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Lettre à l’ombre du père (et tombeau de papier pour lui) : la missive de François Broche « A l’officier des îles » tué par un obus à Bir-Hakeim le 9 juin 1942

30jan

C’est d’un même mouvement un tombeau de papier et une lettre au père défunt,

édifié, le tombeau, et rédigée, la lettre,

à l’ombre même _ ombre à la fois toujours présente, dès l’écriture d’un premier livre en 1969, du moins, en même temps que la personne physique du père, Félix Broche, est forcément à jamais absente, en la vie de son fils François : le père et le fils ne s’étant, en effet, pas même une seule fois vus ni a fortiori étreints : officier, Félix Broche étant déjà parti  de Tunis, où résidait sa famille, pour « les îles« , en l’occurrence d’abord Tahiti, rejoint le 3 juillet 1939 (cf page 57 de À l’officier des îles), puis ce sera la Nouvelle-Calédonie un peu plus tard (il y atterrira le 12 novembre 1940), au moment de la naissance de son fils François, à Tunis, le 31 août 1939 ; et nous verrons ici comment le fils et le père ont, par delà l’absence physique de ce père tué par des éclats d’obus à Bir-Hakeim (le 9 juin 1942), réussi malgré tout, et assez fréquemment, à partir d’un certain moment, à s’entretenir l’un avec l’autre : et c’est de ces échanges en dépit de, et par-delà, la mort, que traite ce livre de construction d’un soi…  _ de ce père, mortellement frappé par un éclat d’obus à Bir-Hakeim le 9 juin 1942,

c’est d’un même mouvement un tombeau de papier et une lettre au père défunt

que dresse et écrit pour ce tombeau de papier qu’est cette lettre au père

l’historien François Broche, en un très beau À l’officier des îles, paru aux Éditions Pierre-Guillaume de Roux au mois d’avril 2014,

dont l’auteur m’a très aimablement fait l’hommage, pour l’avoir invité à un magnifique et passionnant entretien dans les salons Albert-Mollat, à Bordeaux, jeudi 15 janvier dernier,

au sujet de son magnifique et désormais indispensable Dictionnaire de la collaboration _ Collaborations, compromissions, contradictions, paru aux Éditions Belin au mois d’octobre 2014 _ cf sur ce travail historiographique majeur, mon précédent article du 12 novembre : Un admirable monument de micro-histoire de l’Occupation : le « Dictionnaire de la Collaboration _ Collaborations, compromissions, contradictions » de François Broche

C’est en effet à un récit de construction de soi _ celle de l’auteur même, François Broche _,

à l’ombre _ au final positive, enrichissante, sans étouffer, nous allons le voir, même si elle a pu, un moment, devenir « obsédante«  (page 179) _ de cette ombre devenue éclairante de son père,

que procède en effet dans ce très beau récit _ lettre et tombeau au père à jamais absent, sinon comme ombre, précisément _ François Broche.

Construction de soi de François Broche à comparer avec la très rapide évocation par l’auteur du rapport de son frère aîné _ de quatre ans _ Michel à la figure du père disparu

_ cf pages 8-9, 10 et 11 :

 » Un oncle, graveur sur bois du dimanche, avait ciselé sur un petit panneau de bois où ta photo était incrustée cet extrait d’une lettre adressée à ma mère le 31 août 1941 : « Que mes fils ne soient pas des veules, et que l’exemple de ce que j’ai fait leur soit un exemple de vie ». Cette petite phrase a marqué mon enfance. Elle sonnait _ alors, pour l’enfant qu’était François Broche _ comme une condamnation prémonitoire. Plus je grandissais, plus je me sentais profondément « veule ». (…) Mon frère aîné, lui, offrait une image différente : il était énergique, sportif, volontaire jusqu’au paroxysme. Il en avait de la chance ! (…) J’avais la conviction que, ma vie durant, je ne ferais pas le poids devant toi. (…)

Plus tard encore, dans les rares archives qui avaient surnagé _ de divers déménagements familiaux _, j’ai retrouvé ta lettre, adressée à ma mère _ depuis Damas, où Félix Broche, toujours à la tête de son bataillon du Pacifique, stationne en moment en Syrie, faisant désormais partie de « la Première Brigade française Libre (1re BFL) que De Gaulle a chargé les généraux de Larminat et Legentilhomme de mettre sur pied«  (page 144).

Voici le passage où figure la fameuse petite phrase :

« Quelle est ta vie ? Comment t’arranges-tu ? Comment allez-vous tous ? Comment vont les enfants ? François a 2 ans aujourd’hui et Michel bientôt 6. Quelle tristesse pour moi, si tu savais, de ne pas les avoir, de ne pouvoir guider leurs premiers pas dans la vie… Mais je compte absolument sur toi, tu dois me remplacer, être ferme avec eux, ne pas les gâter, les élever virilement. Trop de jeunes Français des dernières générations avaient perdu le goût de l’effort et du travail. Que mes fils ne soient pas des veules, et que l’exemple de ce que j’ai fait leur soit un exemple de vie, malgré tout ce qu’ils en entendront dire ».

Replacée dans ce contexte _ d’août 1941 : la France libre n’est certes pas alors en honneur de sainteté, ni à Tunis, ni en France occupée… _, elle prenait un sens différent. Ce n’était plus une excommunication fulminée par un dieu vengeur, mais un simple desideratum, ô combien naturel, chez un homme plongé dans la tourmente de la guerre, qui souffrait de la séparation d’avec les siens. Tu avais souligné le second adverbe _ virilement _, pour lui donner encore plus de force.

Sur ce point, tu ne fus guère exaucé : ma mère ne te remplaça pas, elle était bien incapable de nous donner une éducation virile.

Mon frère et moi, en suivant des chemins totalement divergents, nous dûmes nous élever tout seuls. Le résultat ne fut pas toujours _ à certaines périodes _ à la hauteur de tes espérances d’outre-tombe.

Aussi loin que je remonte, je ne me souviens pas que tu aies été présent dès le début _ voilà ! J’étais un enfant sans père, et cela n’avait pas l’air de me gêner.

(…)  Je suis tout de même jaloux d’un souvenir de mon frère aîné. Il doit avoir trois ou quatre ans. Il court, tombe, se fait un peu mal, pleure. Soudain, une ombre _ produite par la lumière du soleil de Tunisie, ici _ surgit derrière lui, il se sent pris dans les bras d’un homme qui le serre contre lui et le console. C’est le seul souvenir qu’il conserve de toi. Je suis jaloux de ce contact physique, de cette étreinte, tout en me demandant si cette ombre _ gigantesque _ n’a pas, pour lui, éclipsé tout le reste _ mais nous n’en saurons pas davantage. Moi, j’ai dû me contenter _ longtemps _ d’un fantôme moins encombrant«  _ ;

ou à comparer encore, aussi, au rapport que Jacques Roumeguère _ (9-4-1917 – 25-12-2006) : « un ancien du 1er régiment d’artillerie des Forces Françaises libres, qui avait fait l’admiration de tous ses hommes quand, à Bir-Hakeim, blessé à la jambe, le 9 juin 1942 (le jour où tu étais mort), il avait refusé d’abandonner son poste, alors que sa blessure lui interdisait tout mouvement« , page 197a eu avec son propre père, disparu, lui, au cours de la Grande Guerre

_ cf pages 197-198 :

« Il n’avait cessé de rechercher des témoignages sur son père, un colonel d’artillerie, tué en 1918. Né en 1917, il ne l’avait pas connu :

« Obnubilé par ma propre recherche, me dira-t-il trente ans plus tard _ après leur commun voyage à Tobrouk en juin 1972 : soit en 2002, par conséquent _, je me remémore souvent vos paroles. Malheureusement, j’entame la dernière étape sans avoir recueilli le moindre indice qui eût apaisé mon angoisse ».

A plus de quatre-vingt-cinq ans, il n’avait toujours pas digéré l’absence de son père, qu’il assimilait, comme j’inclinais à le faire moi-même lorsque j’étais enfant _ et ce n’est plus le cas _, à un silence _ voilà.

J’avais beaucoup d’affection, de respect, de compassion pour cet homme qui mourut le jour de Noël 2006, à quelques mois de son quatre-vingt-dixième anniversaire, sans être parvenu au terme de sa quête« .

Or la lecture de cet À l’officier des îles nous apprendra que l’ombre de Félix Broche n’a pas été du tout silencieuse pour son fils François.

A contrario, elle deviendra peu à peu, et au fil d’œuvres poursuivies, fécondement rectrice.

Et alors le fils François,

re-pensant à tout ce qu’avait fait et accompli en officier-soldat son père, et qu’il a pu _ en partie, du moins _, pu assez bien reconstituer _ en historien de la France Libre, tout d’abord, mais aussi en fils se construisant peu à peu _,

peut conclure son récit, page 228 _ juste avant un Epilogue (aux pages 229 à 238 : Retour à Bir-Hakeim (5-6 juin 2012)  _ :

« Allez, salut, toi que je n’ai jamais pu appeler « papa ».

Je pense à toi, je continue à faire ce que je peux _ en œuvres successives de papier, pour le principal _ pour qu’on ne t’oublie pas. Ce n’est sûrement pas assez, mais c’est déjà ça« …

Mais cette construction de soi,

d’un même mouvement fondamentalement modeste en même temps que puissamment exigeante,

est loin d’être pour François Broche une pure et simple auto-création, isolée des autres.

Et c’est sur cette patiente et persévérante construction de soi, via des rencontres et via des œuvres successives, qu’ici je veux porter ici ma propre focalisation de lecteur un peu attentif.

Témoigne ainsi de cette lente, longue, et à vrai-dire infinie _ de même qu’est infinie la recherche-enquête de l’historien, de tout historien… _, construction de soi, ce paragraphe à la page 23 :

« A dix-huit, vingt ans _ quand il est étudiant à Paris, en 1957-1959, donc ; page 42, François Broche résumera : « sept années de vie parisienne« , dont « un stage de quatre ans à la Cité universitaire » ; et quelques importantes amitiés… _,

je n’avais strictement aucune action sur ce qui m’arrivait. J’étais impuissant à modifier le cours des choses.

Au début des Antimémoires, Malraux confie que (…) il déteste son enfance : « J’ai peu et mal appris à me créer moi-même, si se créer, c’est s’accommoder de cette auberge sans routes qu’on appelle la vie ».

Comme Malraux, j’ai la regrettable impression de ne pas m’être créé. Une sorte de fatalité _ alors et unilatéralement _ m’emportait  _ sans cesse, toutes ces années d’enfance, d’adolescence et de jeune adulte _ là où je n’avais imaginé aller«  _ au hasard de quelques rencontres et amitiés : Jean-Marc M. (mort « noyé au cours d’une plongée sous-marine au large de Nouméa« , au printemps 1972, si l’on se fie à la chronologie du récit, page 194) ; Jacques B. ; puis l’homme de lettres Philippe Héduy, en particulier, qui l’amène, vers 1968-1969, à l’écriture-enquête sur le parcours de son père, de Tunis à Tahiti, Nouméa, Beyrouth, Damas, et Bir-Hakeim..

Et François Broche de répéter, page 25, à propos de ses sept premières années, à Paris (dont quatre à la Cité universitaire) : « La vie n’avait aucun sens, tout cela ne rimait à rien« 

Et il se trouve que l’année 1958 est aussi celle de la sortie du film de Marcel Carné, Les Tricheurs : « Les « tricheurs » voulaient s’émanciper, mais ils n’y arrivaient pas, ils demeuraient des « gosses ». Ils n’évoluaient pas, ils stagnaient dans leur insuffisance. Le déterminisme _ inhibiteur jusqu’à l’auto-destruction de soi _ qu’ils avaient eux-même forgé, l’emportait sur leur volonté« , page 27.

Cependant, marquant d’une pierre blanche l’année de son mariage et de sa première paternité, en 1976

_ « J’avais attendu d’avoir trente-sept ans pour devenir mari, gendre, père, beau-frère, oncle » ; cette phrase, à la neuvième ligne de l’ouverture même de son livre, page 5, reprenant en l’amplifiant la toute première du livre : « J’ai attendu d’avoir trente-sept ans pour donner la vie _ juste l’âge que tu avais quand un obus t’a troué la tempe. » Et François Broche de poursuivre : « Pour tenir dans mes bras mon premier enfant. (…) C’était ta petite-fille. Je me suis dit, au même moment _ en 1976, donc _, que, cette année-là _ 1976 _, nous avions le même âge.«  _,

François Broche remarque, page 24 _ et c’est la conclusion importante, je veux le souligner, de son premier chapitre _, à propos de cette étape décisive, enfin, de sa vie :

« Je ne sais pas ce que me réserve _ en 1976, donc _ l’avenir, mais j’ai, malgré tout _ dès ce moment, et enfin ! _, confiance : je me vois bien parti, même si je suis parti un peu tard.

Je n’ai pas le moins du monde l’intention _ désormais _ de m’enliser dans quoi que ce soit, et l’ambition m’anime de « donner », sinon au monde, du moins à ce petit être qui commence à vivre _ son premier enfant, sa fille aînée ; le verbe « donner«  étant ici utilisé intransitivement.

Par le seul fait qu’elle existe, ma fille me replace _ en effet _ dans une lignée _ voilà la source du sens… Elle me révèle que la vie ne peut avoir un sens que si elle s’inscrit dans une continuité« .

D’où la place, ainsi réactivée, en 1976, de la question du contenu du rapport de François Broche à son père ;

d’autant plus que le premier travail réalisé d’écrivain et historien _ et plus seulement de journaliste, cf page 47 : « après neuf mois de service dans la coopération au Gabon _ en 1965 _, j’aspirais à la France comme à la Terre promise. (…) J’allais devoir m’engager sur une route nouvelle » (pages 42-43). « Je ne m’étais pas encore établi, vivotant de petits boulots sans lendemain (j’ai pendant une trop longue année été correspondant régional d’un grand quotidien dans deux départements de la région parisienne, mal payé, toujours sur les routes, mais content de ce sursis qui me permettait de différer un choix définitif de carrière), me frottant à un milieu intermédiaire entre la politique et le journalisme, où je rendais quelques services «  _

d’autant plus que le premier travail réalisé d’écrivain et historien de François Broche, en 1969-70 _ Le Bataillon des Guitaristes, l’épopée inconnue des FFL de Tahiti à Bir-Hakeim, paru en 1970 aux Éditions Fayard, et Prix littéraire de la Résistance, en 1971 _avait déjà concerné, et même au premier chef, déjà alors, mais presque par hasard, aussi et seulement, son père : au hasard d’une rencontre avec l’écrivain et journaliste Philippe Héduy, qui, « un jour (vers 1968-69), dans sa maison de campagne de l’Oise, me lança : « Il faut que vous fassiez un livre sur votre père. Le sujet est en or : un fils part à la recherche d’un père qu’il n’a jamais connu et qui ne l’a jamais vu ».

Je ne m’étais pas créé, j’y parviendrais peut-être en te recréant. Du moins en te faisant réapparaître. Renaître. Revivre.

Je lui avais lâché cette histoire _ la tienne, la mienne _ par bribes. Il avait montré un enthousiasme qui m’avait paru un peu excessif« , commente rétrospectivement cet événement de la toute première étape de sa gestation d’auteur, François Broche, pages 47-48 ;

d’autant plus que ce premier travail d’écrivain et historien de François Broche, en 1969-70, avait déjà concerné, et même au premier chef, déjà alors, mais presque par hasard, donc, aussi et seulement, son père _ je reprends l’élan de ma phrase _donc,

en tant que Félix Broche, son père, était le chef de ce Bataillon des Océaniens (de Tahiti et de Nouméa) de la France Libre…

Page 52, François Broche précise et commente les circonstances de ce crucial passage à l’écriture et à l’enquête historiographique, ce tournant d’activité de 1968-69, qui allait s’avérer, sinon immédiatement, au moins à terme _ car cela va prendre encore plusieurs années… _,  fondateur pour donner une première vraie direction à son existence, jusqu’alors assez déboussolée :

« Philippe _ Héduy (1926-1998) _ et Anne-Marie _ Cazalis (1920-1988), son épouse _ avaient _ ainsi, en 1968-69 _ décidé pour moi : je devais me mettre au travail sans retard.

J’obtempérais sans grand enthousiasme pour une raison qui me paraissait évidente : je n’avais pas _ pas encore _ de projet très arrêté.

Je ne savais pas du tout _ pas encore vraiment… _ où j’allais.

C’était bien d’un enfantement _ et double : et de soi-même, en tant qu’auteur ; et d’une connaissance véridique, historiographique absolument sérieuse, de son père _ qu’il s’agissait.

Te faire tenir _ tel que tu fus, de ton départ de Tunis « au printemps 1939«  (l’indication est donnée page 57) à ta mort à Bir-Hakeim le 9 juin 1942 _ au creux de mes pensées,

comme ce bébé _ le premier, tenu dans ses bras de père en 1976, pour la première fois.

Et soulignons bien ici, à nouveau, que c’est là la scène même d’ouverture du livre, page 5 : « J’ai attendu d’avoir trente-sept ans pour donner la vie _ juste l’âge que tu avais quand un éclat d’obus t’a troué la tempe. Pour tenir dans mes bras mon premier enfant«  ; et en 1968, François Brosse n’a encore que vingt-neuf ans

Exister à nouveau _ adresse l’auteur, dans la foulée, à son père défunt, toujours page 52 _, comme si tu n’étais pas mort _ et cela, par la grâce de la pensée au travail de la recherche historique, et son écriture rigoureuse active, de la part du fils orphelin, à la recherche de la vérité des actes accomplis (des res gestae) par le père.  Comme si tu allais revenir _ au moins par le pouvoir formidable de la pensée et de l’enquête à mener, permettant d’accéder à la connaissance des actes que tu avais effectivement accomplis, en soldat-officier, avant de disparaître… _ après une aussi longue absence.

Philippe ayant eu la sagesse de ne me donner aucune consigne, je dus m’y mettre. Dans la pagaille, dans la panique. En toute liberté. Avec la quasi certitude _ alors, en 1968-69 : foncièrement modeste…  _ que je n’aboutirais à rien« …

Et cela, à la condition de vaincre un obstacle dangereux, identifié par l’auteur page 180 : « cet instinct obscur _ cette pulsion de mort masochiste, dirait plutôt Freud _ qui pousse un homme à saboter son destin _ il me semblait que c’était celui-là même qui me rongeait depuis que j’avais pris conscience de ta mort, et me soufflait que le handicap était trop lourd à surmonter. Qu’il était inutile d’essayer de faire de moi quelqu’un ». Soit un obstacle en effet crucial…

« Un matin de juin 1972, je ralliai l’aéroport militaire d’Évreux, en compagnie de quelques anciens de la Première Division française libre qui allaient commémorer en Cyrénaïque le trentième anniversaire de « la bataille qui allait réveiller les Français », selon le mot si juste de Pierre Messmer« , page 194.

Et le récit poursuit, page 195 :

 « Un vieil autocar nous conduisit de Benghazi à Tobrouk (…). Dans le cimetière français, je me dirigeai lentement vers la tombe numéro un, qui abrite tes restes _ transportés là depuis Bir-Hakeim « dans les années cinquante«  (précision donnée un peu plus loin, à la page 196) . Au milieu des Tahitiens qui la couvraient des colliers de coquillage, mon cœur battait plus vite : nous n’avions jamais été _ le père, Félix, et lui-même, le fils, François _ aussi proches. J’allais enfin te retrouver ! (…) J’allais connaître une minute de vérité qui donnerait peut-être un sens à ma quête _ commencée dans le hasard en 1968-69 _, qui orienterait de manière décisive le reste de ma vie «  _ laquelle, vie, tâtonnait décidément encore, en 1972, à la recherche de ce cap sûr qui lui donnerait ce sens enfin sûr introuvé jusque là…


Mais, aussitôt, pages 195-196 :

« N’ayant jamais cru  à « la résurrection de la chair », je ne pouvais accorder aucune valeur au rectangle de cailloux qui était ta « dernière demeure » (…) De toute façon _ et déjà, pour commencer _, tes « cendres » n’étaient probablement pas là. Il y avait tout de même quelques chances pour qu’elles eussent été dispersées ou perdues, par négligence ou par maladresse, lors du transfert du cimetière de Bir-Hakeim à Tobrouk dans les années cinquante ».

Avec cette conclusion provisoire, toujours page 196 :

« De toute évidence, ce n’était pas là _ ni alors _ que j’allais te rencontrer _ le mot est capital. Je ne vis _ et ne sus voir, alors, en ce cimetière de Tobrouk, en 1972 _ qu’une plaque portant ton nom, et rien d’autre.

Je donnais à mes compagnons de voyage l’illusion de « me recueillir » devant ta tombe. L’expression me faisait _ déjà alors _ sourire. En vérité, ce n’étais pas moi, mais toi qui me recueillais ».

Et François Broche de commenter, pages 196-197, cette situation de juin 1972 au cimetière de Tobrouk :

« Nous étions dans une dimension symbolique qui me convenait.

Il n’existait plus aucune trace matérielle de ton passage sur la terre. Tu étais retourné « à la poussière », comme il est écrit dans le Livre, et c’était très bien ainsi.

Qu’est-ce que cela changeait ? Ce n’était pas ton cadavre qui m’occupait,

mais ton ombre _ voilà.

J’aurais voulu passer le reste de mon éternité _ du moins, ou au moins, celle à venir, après sa propre mort _ à côté de ton ombre.

Dans ton ombre _ l’expression est fondamentale : une ombre qui n’était pas encore alors, en juin 1972, une ombre nourricière et rectrice.

(…) Il n’y avait pas eu _ à Tobrouk, en juin 1972 _ de rencontre. Pas de retrouvailles !

Tu ne m’avais rien dit,

et je n’avais pas _ non plus _ trouvé les mots qui eussent été à la hauteur de l’événement.

Ta tombe était aussi vide que ma cervelle« , encore à ce moment de juin 1972, à Tobrouk.

Mais tout change _ et va changer vraiment _ pour François Broche, annonce l’auteur page 199 (et reprenant l’ouverture même du livre, page 5, à propos de son mariage et de sa première paternité, en 1976)

quand « quelque temps plus tard _ en 1976, donc _, je me mariai.

Ma vie, soudain, avait un sens ; l’amour partagé lui donnait _ enfin, et irréversiblement, cette fois _ une orientation inédite, décisive, définitive« …

« En outre, la paternité _ toujours cette même année 1976 _ m’apportait tant de choses qui m’avaient jusqu’alors si cruellement fait défaut : ouverture, don de soi ; plaisir de contempler la vie dans ce qu’elle produit de plus beau, les regards éblouis et les gestes désordonnés ; intelligence impalpable de mystères à peine entrevus ; petite griserie de l’action qui naît de l’amour de la créature ; goût de vivre et victoire sur la mort _ ô combien précaire, provisoire, dérisoire, mais victoire, car une trace ineffaçable demeure de ces instants de grâce.

C’était comme si, enfin, tout se mettait en place _ voilà _ dans ma vie,

dans ce chaos _ de jusqu’alors, encore _ où je n’arrivais plus à me retrouver« , page 199 aussi.

« J’avais une femme, trois enfants. Ma vie était faite _ enfin _ de certitudes et de servitudes. Je ne me reconnaissais pas.

Pour la première fois, j’accordais leur vrai poids aux choses, je comprenais le monde, j’avais l’intuition de ma destinée.

