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La joie sauvage de l’incarnation : l' »être vrais ensemble » de Claude Lanzmann _ l’amplitude du souffle et le goût, toujours, du « bondir » V

29août

En conclusion (V) de « mon » petit « feuilleton de l’été » :

lire et relire cet immense livre, inrésumable, et heureusement !,  qu’est « Le Lièvre de Patagonie » de Claude Lanzmann,

je voudrais mettre un peu en évidence l' »art du temps« 

_ sinon sa « maîtrise«  (« j’ai été maître du temps », vaudrait-il mieux dire, plutôt que « j’ai été LE maître du temps« , page 234, à propos des douze ans de la réalisation en forme de « course d’obstacles«  de « Shoah«  ) : si tant est que celle-ci, la « maîtrise« , soit jamais, étant de l’ordre, oxymorique (comme tout ce qui est « le principal » !), de ce que Georges Bataille appelle « l’impouvoir«  !.. _

l' »art du temps » auquel a peu à peu « appris » à « se former » Claude Lanzmann,

tant pour « exister » lui-même _ d’abord « survivre«  (pendant la guerre et la résistance), et puis s’épanouir _ en tant qu’individu vivant, « survivant« , et en tant que personne,

que pour « réaliser« , opus après opus, son œuvre _ inachevé à ce jour : à poursuivre ! _ d' »auteur » :

faut-il désespérer, en effet, de le voir « s’attaquer » _ page 329 _  bientôt, ou jamais,

à un nouvel opus (cinématographique !)

a priori  _ une nouvelle fois ! _ « impossible« 

_ « je ne cessais pas de penser avec entêtement à ce film impossible« , se dit-il à chaque minute des quatre jours de son nouveau séjour, après celui de six semaines d’été, en 1958,  à Pyongyang (Corée du Nord) en septembre 2004 : page 338 _ ;

mais qu’il « esquisse » cependant, bel et bien _ et c’est passionnant ! _ au final, superbe, de son chapitre XIV, aux pages 329 à 342 :

« On m’avait tellement dit _ de la « brève rencontre » (ou la « folle journée » ! ) avec Kim-Kum-sung, de « fin août 1958«  à Pyongyang _ : « Quel film ce serait ! « 

que j’y avais réfléchi,

me disant que si je devais réaliser un jour ce qu’on appelle un film de fiction,

je m’attaquerais _ voilà ! _ à ce pan de mon histoire personnelle

_ = cette « brève rencontre« , page 326 :

« j’avais vu autrefois un film anglais de David Lean intitulé « Brief encounter«  (« Brève rencontre« ), avec Trevord Howard et Celia Johnson ; et je ne pensais jamais à Kim sans l’évoquer.

Étonnamment, je revis ce film avec Sartre dans une salle d’art et d’essai, à Montparnasse je crois, et nous sortîmes tous deux en pleurs. Nous étions aussi  fleur bleue l’un que l’autre« , page 326 ;

ou cette « folle journée« , page 343 :

« Jamais septembre parisien ne fut plus glorieux que celui qui suivit mon retour d’Asie _ cette fin d’été 1958. J’aurais dû quitter la ville à peine revenu : le Castor et Sartre m’attendaient impatiemment à Capri, avides de me revoir, avides de récits. Il avait été convenu que nous prolongerions en Italie les vacances jusqu’au début octobre. Mais je ne pouvais pas partir ; quelque chose me retenait ; j’avais besoin d’être seul, de flâner à ma guise dans Paris, de jouir des forces que je sentais neuves en moi et d’une liberté encore inconnue.

Je n’étais plus le même ;

la folle journée

_ voilà donc l’expression : à la Beaumarchais et à la Mozart ! cette fois ! Au passage, je m’étonne un peu que jamais le nom de Mozart, ni celui du prince des lièvres, « Leporello«  (en son « Don Giovanni« ), ne vienne à la bouche,ni, même _ « Madamina !.. » , dans le chant (pour l' »air du catalogue »), de Claude Lanzmann !.. _

la folle journée, donc,

avec Kim Kum-sun m’avait modifié en profondeur ;

et c’est seulement dans l’atelier de la rue Schœlcher _ celui de Simone de Beauvoir _ que j’en prenais pleinement conscience. A Capri, le Castor s’impatientait…« , page 343 ;

la folle journée, je poursuis,

avec la très belle infirmière Kim Kum-sun

(« ravissante »

est le mot qu’emploie rétrospectivement Claude Lanzmann à la première des sept « apparitions« , un « lundi, à huit heures du matin« , dans sa chambre à l’hôtel, « l’hôtel Taedong-gang«  (à Pyongyang),

de l’infirmière,

flanquée de l’interprète, Ok, et de « cinq hommes à casquettes » : « ils sont six en tout, tous au centre de ma chambre, prêts à observer sourcilleusement chaque moment, chaque détail de l’action«  : une « injection » « dans le fessier, de vitamines B12 1000 gammas. C’est mon ami Louis Cournot qui, dans son cabinet de la rue de Varenne, face au Musée Rodin, m’avait prescrit cette cure » ; « j’avais emporté sept ampoules et la prescription médicale« , page 294 ;

et « d’une insolente et insolite beauté« 

est l’expression qu’il emploie, page 296, lors de son ultime « apparition« , le dimanche, cette « folle journée ! « , donc, pour « l’injection ultime » (qui « devait avoir lieu le lendemain, dimanche« ) ; « je me disais que l’infirmière, en l’absence d’Ok

_ l’interprète, en permanence présent, mais requis pour accompagner, ce dimanche-là, le reste de la « délégation » (« la première délégation occidentale invitée par la Corée du Nord, cinq ans après la fin de la guerre » de Corée, page 285…) des visiteurs français à « un pique-nique à la campagne«  auquel Claude avait réussi à se soustraire (« je renonçais au pique-nique : ayant vu trop de gens et trop parlé depuis un mois, j’avais décidé de rester seul ; ce qui serait la meilleure façon de me reposer : il fallait me comprendre…« , page 296) … _,

je me disais que l’infirmière

serait flanquée d’une ou plusieurs casquettes.

Rien ne se produisit comme je l’escomptais. A dix heures pile, on frappe, j’ouvre, nulle casquette, mais elle seule ; elle métamorphosée, méconnaissable ; elle une autre ; vêtue à l’européenne d’une jupe légère et colorée, les seins débridés saillants sous le corsage, nattes escamotées, ramassées en chignon, cheveux bouclés sur le front, la bouche rouge très maquillée, d’une insolente et insolite beauté« , donc : page 296)

« On m’avait tellement dit « Quel film ce serait ! » que j’y avais réfléchi, me disant que si je devais réaliser un jour ce qu’on appelle un film de fiction, je m’attaquerais à ce pan de mon histoire personnelle

_ = la « brève rencontre« , chacun des sept jours d’une semaine de fin du mois d’août, pour une piqûre intramusculaire de vitamine B 12 1000 gammas,

et surtout « la folle journée« , le dernier jour, le  dimanche,

de, et avec, la très belle infirmière Kim Kum-sun à Pyongyang,

à la place d’« un pique-nique à la campagne, passe-temps favori des Coréens« , qui avait été « prévu pour la délégation«  française en visite on ne peut plus officielle en Corée du Nord, alors, et pour rien moins que six copieuses semaines :

« notre venue était clairement un événement, voulu et regardé comme tel« , page 291 ; et « le programme du voyage en Corée

_ dont  deux rencontres avec Kim Il-sung, « le Grand Leader » (« avec qui nous dînâmes deux fois en sacrifiant au cérémonial des réceptions d’État« , page 292) _

était intéressant, effrayant quelquefois, fatigant, éreintant même. Visites de deux ou trois usines par jour, plusieurs exposés, discours d’accueil, discours d’adieux, échange de cadeaux«  ; « il m’arrivait de prendre la parole trois fois par jour« , page 292 ;

« à la fin août 1958« , page 310 _

me disant que si je devais réaliser un jour ce qu’on appelle un film de fiction,

je m’attaquerais _ plus de cinquante ans plus tard, à ce jour, par conséquent ! et cinématographiquement, surtout ! _  à ce pan de mon histoire personnelle,

entrelacée à la grande Histoire« , page 329 ;

un entrelacs présent, c’est à noter, dans tout l’œuvre (cinématographique) lanzmannien ! _ ;

mais « pan«  qu’il est difficile, dit aussi Claude Lanzmann, de seulement « résumer«  :

« Il m’arriva de raconter _ déjà par les mots _ à des amis ma brève rencontre _ sans guillemets ici _ avec Kim ;

mais cela _ déjà, avant le passage même au medium du film de cinéma… _ n’était possible

et n’avait du sens

_ voilà ! à l’heure du « il faut tout faire vite«  ;

cf là-dessus les travaux percutants de Paul Virilio ; par exemple le tout récent « Le Futurisme de l’instant _ stop-eject«  _

que si j’avais la possibilité de la raconter longuement ;

cela ne se résume pas« , page 326

_ sur la « manie » des « résumés«  (des gens « pressés« ), cf Montaigne, « Essais« ; Livre III, 8 : « tout abrégé d’un bon livre est un sot abrégé«  _ ;

tout en précisant _ page 330 _ et cette fois à propos du « passage » au récit proprement cinématographique ! :

« Je n’étais pas sûr

ni d’être capable de mettre en scène ce qu’impliquait un tel passage _ cinématographique : là était le défi !.. _ à la fiction _ cinématographique, donc ! soit un défi à la puissance 2 !! _,

ni, plus profondément

_ mais cela n’est pas neuf : cf les précédents « sas » de doute : et au moment de se lancer, ou pas, dans l’entreprise de « Pourquoi Israël« , lors du voyage à Jérusalem, en novembre 1970 (et avant la rencontre d’Angelika Schrobsdorff) ; et au moment de se lancer, ou pas, dans l’entreprise de « Shoah« , lors de la « pascalienne » « nuit de feu«  parisienne de Claude Lanzmann, « au début de l’année 1973 » :

il faut aussi du courage pour se lancer dans l' »opaque« = un peu plus que le « vertige » à surmonter de la (déjà un peu reconnue)  mallarméenne « page blanche«  ; pouvant, en sa « dépression« , mener, même

 _ cf, en ce « Lièvre de Patagonie« , l’épisode, quand Claude Lanzmann était « au plus mal » (page 231), en 1977, du « flirt avec la mort » (page 234) de la « presque noyade » à Césarée, aux pages 231 à 234 _,

pouvant, au plus « bas«  de sa « dépression« , mener, même, à un suicide

_ tel que celui, fictif, lui, du personnage (cézannien) de l’artiste-peintre Claude Lantier dans « L’Œuvre » de Zola : très intéressant roman sur les crises de la poiesis ; et qui fut la malencontreuse cause de la fâcherie, irréversible et non fictive, elle, des deux « grands amis d’enfance«  aixois qu’étaient Émile Zola et Paul Cézanne … _

il faut aussi du courage pour se lancer dans l' »opaque« , donc

_ et « il n’y a pas de création véritable sans opacité ; le créateur n’a pas à être transparent à lui-même« , page 243 _

pour se lancer dans l' »opaque« 

de telles audacieuses « aventures » de « création » du « génie » ;

et tout particulièrement eu égard aux moyens assez considérables, financièrement parlant, pour commencer (ou poursuivre)

_ et Claude Lanzmann n’a jamais manqué, chaque fois, d’« en baver«  passablement avec les divers producteurs (et productrices ; et autres divers financeurs de par le monde… _,

que nécessite la-dite « production » de cinéma !..

« Je n’étais pas sûr ni d’être capable de mettre en scène ce qu’impliquait un tel passage à la fiction, donc,


ni, plus profondément

de le vouloir » ;

tant il y faut d’« élan« 

et d' »allant » : de la « jeunesse » du « bondissement » ;

ainsi que d' »amplitude de souffle » ;

dans l’engagement de départ

comme dans  la persévérance de l’effort requis pour de telles œuvres cinématographiques :

« amplitude de souffle » absolument indispensable à l' »auteur« -créateur

face à la complexité, somme toute, « intriquée« 

_ et « il m’a fallu des années pour« , non seulement « me déprendre des stéréotypes« , mais surtout « me faire au concret et à la complexité du monde« , page 347… :

c’est cette « complexité  du monde« -là que le « miracle«  de l’œuvre (ou « chef-d’œuvre«  !)

du « vrai«  « auteur«  (les chemins pour y parvenir étant eux-mêmes complexes, longs, tortueux, semés d’embuches, à côté de leur formidable joie !)

que le « miracle«  de l’œuvre, donc,

doit lumineusement faire ressentir et comprendre, en la (relative) désintrication de pas mal de ses fils,

à tous ceux qui, en toute loyauté, vont, pleinement et en toute confiance, il vaut mieux, y livrer leur propre sensibilité (ou aesthesis) de spectateurs ouverts et de bonne foi ! _,

face à la complexité, somme toute, « intriquée« , donc,

de ce « réel » à donner à « vraiment » « ressentir« ,

dans la clarté de l’intrication-désintrication de ses divers éléments, par nous autres spectateurs ;

même si, d’autre part page 338 _ :

« Kim Kum-sun _ la sidérante infirmière _ était gravée dans ma mémoire ;

et je ne cessais pas de penser avec entêtement à ce film impossible _ voilà la formule décisive ! _ ;

que la faim, le dégoût de la nourriture _ servie à Pyongyang _ semblaient rendre plus impraticable encore« ,

en ce séjour « nord-coréen«  de quatre petits jours seulement, à Pyongyang, en « septembre 2004« , à partir de Pékin (page 327) _  :

« quel film ce serait !  » que ce « film nord-coréen« , à tourner par Claude Lanzmann à Pyongyang !..


Mais « il y avait, dans ma propre « brève rencontre » »

_ d’il y avait, ce mois de septembre 2004-là, lors de cet improbable « retour à Pyongyang« , depuis Pékin (« dès mon arrivée à Pékin, je m’informai sur les possibilités _ ou incompossibilités ! _ d’entrer en Corée du Nord« , page 330),

quarante-six ans d’écoulés depuis cette si improbable semaine elle-même, d’un lundi à un dimanche, « à la fin août 1958 » (avec l’acmé de sa dernière « folle journée«  !) :

« je décidai qu’il me fallait en avoir le cœur net,

prendre la mesure des changements survenus depuis 1958 _ voilà !

