Ce chef d’oeuvre qu’est l' »OEdipe » (1936) de Georges Enesco (1881 – 1955) enfin redonné à l’Opéra de Paris !

— Ecrit le lundi 4 octobre 2021 dans la rubriqueMusiques”.

Ce jour, ResMusica, sous la plume de Michèle Tosi,

et en un article intitulé « Wajdi Mouawad rend justice à l’Œdipe de Georges Enesco« ,

nous apprend la re-création à Paris, le 29 septembre 2021,

de ce chef d’œuvre de l’opéra du XXe siècle qu’est l' »Œdipe«  _ créé à l’Opéra Garnier, à Paris, le 13 mai 1936 _ de Georges Enesco (Liveni, 19 août 1881 – Paris, 4 mai 1955)…

Une recréation sinon à l’Opéra-Garnier,

du moins à l’Opéra-Bastille…

Wajdi Mouawad rend justice à l’Œdipe de Georges Enesco

Fin connaisseur des tragédies de Sophocle, le metteur en scène et directeur du théâtre de La Colline Wajdi Mouawad s’empare de l’Œdipe de Georges Enesco, l’unique opéra _ en effet _ du compositeur roumain, et signe une épure poétique aux couleurs flamboyantes.

L’opéra n’avait jamais été remonté par l’Opéra de Paris depuis sa création à Garnier en 1936. Il est le fruit d’une longue maturation de la part du compositeur, près de trente ans _ oui _ depuis la révélation que fut, pour lui, la découverte d’Œdipe roi de Sophocle joué en 1909 à la Comédie-Française. Le livret d’Edmond Fleg est une version condensée des deux tragédies de l’auteur grec, Œdipe roi et Œdipe à Colone. Wajdi Mouawad y ajoute un préambule non musical qu’il déclame lui-même en voix off.

Oubliant la malédiction d’Apollon, Laïos et son épouse Jocaste fêtent la naissance d’Œdipe dans un premier acte haut en couleurs où chaque tête s’orne d’une coiffe à la Bob Wilson, façon végétale (fleurs et feuillages selon les sexes et les personnages), symbole d’une fécondité autour de laquelle se noue la tragédie. Privilégiant les lignes verticales et l’aspect monumental de la scénographie, Emmanuel Clolus érige un immense rocher pour le décor du deuxième acte, tandis que des panneaux mobiles, à l’image des portes de Thèbes, reconfigurent l’espace scénique à chaque tableau. Des personnages géants aux costumes brillants (la présence des aïeux) occupent la scène au sein d’une masse chorale très sollicitée. Si les surtitres en anglais passent toujours au-dessus de nos têtes, le texte français s’affiche sur le décor, dans un confort de lecture très appréciable.

Georges Enesco a signé une partition somptueuse _ oui ! _dont Ingo Metzmacher cisèle les contours avec une précision d’orfèvre. Louvoyant entre le style du « Grand opéra » français et l’art du timbre d’un Debussy, l’écriture déploie une dramaturgie sonore très suggestive qui ne va pas sans une certaine emphase. Les pages d’orchestre se multiplient (superbes préludes et interludes), le deuxième tableau invitant sur scène une flûte, celle du berger qui tire de son instrument une plainte douloureuse. La vocalité regarde vers la déclamation debussyste, au plus près de la prosodie, convoquant parfois la voix parlée, comme dans le troisième acte où les mots désespérés d’Œdipe s’inscrivent sur la partie orchestrale à la manière d’un mélodrame. Enesco use également de ressorts théâtraux aux effets archaïsants, tels ces glissandos qui font ployer les voix et renforcent l’aspect tragique et intemporel du propos. Ils accusent les accents maléfiques de la Sphinge à la fin du deuxième acte dans une des scènes les plus fascinantes de l’opéra où la mezzo-soprano Clémentine Margaine, dans tout l’éclat de son registre, s’adresse à Œdipe pour le défier.