Cette mi-course n’était pas une mi-temps, mais un départ pour ce couronnement que ne manquerait pas d’être la maturité.

(…) La vie commençait à quarante ans. C’était très banal, comme toutes les vérités premières » _ encore faut-il en faire, et forcément à son corps défendant, l’expérience singulière. Beaucoup ne la feront jamais.

Et page 224 et suivantes, au dernier chapitre du livre, l’exorde :

« Je ne sais pas si nous nous (re)trouverons. (…) Je ne saurais vraiment pas quoi te dire. Que veux-tu, nous n’avons rien partagé ici-bas. Rien de concret, du moins. Si, là où tu es, tu as capté tout ce que je viens de te dire, tu sais ce qu’il y a en moi lorsque je pense à toi. Je n’ai rien à ajouter.

Notre conversation serait celle de deux ombres, comment veux-tu que je puisse l’imaginer ? Nous ne pourrions même pas nous embrasser, nous étreindre.

(…) Alors, je te le répète : ça ne servirait pas à grand-chose qu’on se voie un jour. Ça me ferait bien plaisir tout de même, mais ça ne servirait à rien.

Nos destins étaient liés, mais nos histoires ne se sont pas croisées. Mieux vaut, peut-être, en rester là« …

Alors, « que retiendra-t-on de moi ? », se demande François Broche, page 226 du dernier développement du dernier chapitre de sa lettre-tombeau À l’officier des îles.

Et il répond, page 227 :

« La vérité d’un homme, c’est une somme de pensées et d’actions qui s’engloutissent inexorablement dans le tourbillon des jours. (…)

Mais sort-on tout à fait indemne de cette recherche _ de la vérité _ ?

Et puis, cette vérité à laquelle on a la faiblesse bien compréhensible de tenir plus qu’à tout, peut-on la transmettre à ceux que l’on aime ? Certes non. On ne transmet jamais rien d’important. (…) Chaque génération redécouvre ses propres vérités, et les hommes ne laissent rien _ ou si peu _ de personnel derrière eux« 

Et reprenant son dialogue direct avec l’ombre de son père, François Broche poursuit :

« Si jamais rien de moi ne t’était parvenu, maintenant tu sais tout _ ou presque. Je n’aurais rien d’important à t’apprendre.

Sinon, peut-être, cette affreuse chose : le monde a continué sans toi. Et au bout du compte, tu as manqué à peu de gens.

Tu vois, ce n’est pas la peine que je te le répète de vive voix.

Allez, salut, toi que je n’ai jamais pu appeler « papa ».

Je pense à toi, je continue à faire ce que je peux pour qu’on ne t’oublie pas.

Ce n’est sûrement pas assez, mais c’est déjà ça« …

Lors de son voyage, enfin, à Bir-Hakeim, le 6 juin 2012, rapporté aux pages 229 à 238, François Broche en foule enfin « le sable et les cailloux« . « Il y a quarante ans _ lors de son premier voyage à Tobrouk, en juin 1972 _, je n’avais fait que survoler la position« .

Et « j’ai _ cette fois, écrit-il page 236-237 _ le sentiment étrange d’apporter aussi et enfin : cette fois il n’arrive pas là passivement, « la cervelle vide«  _ à Bir-Hakeim

ma propre histoire _ celle de fils et celle d’auteur, finalement indiscernablement entremêlées : l’écriture de cet À l’officier des îles est datée, page 238, de 2012-2013 _,

qu’un éclat d’obus a fait basculer il y a soixante-dix ans _ le 9 juin 1942 _ dans un inconnu que je n’ai jamais pu maîtriser ni comprendre _ du moins jusqu’à cette journée de juin 2012  à Bir-Hakeim, et, bien sûr, grâce à tout le travail d’enquête (fécond) qui l’a précédé.

C’est comme si, en disparaissant, mon père m’avait donné une seconde fois la vie _ avec la charge-mission, pour le fils, et qu’il avait été difficile et long de faire clairement émerger, et assumer pleinement, de faire sur la vie de son père le maximum de lumière sur sa vie, ainsi que sa mort ; et cela pour l’éternité.

Sa mort, en ce désert, m’a donné un autre destin _ celui d’auteur et d’historien _ que celui que j’aurais dû avoir,

et il a bien fallu que je m’en accommode _ et l’accommodation fut longue, lente et assurément complexe, comme toutes les vies humaines, affrontées à la question cruciale du sens.

Je ne l’ai pas toujours fait de gaieté de cœur, mais en fin, je l’ai fait, et je m’en suis tiré du mieux que j’ai pu.


Je ne me suis même pas 
construit en m’opposant à lui.

Comment s’opposer à un non-être, à un souvenir, à une référence aussi mouvante que ce mirage qu’avec Gufflet et Simon, tout à l’heure _ dans le 4 x 4 venant de Tobrouk, et sur des « pistes incertaines« , le 6 juin 2012… _, nous avons aperçu au loin ?« 

Soixante-dix ans après la bataille, « tout est devenu invisible à Bir-Hakeim,

mais les symboles _ eux _ ne s’effacent jamais. Ni le vent, ni le sable, ni la mitraille, ni l’oubli ne pourront détruire la « cathédrale spirituelle » dont me parlait autrefois _ cf le récit page 197 _ Jacques Roumeguère.

Je pénètre pour la première fois dans ce lieu sacré, je foule le sable et la pierraille _ de Bir-Hakeim _ avec respect, avec crainte, avec un certain sentiment de plénitude.


Je suis
 soudain submergé par la certitude
_ enfin ici et ce 6 juin 2012 ; à la différence du silence éprouvé au cimetière de Tobrouk, en juin 1972 _ d’une « présence réelle » _ celle des mystères de la foi catholique, par exemple celui de la transsubstantiation _ de mon père.

Je l’imagine heureux au milieu de ses hommes qu’il a amenés de leurs îles dans ce bout du monde, faisant la guerre, non pour le « Droit », comme son père avait fait celle de 1914, ni même pour la « Civilisation », comme on le leur assurait, mais pour ces petites choses très simples, très fortes, qui composent l’amour de la vie. (…) La patrie, c’était cela : une odeur _ d’eucalyptus, par exemple _, une petite musique _ tel le chant des cigales de Provence _, que l’ennemi n’avait pas pu étouffer« .

« Nous faisons le tour de la position :

les « Mamelles », éminences encore nettement dessinées,

les restes du « Bir » (le « Puits du Vieillard),

les ruines de l’ancien fortin ottoman, près duquel se trouvait le PC du bataillon du Pacifique.

Le sable a enfoui à jamais le trou où un éclat d’obus, entré par l’embrasure, est venu le frapper, au soir du 9 juin 1942.

Ce jour-là, pour moi, tout a commencé » _ comme fils, et comme auteur en charge de la mémoire de son père.

Titus Curiosus, ce 30 janvier 2015.

Découvrir un cinéaste : Xavier Beauvois _ au dossier : douceur et puissance ; probité, élan et magnifique générosité

25sept

Avec ce film _ sublime ! _ qu’est Des hommes et des dieux,

je viens de découvrir un très grand artiste créateur ;

en conséquence,

voici ici quelque chose comme un dossier

sur l’œuvre en cours du cinéaste Xavier Beauvois _ un grand !

Qu’il veuille me pardonner de l’avoir méconnu jusqu’ici… Mais toute rencontre comporte ses conditions de hasard _ = contingence _ ; l’important est seulement de ne pas passer à côté quand la rencontre vient, surgit, survient ! Savoir la goûter, la tâter, retenir _ cf ici Montaigne, en son sublime dernier essai « De l’expérience«  (Livre III, chapitre 13)… _ au lieu de la laisser filer et se perdre dans les sables de l’inconsistance de l’inattention…

C’est là qu’un Art vrai nous enseigne à apprendre à, à notre tour, enfin bien sentir-ressentir !

Les artistes vrais sont des passeurs-filtreurs du sens du réel

irremplaçables !

En la puissance de vérité de la probité

de ce qu’ils apprennent eux-mêmes, pour eux-mêmes d’abord, puis pour les autres (auxquels ils le donnent) à faire de leurs propres élans de regardeurs-contemplateurs face au réel,

face aux choses ;

et d’abord face aux autres : visages et corps, au premier chef _ au lieu de vivre dans la purée de poix du brouillard, et de ne faire, alors, que sans cesse esquiver les ombres (des autres) que nous croisons !..

Xavier Beauvois, donc

_ et l’acteur, et le cinéaste…

Puisque je viens d’être subjugué par le film Des hommes et des dieux, vu vendredi dernier au cinéma ;

et que, aussi, j’ai déjà pu visionner une première fois,

et avec une semblable admiration,

le DVD de son second film (en 1995) « N’oublie pas que tu vas mourir« 


Voilà un auteur-artiste

d’ampleur considérable.

Sur le synopsis de Des hommes et des dieux,

cf cet article « qui va à l’essentiel » d’Eric Vernay,

sur le site de Fluctuat.net :

« N’oublie pas que tu vas mourir« 

Ses films précédents en témoignent, Xavier Beauvois aime observer _ pour les comprendre intimement et vraiment ! _ les communautés, et les décrire dans les moindres détails, parfois à la lisière du documentaire _ c’est que le rapport au réel aimante, et superbement (frontalement : avec une douceur de toucher profonde et radicale !), le regard de Xavier Beauvois en ce qu’il (nous) donne à voir du monde en ses films… Aux ouvriers normands (Selon Matthieu) et flics parisiens (Le Petit lieutenant) succèdent donc les moines chrétiens _ cisterciens-trappistes _ d’Algérie, dans Des hommes et des dieux, Grand Prix du Jury à Cannes.

Quinze ans après son prix du Jury pour le beau N’oublie pas que tu vas mourir, ce cinéaste rare _ un film tous les cinq ans _, disciple de Jean Douchet, retrouve la compétition cannoise avec un film basé sur _ et un peu plus que cela ; mais complètement de l’intérieur ! _ des faits historiques : le massacre des moines de Tibéhirine en 1996. En plein tumulte, l’Algérie est gangrénée par l’intégrisme religieux. Après le massacre d’un groupe de travailleurs étrangers _ des Croates travaillant sur un chantier non loin de Médéa… _ par les terroristes, l’Etat algérien propose _ à grand renfort de troupes (avec hélicoptère sonorement, et plus, intrusif) ; et autres explications d’un envoyé du gouvernement _ son aide aux moines, menacés. Frère Christian (Lambert Wilson), le chef _ élu par ses Frères _ de la communauté cistercienne installée dans les montagnes, la refuse catégoriquement. Pour lui, c’est une question de principe.

Cet entêtement personnel, typique _ en effet : du côté de la grandeur existentielle _ des personnages de Beauvois, donne d’abord lieu à un débat au sein du monastère, théâtre d’un huis-clos décisif : tel un jury de tribunal se prononçant sur sa propre peine _ à nuancer ! ce n’est pas un suicide ! _, les huit hommes ne sont pas en colère, mais apeurés et à l’écoute, _ presque, tant la circonstance d’abord les interpelle, voire les bouscule… _ mis à mal dans leur foi _ pas vraiment, toutefois !.. A quoi bon _ mais ce ne sont pas, eux, des utilitaristes ! _ finir en martyr ? Fuir, est-ce renoncer à sa mission ? Et s’ils partaient, qu’adviendrait-il de la population du petit village voisin, à qui les moines apportent _ très effectivement, au quotidien _ soins, médicaments et instruction ? Quel message enverraient-ils _ par le témoignage effectif de leurs actes _ à ceux qui croient encore au dialogue entre les religions ? A mesure que le film avance, au rythme apaisé des psaumes et des cantiques _ et de la pleine observance du rite par cette communauté orante _, les arguments penchent en faveur de la décision _ primitivement proclamée _ du Frère Christian _ de Chergé, élu, par eux, « leur prieur«  _ : les moines ne cèderont pas à la peur. Ainsi, ils donneront un signe _ = un témoignage de foi _ de paix fort, et vivront dans l’intégrité de leur foi _ surtout, et très simplement : les gestes comptant ici bien davantage que les paroles _ jusqu’à la fin _ c’est-à-dire inconditionnellement ; pleinement dans l’absolu. Car « Rester ici, c’est aussi fou que de devenir moine« , affirme le charismatique moine, à l’ironie pleine de lucidité. Or moines, ils sont déjà _ car telle est, tout simplement, la folie du Christ : « Quitte tout et suis-moi« 

« N’oublie pas que tu vas mourir » pourrait être _ ainsi, cette fois-ci encore ! _ le sous-titre de Des hommes et des dieux. Sans rechercher la verve et la puissance romanesque _ romantisante de la part d’un jeune homme idéaliste en la décennie même de ses vingt ans _ de son deuxième long-métrage, dans lequel un jeune séropositif choisissait de vivre _ frontalement _ au mépris de sa maladie, Xavier Beauvois exprime au fond la même idée. Face à la certitude de la mort, l’accomplissement _ voilà l’enjeu ! c’est aussi celui des Lumières, à la suite et dans le sillage de l’inspiration en ce sens-ci d’un Spinoza… _ d’un homme _ ici en une communauté _ est possible. Mais pour cela bien sûr, il faut du courage, de l’abnégation, bref, il vaut mieux avoir _ et puissamment, ici _ foi en la vie _ qu’être défaitiste ou, carrément, nihiliste… Plutôt que l’esbroufe _ maniériste ou mal baroquisante _, la mise en scène joue une partition sobre, dépouillée _ parfaitement : d’où l’intensité très puissante de cette vitalité ainsi tendue : à la façon d’un classicisme comme « corde la plus tendue du Baroque«  A la fois ample _ oui ! _ et tendu _ sans le moindre pathos _, ce film aux accents naturalistes _ pour ce qui concerne la lumière souveraine sur les paysages larges de l’Atlas : magnifique travail de l’éclairage de Caroline Champetier, cette fois, comme toujours ! _ bénéficie d’une interprétation pleine de tact et de retenue (superbe _ et c’est encore un euphémisme, je trouve ! _ casting, notamment Michael Lonsdale et Lambert Wilson _ mais aussi tous les autres ! sans la moindre exception ! _), à l’instar de la photo subtile _ lumineuse ! _ de Caroline Champetier, tour à tour matinale et crépusculaire _ voilà… Comme si toute la lumière émanait de l’intériorité en tension des personnes ; et des états de grâce !..

Forçant parfois un peu _ je ne partage absolument pas cette impression, ici, d’Eric Vernay _ ses intentions, notamment dans un dernier tiers métaphysique plus maladroit (allusion lourde _ pas du tout _ à la Cène, paysage forcément enneigé _ non ! l’hiver perdure en cette fin mars 1996 sur les monts de l’Atlas _ pour dire la mort _ nous savons tous, et tout le temps que se développe ce que montre le film en ces visages, comment tout cela se terminera, quand on retrouvera (hors film) seulement sept têtes coupées ; et rien du tout des corps… _), Beauvois ne signe certes pas son chef d’œuvre _ c’est à voir !!! _ avec Des hommes et des dieux, mais un film humble _ oui _, réflexif _ certes : d’une méditation sans déluge de phrases _, donnant richesse et humanité _ et à quel degré de sublime, mais un sublime parfaitement contenu ! sans tomber dans quelque baroquisme… _ à un sujet casse-gueule au possible.

Des hommes et des dieux
De Xavier Beauvois
Avec Lambert Wilson, Michael Lonsdale, Olivier Rabourdin
Sortie en salles le 8 septembre 2010

Illus © Mars Distribution

Eric Vernay…

Sur cette image-photo du film, prise par Frère Luc (qu’interprète _ ou plutôt incarne ! _ avec une sobriété magistrale Michaël Lonsdale), on peut voir, de gauche à droite, les sept autres de la communauté : Frère Célestin (qu’interprète _ incarne _ Philippe Laudenbach), Frère Christophe (qu’interprète _ incarne _ Olivier Rabourdin), Frère Christian (qu’interprète _ incarne _ Lambert Wilson), Frère Michel (qu’interprète _ incarne _ Xavier Maly), Frère Jean-Pierre (qu’interprète _ incarne _ Loïc Pichon), Frère Amédée (qu’interprète _ incarne _ Jacques Herlin) et Frère Paul (qu’interprète _ incarne _ Jean-Marie Frin).

De ces sept + un-là, seuls survivront _ ils ont pris soin de se cacher _ Frère Amédée et Frère Jean-Pierre ; et aux six victimes que seront Luc, Célestin, Christophe, Christian Michel et Paul, s’ajoutera aussi Frère Bruno (qu’interprète _ incarne _ Olivier Perrier), en visite à Tibéhirine _ depuis la maison-mère de l’ordre des cisterciens-trappistes, d’Alger _, ce soir-là, de leur enlèvement, le 26 mars 1996…

Je voudrais, maintenant, citer un excellent commentaire, très fin, et plus juste, à mon avis, de Jacques Mandelbaum, paru dans Le Monde, au moment de la présentation du film au Festival de Cannes, le 20 mai 2010 :

SÉLECTION OFFICIELLE – EN COMPÉTITION :

« Des hommes et des dieux » : la montée vers le martyre des moines de Tibéhirine

LEMONDE | 19.05.10 | 09h56  •  Mis à jour le 20.05.10 | 08h51


MARS DISTRIBUTION
Michael Lonsdale joue le rôle de Frère Luc, médecin du monastère, dans le film de Xavier Beauvois, « Des hommes et des dieux« .

Le 26 mars 1996, durant le conflit qui oppose l’Etat algérien à la guérilla islamiste, sept moines français installés _ pour six d’entre eux du moins : les frères Christian, Luc, Christophe, Célestin, Michel et Paul ; le septième, Frère Bruno, était en visite, depuis la maison-mère de l’ordre, en Algérie, à Alger… _ dans le monastère de Tibéhirine, dans les montagnes de l’Atlas, sont enlevés par un groupe armé. Deux mois plus tard, le Groupe islamique armé (GIA), après d’infructueuses négociations avec l’Etat français, annonce leur assassinat. On retrouvera leurs têtes, le 30 mai 1996. Pas leurs corps.

L’affaire eut un énorme retentissement. En 2003, à la faveur d’une instruction de la Justice française, des doutes sont émis sur la véracité de la thèse officielle. En 2009, à la suite de l’enquête du journaliste américain John Kiser _ qui en a tiré son livre Passion pour l’Algérie _ les moines de Tibhirine _ et des révélations de l’ancien attaché de la défense français à Alger _ en 1996, le général François Buchwalter _, l’hypothèse d’une implication de l’armée algérienne est avancée.

On en est là, aujourd’hui, du fait divers atroce qui inspire

_ cf plus bas ce que Xavier Beauvois dit du « sujet apparent«  et du « vrai sujet«  d’un film… _

un film au réalisateur français Xavier Beauvois, troisième et dernier cinéaste français à entrer en lice après Mathieu Amalric (Tournée) et Bertrand Tavernier (La Princesse de Montpensier).

Très attendu pour toutes ces raisons, le film surprend, au sens où il défie les attentes. On pouvait imaginer un état des lieux _ historicisant ! _ du post-colonialisme, une évocation de la montée des intégrismes, une charge politique sur les dessous de la guerre. Or Xavier Beauvois nous emmène ailleurs _ oui : dans l’intériorité (inquiète) des consciences ; et résistant (ensemble) à la terreur _, et signe un film en tous points admirable _ absolument !

Cinquième long métrage, en dix-huit ans, du réalisateur de Nord (1991) et de N’oublie pas que tu vas mourir (qui reçut le Prix du jury à Cannes en 1995), Des hommes et des dieux est d’abord un film sur une communauté humaine mise au défi de son idéal par la réalité _ voilà !


Le film est tourné de leur point de vue _ oui : intradiégétique, si l’on veut : depuis leurs visages… _, et partant, de celui d’un ordre cistercien qui privilégie le silence et la contemplation, mais aussi le travail de la terre, la communion par le chant, l’aide aux démunis, les soins prodigués aux malades, la fraternité avec les hommes _ c’est magnifiquement résumé par Jacques Mandelbaum ici… C’est de cette exigence spirituelle _ c’est cela ! _ que le film veut _ en et par son image _ rendre compte, de ce sentiment pascalien de la finitude de l’homme, de l’ouverture à autrui qu’il implique _ très essentiellement : c’est  lumineusement fort !


Sa lenteur, son dépouillement, sa fidélité au rituel de la communauté _ oui _, la connivence partagée avec leurs frères musulmans _ oui _, la beauté déconcertante _ oui _ du paysage (le monastère a été reconstitué au Maroc), sont pour beaucoup _ en effet _ dans la réussite de cette ambition. La troupe d’acteurs, d’une remarquable _ le mot est faible : ils « incarnent«  ceux qu’ils représentent (figurent), font vivre, de nouveau ; ou pour l’éternité : dans le quotidien de leur questionnement alors… _ justesse (parmi lesquels Lambert Wilson et Michael Lonsdale), donne corps _ et chair présente _ à ces antihéros refusant de se rendre à la raison _ la realpolitik et sa basse police… _ du monde tel qu’il est _ = fonctionne.

Lors de la conférence de presse qui a suivi la projection du film, mardi 18 mai, Lambert Wilson a livré une information sur sa préparation qui permet d’expliquer cette justesse : « Curieusement, cette fusion qu’ont ressentie les moines, nous l’avons aussi vécue. Nous avons fusionné dans les retraites _ monastiques : à l’abbaye de Tamié _ et fait des chants liturgiques. Le chant a un pouvoir fédérateur. »

Puis vient l’heure de la crise, de la mise à l’épreuve _ voilà : tout homme passe par là, même si ce n’est pas nécessairement aussi tragiquement. Le hideux visage de la terreur se rapproche, des ouvriers croates sont égorgés non loin de là _ aux environs de Médéa. Elle finit par frapper à la porte _ même _ du monastère, une nuit de Noël. Les terroristes sont à la recherche d’un médecin et de médicaments pour leurs blessés. Les moines refusent de se déplacer, mais accepteront de soigner les blessés dans l’enceinte du monastère. Une scène capitale a lieu ici : la poignée de main entre le prieur de la communauté (Wilson) et le chef des terroristes.

Ce geste opère un rapprochement entre deux extrêmes irréconciliables de la conviction mystique : la conquête des esprits par la violence et le sacrifice de soi-même pour l’exemplarité de l’amour _ oui. C’est au cheminement héroïque _ ou saint _ des moines vers ce second terme qu’est consacrée la majeure partie du film _ en effet. Refusant l’aide _ très pressante _ de l’armée _ en guerre civile, ne l’oublions pas ! _, préservant la fraternité avec la population locale _ oui ! c’est très important pour eux (tous)… _, surmontant leur peur et leurs divisions internes _ du début _, les moines prendront à l’unisson, comme dans le chant qui les rassemble _ oui _, la décision _ du courage _ de rester.

Quelques scènes magnifiquement inspirées _ le mot est particulièrement juste ! _ ponctuent cette lente montée vers le martyre _ potentiellement (= à l’avance) assumé sans être ni recherché, ni défié… La lutte visuelle et sonore entre l’hélicoptère vrombissant de l’armée et le chant des frères rassemblés. Ou encore cette bouleversante série de travellings sur les visages des moines, à l’issue de la décision qui engage leur vie, accompagnée par le déchaînement lyrique du Lac des cygnes de Tchaïkovski. Il fallait oser ce plan digne de Dreyer et de Pasolini _ oui ! _, au risque de la boursouflure, du credo béni-oui-oui _ mais ce n’est pas le cas ; l’initiative du geste est attribuée, ici, à Frère Luc…

Beauvois a osé, et il a bien fait _ oui ! Et le reste est quasi silence ; de la part des moines… C’est bien le diable si ce très beau film _ discrètement sublime, pour mon regard, du moins… _ produit par Pascal Caucheteux (déjà bienheureux en 2009 avec Un prophète) ne remporte pas à Cannes _ et auprès des spectateurs de cinéma de par le monde, maintenant _ quelque chose de grand à l’heure du jugement suprême.