étant donné que « permanence et défiguration des lieux sont la scansion du temps de nos vies« ,

a noté _ et combien, de fait, est-ce capital ! _, page 169, Claude Lanzmann ;

c’était, là, à propos des métamorphoses successives du « coin de la rue de Rennes et du boulevard Saint-Germain«  : le café « Royal« 

, à la fin des années quarante, se produisit (« quatre regards s’échangèrent en un éclair« , page 170) le second coup-de-foudre de sa sœur Évelyne et de Deleuze (« nul n’aurait pu alors imaginer que le « Royal » ne serait pas éternel« , page 169),

le café « Royal« , donc,

ayant, et depuis longtemps, disparu :

remplacé par le Drugstore Saint-Germain« , d’abord ;

auquel lui-même,« mort tout à la fois de sa belle mort et des bombes de la terreur« , quelques années plus tard encore,

« a succédé une boutique du roi de la fringue transalpine, avec un restaurant chic et cher au premier étage« , page 169… ;

et Claude Lanzmann ayant commenté, page 169 toujours, cette « permanence et défiguration des lieux«  et « scansion du temps de nos vies«  :

« Je l’ai vérifié autrement , dans le désespoir, pendant la réalisation de « Shoah« , lorsque je fus confronté aux paysages _ d’abord muets _ de l’extermination _ industrielle : des chambres à gaz… _ en Pologne.


Ce combat, cet écartèlement entre la défiguration

_ le mot employé, « défiguration« , est le même que celui qui clôt le terrible chapitre premier,

à propos du « visage« , non « défiguré« , justement, après la « décapitation« , de « l’égorgé«  :

« le visage de l’égorgé

_ maintenant contemplable, sur la « minable vidéo d’amateur tournée par les tueurs eux-mêmes » (en ces « images atroces des mises à mort d’otages perpétrées sous la loi islamique en Irak ou en Afghanistan« , page 27) _ ;

« le visage de l’égorgé

et celui du vivant qu’il était _ encore l’instant précédent _

se ressemblent irréellement. C’est le même visage ; et c’est à peine croyable«  _ pour nous qui osons le regarder _ ;

tant « la sauvagerie de cette mise à mort était _ en effet _ telle qu’elle semblait ne pouvoir se sceller _ objectivement _ que d’une radicale défiguration » :

mais non advenue ! le « visage«  de l’assassiné « demeurant«  : « c’est le même visage« , nonobstant le meurtre ! non défiguré !) _

Ce combat, cet écartèlement entre la défiguration, donc,

et la permanence furent alors _ en ces moments du tournage en Pologne, cette fois ; toujours page 169 _ pour moi un bouleversement inouï, une véritable déflagration, la source de tout« , page 169 donc :

d’où le prix, tel celui du sang, de la parole, indispensable !, de « témoignage«  de ceux qui « se souvenaient« , en une formidable (« hallucinée et précise« , tout à la fois) « reviviscence«  absolument « vraie«  ! _ ;

Et Claude Lanzmann d’ajouter superbement,

en commentaire, page 170, de ce souvenir toujours irradiant de feu le café Royal et de sa sœur Évelyne (y rencontrant à nouveau Deleuze) ; Évelyne disparue, elle, le 18 novembre 1966 (« les novembre ne me valent rien » depuis, dit Claude, page 189) :

« Vivants, nous ne reconnaissons plus _ du fait d’abord des très puissantes forces de l’oubli _ les lieux de nos vies ;

et éprouvons _ si l’on se met, a contrario, si peu que ce soit, à y réfléchir _ que nous ne sommes plus les contemporains de notre propre présent. Je ne partage pas avec beaucoup le savoir que le « Royal » a existé«  ;

continuant, immédiatement à la suite, après une simple virgule :

« et je pense toujours, dans l’admiration et le scepticisme absolu _ tout à la fois ! _ à la plaque mémorielle appliquée à la façade du 1, quai aux Fleurs, immeuble où vécut Vladimir Jankélévitch ;et où j’ai habité moi-même quelque temps. On peut y lire cette pensée du philosophe, extraite d’un de ses livres _ « L’Irréversible et la nostalgie« , page 275 de l’édition originale, aux Éditions Flammarion, de 1983 _, que j’appris aussitôt par cœur tant elle m’émouvait et que je me récite souvent la nuit ; ou quand il m’arrive de passer quai aux Fleurs :

« Celui qui a été

ne peut plus désormais ne pas avoir été.
Désormais, le fait mystérieux et profondément obscur d’avoir vécu

est son viatique pour l’éternité »« ,

toujours page 170 : « viatique«  oxymorique : d’où la sublime conjonction de « l’admiration et le scepticisme absolu« 

Fin de l’incise sur la si décisive « permanence et défiguration des lieux » comme constituant « la scansion du temps de nos vies«  ;

et retour sur l’« essai de repérage« , quatre jours à Pyongyang, en septembre 2004,

pour le « projet«  et le « désir«  même de film « nord-coréen » de Claude Lanzmann,

pour surmonter la part de « défiguration » de « la scansion du temps de nos vies« ,

et possible medium, non seulement en ce bref « repérage« , mais aussi en sa « réalisation«  en suivant,

cet éventuel film,

pour ré-accéder, par une « reviviscence« , à la « permanence » de la « joie » magnifique d’alors, à Pyongyang, déjà, « à la fin août 1958« , éprouvée ;

« viatique pour l’éternité« , donc :

pas seulement, alors et ainsi, au regard de soi-même (ayant vécu, ineffaçablement ! par le fait ! cela de « passé«  et de « non oublié« …) ;

mais aussi possiblement offert,

par le medium effectif de l’œuvre, cette fois… _ et ici l’œuvre de cinéma (encore à ce jour à « réaliser » !) _ quand elle aura enfin été « réalisée » !.. ;

possiblement offert, donc, à la sensibilité (ou aesthesis) de quelques autres, pouvant ainsi,

par les émotions « vraies » qu’ils éprouveront alors (comme « homines spectatores » actifs _ = « en acte« , pas seulement « en puissance« … ; et pas seulement passifs _, pour reprendre l’expression de Marie-José Mondzain, en son « Homo spectator« ),

pouvant ainsi, en partie au moins, « le«  partager !

partager un peu de cette rare-là « joie«  « vraie » (de « fin août 1958 » ; à Pyonyang) !

Puisque tel est le « miraculeux«  pouvoir de « présentification«  (page 82) d’une œuvre (ou « chef-d’œuvre« ) « vrai(e) » !

« je décidai _ de passage à Pékin (pour y présenter « Shoah«  à « des cinéphiles chinois« , page 326), ce mois de septembre 2004 _ qu’il me fallait en avoir le cœur net,

prendre la mesure des changements survenus _ à Pyongyang _ depuis 1958,

espérant que ce retour

_ tenté ! en forme accélérée, de quatre jours seulement (et, cette fois encore, régime oblige, bien difficile !), de « pré-repérage« , en quelque sorte…) _

vers ce lointain passé _ et c’est ici bien davantage qu’une métonymie ! _

m’aiderait à prendre la bonne décision en ce qui concernait mon désir de film« , page 330 _,

« il y avait, dans ma propre « brève rencontre » _ de 1958 _, donc,

tant de « scènes qui pouvaient être d’une grande puissance proprement cinématographique«  _ dit Claude Lanzmann, page 329 _ que « la perspective d’avoir à tourner de pareilles séquences » non seulement « ne m’effrayait pas« , mais « m’excitait _ et même suprêmement ! _ au contraire«  _ page 330 ;

je vais, bien sûr, moi-même y revenir, ici-même ! _

A Pyongyang, donc,

en cette Corée du Nord qui « a arrêté le temps

_ on lit bien !, page 335 : en tant qu’État ; que « régime« … ;

les « régimes totalitaires«  ont d’étranges lubies ;

à milles lieues _ quant à ce qu’ils s’« autorisent«  à décider, mortellement, des vies mêmes !.. _, du « régime poiétique«  du « présent«  de « présentification« 

_ cf la merveilleuse expression employée, page 82, à propos du « génie poétique » (et du « brio » et de la « verve«  : « la magnifique éloquence, le brio, la verve de Monny, le génie surréaliste qui structurait sa parole et ses relations avec autrui, sa générosité sans limites avec nous, aussi illimitée que l’amour qu’il portait à ma mère« , page 130) de Monny de Boully ! _,

à milles lieues du « régime poiétique«  du « présent«  de « présentification« 

lui, de la création artistique… _

A Pyongyang, donc, je reprends l’élan de ma phrase

en cette Corée du Nord qui « a arrêté le temps 

deux fois au moins :

en 1955, à la fin de la guerre ;

et en 1994, à la mort de Kim Il-sung, le Grand Leader.

Kim Il-sung n’est pas mort, ne peut pas l’être ; il est présent _ lui… _ pour l’éternité » !

C’est de ce nouveau travail cinématographique-là, qui défie, à l’état de « projet » et de « désir« , en balance encore, et attend, pour le passage à sa « réalisation » en œuvre effective de film de cinéma, Claude Lanzmann,

à Pyongyang, en Corée du Nord,

telle une nouvelle « face Nord«  _ de quelque nouvel Eiger, Mönch, ou Jungfrau… _,

ou telles quelques nouvelles « aiguilles de Chamonix«  :

un peu plus, toutefois, que de « hauts rochers d’apprentissage obligé pour tous les futurs grimpeurs », formule de la page 387, appliquée aux « parois des Gaillands« , cependant :

le temps _ long : mais peut-on faire autrement, afin d’« apprendre«  et ensuite de « faire« , mais « vraiment«  ?.. _

le temps de l' »apprentissage« , ou du « faire ses classes« 

_ l’expression « faire ses classes«  est présente page 272 :

« on _ dans l’équipe du « groupe de presse » de Pierre et Hélène Lazareff, dès le début des années 50 _ m’avait proposé de faire des reportages difficiles sur des faits divers criminels; et j’avais à plusieurs reprises accepté. Cela m’amusait, m’intéressait ; j’ai beaucoup appris : à questionner, à ruser, à prendre des risques ; je faisais mes classes ; apprentissage

_ tel que celui de la pêche, auprès du « directeur d’école républicain » de Saint-Chély-d’Apcher, Marcel Galtier : « il m’instruisait de tout, et d’abord de la pêche à la mouche dans les étroites et serpentines rivières à truite des hauts plateaux de l’Aubrac« , page 67 _;

celui de la chasse, auprès de son ex-beau-père René Dupuis : « outre les leçons de billard, dont je n’ai rien retenu, je lui dois les bonheurs de l’attente et de l’imminence, posté « ventre au bois » sur une sente gelée et verglacée, guettant le déboulé d’une harde de sangliers, m’enchantant du langage infini, précis et poétique de la chasse  _ ne jamais tirer sur une laie « suitée de marcassins en livrée » _ ;

je lui dois _ aussi _ mes premières descentes en rappel à plus de quarante ans et le passage de l’alpinisme livresque, dans lequel, on l’a vu _ en compagnie du Castor, dans les Alpes bernoises et valaisanes _ j’excellais, à la lutte réelle _ cette fois _ contre le vide, contre la tétanisation des muscles au moment de franchir, dans les parois des Gaillands _ hauts rochers d’apprentissage obligé pour les futurs grimpeurs _, des difficultés, considérables pour moi, de degré 5 ou 6« , pages 386-387 ;

apprentissage complété par Claude Jaccoux, « qui fut président du Syndicat national des guides de haute montagne« , avec lequel « je me confrontai à de rudes classiques, certaines pour débutants, comme l’arête des Cosmique, d’autres plus sévères comme la Tour ronde ou encore Midi-Plan, cataloguée comme « AD », assez difficile, course exténuante de neige, de glace et de roc, avec franchissement de barrières de séracs qu’il nous fallait dévaler, talons plantés, sans nous autoriser un seul arrêt pour réfléchir ou reprendre souffle, car le soleil déjà haut dans le ciel dardait droit sur les blocs de glace qui, déstabilisés, s’effondraient derrière nous dans un fracas de bombardement, nous contraignant à la fuite en avant _ toute une école ! _, page 388 ;

celui du théâtre, auprès de son épouse Judith Magre, le « changeant« , à force d’accroissement de la « sensibilité«  au « plus infinitésimal écart dans un mouvement du corps, dans la hauteur d’un timbre » qui « prenait«  alors « pour moi une importance démesurée« , le « changeant« , donc, « tout à la fois à«  son « insu et au comble de la lucidité, en guetteur implacable et émerveillé« , page 385  ;

ou auprès de maîtres d’école, tel, « à l’école communale de Mâle« , « aux environs de Nogent-le Rotrou« , l’instituteur M. Étournay : « la séparation d’avec M. Étournay fut déchirante ; il dit à mon père sur un ton de reproche : « Vous m’enlevez mon meilleur élève » », page 102 ;

de lycée, aussi, tel, qui « enseignait la littérature en lettres supérieures«  à Blaise-Pascal, à Clermont-Ferrand, Jean Perus : « c’était un professeur magnifique ; et je n’ai jamais oublié la moue dédaigneuse de ses lèvres lorsqu’il récusait d’une seule phrase une de nos interprétations. Il me guérit à jamais du comparatisme _ réducteur des singularités _ le jour où, ayant à commenter à voix haute devant lui et mes condisciples un passage de Rabelais, j’évoquai stupidement Bergson que j’avais à peine lu. Le dédain de sa célèbre moue me fit carrément dégoût : « Mon petit, Rabelais ne connaissait pas Bergson »« , page 37  ;

et je ne re-passerai pas en revue, l’ayant fait dans un précédent article, tous ses professeurs de philosophie, au premier rang desquels se détache cependant le magnifique Ferdinand Alquié, ami de Monny de Boully, « qui avait participé avec lui aux grandes batailles du Surréalisme ; et occupait alors à Louis-le-Grand la chaire de philosophie pour les classes préparatoires à l’École normale« , page 131 :

« Alquié«  qui « s’était efforcé de dompter son accent languedocien _ de Carcassonne _ mais l’avait gardé en inventant une combinatoire unique du geste et de la parole : il articulait chaque mot, chaque syllabe, déconstruisant ses phrases pour mieux se faire comprendre ; mais reliant, réunissant les savoureux cailloux épars de l’occitan par un extraordinaire jeu des bras et des mains avec des arrondis de bailadora sévillane, ou d’anguleuses poussées des coudes, à la façon des danseuses princières d’Asie du Sud-Est« , page 141 ; « je l’adorais, nous l’adorions : major de l’agrégation en 1931, il était petit, fort mince, toujours élégant, avec d’immenses yeux très noirs aux lourdes paupières bistrées ; et nous étions tous conscients de notre chance d’avoir, à vingt ans, un tel maître : impeccable historien de la philosophie, philosophe lui-même, dédaigneux des modes, des brigues ou intrigues ; et qui, nous instruisant sérieusement avec une totale absence d’esprit de sérieux, nous enseignait du même coup à penser librement et à ne pas plier«  ; quel portrait ! et quel hommage !

