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Du premier mariage et de certaines carrières politiques _ quelques exemples à méditer…

27sept

Stanley Cavell valorise, à partir de l’exemple du cinéma hollywoodien _ cf son passionnant Philosophie des salles obscures _, la « comédie du remariage » : au-delà d’un premier mariage (naïf et inexpérimenté : (encore) pauvre en vraie conversation…)…

Martine de Gaudemar, en son excellent La Voix des personnages, en fait l’exemple-modèle (civilisationnel) des conversations réussies…

Cf mon article d’hier : Le chantier de liberté par l’écoute du sensible, de Martine de Gaudemar en son justissime « La Voix des personnages »


Je renvoie, une nouvelle fois, aussi _ et bien sûr ! _, à l’excellent _ et décidément indispensable ! cf mon article du 11 novembre 2008 : la pulvérisation maintenant de l’intime : une menace envers la réalité de la démocratie _ La Privation de l’intime, de Michaël Foessel…

En ajoutant que n’existent pas que des « mises en scène » (volontaristes et calculées) « politiques des sentiments«  : pour reprendre le sous-titre de ce très remarquable essai, en 2008  ;

mais aussi des stratégies (beaucoup plus fines ! et très efficaces !) d’invisibilité (c’est-à-dire de _ relative : pour des cercles plus restreints… _ discrétion publique)…

Et voici que je découvre ce matin dans Libération ceci :

Le socialiste ariégeois Jean-Pierre Bel, successeur annoncé de Larcher au Sénat ,

sous la signature du correspondant de Libération à Toulouse.

A comparer avec la trajectoire, à Neuilly, et dans l’entourage d’un précédent maire et président d’une haute assemblée de la république, d’un haut stratège de nos institutions républicaines…


A méditer, simplement...

26/09/2011

Le socialiste ariégeois Jean-Pierre Bel, successeur annoncé de Larcher au Sénat

JP Bel

Jean-Pierre Bel. Photo : Reuters

POLITIQUE.

Il a été maire de Mijanés dans la montagne (91 habitants) avant d’aller, plus en aval, reprendre Lavelanet à la droite en 2001. Ce sénateur réélu dès le premier tour à 76,21% des grand électeurs de l’Ariège en 2008, n’a aujourd’hui plus de mandat municipal dans ce département ?

L’association des maires s’est aussitôt rebaptisée AMA, Association des maires et des élus de l’Ariège pour pouvoir le garder comme président. Écharpé de bleu-blanc-rouge et cassant la graine à belle dent dans les comices agricoles, l’étudiant trotskyste en Droit des premières années 70 à Toulouse, Jean-Pierre Bel a réussi sa première métamorphose.

La seconde est à venir. À 60 ans au mois de décembre, le président du groupe socialiste au sénat qu’il est devenu en 2004 pourrait être élu samedi au «plateau», à la présidence du sénat tout entier.
…«Bel vient de changer de dimension, il a changé de braquet», analyse son vieil ami et voisin, le sénateur des montagnes haut-garonnaises Bertrand Auban.

Les deux compères partagent depuis trente ans le même itinéraire politique: ils ont été «pour Lionel» à l’arrivée de Jospin dans le Sud-Ouest en 1986, puis tenants d’Emmanuelli en 1994 avant de revenir vers Jospin pour être aujourd’hui partisans de Hollande.

«Ce garçon sait toujours se rétablir», apprécie cet élu d’un gros bourg ariégeois qui livre la recette de «la gauche conservatrice» telle qu’elle se pratique du côté de Foix: «être consensuel et prudent, avoir des convictions mais ne se fâcher avec personnes».

C’est dans cette Ariège aux manières politiques un peu rugueuses que Jean-Pierre Bel a exercé d’abord toute sa diplomatie naturelle. Une façon d’être et de faire qu’il a pu développer une fois élu à la Haute Assemblée en 1998.  «Comme certains diraient, il se la pète pas», reprend Bertrand Auban selon lequel Bel a cette double qualité de n’être «ni énarque ni parisien» dans ses comportements.