Film français de Xavier Beauvois avec Lambert Wilson, Michael Lonsdale, Olivier Rabourdin, Philippe Laudenbach, Jacques Herlin. (2 h 00.) Sortie le 8 septembre.

Jacques Mandelbaum
Article paru dans l’édition du 20.05.10

Et pour compléter en beauté mon dossier,

voici cet excellent entretien avec Xavier Beauvois

réalisé par Thomas Baurez :

Xavier Beauvois : « Réaliser un film comporte une bonne dose d’inconscience« 

publié le 07/09/2010 à 13:00 sur le site de L’Express :

REUTERS/Vincent Kessler

Un an après Audiard et son Prophète, c’est au tour de Xavier Beauvois de remporter le grand prix du Festival de Cannes. Des hommes et des dieux confirme la puissance d’une mise en scène pure et gracieuse. Rencontre avec un cinéaste habité.


« J’ai eu la chance d’apprendre le cinéma en côtoyant des critiques de cinéma comme Jean Douchet et Serge Daney. Ils m’ont montré les liens qui peuvent exister entre un film, l’architecture, la psychanalyse, le théâtre ou encore la littérature. J’ai compris également que le véritable sujet d’un film n’est pas forcément celui _ sujet apparent : montré _ que l’on voit sur l’écran. Avant, le cinéma ressemblait à une 4L, une voiture agréable pour rouler, et tout d’un coup des mecs m’ont donné les clés d’une Bentley ! Vous réalisez que ce que vous considériez comme un divertissement est un art total _ voilà l’horizon (perceptible et justifié !) de l’œuvre (entier, probablement) de Xavier Beauvois. Pour paraphraser un entraîneur de foot anglais, je dirais: « Le foot, ce n’est pas une question de vie ou de mort, c’est beaucoup plus important que ça ! » Claude Chabrol abuse peut-être quand il affirme que la mise en scène peut s’apprendre en un quart d’heure, mais techniquement, ce n’est effectivement pas très compliqué. L’important _ au-delà de ce « techniquement«  _ est de se construire une morale de cinéma, savoir ce que l’on veut dire et comment l’exprimer _ that’s it !!! J’ai commencé comme stagiaire sur des tournages, notamment sur Les innocents, d’André Téchiné. Je me suis incrusté dans la salle de montage, puis j’ai assisté au mixage. Je me suis également formé en regardant beaucoup de films, surtout les mauvais. Avec les bons, tu ne vois rien, tout est très discret _ là est la délicatesse de l’Art _, les points de montage, les mouvements de caméra sont invisibles. Lorsque la mise en scène saute aux yeux, c’est qu’il y a un souci. Faire du cinéma, ce n’est rien d’autre qu’apprendre à désapprendre _ mais c’est le cas de tout Art : transcendant ses techniques-moyens… On a beau connaître toutes les théories du monde, il faut savoir s’adapter _ à l’absolument inconnu qu’il s’agit et d’approcher et saisir-cueillir, et le donner à ressentir. Pour cela, il faut absolument inventer, improviser, créer : avec courage ! en se jetant soi-même à l’eau… Prenez le travail sur le son pour Des hommes et des dieux. Nous tournions dans un monastère où tout est silencieux, il n’y avait pas besoin d’en rajouter _ en effet… Il faut simplement le donner à entendre… J’ai coutume de dire: « Lorsque je suis flippé dans la rue, il n’y a pas un quatuor à cordes qui joue derrière moi ! »

DR

Les comédiens du film Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois _ incarnant les moines de la communauté de Tibéhirine ; c’est le huitième, celui incarnant Frère Luc, qui prend cette photo…

Ecouter son film

Désapprendre _ voilà l’Art _, c’est aussi savoir mettre le scénario de côté au moment du tournage. Le script n’est qu’un vulgaire outil de travail, pas une œuvre d’art. Sur le plateau, les choses me viennent dans le feu de l’action _ tout Art est ainsi : fils de ce feu-là… Il faut écouter son film, comme s’il avait une âme _ idea, au moins. On a beau échafauder des plans, au final, il faut _ toujours _ composer avec son instinct _ le feu de l’intuition inspirée. Si on ne sent pas _ æsthesis _ les choses, il faut passer à autre chose et tout réinventer. J’ai réalisé mon premier long métrage, Nord, en 1992, à seulement 25 ans. Sur le plateau, je me suis comporté comme un petit chef nazi. Je hurlais parce que j’avais la tronche d’un lycéen qui passe son bac face à des types qui avaient la cinquantaine. Je devais montrer que j’étais le patron. Réaliser des films comporte _ comme tout Art _ une bonne dose d’inconscience _ à commencer par la part cruciale de ce feu, toujours lui… Si on commence à trop réfléchir _ sans l’élan… _, on ne fait plus rien _ que de la technique : réduite… J’ai su également écouter mes collaborateurs _ au cinéma, tout particulièrement : travail d’équipe s’il en est… J’ai gagné beaucoup de temps. Le but est d’essayer de faire des films plus intelligents que soi. Le plus dur, c’est de savoir comment y parvenir. Lorsque vous mettez en scène, vous êtes _ consciemment ou pas _ porté par des références artistiques. Dans une interview, Patrice Chéreau a dit: « On ne peut pas filmer un homme allongé sans penser au tableau du Christ de Mantegna. » Ainsi, dans la séquence où le terroriste blessé est soigné par frère Luc, je l’ai cadré de la même manière. Je ne me suis pas appesanti pour autant et j’ai immédiatement cassé l’effet. Toutefois, s’interdire de le faire serait une erreur. Le cadrage est parfait. Je pique des idées un peu partout _ bien sûr : le tout étant de les faire (vraiment) siennes, dans le motus proprius de l’œuvre… Au début du Petit lieutenant, par exemple, je me suis souvenu de ce conseil d’Hitchcock : « Si vous avez des choses compliquées à filmer, prenez du recul et cadrez la scène de très loin. » Dans mon film, je voulais montrer mon protagoniste qui monte à la capitale. C’était son rêve, il est très impressionné. À la base, je voulais le montrer dans différents endroits touristiques. Finalement, je suis monté en haut de la tour Eiffel et j’ai fait un panoramique sur tout Paris. En un plan, tout était dit.

REUTERS

L’équipe du film sur les marches du Palais des Festivals à Cannes

Traîner dans les décors

C’est un ami producteur qui m’a fait parvenir anonymement le scénario de Des hommes et des dieux. Il s’appelait: Les sept moines. C’était librement inspiré de la tragédie des moines cisterciens de Tibéhirine, enlevés et exécutés en Algérie en 1996. J’ai accepté à condition de pouvoir réécrire le script _ le faire vraiment sien : qu’il exprime « son » monde : c’est capital !.. Je me suis rapproché un peu plus de la vraie histoire _ intime ; et pas pseudo historique. Avant de commencer à bosser, je suis parti en retraite dans une abbaye en Savoie pendant quelques jours. La mise en scène a commencé _ vraiment _ à partir de là. Très vite, je me suis aperçu, qu’il était idiot de faire des travellings durant les offices. Des cadres fixes suffisaient, en respectant des axes purs de caméra. En revanche, lorsqu’ils sont en extérieur, ils sont plus mobiles, donc la caméra peut bouger. Je n’oublie pas que mon travail consiste à faire la mise en scène d’une mise en scène _ voilà _, en l’occurrence celle de la vie des moines, parfaitement réglée _ par le rituel. Il convient donc de rester humble _ certes _ par rapport aux choses que vous filmez. Avant le premier jour de tournage, j’ai montré à toute mon équipe Les onze fioretti de François d’Assise, de Roberto Rossellini, afin d’indiquer dans quel esprit _ voilà : rossellinien ! _ nous devions travailler. C’était une façon de rendre hommage au cinéma _ le medium de l’œuvre à réaliser _ avant de rentrer sur le terrain _ réel. Car une fois que le tournage débute, on devient un mauvais spectateur, on remarque _ parce qu’on s’y focalise _ tous les petits détails, pourtant invisibles d’habitude. Je collabore avec des gens en qui j’ai une entière confiance. Il y a ma chef opératrice, Caroline Champetier, mon décorateur, Maurice Barthélémy, ou encore mon producteur, Pascal Caucheteux. Ensemble, nous allons dans le même sens.

Le monastère où nous avons réalisé Des hommes et des dieux est situé au Maroc. Il était totalement abandonné, nous lui avons redonné des couleurs afin de retrouver la bonne lumière _ si décisive ici ! C’est important pour un cinéaste de traîner _ oui _ dans ses décors _ qui ont une âme ; et sont habités par le génie du lieu… La mise en scène se construit aussi à partir de là. Je me suis donc posé seul pour m’imprégner _ voilà : méditativement, d’abord _ de l’atmosphère _ par l’æsthesis la plus ouverte et la plus concentrée, en même temps. Comme nous tournions dans un décor unique, j’ai pu travailler dans la chronologie. C’est toujours préférable _ pour le sens. J’ai utilisé le Cinémascope, comme un western, afin de mettre en valeur les paysages _ c’est parfaitement réussi ! Pour la séquence où l’armée débarque au monastère, j’ai mis à fond la musique d’Il était une fois dans l’Ouest (rires). Sur le plateau, je définis d’abord mon cadre avec Caroline, puis je la laisse faire pour me concentrer sur les acteurs _ les visages, les postures des corps et des mouvements. La plupart du temps, je tourne avec un objectif de 40 mm qui se rapproche le plus de l’œil humain. Chaque séquence est imaginée comme un tableau vivant _ voilà. Ma scripte insiste pour que je fasse un découpage technique en amont pour anticiper _ un minimum _ les choses au moment _ du feu de l’action _ du tournage, mais je n’y arrive pas _ ça déborde ! Tout se met en place sur le moment _ bien sûr ! J’ai la chance de travailler avec des gens rapides _ à la détente de l’entente à instantanément trouver ! Dans l’esprit indiqué et visé…

REUTERS

Xavier Beauvois reçoit le Grand Prix au Festival de Cannes des mains de Salma Hayek

Des acteurs, pas des comédiens !

Sur mes plateaux, dès que je vois un comédien, il dégage tout de suite ! Je veux uniquement des acteurs, c’est-à-dire des gens qui, entre « moteur » et « coupez« , vont être _ voilà _ un prêtre et ne vont _ surtout _ pas chercher à le jouer. Alain Delon disait qu’acteur, c’est un accident : c’est Lino Ventura, un catcheur qui fait du cinéma. Ce n’était pas prévu. Je ne fais pas d’essais, ni de lecture _ c’est l’invention risquée sur le champ, à la seconde, d’une incarnation juste. Tous mes interprètes sont partis ensemble faire une retraite dans un monastère. Ils ont ensuite pris des cours de chant dans une église à Neuilly. Enfin, ils sont venus à la maison, manger un barbecue afin que nous devenions potes _ l’empathie était nécessaire. Il fallait qu’entre eux, je forme un groupe _ celui d’une communauté. Notre conseiller sur le film m’a dit, lors de la préparation: « Les moines de Tibéhirine étaient comme des fleurs des champs, ni belles, ni originales, mais tous ensemble ils formaient un bouquet merveilleux.« 

Sur le plateau, je suis derrière mes acteurs sans arrêt, je ne laisse rien passer _ il le faut : la vision finale est unique. Dès que je sens qu’ils jouent, je les corrige. Prenez la séquence à la fin où ils sont tous à table et écoutent Le lac des cygnes. Pour les mettre en condition, je les avais prévenus dès le départ de l’importance de cette séquence. Il faudrait qu’ils donnent tout _ un défi ! _ et seraient en très gros plan. Au moment du tournage, j’ai mis la musique, je leur parlais énormément quitte à faire des blagues, j’ai apporté du vin et roulez jeunesse ! La caméra de Caroline Champetier passait de l’un à l’autre, sans savoir quelles émotions elle allait trouver sur leur visage. Nous avons tourné pendant des heures et des heures _ oui : comme le photographe mitraille ; afin de pouvoir choisir, à la fin, un entre mille clichés : Bernard Plossu me l’a appris. Dès que nous n’avions plus de pellicule, nous rechargions le magasin de la caméra, et c’était reparti. Quand ils en ont eu marre de Tchaïkovsky, j’ai passé La passion selon saint Matthieu, de Bach. Une musique qui émeut beaucoup Lambert Wilson. Il s’est mis tout de suite à pleurer. Pour que cette séquence fonctionne, j’ai pris le soin d’éviter de faire des gros plans sur les prêtres pendant la première heure et demie de film, afin qu’à ce moment-là, le spectateur soit touché en les voyant _ à ce moment, plus tard : comme jamais autant auparavant _ si proches. Cette séquence m’est venue à l’esprit au volant de ma voiture. Je roulais en écoutant des musiques au hasard sur mon iPod, et puis d’un coup, j’ai entendu Le lac des cygnes. J’ai immédiatement visualisé la scène _ c’est là le travail d’imageance de l’artiste-créateur… Comme disait Godard, le travelling est une affaire de morale. Tout ce que je fais est d’une grande logique finalement, il n’y a rien d’extraordinaire ! »








DR


Voilà : un grand,

qui fait désormais partie de ceux dont je suivrai les pas,

sans trop de risque de déception…


Le travail ici,

en cet admirable film qu’est Des hommes et des dieux,

de Xavier Beauvois

articule magnifiquement ce que Baldine Saint-Girons,

en son très important récent opus Le Pouvoir esthétique _ cf mon récent article du 12 septembre 2010 : « les enjeux fondamentaux (= de civilisation) de l’indispensable anthropologie esthétique de Baldine Saint-Girons : “le pouvoir esthétique”« _,

nomme :

le plaire et enseigner du Beau,

l’inspirer et ébranler du Sublime,

et le charmer et concilier de la Grâce,

qu’elle baptise « les trois principes du pouvoir esthétique« 

(cf son tableau synoptique récapitulatif aux pages 136-137 de ce livre majeur !)…

Si l’Art _ de cinéma : il le fait sien ! _ de Xavier Beauvois tend spontanément

vers l’émotion (si puissante) du Sublime,

c’est aussi avec la douceur (formidable) de la Grâce

et la retenue (intense et calme) du Beau

qu’il sait le faire,

quasi miraculeusement…

La force _ maximale _ de sa générosité

est tout simplement

merveilleusement bouleversante…

Et pour finir ce dossier,

cette lettre

_ testamentaire ? d’outre-tombe : sans son corps retrouvé… _

à méditer

de Frère Christian de Chergé :

Quand un A-DIEU s’envisage…

S’il m’arrivait un jour _ et ça pourrait être aujourd’hui _

d’être victime du terrorisme qui semble vouloir englober maintenant
tous les étrangers vivant en Algérie,
j’aimerais que ma communauté, mon Église, ma famille,
se souviennent que ma vie était DONNÉE à Dieu et à ce pays.
Qu’ils acceptent que le Maître Unique de toute vie
ne saurait être étranger à ce départ brutal.
Qu’ils prient pour moi :
comment serais-je trouvé digne d’une telle offrande ?
Qu’ils sachent associer cette mort à tant d’autres aussi violentes
laissées dans l’indifférence de l’anonymat.
Ma vie n’a pas plus de prix qu’une autre.
Elle n’en a pas moins non plus.
En tout cas, elle n’a pas l’innocence de l’enfance.
J’ai suffisamment vécu pour me savoir complice du mal
qui semble, hélas, prévaloir dans le monde,
et même de celui-là qui me frapperait aveuglément.
J’aimerais, le moment venu, avoir ce laps de lucidité
qui me permettrait de solliciter le pardon de Dieu
et celui de mes frères en humanité,
en même temps que de pardonner de tout cœur à qui m’aurait atteint.
Je ne saurais souhaiter une telle mort.
Il me paraît important de le professer.
Je ne vois pas, en effet, comment je pourrais me réjouir
que ce peuple que j’aime soit indistinctement accusé de mon meurtre.
C’est trop cher payé ce qu’on appellera, peut-être, la « grâce du martyre »
que de la devoir à un Algérien, quel qu’il soit,
surtout s’il dit agir en fidélité à ce qu’il croit être l’Islam. Je sais le mépris dont on a pu entourer les Algériens pris globalement.
Je sais aussi les caricatures de l’Islam qu’encourage un certain idéalisme.
Il est trop facile de se donner bonne conscience
en identifiant cette voie religieuse avec les intégrismes de ses extrémistes.
L’Algérie et l’Islam, pour moi, c’est autre chose, c’est un corps et une âme.
Je l’ai assez proclamé, je crois, au vu et au su de ce que j’en ai reçu,
y retrouvant si souvent ce droit fil conducteur de l’Évangile
appris aux genoux de ma mère, ma toute première Église,
précisément en Algérie, et déjà, dans le respect des croyants musulmans.
Ma mort, évidemment, paraîtra donner raison
à ceux qui m’ont rapidement traité de naïf, ou d’idéaliste :
« qu’Il dise maintenant ce qu’Il en pense !« .
Mais ceux-là doivent savoir que sera enfin libérée ma plus lancinante curiosité.
Voici que je pourrai, s’il plaît à Dieu,
plonger mon regard dans celui du Père
pour contempler avec lui Ses enfants de l’Islam
tels qu’ils les voient, tout illuminés de la gloire du Christ,
fruit de Sa Passion, investis par le Don de l’Esprit
dont la joie secrète sera toujours d’établir la communion
et de rétablir la ressemblance, en jouant avec les différences.
Cette vie perdue, totalement mienne, et totalement leur,
je rends grâce à Dieu qui semble l’avoir voulue tout entière
pour cette JOIE-là, envers et malgré tout.
Dans ce MERCI où tout est dit, désormais, de ma vie,
je vous inclus bien sûr, amis d’hier et d’aujourd’hui,
et vous, ô amis d’ici,
aux côtés de ma mère et de mon père, de mes sœurs et de mes frères et des leurs,
centuple accordé comme il était promis !
Et toi aussi, l’ami de la dernière minute, qui n’aura pas su ce que tu faisais.
Oui, pour toi aussi je le veux ce MERCI, et cet « A-DIEU » en-visagé de toi.
Et qu’il nous soit donné de nous retrouver, larrons heureux,
en paradis, s’il plaît à Dieu, notre Père à tous deux. AMEN !
Insha ‘Allah !

Titus Curiosus, le 25 septembre 2010

Vie de Paul Valéry : Idéal d’Art et économie du quotidien _ un exemple

26août

Paul Valéry (Sète, 30 octobre 1871 – Paris, 20 juillet 1945) est probablement le « contemporain capital«  _ selon une expression de Michel Jarrety en son indispensable biographie : Paul Valéry, parue aux Éditions Fayard au mois de mars 2008, en ses 1366 pages : on y apprend beaucoup, beaucoup, et pas seulement de cet immense poète et poïéticien ! (et jusqu’en ses impasses…) _ du siècle passé (du moins sa première moitié) en France.

Et si je me suis personnellement attelé à cette somme, somptueuse qu’est cette biographie de 1366 pages de Paul Valéry par Michel Jarrety _ une merveille de lumières tant sur l’artiste que sur son époque : que de rencontres importantes celui-ci fait ! que de perspectives son inlassable penser (auroral !) sait tracer ! _,

outre que je suis un passionné de l’œuvre multiforme (et trans-genres) de Valéry (en plus de la sensualité sidérante, comprimée à en rompre, de sa poésie : Charmes !),

c’est dans le cadre de mes recherches _ estivales _ sur un musicien lui aussi fondamental, en sa magnifique singularité et originalité foncière _ qu’on se le dise ! approfondies en la solitude volontairement assumée de sa méditation-création-composition ! _, et passionnément épris de poésie _ il réfère très explicitement la plupart de ses œuvres de musique à des pièces de poésie ! _ : Lucien Durosoir,

presque parfait contemporain de Paul Valéry : Boulogne-sur-Seine, 5 décembre 1878 – Bélus (près Peyrehorade, dans les Landes), 4 décembre 1955 _ cf mes articles Musique d’après la guerre et le “continent Durosoir” livre de nouvelles merveilles : fabuleuse “Jouvence” (CD Alpha 164) !!!… J’y reviendrai ! _ ;


dont il faut remarquer, toutefois, l’exacte dissymétrie des parcours artistiques : c’est entre 1900 et 1914 que le violon de Lucien Durosoir brille sur les scènes du monde, de par toute l’Europe (de Berlin et Vienne à Moscou), alors que Paul Valéry, lui, alors produit (et publie) peu et, à part son office de lecteur d’Édouard Lebey, le patron de Havas, se cantonne quasi exclusivement à son antre familial ; tandis que l’après-Guerre voit le (très brillant) devenir mondain et européen (notamment en ses activités internationales au profit des institutions culturelles de la S.D.N.) de Paul Valéry, quand Lucien Durosoir, renonçant à poursuivre sa carrière de virtuose du violon, se consacre, lui, quasi exclusivement _ pardon du pléonasme _ à la création-composition musicale (aux œuvres peaufinées, parfaites !), ne laissant apparaître au concert,

et encore plus souvent privés _ le 25 octobre 1924, pour la sonate pour violon & piano Le Lis + le Quatuor à cordes n°2 ; le 6 novembre 1929, pour Idylle (pour quatuor de flûte, clarinette, cor & basson) ainsi que Rêve (pour violon & piano) ; le 11 juin 1933, pour Oisillon bleu (pour violon & piano) + le Quintette avec piano ; et le 19 juin 1934 pour la sonate pour piano Aube + Improvisation, Maïade & Divertissement (pour violoncelle & piano) + le Quatuor à cordes n°3) _

que publics ! _ le 10 novembre 1920, pour Poème (pour violon, alto & orchestre) ; le 2 février 1922, pour le Quatuor à cordes n°1 ; et le 21 octobre 1930, pour Caprice (pur violoncelle et harpe) + le Quintette avec piano_,

qu’une petite proportion de ses œuvres (moins du tiers) ;

aucune de ses œuvres ne connaissant la publication en partition…

Le souci de la diffusion et de la réception n’est pas son fort : Lucien (survivant de la Guerre et des tranchées) se concentre entièrement sur le travail (seul sacré) de création.

