » même ;

en l' »incalcul » de sa générosité (ou « amour« )…

Titus Curiosus, ce 15 mai 2009

Crétinisation versus « apprendre à vivre » : comment former, à l’école et ailleurs, à l’essentiel ?

14mai

Une interview opportune et urgente d’Edgar Morin sur la « crise » de la « formation » des personnes, des personnalités, des citoyens _ = « crise de l’éducation » _, afin qu’ils soient _ = nous soyons ! _ de « vrais humains » (se dépassant eux-mêmes, en permanence), au lieu de n’être que de la « ressource » disponible (sur un marché : concurrentiel) en « moyens«  (pour « services » de « ressources humaines » en mal d' »efficacité » à court terme _ en attendant « la chute« …),

dans Le Monde du 13 mai 2009 :

« Edgar Morin : « On devrait instaurer une année propédeutique de culture générale obligatoire »…« 

Opposé au cloisonnement des savoirs, le sociologue et philosophe Edgar Morin, qui a élaboré la théorie de la « pensée complexe« , défend ici l’idée d’une culture qui relie _ du latin « religare« , et en français « relier«  _ nos connaissances éparses.

Qu’est-ce que la culture générale et à quoi sert-elle ?

C’est ce qui, à partir des écrits, des arts, de la pensée, aide à s’orienter dans la vie et à affronter les problèmes de sa propre vie. La lecture de Montaigne, La Bruyère, Pascal, Diderot ou Rousseau nourrit notre esprit pour nous aider à résoudre nos problèmes de vie.

Autrement dit, c’est vital.

Non seulement on ne peut pas s’en passer, mais il faut la régénérer _ en ce moment se tient aussi, à Grenoble, à l’initiative de « la république des idées« , un colloque sur la question de « rénover la démocratie«  _, parce qu’elle est elle-même victime du mal principal qui frappe les connaissances, c’est-à-dire la compartimentation et la fermeture. Si, comme on l’a toujours fait _ enfin, presque… _, on veut réfléchir sur l’être humain, la nature, la réalité et l’univers, on a besoin d’incorporer les acquis qui viennent des sciences. Je crois qu’il faut régénérer _ est-ce plus précis et plus juste que « rénover » ?.. probablement… _ la culture générale parce que chacun a besoin, pour savoir ce qu’il est en tant qu’être humain, de se référer à sa situation dans le monde.

Comment la régénérer ?

J’ai fait des propositions pour des réformes de l’enseignement radicales _ prises à la racine. L’enseignement fournit _ entre « fourguer » et « gaver«  _ des connaissances séparées, cloisonnées et dispersées, qui deviennent affaire d’experts fonctionnant sur des problèmes particuliers, mais incapables de voir les problèmes fondamentaux et capitaux.

Dans « Les Sept Savoirs nécessaires à l’éducation du futur » (Seuil, 2000), je donne des thèmes _ ou pistes ? _ de réflexion. Par exemple : qu’est-ce que l’être humain ? Cela n’est enseigné nulle part _ la question « Qu’est-ce l’homme ? » est la principale de tout enseignement-questionnement philosophique, tout de même, selon Kant !.. _, car tout ce qui concerne l’être humain est dispersé. Pas seulement dans la biologie ou les sciences humaines et la philosophie _ !!! _, mais aussi dans la poésie et la littérature, qui sont des sources de connaissance de l’humain, mais sont considérées _ par certains, beaucoup, trop… _ comme des luxes _ ou « suppléments d’âme«  _ esthétiques, et non pas des sources de connaissances.

Une sorte de méta-savoir ?

Plutôt une façon de faire communiquer _ activement, en les dynamisant _ les savoirs et de les rendre nourriciers _ voilà ! et à foison… _ pour l’esprit de chacun. De plus, la culture ne peut pas se réduire aux savoirs transmis par le langage _ articulé, en la langue. La musique, par exemple, nous transmet des messages affectifs que nous traduisons très mal en mots. Mais il y a une pensée derrière la musique. Il y a une pensée derrière les œuvres de Beethoven. Il y a aussi une pensée derrière Rembrandt et Michel-Ange _ voir la (scandaleuse !) misère de l’initiation artistique au lycée (et au collège). Quant à la poésie, elle emploie les mots non pas dans un sens de dénotation instrumentale, mais dans un sens d’évocation que le langage dénotatif ne peut pas dire _ ou la palette ouverte d’un style. La culture inclut tous les arts _ et comment !!!