..;

Bel est aussi celui qui a élaboré le projet PS de réforme des institutions en 2007. La mécanique politique est son domaine. Adhérent du PS depuis 1983, le prétendant au Plateau a tôt pratiqué l’appareil de l’intérieur: directeur de cabinet de son beau-père président du Conseil général puis secrétaire de cette fédération.

..;

Tout en douceur, toujours. Il ne monterait que «rarement en première ligne, caricature gentiment un ami. Ce n’est pas un grand courageux». Ainsi, s’il a pris le risque de sortir du bois en juin et de froisser une Martine Aubry défendant le non-cumul des mandats, c’était juste pour ne pas risquer de froisser les sénateurs à quelques mois du scrutin. Sinon, il est d’accord avec elle, explique en substance cet ami: Il a seulement proposé de reporter le débat en 2014…

Les trois, quatre, voire cinq jours qu’il passe au Palais du Luxembourg entre les plénières, les bureaux de son groupe et les assemblées de bureaux ne le privent toutefois pas de vivre sa vie. Il n’habite plus nulle part en Ariège où il ne vient plus que s’occuper de ses maires et couper du ruban. Il a vendu sa maison à Lavelanet. Remarié à une cubaine, il est allé s’en faire construire une en Espagne, à Rosas. On est prié de ne pas l’y déranger.

GLv.


Titus Curiosus, ce 27 septembre 2011

 

la traversée du siècle d’un honnête homme (et beau garçon) en quelques fécondes rencontres d’artistes-créateurs en des capitales cosmopolites : le parcours de Peter Adam de Berlin à La Garde-Freinet, via Paris, Rome, New-York et Londres

02mai

Non sans quelques points communs _ nous allons le découvrir… _ avec cet immense livre qu’est « Le Lièvre de Patagonie » de Claude Lanzmann :

une autre traversée _ un peu chahutée _ du siècle en quelques judicieuses rencontres (et un chef d’œuvre cinématographique !),

voici que Peter Adam _ ou Klaus-Peter Adam, un garçon juif allemand, au départ, natif de Berlin en 1929, puis devenu citoyen britannique vers 1965, peu après le décès de sa mère, la battante et admirable Louise, le 6 mai 1965 :

cf page 214 : « j’optai à cette époque pour la nationalité anglaise.

Depuis longtemps j’essayais de me débarrasser du garçon allemand _ qu’il était de naissance : la famille (juive) de son père venait de « Chodzesin, une petite ville de Prusse orientale. Mon arrière grand-père, Jacob Adam, y était né en 1789. Depuis le XVIIIème siècle, sa famille vivait du commerce du drap de laine. Cette activité les avait menés jusqu’en Pologne et en Lituanie« , page 14 ; « du côté de ma mère, les Leppin et les Gurke _ Gurke signifiant « concombre » _, étaient d’un tout autre genre : pauvres, chrétiens, et de souche paysanne« , page 20 _

afin de n’avoir de racines que dans l’imaginaire.« 

Et il poursuit : « Il se produisit mille choses dans ma vie et je possédais une énergie et une curiosité infinies. Je laissais l’univers tourbillonner autour de moi, espérant ne pas m’y noyer

_ le titre original de ce « Mémoires à contre-vent« , traduit par l’auteur lui-même en français en 2009, était, en anglais, en 1995 (pour les Éditions Andre Deutsch, à Londres) : Not drowning, but waving _ an autobiography

Je m’acceptais tel que j’étais, je n’étais gêné ni par mes défauts, ni par mes qualités. J’essayais, comme toujours _ en effet ! _ d’être honnête avec moi-même« 

voici que Peter Adam offre au lectorat français et francophone

_ mais cet amoureux de longue date de la France

avant même d’y venir séjourner, pour la première fois, en 1950

(cf au chapitre « Alma mater, 1949-1950« , les pages 139 à 146 :