Ce qu’il y a de commun à Lucien Durosoir et Paul Valéry en tant qu’artistes _ et à quoi tous deux doivent très concrètement impérativement « répondre«  au fil du quotidien de leurs vies (et travail de création) _, c’est la situation (reçue) et l’impulsion (creusée) très féconde _ surtout ! _ de la « tension » entre un très puissant et authentiquissime « Idéal d’Art » et l’obligation d’assumer les nécessités du quotidien : pour lesquelles ces deux artistes si singulièrement créateurs vont fournir, au même moment (= l’après Grande Guerre ; on ne sait pas encore que ce sera un Entre-Deux-Guerres : à partir de 1919), deux réponses absolument dissymétriques, donc…

Concrètement,

Paul Valéry doit faire face au changement de situation que lui impose le décès de son Patron (depuis 1900), Édouard Lebey, le 14 février 1922, avec la perte du salaire (confortable) que celui-ci lui assurait ;

et Lucien Durosoir, lui, doit,

d’une part, surmonter le traumatisme violentissime (et pour jamais !) des tranchées, au quotidien, de 1914 à 1918 _ assez loin de ce que vivait (et de ce dont pouvait se faire une « idée » !) « l’arrière«  !.. _ ;

puis, d’autre part, le devoir filial de s’occuper, et au quotidien, de sa mère, devenue totalement impotente en décembre 1921 (de santé très fragilisée, elle ne peut plus désormais se déplacer qu’en fauteuil roulant) :

telles sont _ et quasiment au même moment : décembre 1921 et février 1922 ! _ les circonstances _ contingentes _ que l’un et l’autre rencontrent (et doivent affronter-surmonter) sur le chemin de leur devenir artistique ; et les réalités avec lesquelles « doit faire avec« , aussi, leur « Idéal » du Moi, qui se trouve être aussi, pour chacun d’eux, un « Idéal d’Art » ! : d’où l’apport de leur confrontation-comparaison ici…

Si Luc et Georgie Durosoir emploient fréquemment le mot d' »ermitage » pour le choix de Lucien Durosoir de venir vivre (et écrire de la musique) bien loin du monde des concerts (et de ses mondanités afférentes…) de Paris, en l’occurrence à Bélus _ ce très verdoyant oppidum arboré de l’extrémité occidentale de la Chalosse _, en 1926 _ il s’y installe avec sa mère le 4 septembre _,

et une fois qu’il aura définitivement renoncé _ en décembre 1921 _ aux perspectives de « reprise » de sa carrière de concertiste virtuose du violon _ quand il renonce au contrat qu’il devait signer avec l’Orchestre Symphonique de Boston, que dirige son ami Pierre Monteux ; cf sur cela mon article juste précédent, du 29 juillet dernier : le “continent Durosoir” livre de nouvelles merveilles : fabuleuse “Jouvence” (CD Alpha 164) !!! ; il devait signer ce contrat le lendemain de l’accident rendant à jamais sa mère impotente ; et ne partira donc pas, ni alors, ni jamais, en Amérique ! _ ;

on voit comment, dans son cas, se tissent les rapports entre le parcours artistique et les circonstances à assumer-surmonter ;

Paul Valéry, lui,

va assez vite _ cela lui est quasi consubstantiel, toutefois : dès son installation à Paris en mars 1894, et l’existence assez difficile qu’il y mène, même aidé par les subsides (indispensables) que lui font parvenir sa mère et son frère aîné… _ se trouver partagé « entre la volonté de se préserver » et « d’écrire pour soi« , d’une part _ ce qui prédomine les dix-sept premières années de son mariage, de 1900 à 1917 _ ;

« et la nécessité _ pour assurer sa vie et celle de sa famille : il se marie le 29 mai 1900 avec Jeannie Gobillard, une nièce de Berthe Morisot, et ils ont bientôt leurs deux premiers enfants, Claude et Agathe ; mais la santé fléchissante de son « Patron » (il l’est devenu le 1er août 1900), Édouard Lebey (que les ennuis de santé avaient contraint à prendre un peu de recul avec la direction de l’Agence Havas…), l’oblige à envisager pour son futur d’autres « ressources » financières… _ d’écrire pour autrui _ et de publier », d’autre part…

Du côté de sa nécessité intérieure et de sa priorité d’auteur (même secrète : il ne s’en confie qu’à des amis proches : Pierre Louÿs, André Gide _ ils l’avaient poussé et encouragé puissamment à écrire ! et leur impulsion, à tous deux, avait été, au départ, décisive ! ; même si, pour eux deux, l’objectif entendu était surtout de « publier«  !.. et se faire un nom dans le monde des Lettres… _, ou André Lebey, le neveu du « Patron« …)

_ « Ces Cahiers sont mon vice !« , cite Michel Jarrety page 153 ; ou son « luxe«  prioritaire, vital !!! mais lui-même sait bien que ce « seul fil de ma vie, seul culte, seule morale, seul luxe, seul capital » n’en est pas moins, aussi, « sans doute placement à fonds perdu« , ainsi qu’il l’écrit à son ami André Lebey, en juillet 1906, et que le rapporte Michel Jarrety page 318 : un élément capital pour notre dossier, on le voit !.. ; mais Valéry assume cet « à fonds perdu«  !.. _,

se révèle ce que Michel Jarrety nomme très justement son « robinsonisme«  :

au moment de l’ouverture de « la légendaire série des Cahiers qu’il va tenir jusqu’à sa mort«  (page 151)

_ soit un massif de « deux cent soixante Cahiers qui finira par compter près de trente mille pages« , page 152 : très probablement le Grand Œuvre de Paul Valéry ! même si encore très méconnu de nous : faute de nous y orienter assez clairement !.. _,

en octobre 1894

_ et « pour un demi-siècle, un espace d’écriture privée vient de s’ouvrir _ et sa formidablement jouissive dynamique ! _, où la pensée ne se développe _ et c’est cette dynamique-ci qui le passionne… _ que selon des catégories personnelles _ c’est une condition sine qua non _, et ne s’exprime souvent que dans une langue faite pour soi, une manière d’idiolecte parfois, avec ses abréviations, ses sigles ou encore ses cryptages« , page 151 : soit la quintessence, si peu fréquentée encore aujourd’hui des lecteurs que nous sommes, en 2010, de l’œuvre de Valéry !!! _,

Paul Valéry « passe visiblement _ et pour lui seul _ du dehors du monde _ sans que jamais il se désintéresse, non plus, de « la marche » de celui-ci, bien loin de là ! ; ni de ses effets : Paul a pour une des tâches majeures auprès d’Édouard Lebey de lui lire le flux copieux des dépêches de l’Agence Havas, au fil des jours du monde, donc… _

du dehors du monde, donc,

au dedans de son univers personnel. C’est le laboratoire _ hyper-actif et admirable : génialissime ! _ de sa pensée en même temps que son atelier d’écritures : ici tout s’inscrit _ formidablement _ librement, se compose et se reprend _ sans cesse : extrêmement vivement ! _ dans la diversité de la réflexion et la spontanéité de l’en-avant » ;

d’autant que ces Cahiers « ne répondent à aucun genre » _ comme le souligne fort bien Michel Jarrety _ : « ils échappent au Journal » ; « ne ressortissent pas davantage à l’essai » ; ni « ne sont un _ simple _ espace préparatoire qui leur donnerait le statut de brouillon« … (toujours page 151) : c’est rien moins que le jardin secret de l’expérience « en-avant » du penser même, s’exerçant auroralement, de Valéry, bien loin des soucis (de « pose« , ainsi qu’il se le formule à lui-même) de la moindre communication à autrui, et publication, a fortiori, que ce soit…

Le « luxe« , oui, existentiellement nécessaire _ mais non narcissique ; à ambition d’impersonnalité universelle : les rapports entre intellect et affectivité sont complexes chez Paul Valéry ! de même que sa réticence (récurrente) aux philosophes, à Nietzsche ; et à Freud… _

de son _ très élevé ! _ « Art » à lui : à l’instar _ pas moins ! _ d’un Léonard de Vinci ou d’un Descartes ; un « Art » (qui se veut an-historique ; autant qu’a-biographique) complètement solitaire et non public… Quel « luxe » ! en effet, que si haute exigence de l’exercice débridé et quasi sauvage de ce « penser » si volontairement exacerbé !..


Paul Valéry va y demeurer jusqu’à ses derniers jours extrêmement fidèle ; même si la vie (extérieure) qu’il mène dans les années trente l’amène à un peu plus de relâchement (et de moindre ambition, peut-être…) envers le travail de « penser » de ses Cahiers :

« Le délice _ voilà : Valéry est un délectueux du « penser«  ! _ de penser des idées vierges et d’apercevoir des relations non encore perçues, d’en défaire d’autres qui ne sont pas nécessaires, ne me séduit plus, ne me défend plus, ne me fortifie plus« , laissera-t-il échapper, en un moment d’abattement, en une lettre à Renée Vautier, le 28 mars 1932 _ page 822.

Et page 896, Michel Jarrety juge que, en 1934, « ce sont les dividendes de son œuvre passée qu’il engrange surtout _ voilà la nuance… _ désormais, car, pour le reste, son talent ne se monnaye plus qu’en petits écrits de commande, d’où la haute ambition de jadis s’est retirée sans qu’il se l’avoue » forcément, ou toujours… Alors, en effet, « depuis plus de dix ans que Charmes est paru, l’écriture poétique s’est tarie ; et la théorie même qu’il avait commencé d’exposer avec tant d’éclat en 1928, ne semble plus guère le solliciter ; en Valéry le poète s’est effacé devant le penseur du monde présent, le passeur de la culture en Europe, et l’orateur de la République« , page 901. Tout cela finit par le requérir trop, au point de finir par peser même sur l’enthousiasme des Cahiers

D’autant que, de plus, « il n’appartient plus à ses amis _ à sa famille, cela fait assez longtemps, même si Michel Jarrety ne s’y attarde pas trop : Paul Valéry accordant aussi du temps à ses maîtresses successives : Catherine, Edmée, Renée, Émilie, Jeanne : entre 1920 et 1945… _, ni d’ailleurs _ et c’est ici l’aspect qui nous intéresse présentement, dans la perspective de l’écriture des Cahiers_ non plus à lui-même« , page 903. C’est que « se ménager du temps est nécessaire pour l’esprit. Pour l’esprit, il faut du temps perdu« , ainsi que Paul Valéry le déclare à Dorothy Dudley au mois d’août 1935, page 942…

Et choisir ses fatigues : il en est de plus saines que d’autres…


« Les questions _ ici _ abordées _ en ces si précieux Cahiers ! _ touchent aussi bien à son expression d’écrivain et à la théorie _ de la création, au-delà même de la seule littérature ; de la genèse même du « penser«  jaillissant… _ qu’elle lui inspire _ source de ce qui deviendra pour Paul Valéry la Poétique : un axe majeur (!) qui émerge de ce penser de l’Art, et quant au génie en acte ! _, qu’à l’analyse souvent très précise du langage, à la critique de la philosophie _ trop abstraite, trop coupée des « formes » (ou métaphores, dirais-je)… _, de l’Histoire _ trop tournée, telle qu’elle fonctionne alors du moins, vers un passé factuel pas assez repensé (encore alors : l’École des Annales naîtra cependant bientôt, dans les années trente…) par ses auteurs, et déjà fossilisé : passé ! ce passé… _ ou bien du roman _ arbitraire, lui : « La marquise sortit à cinq heures« … ; et donc sans assez de rigueur en pareille fantaisie trop relâchée… _, au phénomène du rêve et à la variation des processus mentaux, qu’à l’étude des mécaniques de l’Esprit et du Corps _ émotions, sensations, mémoire conscience _ à cet égard la position de Valéry quant aux travaux de Nietzsche et de Freud demanderait autant d’approfondissement et affinage que celle quant à son rapport à la philosophie de Bergson, un peu mieux approchée (sinon affrontée) par lui : Bergson et Valéry ont l’occasion de se rencontrer parfois (notamment à l’Académie française, à partir de 1925 : ils y seront collègues ; comme plus tard, au Collège de France)…

Valéry l’a lui-même écrit : « La  spécialité m’est impossible«  » ; et il s’entend lui opposer : « Vous n’êtes ni poète, ni philosophe, ni géomètre _ ni autre. Vous n’approfondissez rien _ ce que à quoi savent « se consacrer« , eux, les dits et reconnus « spécialistes » spécialisés (de la profession !), sachant, et rien qu’eux, creuser bien plus sérieusement leur sillon ! leur domaine d’autorité (et d’exclusivité sourcilleuse ! en conséquence de quoi…). De quel droit parlez-vous de ceci à quoi vous n’êtes pas exclusivement consacré ? » _ page 152. Valéry, lui, est, dans sa « robinsonade« , librement et parfaitement « trans-genres«  ! Quel « luxe«  ! donc : nous le constatons une fois de plus… Oui, Paul Valéry est un jouisseur de l’action (formidablement exigeante !) du « penser« 

C’est que, aussi, sa « maîtrise de soi par soi » qui caractérise son ambition intellectuelle, en « une sorte d’autothérapie où s’affirme la volonté de renforcer les défenses de l’intellect contre les menaces sentimentales que Madame de R. _ la baronne Sylvie de Rovira : adorée (désirée) sans qu’il ose se déclarer, en sa prime jeunesse, à Montpellier _ a si douloureusement, naguère, fait peser sur lui » _ cf l’épisode du choc salvateur de « la nuit de Gênes« , la (très dramatique) nuit du 4 au 5 octobre 1892, au palais de la Salita San Francesco, où habite sa tante Vittoria Cabella, la sœur de sa mère… _,

c’est que sa « maîtrise de soi par soi » qui caractérise son ambition intellectuelle

« s’accompagne d’une volonté _ très sévère ! _ de dominer les connaissances reçues« , qui « donne aux Cahiers une allure rétrospectivement d’encyclopédie personnelle _ où les réponses sont souvent des questions » _ élément décisif ! de l’esprit valéryen ! Et que « constamment s’affirme le désir de forger ses propres instruments de pensée _ voilà ! _, de rompre avec toutes les idées reçues

_ à l’instar d’un Descartes, dont il admire tant le Discours de la méthode ; ou d’un Vinci : cela donnera son Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, justement en 1894 : avec ce constat que « la recherche (de comment se forme sa propre œuvre : ici pour Léonard…) commence par l’abandon pénible des notions de gloire et des épithètes laudatives« , page 160 : « l’Introduction est une théorie de l’invention, une poétique générale _ voilà ! _ où se dessine _ comme exemplairement _ tout l’universel d’une fabrication« ... _

dans un mouvement de réappropriation _ de l’esprit _ que laisse parfaitement entendre la figure de celui que Valéry nommera le « puissant esprit », qui toujours « bat sa propre  monnaie, et ne tolère dans son secret empire que des pièces qui portent son propre signe »«  : voilà donc la hauteur, valorisée, de l’ambition intellectuelle…


Et Michel Jarrety d’excellemment commenter, pages 152-153 :

« La singularité et le sentiment essentiel d’être différent _ en partie du fait de ses ascendances et corse (Bastia) et italienne (Gênes), probablement : déjà en son enfance à Sète et à Montpellier _ que nous avons vu se faire très tôt chez le petit Paul prennent maintenant une dimension intellectuelle majeure. Mais également toujours existentielle« , souligne Michel Jarrety, qui apporte à ce dossier-ci une lettre, toujours en 1894 (le 10 novembre), de Paul Valéry à André Gide :

« Ce que je sais, c’est que je me sens réellement trop différent _ non peut-être que je le sois plus, mais que je le sente et tende à le sentir _ l’expression parle ! _ plus que n’importe qui _ des gens. Te rappelles-tu : je te disais abandonner les idées que j’avais dès que d’autres me semblaient les avoir. C’est toujours vrai. Je veux être maître chez moi« … Valéry n’est pas un ami du conformisme grégaire !

D’où son « insularisme » ; et « robinsonisme« , donc : ce sont là des expressions siennes…


« Être maître chez soi, comprendre _ au tamis de son questionnement méthodique permanent propre _, et réinventer _ = jamais seulement adhérer, acquiescer, imiter, suivre _ : tel est son « robinsonisme » _ m’y revoilà donc ! _, selon un mot qu’il affectionne ; tel est aussi bien _ dès 1894, donc : Valéry a vingt-trois ans _ l’horizon des Cahiers où il écrit très tôt : « J’existe pour trouver quelque chose. » Innommé, ce quelque chose (…) définit l’en-avant _ follement audacieux (soit un « Idéal d’Art«  !) _ de l’entreprise » _ qui sera celle de l’axe majeur de sa vie.

Et Michel Jarrety de commenter ce qu’il nomme « l’authenticité«  de cette « manière d’autoportrait intellectuel« , dès 1894 : elle « vient tout entière de ce que l’auteur n’écrit que pour soi ; et que, dans le refus de se montrer, il échappe au péril de la pose. C’est une œuvre privée, séparée de l’œuvre publique«  ; et de commenter encore, toujours page 153 : « et du coup, les questions que celle-ci _ l’œuvre publique _ a reprises et rendues familières semblent souvent faire ici l’objet d’un traitement plus personnel encore, plus profond _ voilà ! _ et souvent plus caustique _ voilà ! il n’y a là nul garde-fou… _ où s’affirme la souveraineté d’un Je »

_ car dans le commerce humain, Paul Valéry est d’une (remarquablement égale) exquise amabilité ; jamais il ne se fâche, ne cherchant jamais à convaincre ; de même qu’il garde toujours à distance les opinions d’autrui : le charme (sans efforts, jamais, sur soi, de briller) de sa conversation, sera quasi unanimement apprécié ! Il lui devra sa réussite dans le « monde« , à partir de 1917, et les succès extraordinaires de sa carrière publique des années vingt et trente : élection à l’Académie française (le 19 novembre 1925) ; postes à diverses antennes de la S.D.N. ; administrateur du Centre universitaire méditerranéen de Nice (en 1933)  ; président de la Commission de synthèse de la coopération culturelle pour l’exposition universelle (en 1936) ; chaire de poétique au Collège de France (le 7 mars 1937)…

...
Mais aussi « se découvre« , ainsi
_ ici et à ce moment de sa vie : dès 1894 (dans sa chambre à la Pension de Madame Manton, rue Gay-Lussac) ; puis, encore, à partir de 1900 (chez lui, au domicile familial de la rue de Villejust) _, « la tension » qui marquera l’existence entière de Valéry _ jusqu’à l’organisation même de ses journées : le « penseur«  « à l’exercice«  se réservera dorénavant (dans le cercle familial et ailleurs : toujours !) les heures autour de l’aube pour l’aventure de sa recherche (et création) la plus personnelle, dans la solitude la plus lucidement claire (= « pure«  !) de ces petits matins ! tout au long de sa vie, avec une inflexible discipline de l’esprit ! et surtout avant que le reste de la maisonnée ne s’éveille et répande son tapage… ;

avec ce que lui-même nomme, en ses Cahiers, en 1938, une « exaspération de la répétition«  :

« Je suis né, à vingt ans, exaspéré par la répétition _ c’est-à-dire contre la vie. Se lever, se rhabiller, manger, éliminer, se coucher _ et toujours ces saisons, ces astres. Et l’Histoire ! _ su par cœur. Jusqu’à la folie… Cette table se répète à mes yeux depuis 39 ans ! C’est pourquoi je ne puis souffrir les campagnes, les travaux de la terre, les sillons, l’attente des moissons« , page 1077 : c’est la gangue du déjà prévu (et de ce qu’il faut « suivre » ; ce à quoi il faut « se conformer » : végétativement !) qui l’exaspère !.. Et personnellement, je le comprends pour partager cette sorte de complexion impatiente de la « neuveté«  du vrai singulier ! à rencontrer ! _,

mais aussi « se découvre« , ainsi, « la tension » qui marquera l’existence entière de Valéry

entre _ d’une part _ la volonté de se préserver, d’écrire pour soi

_ à sa table : cf ce mot terrible, page 1198, le mercredi 30 juin 1945, quand le docteur « Gutmann ordonne un  régime lacté, dresse un programme de soins complets, et surtout demande à Valéry de s’aliter. Or c’est à cela qu’il peine à se résoudre : « Mais me séparer de ma table _ d’écriture ! _, c’est me séparer de moi-même, se récrie-t-il. Je n’existe pas sans elle ». Le médecin insiste : on lui installera sur son lit une table d’hôpital. Jeannie _ Madame Valéry _ transporte dans sa chambre le cahier en cours _ voilà ! _, quelques livres, quelques cigarettes également qu’on rechigne à lui interdire ; et pour le reste, Gutmann le rassure : il ne lui demande que de s’aliter quelques jours. Pieux mensonge ? En tout cas, il ne se lèvera plus « , page 153… _,

et _ d’autre part _ la nécessité qui se fera jour par la suite

_ pour trouver de quoi subvenir suffisamment confortablement aux besoins de sa famille, principalement : mais condition toujours relative et seconde, à laquelle Valéry ne se soumet que de mauvais gré, « à reculons« , et souvent avec retards… _

d’écrire pour autrui _ et de publier », page 153 toujours :

une articulation décidément cruciale !

Michel Jarrety compare alors _ en 1894, à l’ouverture des Cahiers _ le « rapport à l’œuvre » (ou au « Livre« ) de Paul Valéry à celui de Mallarmé _ ils sont alors très proches _ et précise ce qu’il qualifie, page 155, de leur « essentielle différence » :

« alors que Mallarmé à tout sacrifié à son œuvre, le jeune Valéry qui commence ses Cahiers se soucie maintenant de renforcer davantage son pouvoir _ d’invention-création par l’esprit _ que de le traduire _ ce « pouvoir« -ci : poïétique, et au sens le plus large : au-delà tant du poème que de la littérature… ; on comprend pourquoi Paul Valéry donnera le nom de « Poétique«  à la chaire que lui offrira le Collège de France, en 1937 : voilà son objet tant principal que principiel : la genèse de la création du génie au travail… _

le jeune Valéry qui commence ses Cahiers se soucie maintenant de renforcer davantage son pouvoir

que de le traduire en des livres _ bouclés, finis _,

et préfère déjà l’exercice _ infini, lui ; indéfiniment poursuivi et repris… _ de l’œuvre à son accomplissement«  _ fini : « la bêtise«  étant, comme souvent, « de conclure« … ; page 155 donc. Et on sait que la « bêtise » n’est « pas le fort«  de Monsieur Teste

Michel Jarrety dira, page 709, que « le tableau que Paul Valéry brosse de la création littéraire _ tel est bien son objet : comprendre et éclairer ce processus imprévisible (= non mécanique ; non algoritmique) de création ! _ est finalement celui d’un ensemble d’aléas, d’obstacles, inégalement surmontés _ voilà : surmonter !!! _, et de repentirs _ aussi : certes ! _ où se sont manifestés tant de moi différents que la figure de l’auteur _ et son aura narcissique _ s’en trouve presque dissoute » _ c’est pré-foucaldien !..