« J’aimais aussi sa femme, une belle Normande blonde et plantureuse, bien plus grande que lui, pleine d’esprit ; et je me plaisais parfois à imaginer mon professeur englouti, lui aussi tourterelle, dans l’étreinte des beaux bras blancs de Denise » ; page 142 _ il se trouve que j’ai connu Ferdinand Alquié, à Carcassonne, au mariage de notre ami Jean -Yves David, dont j’étais le « témoin«  ; Ferdinand Alquié (grand ami de Henri Tort-Nouguès, professeur de philosophie et carcassonnais, lui aussi : le père de la mariée) ; Ferdinand Alquié, donc, étant le « témoin«  de la mariée, notre amie Sylvie… ;

et je ne redirai rien de tout ce que Claude Lanzmann a pu apprendre au quotidien, et de Sartre, et du Castor _ « avec leur sérieux si touchant« , page 248 ; en même temps que (même si la remarque n’est qu’à propos de Sartre, et d’après le témoignage, tout premier, de Jean Cau, en 1946) « la simplicité de Sartre, son abord fraternel, sa totale absence d’esprit de sérieux« , page 150 _ ;

sinon, emblématiquement, ceci, et c’est à propos des voyages de Claude « avec eux« , et de son « apprentissage« , par eux deux, « du regard et du monde«  : « J’apprenais à voir _ en échangeant par la parole avec eux _ par leurs yeux _ voilà (de l’image à la parole et vice versa) le va-et-vient véritablement formateur ! y compris cinématographiquement !.., nous le verrons,  d’un véritable « apprentissage«  du « regarder-écouter«  « vraiment«  !.. _ ; et je puis dire qu’ils m’ont formé ; mais cela n’allait pas sans réciprocité : nous avions des discussions serrées et intenses _ voilà ! _ ; l’admiration que je vouais à l’un et à l’autre, n’empêchaient pas qu’elles fussent égalitaires«  ; par là et ainsi, très concrètement, sur le tas, en ces voyages « ensemble », partagés, donc, « ils m’ont donné à penser, je leur donnais à penser » _ toute une pédagogie non didacticienne ! _, page 251 ;

ni ne redirai rien, non plus, de ce que ce Claude Lanzmann a pu apprendre du merveilleux Gershom Sholem, ami très proche d’Angelika (et témoin des « épousailles juives«  d’Angelika et de Claude « lorsque le rabbin Gotthold«  les « unit à Jérusalem, sous la houppa, à la fin d’un jour d’octobre encore très chaud« , en 1974), page 421 : « J’aimai Scholem lui-même dès le premier dîner auquel, avec sa femme Fania, il nous avait conviés, Angelika et moi. Ce grand savant était dépourvu de cuistrerie, généreux de science à la condition d’être persuadé de l’authentique intérêt de son interlocuteur ; il était pionnier, défricheur, curieux de tout ; penseur, philosophe, polémiste, libre dans ses propos et d’une drôlerie souveraine. Je l’aimais aussi pour son visage, son grand nez puissant, ses yeux bleux clairs où demeurait une lueur d’enfance« , page 421… ;

ni, non plus, encore, de ce que je viens de relever, un peu plus haut, de ce que Claude a pu apprendre du « génie poétique » _ « le génie surréaliste qui l’habitait, son français d’une richesse admirable«  (page 79) _, de la « verve » et du « brio » ; de la « liberté« , de la « générosité » et du « non-conformisme » du nouveau compagnon, depuis 1939 ou 40, de sa mère, l‘ »extraordinaire magicien » (page 82), Monny de Boully ; le « Rimbaud serbe«  !.. Car immédiatement, grâce à ce sublime « génie poétique » de Monny, entre Paulette et lui, puis les enfants Lanzmann : « outre l’amour, le ciment de cette miraculeuse entente était l’intelligence, la liberté, l’accord de tous pour placer au dessus de tout ces vertus cardinales ; le refus des tabous dans les conduites et les paroles« , page 130 : quelle leçon de liberté !…

« je faisais mes classes ; apprentissage

qui me fut rendu au centuple quand je réalisai « Shoah« , que l’on peut regarder, à maints égards _ et tout spécialement de l’« instruction » des « témoignages«  _, comme une investigation criminelle« _

« faire ses classes  » (d' »auteur« )

_ cf par exemple à la page 427 ; et d’abord à propos de « Pourquoi Israël« , à un moment de son montage, en 1972, lors d’« une projection de travail« , « qui avait emballé _ sinon la productrice ! du moins _ les quelques personnes invitées«  ; celles -ci « justifiaient leurs applaudissements par une catégorie de pensée nouvelle pour moi« , se souvient ici Claude Lanzmann : « C’est un film d’auteur, c’est un film d’auteur ! «  ; soit la première prise de conscience d’une « vraie » singularité sienne (d’« auteur« , donc) en train de naître

puis, à la page 520, cette reconnaissance, beaucoup plus large et de poids, d’« auteur«  et d’une « œuvre« , en une « réconciliatrice nuit du 4 août« , à un important colloque organisé à Oxford en septembre 1985, pour une cruciale projection « polonaise«  (et internationale) de « Shoah » (la présentation du film à Washington n’eut lieu que le mois suivant, le 23 octobre ; alors que la toute « première«  à Paris, au Théâtre de l’Empire, avait eu lieu au mois d’avril précédent) :

_ « la puissance invitante (en) était un institut d’études judéo-polonaises et son journal, « Polin », organisme pionnier composé de deux solides sections, l’une à Oxford, l’autre en Pologne même. Celle-ci semblait avoir fait l’union autour de « Shoah » et abandonné les anciennes querelles _ déchaînées dès le lendemain même de la première projection du film à Paris, au mois d’avril, donc. Car parmi les invités de poids se trouvaient des membres du Parti communiste, des hommes de Jaruzelski, mais aussi les journalistes et écrivains catholiques les plus réputés de Pologne, comme Jerzy Turowicz, rédacteur en chef du « Tugodnik Powszechny » de Cracovie, le Pr Jozef Gierowski, recteur de l’université Jagellon, de Cracovie aussi. Le plus étonnant dans cette réconciliatrice nuit du 4 août, c’est que participaient également les intellectuels de la dissidence polonaise, ceux qui avaient décidé de fuir leur pays quand Gomulka avait déclenché la grande crise d’antisémitisme officiel, comme le philosophe Leszek Kolakowski et le Pr Peter Pulzer« , précisent les pages 519-520 _

à Oxford, donc, en septembre 1985 : « la discussion _ suivant la projection (intégrale, est-il besoin de le préciser !), la veille, de « Shoah« _ qui dura en vérité plus de sept heures, commença par un mea culpa unanime, tous les participants s’excusant envers moi de l’attaque vicieuse et officielle qui avait été menée contre « Shoah » en Pologne _ à la sortie parisienne (et française), seulement, du film _ ; et continuait d’ailleurs à l’être _ sur pareille lancée… Même s’ils avaient des critiques à formuler contre le film, ils tombèrent tous d’accord pour déclarer qu’il s’agissait d’une œuvre d’art, obéissant à ses propres lois ; et non pas du tout d’un reportage sur la façon dont les Polonais avaient été les plus proches témoins de l’extermination de leurs concitoyens juifs.

Il faut se référer aux nombreux et substantiels articles qui parurent le lendemain du colloque d’Oxford, un peu partout : aux États-Unis, en Angleterre, en Israël, en Pologne même ; par exemple celui de Timothy Garton Ash qui occupait vingt pages de la « New-York Review of Books » ; de Neal Ascherson dans « The Observer » ; ou d’Abraham Brumberg dans « The New Republic ». Tous étaient un salut à « Shoah«  et à la façon dont mon savoir historique et le travail préalable qui y avait conduit, avaient littéralement mis en déroute ceux qui, au début _ à la sortie française du film, en avril ; et ses suites, depuis… _, prétendaient se présenter comme les plus acharnés de mes adversaires, auxquels j’avais montré _ par le film lui-même, d’abord, comme dans les échanges substantiellement nourris de ce colloque _ que leurs poches étaient vides et leurs munitions creuses.

Un certain nombre, comme le philosophe Leszek Kolakowski, m’écrivirent après la projection pour me dire que leur éblouissement l’emportait largement sur leurs objections ; et que si « Shoah«  ne disait pas tout _ certes _, il submergeait _ en effet _ par sa puissance de suggestion et son originalité, dévoilant la vérité _ son objectif unique ! _ comme cela n’avait jamais été fait« , pages 520-521 _,

le temps de l’« apprentissage« , donc,

_ « conscient que j’aurais à grandir, à vieillir« , se dit-il, page 249, à propos de sa difficulté ancienne, en 1953, à « tout de suite écrire _ comme le lui conseillait alors Sartre à propos de sa découverte d’Israël, le semestre précédent, d’août à novembre 1952 _ , changer en un livre la matière de sa vie ; ce qui est souvent le défaut des professionnels de la littérature » ;

« en un livre«  ou en quelque autre œuvre, en quelque autre medium, que ce soit : pour lui, Claude, ce sera, in fine, en un certain mode de film de cinéma : nous allons y venir… _,

le temps de l’« apprentissage« 

ou du « faire ses classes » (d’« auteur« ), donc,

je reprends le fil de ma phrase plus haut, avant l’incise sur la reconnaissance d’un « auteur » et d’une « œuvre« , parfaitement singuliers,

finissant par passer… ; au tournant de la décennie 70 :

quand « une fille de milliardaire«  (« C. W.« , qui « s’était proclamée productrice de cinéma« , « depuis qu’elle avait vu ce que j’avais tourné sur le canal de Suez« 

_ pour le magazine de télévision d’Olivier Todd, « Panorama » : « ma décision de faire un jour du cinéma est sûrement liée à la réalisation de ce film » « tourné pour « Panorama », combinant les interviews des hommes sur le canal avec ceux des mères, des épouses, des enfants, à l’arrière« , est-il précisément indiqué, page 410 _

quand « une fille de milliardaire« , donc,

« me bombardait de messages comminatoires pour que je passe à l’acte«  ;

mais « j’avais besoin de réfléchir ; de savoir si j’avais véritablement le désir de ce film _ la même expression exactement (et la même attitude pour l’« éprouver« , dans le « réel« , sur le lieu ad hoc) que pour le « film nord-coréen« , à l’heure du passage à Pékin, en septembre 2004, page 330 : « je décidai qu’il me fallait en avoir le cœur net ; prendre la mesure des changements survenus depuis 1958 ; espérant que mon retour vers ce lointain passé m’aiderait à prendre la bonne décision en ce qui concernait mon désir de film« , donc ! _ ; et également si je me sentais capable de faire du cinéma sans avoir fréquenté aucune école, sans avoir suivi un seul cours«  _ cette inquiétude-là ayant été, en 2004, fort heureusement « dépassée«  ! _, page 412 ;

et ce sera « un coup de foudre violent et partagé«  _ à Jérusalem, page 420 : avec Angelika Schrobsdorff, qui deviendra bientôt, en octobre 1974, sa nouvelle épouse… _ qui fit que « la question de réfléchir à la possibilité _ ou l’incompossibilité _ ne se posa plus : il allait de soi que je le ferais _ les « coups de foudre » n’ayant pas, non plus, étaient avares pour Claude Lanzmann, tout au long de sa vie : à commencer par celui, dans des circonstancs particulièrement peu propices (au pays des « casquettes«  partout !) de Kim-Kum-sung, à Pyongyang, en cette « fin août 1958«  Je restai près d’un mois en Israël, parcourant le pays, tantôt seul, tantôt avec elle _ Angelika. Elle me fit faire la découverte sans prix de ses amis, Juifs berlinois, amis de sa mère en vérité, qui la regardaient et la traitaient comme leur propre fille ; l’admirant aussi pour sa beauté et parce qu’elle représentait pour eux l’excellence de la langue allemande, la liberté critique, l’invention et la causticité de l’Allemagne pré-hitlérienne, dont ils avaient gardé l’inguérissable nostalgie » ; etc.., page 420. « Israël, l’Allemagne, les deux années que j’y avais passées, la Shoah, Angelika se nouaient en moi à d’insoupçonnables profondeurs« , page 420, toujours…

En conséquence de quoi, « je repartis pour Paris annoncer à la productrice que j’acceptais de réaliser le film, habité par une idée fixe : revoir Angelika, revenir au plus vite vers elle« , à Jérusalem et en Israël, page 421… C’est ainsi que « l’amour d’une femme a été _ cette première fois-là, en décembre 1970, en quelque sorte… _ le ressort décisif d’une œuvre« , le premier film de cinéma de Claude, « Pourquoi Israël« , page 422.

Puis, dans le courant de l’année 1973,

entre la fin des trois ans déjà bien difficiles de ce premier opus de cinéma, « Pourquoi Israël« 

_ « j’avais demandé un congé sans solde à Pierre Lazareff ; il me l’avait accordé« , page 427 ; et « comme j’étais novice, fou de désir de film et d’Angelika _ les deux, déjà, liés : je continue de penser à l’opus « nord-coréen«  toujours « en balance » de « réalisation« , en 2009… _, j’avais signé le contrat qu’on m’imposait sans en discuter les termes ; j’aurais signé n’importe quoi. Je fus payé au minimum, alors que j’avais trouvé _ sous-pression des diktats successifs de la nouvelle productrice (« intraitable », page 427, qui avait succédé à la décidément trop « amatrice«  (à un point « caricatural« , page 422) « fille de milliardaire« , (« C. W.« )… _ une partie de l’argent ; et que j’avais permis au film de s’achever. Par rapport au salaire _ de journaliste pour le groupe de presse de Pierre et Hélène Lazareff _ qui était auparavant le mien, la régression était considérable. Je terminai « Pourquoi Israël«  dans une très réelle pauvreté qui teintait d’une interrogation anxieuse la joie puissante _ certes ! _ d’avoir réalisé ce film« , pages 427-428 _,


 et les douze ans de « course-relais » qu’allait devenir, avec bien des hauts et des bas

(jusqu’à, même, une presque une noyade, à Césarée, avec « sa magnifique plage au sable dur, longée par un aqueduc romain à travers les arches duquel la mer s’offrait, scintillante et tentatrice« , page 231, l’été 1977…)

le film suivant, le second film de cinéma de Claude, « Shoah« 

_ «  »Shoah » fut une interminable _ et dangereuse, pour sa vie même, on va le voir immédiatement _ course de relais : ceux qui me soutenaient pour un temps, abandonnaient ensuite ; je devais en convaincre d’autres, qui reprenaient le flambeau ; puis d’autres encore ; jusqu’à la fin _ après la fin même, puisque, le film terminé, il n’y avait pas de quoi payer une première copie« , page 234 ;

car, bien « seul à pressentir

_ alors : c’était, donc, l’été « 1977, où seul un miracle _ probablement, eu égard au jeu de probabilité de compatibilité des divers  « compossibles«  _ me sauva la vie _ lors d’une « quasi noyade«  ; au large de Césarée, donc…

C’était une période sombre de mon existence et, ce qui est la même chose, de la réalisation de « Shoah« .