« En 1950, je partis pour la première fois à Paris. Mon ami Klaus Geitel étudiait là-bas et je décidai de lui rendre visite. A Paris, Klaus m’attendait gare du Nord avec deux amis. J’étais tellement excité que j’entendis à peine leurs noms. Le premier, Hans Werner Henze, était un compositeur allemand ; le second, Jean-Pierre Ponelle, un scénographe français«  : mais oui !..) ;

puis, une seconde fois, en 1951, au chapitre suivant, « Mes premiers pas d’intellectuel _ Paris 1950-1953«  :

« A l’automne 1951 _ ayant obtenu « une bourse d’un an du gouvernement français, ainsi qu’une inscription à la Sorbonne« , page 147 _, je débarquais à Paris pour la seconde fois«  :

« J’arrivais au bon moment. Le passé était enfin soldé ou presque. La France de la Quatrième République commençait à se moderniser.  (…) Les gens avaient l’air riche ; ils possédaient un goût inné pour la qualité et le style _ voilà _, doublé d’un sens aigu de la compétition« , page 147 ; « Alors qu’à Berlin, nous avions essayé de construire un nouveau monde, les Français jouaient au ping-pong avec leur héritage culturel, retournant les idées dans tous les sens, juste pour le plaisir. Je me sentis immédiatement chez moi, le lycée de Berlin m’ayant bien préparé à ce perpétuel désir de théoriser et de synthétiser les idées. Les bâtiments de la Sorbonne reflétaient ce même esprit libre et chaotique. Les vieux couloirs sombres fourmillaient d’étudiants bruyants et fougueux. Les murs étaient recouverts de slogans très politiques, culturels ou sexuels, combinant parfois les trois en même temps comme dans celui-ci : « Fais-toi sucer en Russie, Simone ! » », page 148

il avait fait ses études secondaires au lycée français de Berlin, dès 1940, page 58)

mais cet amoureux de longue date de la France,

donc,

y vit désormais, depuis août 1989, à demeure, cela fait vingt-et-un ans

(depuis sa retraite de reporter et réalisateur de la BBC, en août 1989 : car c’est là, à la BBC, que se déroula, en effet, sa « principale«  carrière, du 4 avril 1968, à la cérémonie de départ de sa retraite, en août 1989) :

en son « cabanon«  du Mazet, à La Garde-Freinet, dans les Maures, et non loin de Saint-Tropez

_ Facundo Bo et Peter Adam découvrirent, en effet, cette thébaïde « un matin de 1970«  :

« un petit vallon où des moutons broutaient près des oliviers.

C’était l’endroit dont nous _ Facundo & Peter _ rêvions _ 12 000 mètres carrés isolés du monde et un petit cabanon. Nous l’achetâmes aussitôt.

La Garde-Freinet allait devenir notre port d’attache pour les quarante années à venir« , page 275 _

mais cet amoureux de longue date de la France y vit désormais à demeure,

avec son compagnon Facundo Bo : compagnon depuis leur coup de foudre lors d’un « dîner snob« , en 1968, à Paris ;

cf page 236 : « Durant la réalisation de ce documentaire _ pour la BBC : La maison Christian Dior, en 1968, donc _,

j’eus l’occasion, un soir, d’être invité à un de ces dîners snobs dont les Français raffolent. J’étais assis en face d’un jeune acteur argentin au physique extraordinaire, au type légèrement indien. Comme d’habitude, je parlais beaucoup, faisant de mon mieux pour impressionner. J’avais appris l’art de l’autodéfense et ajouté du cynisme à mon scepticisme naturel. Intrigué par les yeux inquisiteurs de ce garçon, je parlais des souffrances au Biafra _ dont Peter revenait d’y réaliser un reportage particulièrement périlleux (et tragique !) : il en fait le récit aux pages 227 à 232 _, mais également du grand bal de l’Opéra de Paris _ le Bal des petits lits blancs _ auquel j’avais assisté la veille. Je révélais ainsi l’un de mes nombreux paradoxes dont je n’étais pas très fier.

Facundo _ c’était le prénom de ce garçon très beau et gêné _ ne prononça pas un seul mot de la soirée. A la fin, au moment de partir, je lui glissai mon adresse à Londres.

