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La pornographie de la violence : Yves Michaud analyse la tragédie du XIV juillet à Nice

21juil

Yves Michaud analyse depuis très longtemps le phénomène de la violence :

Violence et politique (Gallimard, 1978), Changements dans la violence _ la bienveillance et la peur (Odile Jacob, 2002), La Violence (PUF, Que sais-je ?, 2012), La Violence apprivoisée _ débat avec Olivier Mongin (Fayard, 2013), Contre la bienveillance (Stock, 2016), entre autres de ses titres sur ce sujet.

Ce mercredi 20 juillet, Le Monde publie un article-entretien (avec Catherine Vincent) d’Yves Michaud, intitulé Il y a toujours une pornographie de la violence.

Le voici :

Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher en janvier 2015, le Bataclan et les terrasses de cafés parisiens en novembre de la même année, la Promenade des Anglais, à Nice, le 14 juillet dernier : après cette série d’attentats meurtriers, la société française se voit contrainte d’apprendre à vivre avec le terrorisme. Comment faire face à cette difficile cohabitation ?

Réponses du philosophe Yves Michaud, auteur du récent ouvrage Contre la bienveillance (Stock, 192 p., 18 euros _ cf aussi le podcast de mon entretien avec Yves Michaud sur ce livre, le 7 juin 2016 ; sa durée est de 57′) et spécialiste de la violence sociale.

– Le terrorisme avait déserté notre quotidien depuis vingt ans, il semble aujourd’hui s’y installer de façon durable. Que se passe-t-il quand une société aussi policée que la nôtre se retrouve brutalement confrontée à cette violence extrême ?


– Face à ce genre d’agression, on essaie toujours d’oublier : c’est la réaction normale face au traumatisme. Mais là, le rythme s’accélère, la répétition devient massive. Il est donc impossible d’oublier. D’où la stupeur et la peur qu’on observe dans la population. L’atmosphère est pesante, tout le monde est concerné. D’autant que les bilans sont très lourds, beaucoup plus que lors des attentats islamistes de 1995. Et que les gens se doutent bien _ en effet ! _ que ça va continuer.


– Si cette violence s’installe, cela peut-il produire d’autres formes de réaction dans notre société ?


– Cela dépendra en partie de la dignité et de l’efficacité avec laquelle les autorités _ dans leur diversité _ géreront la situation. Ce qui est sûr, c’est qu’il va falloir _ à chacun et à tous _ apprendre _ voilà ! _ à vivre avec cette peur _ de tels attentats de masse.
Je vois deux scénarios possibles. Un scénario à l’israélienne – même si la situation est considérablement différente en Israël, tout petit pays en sentiment d’état de siège –, c’est-à-dire s’habituer à vivre avec la terreur en étant tout le temps sur ses gardes. Ou un scénario plus à la française, comme celui qui prévalait sous le Directoire après la ­Terreur : un hédonisme renforcé _ expression très intéressante.
L’idée est alors, compte tenu des risques, de profiter _ un terme significativement fort répandu par les temps qui courent _ encore plus du moment présent : on continue et on fait la fête _ Nice, comme Paris, est une fête ! et le revendique… C’est d’autant plus plausible que nous sommes largement _ oui ! _ dans une société de loisirs et de plaisirs _ loin du bonheur ! _, en tout cas dans les villes _ un facteur-clé de leur attractivité, désormais ; et très intégré socio-économiquement, aussi.
Je ne crois pas, en revanche, à des réactions violentes intercommunautaires. On parle beaucoup d’une poussée d’islamophobie, mais ces propos sont manipulés, d’une part par les islamistes eux-mêmes, d’autre part par les médias et les intellectuels spécialisés dans ce genre de discours _ qu’invitent ces médias. Dans la réalité, il n’y a pas _ de fait _ d’augmentation nette des actes d’agression, contre les mosquées par exemple. Les attaques dont nous sommes l’objet depuis l’année dernière sont d’ailleurs tellement horribles et radicales qu’il devient de plus en plus difficile _ oui ! _ de faire un amalgame simpliste _ voilà _ entre ces terroristes et les populations musulmanes. Plus les attentats sont énormes _ et monstrueux _, plus ils peuvent avoir de ce point de vue _ à contrepied de tels amalgames _ un effet « bénéfique ».