Le film auquel je travaillais depuis presque quatre ans, était en panne : je n’avais plus d’argent pour continuer ;

et les Israéliens

qui, après avoir vu « Pourquoi Israël« , tenu par eux comme le meilleur film jamais réalisé sur leur pays, m’avaient proposé de réaliser un film sur la Shoah, en avaient initié et financé les premières recherches,

venaient de m’annoncer _ patatras ! _ qu’ils ne soutiendraient pas plus avant un travail dont ils ne voyaient pas la fin« , page 229  _

et donc, bien « seul à pressentir

ce que serait cette œuvre _ en si difficile et « opaque« , page 231, « gésine« , page 234… _,

je m’épuisais _ alors _ à tenter de convaincre des bureaucrates ignorants du cinéma autant que de la Shoah _ cela est certes loin de n’exister qu’en Israël ! j’ai ma (petite) expérience des Drac ; et même de la Direction de la Musique (du temps de l’Hôtel Kinski, 53 rue Saint-Dominique)… _ à vouloir leur faire partager, comme si elles étaient claires, des idées encore opaques pour moi-même.

La trame de « Shoah » se dessinait _ peu à peu, cahin-caha, et de bric et de broc… _ en creux ; mais un pareil film est une aventure _ de la poiesis_ qui déborde par essence les limites _ d’écriture comme de chiffrage, sur le papier _ qu’on veut _ soi, d’ailleurs, tout autant que « les autres« _ lui assigner« , page 231… ;

D’où l’incident de la « presque noyade » dans la Méditerranée de Césarée :

« foncer au large, perpendiculairement à la côte, ne pas la longer, a toujours été ma façon de faire _ aller « droit, comme dirait Husserl, à la chose même«  a-t-il aussi précédemment dit, page 139 _ ; et eût été ma devise si la naissance m’avait gratifié d’un blason où la buriner » ;

et quand, après « cinquante brasses » _ mais « vingt déjà eussent été de trop« , page 231 _ « j’entrepris de revenir _ « le soleil était à son zénith, la plage brillante, clairement découpée« , page 231 _ je brassais, il me sembla _ au passé simple, cette fois : c’est l’amorce de la prise de conscience ! _ qu’elle ne se rapprochait pas. Je brassai plus fort, plus fermement ; et basculai dans l’évidence que c’était justement le contraire qui advenait : la plage s’éloignait ! A cet instant de la prise de conscience, tout s’accomplit et se cristallise en un éclair : (…) par-dessus tout, la fatigue. Elle me submerge. Je n’en puis plus, mon pied _ fracturé « un dimanche de printemps » en manquant « une marche biseautée » en me précipitant « dans les escaliers » « de notre immeuble » : « Deborah, la jeune chatte persane d’Angelika » avait sauté, « flèche noire, dans le jardin de notre immeuble parisien« . « Il fallut douze semaines avant qu’on prononçât ma guérison. Et ceci ne fut pas fait à Paris, mais à Jérusalem, par un professeur plein d’expertise, qui me conseilla la natation comme meilleur moyen de réapprendre à marcher et à muscler ma jambe.

Pourquoi Jérusalem ? (…) Parce que Menahem Beghin venait _ le 17 mai 1977 _ de gagner les élections et d’accéder _ le 21 juin suivant _ à la charge de Premier ministre. C’étaient les travaillistes battus qui avaient renoncé à me soutenir. (…) Begin ne me déçut en rien ; tout avec lui sa passa comme je l’attendais, comme je l’espérais ; et ma gratitude lui est à jamais acquise. Mais les détails et les modalité de cette nouvelle aide durent être réglés avec ses conseillers, en particulier avec Éliahou Ben Élissar, homme secret et sans émotions (…) Pour l’aide qu’Israël était disposé à m’apporter, je devais m’engager à avoir terminé le film dans les dix-huit mois à venir ; et à ce que sa durée n’excède pas deux heures. C’était si loin de ce que je savais être la réalité que je restai comme assommé ; promis ; et signai _ cette fois-là encore _ tout ce qu’on voulait. La somme qu’on m’allouait me permettrait de poursuivre les recherches, mais pas d’entreprendre le tournage ; j’avais la certitude qu’il me faudrait encore des années _ ce serait huit ans plus tard, en 1985 _ avant de mettre le point final à mon travail ; et que le film serait au moins quatre fois plus long _ au bas mot : plus, même, de huit heures : 9 heures 10 en sa version française… _ que ce qu’on m’avait prescrit. En vérité, je vivais ce concours qu’on me consentait comme une condamnation à mort _ comme la corde « soutenant«  son pendu _ du film ; et je me disais, ainsi que je l’avais pensé _ déjà _ plusieurs fois auparavant, qu’il ne servait à rien de m’obstiner ; que je ferais mieux de tout abandonner« , pages 229 à 231.

Aussi voici, maintenant, comment Claude Lanzmann interprète rétrospectivement « aujourd’hui« , page 233, « cet étrange épisode«  de sa « presque noyade » au large de Césarée

_ « l’irruption de la tragédie au grand soleil ; je continue à nager faiblement ; j’avale de l’eau très salée qui m’étouffe » ;

après survient la tentative (rapidement échouée) d’un premier sauveteur (« un grand blond, alerté par Angelika« ,  qui « abandonne presque aussitôt« , page 232) ;

et ceci, ensuite : « Il n’y a plus de plage _ à portée de vue _, plus de soleil ; je suis à moitié aveuglé par le sel ; je m’étouffe souvent ; j’ai cessé de me battre ; il faut mourir. Étrangement je m’apaise ; et j’envisage la mort par asphyxie non pas comme une fin, mais comme un passage, un sale moment, un très sale moment à passer, après lequel je pourrai à nouveau respirer à plein poumons, librement ; à grandes lampées d’air pur ; un détroit, un défilé, le chas d’une aiguille : de l’autre côté, la vie reprendrait _ un analogue de la métempsycose. J’attends donc la mort ; je ne bouge plus ; je ne nage plus ; je flotte sur le dos ; je fais la planche ; je me laisse aller ; je n’ai pas perdu conscience« , pages 232-233 ;


« mais une voix encore, une autre voix, voix claire, accent anglais parfait, m’interpelle brusquement sur mon arrière (…). Je me sentis alors fermement saisi aux aisselles, emporté non pas vers la plage, mais vers la haute mer.

Sa voix impérieuse de professionnel me commanda de l’aider en faisant avec mes jambes le mouvement de la brasse sur le dos. Yossi _ c’était le prénom de mon sauveteur _  nous fit décrire un très grand arc _ de grande amplitude ! _, remontée au large, puis retour vers le rivage, mais beaucoup plus loin, là où les courants traîtres n’existent pas ; là où j’aurais dû nager si j’avais connu Césarée. Il lui fallut presque deux heures pour me tirer jusqu’à la plage. (…)

Étudiant en droit à Tel-Aviv, natif d’un moshaf proche fondé par des Juifs marocains, Yossi Ben Shetttrit, sauveteur professionnel diplômé, était , avec le grand blond, le seul promeneur sur la plage de Césarée ce jour-là ; et le miracle _ voilà : au sein du panel des compossibles les moins probables ; ce n’est qu’une affaire (cf Hume : les « Dialogues sur la religion naturelle«  ; un grand livre ! au sein des écoles sceptiques ; sur lui, lire l’excellent « Le Travail du scepticisme«  de l’ami Frédéric Brahami, aux P.U.F, en mai 2001…) de taux de probabilités… _ est qu’Angelika l’ait rencontré.

Le dimanche précédent, au même endroit exactement, l’ambassadeur d’Angleterre en Israël s’était noyé ; et Yossi, appelé trop tard, n’avait réussi qu’à ramener son cadavre. Six employés de l’hôtel Dan Cesarea avaient _ aussi _ péri là en l’espace de six mois« , page 133 ;

« J’invitai mes deux sauveurs à dîner le lendemain soir ; et je leur manifestai une gratitude que je n’éprouvais pas vraiment«  _ tiens donc !

Car « vivre _ à ce moment présent précis-là, cet été 1977-là _ ne me faisait pas _ pour une fois ; pour un moment _ bondir de joie _ en cette phase dépressive-là de sa vie ; sur laquelle Claude Lanzmann revient par la réflexion rétrospective de ce livre-ci : l’expression est forcément très significative… _ ;

et repensant aujourd’hui _ nous y revoici donc ! après le plaisir de lecture de ce très beau passage (pages 231 à 234) _ à cet étrange épisode,

je me dis _ voici l’explication rétrospective promise, de Claude Lanzmann, page 234, en conclusion de l’« épisode« , donc.. _

que j’avais volontairement flirté avec la mort _ voilà ! _

tant les engagements pris _ cet été 77-là _ envers Ben Élissar et Israël

me semblaient _ réalistement _ impossibles à tenir.

Nous étions en 1977 ; « Shoah«  ne serait terminé que huit ans plus tard ;

et je savais que j’aurais à mentir année après année à ceux qui m’aideraient : Israéliens, Français ; gouvernements ou particuliers ; riches, moins riches, pauvres même.

A me mentir aussi, me mentir à moi-même,

car j’avais besoin d’espoir _ certes _ pour continuer : je me disais « l’année prochaine », comme on dit, dans l’attente messianique, « l’an prochain à Jérusalem » ;

tout en étant parfaitement conscient que je nous racontais des balivernes,

que je serais _ d’autre part encore _ intraitable et n’obéirais qu’à ma loi »

_ ou plutôt à celle que l’œuvre elle-même, en cette étrange, mais aussi impérieuse gestation (ou même « gésine« ), commandait !

Quelques lignes (et cinq phrases) plus loin, Claude Lanzmann le reformule d’ailleurs ainsi :

« Je n’ai cédé à rien ni à personne ;

ma seule règle a été l’exigence interne du film

_ = son « mandat«  interne, en quelque sorte : celui qui parvenait de la foule même des annihilés exterminés « dans le noir complet » et par asphyxie (au Zyklon B), dans le cas de la Shoah industrielle des chambres à gaz ; dont l’annihilation ignominieusement cachée (et/ou refoulée) réclamait hautement la lumière de la « vérité«  des « témoignages«  à recueillir, à « accoucher« , à « débusquer«  _ ;

ma seule règle a été l’exigence interne du film ;

ce qu’il me commandait« , toujours page 234…

Et c’est seulement en cela que Claude Lanzmann peut se dire avoir été, alors, et pour ce « mandat« -ci, « maître du temps«  : celui de la manifestation de la « vérité«  !

Claude Lanzmann, se relisant, le précise et le justifie davantage :

« Je me relis :

ces deux dernières phrases sonnent bellement et paisiblement

_ certains y voient même, selon les lunettes qu’ils ont chaussées (cf par exemple, peut-être, la chronique de Pierre Assouline « Claude Lanzmann, le maître du temps« , le 21 août dernier…), la vanité mal placée d’un ego _

aujourd’hui ;

mais je suis le seul à avoir porté ce fardeau d’angoisse ;

seul à savoir ce _ jusqu’à manquer s’en noyer dans les courants contraires de Césarée _ ce que m’ont coûté ces mensonges, serments et fausses promesses.

J’étais comme l’État d’Israël avec ses immigrants.
Combien de fois pendant la gésine
_ c’est-à-dire l’accouchement _ du film, m’est-il arrivé de mesurer avec un incrédule effroi, comme réveillé soudain et rappelé à l’ordre,

que deux années, quatre, sept, neuf, dix années s’étaient déjà enfuies ?

Au bout du compte _ cependant _ et chacun le sait,

je n’ai trahi personne :

« Shoah » existe comme il le devait _ et la Shoah elle-même le « demandait » !..

