Survivre aux miasmes bordelais : après les trois M, Montaigne, Montesquieu, Mauriac, la vigne (rageuse) d’écriture d’Annelise Roux

— Ecrit le mardi 29 septembre 2009 dans la rubriqueLittératures, Rencontres, Villes et paysages”.

Quel passionnant, singulièrement prenant autant que magnifiquement consistant et, plus et mieux encore, tellement juste (!), en même temps qu’infiniment poétique, récit de formation (et d’abord de « survie » !) parmi les tenaces et très persistants miasmes bordelais (ainsi que médoquains) vient de nous offrir là, en la maturité de sa quarantaine, la girondine Annelise Roux, avec ce très singulier « La solitude de la fleur blanche« , aux Éditions Sabine Wespieser !..

Sur le fond, sans doute un classique récit (romantique _ « la douleur transmutée en langage« , page 186 _ : mais à la Stendhal ; celui du « Rouge et le noir« , qu’elle cite, mais aussi d’un « Lucien Leuwen« , qu’elle ne cite pas, peut-être parce que, en ce roman inachevé, le héros ne finit pas, lui, à la différence de Julien Sorel, sous le couperet de la guillotine ; mâtiné d’un Rimbaud, celui d »Une Saison en enfer » : « j’explorais un certain nombre de gouffres« , page 188),

un classique récit, donc,

de « survie«  _ « guérir« , « cicatriser« , page 54 _ face aux « avanies«  (page 55) et divers « ratages » de la vie ;

et cela sur plusieurs générations :

« avanies » et « ratages » de ses parents (« rapatriés » d’Algérie transplantés en 1962, en un « exil mal résolu« , page 59, dans l’exotique « désert » de « cailloux » _ à vignes, il est vrai… ; et donc à vins _ médoquain ; et sans « terre qui pût être revendiquée« , page 15 : c’est-à-dire montrée, exposée : Annelise s’éprouvant, en conséquence de quoi, « privée de socle« , page 92… ;

et même « le petit pavillon pour lequel mes parents s’étaient crevé la panse fut bientôt happé par un de ces lotissements où la plèbe est parquée en des banlieues médiocres, alors même que la campagne est toujours là« , encore page 92 ;

et à propos de son père, page 203 : « il s’évapore dans la nature (…) ne répond plus, baisse le rideau, tourmenté comme il l’est par l’affichage permanent de son ratage intime« …)

et grands-parents (paternels : Jacob et Salomé, au premier chef, « rapatriés » d’Algérie eux aussi _ d’ascendance alsacienne huguenote _, et ouvriers agricoles du côté de Margaux ; abondamment décrits en leur réussite (Jacob devenant en ce rude Médoc « Monsieur Jacques« ) et échec (Salomé, qui meurt prématurément peut-être pour une affaire de « bouquet de genêts » déposé sur le tombeau de la famille des sœurs Donnard !) de « survie« … ;

mais aussi maternels : Anna et Jean, même si cela semble un peu plus secondairement dans le récit rapporté par Annelise ; demeurés, eux, en Dordogne _ non loin de Sainte-Foy-la-Grande, cité huguenote, elle aussi _ toute leur vie : Jean va mourir assez jeune ; et Anna s’éteindra un peu plus tard de la maladie d’Alzheimer…) ;

« avanies » et « ratages » siens, ensuite, et peut-être surtout :

« plongée dans l’intranquillité, l’absence d’apaisement« , « je ratais ma vie personnelle à qui mieux mieux« , page 188 :

« Paris me tendait _ comme au Rastignac de Balzac _ les bras _ cf aussi la chanson d’Enrico Macias, en 1964 : « Toi Paris, tu m’as pris dans tes bras »…  _, des chances _ toujours « sociales » ; de carrière ; dans l’horizon de l’« utile«  _ m’étaient offertes. Je restais à Bordeaux, rencognée« , page 188 encore ;

et si sa « jeunesse fut » un « long bardo, sur le chemin d’une impossible résurrection« , page 147,

son « catalogue raisonné des désastres ne manqua _ certes ! _ pas de s’étoffer au fil des ans« , page 149, au sein de ce qu’elle-même nomme un « processus d’« énamauration » :