– L’historien Yuval Noah Harari estime que si nous sommes si sensibles à ces attaques, ce n’est pas seulement parce qu’elles sont atroces, mais aussi parce que l’Etat moderne fonde sa légitimité sur la promesse de protéger l’espace public de toute violence politique – pacte qui se trouve donc rompu. ­Etes-vous d’accord avec cette analyse ?


– Pas du tout. C’était vrai il y a quelques décennies, ça ne l’est plus aujourd’hui. Le concept auquel cet historien fait référence est celui du monopole de la violence physique légitime, tel que l’a défini l’économiste et sociologue allemand Max Weber au début du XXe siècle. Selon cette conception, l’Etat a le monopole de la violence politique sur son territoire. Mais dans les faits, aujourd’hui, l’Etat ne protège plus parfaitement l’espace public de cette violence – en témoignent le déroulé de certaines manifestations, ou les dégradations commises dans les ZAD [zones à défendre]. Et ce n’est au fond pas si grave, dès lors qu’il n’y a pas de victimes.
Ce qui nous rend sensibles au terrorisme, c’est qu’il s’agit d’une tout autre forme de violence. Le terrorisme, c’est vraiment de la mort, en quantité _ faire ici aussi (et capitaliser) du chiffre ! _, et de la souffrance – car les bilans ne se comptent pas seulement en cadavres, mais aussi en handicapés et en traumatisés graves _ à vie. Pour le dire autrement : on accepte aujourd’hui, dans nos sociétés, un assez haut niveau de violence politique symbolique _ seulement symbolique. Mais le terrorisme nous fait entrer dans une autre dimension de la violence, à la fois réelle et massive _ voilà : un macabre concours (!) au maximum de victimes avec le minimum de moyens et structures…


– Quelle comparaison peut-on faire entre cette forme de violence et celle que nous avons connue dans les années 1970, avec les Brigades rouges ou la « bande à Baader » ?


– La différence tient surtout, à mon sens, aux viviers potentiels _ énormes, aujourd’hui _ du terrorisme actuel. Que ce soient les Brigades rouges, Action directe, la bande à Baader ou l’Armée rouge japonaise, les groupes terroristes des années 1970 sont restés de toutes petites bandes _ oui _ et n’ont jamais trouvé de relais _ en effet _ dans un vrai vivier populaire. L’Armée rouge japonaise a fait énormément de dégâts, mais ils n’étaient que 40 militants au total ! Ce n’est pas le cas avec le terrorisme d’aujourd’hui, qui trouve ce relais parmi des citoyens européens d’origine immigrée _ voilà. Dans l’attentat du Bataclan comme dans celui de Bruxelles _ et il semble maintenant s’avérer que c’est aussi le cas pour l’attentat de Nice… _, le phénomène des bandes de cités apparaît clairement. Ce sont des copains, qui évoluent dans un milieu où existe une grande perméabilité entre délinquance ordinaire et terrorisme. Par ailleurs, leur forme de violence n’est pas non plus la même : les groupes terroristes des années 1970 ne faisaient pas des carnages indiscriminés _ comme aujourd’hui _, mais des actions ciblées et théorisées.


– Des rafales de kalachnikovs aux terrasses de cafés, une prise d’otages dans une salle de concert, un camion lancé sur la foule… Ce que nous vivons a ceci de particulier que la terreur peut survenir n’importe où, de n’importe quelle manière. Comment gère-t-on une telle situation ?


– Dans nos sociétés complexes, tout _ ou presque _ peut en effet être retourné et devenir une arme _ qui blesse et tue. Alors bien sûr, puisqu’on ne peut pas savoir à quoi _ rationnellement _ s’attendre, cela renforce _ voilà _ l’angoisse _ distincte de la peur _ et le sentiment _ qui peut être très perturbant _ d’insécurité. C’est un sentiment très réel, qui à mon avis va se répandre _ à proportion de la répétition-multiplication de tels attentats de masse. Cela renforce aussi _ en face de cela _ le resserrement du lien de la communauté politique. On l’observe depuis toujours : c’est l’insécurité et la violence qui font accepter l’autorité du pouvoir souverain _ cf le Léviathan de Hobbes ; et les analyses détaillées d’Yves Michaud en son Contre la bienveillence. Il y a une très forte demande d’autorité, qu’illustre notamment l’acceptation, par la population française, de l’état d’urgence.