« Ein brera », c’est encore une formule israélienne pour signifier qu’il n’ y a pas d’autre choix« , toujours page 274…

Entre les trois ans _ 1971- 1973 _ de travail cinématographique de « Pourquoi Israël« 

et les douze ans _ 1973 – 1985 _ de travail cinématographique de « Shoah« , donc,

la « brèche«  avec le passé « journalistique« 

et le premier versant _ en quelque sorte « les classes« , « l’apprentissage« … _ de la vie ainsi que des prémisses (et divers outils à « se mettre dans la main« ) de l’œuvre : à créer, concevoir peu à peu et réaliser, de Claude Lanzmann,

était devenue « incolmatable«  :

« je ne me voyais pas reprendre mon ancien métier de journaliste _ quitté en 1970-71 _ ;

cette période de ma vie était révolue« ,

prend conscience alors, comme de « quelque chose de très fort et même de violent« ,

Claude Lanzmann, page 429 ;

et, sans quitter le terrain du « reportage » (et du « monde« ),

voilà qu’il était ainsi passé, et passionnément, de l’écriture au stylo, sur le papier,

au langage propre _ avec images (de regards, de visages) et paroles scrupuleusement articulées les unes aux autres _ du film,

au cinéma…

C’est, donc, de ce nouveau travail cinématographique-là _ le film « nord-coréen« , à tourner à Pyong-Gyang _, qui le défie et l’attend encore, à ce jour d’août 2009,

telle quelque « nouvelle face nord » à de nouveau et encore, « affronter » et « vaincre« ,

que je voudrais ici même, tracer quelques linéaments ;

car, pour le dire un peu abruptement,

j’ai quelque mal à me résoudre à l’idée, que pour lui, Claude Lanzmann,

« auteur » d’une « œuvre« 

_ cinématographique : de « reportage« 

(lui toujours, comme dans ses « années Lazareff« , « à l’affût du monde« , page 373) ;

de « reportage » sur la « réalité«   du « monde«  _

j’ai quelque mal à me résoudre à l’idée, que pour lui, Claude Lanzmann,

« auteur » d’une « œuvre » cinématographique

si singulière en cours _ et je vais y revenir ! _,

que pour lui,

comme ce fut le cas, en 1966, pour son beau-père René Dupuis :

« l’alpinisme, pour moi, c’est fini ; je suis trop vieux« 

_ de fait, ici, son équivalent « au-delà du seul défi sportif«  pour lui :

soit l’« opus cinématographique » « nord-coréen«  à tourner à Pyong-Gyang !

cf, sur ce projet

_ « quel film ce serait ! « , page 326 ;

« on m’avait tellement dit : « Quel film ce serait !  » que j’y avais réfléchi,

me disant que si je devais réaliser un jour ce qu’on appelle un film de fiction,

je m’attaquerais à ce pan de mon histoire personnelle, entrelacée _ voilà ! _ à la grande Histoire« , page 329 _

cf, donc, les extraordinaires « repérages«  _ de quatre jours de septembre 2004 _ et « esquisses » de la fin du chapitre XIV de ce « Lièvre de Patagonie« , aux pages 329 à 342 ! _,

j’ai quelque mal, donc, à me résoudre à l’idée, que pour lui, Claude Lanzmann,

« auteur » d’une « œuvre » cinématographique si singulière en cours,

« l’alpinisme » _ ce qui donne, en le transcrivant : le « défi«  cinématographique « nord-coréen«  !.. _,

que pour lui, en 2009,

ce soit « fini ; je suis trop vieux«  :

« sans le guide, je n’y serais jamais arrivé ; il a dû me tirer à plusieurs reprises« , avait dit René Dupuis, de retour d’une Nième « attaque du fameux Peigne, qu’il avait _ pourtant _ vaincu plusieurs fois ; et qui présente des passages extrêmement périlleux. On ne peut les franchir que d’un seul élan, en mobilisant audace et résolution musculaire » ;

renonçant ainsi « à sa passion pour l’alpinisme« 

« Nous fîmes _ certes _ encore, lui et moi, de longues marches jusqu’à des refuges de haute altitude,

mais c’était autre chose« , page 388 :

des « broutilles » de « retraité« 

qui, en fait et en clair, a bel et bien « décroché » des défis du « difficile » !.. sinon de l' »impossible » !..

Eh bien! je ne peux personnellement pas « me faire« 

à ce que la formidable énergie (d' »auteur« ), ainsi que le « génie » (cinématographique),

proprement inépuisables, tous deux,

de Claude Lanzmann,

lui qui a toujours, à quatre-vingt-quatre ans aujourd’hui, un appétit grand ouvert pour « cent nouvelles vies« 

_ cf cette expression magnifique de « confiance«  en la vie et le « monde« , page 192 : « je ne suis ni blasé, ni fatigué du monde : cent vies, je le sais, ne me lasseraient pas«  !.. _,

un appétit grand ouvert pour « cent nouvelles vies » aventureuses,

encore et toujours à « mener » et « poursuivre » ;

et pour toujours, encore et encore, « bondir » et « rebondir« ,

_ à l’image, en effet, de cet extraordinaire « lièvre haut sur pattes » qui, un soir, « au crépuscule« , en 1995, avait « bondi comme une flèche » en traversant la route devant lui, « dans le balayement de » ses « phares« , « sur le dernier tronçon de route non asphalté après le village d’El Calafate » ;


et fait,

cet « animal magique » que ce « lièvre patagon« -là,

et fait qu’alors « la Patagonie tout entière » lui (Claude) « transperçait soudain _ à l’imparfait : c’est pour l’éternité ! _ le cœur de la certitude de » leur « commune _ définitive : irréversible et ineffaçable ! cf là-dessus, sur ce qu’est l’éternité, l’irréfractable sublime leçon de Spinoza ! _

lui « transperçait soudain le cœur

de la certitude de«  leur « commune présence« , toujours page 192 ;

à rebours de la « sagesse« , un rien contrite, elle _ ce sont des calculateurs fort prudents,

faisant, tel le renard face aux raisins présentement un peu trop hors de portée (« ils sont trop verts !« ) de la fable, par exemple en la version (« Fables« , III, 11) du merveilleux bonhomme La Fontaine… _ ;

à rebours de la « sagesse« , contrite et prudente, donc (= mélancolique, en fait, elle !), d’un Épicure ou d’un Lucrèce

pour laquelle, il serait vain, in fine

(et avec cette conséquence à tirer, selon eux, qu’il vaut, donc, tellement mieux, pour moins « souffrir« , se résigner sereinement à « partir«  de cette unique vie, mortelle, qu’à souffrir le supplice, plus encore que l’irréalisation, de nouveaux désirs ; à partir du constat impuissant, qu’ils font, eux, qu’on finit, en cette vie, par, déceptivement, « se blaser« , en effet !..) ;

pour laquelle « sagesse«  il serait vain, donc, in fine,

de désirer (et « espérer » avec si peu que ce soit de réalisme !) « renouveler«  encore, un peu plus longtemps, l’expérience

de ce qui ne peut, hélas pour nous, qu’objectivement « s’épuiser » en matière de nouveauté (en fait de « renouvellement«  d’expérience, pour nous : à découvrir et vivre, avec « fraîcheur » !..)

dans ce que peut offrir, à cette expérience de « sujet«  à nouveau « découvrant« ,

ou « re-découvrant« ,

la non illimitée, pensent-ils, « nature des choses« 

de ce vieux, finalement, et toujours, fondamentalement, répétitivement

_ là-dessus, relire le « Différence et répétition«  de l’ami  de Claude (« l’amitié ressuscita«   par « la violence de son suicide« , page 171 : le 4 novembre 1995), Gilles Deleuze _

identique à soi,

monde unique :

« nature des choses«  qui finirait, donc, par révéler,

au moins à ce-dit apprenti « sage«  (épicurien) , moins malheureux, lui que de plus « fous » et de plus « vains »,

d’apprendre à consentir _ se faisant, pour son usage, de ce qu’il prend pour « nécessité«  un semblant de « vertu » : « amor fati« … _ à se résigner enfin à la radicale et foncière « monotonie« 

de cette « nature des choses«  !.. _,

Eh bien!

je ne peux personnellement pas « me faire« 

à ce que la formidable énergie (d' »auteur« ), ainsi que le « génie« , inépuisables, de Claude Lanzmann

renoncent à quoi que ce soit, en matière de « joie bondissante«  cinématographique ;

lui, ce Claude Lanzmann qui avait « pensé longtemps » appeler son livre _ ce « Lièvre de Patagonie« , donc _ « La Jeunesse du monde » ;

lui qui nous dit et redit :

« je ne sais pas ce que c’est que vieillir ;

et c’est d’abord ma jeunesse _ permanente, perpétuée _ qui est garante de celle du monde« , encore, en conclusion du livre, page 545…

Car, dès les vacances d’hiver 1952-53, à la petite Scheidegg, et plus encore, à leur séjour à Grindelwald, aux vacances d’été suivantes, avec Simone de Beauvoir,

Claude Lanzmann avait « attrapé« , et pour toujours,

« l’inguérissable virus » du défi à « relever » de la « haute-montagne« 

Il en rend un très vibrant hommage à Simone de Beauvoir

_ nous l’avions déjà nous-même découvert à la lecture, il y a déjà un bon moment, de ses magnifiques volumes de « Mémoires » que sont « Les Mémoires d’une jeune fille rangée« , « La Force de l’âge« , « La Force des choses« , « Tout compte fait« , comme « La cérémonie des adieux » ; ou encore dans ses « Lettres à Nelson Algren » : tous enthousiasmants d’une formidable énergie débridée ! _,

page 257 :

« La haute montagne désormais m’habitait ; et j’en ai, tout le reste de ma vie, rendu grâce au Castor« 

« Nos premières vacances d’été _ après celles d’hiver à la Petite Scheidegg _, furent spectaculaires« , page 254 ;

par exemple : « elle nous mijota (…) une marche de huit heures au moins _ et encore, à la condition d’être surentraîné _, de col en col, toujours en altitude, dans le grand cirque dominant Grindelwald, face à l’imposante barrière alpine qui enchaîne les plus de 4000 mètres, dont le Mönch, l’Eiger et la Jungfrau, déjà évoqués. Le but était un refuge isolé dans un paysage grandiose ; nous nous enthousiasmions de concert et marchâmes d’un bon pas, chaussés d’espadrilles, sans crèmes ni onguents protecteurs pour les lèvres et le visage, le crâne nu. (…) C’était « marche ou crève », les coups de soleil m’enfiévraient autant que le furoncle

_ qui, d’abord « une rougeur que j’avais traitée par le mépris« , au moment du départ, à Paris, puis « un énorme anthrax à trois têtes sur l’omoplate gauche« , mal soigné auparavant (seulement « avec de l’eau bouillie, de la ouate, des compresses« ) quand il avait explosé « vers onze heures du soir avant Tournus, où nous nous arrêtâmes« , s’était « réveillé » ;

« un autre furoncle se forma brutalement aux deux tiers du parcours (de cette marche aventureuse en haute-montagne) et au pire endroit le genou. (…) Nous étions loin de tout ; n’avions pas un médicament ; aucune trousse d’urgence« , page 255 _ ;

j’avançais péniblement, en boitant à chaque pas ; le Castor elle-même rouge pivoine, brûlée et transpirante, allait somnambulique, le regard perdu. Nous fûmes pris par l’obscurité ; nous nous égarâmes ; atteignîmes le refuge vers minuit, où par miracle, de vrais alpinistes helvètes, bien équipés _ eux _ nous prirent en pitié, nous tancèrent, nous fournirent en pommades apaisantes, me gavèrent d’antalgiques et nourrirent le Castor. Je ne mangeai rien ; ma température était proche de quarante ; le terrible abcès malin dont notre calvaire avait peut-être accéléré la maturation, explosa, dans un geyser libérateur. A Milan, un médecin lombard me prescrivit un traitement de choc aux antibiotiques, le seul efficace. J’eus portant une rechute à Mostar, accompagnée de forte fièvre ; fut soigné dans un hôpital de Sarajevo. Après quoi, le grand voyage se déroula calmement : j’étais aguerri ; mon intégration dans la famille sartrienne était accomplie« , pages 254 à 256... _ incontetablement une étape importante dans l’« apprentissage »


« L’été suivant, nous recommençâmes par la Suisse ; mais au lieu de l’Oberland bernois, de la Junfrau et de l’Eiger, ce furent les Alpes valaisannes, Zermatt, le Mont Cervin (Matterhorn), le Mont Rose et les sommets aux noms mythologiques, comme Pollux et Castor si on les décline de gauche à droite, blancs jumeaux qui culminent à plus de 4000 mètres«  _ encore, page 257.

De semblables mésaventures ne manquant pas de se reproduire alors, car si « à quarante cinq ans, Simone de Beauvoir était raisonnable, le Castor était encore plus folle que moi » ; et « c’est le Castor qui l’emporta« , page 261 : « refusant les solutions douces ou paresseuses _ que je préconisais, elle résolut que nous étions assez acclimatés pour entreprendre _ cette fois à nouveau _ une longue course exigeante : montée pédestre de Zermatt au col du Théodule, descente par le téléphérique jusqu’à Breuil-Cervinia en Italie, où nous passerions la nuit, retour le lendemain au Théodule par le même téléphérique. Nous aviserions alors selon l’état de nos forces : soit emprunter la benne suisse pour le retour, soit dévaler à pied le glacier du Théodule, les névés, les rudes pentes d’herbe rase par où l’on plonge dans la vallée, jusqu’aux chemins, interminables pour des muscles fatigués, qui conduisent à Zermatt, lointaine apparition sans cesse évanouie. Le temps promis était « grand beau » ; et le fut en effet. Nous partîmes au lever de soleil, en vrais montagnards, mais en espadrilles, comme l’année précédente, sans avoir rien appris, sans crèmes ni onguents ni couvre-chefs« , pages 262-263…


J’abrège les péripéties qui s’ensuivirent, page 264 :

« A Breuil-Cervinia, je dus aussitôt consulter un médecin, mon corps était gravement brûlé, je tremblais de fièvre ; il fallut me transporter par ambulance à l’hôpital d’Aoste où je fus admis immédiatement. Je souffrais de brûlures du premier et même du deuxième degré. J’y restais trois jours, veillé par un Castor anxieux« , page 264…

« Tant d’images de nos voyages se télescopent dans ma mémoire, sans ordre,

mais toujours comme si le temps _ celui qui est physique et que mesurent les horloges ; et qui est aussi le temps social, très inégalitairement partagé : pas celui de la création, de la poiesis_ était aboli« , page 264…

Mine de rien, nous sommes là au cœur de l’essentiel  de la découverte progressive, lente

_ il lui fallut vraiment ses longues et complexes « expériences«  cinématographiques de la décennie soixante-dix (le reste n’en étant que d’un peu lentes et un peu chaotiques « prémisses« , de bric et de broc, un bon laps de temps, les décennies précédentes) _,

par Claude Lanzmann de sa « vocation » et son « mandat » d' »auteur » d’un grand œuvre de cinéma

_ et pas seulement « Shoah » ;

même si celui-ci, « Shoah« , est un incomparable « monument » à l’échelle de l’Histoire, selon la si belle formulation de Simone de Beauvoir, dans « les quelques lignes«  (page 271) qu’elle écrivit dans la foulée de sa première vision intégrale du film, en novembre 1984 :

« Je reçus le lendemain un appel du Castor :

« Je ne sais pas, me dit-elle, si je vivrai encore quand ton film sortira ; je veux qu’on sache ce que j’en pensais ; ce que j’en aurais pensé ; ce que j’en pense. J’ai écrit quelques lignes ; je te les envoie. »

C’est la première fois que je parle de cela ; les voici :

« Je tiens le film de Claude Lanzmann pour une grande œuvre ; je dirais même : un authentique chef d’œuvre. Je n’ai jamais rien lu, ni vu _ on appréciera le distinguo _ qui m’ait fait toucher _ oui : c’est une affaire d’aesthesis _ de manière aussi saisissante _ en effet, à l’envers des anesthésiants et autres émollients _ l’horreur de la « solution finale » ; ni qui en ait mis au jour _ « dans le noir » de l’asphyxie des chambres à gaz de l’extermination industrielle… _ avec une telle évidence les mécanismes _ matériels _ infernaux. Se situant du côté des victimes, du côté des bourreaux, du côté des témoins et complices plus ou moins innocents, plus ou moins criminels, Laznzmann nous fait vivre _ oui : éprouver ce qui fut éprouvé alors par tous ces « acteurs«  mêmes de la tragédie _, sous ces innombrables _ infinitésimalement infinis… _ aspects, une expérience qui jusqu’ici m’avait parue incommunicable _ faute d’écouter et regarder « vraiment » ceux qui pouvaient, ou ne pouvaient pas, l’exprimer et atteindre la compréhension « vraie« , c’est-à-dire « incarnée« , de la chose des autres… Il s’agit d’un monument _ cinématographique : oui ! _ qui pendant des générations permettra aux hommes de comprendre _ « vraiment«  _ un des moments les plus sinistres et les plus énigmatiques de leur histoire« .