« avoir été maures _ sur la terre d’Algérie… _, considérés comme tels _ par les divers voisins de ce Médoc passablement âpre et sauvage, en ces années 60 et 70… _ ; et ne pouvoir _ très improbablement ; sinon impossiblement !!! _ s’en remettre _ en un parcours, peut-être seulement de leurre, quasi contraint ; et capital ici ! _ qu’au travers _ ensuite (et en suite…) _ de la compagnie de semblables pareillement proscrits, amochés _ de la vie _ ; ou soustraits, retranchés des insertions _ socialement : cela semble être le critère discriminant d’Annelise ; et son talon d’Achille, probablement… _ convenables : le processus d’énamauration, comme on peut s’énamourer violemment de modèles fantomatiques, de blessures

_ d’amour propre « social« , toujours ! cf déjà page 92 :

« ma perception des hiérarchies sociales bien entendu était brouillée«  ; « juste la notion floue, bombardée d’électrons, de ce que possédaient certains gosses de riches de mon entourage, et que je ne possédais pas, moi qui avais grandi dans une famille d’usurpateurs assez tristement pauvre ; et donc coupable« … _

le processus d’énamauration

était donc lancé _ et c’est on ne peut plus vertigineusement qu’Annelise s’y jette, tel l’heautontimoroumenos de Baudelaire en ses « Fleurs du mal » ;

ou le Rimbaud d’« Une Saison en enfer » :

romantique, disais-je !.. _ ;

le processus d’énamauration

_ ou de « romanichélisation« , aussi, en une autre variante :

cf à la pénultième page, page 231 : « elle

_ la femme qui, non loin « du théâtre du drame paternel«  (page 229), où le père d’Annelise est mort en un accident provoqué par des gitans qui venaient de commettre un braquage, se met à la frapper : « elle m’empoigne par les cheveux et me cogne la tête contre le volant » ; « se saisissant de mon sac à main, elle m’en assène plusieurs coups au visage, sur le nez, les pommettes, les dents. Le cuir dur me cogne, le sang coule… » _

elle n’a pas vu que je suis une romanichelle comme elle _ venant probablement du « camp gitan » (page 223) proche _, vouée à une vie de caravanes évanouies et de campements instables ; que de nos vies non plus _ vies de « rapatriés«  _ personne ne s’est soucié ni n’a fait grand cas »

_ soit la source principale de la souffrance que cette invisibilité sociale-là provoque et fait indurer (cf là-dessus le récent beau travail « L’Invisibilité sociale » de Guillaume Le Blanc, aux PUF, en mars 2009 _,

page 231, pour  cet épisode des « coups » les plus récents reçus par Annelise… _,

le processus d’énamauration

comme on peut s’énamourer violemment de modèles fantomatiques, de blessures comprimées et tues,

était donc lancé, lié aux impasses, aux spectres et autres solitudes indicibles. On ne rallie pas impunément le camps des défunts, ni ne revient du royaume des morts et de l’Absence d’un simple claquement de doigts. Ma petite farandole post-mortem, mon catalogue raisonné des désastres _ donc _ ne manqua pas de s’étoffer au fil des ans« , page 149…

D’autant que « le temps est long sans doute pour que s’installe le discernement« , page 171 : en effet…

Annelise en vint donc à se « représenter le monde comme une énorme sphère dont le terreau est constitué de cadavres entassés pourrissant de génération en génération« , page 185.

Et il va lui falloir pas mal de temps, en effet, sur ce qu’elle nomme « le chemin _ sien _ des cicatrisations« , page 54, pour que, en sa « recherche« , bricolée de bric et de broc, d' »un territoire virtuel _ de mots écrits esquissés sur des pages ! car « la fleur et le secret de la plupart des choses semblaient réservées au livre et au sein de la page » (sic), page 188… _

pour que, en sa « recherche » d' »un territoire virtuel

 » elle serait enfin (!) _ socialement, toujours… _ « acceptée« ,

se construise, peu à peu, et ainsi,

« cette entreprise malaisée, qui, menée à son terme, prend le nom _ à la fois _ vulnérable et opérant de « livre »« , page 15…

Car elle fait le pari que « le verbe

_ rédempteur, davantage que revanchard, peut-être :

faut-il, cependant, tout à fait la croire quand elle affirme, en forme plutôt de « dénégation« , page 59 :

« Je n’avais pas d’idée de revanche, et pas en tête une seule seconde que cela _ sa kyrielle d’« avanies«  tant familiales que personnelles… _ pût être rédimé un jour d’une quelconque façon par l’écriture«  ?!.. _

car elle fait le pari, donc, que « le verbe

est (…) là, qui attend son heure _ et « fait » sa propre « vocation » d’écrivaine !.. _,

tapi sous l’habituel fumier en putrescence,

enfoui, comme on le voit, en un imprévisible et capricieux terreau fait de déroutes, d’avanies _ nous y voilà ! _, de défaites, de déculottées cuisantes« …