– Toute cette violence réveille une peur que vous qualifiez de « cinématographique ». Que voulez-vous dire ?


– La littérature de science-fiction a pratiquement traité _ sur le mode de la fiction _ tous les cas de terrorisme : le train fou, l’avion devenu bombe, le camion meurtrier… Et les films qui en ont été tirés aussi. D’ailleurs, dans l’attentat de Nice que nous venons de connaître, le terroriste lui-même est entré dans la fiction cinématographique. Il est allé louer un 19-tonnes ! S’il avait choisi un 4 x 4 – certains sont ultra-puissants, et plus difficiles à arrêter qu’un camion –, il aurait probablement fait autant de dégâts. Mais moins de spectacle _ cf Andy Wharol ; l’ultra-réactivité des médias ; et tout l’œuvre de Guy Debord…
Cette violence cinématographique ne nous fait pas peur tant qu’elle reste fictionnelle _ et ludique. Nous l’apprécions, même – nombre de séries télé sont truffées de gens ayant des idées aussi abominables que le meurtrier de Nice. Mais lorsque la réalité vient soudain remplacer cette fiction _ et tuer pour de bon ! _, cela devient psychologiquement ingérable. Voir tous les vendredis soirs un camion fou sur une chaîne de télé, cela n’a rien d’inquiétant. Mais s’il devient réel, le choc provoque une sidération _ voilà ! _  d’autant plus forte que l’on a brusquement changé de registre.


– Les chaînes de télévision ont été très critiquées pour avoir diffusé « à chaud », le soir du 14 juillet, des entretiens avec des personnes en état de choc. Quel doit être selon vous le rôle des médias face à ces actes de terreur ? Quel traitement réserver aux images ?


– C’est une question très délicate, car les médias officiels, aujourd’hui, sont en concurrence _ d’audimat ; et de recettes publicitaires afférantes… _ non seulement entre eux mais avec les médias sociaux. Ils sont donc lancés dans une course effrénée _ d’audimat mondialisé désormais ! _ au scoop et au sensationnel _ désanesthésiants et puissamment attractifs ! Entre cette concurrence tous azimuts et le fait de pouvoir accéder quasiment en temps réel à l’information, les médias perdent la boule. Exactement comme le font les politiciens ou les grands chefs d’entreprise, qui sont eux aussi tellement submergés par l’urgence _ cf de notre excellent collègue bordelais Christophe Bouton, l’excellentissime Le Temps de l’urgence ; et sur ce livre, mon article du 25 avril 2013 : « Le défi de la conquête de l’autonomie temporelle (personnelle comme collective) : la juste croisade de Christophe Bouton à l’heure du « temps de l’urgence » et de sa mondialisation. _ qu’ils en perdent toute capacité _ d’un minimum de recul, condition sine qua non d’un minimum de réflexion et de jugement (cf Hannah Arendt, et Kant !) tant soit peu maîtrisé… _ de réflexion – et ce, quelle que soit leur intelligence. Comment lutter contre cette dérive médiatique ? Par un meilleur contrôle de ce qui est diffusé, et surtout par un retour _ ferme _ à la déontologie. Cela dit, il ne me semble pas que les ­médias officiels, globalement, diffusent plus d’images violentes qu’avant. Ce qui est gravissime, en revanche, c’est d’interviewer quelqu’un qui se tient en état de choc auprès du cadavre de sa femme. C’est indécent _ sur l’articulation de l’image et de la parole, lire les travaux décisifs de mon amie Marie-José Mondzain : Homo spectator, ou L’image peut-elle tuer ? _, et c’est une véritable violence faite aux gens.


– Lors d’un attentat comme celui de Nice, des photos et des vidéos parfois insoutenables sont diffusées sur les réseaux sociaux, et la modération des contenus n’y étant effectuée qu’a posteriori, certaines continuent d’y circuler pendant plusieurs jours. Que peut-on faire contre cette violence-là ?