Ajoutant encore : « Parmi ceux qui sont encore vivants aujourd’hui, il faut que

_ c’est aussi un enjeu important, surtout à l’heure du décérébrage accéléré à coup de divertissements généralisés, y compris d’inflation de « musées«  et de « commémorations«  « désincarnés«  (ainsi Claude Lanzmann se plaint-il, par exemple, de la conception du nouveau Musée de Yad Vashem à Jérusalem, par rapport à celle du premier) qui multiplient l’insensibilité et l’oubli…) qui n’a cessé depuis de s’amplifier… _

il faut que le plus grand nombre participe à cette découverte« .

Claude Lanzmann ajoute alors ces deux faits postérieurs, à ce message écrit de novembre 1984 :

« Au côté du Président de la République, au Théâtre de l’Empire, le Castor assista à la première de « Shoah« .

Je n’ai pas été invité au dévoilement de la plaque mémorielle au 11 bis de la rue Schœlcher« , le 10 mars 2007, page 271..

Fin de l’incise sur le « monument«  et le « chef d’œuvre » de « Shoah« , selon les mots de Simone de Beauvoir, page 271 aussi…

Un autre opus de cinéma étant encore, sinon « en gésine », du moins « en gestation » :

la « brève rencontre » de Claude et de Kim, l’été 1958, à Pyongyang…

Qu’en est-il donc de ce nouvel « impossible » projet de film « nord-coréen » ?..

Telle sera la teneur de la conclusion (VI) de cette « conclusion« , quant à l’opus « nord-coréen » en gestation…

Titus Curiosus, ce 29 août 2009

la jubilante lecture des grands livres : apprendre à vivre en lisant « L’Exposition » de Nathalie Léger

15juin

Un grand livre _ tel que « L’Exposition » de Nathalie Léger _ est un livre qui vous entraîne, vous lecteur, à sa suite, dans une découverte, avec jubilation : la découverte d’un secret, d’abord enfoui dans (et sous) beaucoup d’apparences, sous beaucoup d’ignorance (et de naïveté de votre part ; comme, tout d’abord, en amont, celle de l’auteur, en son travail même d’écriture) ; tant objectivement _ en soi, dans le réel (touffu _ et dangereux !) auquel il (le livre !) se confronte _ que subjectivement _ pour soi-même, lecteur, a priori vierge (comme tout nouveau venu au monde) de beaucoup de bien des connaissances nécessaires pour seulement en venir à partager (en se forgeant de bric et de broc, toujours, quelque « expérience » qui tienne un tant soit peu la route ; et aide à cheminer, avancer, accomplir son chemin) ;

en venir à partager, donc, quelques « coins » de ce « secret » que l’auteur va peu à peu, au fil des lignes, des phrases, des pages, et par bribes _ lui aussi ! _, « exposer« , « révéler« , « mettre au jour« .

En cela, tout grand livre est une chasse au trésor…

Avec le risque qu’à la fin, en dépit de mille péripéties haletantes, et souvent exaltantes, entre quelques passages (reposants) de temps morts relatifs (pour souffler, récupérer, faire un peu le point, avant d’affronter une nouvelle étape affolante de découverte, par escalier), on se dise parfois : ce n’était donc que ça ? Tout ça rien que pour ça ?..

Tout grand livre est, en microcosme, ce que toute vie dans le monde (et face à lui et à ses dangers : le réel, on s’y heurte, on s’y blesse ; il a parfois trop vite raison de nous ; et on finira bien, un jour ou l’autre, de toutes façons, par en mourir : devoir baisser le pavillon ; définitivement en rabattre, en quelque sorte ; nos réserves d’énergie épuisées : la vie nous écartant alors, sous l’injonction salutaire : « au rebut » ! « place aux jeunes » !) ;

ce que toute vie dans le monde est : l’apprentissage d’une survie, à défaut, dans les meilleurs des cas, d’un accomplissement (demeurant, pour tant et tant, au stade seulement de promesse non tenue…).

Ne passez pas à côté !!!

Eh bien ! « L’Exposition » de Nathalie Léger,

comme « Zone« , de Mathias Enard,

comme « Traité des Passions de l’âme » d’Antonio Lobo Antunes,

comme « Entre nous » d’Elisabetta Rasy,

comme « Les Disparus » de Daniel Mendelsohn,

est de ces grands livres jubilants, chacun en son genre (parfois singulier), qui vous emportent et vous font découvrir (= partager un peu) un savoir formidable et irremplaçable sur le monde, le réel, la vie et les vivants, que chaque lecteur est amené à fréquenter, aux risques et périls de toute vie. En cela _ mais sans didactisme aucun ! _, ces grands livres nous font faire d’énormes bonds dans l’apprentissage du « métier de vivre« , comme l’appelait le très inquiet lui-même Cesare Pavese…

La quête _ et le schéma narratif _ de « L’Exposition » est très simple :

il s’agit d’une commande, passée à l’auteur, d’un « chargé de mission » à la direction du Patrimoine du ministère de la culture, d’organiser une exposition patrimoniale. Lisons :

« Je travaillais alors à un projet sur les ruines« , indique l’auteur, page 13, « encore un, une carte blanche proposée par la direction du Patrimoine. Il était question de « sensibilité de l’inappropriable », d’« effacement de la forme », de « conscience aigüe d’un temps tragique » _ indications de direction de recherche non négligeables, bien qu’ouvertes, laissant de la marge… « Chaque intervention devait se faire dans un monument historique. On me proposait le musée de C…«  _ ville marquée par le Second-Empire et l’empreinte de Napoléon III… « Il fallait choisir une seule pièce dans leur collection, puis « broder sur le motif », ainsi que me le recommanda le chargé de mission de la direction du Patrimoine avec un petit rire gêné comme s’il venait de faire une plaisanterie salace. Il fallait ensuite mettre en valeur la pièce choisie en sollicitant auprès d’autres musées le prêt d’œuvres contemporaines« _ de la « pièce » patrimoniale élue… Après une première piste bien vite abandonnée en découvrant que la « photographie » envisagée _ « l’étrange et fameuse image d’un vallon morne jonché de boulets, à moins que ce ne soient des pierres ou des crânes disposés régulièrement sur une nature trépassée« , issue d’un « reportage de Roger Fenton, le photographe britannique envoyé par la reine Victoria sur le front de la guerre de Crimée« _ ne faisait pas partie des collections du musée«  ; « c’est alors, tout en attendant l’inventaire que le chargé de mission avait promis de m’envoyer, c’est alors que j’ai cherché dans ma bibliothèque le catalogue sur cette femme, la Castiglione, ce catalogue que j’avais acheté _ par attraction _ et rangé aussitôt _ par répulsion : deux mouvements conjoints d’importance dans le processus même que va décrire « L’Exposition«   _, et dans lequel se trouvaient plusieurs documents appartenant au musée de C… .« 

Ce « passage«  _ l’écriture de Nathalie Léger procède par « passages« , séparés par des blancs, formant des « sauts« , à la façon d’un Pascal en ses « Pensées » ; ou d’un Nietzsche dans la plupart de ses essais (par exemple « Le Gai savoir« , ou « Par-delà le Bien et le mal » ;

les « sauts et gambades« , eux, d’un Montaigne, en ses « Essais » apparemment touffus (nous sommes dans une écriture maniériste) sont, très espièglement de la part de leur auteur, beaucoup plus complexes, défiant très crânement, et on ne peut plus ouvertement dès l« Avis au lecteur » liminaire, « l’indiligent lecteur« , eux !!!) _

ce « passage« , donc, est le sixième du livre (qui en comportera 100, tout rond !) ; il se trouve aux pages 13 et 14.

Si j’analyse les « passages » précédant celui-là, voici ce que cela donne :

Le premier « passage« , de six lignes seulement, en ouverture du livre, page 9, est une sorte de vademecum (pour soi) de l’auteur se mettant au travail (d’écrire _ et se livrant à son « génie » singulier…) :

« S’abandonner, ne rien préméditer, ne rien vouloir, ne rien distinguer ni défaire, ne pas regarder fixement, plutôt déplacer, esquiver, rendre flou et considérer en ralentissant la seule matière qui se présente comme elle se présente, dans son désordre, et même dans son ordre » _ je l’ai commenté dans mon article précédent, hier : « Sur la magnifique “Exposition” de Nathalie Léger, Prix Lavinal 2009 : l’exposition de la féminité et l’exhibition (sans douceur, ni charme = sans joie) comme privation de l’intime« …


Le second « passage » porte déjà sur l’apparent « sujet » de l’enquête : le secret de la beauté (ainsi que de la fascination pour sa propre image photographique) de la Castiglione, dont le nom même n’est pas encore mentionné dans les citations qui la désignent, cette beauté, ou plutôt la fascination (médusante ; ou jalouse, meurtrière) qu’elle exerce sur les autres femmes (page 116, on trouvera sur ce contexte d’extrême violence de la cour (impériale) en partance, sur les quais de la gare du Nord, pour Compiègne, l’expression : « des enjeux terribles, des haines, l’arrière-boutique saignante de la parade« ) ; les hommes, quant à eux, s’y laissant volontiers prendre, et succomber : ces citations, pages 9 et 10, sont empruntées à la princesse de Metternich. La narratrice commente simplement : « On contemplait sa beauté comme on allait voir les monstres« ...


Le troisième « passage » porte sur la découverte « par hasard » de la Castiglione et de ses images photographiques par la narratrice du récit, sous la forme d’un « catalogue » d’exposition de photographies, « La Comtesse de Castiglione par elle-même«  :

« C’est par hasard, en haut d’un petit escalier de bois dans la librairie délabrée d’une ville de province, que je suis tombée sur elle, frappée à mon tour, mais pour d’autres raisons _ qui vont faire rien moins que le « motif » discret de « L’Exposition«  Une femme a fait irruption sur la couverture d’un catalogue, « La Comtesse de Castiglione par elle-même« . J’ai été glacée par la méchanceté _ oui _ d’un regard, médusé par la violence _ oui _ de cette femme qui surgissait dans l’image. J’ai simplement pensé sans rien y comprendre _ alors _ : « Moi-même par elle contre moi » _ une expression (de « travail sur soi » : dialectique) qui ira s’éclairant… ; et combien superbement ! _, dans un bredouillement de l’esprit qui s’est un peu apaisé lorsque j’entendis _ de retour à Paris ? _ sur le trajet du 95 une femme faire à une autre le long récit gémissant des circonstances de sa jalousie _ un terme en effet intéressant. Au moment de descendre, elle lâcha pour résumer : « Tu comprends, mon problème, c’est pas lui, c’est elle, c’est l’autre« . Sur le trajet un peu sinueux de la féminité _ l’expression est magnifique : voilà le sujet de « L’Exposition » !!! le « motif » qui va travailler et l’auteur, et le livre… avant le lecteur ! ensuite… _, le caillou sur lequel on trébuche _ avant que de devoir « se rétablir«  _, c’est une autre femme (« l’autre » _ c’était ainsi que nous avions nommé la femme pour qui mon père avait quitté ma mère _ « Lautre », c’était devenu son nom, un nom qui permettait d’annuler sa qualité pour ne s’attacher qu’à sa fonction _ en effet ! _ ; « Lautre », celle qui n’était pas légitime, celle qui n’était pas la mère ; « Lautre », quoi qu’elle fasse, on la hait, on la désire _ dans l’ambivalence _ ). » Le dispositif narratif (de ces « passages«  : c’est mieux que « paragraphes«  !..) se met peu à peu et implacablement en place… Jusqu’à l’ultime mot, lors du centième, page 157 : « Atropos : l’Inexorable« … Mais, alors, ce sera gagné… Nous aurons, avec l’auteur _ sans doute… _, « vaincu«  : c’est-à-dire « surmonté« 

Le quatrième « passage » décrit une scène : de théâtre ? à moins que ce ne soit, plus surement, une photo : peut-être celle-là même de la couverture du « catalogue«  qui vient d’être évoqué : « Elle entre. Elle est dans le plein mouvement de la colère et du reproche. Elle fait irruption sur la droite de l’image _ le terme est important _ comme d’une coulisse masquée par un rideau _ est-ce à dire que le théâtre n’est, ici, que « métaphorique » ?.. De quoi est-ce donc ici l’« ekphrasis » ?.. Elle tient dans sa main ramenée contre sa taille un couteau qui luit obliquement en travers de son ventre. Le visage est fermé, la bouche mince, les lèvres serrées, le regard clair et dur, les cheveux sont plaqués en deux petits bandeaux secs séparés par une raie impitoyable, le couteau« … etc… « Tuerie de théâtre ? Oui, personne ne peut en douter, elle est sur une scène et fait mine de prendre soin que tout ça ait l’air véridique. Mais comme toute grande actrice, elle fait semblant de faire semblant« … Elle ne fait donc pas vraiment semblant… Du « vrai«  sourd de l’image… Le « passage » se conclut par la formule : « Cette femme entre, elle veut tuer. » Se venger…

Quelle place assigner à ce quatrième « passage« , pages 11 et 12, dans la progression de ce début de récit de « L’Exposition » ? Il semble bien, pourtant, qu’il s’agisse, déjà là, d’une « image » de la Castiglione se mettant elle-même en scène, dans le studio Mayer & Pierson (dont la mention n’apparaîtra qu’au onzième « passage« , page 19 _ mais lire, pour le lecteur, c’est nécessairement se souvenir ; opérer des connexions…) ; et sous l’objectif de Pierre-Louis Pierson, dont le rôle et le travail assigné par la commanditaire, est présenté et remarquablement détaillé _ Nathalie Léger est toujours magnifiquement (quoique toujours très sobrement : rien de trop) « détaillante« … _ dans le douzième « passage« , pages 20 et 21…

Enfin, le cinquième « passage« , juste avant celui de la « carte blanche » de « commande » d’une exposition pour la direction du Patrimoine, décrit la « re-découverte » du catalogue par la narratrice :

« J’ai recherché dans ma bibliothèque _ où il avait été enfoui, sinon même englouti, parmi tous les autres livres qui la constituent : c’est aussi à cela que servent les bibliothèques (cf le délicieux petit livre de Jacques Bonnet « Des Bibliothèques pleines de fantômes« ) _ le catalogue sur elle, ce catalogue que j’avais acheté et rangé aussitôt. J’y ai retrouvé immédiatement le dégoût _ très vif, et lancinant (comme une carie avancée avant qu’elle soit soignée) _ de ces images, de cette férocité, de cette mélancolie sans profondeur _ la formule, terrible, assassine, si l’on veut bien s’y arrêter un peu… _, de cette défaite » _ soit l’image faite chair de la « ruine«  Avec cette conclusion, tout de suite : « j’ai eu l’impression étrange _ cette « Inquiétante étrangeté« , « Das Unheimliche » dans l’article que lui consacre Freud en 1919 (cf « L’Inquiétante étrangeté et autres essais« ), et qu’il vaudrait mieux traduire, me semble-t-il, par « bizarre familiarité » _ de rentrer à la maison et, bien que cette maison soit détruite, d’y rentrer avec crainte, avec reconnaissance«  _ toujours cette même « ambivalence« , et comme pour « mettre enfin au clair«  des miasmes bien trop délétères encore, sinon…

Je ne reviens pas sur le sixième « passage« , décisif pour le dispositif narratif de « L’Exposition« .