Deleuze, en son très beau « Logique du sens« , a commenté la formule crâne de Scott Fitzgerald

_ un des auteurs de prédilection (et référence) d’Annelise, à travers essentiellement « Gatsby le magnifique » et ses tripotées de riches et beaux, des « beaux quartiers » :

Annelise se laisse assez tenter et piéger (?..) par ce type de « freluquets » friqués :

« me voilà donc virevoltant au bras de jeunes gens inintéressants, freluquets cousus d’or, se voulant drôles et cauteleux, dominateurs, légers envers le monde, blancs becs cyniques et forts me laissant tomber dans des soirées chics pour aller boire des coupes de champagne avec des jeunes filles _ davantage _ comme il faut _ que cette « pauvresse » (« privée de socle« , donc, page 92…) d’Annelise _, c’est-à-dire de leur monde ; et riches _ ceux-là… _ comme il faut«  _ en ce « monde« -là ;

« j’étais jeune, entêtée, rétive, d’une ambition démesurée ; et sans le moindre visage _ identifiable, reconnaissable, telle une « marque » de « visibilisation » efficace ! _

et sans le moindre visage, donc, encore,

la moindre tournure _ sociale, toujours ! _ nette,

si ce n’est cette faim carnassière de lecture, cet appétit livresque presque indécent ; inutilisable »

_ alors : un mot qui tue, j’ai bien peur… _,

peut-on lire page 194… ;

« je n’avais rien de consistant à déposer dans la corbeille du mariage avec un quelconque bon parti, n’en avais pas les moyens ;

et, du reste, ne le souhaitais pas, ne l’avais jamais souhaité,

dans une ville bourgeoise et hautaine _ Bordeaux :

« Bordeaux corsetée de façades XVIIIe, ville patrimoniale aux rues pavées d’intentions dont je ne savais juger si elles étaient bonnes ou mauvaises, était une ville compliquée« , page 193 _

où, comble de l’ironie, j’entrai à l’école _ Sciences-Po _ auprès de considérables fils de famille,

dont certains, tout en aspirant à me mettre dans leur lit, ne manquèrent pas de me regarder de haut, par sottise ou pure inclination grégaire,

exactement comme ils auraient regardé de haut leurs voisins de rue les plus recherchés,

au prétexte qu’ils ne se servaient pas chez le même boucher

ou avaient été aperçus dans une échoppe de standing moindre

_ sauf que je le prenais entièrement pour moi

et,

entourée comme je l’étais, de Daisy et de Tom Buchanan _ ces personnages du « Gatsby » de Scott Fitzgerald _,

tenais en mon for intérieur un petit carnet mental des plus alarmants« , page 195… _

Deleuze, en son très beau « Logique du sens« , donc, a commenté la formule crâne de Scott Fitzgerald

en sa sublime « Fêlure«  (« The Crack-up« ) : « toute vie est bien entendu un processus de démolition«  ;

« un processus de démolition » en particulier, ou au premier chef, pour ceux qui choisissent la solution un peu concentrée et accélérée de l’alcool _ la « soûlographie«  ;

Annelise disant à son propre propos, page 193 :

se « débattant puis sombrant _ un moment, alors _ dans une soûlographie noire« …

« Je ne compte pas les fois où (…) on me tournait le dos sans autre forme de procès ; me laissant interdite, déchirée« , page 195.

Scènes qu’elle commente ainsi, page 196 :

« Cette mort-là _ rien moins, pour cette mort « sociale » bordelaise !.. _ est interminable. On la sent venir sans pour autant pouvoir s’y faire.

Je n’étais _ toujours « socialement » _ préparée à rien ; et peut-être pour ces raisons, d’une endurance insoupçonnable, extrême« , page 196.

« Je ne disposais pas de grand chose, à part cette endurance.

J’avais le dos au mur, pas d’arrières à protéger. Devant moi, un avenir qui ne me tendait pas exactement les bras _ ce qui peut se « méditer«  quand on fréquente les amphis de Sciences-Po, sans doute.