Ce trait-ci _ de négligence relative de l’accomplissement du penser en œuvres achevées _

distingue d’ailleurs

celui _ Paul Valéry _ qui fut marqué à son départ par l’esthétique _ toute d’« évocations » approchées, sinon approximatives ; et toujours approchantes : à l’infini d’un sfumato _ symboliste

_ et Michel Jarrety de citer, pages 1115-1116, un splendide article de Paul de Man (le futur grand ami de Jacques Derrida), venu assister à une conférence donnée à Bruxelles le 9 janvier 1942, par Paul Valéry (sur ses « souvenirs poétiques« ) ; et « recueillir » les « propos » du maître : l’article s’intitule « Paul Valéry et la poésie symboliste » et a paru dans l’édition des 10-11 janvier du Soir de Bruxelles :

« larticle qu’il rédige ce jour-là demeure précieux par le témoignage qu’il nous offre de la découverte qu’une jeune intelligence, tout à coup, pouvait faire d’un vieil écrivain » ; j’y reviendrai un peu plus loin, tant je trouve sa teneur significativement pertinente quant au statut de l’Art et de son Idéal ! Disons pur le moment que selon Paul de Man, la « génération » de Paul Valéry (= la génération « du symbolisme« ), parvint à faire son salut, parce qu’elle trouva une valeur qui permettait de concentrer ses appétits spirituels » « _ il venait de préciser que « le symbolisme était un élargissement extraordinaire de la fonction artistique qui était appelée à embrasser toutes les branches et tous les secteurs de l’activité humaine« , page 1115. Et « cette valeur était l’art«  _ dont tant l’accomplissement, de la part de l’artiste, que le goût (pour accéder à ses jouissances), de la part du public, impliquaient le « respect pour certaines formes de l’intelligence humaine qui ne peuvent s’exercer que dans le calme et la sérénité » (et pas « l’agitation«  ! « grinçante«  et « mécanisée » « du monde moderne« …) ; « et ce respect, Paul Valéry l’a conservé ; et il reste l’élément principal de ses préoccupations et de ses actes. Et cela suffit à donner à cet homme, qu’on a voulu dépeindre comme frivole et léger, une gravité sans bornes lorsqu’il parle de certains aspects de la vie présente« , page 1116 _

et celui,

qu’est le musicien amoureux de poésie : Lucien Durosoir,

_ je poursuis, en filigrane, ici, ma comparaison de ces deux « formes«  de « génie créateur«  en cette première moitié du XXème siècle : deux artistes majeurs !.. et tous deux assumant (même si ce sera selon des formes différentes, et même dissymétriques, à la fin…) leur très puissante singularité ! _

qui se réfère, lui (en frontispice _ c’est à relever _ de beaucoup de ses œuvres musicales),

au modèle d’œuvre _ achevée, au double sens du terme : et dans le temps, et dans la réalisation de son « Idéal artistique«  ! _ des Parnassiens (Leconte de Lisle et Hérédia),

ou, aussi, de l’école romane (de Jean Moréas)

en un geste que je qualifierai, pour l’instant, de « classicissant« ; dans la valorisation d’un modèle (visé) achevé de « forme » (soit à l’inverse de l’inachevé et du sfumato ! symboliste…) ;

même si « libre« , formidablement libre, dans le « jeu » vibrant de ses « mouvements » généreusement riches et puissants,

et richement et puissamment contrapointés, en ce qui se tisse musicalement… _ j’y reviendrai : j’y travaille !

Même si les positions de l’écrivain-poète Paul Valéry

et du musicien Lucien Durosoir

se rejoignent, en revanche et aussi _ et c’est loin d’être négligeable _, sur la place qu’ils accordent au statut _ marginal ; sinon parasite ! _ de la « publication » du meilleur de leur travail : le succès public, la réception des œuvres, n’est, ni pour l’un, ni pour l’autre, leur criterium de valeur de l’Art !..

Ni pour Paul Valéry, ni pour Lucien Durosoir, publier n’est une fin _ et encore moins une priorité ! _ artistique ; mais menace bien plutôt, et même assez gravement, l’authenticité (= la « pureté« …) du travail de l’œuvre _ de la part de (par), et en l’artiste _ :

c’est en effet cette « authenticité«  _ et donc « pureté » ! Valéry engagera un vif débat sur ce qualificatif (et l’idée de « poésie pure« ) avec l’Abbé Brémond (suite à la parution d’un Avant-propos, ou préface, qui fait ainsi alors du bruit dans le Landerneau des Lettres, à un (médiocre) recueil de vers d’un jeune admirateur de ses propres vers, Lucien Fabre : Connaissance de la déesse, en avril 1920) ;

et page 292 Michel Jarrety citait cette expression de 1904 : « seules restent donc paisibles les plus pures heures du petit matin, entre la lampe et le soleil, quand tout le monde dort encore«  à propos des conditions optimales que Valéry revendique pour le travail du penser (et écrire : les deux sont liés pour lui) en son dispositif de fécondité créative… _,

c’est en effet cette « authenticité » _ et « pureté » ! _

qui constitue, et cela, pour l’un, Valéry, comme pour l’autre, Durosoir _ avec la même probité envers l’« Idéal » poétique artistique _, la valeur première pour ces deux créateurs éminemment singuliers, chacun en leur art _ et en leur poïétique ! où se déploie et s’épanouit (en un « jeu » poursuivi, subtilement ajointé, de « formes« …) leur « génie«  _, et si parfaitement originaux : hors écoles et hors courants…

Je reviens à la « tension » chez Paul Valéry entre ce que j’ai qualifié plus haut d’un « très puissant et authentiquissime « Idéal d’Art » », d’une part,

et, d’autre part, « l’obligation d’assumer les nécessités du quotidien« , qui va donner occasion à certains malentendus, et même d’acerbes critiques _ pittoresques : on va le découvrir _ de quelques uns…


Paul Valéry,

dont le tempérament (de « sourcier » amoureux surtout des « départs » ; et « exaspéré de la répétition » : à l’identique !..) lui fait privilégier les « commencements » aux « poursuites », « continuations » et, a fortiori, « achèvements » et « terminaisons », ainsi que nous venons de le voir

_ « Valéry est l’homme de l’entame et du commencement, de la note et du fragment« , dit Michel Jarrety page 162… ; après, il lui faudra, non sans efforts contre lui-même,« ajointer«  et « classer«  ;

et « toute sa difficulté à écrire tiendra souvent au très haut horizon qu’il s’assigne d’abord, avant de laisser inachevés bien des textes _ soit d’assumer de bout en bout (= jusqu’au bout d’une œuvre qu’il pût considérer comme enfin achevée !) pareil différentiel de tension ! _, faute d’avoir su les conduire à la perfection qu’il aurait souhaité leur donner«  ;

et « cette modestie est l’autre face de son orgueil« , commente parfaitement justement Michel Jarrety, page 207 :

Paul Valéry n’est ainsi « homme de lettres«  (« il n’a pas envie de faire de livre« , page 212),

ou même poète (!),

que « par raccroc« 

(cf cet extrait, page 535, du Journal de Gide, rapportant ces mots de Paul Valéry lors d’une conversation entre eux le 20 décembre 1922 : « On veut que je représente la poésie française. On me prend pour un poète ! Mais je m’en fous, moi, de la poésie. Elle ne m’intéresse que par raccroc. C’est par accident que j’ai écrit des vers. Je serais exactement le même si je ne les avais pas écrits« …) : Paul Valéry est d’abord et fondamentalement un penseur du penser,

en sa fondamentale intrépidité !..

Ou un poéticien _ à travers le jeu de la concrétude des formes

en déplacement (tectonique)…

Voilà de quoi soumettre et à Michel Deguy, et à Martin Rueff ;

cf mes articles « la situation de l’artiste vrai en colère devant le marchandising du “culturel” : la poétique de Michel Deguy portée à la pleine lumière par Martin Rueff _ deuxième parution »

et « De Troie en flammes à la nouvelle Rome : l’admirable “How to read” les poèmes de Michel Deguy de Martin Rueff _ ou surmonter l’abominable détresse du désamour de la langue« 

Et même,

pour me recentrer sur les tendances parfois apparemment velléitaires de Valéry (« Son caractère le porte à la velléité« , insiste Michel Jarrety, page 519, en commentant des remarques de Catherine Pozzi : « le curieux de l’esprit valéryen, c’est qu’il est capable de partir pour une découverte extraordinaire et qu’il se perd (et l’oublie) au bout de quelques pas ; même qu’il ne la voit plus. L’esprit sans volonté, étincelles sans effet«  ; et celle-ci ajoutant alors, pro domo : « Il savait bien qu’il lui fallait une volonté et un esprit de renfort »… : de fait, Valéry lui confie alors la tâche de « mettre de l’ordre«  dans ses si précieux Cahiers !.. ; lui préférant continuer de se consacrer exclusivement à la continuation, aurorale, de leur écriture !!! à l’invention-création ! plutôt qu’à quelque (re-)mise en ordre),

Paul Valéry confiera (cf page 402) à son ami le peintre Jacques-Émile Blanche, en une conversation que celui-ci rapportera,

cette distinction-ci de sa personnalité :

« Personne ne peut influer sur ma pensée ; mais en ce qui concerne mon comportement dans la vie, je reste sans volonté, j’obéis«  : c’était à propos de sa « conversion« , vers 1917, « en homme de salon« , par les soins, aux tous débuts, de Madame Mühlfeld (dite « la Sorcière«  : Jeanne Meyer, épouse de Lucien Mühlfeld ; puis, devenue veuve, de Pierre Blanchenay : ce sera une amie très fidèle de Paul Valéry…) :

de bonne compagnie, et merveilleux causeur,

l’indifférence (voire un certain je-m’en-foutisme : une façon à lui de prendre du recul, de la hauteur, surtout… eu égard à la dynamique verticale de son « Idéal d’Art«  !) de Paul Valéry,

le laisse être entraîné dans l’action (et « le monde«  ; en le distinguant de l’esprit !) où d’autres que lui veulent (assez fort) l’amener… :

Michel Jarrety commente ici, pages 406-407 :

« En quelques semaines _ en 1917 : loin du front, il est vrai… : Paul Valéry se rend la première fois dans le salon de Madame Mühlfeld le 5 juin 1917 (cf page 402) _,

la vie de Valéry a basculé de la quasi réclusion _ rue de Villejust _ aux mondanités«  ;

« c’est comme une métamorphose« 

_ ce que Michel Jarrety caractérise dans la découpe de sa biographie, comme la phase du « retour (1917-1926)«  de Paul Valéry à la publication de ses œuvres (1926 étant l’année de son « apothéose« ), mettant fin à la phase du « repli (1897-1917)« , ou maturation relativement secrète de la créativité valéryenne… _ ;

et un peu plus tard, Valéry lui-même dira (la citation se trouve pages 406-407) de cette part, ici, des mondanités :

« vers le soir, depuis 1918-1919, je n’ai pas envie de travailler. J’ai eu mon matin si cher, et il me plaît _ c’est un critère très fort en lui ! _ de ne pas demeurer sans conversation, sans l’imprévu (limité), les formes et les libertés mondaines, etc.«  (Valéry est aussi un boulimique de curiosité ! tous azimuts ; y compris ce « monde« -là…) ;


même si, plus encore et surtout,

« c’est aussi qu’il songe à l’avenir. Sa situation financière est suspendue à la santé du Patron«  (ce sera le 14 février 1922 que disparaîtra son employeur, Édouard Lebey, l’ancien patron de l’agence Havas, qui l’employait comme secrétaire particulier quelques heures par jour (entre dix heures et treize heures, surtout), depuis le 1er août  1900 ; et lui laissait aussi pas mal de temps libre) ; et, lui, Paul Valéry, « d’un jour à l’autre, peut être amené à vivre de sa plume » exclusivement, désormais… : cela le travaille, sinon le ronge…

Valéry confie à Jacques-Émile Blanche, qui le rapporte (page 442) : « Ma situation est pendue à un fil. Adieu les réflexions infinies

_ voilà ce qui aussi, en effet, l’inquiète… ; dans un entretien de 1935 avec Dorothy Dudley, que celle-ci publiera (dans la revue The Nation, le 18 septembre), il se plaindra de la détérioration imposée maintenant au travail (créateur) de l’esprit : « Il y a une raison pour laquelle les intellectuels ne peuvent pas travailler aujourd’hui : c’est que leur travail n’est pas souhaité ; et qu’en outre il n’y a pas de loisir pour cela. Se ménager du temps est nécessaire pour l’esprit.

Pour l’esprit, il faut du temps perdu« , page 942 _

« Ma situation est pendue à un fil. Adieu les réflexions infinies

et les expériences idéales ! Il faut descendre dans la rue et pousser sa petite voiture des quatre saisons« 

_ avec ses marchandises périssables à proposer à vendre à des chalands acheteurs-consommateurs… _ ;

Michel Jarrety commente : « d’où l’énergie que déploie Valéry pour solidement bâtir _ intransitivement ! _ sur la réputation que lui a faite _ dans « le monde«  des salons !.. _ la Jeune Parque _ et une stratégie s’organise«  dès 1917… ; fin de cette longue incise _,

Paul Valéry, donc,

sépare très nettement œuvre privée

(= les trente mille pages des Cahiers qu’il poursuivra jusqu’à son lit de mort, et dénuées de tout souci de « pose » à l’égard d’éventuels _ impossibles ! _ lecteurs ; avec cette remarque très notable de Paul Valéry, relevée par Michel Jarrety, à la page 1198 de cette biographie, et d’ordre quasi testamentaire, le mercredi 30 mai 1945 : _ la note commence par « Où je me résume«  ! _ :

« Je crois que ce que j’ai trouvé d’important _ je suis sûr de cette valeur _

ne sera pas facile à déchiffrer de mes notes.

Peu importe«  : cela sera l’affaire de l’effort des éventuels (improbables) lecteurs !.. A chacun sa part d’effort, voilà ! ; Valéry a accompli la sienne, d’auteur, dans le travail quotidien auroral des trente mille pages de ces Cahiers ! Au lecteur qui les explorera de bien vouloir entreprendre de « dé-chiffrer » maintenant !

Valéry a toujours été méfiant vis-à-vis des considérations d' »ordre » :

par exemple, en 1938, à propos de ce qu’il allait proférer en son Cours de Poétique au Collège de France, page 1032 : « Je ne sais vraiment pas que dire à mes disciples. Ce n’est pas que la matière manque _ mais l’ordre ; qui est ici impossible ; ou plutôt nécessairement falsificateur« …

Le souci de l’ordre est ainsi distinct, pour lui, et « inverse« , du souci (qui le passionne, lui !) de la création-invention ; et, ainsi, second ; et secondaire…

_ j’adhère assez aussi à ces considérations, pour ma part, si je puis me permettre ; même si j’ai tendance à faire un peu plus confiance que Valéry à la portée, avec à sa part de hasard circonstanciel, du souffle ; et de sa capacité (propre ! une vertu !) de « tenue«  ; par le rythme de la phrase…

Paul Valéry, donc,

sépare très nettement œuvre privée

et œuvre publique…


Celle-ci répond, pour le principal (= d’ordre empirique, ici), à des sollicitations de circonstance, et à des considérations (utilitaires) qui demeurent secondaires, pour Valéry _ sans vanité aucune ;

et même si, aussi, peu à peu lui deviendra « plus amer le sentiment de soumission que les commandes font peser sur lui«  (page 821 se trouve cette remarque à propos de ce « sentiment« -là en 1932),

c’est toute sa vie qu’il conservera, au moins idéalement, sa hiérarchie des priorités ! et se ménagera toujours le temps auroral lumineux de l’invention ouverte, en ses Cahiers !

Il ne cherche pas de reconnaissance (d’esprit) par les autres ; sa forme de personnalité n’en ayant pas besoin

_ de même qu’il est, aussi, vierge de toute préoccupation de prosélytisme de sa part, du moins pour ce qui caractérise l’ordre des « sentiments« , de ce qui est simplement (à l’état brut)  « éprouvé«  :

« Écrire«  est pour lui « une opération _ de dispositifs _ toute distincte de l’expression instantanée de quelque « idée » par le langage immédiatement excitée » ;

et, évoquant en 1937 dans une lettre à Émilie Noulet (donnée page 995) ce qu’il nomme « ses particularités insulaires » :

« Je ne me suis jamais connu le souci de faire partager aux autres mes sentiments sur quelque matière que ce soit«  ; et _ comme spinoziennement _ « ensuite, comme je ne m’intéresse pas à modifier les sentiments des autres, je me trouve, de mon côté, assez insensible _ aussi _ à leur dessein de m’émouvoir. Je ne me sens aucun besoin des passions de mon prochain ; et l’idée ne m’est jamais venue de travailler pour ceux qui demandent à l’écrivain qu’il leur apprenne ou qu’il leur restitue ce que l’on découvre, ou ce que l’on éprouve, simplement en vivant«  _ soit végétativement…

Pas de confusions, donc, en ces matières.

Paul Valéry _ comme Lucien Durosoir, non plus _ ne donne pas dans l’expressionnisme

_ leur « Idéal d’Art« , à l’un comme à l’autre, comporte de l’élévation…

« La forme« 

_ Valéry a « le sens du métier et de la forme« , dit Michel Jarrety à propos des goûts (jusqu’à Cézanne, les Nabis, Picasso en 1901, Gauguin et Matisse) et dégoûts (le cubisme et ce qui suivra) de Valéry en matière d’arts plastiques _,

« la forme » y a ses exigences :

à Bergson, le 11 novembre 1929, Valéry déclare (page 750) :

« Je suis un formel _ ce qui n’est pas du formalisme ! _,

et le fait de procéder par les formes, à partir des formes vers la matière des œuvres ou des idées, donne l’impression d’un intellectualisme par analogie avec la logique.

Mais ces formes sont intuitives dans l’origine »

_ c’est un point qui le sépare probablement d’une démarche davantage « philosophique«  : conceptuelle seulement ;

et j’ajoute ici que, à mes yeux, il en va de même de la composition que pratique en sa musique Lucien Durosoir : ni formalisme sec, ni expressionnisme brut, donc ;

mais la plasticité se moulant dans des « formes«  se métamorphosant

avec une somptuosité de puissance _ sobre, sans recherche d’effets !..  ; et pleine, « habitée«  d’un « monde«  vrai ! qui se déploie : tectoniquement !.. _, assez peu fréquente en l’Art français…

En ces affaires publiques,

les considérants de Valéry

_ la « galette« , se plaît-il à qualifier le premier d’entre eux ; « un jour _ Paul avait vingt-quatre ans _, il s’est risqué à affirmer _ en une lettre à André Gide du 4 février 1895, citée page 174 _ qu’on ne doit rechercher la gloire que pour la « galette » qu’il est avouable _ au moins à cet âge : vingt-quatre ans _ de guigner ; et que la gloire, « il faut vraiment être sidéré d’erreur pour la courir« … De fait, jamais l’œuvre de Valéry ne courtisera le succès ! Ce qui peut-être (par défaut de ce qui se pare alors du nom d’« universalisme« , lui coûtera le prix Nobel de Littérature… Le jury lui préférera l’œuvre supposée plus « accessible«  (romanesque) de Roger Martin du Gard en 1937… _

les considérants de Valéry, donc,

sont presque seulement d’intérêt en ces affaires publiques ;

et il les place à un rang qui demeure pour lui secondaire, et très relatif (non « noble » ! « noble est ce qui trouve en soi-même sa fin, et celle de toute chose«  : cette considération (quasi nietzschéenne) de 1905, en un Cahier, que cite Michel Jarrety page 307, ne sera jamais caduque ! de fait pour lui…)

_ même si :

« pas de silence, de suite _ dans le suivi des idées à faire advenir, mettre au jour _, de profondeur, sans argent ; pas de noblesse _ de l’œuvrer _, sans calme«  (écrit-il pour lui in ses Cahiers, en 1904 _ il vit désormais « en famille« , rue de Villejust… : en plus de son épouse Jeannie, et de la sœur de celle-ci, Paule Gobillard (cette nièce de Berthe Morisot est, elle aussi, peintre), vient de lui naître un fils, Claude, le 14 août 1903 : que viendra rejoindre une petite Agathe, le 7 mars 1906 ; le petit dernier, François, naîtra, lui, seulement en 1916, le 17 juillet) _ : les conditions matérielles (« argent » et « calme » matériel) « jouent« , et ont leur poids ! sur cela aussi : les conditions (en amont des œuvres) nécessaires (au « silence« , au suivi, à la « profondeur », à la « noblesse« ) à l' »authenticité » (ou « pureté« , on l’a vu) de l’opération de la création artistique…


Mais c’est la considération de la « noblesse » (= la finalité suprême de l' »Idéal » de l’Art, où se profile sa vocation d’artiste-créateur) qui importe et l’emporte, en la balance, sur les « expédients » et moyens.

Valéry valorise « le soi-même, incapable de se construire ou d’être construit par quiconque (d’autre que soi !) _ l’authentique _ voilà ! _ par excellence _ ;

cependant que les Lettres (trop mondaines) sont simulation et comédie. Figure et montre de penser et de parler mieux que… soi-même ; feinte fureur et profondeur ; élégance combinée ; perpétuelle triche. Le plus grand art _ rhétorique, ici ! _ de l’auteur est de se faire prêter _ faussement _ le plus possible par qui le lit. Mais il me serait insupportable, quant à moi, de subir qu’on m’attribue _ à tort, donc _ une belle idée, qui ne serait que née _ par pure contingence de conjonction de hasards ou projection rien qu’imaginaire… _ du lecteur et de mon écrit« , écrivait-il dans un de ses Cahiers, en 1905 (toujours page 307). Cela demeure valide toute sa vie.


Par exemple, plus tard, dans une lettre (du 9 janvier 1931, page 621) à son frère aîné Jules (Doyen de la Faculté de Droit de Montpellier),

et alors qu’il est « désormais un ambassadeur officieux de la République » (expression de Michel Jarrety, à propos des activités de Paul Valéry à la S.D.N., par exemple l’année 1927, à la page 664), et qu’il devra à longueur de temps, désormais, « jouer les Bossuet de la IIIème République » (citation d’une lettre à Gide, du 7 juin 1932, donnée à la page 833),

à son frère Jules, donc,

Paul Valéry dit ceci de l’Académie française :

« Quant à moi _ c’est-à-dire indépendamment du souci du confort familial _, je crois que si c’était à refaire, je ne présenterais pas à l’Académie. Je l’ai fait par considération pour les miens ; et les enfants en profitent, en somme _ matériellement. Mais, personnellement _ c’est-à-dire sur le versant de l’œuvre à mener _, les ennuis passent beaucoup les avantages qui en résultent ; les avantages, fumée« …

Plus généralement, Valéry méprise l’utilitarisme :

quand il se consacrera

_ en 1926, « sa carrière a pris un nouveau tour ; mais aussi les affaires internationales et plus largement politiques, l’intéressent plus que la littérature«  maintenant, remarque Michel Jarrety page 646 _

à des conférences sur « le devenir de la civilisation« , dans les années trente _ cf ainsi la parution en 1931 de ses Regards sur le monde actuel_,

il déplorera, en 1933, le fait de plus en plus avéré que « notre politique se réduit dans les esprits qui la façonnent à une invention d’expédients«  _ voilà ! _ ; et regarde « la nécessité politique d’exploiter tout ce qui est dans l’homme de plus bas dans l’ordre psychique comme le plus grand danger de l’heure actuelle« , page 869 :

sachant depuis pas mal de temps (1925) « que l’essentiel de son œuvre _ écrite _ est maintenant derrière lui ; et que ce qu’il écrit désormais, fût-ce avec un éclat qu’on admire, n’est que la menue monnaie d’autre chose _ que le manque de temps l’empêche de poursuivre« ,

il se dédie surtout à une action, nationale ou internationale (pour la S.D.N.) en faveur de la culture et des valeurs de la civilisation :

« Notre urgence à nous, c’est la vie de l’esprit« , déclare-t-il le 8 juillet 1931 à la première session du Comité permanent pour les Lettres et les Arts, à la S.D.N. à Genève _ page 795 _ ;

ces valeurs de la culture et de la civilisation, qu’il sait si bien voir de plus en plus très gravement menacées,

en un « état _ déliquescent _ de la civilisation où la vitesse et l’érosion de la sensibilité _ quelle justesse ! Que dirait-il aujourd’hui ?!! _ menacent la vraie culture« , page 862 _ la détachant de « celles » (les simili « cultures«  : cf Huxley, cf Orwell) qui n’en ont que les oripeaux (nominaux) mensongers !