Suivant, forcément (!), ce sixième « passage » de la commande de l’exposition (avec « le musée de C… » pour partenaire « proposé« ),

arrive le septième, qui « brode« , lui, dans l’esprit « en chantier » de la narratrice, sur le concept de « sujet« 

à partir d’une savoureuse _ on l’entend légèrement rouler les r _ remarque de Jean Renoir : « Le sujet m’a totalement boulotté ! Un bon sujet, ça vous prend toujours par surprise, ça vous amène«  : ça vient formidablement soulever et féconder votre inspiration, à partir d’un « terreau » qui dormait en attendant cette occasion de « s’éveiller » et de « se déployer » enfin ; d’exhaler toute la palette de ses fragrances ne demandant qu’à s’aviver… La « bête » (du « sujet« ), tel un python venant fasciner sa victime avant de la « boulotter« , très effectivement _ Nathalie Léger raconte, page 15 :

« Ce jour-là, j’ai pris un livre au hasard, c’était un livre sur les pythons, la dévoration par les pythons« , plus exactement, même... _ ; la « bête« , alors, « vous fait cracher ce que vous vous êtes enfoncé dans l’esprit, un sujet énorme et dissimulé _ enfoui, et sans doute même « refoulé« , dirait Freud ; cf ici le « Vocabulaire de psychanalyse«  de Laplanche et Pontalis _, incompréhensible _ tout d’abord _, puissant, plus puissant que vous, et d’apparence ténue le plus souvent, un détail, un vieux souvenir, pas grand chose _ apparemment, du moins ! d’abord… encore et toujours _, mais qui vous prend _ tel le serpent Python (celui-là même dont Apollon, le dieu de la lumière, du Soleil, de la musique et des Muses, débarrassa le territoire, devenant alors « sacré« , de Delphes, au pied du Montparnasse ; où s’installa alors l’oracle de la « Pythie«  _, mais qui vous prend et inexorablement _ ce sera, nous venons de le voir (et le dire), le mot de la fin du livre, « Atropos : l’Inexorable« , page 157 : mais enfin vaincu ! _, vous confond en lui pour régurgiter lentement quelques fantômes inquiétants, des revenants égarés mais qui insistent« , pages 15 et 16… Ces « fantômes » « égarés » et qui ne partent pas, mais « reviennent » et « insistent« , restent et campent là implacablement, nous allons les retrouver, dans les traits mêmes, s’épaississant de leur charbon (de noirceur), de la comtesse de Castiglione.

Ainsi, ce « passage«  sublime, qui débute page 77 :

« Il y avait dans la chambre d’enfant un placard dans le mur, une sorte d’armoire. On ouvrait ses lourds battants ouvragés avec une grosse clé, mais au lieu de trouver la profondeur obscure et mate d’un rangement silencieux _ muet, mutique : laissant en paix _, piles de draps ou de livres, on tombait brutalement sur son propre visage,

soi-même inattendu dans le miroir qui surmontait un petit lavabo et son nécessaire à toilette

soi-même pétrifié de se trouver là avant même de s’être reconnu _ en une opération laissant tranquillement le temps de s’identifier soi-même ; c’est la surprise ici qui oblitère cela ; ôte les défenses et boucliers traditionnels ; et nous livre au « médusement«  sans appel de Méduse… _,

inconnu _ ainsi, dans la surprise _,

s’égarant dans son propre regard _ qui n’a pas le temps d’opérer les efficaces « focalisations » habituelles _,

dépossédé de ce qu’on croyait pourtant le mieux à soi _ la contenance de son visage, celui que nous offrons quotidiennement à autrui dans le « commerce » de la socialité urbaine inter-humaine… _,

on se perd si facilement,

ou plutôt on se confond,

mais là, soudain, par surprise, tombant sur soi _ le miroir, lui, était caché dans l’armoire ! on ne s’attendait pas à ce qu’il allait, ainsi, nous montrer, nous imposer, sans nulle « préparation« , de nos propres traits… _,

c’est-à-dire précisément sur d’autres _ que soi en nous : nous y voilà donc !!! _,

on découvrait en un éclair la superposition de figures innombrables _ voilà ce qu’est être un « très grand écrivain » !.. _,

l’entassement des spectres qui n’en font d’ordinaire trompeusement qu’un«  _ soit soi-même comme un « spectre » abusé de ne pas savoir encore de quelles pyramides d’autres « spectres«  il est tout rapiécé !.. Nathalie Léger est une très très grande !!!

Le « passage » des pages 77 à 79, un des sommets de cette « Exposition » se poursuit par une parenthèse plus prosaïque, sous la forme d’une conversation (entre amies) :

« (Je me souviens d’une conversation _ un écrivain fait « feu de tout bois« , « convoque«  (comme il peut…) l’infinité de ses souvenirs, comme de ses lectures _ en sortant d’une exposition sur le portrait _ à ce propos, on pourra se reporter au très intéressant « cahier » sur le portrait, « Actualité du portrait« , dans le numéro de juin 2009 de « La Revue des Deux Mondes« … _ : « Comment tu te décrirais, toi ? Il ressemblerait à quoi ton propre portrait ? » _ dans, aussi, ce qu’est devenu l’état de notre langue orale… _, et mon amie essayant les mots, les appliquant à son visage avec la même incompréhension lente, le même sentiment d’étrangeté qu’on peut avoir lorsqu’on enfile un vêtement dont on ne comprend pas la forme : « Je ne sais pas, je ne me vois pas. Quand je me regarde dans un miroir, celle que je vois, c’est ma mère ; c’est elle que je vois lorsque je me regarde, moi, dans le miroir ; mais c’est une vision d’horreur, c’est « Psychose« , le visage de la mère grimée sur le visage du fils ») ».

Ce qui suit, la fin du « passage« , va encore plus loin, page 78 :

« Je m’enferme, je me déshabille, je m’approche _ en un double sens _, je regarde _ sans complément d’objet, intransitivement en quelque sorte… C’est incompréhensible, comme toujours _ cf les portraits et les auto-portraits « terribles«  de Francis Bacon ; et de Lucian Freud, plus encore : sublimes !!! _, c’est effrayant, cette forme en amande, ce trou, des plis, l’ombre noire qui cille autour, la clarté, la matière, et le trou,

j’écarte un peu : le trou reste le même, c’est toujours autour que ça s’agrandit, la clarté devient démesurée mais le trou reste le même, je regarde fixement, ce n’est plus l’œil, c’est le regard, mon regard qui me fixe et ne scrute de lui-même qu’un trou.« 

Avec ce commentaire, alors, emprunté au « Michel Strogoff » de Jules Verne _ je j’ai lu, quant à moi, enfant, dans l’édition en deux volumes de la Bibliothèque verte… :

« Ne reste que les larmes pour noyer cette vue, pour me sauver de l’aveuglement, comme Michel Strogoff échappant au bourreau qui l’aveugle grâce aux larmes qui noient son regard à la vue de sa mère tant aimée, « Ma mère ! Oui ! Oui ! A toi mon suprême regard ! Reste là, devant moi ! Que je voie encore ta figure bien aimée ! Que mes yeux ne se ferment en te regardant », mais les larmes ne viennent pas« …


Et ces deux autres « passages« -ci, très forts, aussi, sur les spectres « en soi« , page 118 et page 146 ; mais à nouveau à propos de la Castiglione :

le premier concerne

« le vrai cabinet, le vrai boudoir d’outre-tombe » de la Castiglione, tel que le révèle « une photographie opaque, presque noire, intitulée « Effet de clair-obscur » », parmi des « documents appartenant à Robert de Montesquiou sur la Castiglione« … « Le cabinet tel qu’il fut _ « rue Cambon, au-dessus de chez Voisin« , avait-il été indiqué page 44 _, surgissant sous mes yeux dans une étrange lueur trouée d’obscurité, est ici comme un gouffre caverneux enseveli sous un plissé blafard qui révèle sa vraie nature de suaire ;

sur le divan, la forme abandonnée d’une houppelande ou d’un tapis de peluche, à moins que ce ne soit l’inertie de la poussière qui forge dans ses remous _ car même la poussière a des remous : on peut même les lui demander… _ un fantôme livide _ de qui ? _ ;

quant au miroir, c’est une surface glauque agitée comme une goule et qui maintient sous son eau le portrait informe, le seul portrait en vérité _ de la Castiglione, en dépit de la multiplication forcenée des séances de pose et les clichés sans nombre (plus de 500 de répertoriés) pris dans l’« atelier de photographie«  de Pierre-Louis Pierson, et cela jusqu’à la mort de son « sujet« , le 28 novembre 1899… _, amas de figures passées, concrétion monstrueuse de souvenirs, le vrai visage de cette femme, un vrai visage«  _ enfin ! pas ces poses indéfiniment recherchées…

et le second, à l’occasion d’une réflexion fantasmée sur l’hypothétique « rencontre« , à Paris, « un matin du mois de juillet 1900« , lors de « l’Exposition universelle de 1900« , « au Champ-de-Mars« , de Sigmund Freud, en visite à Paris et de « l’exposition«  qui avait été bel et bien envisagée et « se serait appelée « La Plus Belle Femme du siècle » » de la collection des portraits photographiques de la comtesse de Castiglione :

« Sigmund Freud aurait visité l’exposition en se demandant, songeur : « Mais que veut la femme ? » On ne sait pas, on ne peut pas savoir ce qu’elle veut _ poursuit l’auteur, page 146 _, mais on peut savoir ce qu’elle fait en regardant les photos de la Castiglione : elle danse. Ça ne se voit pas, c’est invisible, mais, du matin au soir, dès qu’elle se retrouve sous le regard d’un autre _ et le point est crucial _, elle danse. On ne voit presque rien de cette danse-là. Seule la photographie rend visible ce mouvement incessant des spectres en elles _ voilà le fond de ce réel traqué ! _, ces allers et retours vers l’autre, ces reprises, ces sauts, en faisant paraître ce que certains chorégraphes nomment la « fantasmata »… ».

L’analyse de Nathalie Léger se fait très savante et plus que jamais perspicace ici, page 147 _ et me rappelle ce que mes propres recherches (sur la collection de manuscrits musicaux des ducs d’Aiguillon, conservée à Agen) m’ont fait entr’apercevoir à propos de cette forme de « danse«  ou « ballet«  que fut la « pantomime«  vers 1739-40, lors du passage à Paris de la Barbarina et de son chorégraphe Antonio Rinaldi, dit Fossano _ :

« C’est un maître ancien, un certain Domenico da Piacenza, qui en parle le premier vers 1425 dans son « De arte saltandi et choreas ducendi« . Le corps doit danser par fantasmata. Qu’est-ce que c’est ? C’est la manière avec laquelle, une fois le mouvement achevé, on immobilise le geste « comme si on avait vu la tête de Méduse ». Pour accomplir le mouvement, il faut figer un instant l’esprit du corps _ sic _, « fixer sa manière, sa mesure et sa mémoire, écrit-il, être tout de pierre à cet instant » _ la citation (de 1425) est merveilleuse ! _ ; l’esprit de la danse _ re-sic ; mais l’expression peut nous être cette fois davantage familière… _ est dans cette immobilisation de la figure, dans cet arrêt sur image _ pour le destinataire _ qui donne seul le sens _ c’est-à-dire « l’indique«  _ du mouvement. Et Nathalie Léger d’appliquer ce concept de « fantasmata«  aux photos de la Castiglione… La photographie permet de saisir, dans la danse incessante de la femme sous le regard de l’autre _ et cela va certes au-delà du cas particulier de la Castiglione ; et, plus loin encore : qu’en est-il de ce que devient aussi la gestuelle (« gestique«  existe-t-il ?) des « hommes«  aujourd’hui, je m’y interroge au passage… _, cet état de pierre qui révèle l’instantané d’un secret. C’est cela qu’elle _ la Castiglione _ aurait voulu exposer » _ en ses photos : dans le souci des « destinataires«  éventuels


Après ce passablement long développement autour du concept de « sujet » présent dans le septième « passage«  (pages15 et 16),

il me reste à indiquer que le quinzième « passage« , pages 26 et 27, déploiera le « sujet » en « motif » grâce à l’attention recueillie au « génie » même de Cézanne… Mais cela, je l’ai développé dans mon article d’hier, « Sur la magnifique “Exposition” de Nathalie Léger, Prix Lavinal 2009 : l’exposition de la féminité et l’exhibition (sans douceur, ni charme = sans joie) comme privation de l’intime« …

Page 27, encore dans la phase de « présentation » de sa « recherche« , de son « enquête« , en laquelle consistera ce livre de « L’Exposition« ,