Je n’épiloguais sur aucun retour possible« , toujours page 196…

Suit une description de cette confrontation-là, aux pages 197-198 :

« Tout le monde _ du moins sur ce « marché« -là (de Sciences-Po) de la féminitude ; et en ces « soirées » bordelaises-là… _ était en soie ; j’aurais dû _ selon les normes là en vigueur (pour être « performante«  !) _ l’être aussi,

de ces robes qui coûtent l’équivalent d’un mois de salaire de mon père _ petit employé en instance d’être licencié ; à moins que ce ne soit la petite entreprise qui ne soit, elle-même, en instance de déposer son bilan _ et que, bien que je n’en eusse rien dit, à dix-huit ans à peine _ en 1982, donc… _, je devais lui reprocher violemment de ne pouvoir m’offrir lorsque j’avais la soie en question s’étalant _ plus que visiblement, donc ! _ sous mes yeux.

Pas d’accessoires de bon faiseur effroyablement chers _ pourtant absolument indispensables _, au moins pour l’illusion _ à fourguer aux autres _ ;

pas de fanfreluches ni d’atout maîtres _ à ce jeu de poker pas assez menteur ! de Sciences-Po Bordeaux… _ d’aucune sorte cachés dans ma manche,

si ce n’est cette prédisposition brouillonne, déraisonnable, suicidaire _ aussi : à « travailler » un peu-beaucoup de suppurantes plaies dessous des croûtes _ au langage et à l’écriture

qui sont l’autre monde _ sic ! _,

que je dressais au nez de certains en remplacement de l’argent qui me faisait défaut,

tandis que j’allais _ stendhaliennement, à moins que ce ne soit balzaciennement, ici : Zola serait plutôt pour la peinture de « La Terre » du Médoc, provisoirement délaissée par Annelise… _ dans ces maudites soirées vêtue de chinoiseries dérisoires et flagrantes _ hélas ! pour l’efficace de la comédie sociale à proposer… _, d’un pyjama de faux satin dépareillé élevé là au rang de désastreuse blouse du soir,

le cœur brisé qu’on me tînt à l’écart _ voilà la souffrance de (« solitude » : structurelle, parmi le massif d’iris flamboyants !) de la petite (van goghienne) « fleur blanche » du titre du « roman » (sic) : « La solitude de la fleur blanche« … :

« arrogante en diable,

mais pas de l’arrogance qu’on a lorsqu’on est plein de morgue,

celle au contraire que la meurtrissure en état de dépassement confère,

celle de la parentèle déconsidérée à laquelle justice n’a  pas été rendue,

celle du père anxieux classant petitement ses trombones en quittant le bureau, affolé à l’idée de la lettre de licenciement au-dessus de sa tête en suspens, serrée quelque part comme une épée de Damoclès dans les papiers de bureaucrates indifférents, placides comme des sphinx, ignorants des malheurs alentour.

Celle enfin de la fleur pâle _ nous y voici donc ! _, dépourvue de couleur, peinte par Van Gogh au milieu du massif d’iris bleus,

d’une solitude infecte et délicieuse _ cela se voit à sa petite gueule _ en effet ! _ ouverte à contresens et de guingois, à l’adorable bouche jaune d’or entrebaîllée à l’intérieur et comme implorante, mais délicatement _,

sublime parce que c’est là tout ce que voyait Vincent  depuis le soupirail de sa chambre, à l’asile de Saint-Rémy où il était convalescent _ de son oreille tranchée _, avant le coup de revolver«  _ fatal du champ de blé « aux corbeaux » d’Auvers, cette fois, pages 199-200 ; fin de l’incise…

le cœur brisé qu’on me tînt à l’écart, donc,

et ne m’adressât guère la parole que du bout des lèvres _ eux, les « iris » flamboyants du « massif« , donc… _ ;

en secret serrant les poings _ elle, la « petite fleur blanche«  ; en ce (bref) passage « sur » le tableau de Van Gogh, page 200 _,

sachant peut-être _ déjà ! _ que tôt ou tard tous comptes _ tous ! _ seraient réglés,

dans la justesse,

ou au contraire l’injustice terrible,

au travers de ce très grand épouvantail ingouvernable _ heureusement : c’est là la source de la grâce de ce magnifique petit livre ! _ qu’est la fiction« , pages 197-198 ;

par l’écriture, donc :

cf l’incipit même du livre, page 7 :

« J’ai dans la tête des images inventées, des visions tour à tour saugrenues, fausses et véridiques _ se mêlant : le génie de la fiction « déployant » somptueusement les bribes de remémoration initiales _, puissamment _ en effet ! Des réminiscences me traversent«  _ qui demandent instamment, mais avec une infinie, voire implacable, patience, que des « comptes » soient (même fictivement : à cela « sert » le « génie » poïétique !) « réglés » ! « apurés » !