La pensée complexe, qui est au cœur de votre travail, n’est-elle pas l’illustration de cette culture qui relie les savoirs ?

On nous enseigne l’analyse et la séparation. Très bien ; mais on ne nous enseigne ni la synthèse ni la liaison. J’ai voulu montrer quelles sont les méthodes _ cf le très important « La Méthode«  _ qui permettent de relier. Dans « L’Homme et la mort » (Seuil, 1951), j’ai fait appel à l’ethnographie, à la préhistoire, aux sciences religieuses, à la poésie, à la littérature… Mon problème était de ne pas juxtaposer ni empiler ces connaissances, mais de les relier en leur donnant un sens.

Tout le contraire des disciplines scolaires bien séparées.

Les savoirs fermés et séparés doivent être ouverts et reliés. On devrait instaurer une année propédeutique de culture générale obligatoire pour tous, en fin de lycée ou en première année de fac. Et puis, il faudrait former ou réformer les formateurs. Je l’ai appliqué ces dernières années au Mexique, au Brésil et au Pérou, où j’ai fourni les éléments des « sept savoirs capitaux » à développer. Je leur enseigne ce qu’est la rationalité, la complexité. J’introduis les problèmes de notre civilisation ignorés dans les cours d’économie ou de sociologie. Par exemple, sur la fabrication des médias, le consumérisme des classes moyennes, l’intoxication publicitaire ou automobile. Ça fait partie de la culture générale. Dans « Emile ou de l’Education« , quand Jean-Jacques Rousseau demande à l’éducateur ce qu’il veut faire, celui-ci répond : « Je veux lui apprendre à vivre. »

D’où l’importance aussi de « La Princesse de Clèves » ?

Je fais des critiques politiques au président Sarkozy, mais je ne l’attaquerai pas sur le plan de la culture. Je ne le critique pas de ne pas connaître « La Princesse de Clèves« . Je le critique s’il propose de nous en détourner.

N’est-il pas contradictoire de dire que nous sommes dans une société de la connaissance tout en tournant le dos à la culture ?

On n’est pas dans une société de la connaissance. On est dans une société des connaissances séparées _ et pratiquées instrumentalement pour une utilité technicienne à courte vue. Le vrai problème, c’est qu’il faut tout réformer. Mais on ne fait que des « réformettes » ; le secondaire occulte le principal ; et l’urgence occulte l’essentiel ; alors que l’essentiel est devenu urgent _ formules capitales ! assassinées par la pseudo-« culture«  de l’évaluation comptable (dite « du résultat » ; cf mon article du 28 avril : « de quelques symptômes de maux postmodernes : 2) “l’inculture du résultat”, selon Michel Feher « ) : c’est si commode…

Si la culture relie les savoirs, ne s’en prend-on pas aux savoirs en jugeant la culture superflue ?

On relègue les savoirs dans les mains de spécialistes ; et on dépossède tous les autres. Par ailleurs, on est complètement ignorant sur les qualités vitales de la culture générale.

Ne croire qu’en des spécialités, c’est ne croire qu’en une vision de l’être humain borné et incapable de se poser des problèmes _ clé de l’intelligence (ouverte et ouvrante) du réel (en sa complexité). C’est du crétinisme. De plus, c’est une illusion ; car, aujourd’hui, dans certaines entreprises, au lieu de recruter des polytechniciens, on recrute _ de fait : on ne peut plus « réalistement« , comme ils pensent… _ des normaliens. On cherche des gens ayant des aptitudes « tous terrains » plutôt qu’une aptitude limitée _ obtuse _ à un seul terrain. Il est démontré que le développement des aptitudes de l’esprit humain à traiter des problèmes généraux leur facilite le traitement _ inventif, créatif, « avec génie« _ des problèmes particuliers.

Propos recueillis par Ma. D.

Article paru dans l’édition du 13.05.09

Mais qui veut vraiment cela

parmi ceux qui « occupent«  les manettes ? En lieu et place de fructueusement (pour eux !) « faire affaire«  avec ceux qui « vendent du temps de cerveau humain disponible » ?..

Titus Curiosus, ce 14 mai 2009

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