Nathalie Léger se demande : « Quel est mon motif ?« 

Et répond : « Chose petite, très petite, quel en sera le geste ?« 

Un geste de congédiement…


Pour le moment,

tout au récit de l’aventure de l’exposition pour le « chargé de mission » de la direction du Patrimoine,

et se centrant sur l’étrangeté des photos de la Castiglione,

elle répond, page 27 :

« Je regarde son visage, ce « Portrait à la voilette relevée » de 1857, ses yeux tombant, cette bouche si lasse, pincée, cet air de deuil » _ Virginia Elisabetta Luisa Carlotta Antonietta Teresa Maria Oldoïni, née à Florence le 23 mars 1837 et morte à Paris le 28 novembre 1899, n’a pourtant, en 1857, que vingt ans !!! La tristesse de cette femme est effroyable _ ce mot tue ; et c’est là la raison de la si violente répulsion que suscitent, après sa beauté marmoréenne, de son vivant, ces photos conservées, désormais qu’elle est morte _, une tristesse sans émotion, la vraie défaite de soi _ rien moins !!! et à plate couture ! sans rémission ! _, un effondrement intérieur, la désolation » _ d’où cette misérable fin dans le « gourbi » de l’« entresol« , rue Cambon… Et Nathalie Léger d’introduire ce « coin » si pertinent entre « sujet » et « motif« , page 27 toujours : « La photographie peut en donner une image, mais pour en faire un motif, il faut autre chose, il faut par les mots, rapprocher, conjoindre, faire pénétrer« …


Ce que l’écriture de « L’Exposition » réalise par cette procédure des « passages » qui se suivent, s’entrecroisent avec suffisamment de « sauts » et d' »espaces » pour donner

_ à l’auteur écrivant comme au lecteur en sa lecture (ainsi qu’au jeu des « passages » eux-mêmes ; et à l’articulation des divers « documents » rassemblés) _

assez d’espace et de temps

_ « déplacer« , « esquiver« , « rendre flou » et « considérer en ralentissant (!!!) la seule matière qui se présente, dans son ordre et même dans son désordre« , a-t-elle commencer par prévenir, en son « passage » d’ouverture de « L’Exposition« , page 9 ! c’est on ne peut plus clair et précis, comme énoncé de « méthode«  d’écriture ! _

pour vraiment, et à assez de « profondeur« , réfléchir ; en s’appuyant sur un art très sûr _ de spécialiste du travail d' »archives« , à l’IMEC ?.. _ des citations, accès inespéré à ces « voix » que nous pouvons dès lors percevoir, jusqu’aux timbres de ceux qui les prononcent, polyphoniquement…

Pour le reste,

on lira soi-même l’histoire s’avançant de cette « enquête » méthodique et passionnée, d’une « exposition » (patrimoniale, à partir d’une photographie élue) en définitive avortée ;

qui ne donnera, en forme de merveilleuse compensation (mais probablement au centuple !!!) aux avanies endurées et pieds de nez, à « exposer« , d’une autre façon, à ceux qui, par leurs manœuvres (ou inertie), l’ont fait échouer,

que cet extraordinaire petit livre, tout menu, de 157 pages,

dont le « motif » de fond,

au-delà du « sujet » premier et apparent

_ mais les deux appartiennent au genre de « l’exposition » : sur l’extension du terme lui-même, découvrir page 111 ce qu’en propose magnifiquement le « Trésor de la langue française » _

n’est autre que « le trajet sinueux de la féminité«  (la formule se trouve page 11, dès le troisième « passage« )…

Et je conclurai sur cette  autre « révélation » du projet de fond, autour de ce « motif« , donc, à la page 108 :

« De quoi voulais-je parler ?

Aux abords de ce corps audacieux _ ce corps qui fend « l’espace du grand salon, la salle de bal, Compiègne, ou les Tuileries« , page 107 ;

« elle entre si assurée d’elle-même« , toujours page 107,

car « son corps lui va de soi » (page 108) ;

« elle traverse le vide immense du grand salon sans défaillir, elle entre dans le cercle éblouissant des regards, elle entre dans la salle de bal, elle fait le vide, laissant les autres (les inquiètes, les scrupuleuses, les attentives) se défaire autour de leur fragile et ardent secret » (page 108 encore) _,

(aux abords) de cette présence impétueuse,

de quel corps timide _ celui-ci : nous y voici !.. _ s’avançant contre son gré dans la lumière,

de quelle poussière, de quelle crainte, de quel regret ? »


Oui, ce livre a pour « motif » de fond « le trajet un peu sinueux de la féminité«  (page 11) de quelques unes, « aux abords » _ ne pas s’en laisser trop impressionner ! _ de quelques autres ;

ce que confirme encore cette note de l’auteur à la lecture d' »un journal » _ sans davantage de précision _, page 101 :

« Je lis dans le journal les propos d’une femme connue et célébrée pour sa beauté. On l’interroge : « Quel est votre meilleur ennemi ? » Elle répond : « la féminité »… ».

L’expression « meilleur ennemi » est celle-là même que Nietzsche réserve au véritable ami, dans son beau chapitre « De l’ami » de la première partie d' »Ainsi parlait Zarathoustra » :

« on doit avoir en son ami son meilleur ennemi » _ celui qui vous stimule (et aide) à vous dépasser effectivement vous-même afin de « devenir » enfin « ce que vous êtes » encore seulement en puissance pour ce moment…

Alors, il ne me semble pas que ni la mère

(pourtant quittée _ un moment ? _ pour « Lautre » : cf page 11 : « l’autre _ c’était ainsi que nous avions nommé la femme pour qui mon père avait quitté ma mère » ;

page 46, aussi, on a pu lire ces paroles de la mère : « Attention ! me dit doucement ma mère tandis que je me penchais pour embrasser le front de l’homme qu’elle avait aimé, attention, il est froid !« …),

ni sa fille

(en ce moment, « malgré l’avertissement maternel, je posai mes lèvres sans aucun pressentiment de ce que pouvait être ce froid, le froid de la mort, la dureté du visage glacé, l’entrechoquement des lèvres sur le visage du père fixement retenu dans ses traits,

absenté, tombé au fond de son propre masque, donné comme jamais (jamais je n’aurais osé poser sur lui mes lèvres avec cette dévotion) et retiré à jamais,

non pas fuyant, non pas insaisissable comme une présence qu’on voudrait retenir et qui échappe (…), non pas cette course éperdue vers ce qui se détourne, vers ce qui est douloureusement vivant et qui s’esquive précisément parce qu’il est vivant,

mais un visage,

ce visage,

entièrement offert et désormais inaccessible, platement retiré, placé bêtement à part, là dans la mort«  _ pages 46 et 47 _

soient des femmes rompues…

Un formidable livre d’apprentissage de l’important (du vivre)

et à mille lieues des pesanteurs du didactisme et des (atroces) clichés du « prêt-à-penser » et de la « bien-pensance« ,

que cette « Exposition » de Nathalie Léger,

et qui,

au passage, aussi,

honore grandement, de sa liberté comme de sa justesse et sa beauté _ son élégance _, le prix Lavinal 2009…

Titus Curiosus, ce 15 juin 2009 

Cécité et surdité, ou le caca-boudin du paresseux (à regarder, écouter, lire)

08août

 Sur la difficulté d’un regard objectif et libre sur le réel, sur les œuvres, sur les livres _ et les articles de blogs

Pour les dégâts
_ « dommage« , dis-tu, du blogueur (sectaire et aigri) hébergé par Le Monde (en date du 14 mai dernier) _
jusqu’aux USA,

ce matin,
je vais ici « répondre » au lecteur
_ il signe « Azer » _
de ce même article (« Probité et liberté de l’artiste« )
qui « se fend » de ce courrier magnifique :

« Qu’est-ce que c’est chiant !« 
Point final.

Mais de quoi parle-t-il donc, ce correspondant,
sinon de la misère de sa propre difficulté (voire incapacité) à lire
un minimum de complexité
du réel…

Car c’est lui qui _ doublement _ « SE fait chier«  par sa paresse (de penser)
et face à l’article
et face au réel…

Et qui _ le pensant, et le croyant (= « chiant !« ) _ « le » projette
_ comme c’est le fonctionnement primitif (= égo-centrique) de l’esprit _
sur l’article…

Je vais donc intituler ma réponse (sur le blog) : « le caca-boudin du paresseux« .

Lequel, paresseux, ne va pas plus loin sur le clavier

pour sa signature

que les 5 premières lettres (A-Z-E-R !),
tellement vaillant il est :

et qui butant sur le « TU »
_ ce n’est pas innocent du tout ! _
n’est même pas capable d’écrire encore « -TUYOP » (« Azertuyop »,
quand on va jusqu’au bout… de la première ligne du clavier) ;
et encore moins,
peut-être inculte qu’il serait (?),
« -BAÏDJAN » (« Azerbaïdjan »)…

Freud

_ consulter par exemple l’excellent « Vocabulaire de la Psychanalyse » de Laplanche et Pontalis (aux PUF) _

dirait que le malheureux
est resté figé
à la phase « SADIQUE-ANALE »

_ après la phase « ORALE » _
de la sexualité infantile :
la phase « CACA-BOUDIN« 
celle où le bébé se pose en s’opposant (à ses parents) ;
c’est aussi la phase du « NON »
à beaucoup de choses ;
oscillant selon les humeurs entre « faire plaisir » (complaire)
et malin plaisir à « emmerder »

C’est aussi une phase d’avarice
(et de constipation),
toujours selon Freud…

Sans accéder, ce malheureux « indiligent lecteur »

_ ainsi que l’apostrophe Montaigne (en son essai « De la vanité« , livre III, chapitre 9 des « Essais » :

« C’est l’indiligent lecteur, qui perd mon subject ; non pas moy » _

à la phase de la reconnaissance de la sexuation :
la phase « PHALLIQUE »,
avant

_ après une période
(dite aussi « âge de raison« ,
propice à l’apprentissage par l’éducation)
dite « DE LATENCE » des pulsions
(entre 5 et 12 ans) _ ;

avant la phase
_ adulte, au moment de la puberté _
« GÉNITALE » :
celle de la jouissance AVEC L’AUTRE, en son altérité…

Jouissance sereine
caractéristique de la normalité épanouie, selon Freud ;

les fixations pulsionnelles aux stades antérieurs (de la sexualité infantile)
caractérisant, elles, la névrose (pathologique)
que soignait, précisément, le Dr Freud…

Ici, on complétera (utilement) Siegmund Freud par Emmanuel Lévinas

_ par exemple dans « Totalité et infini » _,
à propos de l’expérience du
(mystère infini du)
visage…
Ce qu’est incapable de faire la perversion (clinique)
de la pornographie…

Ou du
« la tête sous l’oreiller« ,
comme disait un autre…

Bref, ce monsieur-là (« Qu’est-ce que C‘est chiant !« )
SE fait proprement « chier » LUI-MÊME :

par sa difficulté _ voire incapacité _ à entrer si peu que ce soit
dans l’analyse (et la compréhension : elles ont leurs conditions spécifiques) du RÉEL…

Il est comme l’ignorant
(qui ne réfléchit pas assez _ ça le fatigue ; et ça l’inquiète désagréablement)
ou l' »idiot« 
(lire Clément Rosset : « Le réel, traité de l’idiotie« , en 1977)
qui,
quand celui qui sait

(parce qu’il a un tant soit peu appris à ré-fléchir,
analyser
et comprendre enfin : ce n’est pas immédiatement immédiat _ ou d’emblée _, si j’ose dire)
montre la lune,
n’est capable, lui
_ qui ne sait pas _,
que de ne voir que
le doigt !

Voilà mon article _ soit « le caca-boudin du paresseux«  _ de réponse
à cette difficulté (voire incapacité) de lire
« Probité et liberté de l’artiste« …

Maintenant,
pour ce qui demeure À FAIRE,

il faut d’abord
ne pas simplement rester tétanisé,
mais
faire connaître LARGEMENT
cet article
de ce blog (sur mollat.com )
à ses amis et connaissances
(aux États-Unis, pour commencer :

où le site du Monde est lu ;

et pourquoi pas aussi celui _ http://blogamis.mollat.com/encherchantbien/ _ de la librairie Mollat ?) ;

et que ceux-ci,

amis et connaissances un peu instruits de la photographie,
RÉPONDENT
un peu plus sagacement que le minimal « AZER »
_ qui se contente

(en matière de signature

pour ne rien dire de la teneur de son « appréciation »)

des 5 premières lettres du clavier _,
tant il manque d’imagination (et de vaillance) ! _ ;
répondent, donc,

au blogueur méchamment sectaire hébergé par Le Monde en mai dernier…

Ce blog-ci s’enrichira ainsi d’échanges de qualité…
N »est-ce pas que je me suis laisser aller à désirer

dès mon article d’ouverture, « le carnet d’un curieux » ?…

Comment demeurer à ce point insensible
à la qualité du regard de « l’artiste« 

sur ce que
celui-ci sait si bien
montrer

(et d’abord regarder, voir, détecter,
de son regard _ photographique _ « probe » et « libre« )
du « Littoral des lacs » de Haute-Savoie !?!?!?

Et, en conséquence de quoi,
si bien faire découvrir
à leur tour
aux regardeurs « honnêtes » et « sans prévention« 
et de l’expo, à Annecy (à la galerie « Chambre claire« )
et du livre (édité par Images en manœuvre Éditions) :

ceux-là même que Marquis, en son mail du 6 juillet à 17h 13
(cf mon article
« de la critique musicale (et autres) : de l’ego à l’objet _ vers un “dialogue »
du 17 juillet)
qualifie d’« êtres
qui reçoivent
(les œuvres d’art : c’est un « accueil » !)
sans prévention, sans malignité,
avec un cœur et un esprit libres et ouverts
« 
.

La formule de Marquis
est magnifique de justesse.
Elle doit être LARGEMENT MÉ
DITÉE, de par le monde,
et aux Etats-Unis aussi.

Car cela
(« un cœur et un esprit libres et ouverts« )
se forme et s’apprend ;
ou se dé-forme et se perd : à l’usage…

Bref,
il me semble que la priorité

est qu’il faut faire largement connaître cet article « Probité et liberté de l’artiste » (de réplique) de ce blog-ci sur mollat.com ;

et susciter de vraies réponses un peu sagaces

sur le fond même du débat
(et du livre « Littoral des lacs« )
sur le blog mollat.com lui-même…


A vos plumes !
A vos claviers !

Et un peu plus loin que A, Z, E, et R…

ou même T, U, Y, O, et P…

Titus Curiosus, ce 8 août

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