Annelise précise _ mais est-ce ou non de la dénégation ? _ :


« Qu’on ne me fasse pourtant pas dire ce que je ne dis pas :

ce n’est pas tant les béances sociales _ toujours elles _ et la difficulté de leur comblement

qui me mettaient K.O.,

ce qu’on appelle la lutte des classes,

que la conscience prématurée de l’inégalité des chances au départ,

l’écart ne tendant jamais _ et sans fin : mélancoliquement… _ qu’à s’accroître et à se creuser de par toutes les protections dressées pour empêcher le remblai _ je pense à la nature égoïste et mauvaise, ordinairement conservatrice et sourde _ autant qu’aveugle _ au malheur d’autrui de l’homme.

Il n’était pas question de me venger. Me venger de quoi, du reste ?
« , page 198.

« Je me retrouvais _ alors _ dans une impuissance féroce« , page 202.

La solution d’Annelise commence alors à sourdre :

« je voulais écrire« , toujours page 202 (en ce chapitre intitulé « Lueurs de l’autre côté de la baie« ).

« Tout prendrait _ enfin _ sens à travers cela.
Notre naufrage
_ algérien _ en Bordelais, où la vigne est ce pain primordial :

si je parvenais à écrire,

comme elle _ la vigne ! _ qui se nourrissant de pauvreté _ minérale (ses pierres), de la terre, du sol, du « terroir«  _ plonge ses racines _ et fore _ en un sol très profond,

j’irais loin en moi-même pour trouver des raisons de survie _ voilà !

Ma coupe serait pleine et déborderait« , page 202 :

Alleluia !

Même si « pour l’instant, j’en étais aux seuls débordements«  ;

et si « les mots _ d’abord _ et les pensées _ qui finissent par les suivre, en la poiesis courageuse et endiablée d’Annelise Roux,

en cette superbe écriture qui tourne sur elle-même, et, fouissant, finit par creuser profond ! _ se dérobaient » encore…

Sur la vigne du Médoc,

et son produit, le vin de Médoc,

Annelise a de très belles (et tellement justes !) formules :


« la vigne d’ici est ce chant vert, mobile, rafraîchissant comme un océan« , page 69… ;

et sur le vin de Bordeaux :

« les vins de Bordeaux ont toujours en bouche un goût de majestueux trépas,

comme un adieu à l’existence qui s’éternise sous la langue _ comme c’est merveilleusement juste !

 Je déplorai longtemps _ en la juvénilité _ cette solennité profonde ; je la trouvai vieillie, décadente et trop lente.

Il me fallut les fresques d’Arezzo _ par l’immense tranquille Piero della Francesca _,

l’ombre de cave _ en effet _ sous la basilique de Saint-François,

tandis que j’observais _ patiemment et dans l’émerveillement ! _ « La Morte d’Adamo« , « La Mort d’Adam« , à moitié décrépite,

d’une splendeur _ par là : arrachée au temps ; vers l’éternité de tels instants… _ décuplée,

pour en saisir le rayonnement

et y puiser un peu de paix _ oui ! et comblante !


Les églises, à l’instar des caveaux que souvent elles abritent,

gisants et nobles dames, sibylles et saintes endormies sous la pierre, reliques, restes embaumés dans l’odeur des roses et de l’encens,

m’ont instillé de longue date un écœurement fort

en raison de l’évocation _ et un peu davantage… _ des moisissures et du pourrissement

qui énoncent la finitude,

nous préparent au fait

que chaque chose à un instant donné passera la main« , pages 191-192 ;

Annelise craignant aussi, mélancoliquement, de manquer de temps pour l’écrire :

qu’elle se rassure : c’est fait !..


Par là, « le vin n’est pas n’importe quel alcool. C’est une mémoire sensible, en sus de l’ivresse« , page 192…


« Les bouteilles vertes elles-mêmes, rangées à l’abri du soleil et des trop grands écarts de température,

ne sont _ en cela _ que rappel d’une beauté plus ancienne,

écho assourdi et magnifié _ oui ! _ d’un sol, d’un climat :

de fugaces étincelles rendant compte du labeur des hommes,

infini

comme seuls le sont à parts égales leur génie et leur méchanceté« , page 192…


On mesure ici l’immensité

du talent d’écrivain

d’Annelise Roux.