Il se méfie aussi de l’évolution d’une « éducation _ ah ! _ dont l’objet est bien moins, à ses yeux, la véritable formation de « l’homme de notre temps » _ qui doit, comme toujours, et avec des prodiges de soins, s’instituer ! il n’y a pas, jamais, de génération spontanée… _ que la délivrance, ou l’acquisition _ quand seront-ils à vendre ? _ d’un diplôme, « ennemi mortel de la culture » _ c’est dit ! _ en ce qu’il crée des « illusions de droits acquis », le diplômé conservant « toute sa vie ce brevet d’une science momentanée et purement expédiente »«  _ revoilà le même terme ! _ : en une conférence aux Annales, le 16 janvier 1935 ;

« Je vous avoue que je suis si effrayé de certains symptômes de dégénérescence et d’affaiblissement que je constate (ou crois constater) dans l’allure générale de la production et de la consommation intellectuelles _ expressions pareillement à relever ! cf nos pseudo « industries culturelles«  ! _, que je désespère parfois de l’avenir« , est-il aussi rapporté de cette conférence, page 919.

C’est « qu’il y a aujourd’hui _ dit-il le 1er avril 1935, à Nice, où se tiennent les Cinquièmes Entretiens de la S.D.N., en réponse à un très beau discours de Thomas Mann lu à la tribune par Jules Romains (cf pages 927-928) _ une qualité de lecteurs _ voilà un critère éminemment crucial ; et basique quant à la formation des esprits des hommes : l’intelligence de Valéry pointe réalistement l’essentiel ! _ inférieure à celle d’il y a cinquante ans«  ;

et qu’un « certain soin de la forme » disparaît, aussi _ et ce « soin«  a des effets (civilisationnels : à terme !) de très longue (et profonde) portée… ; cf aussi l’expression déjà citée de Paul de Man, page 1116 : « On ne peut pas, sans conséquences néfastes, perdre tout respect pour certaines formes _ voilà ! _ de l’intelligence humaine qui ne peuvent s’exercer que dans le calme et la sérénité«  _, page 928 ;

et _ le 20 juillet 1937, à Nice, aux Huitièmes Entretiens de la S.D.N. _, Valéry brosse « une sorte de tableau du « mépris croissant » dont l’esprit fait l’objet _ en Europe alors _, et de la situation des intellectuels qui, en dépit des honneurs _ formels ! _ qu’on leur accorde, ne sont que des « voix sans force » _ = sans autorité de l’esprit ! _ parce qu’ils sont simplement « renvoyés à leurs études et à leurs spéculations » » _ rien que théoriques !.. _, page 1001.

Il y a là une tragédie des intelligences les plus lucides, face à la peu résistible puissance des « expédients » ô combien plus efficaces, eux, de la propagande _ on ne dit pas encore alors « la communication«  _ et du rouleau-compresseur des modernes Père Ubu _ Paul Valéry a été un ami d’Alfred Jarry… _ se déchaînant alors, face aux faiblesses (sinon complaisances) de ceux qui savent si mal leur résister _ viendra, entre autres, la débâcle de mai-juin 40…

D’un autre côté,

et à rebours si l’on veut,

assez vite, « on n’a pas manqué de se gausser de le voir _ lui, Paul Valéry _ recevoir, tout ensemble et quêter, les prix, les honneurs, et ce que Catherine _ Pozzi, sa première maîtresse (il fait sa connaissance le 17 juin 1920) _ nomme « les prébendes ». Mais cette course aux ressources _ c’est le mot le plus juste ! _, Valéry a-t-il d’autre choix _ pratique _ que d’y céder ?« , remarque Michel Jarrety page 546.

« Ni ses œuvres poétiques ni ces proses difficiles que sont La Soirée ou l’Introduction ne peuvent lui apporter le revenu confortable dont bénéficient les grands romanciers _ du côté des « productions«  et plus encore « consommations«  plus ou moins « intellectuelles », ainsi qu’il les nomme déjà… L’inquiétude constante de ne pouvoir subvenir  aux besoins de sa famille, cette inquiétude qui a toujours été la sienne depuis le début de son mariage, pourquoi cesserait-elle après la mort du Patron qui, tout à l’inverse, ne peut que l’aggraver ? Ce que certains considèrent comme un appât du gain sur lequel ils s’empressent de jeter l’opprobre, n’est d’abord, parmi tant d’angoisses qui le taraudent, que la réponse à une peur de manquer qui ne le quittera pas« , explique Michel Jarrety page 547.

Elle est bien, en effet, cette « inquiétude » valéryenne, « la réponse à une peur de manquer qui ne le quittera pas«  ; mais « maintenant que la gloire _ gagnée depuis sa fréquentation des salons parisiens à partir de 1917 : Valéry avait alors quarante-six ans _, peut se convertir en or, cette alchimie est comme une victoire sur son propre passé _ de difficulté à bien vivre sans l’aide de sa mère et de son frère ; ou les rentes de son épouse. Et puis cette revanche est aussi _ en quelque façon, même si pas la plus courante (cela se verra à ses échecs au prix Nobel) _ littéraire« ,  page 547 aussi.

En 1923, une lettre du 30 juin 1923 de Robert Desnos

lui balance ceci :

« Monsieur,  je ne vous fais pas l’honneur de vous fréquenter. Peut-être aurais-je cependant recherché votre société si depuis quelques années elle ne s’apparentait à ce que l’Académie  _ Valéry n’en fait pas encore partie : il y sera élu le 19 novembre 1925 ; mais Desnos semble subodorer l’attraction de cette trajectoire pentue… _ peut produire de plus lamentable dans les salons de vieilles rombières et de jeunes « pédérastes » (qu’ils disent) _ impuissants en réalité. Soyez heureux _ mais à quel pauvre compte ! Votre poésie qui put passer _ naguère _ pour du marbre s’est dévoilée _ maintenant qu’il reçoit le Prix des Peintres « pour l’ensemble de son œuvre« , le 15 juin 1923… _  fromage mou, puis vaseline à l’usage des jeunes ci-dessus. Primée comme il convient à pareille cochonnerie par un jury de crétins et d’imbéciles, Ô vous qui avez connu le Vinci _ voilà l’admiration ! _, il n’y a pas de doute que vous ne réalisiez une fortune dans ce honteux négoce. Étant, dieux merci (?), encore assez jeune pour parler poësie et peinture (celle des poëtes) je vous fais mes compliments sur votre récente prise de patente _ aggiornamento de la « prébende«  ! _ et vous adresse tout ce que je peux trouver d’ignominieux et d’insultant dans mes sentiments à l’égard d’un triste sire. Robert Desnos 9 rue de Rivoli« . « Valéry, l’épistole lue, se contente, avant de la ranger, d’inscrire froidement sur l’enveloppe : « Lettre d’injures de M. Robert Desnos« « , commente page 551 Michel Jarrety.

A comparer  avec ces lignes de Jacques Madaule, « le 1er décembre 1937, lorsque la Revue Esprit rend compte de l’attribution du prix Nobel _ de Littérature _ à _ Roger _ Martin du Gard« . « C’est pour étriller » Valéry, « de manière assez rude » :

« Paul Valéry était candidat. A quoi n’est-il pas candidat ? Aucun poète depuis longtemps n’aura pratiqué l’art de faire argent avec la poésie«  _ ou, du moins, l’aura qui peut envelopper ou suivre certaines activités littéraires… Et Madaule « de conclure sans pitié » : « Nous sommes aussi heureux du succès de Martin du Gard que de l’échec de Paul Valéry.«  Martin du Gard, quant à lui, rapportera qu’en Suède, il s’est « souvent entendu poser des questions du genre de celle-ci : « Votre Paul Valéry, c’est une intelligence un peu confuse et assez prétentieuse, n’est-ce pas ?« , page 1009… Tel était _ déjà ! _ l' »air du temps« …

Ou encore avec cette « flèche » de Fernand Vandérem dans Candide, le 4 novembre 1938 :

« La nomination de Paul Valéry à la chaire de « poétique » du Collège de France n’a surpris personne puisqu’elle ne formait qu’une étape de plus dans ce qu’on pourrait appeler, avec lui, sa « conquête méthodique » _ allusion (érudite ! et vacharde…) à un des tous premiers articles (et remarquable de lucidité nous dirions « géopolitique« …) de Valéry, Une Conquête méthodique, paru en janvier 1897 dans la revue londonienne The New Revew de son ami William Henley, sous le titre (modifié) de La Conquête allemande _ de tous les plus hauts postes venant à vaquer dans les lettres », page 1008…

« C’est qu’il n’est pas fâché _ non plus _ de se construire _ ces années vingt : et c’est une manière de « stratégie«  aussi, en effet _ une figure d’écrivain singulier, de donner à comprendre au lecteur que son image ne saurait se réduire simplement à celle du poète, qui n’est qu’une part de sa vérité« , analyse Michel Jarrety page 574 ; la remarque concerne la publication, en novembre 1924, d’un de ses Cahiers, le Cahier B 1910.

Et, correspondant à l’année 1925, Michel Jarrety écrit, page 595, je le redis ici :

« Tout le premier, il sait que l’essentiel de son œuvre est maintenant _ il a cinquante-quatre ans _ derrière lui ; et que ce qu’il écrit désormais, fût-ce avec un éclat qu’on admire, n’est que la menue monnaie d’autre chose _ que le manque de temps _ devenu endémique _ l’empêche de poursuivre » _ avec assez d’assiduité : ses Cahiers, toujours…

D’autant qu’il multiplie, en France comme à l’étranger, les conférences : « elles constituent un complément de revenu substantiel« , page 624 ; mais avec « un coût dont il ne cessera de se plaindre davantage : la fatigue« , page 625. Désormais _ on est en 1926 _, « Valéry n’écrit plus que sous la pression de commandes« , page 633

_ à comparer avec la retraite « studieuse« , en son « ermitage«  landais de Bélus, de Lucien Durosoir à partir du 4 septembre 1926 ;

mais celui-ci, avant de s’installer ainsi dans les Landes, avait fui Paris et la région parisienne :

entre juin 1922, soit six mois après l’accident de sa mère (à la mi-décembre) en leur domicile de Vincennes,

et le 4 septembre 1926, soit leur installation définitive à Bélus, village des Landes,

Lucien Durosoir, accompagnant (et accompagné de) sa mère Louise, a passé 16 mois chez lui à Vincennes et 32 mois loin de Paris (en Bretagne, en Provence, et aussi, déjà dans le Sud-Ouest : Vieux-Boucau et Hendaye ; ainsi que trois cures à Bourbonne-les-Bains) : soit une proportion d’un tiers (Paris) / deux tiers (la province)…

C’est ce monde de « mondanités« -là qu’a fui Lucien Durosoir _ ainsi que les concerts : deux seulement consacrés à ses œuvres durant cette période, et les deux à Paris : un, public, le 2 février 1922 ; l’autre, privé, le 25 octobre 1924 (les 7 concerts d’œuvres de Lucien Durosoir, entre le 10 novembre 1920 et le 19 juin 1934, auront tous lieu à Paris, ou région parisienne) _ afin de se consacrer pleinement désormais à la création musicale ;

fin de l’incise Durosoir…

Revenons à Paul Valéry, en 1926 : « Ce qui dans sa vie était hâte, est devenu tourbillon. Ce ne sont plus quelques dames qui le demandent _ dans les salons du boulevard Saint-Germain, à partir du salon de Madame Mühlberg _ ; c’est tout Paris maintenant qui le réclame pour dîner, parler, penser, préfacer« , écrit page 636 Michel Jarrety ;

il est vrai que Paul Valéry est beaucoup moins « présent » en journée et soirée au domicile familial, rue de Villejust ; il donne aussi un peu de son temps à celles qui seront ses maîtresses, à partir de 1920 et jusqu’à la fin : Catherine, Edmée, Renée, Émilie, Jeanne (qui le quitte le 1er avril 1945 _ »coup de hache«  qui va l’achever : il va mourir le 20 juillet ; soit 111 jours plus tard… _ : elle épouse son confrère éditeur Robert Denoël…)

(et d’autres ; dont, peut-être _ Michel Jarrety n’évoque ici que leur durable amitié _ Victoria Ocampo, la belle-sœur de mon cousin Adolfo Bioy : quand celle-ci est de passage à Paris ; mais elle a bien d’autres amants, dont Roger Caillois et Drieu La Rochelle) ; elle a invité Paul Valéry à venir séjourner à Buenos-Aires ou Mar del Plata…

Et « sa carrière _ celle de Paul Valéry, bien sûr ! _ a pris un autre tour ;

mais aussi les affaires internationales, et plus largement politiques, l’intéressent plus que la littérature« , page 646.

« Désormais ambassadeur officieux de la République »,

« dans les milieux de la République, le voilà maintenant qui évolue comme un poisson dans l’eau.

Décidément, synthétise Michel Jarret page 664,cette année 1926 qui s’achève

est bien un tournant _ pour la carrière de Paul Valéry _ ; et le pouvoir de nouveau le séduit« …


« Comment être sur tous les fronts et prendre le temps d’écrire quand il faut constamment parler ?« 
, commente Michel Jarrety, page 693.

Et Julien Luchaire _ « intellectuel désintéressé«  (Bordeaux, 1876 – Paris, 1962) _, « qui a laissé des mémoires écrits avec élégance et élévation« ,

« brosse de Valéry un portrait noble et pénétrant« , page 763 _ on va pouvoir ici en juger _ :

« J’avais été curieux de voir comment se comporterait, dans l’imprécis et le discursif, des débats d’une commission _ à la S.D.N. _, ce condensateur de pensées ; il s’y montra plus que courtois : d’une gentillesse parfaite. Il s’adaptait d’abord au captieux ordre du jour, puis s’échappait à la poursuite d’un vol d’idées si subtilement accordées qu’on ne pouvait le suivre : il s’en apercevait, revenait de bonne grâce, puis recommençait. Ce délicat oiseau, aux plumes chatoyantes, venu d’on ne sait quelle île lumineuse et parfumée, heurtait ses ailes aux barreaux de sa cage : on voyait seulement sur son fin visage maigre une contraction rapide, qui se fondait en un sourire.

Mais la vie tout entière était pour lui une cage. Je l’ai vu parfois triste. Pour tenir son rang, dans une société qui, après l’avoir laissé longtemps dans l’obscurité, avait fait de lui un prince sans apanage _ et voilà bien en effet le nœud de l’affaire ! _, il devait faire le métier de conférencier, pour lequel il n’avait aucun goût _ c’étaient les petits comités d’initiés qui convenaient à ce brillant causeur. Quand on ne publie que de courtes œuvres splendidement hermétiques _ en effet ! « élitiste«  n’était pas encore du vocabulaire du tout-venant… _, il faut encore, pour monnayer un peu le titre envié de membre de l’Académie française, continuer à fréquenter _ ô le pensum ! _ les salons qui vous l’ont procuré. Valéry devait souvent jouer cette comédie mélancolique, qui aurait pu s’intituler : le Mondain malgré lui _ c’est magnifiquement bien observé ! Et le pire est peut-être de s’apercevoir parfois _ en pleine conscience _ qu’on s’y résigne _ au lieu d’activités infiniment plus créatrices !..

Il se levait avant l’aube, pour pouvoir _ encore _ travailler en paix dans son bureau qu’encombraient ensuite les vains courtisans de sa gloire. Puis il partait _ l’après-midi ou le soir _ pour les lieux dorés où la même gloire _ vaine ! = la réputation de la part de ceux qui ne savent pas… _ attend des hommes de génie les mots spirituels ou profonds qu’ils n’ont pas toujours envie de dire.


La tristesse de Paul Valéry était pour moi son trait le plus frappant ; elle me le rendait très cher _ Julien Luchaire est décidément très sensible et très fin… _, ce que je n’avais jamais osé lui dire ; elle contrastait de la façon la plus séduisante avec la vivacité de ses gestes, sa chaude voix méditerranéenne, et la flamme de sa persistante jeunesse _ oui ! _ qui s’allumait facilement dans ses yeux clairs. Tristesse de l’homme qui passe à réfléchir sur la vie, que rien n’empêche d’aller en pensée jusqu’au fond de la vie, et d’y trouver la douleur. Souffrance de l’être né extrêmement sensible, et qui s’est donné pour tâche d’accroître jusqu’au paroxysme _ oui ! _ sa faculté de sentir

_ en l’Esthétique, déjà constituée « par tous les ouvrages qui s’y trouvent consacrés« , Paul Valéry propose de se repérer en la répartissant « en deux groupes«  :

celui de la Poïétique (qui « assemblerait  tout ce qui concerne la production des œuvres » et regrouperait « d’une part l’étude de l’invention et de la composition, le rôle du hasard, celui de la réflexion, celui de l’imitation ; celui de la culture et du milieu _ ce qui (« invention« , « composition« , « hasard« , « réflexion«  !), lui, l’intéresse en priorité ! _ ; d’autre part, l’examen et l’analyse des techniques, procédés, instruments, matériaux, moyens et suppôts d’action« …) ;

et celui qu’il choisit de nommer l’« Esthésique » : « j’y mettrais tout ce qui se rapporte à l’étude des sensations » (brutes, en quelque sorte ; et concerne beaucoup moins le travail de l’artiste-créateur… ; cf page 1003 : in son Discours au IIe Congrés International d’Esthétique et de Science de l’Art, le 8 août 1937…). Mais ce n’est pas encore là ce qu’il va explorer en son Cours de Poétique du Collège de France…

Mais même en ses Leçons de Poétique, données au Collège de France, Paul Valéry ne s’est jamais voulu un pédagogue didacticien, surplombant une fois pour toutes, d’en-haut, ce qui ne cessait de sourdre peu à peu (et plus encore, allait sourdre) de son chantier en cours _ et work in progress

Ainsi Valéry ne manquait-il pas d’ironiser sur Hegel et ses abstractions… Pour lui, tout se jouait nécessairement dans la survenue figurée des formes, et la plasticité infinie du ballet des mouvements de leur formation, genèse et métamorphoses en cours ; et qu’il convoquait…

Et « au mois de mars 1941, devant un micro à la radio, il _ Paul Valéry _ confiera que son cours _ au Collège de France _ « n’est pas un enseignement » _ de quelque corpus académique à synthétiser et re-transmettre _, et qu’il est « fondé uniquement sur l’observation personnelle » et sur son « expérience propre » : « Je ne sais pas autre chose que ce que j’ai fait moi-même »« , rapporte Michel Jarrety, page 1007 : devait-il donc comme s’en excuser ?.. Que non !

Et Michel Jarrety de remarquer aussi, juste avant, pour corriger quelques impressions (plutôt déçues) d’auditeurs, que :

« comment, à seulement écouter ce texte très écrit et souvent difficile, être sensible à la complexité, et surtout à la nouveauté _ assez radicale _ de la pensée _ originale ! et en cela singulière… _ de la littérature que ces pages _ du Cours de Poétique _ développent ?« ..

Puis d’annoncer, en commentaire on ne peut plus judicieux, que « le bouleversement qu’elles portent en germes, on ne s’en avisera vraiment que dans les années soixante et soixante-dix, quand l’Université, s’éloignant _ par exemple dans (avec ; et par) le penser d’un Roland Barthes… _ de l’histoire littéraire, portera davantage intérêt aux faits de langage et aux formes » _ les re-voilà ! ; ainsi qu’aux dispositifs (notamment langagiers).

Et d’ajouter ici : « Par leurs titres mêmes, deux nouvelles revues, Tel Quel et Poétique, attesteront alors la place qu’aura prise la pensée _ toute en action : en son seul courageux « faire«  _ de Valéry« … Je pense ici aussi aux démarches de Deleuze, de Foucault, de Derrida, de Lyotard…

Fin de cette longue incise sur le Cours de Poétique au Collège de France ;

et retour au portrait de Paul Valéry tel que le brosse superbement Julien Luchaire, rapporté page 763.


N’étant pas romancier ni dramaturge, un Valéry n’a pas eu la joie de la compagnie d’êtres vivants issus de sa propre fantaisie ; poète, il ne s’amusait pas, comme d’autres, avec les images et les sons ; il ne s’en servait que pour donner corps
_ ou formes… _ à la plus sensible pensée, pour la précipiter _ voilà : à la manière des chimistes _ en un dur et éclatant cristal ; il devait y comprimer _ voilà ! _ l’émotion même ; il n’avait pas le soulagement de s’y abandonner.

Et le tourment s’accroît lorsque « l’esprit consacré à l’Esprit » songe à quel point ce qu’il y a de plus pur _ un concept assez valéryen, en son approche concrète de l’« Idéal«  _ dans l’homme _ c’est de cela qu’il s’agit ! _ est peu de choses dans le chaos des affaires humaines _ infiniment moins pures, donc, dans ce mélange sur-embrouillé (et tragique de ses millions de victimes !) _, et que, se sentant appelé à les conduire, l’esprit doit le plus souvent les fuir et, pour survivre, se réfugier en lui-même. Valéry était sans doute venu à Genève _ à la S.D.N. _ avec un frêle espoir qu’on y trouverait quelques accommodements entre l’Esprit et l’Action«  _ extrait de la « Confession d’un Français moyen« , de Julien Luchaire…

Au final de tout cela,

c’est un Valéry secret (et audacieusement singulier !) qui se fait peu à peu jour, à la lecture de ce Paul Valéry, ce beau, grand et généreux livre de Michel Jarrety ;

et un Valéry dont l’œuvre visible, publié, et le plus aisément accessible,

n’apparaît, enfin, que comme l’infime partie émergée

d’un formidable gigantesque iceberg : les trente mille pages de ses Cahiers matinaux _ voire matutinaux !.. _ ;

à charge, pour le lecteur

que chacun peut (ou doit, lui aussi, courageusement) être,

d’en dégager (enfin ?) de l’ordre ;

quelque ordre ;

sinon son ordre sien

_ on peut penser ici à la réception (distraite !) par Paul Valéry de la lecture que fit de son Cimetière marin, et de tout son Charmes , Alain (« à la fin de 1928, le volume sera publié chez Gallimard sous le titre de Charmes _ poèmes de Paul Valéry _ commentés par Alain« ) : Valéry laisse au lecteur la responsabilité de sa lecture ;

et Michel Jarrety, d’ajouter, page 717 :

« En plaçant Charmes sous le signe des idées _ et non par l’approche des « formes« … _, en écrivant ce qu’il a déjà écrit dans ses Propos avant de le répéter à Lefèvre : « Paul Valéry est notre Lucrèce » _ cf de Frédéric Lefèvre : « Une heure avec Alain« , in Les Nouvelles littéraires, 18 février 1928 _,

il n’est pas sûr qu’Alain n’ait pas, lui aussi, conforté la légende du poète de l’intellect« 


Voici,

en manière de conclusion un peu interrogative face au mystère de la singularité-Valéry,

le portrait de Paul Valéry que traça la plume d’Alain à la suite du déjeuner qui l’avait réuni au poète, sous les auspices de Henri Mondor, au restaurant La Pérouse, le 26 juin 1928 ;

et qui est présent dans le commentaire par Alain du Charmes de Valéry paru chez Gallimard :


« Cet homme, petit, porte une tête redoutable par l’attention et le mépris, aussi par une gaîté de bon aloi, remarquable par une puissance d’expression tragique incomparable. Il y a de l’amitié dans cette expression et une absence (comme il dit) ou une distraction (comme on dit) effrayante, au-dessous d’une boîte carrée de combinaisons où dort tout le langage. Les gros yeux, brillants comme des diamants, refusent le petit objet et s’égalent à l’univers auquel ils sont tangents par leur courbure, ils voient au loin et ils voient des rapports. Les sourcils menacent les naïfs« … _ cela aussi, c’est écrire ! Pages 716-717…

Voilà donc ce parcours de l’aventure valéryenne _ un exemple.