Face à l’écrasante majorité des voix d’hommes, les dames ne font que de courtes apparitions dans l’opéra. Anne Sofie von Otter, dans le premier acte, incarne une Mérope (la mère adoptive d’Œdipe) avec l’élégance et la clarté d’élocution _ oui _ qu’on lui connait. Ekaterina Gubanova est une Jocaste émouvante, alliant beauté du timbre et souplesse de la diction. Au côté d’Œdipe aveugle qu’elle accompagne durant le quatrième acte, l’Antigone d’Anna-Sophie Neher est attachante, prêtant sa voix juvénile autant que rebelle à un personnage au caractère bien trempé. Si la voix de Laurent Naouri manque un rien d’assise au premier acte, dans le rôle exigeant du Grand Prêtre, on apprécie la puissance et la projection de la basse Clive Bayley dans Tirésias, tout comme celle de Nicolas Cavallier, séduisante et ensorceleuse dans son air du Veilleur. Citons encore le Laïos de Yann Beuron _ que j’apprécie tout particulièrement _, tombant sous les coups d’Œdipe au deuxième acte, le Créon de Brian Mulligan, ardent et vindicatif, ainsi que le Berger à la voix claire (et à la coiffe en forme de panier d’osier) de Vincent Ordonneau. Mais le plateau reste dominé par l’incarnation magistrale du baryton Christopher Maltman dans l’écrasant rôle titre, exprimant toute la vulnérabilité d’un personnage qui finira par clamer son innocence et dont les accents douloureux de père déchu dans le troisième acte évoquent ceux d’un Boris Godounov. Saluons pour finir l’excellence des chœurs dont les voix irriguent toute la tragédie, personnage en soi, présent ou invisible comme celui des Euménides qui referme l’opéra dans une lumière et une sérénité retrouvées.

Crédits photographiques : © Elisa Haberer / Opéra national de Paris

Paris. Opéra Bastille. 29-IX-2021.

Georges Enesco (1881-1955) : Œdipe, tragédie lyrique en quatre actes et six tableaux ; livret d’Edmond Fleg d’après Sophocle.

Mise en scène : Wajdi Mouawad.

Décors : Emmanuel Clolus. Costumes : Emmanuelle Thomas. Maquillage, coiffures : Cécile Kretschmar. Lumières : Eric Champoux. Vidéo : Stéphane Pougnand.

Christopher Maltman, baryton, Œdipe ; Brian Mulligan, baryton, Créon ; Clive Bayley, basse, Tirésias ; Vincent Ordonneau, ténor, Le Berger ; Laurent Naouri, baryton, Le Grand Prêtre ; Nicolas Cavallier, basse, Phorbas / Le Veilleur ; Adrien Timpau, baryton, Thésée ; Yann Beuron, ténor, Laïos ; Ekaterina Gubanova, mezzo-soprano, Jocaste ; Clémentine Margaine, mezzo-soprano, La Sphinge ; Anna-Sophie Neher, soprano, Antigone ; Anne Sofie von Otter, mezzo-soprano, Mérope ; Daniela Entcheva, contralto, Une Femme thébaine ; Sylvie Delaunay, Marie-Cécile Chevassus, Les thébaines ; Luca Sannai, John Bernard, Hyun Jong Roh, Bernard Arrieta, Jian-Hong Zhao, Hyunsik Zee, Les Thébains ; Félicité Grand, Marie Texier, Antigone enfant.

Maîtrise des Hauts-de-Seine ; Chœur d’enfants de l’Opéra national de Paris (cheffe des chœurs, Ching-Lien Wu ; directeur de la maîtrise, Gaël Darchen) ;

Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris ; direction musicale : Ingo Metzmacher.