– Pas grand-chose. De même que pour les images de décapitation produites par l’organisation Etat islamique : on les trouve sans difficulté, et il y a toujours des sites qui les reprennent. Est-ce que c’est grave ? Oui et non. Il y a toujours eu une pornographie de la violence _ voilà ! et ce concept est bien sûr à développer !!! _, et il y aura toujours des sites qui tenteront de braver la loi pour la diffuser. Les réseaux sociaux sont ce que les gens en font, on y trouve donc le meilleur comme le pire. C’est le jeu.
Ce qui est beaucoup plus préoccupant à mes yeux, je le répète, c’est l’évolution des médias officiels _ d’ample diffusion et quasi officielle, eux : d’où leur autorité… _ sous l’effet de la compétition et de l’urgence. C’est à eux de faire la différence avec les réseaux sociaux et de revenir à leurs conditions premières d’exercice. Faire la course pour obtenir le maximum de tweets et de choses vues, c’est une dépravation _ terriblement dangereuse _ du média institutionnel. Une perversion _ oui _ à laquelle les politiciens sont d’ailleurs _ hélas _ les premiers à participer : dans ces moments de crise, ils se précipitent tous pour passer à la télévision. En oubliant qu’ils font ainsi _ et comment ! _ le jeu du terrorisme, qui atteint en partie son but lorsqu’une société ne parle plus _ et ne résonne plus _ que de lui.

Un entretien incisif (et sans langue de bois) qui donne bien à penser…


Titus Curiosus, ce jeudi 21 juillet 2016

travail philosophique et exploitation des philosophèmes : la probité intensive de Thomas Bénatouïl dans sa conférence sur les usages modernes et contemporains du « stoïcisme »

11nov

C’est un Thomas Bénatouïl vif, inspiré, très précis et on ne peut mieux passionnant, avec une probité magnifiquement « intensive« , qui a fait le « point«  hier soir, en sa conférence « Peut-on encore être stoïcien ? A propos de la philosophie comme pratique«  _ et à partir de la publication récente de son « Les Stoïciens III _ Musonius, Épictète, Marc-Aurèle«  _ dans les salons Albert-Mollat, sur l’éventail des usages (et mésusages) des philosophies du passé, en général _ et de « philosophèmes » issus du stoïcisme impérial, en particulier… _ qui sont faits aujourd’hui ; et cela non pas en historien des idées (fut-ce en « historien du présent« …), ni en sociologue, voire médiologue, mais bien en philosophe et historien de la philosophie : en acte.


On sent bien, qu’ayant pas mal réfléchi _ c’est, bien sûr, un euphémisme… _ tout particulièrement à ce qu’est la « pratique » (ainsi qu’à son statut même eu égard à ses fondement théoriques _ ou ontologiques ; au delà même de la partie « physique«  de cette philosophie et de sa tradition héritée)… _ dans une philosophie telle que le stoïcisme, et dans les œuvres transmises jusqu’à nous de trois philosophes, Musonius, Épictète, Marc-Aurèle, que nous classons dans la catégorie rassembleuse du « stoïcisme impérial » ou « stoïcisme tardif«  _ cf aussi son travail développé : « Faire usage : la pratique du stoïcisme«  _, Thomas Bénatouïl s’inquiète, en philosophe et en historien de la philosophie, donc, des usages que d’autres que lui font, ou ont fait, de ce statut de la « pratique » en une telle philosophie (stoïcienne), ou dans la parole ou l’écriture de tels philosophes (stoïciens) ; et de dangers d’abus, en pareille occurrence, ou de syncrétisme, ou d’éclectisme…

Tel m’a semblé en effet être l’enjeu peut-être principal de son intervention hier soir ; et selon un souci le plus éminent de la probité du penser…


Un premier volet de sa réflexion porte sur son rapport (de philosophe sans cesse en recherche _ il y a ainsi grand plaisir à l’écouter « reprendre«  et affiner magnifiquement à plusieurs reprises son propre cheminement de chercheur _) à l’œuvre incontestablement marquante, ces trente dernières années _ « Exercices spirituels et philosophie antique » (en 2002) et surtout « Qu’est-ce que la philosophie antique ? » (en 1995) dont cite à plusieurs reprises certains passages très précis Thomas Bénatouïl _ d’un Pierre Hadot :

ce qui l’amène à s’interroger sur le statut du concept même d' »exercice spirituel » que manie Pierre Hadot