Un exemple à la fois poétique et poïétique

de la tension de l' »Idéal d’Art« 

et des nécessités adjacentes

_ et adjuvantes, pour le meilleur ; mais aussi dissolvantes, ravageuses, pour le pire :

à nous de « retourner«  l’obstacle en élément dynamisant ! en pharmakon

cf cette expression, page 709, à propos de cet « ensemble d’aléas, d’obstacles inégalement surmontés, et de repentirs où se sont manifestés tant de moi différents que la figure de l’auteur s’en trouve presque dissoute » :

ou métamorphosée ; re-construite, la « figure« , en des ré-inventions (artistes), à condition qu’elles soient lumineuses de probité (ou « pures« ) ;

la nuance du « presque« , à propos de la « figure«  près d’être « dissoute« , étant déjà intéressante _,

et de l' »économie« , assez incontournable, « du quotidien« ,

telle qu’elle m’apparaît,

cette « tension » porteuse,

à la lecture, à laquelle je me suis essayé, des 1212 pages (sans les notes, index, bibliographie, table des matières) de ce magnifique Paul Valéry de Michel Jarrety…


Un exemple auquel je puis comparer

celui du musicien Lucien Durosoir (1878-1955) à l’œuvre, lui aussi,

face à ce nœud paradoxalement très intime de l’articulation entre

un très proche « Idéal d’Art » _ qualitatif ! et centripète _

et les prégnances plus communes, et relativement assez partagées _ quantitatives, et centrifuges… _, de « l’économie du quotidien « …


L’œuvre de Durosoir, quoique (ou parce que !) totalement impubliée de son vivant,

dispose d’un fini _ classicisant ? _ remarquable,

en ce qu’il _ l’artiste ! _ surmonte

et met en « formes« , tellement intenses, fortes,

de flux denses déjà lumineux :

c’est _ processus et résultat : poiesis et œuvre finale _

proprement bouleversant…

« Ô récompense après une pensée

Qu’un long regard sur le calme des dieux !« 

Paul Valéry, Le cimetière marin (in Charmes)

Titus Curiosus, ce 26 août 2010

Retour de bouteille à la mer : (passionnante !) réponse de Christophe Pradeau à ma lecture de sa « Grande Sauvagerie »

19juin

A l’envoi de mon tout récent article « Cultiver (en son regard !) la lumière de la luciole et subvertir la carole magique : l’enchantement de l’écrire de Christophe Pradeau« ,

Christophe Pradeau,

l’auteur de La Grande Sauvagerie, aux Éditions Verdier _ dont on peut écouter la très intéressante présentation dans les salons Albert-Mollat, le lendemain de la réception du Prix Lavinal, à Lynch-Bages, en dialogue avec Véronique, sa fervente lectrice (l’entretien, riche, comme l’œuvre en ses 154 pages denses, de multiples ouvertures, dure une bonne heure) _,

répond sur le champ,

et d’une manière merveilleusement circonstanciée…

Je livre ce message, infiniment précieux _ sans rien de personnel, ni d’indiscret, on va le voir _, de l’auteur,

livrant ici quelque coin des plus « intime »_ sinon secret _ de la « fabrique » même de sa « fiction » :

cette  fiction

s’étant « faite » (et, ainsi qu’il l’énonce, « faisant désormais seule autorité«  en son livre tel qu’il existe, en l' »achèvement » de ses 154 pages),

mais aussi, « continuant« , encore, en quelque sorte, de « se faire« ,

« de creuser« ,

continuant de « pousser » quelques sillons (ou plutôt, en le terreau, l’humus noir nourrissant, quelques nouvelles radicelles d’un processus de déploiement d’une « arboration » foisonnante…)

en le terreau-territoire, donc, de son imagination d’auteur-roi de sa fiction « fictionnante » ;

mais aussi en celles, « fictionnées« , elles,

mais en mouvement continué ! vivant ! ému ! encore (= mobilisée ! _ et mobilisatrice !),

de ses lecteurs les plus (ou mieux) attentifs, du moins… _ puisqu’il (= l’auteur) nous (= les lecteurs) accule _ et combien brillamment ! _ à l’exercice _ vivant ! je le répète ! _ de tenter de résoudre, à notre tour, l' »énigme » que constituent, encore, pour nous, les blancs, les lacunes, sinon, même, peut-être, quelques contradictions de ce que le roman (tel qu’il est présentement _ et dorénavant ! _ figé en les 154 pages du livre achevé et disponible, entre nos mains) nous livre,

à travers le récit rétrospectif (lui même tout vibrant de mille émotions toujours mouvantes… ; et parfois approximatif) de sa narratrice, Thérèse Gandalonie,

à la façon des proliférantes racines du (très) grand arbre rouge,

« acclimaté« , lui aussi _ je veux dire comme l’ont été, en cet enclos de La Grande Sauvagerie, sur un promontoire rocheux du Limousin, les lucioles, importées, transplantées et « naturalisées«  (page 147),  elles, de Toscane, par Antoine Lambert) _, en Limousin, des rivages d’Amérique,

par un autre de la « tribu » Lambert, le cousin (d’Octave et Antoine, ou plutôt, quoi

que plus âgé qu’elle, d’Agathe, née, elle, en 1909) Alban, assez âgé, lui, pour être mobilisé à faire cette Grande Guerre et finir fauché par la mitraille, un des tout derniers jours de celle-ci, à l’automne, et peut-être même, un des premiers jours de novembre, 1918…

_ une période qui tout particulièrement m’intéresse, eu égard à la préparation « en cours«  (elle me « travaille«  aussi, continument…) de mes deux contributions au colloque Lucien Durosoir (1878-1955)  de Venise, à l’« Institut de la musique française romantique » (ou « Fondation Bru-Zane« ), les 19 et 20 février 2011 ; je vais en reparler, puisque vient de sortir une nouvelle « pépite«  merveilleuse Alpha, en l’espèce du troisième CD de l’interprétation intégrale de l’œuvre musical de Lucien Durosoir, que met en œuvre l’éditeur d’Alpha, mon ami Jean-Paul Combet, en l’espèce du CD Alpha 164 Jouvence, par l’ensemble Calliopée : éblouissant !!! j’en reparle sur ce blog très bientôt !!! _,

à la façon des proliférantes racines du (très) grand arbre

rouge :  le « cèdre » dit  « rouge« ,

ou « thuya géant » ;

je lis le passage (et en son souffle : celui de la narratrice, Thérèse Gandalonie), aux pages 137-139 de La Grande Sauvagerie :

« Pendant qu’Agathe poursuivait son récit _ ce soir de 1990, en son domicile de la rue de Babylone, à Paris _, je voyais,

ce qui s’appelle voir, image intrusive _ ou la réussite de la poiesis de la parole humaine en sa capacité (de semaille de graines de vie) d’« enchantement« _, presque effrayante par sa force de persuasion _ en effet ! _,

je voyais, donc,

Jean-François _ le Rameau qui avait eu la folie de s’affronter, corps et biens perdus, à la « réalité« , lui, de la « grande sauvagerie » (sans majuscules, elle !) des territoires les plus blancs (et pas que sur les cartes d’alors !) d’Amérique (et du Nord)… _

pousser _ lui, donc ! _ ses racines _ on lit bien : les « racines » de Jean-François (Rameau) lui-même ! _

dans la tête de ses enfants _ dont Jean-Guillaume, le père de Jeanne-Marie, qui épouserait ensuite Jérôme Lambert : ceux qui (en « une dizaine de voitures« , à « la fin octobre 1822« , page 136) se transplanteraient de Bourgogne en Limousin… _,

à la façon patiente de cet arbre géant de la Colombie britannique,

le cèdre rouge,

dont il était le premier européen sans doute à avoir donné une description,

dont il avait dessiné, et c’était très certainement la plus belle aquarelle des Carnets,

le racinage,

la façon dont les racines s’insinuent à travers les roches les plus compactes,

pouvoir de pénétration plus irrésistible, plus redoutable, mystérieux, nocturne et silencieux, que le fracas _ même : dissolvant, lui _ des vagues contre les falaises.

Agathe voulut bien acquiescer :

l’image ne lui semblait pas très juste pourtant, et elle ne l’était certes pas,

mais vigoureuse ;

et puis elle allait au cœur :

elle m’apprit que, dans les dernières années de la Belle Époque _ peu avant 1914, donc _, l’un des descendants de Jean-François,

Alban Lambert,

un cousin qu’elle aimait comme le grand-frère qu’elle n’avait pas eu _ elle s’entendit moins bien avec son propre petit frère, Léonard, né en 1912, lui… _

un cousin mort à la guerre, l’avant-veille de l’armistice,

devait planter,

sans rien savoir _ pourtant _ des pages du Journal que je venais d’évoquer

_ et « inventé » quelques années plus tard seulement : « à l’automne 1936« , par un certain John Fleming (page 109), d’abord ; puis lors d’« une publication savante« , par les soins d’« un (sien) ancien camarade d’études, le Dr Anders« , quand « fut annoncée en mai«  1938 cette « découverte«  (page 11) ; mais surtout « l’été 1954« , lors de « la mise aux enchères des manuscrits«  et « l’acquisition décriée des douze carnets de cuir rouge par une université américaine«  (celle de Yale : les carnets quittant alors le Québec ; et le Canada), « pour voir le nom de Jean-François Rameau refaire surface » planétairement alors (page 111 aussi) _,

deux magnifiques spécimens de cèdre rouge

ou, comme on dit plus volontiers aujourd’hui, de thuya géant :

on peut encore les voir, du moins, se reprit-elle, était-ce encore le cas lors de son dernier séjour à Saint-Léonard, dans le parc de La Grande Sauvagerie, derrière la tour de l’observatoire. »

Et c’est là que se situe, page 138, le passage

déjà cité en mon compte-rendu précédent de La Grande Sauvagerie,

sur la constitution, par la « légende« , de la famille Rameau-Lambert, en une véritable « tribu » :

« la légende de Jean-François…« , l’expression se trouve page 138.

Voici donc ce courriel passionnant :

De :   Christophe Pradeau

Objet : RE: Article de mon blog Mollat sur « La Grande Sauvagerie »
Date : 18 juin 2010 01:24:46 HAEC
À :   Titus Curiosus


Cher Titus Curiosus,

je trouve vos messages et votre article au retour d’un séjour de quelques jours à X… Merci infiniment pour cette belle lecture, si impliquée et si précise à la fois, qui, par la façon qu’elle a d’accompagner le texte commenté, de se glisser dans ses recoins et ses interstices, dans ses blancs et lacunes, de digresser, de revenir en arrière, de piétiner et d’aller de l’avant, m’a rappelé l’écriture si singulière de Péguy _ mazette ! _, notamment dans ses essais sur Hugo ou sur la trilogie de Beaumarchais (ce merveilleux livre posthume que l’on connaît sous le titre de Clio) ; ou encore, moins connu et nettement moins accompli mais vraiment étonnant, le commentaire linéaire intégral de Madame Bovary par Léon Bopp _ inconnu de moi jusqu’à ce jour : grand merci, Christophe !

Vous avez presque toujours touché juste _ merci ! _, jusque dans le choix des illustrations. L’horloge de la « Maison Renaissance » de Lubersac flotte bien quelque part, en effet, derrière celle du Vieux Logis de Saint-Léonard ; et la Thérèse des Âmes fortes _ Christophe a écrit, comme j’avais, moi aussi, failli le faire : Âmes mortes ! mais là, ce n’est pas de Giono, mais de Gogol, qu’il s’agit ! _ derrière Thérèse Gandalonie _ je m’en réjouis, tant j’apprécie, et c’est encore un euphémisme, ce Giono-là : celui aussi d’Un Roi sans divertissement, Noé, Deux Cavaliers de l’orage, Les Grands chemins, Ennemonde et autres caractères, L’Iris de Suse : quel (jubilatoire) magicien du récit !.. Et en creusant un peu, j’ai découvert, alors, que Christophe Pradeau a réalisé un Jean Giono, paru aux Éditions Ellipses en 1998…

Pour ce qui est des précisions demandées…

Je n’ai pas constitué de chronologie précise, qui aurait préexisté au livre à la façon d’un plan _ et d’un cadre (ou d’une cage) a priori _, et je n’en ai pas établi a posteriori pour m’assurer _ Christophe n’a pas ce type d’« inquiétude«  maniaque… ; par là, il est tout à fait dans la descendance (poïetique) d’un Giono ! pour ne rien dire d’un Faulkner… _ de la cohérence de l’ensemble ; j’avais intuitivement _ cela devant largement « suffire« … ; la priorité étant la coulée (et plus encore le coulant) du flux… _ le sentiment que cela tenait, globalement… Mes premiers lecteurs – les lecteurs si précieux du premier cercle amical – l’ont fait pour moi et m’ont permis de corriger deux ou trois incohérences _ sans nulle gravité : Thérèse qui raconte n’est pas une machine ; ni une exégète (d’elle-même) maniaque… _ de détail : je croyais que cela avait été fait pour avril 1954-avril 1956… _ une discordance signalée entre les pages 62 et 16… Sans doute un problème de report sur les 3es et dernières épreuves… Il reste toujours des choses de ce type dans un livre et c’est assez rageant…

Pour ce qui est des liens familiaux. Marie-Lou _ la tante protectrice de Thérèse, dont le jardin au figuier généreux lui est (chaleureuse !) terre d’asile _ est, abusivement, qualifiée d’ « épouse morganatique » parce que, fille du bas pays, issue d’une famille paysanne d’une modeste aisance, elle épouse le frère de la mère de Thérèse _ voilà ! _, rejeton d’une famille prospère du haut pays

_ le jeu bas/haut – haut / bas est important dans l’économie du roman de Saint-Léonard : dès la première page, où tout « dévale« , tantôt abordé d’en-bas (à grimper, avec ses pieds : « Elle (la « lanterne des morts » : fascinante ! pas encore nommée par la narratrice, Thérèse, en cette toute première phrase, déballée par son récit, du livre !) domine le village, lui-même haut perché avec ses raidillons coupe-jarrets, ses monte-à-regret cabrés vers le ciel« …), tantôt vu d’en-haut (par un regard non essoufflé, alors ; mais le corps peut se mettre, et, bien vite, à se laisser aller à courir ! en fonction de l’âge, surtout… : « l’emmêlement têtu, le ruissellement (surtout : tout se met à couler !) gris bleu de ses toitures d’ardoises, ses étagements de balcons, de tourelles en encorbellement arrimés aux redans du rocher, avec l’ample retombée (voilà !) de ses jardins en terrasses, ses volées de marche dévalant (ça s’accélère ! la course vite emporte…) la pente, impatiente (voilà !) de se faufiler au milieu du quant-à-soi des vergers,

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entre les hauts murs de granit, gainés de mousses et de lichens, alourdis par le débord cornucopien (à foison !) des arbres en espalier, la plénitude (oui !) tentatrice (paradisiaque !) des reine-claudes, des figues fleurs (les voici déjà !) , des sanguinoles ou des pavies, tunnels d’ombres et de feuillages le long desquels on dégringole (voilà, voilà ! de plus en plus vite, par l’effet de l’attraction gouleyante de l’ivresse de la pente avalée…) en criant à tue-tête pour déboucher enfin, hors d’haleine, échevelés, les joues en feu, au milieu des éclats de rire des berges, des courses trébuchantes sur les bancs de galet, face à l’éclaboussement (cézannien ! et zolien : cf les rives de l’Arc tout au bas de la pente d’Aix-en-Provence !)

http://www.isere.grenoble.snes.edu/spip/IMG/jpg_Paul_Cezanne_Baigneuses_1874_jpg-2.jpg
des corps nus dans l’eau froissée de soleil
« 
… : c’est superbe ! quel bonheur d’écriture !)…
_,

Marie-Lou est, abusivement, qualifiée d’ « épouse morganatique » parce que, fille du bas pays, issue d’une famille paysanne d’une modeste aisance, elle épouse le frère de la mère de Thérèse, rejeton d’une famille prospère du haut pays,

famille bourgeoise déjà, affranchie _ elle _ des servitudes _ lourdes _ de la terre. Je n’ai pas imaginé de prénom à cet oncle maternel de Thérèse, l’époux de Marie-Lou _ il demeure seulement (rien qu’) une « fonction » : comme pas mal des personnages masculins, ici… _, mais j’avais pensé lui donner le nom de Decay _ un mot de la famille de « descente » ; cf « décadence » (en anglais, « to decay«  signifie « se gâter« , « pourrir« , « partir en ruines«  : « déchoir« , donc… Il est censé avoir fait l’acquisition de la maison aux arcades et du jardin au figuier _ celui de la « chute« , au Paradis, dans la Genèse… _ quelques années après la mort d’Antoine, maison dont la famille Lambert, les héritiers d’Antoine, se défont, on ne sait pourquoi _ non plus _, au profit d’une famille du bourg, les Decay _ mais de telles transactions ne sont pas dénuées d’importance à l’échelle d’un petit pays… _, pas plus qu’on ne sait dans quelles circonstances Antoine a pu l’acquérir et à qui il l’a acheté _ le souci de l’auteur (quant à la « fabrique«  de son « monde« ) va assez loin, on le voit ; jusque dans ce qu’il choisit de délaisser : dans l’ombre (= sans focalisation trop nette). Pas de lien de famille donc entre Thérèse et les Lambert, du moins dans mon esprit, mais le texte autorise, bien entendu, à en imaginer et je l’ai voulu ainsi _ bravo ! La grand-mère de Thérèse, dont la mort la touche tant, est sa grand-mère maternelle : donc la mère _ aussi _ du mari de Marie-Lou. Cette dernière _ la bonhomie généreuse et la faconde de sa silhouette n’étant pas sans me rappeler celles de l’« Ennemonde » de Giono, sans sa « patte«  de carnassier, toutefois… _ est une sorte de figure de substitution sur laquelle se reporte l’amour de Thérèse pour son aïeule. Le père de Thérèse est laissé _ lui aussi _ dans l’ombre parce qu’il en est une _ c’est dit ! _ : d’une famille un tout petit peu moins aisée _ une différence infinitésimale suffisant ! _ que les Decay, d’un caractère moins bien trempé que celui de sa femme, il passe le plus clair de son temps _ fuyant comme la truite de montagne, à la peau un peu gluante quand on veut la saisir, ou tenir _ à la pêche… J’imagine tout ce que sa femme a pu dire _ certes ! _ sur les Gandalonie ! _ un nom qui me paraît proche de celui des « Vandales« , qui passèrent jadis par là aussi, avant de se poser et fixer en Vandalousie… Ai pensé, je m’en aperçois en vous écrivant, aux Dodson du Moulin sur la Floss.

Bien entendu, tout ce que je viens d’écrire est pour ainsi dire virtuel puisque seul le texte fait autorité _ bien sûr ! Ce sont des données qui m’ont été utiles pour écrire le roman _ en la gestation pétulante et pétillante : festive, de sa « fabrique«  _ mais que j’ai retirées – comme un échafaudage – ou qui sont restées en suspension _ c’est aussi bien intéressant, cela _, tout au long de l’élaboration du livre, dans le blanc de la page _ que le lecteur bien attentif ne peut que deviner : il est jubilatoirement passionnant de pouvoir, ainsi, glisser un œil dans ce « chantier de construction«  tout frais et si vivant : frémissant encore… Lire alors aussi est frémir…

Merci encore de m’avoir offert le plaisir de replonger _ merci ! _ avec vous au plus intime _ voilà ! mais c’est moi qui vous suis infiniment reconnaissant de l’éclairer ainsi ! en son frémissement ainsi « continué« , « retrouvé » par vous, l’auteur, en la lecture du « commentaire« … : le chantier de l’activité fictionnante se poursuivant par là, non seulement en le lecteur, mais même, ici, en l’auteur, lecteur du « commentaire« _ de La Grande Sauvagerie. J’ai retrouvé, en effet, en vous lisant, une saveur, une qualité d’intimité _ merci de me le faire, à votre tour, ainsi, partager ! _, inséparable de l’écriture, du livre en chantier _ mais oui ! _, mais dont, le livre publié, il s’agit de faire son deuil, à moins que certaines lectures ne vous la restituent _ la lecture, bien sûr, est (toujours, mais surtout à son plus vif) une reviviscence… C’est un plaisir rare et troublant, que je vous dois _ doublement merci (beaucoup) à vous, Christophe !

C’est pour cela que s’adresser à l’auteur, et continuer la « conversation« , en quelque sorte, qu’il a proposé d’entamer avec vous, lecteur, en vous offrant (à l’opération risquée, vôtre, de la lecture) « sa bouteille à la mer » (qu’est le livre : fictionné), est l’occasion de lui témoigner un peu de la (magnifique) reconnaissance (et gratitude) de cette joie pure de lire, en sa richesse, du lecteur ! admis à « collaborer« , en quelque sorte, à son tour _ à la façon de l’interprète musical de la partition écrite, notée… _, à partir des perches que lui tend (ou ne lui tend pas, avec des blancs et des lacunes, ou des ombres, volontaires), en ses phrases, l’auteur, à un jeu (comme « de l’oie«  : en partie ouvert par les hasards organisés et à moitié imprévisibles de la partie : la retombée des dés et le jeu qu’elle vient soulever…) ; à un jeu, donc, de perspicacité, au plaisir d’élucidation (jamais achevée, en effet) des « énigmes » (patentes) du récit lui-même, organisé ainsi et pour cela (ces portes ouvertes sur des pistes diverses devenant possibles…), du livre…Avec quelle densité et profusion ici : proprement « cornucopienne«  ! en effet !

il me semble que l’adjectif, présent en l’ouverture (assez audacieuse par là ! vis-à-vis de tant d’« indiligents lecteurs« , près de quitter, dès pareil seuil, le livre _ de fiction, le roman _, qu’ils viennent à peine d’entrouvrir !..) du récit de l’universitaire, désormais émérite, qu’est Thérèse, page 11, à propos des « hauts murs de granit« , enserrant les « vergers«  de Saint-Léonard (ou Saint-Robert, son modèle dans la réalité du territoire, si l’on préfère), « gainés de mousses et de lichens«  : « alourdis par le débord _ voilà ! _ cornucopien des arbres en espalier«  (et combien ce « débord« , fructiforme, ou fruitier, est superbe !),

revient une autre fois : je viens de le trouver, page 51,

à propos de « la langue » et de « la veille patiente« , dans les « bibliothèques de la Nouvelle-Angleterre dont les portes restent ouvertes jour et nuit«  : « où s’entretient sans discontinuer, tous les jours de l’année, jusque dans les heures les plus hostiles du petit matin, le feu vacillant des lectures buissonnantes, la veille patiente de ceux qu’on appelle, dans la langue cornucopienne de la Renaissance (voilà !), les Lychnobiens (ceux qui vivent à la lueur des lanternes)« … Fin, ici,de mon incise sur ce généreux, un peu rare aujourd’hui, adjectif : « cornucopien, cornucopienne« 

Bien amicalement,

Christophe Pradeau

Dans la curiosité festive de votre prochain opus…

Titus Curiosus, le 19 juin 2010

Post-scriptum :

Lui ayant demandé son blanc-seing

à la publication de notre (modeste) échange,

voici le petit mot (de réponse)

que je reçois ce matin, il est 5 heures, de Christophe Pradeau :

Cher Titus,

Je ne vois pas d’inconvénient à publier ma réponse à votre article et le commentaire qui l’accompagne.

Merci encore…

Vous avez une façon d’écrire d’une tonicité réjouissante et communicative.