 

Voici un intéressant article, intitulé « En attendant 2036« , sous la plume de Laurent Bury, et en date du 18 mai 2018, 

qui se demandait s’il faudrait attendre 2036 pour voir redonner cet Œdipe d’Enesco sur la scène de l’Opéra, à Paris…

En attendant 2036

CD
Œdipe
Par Laurent Bury | ven 18 Mai 2018 |

L’Opéra de Paris a décidément la mémoire courte, et se montre fort réticent à reprendre les rares titres considérés _ et à très juste titre !!! _ comme des chefs-d’œuvre parmi tous ceux qui ont été créés au Palais Garnier. Pendant plusieurs années, une rumeur a prétendu que l’on verrait bientôt à Bastille l’Œdipe d’Enesco, dont la première avait eu lieu à Paris en 1936 ; on parlait d’une coproduction avec Bruxelles, où Œdipe fut monté par la Fura dels Baus en 2011. Hélas, ces bruits sont restés lettre morte, et l’on se demande s’il ne faudra pas maintenant attendre 2036 _ voilà… _ pour que le centenaire de la création de l’œuvre lyrique d’Enesco connaisse à nouveau les honneurs de notre capitale (le Capitole de Toulouse, lui, a eu le courage de la présenter en 2008 _ Bravo ! _).

En attendant cette hypothétique Œdipe parisien, on pourra aller voir l’œuvre à Amsterdam, où elle sera donnée en décembre prochain, dans la production bruxelloise également vue à Londres en 2016. Et pour se préparer à ces représentations, on se tournera naturellement _ forcément ! _ vers le disque. Si l’on oublie momentanément la version traduite en roumain (donnée pour la première fois à Bucarest en 1958), il existe trois enregistrements d’Œdipe sous sa forme originale en français. La plus récente est un live capté au Staatsoper de Vienne, dirigé par Michael Gielen, avec Monte Pederson dans le rôle-titre _ un album Naxos. Le seul enregistrement de studio est celui gravé en 1989 par Lawrence Foster à la tête de l’orchestre de Monte-Carlo, avec José van Dam en Œdipe _ chez EMI _ ; dans ces deux versions, le rôle de la Sphynge était tenu par _ la merveilleuse _ Mariana Lipovsek. Le label Malibran _ oui _ réédite la plus ancienne, écho d’un concert radiophonique de 1955, avec une distribution intégralement francophone, qui inclut même deux artistes ayant participé à la création. C’est dire la valeur de document qu’offre ce disque, où l’on trouve réunie la fameuse Troupe de l’Opéra de Paris à l’époque de son zénith _ voilà ! _, nous y reviendrons.

A la tête de l’orchestre, Charles Bruck. Un chef roumain pour diriger l’œuvre de son compatriote, mais surtout un très grand chef pour l’opéra du XXe siècle, qui allait diriger deux ans plus tard un inoubliable Ange de feu. Grâce à lui, Œdipe est parcouru d’un souffle exceptionnel et, moins de vingt ans après sa création, la partition se pare _ en 1955 _ d’une modernité qu’elle ne retrouvera guère sous la direction plus placide d’un Lawrence Foster. Les quelques coupures ne défigurent pas l’œuvre, et la durée totale est ici comparable à celle du live paru chez Naxos, même s’il manque environ une demi-heure de musique par rapport à l’intégrale de studio EMI.

Quant à la distribution, elle est exceptionnelle car tout le monde y chante dans sa langue, et y chante admirablement, avec un style empreint de noblesse, loin de tout histrionisme _ voilà. Xavier Depraz trouve là le rôle de sa vie, ou du moins l’un des rôles, déclamant à merveille, ne faisant qu’un avec son personnage tourmenté. Rita Gorr se surpasse dans la scène de la Sphinge, tandis que Geneviève Moizan campe une Jocaste aux moyens opulents. Berthe Monmart en Antigone relève du grand luxe, et Freda Betti est une truculent Mérope. Du côté des nombreuses voix d’homme, c’est la fête, avec l’équipe des concerts de la RTF à l’époque : côté clefs de fa, les excellents André Vessières et Lucien Lovano, côté ténors, un Joseph Peyron très acceptable en Laïos et un Jean Giraudeaupittoresque en berger.

Et en complément, le coffret propose même les dix dernières minutes de la version en roumain, pour ceux qui préfèrent Enescu à Enesco.


Cet Œdipe d’Enesco de 2021

constitue donc un événement musical tout à fait digne d’être remarqué…

Ce lundi 4 octobre 2021, Titus Curiosus – Francis Lippa

 

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