_ concept emprunté à des auteurs d’un (ou deux) siècle(s) qui reli(sen)t pas mal ces Stoïciens-là : je veux dire un François de Sales (1567-1622 : auteur de l’« Introduction à la vie dévote« , des « Entretiens spirituels« ), que cite Thomas Bénatouïl ; ou un Ignace de Loyola (1491-1556 : auteur des « Exercices spirituels« , dont la première publication eut lieu, à Rome, en 1548)… _ ;

ainsi qu’aux conditions de ses usages eu égard aux fondements proprement ontologiques des théories envisagées : un point incontournable du « stoïcisme » !


Mais en s’inquiétant d’amalgames éclectiques ou syncrétiques en contradiction (violente ! alors…) avec les thèses que soutiennent les philosophes stoïciens en cause _ textes ainsi un peu trop « délicatement«  « sollicités«  précieusement cités à l’appui.

Un second volet de sa réflexion porte sur l’œuvre (assez virtuose) d’un Michel Onfray _ notamment dans sa « Contre-histoire de la philosophie _ les sagesses antiques« 


Et un troisième sur la « mode » présente et ne cessant de s »amplifier«  (régulièrement relayée par les « marronniers » des medias) de « conseils pratiques«  _ cf, ainsi, peut-être, jusqu’à l’actuelle « vogue«  (internationale) du « care«  (mais tel n’est pas l’avis de Thomas Bénatouïl)… _ de ce qui se propose comme « sagesse » (du « vivre« ) à l’égard de tout un chacun, constituant un marché de l’édition en direction d’un lectorat assez « en appétit«  _ quand s’effritent, sinon s’effondreraient, les chiffres de vente du secteur des sciences humaines de certaines librairies ; pas la librairie Mollat, toutefois…

Les usages d’emprunts (« pratiques« ) au stoïcisme impérial semblent cependant mieux autorisés _ bien davantage en respect de leurs fondements théoriques ! _, selon Thomas Bénatouïl, chez certains philosophes mieux reconnus : non seulement dans les cas, relativement bien identifiés, analysés et commentés ici, d’un Montaigne _ en ses « Essais » _ ou d’un Descartes _ en son « Discours de la méthode » _, mais encore dans celui plus discret, sinon « secret« , d’un Shaftesbury _ l’auteur de la « Lettre sur l’enthousiasme« , en des pensées gardées soigneusement impubliées, non « affichées », invisibles, secrètes : les « Exercices« , traduits par Laurent Jaffro (aux Éditions Aubier, en 1993) _ ; ou d’un Nietzsche _ en ses « Considérations intempestives«  (II, 5)…

Thomas Bénatouïl aurait pu aussi analyser l’usage que fait Michel Foucault de certaines philosophèmes issus du stoïcisme : mais ce sera pour une autre fois _ promet-il à la fin…

Chez ces divers philosophes-là, cependant, il estime que les usages faits _ ou encore la considération proposée et pleinement assumée de leur « pratique«  _ de certains de ces principes (ou, aussi, « philosophèmes« ) stoïciens, ne sont, ces fois bien spécifiées-là, ni de l’ordre du syncrétisme, ni de celui de l’éclectisme, ni non plus de celui de l’amalgame ; mais qu’ils demeurent fidèles à la lettre et à l’esprit (de la pratique et de la théorie, tout uniment !) de tout le stoïcisme…

Ce qui n’a pas été sans évoquer en moi certaines pratiques chinoises (de discrétion et silence _ y compris d’écriture _, telles celles d’un Tchouang-Tseu (ou Zhuangzi) _ qu’ont pu étudier un François Jullien (cf, par exemple : « Chemin faisant, connaître la Chine, relancer la philosophie« ) ou un Jean-François Billeter (« Etudes sur Tchouang-Tseu« )…


Titus Curiosus, ce 11 novembre 2009

Post-scriptum :

Ayant soumis ce « compte-rendu » de conférence _ à écouter (67′), elle… _ à son (brillant et probe) auteur,

voici ce que celui-ci me répond ce matin, à propos de ma remarque sur le care :