La lire offre un tissu permanent formidablement riche de telles surprises,

d’une richesse tournoyante…

Lors d’une première rencontre à Paris avec un écrivain depuis dix ans au moins admiré,

« un vieil écrivain américain méconnu dans son propre pays, en dépit d’un prix Guggenheim frôlé qui aurait mis du beurre dans ses épinards« , page 204 ;

un « bucheron débarquant de Missoula« , page 205 ;

et séjournant quelque temps à Paris

_ s’étant « pris à rêver de bénéficier là d’une nouvelle audience plus attentive, raffinée, impeccablement dans le style français » ;

« il descend des montagnes à l’occasion de cette résidence. Il ressemble à un bucheron décati ; il est doux, imposant et pauvre, les cheveux blancs, la moustache en bataille, les joues couperosées à cause de la gnôle ou du froid« , page 204 ;

« le vieux bucheron est là, conforme à la légende. Il porte une chemise ad hoc, à carreaux orange et noirs, un pantalon en velours côtelé sanglant son ventre énorme. Son gros œil bleu, humide et rouge, me suit d’un air bonasse, comme frappé d’amnésie, vaguement épileptique.

Alors que c’est une bénédiction que je suis venue quêter,

je me retrouve confrontée à l’Absence elle-même,

à l’incarnation de l’absence« , page 206 :

Jim Harrison ? l’auteur de « Nord-Michigan » ; de « Légendes d’automne » et de « Dalva » ?.. _,

Et puis, page 208,

et c’est la conclusion du chapitre « Lueur de l’autre côté de la baie » :

« le vieux s’ébroue à mes côtés avec des attitudes d’oiseau enivré et fiévreux.

Je suis soûle moi-même, terriblement patraque et perturbée.

J’ai froid ;

et soudain se déploie _ enfin ! _ devant nous le langage mystérieux de l’inspiration.

Son souffle brûle, passe à mon oreille. Je l’entends pour la première fois

et ne l’oublierai pas« , page 208 !

Quant à la conclusion de l’ultime chapitre, intitulé, lui, « Concorde« ,

la voici :


« Quels signes d’apaisement et de réconciliation

savons-nous lire ?

L’instant des coups _ de la romanichelle blonde au « puissant 4×4, entièrement noir, semblable à un corbillard« , avec « un siège d’enfant, à l’arrière. Un bébé visiblement y repose, s’agitant doucement« , page 229 _

comme l’instant de la mort du père _ lors de l’accident au bord des champs d’artichauts, vers Eysines, en 1988 _,

ces enfantements réduits à néant _ lors de sa liaison par là-même avortée avec le cinéaste germano-turc Cem, faute d’avoir « pu avoir d’enfant« , page 229 : « des fausses couches à répétition ont eu raison de notre couple, nous ont conduit en un sens à la séparation, Cem et moi« , page 230 ; « si un enfant était venu au monde, que lui aurions-nous rapporté _ voilà ! c’est un « passage de main«  virtuel renoncé !.. _ des frontières, de l’islam omniprésent dans nos deux histoires, de la chrétienté qui intervient aussi bien chez Cem  _ de père turc mais _ élevé en Allemagne et dont la mère est allemande et protestante, que chez moi ?« , page 230 encore… _ où s’engloutirent de vieilles rancœurs,

les livres écrits à en perdre haleine, portés à bout de bras vers l’entendement des autres,

le moment où ma mère sortit du coma et ouvrit l’œil sur son brancard _ cet œil-là, rose vif, strié de filaments d’or, ne ressemblait à aucun autre ni à rien d’humain, à une figue que le soleil et les guêpes ont ouverte _

furent pour moi comme tous les chants, voix, éclairs et nuées

adressés à Moïse sur le mont Sinaï,

à Élie _ qui a pour autres noms El-Khader, le Vert ou l’Immortel _ afin de le délivrer de son silence au mont Carmel,

lui rendre tangible une grande, irréfutable harmonie« , pages 231-232 ;

en une largissime, enfin, réconciliation…

« L’immersion dans les mots » s’avère ainsi, et c’est capital, « la seule manière d’habiter justement le monde »,

comme le pressentait, proustiennement, mais sans trop oser alors y croire, Annelise,

page 59, en son chapitre « Sang d’encre« , déjà ;

et n’est donc pas _ et c’est un point, au final, essentiel ! _ rien qu' »une sorte de refuge impossible« ,

un « amer » seulement, seulement espéré…

Ou,

à la façon du « Temps retrouvé« ,

la preuve tangible par l’œuvre _ bien que de papier… _ réalisée

_ que cette « Solitude de la fleur blanche« …


Salut l’artiste !

Titus Curiosus, ce 29 septembre 2009

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