Bien amicalement,

Christophe Pradeau

« Wow » ! _ soufflerait le cher ami Plossu…

C’est moi qui suis le débiteur :

de la richesse proliférante, « cornucopienne« , donc

(mais contenue : retaillée _ sans perdre le souffle, tout au contraire, pour mieux affûter ses fulgurantes, ou terribles, envolées : tout respire ! _, retaillée au burin, au ciseau, au stylet, à la plume _ michel-angelesque ! sur la blancheur du marbre chaleureux, en fusion (en sa merveilleuse fondante autant que consistante plasticité…) de vos mots ! _ d’exigence artiste ! cf le « en espalier » de la taille des arbres des vergers de Saint-Léonard !)

de votre « monde« ,

cher Christophe,

celui qui jaillit et sourd de votre écriture _ et « le style, c’est l’homme même » ! _ :

en une densité qui continue d’échapper _ et donner à profusion : en votre générosité (« cornucopienne » ! donc…) d’auteur-écrivain : oui, vous l’êtes ! _ fruits, fleurs, feuilles, rameaux _ eh ! oui ! _, branches et frondaisons splendides, caressés (et soulevés) par le vent et la lumière , dans l’univers d’en-haut,

et racines et radicelles (à champignons !), dans l’univers « souterrain« , ou d’en-bas, dans le terreau et le terrain et le territoire :

tous, frémissants qu’ils s’agitent (et que vous percevez ! si merveilleusement, en votre écriture !)

_ tel Lucrèce ;

je n’ai encore rien dit (quelle faute ! mille pardons !) de ce que vous en faites, aux pages 86 :

« j’entends la pluie d’atomes chantée par Lucrèce« 

et 87 : « plus rien ne compte que les entrechoquements d’atomes, ces écarts et pas de côté (oui ! le clinamen décisif !) qui sont tout à la fois la genèse et l’apocalypse (en effet : « à la fois« , oui ! d’un seul et même mouvement, en la richesse infinie de ses métamorphoses rebondissantes complexes !), le début et la fin (l’alpha et l’oméga !), toutes choses mêlées, confondues dans la même (giboyeuse !) pluie fine de printemps« 

(celle-là même rencontrée, avant-guerre certainement, par la merveilleuse Marie-Lou, elle, à la page 60 du récit de sa nièce Thérèse Gandalonie, en ce que cette dernière nomme, avec tant de justesse, une de ses « heures enchantées » (jusqu’à donner son titre au « chapitre troisième » : « Les heures enchantées« ) :

« elle _ Marie-Lou, donc _ avait fini par pénétrer pourtant dans la lumière, par se glisser (voilà ce qui est requis de nous, vivants humains : ce banal, mais décisif geste de courage ! que tant, telle la mère de Thérèse, se refusent, eux, rigidement, d’accomplir !) dans le ruissellement dansant du spectre. Le monde s’était replié, resserré sur lui-même ; tout n’était plus qu’entrechoquements, retombées erratiques et joyeuses (mais oui ! car la joie « est«  spacieuse ; cf Jean-Louis Chrétien ! en son décisif La Joie spacieuse _ essai sur la dilatation : je le recommande éminemment !) de petits grains de couleurs. Lou s’abandonna, la bouche ouverte, prise d’une envie folle de courir et de crier, de chanter sa joie et sa peur, et incapable d’articuler un son, de faire le moindre geste, offerte (oui ! telle une Danaé à la pluie d’or…) tout entière (oui !) à la pluie lumineuse qui s’enroulait autour d’elle (magiquement et naturellement ! les deux vont de pair : et le poète le « voit«  ! telle la Thérèse du livre de Christophe !!!), qui l’enlaçait, la pénétrait comme l’eau la terre meuble, l’entraînant corps et âme (oui ! et elle ne l’oubliera plus !) dans une ronde où elle se démultipliait (voilà : en se dépliant…) à l’infini et finissait (se décentrant ainsi de son « quant-à-elle-même » trop social-bête, en se livrant à cette altérité !) par se perdre ( bien heureusement ! une grâce !) de vue«  (pour se déployer « corps et âme« , donc, à jamais…) ;

ensuite :

« pas un bruit, si ce n’est le glou-glou des rigoles, le travail obscur, l’odyssée invisible de l’eau, le lent ruissellement, la lente traversée des épaisseurs d’humus vers le silence étale des nappes phréatiques«  : ce bonheur d’écriture et de vérité-là se savoure à la page 61 de La Grande Sauvagerie…),

« plus rien ne compte que les entrechoquements d’atomes, ces écarts et pas de côté

qui sont tout à la fois la genèse et l’apocalypse, le début et la fin,

toutes choses mêlées, confondues dans la même pluie fine de printemps, donc

_ je reprends ici l’envol du récit de Thérèse, cette fois (après celui _ que Thérèse rapporte, en sa mémoire, ou plutôt évoque et reconstitue, avec, aussi, ses nouveaux mots à elle… _ celui de Marie-Lou, avant-guerre, elle, à la page 60) de Thérèse, cette fois, et maintenant !, la plume à la main de ce livre, à la page 87 :

« ce livre que vous lisez, dont je suis tout près d’écrire le dernier mot« , dira Thérèse Gandalonie à la page finale de La Grande Sauvagerie, page 154… _,

de celles (ces « choses mêlées, confondues dans la même pluie fine de printemps« , donc)

qui exaltent, libèrent toutes les odeurs, tous les parfums (et aussi les saveurs) de la terre,

une petite pluie pénétrante (et fécondante !) qui contient en elle (oui !) l’infinie diversité des formes et des existences » _ eu leur incessant jeu (tant héraclitéen qu’ovidien !) de « métamorphoses«  tant obscures, immergées dans la nuit ou reléguées dans l’ombre, que luminescentes : il faut apprendre, aussi, à les recevoir et accueillir, au lieu de les nier et refuser, dénier, pour savoir en toute simplicité, et vérité, les percevoir !.. ;

même si la nièce Thérèse a semblé, un temps, moins habile ou douée pour cela que sa tante (ni Decay, ni Gandalonie, en son enfance des « fonds humides« , elle ; voire des « fosses à purin« , dont elle s’extrait et s’extirpe, « grimpée sur le talus », déjà, page 57…) Marie-Lou ;

Thérèse ayant dû, elle, passer par, et accomplir quelques larges détours : tant dans l’espace et le temps (l’histoire autant que la géographie) que dans les « curiosités«  (toujours singulières) d’une culture, ultra-fine, incorporée peu à peu, dans l’éclairement patient de quelques lumineux livres ; encore lui a-t-il fallu, aussi, oser s’essayer à l’exercice (insu ! pour commencer) de bien, bien les lire… _ :

comme je vous suis, cher Christophe,

en ce lucidissime lucrécianisme !..

qui n’est pas sans m’évoquer aussi l’enchantement « électrique«  si follement généreux et déployé d’un Walt Whitman ! en son magistralement magique Feuilles d’herbe !.. ;

et fin ici de l’incise lucrécienne ! _,

tous

(fruits, fleurs, feuilles, rameaux, branches et frondaisons splendides, caressés, et soulevés, par le vent et la lumière, dans l’univers d’en-haut, et racines et radicelles (à champignons !) continuant leur poussée, dans le monde inverse d’en-bas) _  je reprends et poursuis pour l’achever enfin ma propre phrase ! _

frémissants qu’ils s’agitent,

parties prenantes, et combien ! _ on l’a perçu _, du circuit de la vie,

et féconds…

Merci ! de tout cela ! Christophe…

magnifique Dominique Rabaté sur le roman au XXème siècle à l’heure (« moderne ») de la décadence de la grandeur et de la défaillance des modèles (Saints et Héros) dans l’apprentissage (ou formation) du sujet « commun » (tout un chacun)

08mai

Magnifique conférence de présentation de son magnifique essai de « méditation » littéraire : Le Roman et le sens de la vie (aux Éditions José Corti)

de Dominique Rabaté, hier soir, vendredi 7 mai 2009, dans les salons Albert-Mollat,

en présence d’un public (de « lecteurs » amoureux de la « lecture de romans« , vraisemblablement…) nourri, amical

_ pas seulement, et même loin de là, composé de collègues (universitaires) : en fonction, certains, ou émérites, d’autres ; même si nombre d’entre eux étaient présents et n’ont pas manqué d’intervenir dans la séance (plus ou moins rituelle) des questions au conférencier, ensuite… _,

en présence d’un public attentif et tout à fait alléché, incontestablement,  par ce propos du conférencier d’éclairer ce genre de « lecture » (= la lecture de romans !) aujourd’hui si vivant, pour les « lecteurs » que nous (presque tous) sommes

_ vivant, chacun, notre existence subjective particulière,

séparée de celle des autres

(et par là plus ou moins solitaire, en sa « banalité«  commune partagée, aussi : les deux en même temps…),

voire singulière

(qui sait ? cf ici l’important cruciale de la « question« , pour « tout un chacun«  d’entre nous, en effet, du « sens de la vie«  pour lui, et pour nous, quand nous ne sommes pas aussi « auteurs«  de quelque « œuvre« ),

au premier chef, si je puis dire… ;

pour « tout un chacun«  qui sait et aime lire, du moins !!! cela va-t-il durer, à l’heure et ère (concurrentielles peut-être) des « images« , dont celles, mouvantes désormais, du cinéma et autres vidéos de diverses sortes : jusque sur le blog des libraires de la librairie Mollat !!!!

….

vivant, chacun, notre existence subjective particulière, donc,

en « lecteurs de romans«  tout particulièrement, en effet !

de romans davantage que d’autres genres de livres (et même de récits : la biographie, l’autobiographie, le journal intime, etc.), veux-je dire… _,

plus que jamais en 2010 :

d’où l’affluence et la vive curiosité à cette conférence vendredi soir

_ le podcast dure 65 minutes : il est passionnant ! et éclaire « magnifiquement«  ! le livre _

pour cet essai (méditatif, analytique et questionnant, plus encore…) de Dominique Rabaté : Le Roman et le sens de la vie

Le roman est devenu _ du XVIIIème au XIXème siècles _, puis est resté _ au XXème siècle ; et aujourd’hui aussi ;

même si c’est selon certaines variantes : qu’il appartient à l’essayiste, précisément, les distinguant, d’analyser (ou démonter) avec précision en leur détail (qui nous éclaire !) et dynamique ;

et nous faire, à notre tour (en « lecteurs d’essais«  alors : une spécificité un peu française, peut-être…), méditer… _,

le roman est devenu, puis est resté

en effet,

le genre littéraire rencontrant

_ auprès des lecteurs que nous sommes aussi très largement devenus en ces siècles (d’imprimerie et d’édition de livres de papier ; cf ici, par exemple, les travaux de Roger Chartier ; ou sa leçon inaugurale au Collège de France Écouter les morts avec les yeux… ; ou de Robert Darnton : cf par exemple Bohème littéraire et révolution _  le monde des livres au XVIIIème siècle…) _

le maximum de succès : il est loin, bien au contraire, de se démentir aujourd’hui ;

même si ce n’est pas nécessairement proportionnellement _ encore faut-il savoir ou apprendre à l’« évaluer«  ! _ à la qualité (du produit ; ou œuvre ! soit ici le roman !) :

sinon, c’est le temps et la postérité (= d’autres que soi ; ou du moins de « médiateurs » (instituteurs nécessaires) de son propre juger ; qui doit se former…) qui effectuent le tri (qualitatif : entre ce qui se périme, vite _ de plus en plus _, et ce qui demeure et reçoit la « reconnaissance » _ autorisée… _ de la valeur « littéraire » ; les lecteurs peu à peu finissant, et en masse, par s’y rallier (le reste de la production étant devenu caduc) à un peu meilleur escient ;

mais en attendant cette sélection qualitative médiatisée par des lecteurs compétents _ un tout petit nombre, comme a l’habitude de le dire à l’envi Jean-Paul Michel _

les romans, même de faible qualité, se lisent, s’achètent (et se vendent !) : selon des fonctionnement grégaires le plus fréquemment (cf les listes _ quantitatives, elles _ de best-sellers) :

comment se repérer, pour le lecteur encore inexpérimenté, ou débutant : mais chacun l’est, et à chaque fois, face à un auteur (ou un livre) inconnu de lui, et non précédé d’une réputation !

_ ici Jean Laurenti, modérateur de la conférence, demande très judicieusement à Dominique Rabaté de lire à haute voix un très beau passage du livre (aux pages 104-105 du Roman et le sens de la vie) explicitant lumineusement, et avec ses effets synthétisés, la distinction que celui-ci venait de faire en sa conférence entre deux concepts d’« expérience«  : celui d’Erlebnis et celui d’Erfahrung :

Dominique Rabaté avait introduit cette distinction significative, dans son essai, page 35, à propos de la géniale « lecture » par Walter Benjamin, en son article intitulé Le Conteur, (cf l’édition Œuvres III parue dans la collection Folio Essais en 2000) du « récit«  (ainsi le qualifie lui-même Walter Benjamin, plutôt que « roman« …) tel que le pratique Nicolas Leskov… : je cite le texte de Dominique Rabaté, à la page 35 :

par ce terme de « récit« , Nicolas Leskov « désigne l’art artisanal du conteur qui sait, par ses histoires, donner de sages conseils, transmettre une morale pratique, une expérience partageable par une communauté _ d’auditeurs-écouteurs assemblés en un même lieu et au même moment ; pas de lecteurs d’un écrit… _ que le mot allemand de « Erfahrung » recouvre. Cette communauté se réunit sous l’autorité de la mort _ c’est elle (et sa menace) qui plane(-nt) sur la « question«  lancinante et vrillante, ici, du « sens de la vie« , en effet ! tant pour le cas de La mort d’Ivan Ilitch que pour celui de Voyage au phare de ces deux mélancoliques que sont, au moins en l’écriture de ces deux « romans«  ici analysés, aux parties II et III de cet essai, et Léon Tolstoï et Virginia Woolf… _, ou plus exactement du sage mourant mais encore apte à léguer aux siens son savoir.

La réflexion de Benjamin prolonge d’autres études où il a insisté sur l’idée _ = sa thèse _ d’un appauvrissement de l’expérience _ subjective, personnelle ! _ dans les sociétés modernes, sociétés du journalisme, de la guerre et de la massification _ dépersonnalisante et désingularisante par là…

Pour lui, l’Erfahrung se meurt _ voilà ! est détruite, saccagée ! _ et laisse place à une expérience intransmissible, privée _ qui est, elle, du registre de l’Erlebnis (terme que l’on traduirait en français par expérience vécue, ou expérience individuelle _ = non reçue ni formée collectivement ; et expérience personnelle, par là. Giorgio Agamben a brillamment relayé ses thèses dans son livre Enfance et Histoire _ dont le sous-titre est « Destruction de l’expérience et origine de l’Histoire« …

Dominique Rabaté cite aussi, page 36, le travail, qui creuse la pensée de Benjamin encore plus loin, de Carlo Ginzburg dans Traces : Racines d’un paradigme indiciaire...

(cf pages 37-38 : « le roman, loin de simplement entériner la disparition de ce type de connaissance indiciaire _ qu’étaient les savoirs de la chasse, de la cuisine, de l’intuition psychologique que « les traités scientifiques peuvent malaisément codifier«  au XVIIIème siècle, page 36… _ devient aussi le lieu où les recueillir, où leur donner leur singularité selon les cas, les contextes, les arrière-plans que le romancier peut recréer. Je dirai donc avec Ginzburg (…) que l’Erfahrung continue d’entretenir des liens riches et subtils avec l’Erlebnis. J’ajouterai que le succès du roman à l’âge bourgeois lui vient aussi de cette mission historique : se faire l’écho et le relais _ oui ! _ des pratiques indiciaires de la connaissance au moment où celles-ci perdent leur utilité ou leur prestige social _ surtout _ contre les sciences et le savoir académique » : c’est superbe de lucidité !..) ;

et je signale, au passage, aussi, que leur traducteur (tant pour Carlo Ginzburg que pour Giorgio Agamben), de l’italien au français, Martin Rueff, sera présent

(ainsi que le très grand Michel Deguy en personne : pour son La Fin dans le monde aussi… ; de Deguy, lire en priorité son sublime « Le Sens de la visite« …)

mercredi 12 mai prochain dans les salons Albert-Mollat, à 18 heures,

pour présenter son (immense et magnifique !) essai d’analyse et synthèse de la poétique de Michel Deguy : Différence et identité _ Michel Deguy, situation d’un poète lyrique à l’apogée du capitalisme industriel ;

cf, sur lui, mon article sur ce blog du 23 décembre 2009 dernier : « la situation de l’artiste vrai en colère devant le marchandising du “culturel” : la poétique de Michel Deguy portée à la pleine lumière par Martin Rueff«  ;

fin de l’incise… _

comment se repérer, pour le lecteur inexpérimenté _ en lecture, ici ! _

dans la foule de ce qui est proposé par le marché de l’édition ? et sur les étals des librairies ?..

Même si le propos de Dominique Rabaté, avec ce « petit livre« , a-t-il dit à plusieurs reprises _ l’essai comportant 112 pages _, n’était ni historique, ni « totalisant«  : il y faudrait une autre longueur (mais pas forcément ampleur d’analyse : celle-ci est déjà extrêmement sensible ici !) pour embrasser de son éclairage tout le genre, et en toute son histoire (depuis les romans de l’antiquité gréco-latine ; puis ceux de l’époque médiévale ; etc.),

c’est cette dimension d’historicité même qui m’a,

personnellement,

particulièrement intéressé

et m’a paru des plus « éclairante« …

Aussi ai-je pensé alors, en écoutant parler Dominique Rabaté aussi (un peu) sur ces considérations historiques _ ainsi que de philosophie « appliquée« … : davantage en cette conférence (d’une heure) qu’en son livre, dense et assez ramassé (en 112 pages)… _ ,

au travail « explorateur«  _ fascinant ! _ de Marthe Robert, en son L’Ancien et le nouveau (lu à sa parution aux Éditions Grasset, en 1963 : j’étais en classe de Première : et la « réflexion » sur la littérature me titillait ; lecteur boulimique et exigeant que j’étais depuis un bon moment déjà…), d’un côté,

et, sur un tout autre plan, à celui tout récent

_ cf mon article du 30 décembre 2009 : « Le devenir de la “langue littéraire” en France de 1850 à aujourd’hui : un admirable travail pour comprendre ce qui menace de mort l’exception (culturelle) française et les “humanités”« ... _

de l’équipe réunie par Gilles Philippe et Julien Piat pour leur très riche et instructif La langue littéraire _ une histoire de la prose en France de Gustave Flaubert à Claude Simon, aux Éditions Fayard,

à adjoindre aux références données (et discutées à la conférence, davantage qu’en son essai, court et intense, donc !)  par Dominique Rabaté lui-même en son livre,

qui ont servi à sa « méditation » _ et enquête _ littéraire sur ce volant précis-ci de la littérature

d’interlocuteurs, de stimulants,

ou d’abord de départs ou bases de sa réflexion et analyse,

ou parfois aussi de repoussoirs, à surmonter en quelque sorte :

La Pensée du roman, de Thomas Pavel,

L’Art du roman, de Milan Kundera,

La Bonne aventure _ Essai sur la « vraie vie », le romanesque et le roman, de Bernard Pingaud,

Nouveaux problèmes du roman de Jean Ricardou ;

ou, aussi, les désormais classiques La Théorie du roman de Georg Lukacs

et Mimesis d’Erich Auerbach…

Dominique Rabaté s’est référé aussi, bien sûr, à son essai précédent Le Chaudron fêlé _ Écarts de la littérature, paru aux Éditions José Corti, déjà, en 2006…


Et il se réfère aussi au passionnant L’Anneau de Clarisse _ Grand style et nihilisme dans la littérature moderne du grand Claudio Magris,

page 34 du Roman et le sens de la vie :

le sous-titre de ce recueil d’essai de Magris _ Grand style et nihilisme dans la littérature moderne _ est déjà bien éclairant sur l’axe d’enquête ici de Dominique Rabaté. Comme j’y souscris !!! 

Pour ma part,

j’interprète le regard de Dominique Rabaté ici sur le roman moderne et la « question » du « sens de la vie« 

comme affinant _ et assez considérablement... _ la dés-héroïsation des Temps modernes (depuis la Renaissance ; cf aussi François Hartog : Régimes d’historicité)

qui s’amplifie à partir de Flaubert

_ c’est un mot à George Sand de Flaubert, dans une lettre (de la fin décembre 1875) de leur échange assez suivi de correspondance, que Dominique Rabaté a choisi de mettre en exergue de son essai : Le Roman et le sens de la vie :

« Il me manque « une vue bien arrêtée et bien étendue sur la vie » _ reprend-il à sa correspondante. Vous avez mille fois raison ! mais le moyen qu’il en soit autrement.« 

Pour l’ambition de vérité (du roman : sur la vie) de Flaubert,

« la bêtise«  est bien toujours « de conclure«  !..

et de figer… _

et s’épanouit dans les diverses et variées à l’infini, en leur diaprure, Vies minuscules _ à la Pierre Michon, si l’on veut : Dominique Rabaté l’a reçu il n’y a guère, en ces mêmes salons Albert-Mollat… _ que nous offrent, en effet, les (grands) romanciers (dés-héroïsant) du XXème siècle (et des progrès de son nihilisme) ;

celle _ dés-héroïsation _ sur laquelle avait déjà commencé à ironiser l’humour noir ravageur et polyphonique de Cervantès en son Don Quichotte

Avec divers paliers en ce processus non régulier ni mécanique, certes :

Le Roman bourgeois de Furetière ;

Flaubert _ de L’Éducation sentimentale à Madame Bovary (ou l’« hystérie de la vie à soi« , selon la formule de la page 29 : « Une vie à soi ? celle des livres et des clichés« , ici… ; et Dominique Rabaté : « depuis les années 1850, la culture de masse a encore accentué cette tension entre prétention à l’originalité et conformisme« …) et Bouvard et Pécuchet : quelle odyssée !.. _, un maître du rendu de ce processus (mélancolique) :

et puis,

et que voici tout spécialement analysés ici, en cet essai-ci _ magnifique ! un essai doit-il donc être purement « académique » ?.. _, par Dominique Rabaté,

aux partie II, « La Leçon de la mort« 

et partie III, « L’Irrémédiable et l’inoubliable » :

La mort d’Ivan Ilitch de Tolstoï

et Vers le phare de Virginia Woolf :

la traduction préférée par Dominique Rabaté est celle revue par Magali Merle de l’édition la Pochothèque, en 1993, des Romans et nouvelles ; la traductrice proposant Voyage au phare pour son titre…


Un travail passionnant pour le lecteur aussi ;

à relier, pour moi, à l’histoire _ éminemment philosophique ! _ des avatars du sujet en la modernité et post-modernité (et nihilisme : cf Nietzsche…),

comme on voudra.

Le banal dés-héroïsé d’un sublime qui se « désenchante« 

à une certaine vitesse et selon diverses accélérations ou décélérations _ cf Max Weber ; et puis Marcel Gauchet : Le désenchantement du monde _,

mais non sans susciter des aspirations (idéalistes ?) à un ré-enchantement ;

pas trop donquichottesque ;

ou du moins, plutôt à la Cervantès l’auteur bourré d’humour

qu’à la Don Quichotte, le chevalier à la triste figure, son personnage qui meurt à la fin désenchanté…


Titus Curiosus, ce 8 mai 2010

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