De :   Thomas Benatouil

Objet : Rép : Article sur la conférence à Bordeaux hier soir
Date : 12 novembre 2009 08:56:45 HNEC
À :   Titus Curiosus

« Merci pour ce compte-rendu très fidèle. J’aurais effectivement bien aimé parler de Foucault, j’avais prévu de le faire, mais j’ai passé trop de temps sur Hadot. Mon seul doute sur ton compte-rendu concerne ton allusion au « care » comme faisant partie de la mode de la philosophie comme manière de vivre : tu ne me l’attribues pas bien sûr, elle est en vert. Je n’avais pas pensé à cela. Il me semble que les théories du care, quoi qu’on en pense, ne se réduisent pas à cette mode _ dont acte ! _ et n’ont pas le même soubassement théorique (ou plutôt la même absence de soubassement théorique). »


Ma réponse par retour de courriel :

Merci de ta réponse.

Je nuancerai donc l’expression de « mon » appréciation à propos du « care« .
Cette « sollicitude » peut être le symptôme
_ extra-philosophique dans certains de ses « usages » ?.. : cela, je l’ajoute maintenant… _ d’un « monde » avec inflation d’indifférence et de mépris…

Nos collègues bordelais Fabienne Brugère et Guillaume Le Blanc
ont abordé ces questions dans « Le Sexe de la sollicitude »
et « L’Invisibilité sociale« …

Je ne crois pas avoir écrit d’article sur mon blog
sur le livre de Guillaume (d’une belle écriture ! j’ai apprécié ce travail ! _ et je lui ai écrit !) ; ce livre porte surtout sur la cécité (et la surdité) sociale(s)…
Mais j’ai écrit un article _ le 26 novembre 2008 : « Pour prolonger la conférence d’hier soir de Fabienne Brugère : penser la sollicitude et l’intime« _ sur celui de Fabienne.
Je te l’adresserai quand je serai revenu chez moi _ je t’écris maintenant entre deux heures de cours…

Les échanges consécutifs aux conférences

_ lors des repas conviviaux de notre « Société de Philosophie de Bordeaux«  _

me sont personnellement très précieux.

Titus

le métier d’historien versus les instrumentalisations des récits : l’apport de Georges Bensoussan présentant lumineusement le « Dictionnaire de la Shoah »

10nov

Lumineuse conférence hier soir dans les salons Albert-Mollat de Georges Bensoussan

_ le podcast offrant à percevoir les moindres si éclairantes, aussi, variations de son ton, de sa voix… : la conférence est très remarquable ! et avec elle, la légitimation de ce « Dictionnaire«  ainsi « présenté«  _

venu « présenter » le « Dictionnaire de la Shoah« , dans la collection « à présent » aux Éditions Larousse (et paru au mois d’avril 2009), qu’ont « dirigé » les historiens Georges Bensoussan lui-même (responsable éditorial du Mémorial de la Shoah

_ cf par exemple son admirable « Un nom impérissable _ Israël, le sionisme et la destruction des Juifs d’Europe, (1933-2007)« , paru le 10 janvier 2008 : un livre indispensable pour comprendre l’Histoire d’Israël !.. _ ),

Jean-Marc Dreyfus (spécialiste de l’aryanisation des biens juifs), Édouard Husson (spécialiste de l’Allemagne nazie) et Joël Kotek (spécialiste d’histoire contemporaine), avec les contributions de 74 auteurs en tout (historiens pour la plupart, mais pas seulement ; parmi lesquels je relève les noms de Myriam Anissimov, Annette Becker, Boris Cyrulnik, Patrick Desbois, Antoine Garapon, Francine Kaufman, Jacques Sémelin, Pierre-André Taguieff, Yves Ternon, Tzvetan Todorov et Michel Zaoui…)…

L’honneur et la nécessité _ pédagogique au sens le plus large ! _ d’un tel « Dictionnaire » est de faire l’état « historien« 