Trois semaines plus tard, je reçus une lettre : « Cher Peter, détruisez cette lettre, je n’ai jamais écrit une telle lettre à personne, mais pendant ces trois dernières semaines, je n’ai pas arrêté de penser à vous et je voulais simplement vous le dire. Je vous prie de m’excuser ». La lettre était signée Facundo Bo.

Trois heures plus tard, je m’envolai pour Paris« 

« Je crois au coup de foudre _ poursuit-il aussitôt, toujours page 236, en commentaire rétrospectif. Pendant les quarante-deux ans à venir _ de 1968, leur rencontre, jusqu’en 2010, où paraissent ces « Mémoires » en traduction française _, Facundo serait la source de beaucoup de mes joies et de mes chagrins _ la maladie de Parkinson de Facundo déclarée « à l’âge de quarante ans« , « l’empêchant petit à petit _ lui acteur brillant de la troupe de théâtre TSE, d’Alfredo Arias _ de monter sur scène« , découvre-t-on, à un coin de page, page 412 ;

cf aussi, le jour de son départ de Londres pour gagner la France, page 440 : « Je ne savais pas alors combien ma nouvelle vie à Paris _ et au Mazet, à La Garde-Freinet _ allait m’apporter de joie d’amour solide et de douleur aussi, liée à la fragilité croissante _ parkinsonienne ! _ de Facundo. Mais jamais je n’ai regretté ma décision«  _ de venir vivre définitivement en France : avec Facundo Personne ne m’a jamais été aussi proche ; et je pense _ écrit-il maintenant en 2009-2010 _ que personne ne le sera jamais. Facundo devint le centre absolu de ma vie«  _ voilà !..  _

voici que Peter Adam offre au lectorat français et francophone une somptueuse traduction en français, cette année 2010, du récit autobiographique _ publié en 1995 à Londres sous le titre de Not drowning but waving _ an autobiography _ de sa traversée _ Berlin, Paris, Rome, New-York, Londres, La Garde-Freinet _ du siècle,

tout à la fois en beau garçon _ ce peut être un atout ; du moins pour commencer, en se faisant « remarquer«  ; car à la longue n’être que le « petit ami de« … s’avère un peu court pour poursuivre et s’établir au moins un peu…

et en honnête homme

et artiste _ filmeur du monde et de la création artistique : ce sera là sa « vocation«  _ probe _ absolument ! et sans compromission aucune :

certains de ses très proches et meilleurs amis se suicideront face à la « détérioration«  (Peter Adam emploie le mot « dégradation« , page 410, en son chapitre « Inventaire« …) de ce monde :

le magnifique « grand reporter«  James Mossman (celui-là même qui l’avait fait engager à la BBC : c’était le 4 avril 1968), le 5 avril 1971 ;

le peintre Keith Vaughan, le 4 novembre 1977… ;

mais encore, page 427 :

« Au travail, le suicide mon collègue Julian Jebb s’ajouta à la longue liste de mes collègues disparus, dont l’esprit toujours en éveil _ pourtant ! _, n’avait pas été capable d’arrêter la course à l’autodestruction _ voilà _ : les grands reporters James Mossman, Robert Vas et Ken Sheppard. Le garçon qui s’occupait de la maison de Tony Richardson à La Garde-Freinet, tua d’abord sa petite amie avant de se donner la mort. La boisson et la solitude durant les longs mois d’hiver au Nid du Duc _ le hameau de la colonie Richardson, l’auteur du film Tom Jones, à La Garde-Freinet _ l’avaient poussé à cet acte terrible, disait-on. La fille de Lawrence Durell, Sappho, se pendit« … Bref, « la mort continuait à jalonner ma route« , remarque Peter, page 427…

