Réunir trois membres de la famille Couperin permet de suivre sur presque deux siècles l’évolution stylistique de la musique pour clavecin en France. Benjamin Alard a construit un programme de concert qui révèle de passionnantes facettes, aux claviers d’un instrument rutilant.
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Originaire de Chaumes-en-Brie la famille Couperin est la plus illustre en matière de musiciens puisque elle en compte pas moins d’une quinzaine, en ligne directe ou par alliance. Les trois membres les plus célèbres sont ici réunis de manière judicieuse : ils furent tous trois organistes à l’église Saint-Gervais, grande tribune prestigieuse de la capitale française. Pour bien situer nos trois musiciens il est bon de rappeler quelques repères généalogiques. Louis Couperin a un frère cadet, Charles Couperin, qui est le père de François Couperin. Armand-Louis est le fils de Nicolas Couperin lui-même neveu de Louis Couperin. Ils firent tous trois partie des huit Couperin qui furent organistes à Saint-Gervais. Le dernier fils d’Armand-Louis, Gervais-François Couperin, mourut en 1826.
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Le programme débute avec une Suite en la mineur de Louis Couperin dont le Prélude introductif est « à l’imitation de M. Froberger ». Froberger occupe une place d’importance pour la musique pour clavier en Europe avant Johann Sebastian Bach. Instruit à Rome par Girolamo Frescobaldi il écrit des œuvres savantes et originales qui impressionnent Louis Couperin au point de s’en inspirer jusqu’à l’imitation la plus sophistiquée. Ce Prélude rappelle ceux écrits pour le luth par les auteurs anciens, présenté comme une libre improvisation. Les audaces sont nombreuses tant sur le plan harmonique que sur le plan rythmique. Viennent ensuite les mouvements classiques constitués par des danses. On retrouve l’ambiance improvisée du début avec le fameux Tombeau de M. de Blancrocher avec ses intervalles descendants rappelant la dégringolade fatale de ce personnage dans un escalier. Cet hommage à Louis Couperin s’achève avec une Chaconne en rondeau, forme musicale très prisée de l’auteur.
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Après ce premier « grand » Couperin, François dit « le grand » mérite bien comme son oncle cet adjectif flatteur. Il est sans nul doute le membre le plus célèbre de la famille et tout comme Louis, laisse à la postérité des Livres de musique pour le clavier (Orgue et clavecin). Benjamin Alard nous propose une série de préludes extraits de son Art de toucher le clavecin, ouvrage important sur la manière de bien jouer cet instrument, encore très instructif de nos jours. Après ces courtes pièces en forme d’études, un autre aspect de sont art nous est révélé avec le Quatorzième ordre. Ce sont des groupes de pièces ainsi nommés ici au nombre de cinq. Elle évoquent souvent la nature avec ici trois morceaux dédiés à des oiseaux, ou des tableaux ainsi que des portraits de personnages. La musique est descriptive et s’est débarrassée de certaines obligations d’écriture de la génération précédente. On y ressent beaucoup de liberté au service d’un art décoratif subtil et raffiné.
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La génération suivante est représentée par Armand-Louis Couperin, lui aussi organiste à l’église Saint-Gervais à Paris. Il a écrit pour le clavecin, dont ici trois pièces évoquant deux personnages sous forme de portraits (La Chéron et La Françoise), la dernière L’Affligée recherchant plutôt quelque état d’âme. Une nouvelle fois, on peut apprécier l’évolution du langage, une génération plus tard. Le style galant s’installe mais l’écriture demeure encore de grande qualité. Son fils, Gervais-François dernier compositeur de l’illustre famille écrira un peu plus tard une musique devenue complètement décadente. Il ne figure pas dans le présent récital.
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Comme un retour aux sources, Benjamin Alard nous offre à la fin de son récital une pièce de François, les célèbres Barricades mystérieuses (Ordre n° 6) et de Louis une Chaconne en Fa majeur. Les deux « grands » Couperin concluent ainsi ce panorama musical de la dynastie. Il s’agit _ voilà, en effet _ d’un concert capté dans l’auditorium de la Fondation Juan March à Madrid (Espagne) en février 2020. Benjamin Alard joue un magnifique clavecin construit en 2001 par le facteur américain Keith Hill d’après un modèle flamand d’Andreas Ruckers (1646) modifié par Pascal Taskin (1780). Le style même de ce type de clavecin convient parfaitement à ce répertoire qui puise ses racines dans la musique polyphonique européenne du XVIIᵉ siècle jusqu’au style galant de la fin du XVIIIᵉ siècle. Le son est puissant, profond et offre une clarté nécessaire pour traduire les détails du discours musical. Comme à son habitude, Benjamin Alard se montre impérial _ oui ! _ dans son abord de l’instrument et son approche musicale demeure passionnante de bout en bout, portée par un jeu à la fois ferme et ductile _ oui. Cet album est précieux _ oui _, il couvre trois générations de grands musiciens et permet de suivre l’évolution des styles durant deux siècles dédiés à la musique baroque pour le clavecin.
Louis Couperin (c1626-1661) : Suite en la mineur ; Tombeau de Mr de Blancrocher ; Chaconne ; Chaconne en fa majeur.
François Couperin (1668-1733) : L’art de toucher le clavecin ; Ordre n° 14 ; Les barricades mystérieuses (Ordre n° 6).
Armand-Louis Couperin (1727-1789) : La Chéron ; L’Affligée ; La Françoise.
Benjamin Alard, clavecin franco-flamand Keith Hill (2001) d’après un original d’Andreas Ruckers/Pascal Taskin (1646/1780).
1 CD MarchVivo.
Enregistré en public à la Fondation Juan March de Madrid (Espagne) le 1er février 2020.
Notice de présentation en anglais et en espagnol.
Durée : 70:42