_ présent : la collection de la librairie Larousse s’intitule, précisément, « à présent » !.. _

de la question des « faits« , eu égard au dernier état _ à ce jour de 2009 _ des recherches en cours _ elles continuent, bien sûr ! _ des Historiens, donc, et travaillant de par le monde ; pas rien que dans l »univers » franco-français :

ainsi Georges Bensoussan remarque-t-il que longtemps, en France, l’enquête historienne elle-même a « négligé » de prendre pour « objet » l’extermination des Juifs d’Europe, focalisée qu’elle était d’abord sur la « question » franco-française _ demeurée brûlante ! « un passé qui ne passe pas » !.. _ de Vichy, de la collaboration et de la résistance ;

ainsi Georges Bensoussan note-t-il qu’en 1970 un important colloque sur la période de la guerre en France (1939-1945), tenu sous la houlette du très sérieux René Rémond _ l’auteur de l’important « Les Droites en France« , paru en 1954 (aux Éditions Aubier) _ faisait l’impasse, alors, sur le sort des Juifs ; il a fallu attendre la parution en France du livre de Robert Paxton « La France de Vichy (1940-1944)« , traduit de « Vichy France : Old Guard and New Order« , paru aux États-Unis en 1972, pour qu’enfin la recherche historiographique française se tourne vers cet « objet » de recherche… cf aussi la parution en France du livre de Michaël Marrus et Robert Paxton « Vichy et les Juifs« , en 1981 (aux Éditions Calmann-Lévy)…


Et cela, face au rouleau compresseur médiatique _ si redoutablement performant, lui… _ de la presse, d’Internet, des représentations communes qui courent les rues ; bref des « pouvoirs » et « idéologies » de tous ordres ; ainsi que de leurs manipulations et instrumentalisations diverses, qu’a détaillées aussi très judicieusement Georges Bensoussan,

à commencer par la _ « bien-pensante » et si contente de soi… _ « moraline » : il n’existe hélas pas qu’un seul négationnisme ; le plus répandu _ et débordant des « meilleures intentions«  _, s’ignorant… :

les voici :

_ l’instrumentalisation israëlienne (de type « la forteresse assiégée« , à la Massada, qui donne le « syndrome Begin« , dit Georges Bensoussan…) ;

_ l’instrumentalisation des Juifs fils de déportés (car on n’est pas « déporté » de père en fils ; cela ne donne aucun droit à une parole « politique » sur la « Shoah » elle-même…) ;

_ la généralisation indue (et catastrophique par les confusions qu’elle engendre) du concept de « génocide » ;

_ la « nazification » de l’adversaire (et le déferlement des amalgames !) ;

_ et, encore, la délégitimation de l’État d’Israël « au nom » de la Shoah même (l’État d’Israël étant né, est-il affirmé et répété, de la Shoah…) ; les idées reçues demeurant beaucoup plus fortes que toutes les idées rationnelles ;

cf le « Un nom impérissable _ Israël, le sionisme et la destruction des Juifs d’Europe, (1933-2007) » de Georges Bensoussan, que j’ai déjà cité…

Georges Bensoussan montre ainsi, on ne peut plus lumineusement, la fonction préciosissime d’un tel « dictionnaire d’historiens » : divers et « débattant » entre eux (parfois longuement !) des articles : ainsi l’entrée »Pie XII« , d’Édouard Husson, le second en longueur de ce dictionnaire (pages 399 à 404), après l’entrée « Auschwitz » (pages 109 à 116) ; dépassant même l’entrée « Shoah » (pages 495 à 499), a-t-il fait l’objet, nous dit Georges Bensoussan, de quatre rédactions successives, sous les discussions, même âpres parfois, entre les quatre « directeurs » de l’ouvrage ; mais bien des articles ont-ils été ainsi « affinés » et réécrits par les auteurs à la suite d’échanges avec l’équipe éditoriale…


Et le chantier (de la recherche historienne), bien sûr, demeure grand ouvert _ notamment, mais pas seulement non plus _ en fonction des variations de disponibilité (avec des « ouvertures » à éclipses…) des archives des différents États : notamment, la Russie, la Biélorussie, l’Ukraine, les États baltes ; et le Vatican…

Un outil d’information et de travail basique que ce « Dictionnaire de la Shoah » pour le plus large public

désireux d’une information historique

tant soit peu sérieuse…


Titus Curiosus, ce 10 novembre 2009

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