« Dans les années quatre-vingt, mon histoire d’amour avec la Grande-Bretagne touchait _ ainsi _ à sa fin. Mme Thatcher n’avait pas encore engagé _ profondément, pas encore _ sa politique absurde et désastreuse _ humainement : Peter Adam ne mâche pas ses mots ! _, mais un nouveau climat social se faisait _ déjà _ sentir, sapant _ durement _ les qualités de ce pays que j’avais tant apprécié. L’Angleterre, comme beaucoup de pays d’ailleurs, entraînée par son désir insatiable et impétueux de richesses, prônait _ maintenant _ l’arrivisme, la ruse, l’avidité comme qualités essentielles. Les inégalités flagrantes, la cruauté des riches, la complaisance des gens au pouvoir et la corruption _ lire ici Paul Krugman… _ devenaient monnaie courante. Je regardais les yuppies, interchangeables avec leurs chemises à rayures, leurs bretelles rouges, leurs manteaux à épaules marquées, leurs BMW, leur arrogance, leurs femmes à sac à mains à chaînes dorées _ on ne disait pas encore le bling-bling… J’observais la nouvelle génération, son appétit féroce, sa frénésie de consommation, son égoïsme impitoyable _ voilà _, et la comparais à ma propre génération qui avait l’espoir chevillé au corps que la vérité et la beauté _ voilà _ finiraient par l’emporter sur les mensonges et la laideur du monde _ quelle belle actualité ! toujours…

Bien sûr cette dégradation _ voilà _ ne se produisit pas en un jour. Ce n’était que le début d’un profond et triste changement qui, hélas, se propageait _ bientôt _ partout«  _ de par notre monde commun, pages 409-410…  _,

voici _ je reprends l’élan de ma phrase _  que Peter Adam offre au lectorat français et francophone une somptueuse traduction en français, cette année 2010, du récit autobiographique _ paru en anglais en 1995, lui _ de la traversée de son siècle :

tout à la fois en beau garçon

et en honnête homme et artiste probe

soucieux de la justesse…

en beau garçon, d’abord _ et le livre est généreusement (et judicieusement) agrémenté de photos de nombreuses personnes rencontrées et narrées _ :

via ses rencontres sexuelles (avant l’amour vrai de Facundo Bo, en 1968, donc : Peter aura alors trente-huit ans _ mais tout cela fort discrètement, et sans le moindre exhibitionnisme, ni a fortiori sensationnalisme ! très loin de là ! Peter Adam a beaucoup de délicatesse et pudeur…) et amicales, plus encore (dont certaines féminines : Hester Chapman et Prunella Clough, à Londres),

celles-ci _ « rencontres« , donc _ vont lui ouvrir bien des portes, bien des « clans«  (ou « réseaux » d’amis :

par exemple, pages 201-202, en débarquant de New-York à Londres,

ce passage-ci, clé ! :

« Parmi les quelques adresses que j’avais _ à Londres, donc, en 1958 _, aucune ne fut plus précieuse et appréciée que celle d’un ami d’Edward Albee _ merci à lui de cette « adresse«  ! de ce « contact«  décisif… _, Patrick Woodcock.

Patrick était le médecin du Gotha artistique londonien _ rien moins ! _ : de Noël Coward à Marlene Dietrich, de Peggy Ashcroft à David Hockney, de Peter Brook à Christopher Isherwood. (…)

Comme à Paris, Rome et New-York _ c’est un point décisif du parcours (et la vie !) de Peter ! _, j’ai eu la chance _ encore faut-il apprendre et à la saisir et plus encore à la cultiver ! et ne pas trop, non plus, la gâcher… _, d’être adopté _ apprécié par, aimé de _ par un clan _ voilà _

pour lequel j’étais _ du moins tout d’abord, au départ :

cela se dissipant cependant assez vite (cf la conclusion plus négative, en 1955, de l’épisode romain et sa « clique« , page 184 : je vais le préciser par le détail un peu plus loin)… _

un objet de curiosité : « Allemand, Juif, non émigré et sorti de l’Allemagne indemne. « How intersting« , disait-on » _ pour commencer, donc ; ici, c’était en 1958, Peter a vingt-neuf ans 

il est aussi très « beau garçon«  (cf les photos généreusement données du livre) ; et éminemment sympathique, plus encore : il a du charisme…

« Patrick était absolument convaincu qu’il était le mieux placé pour tout organiser _ sic _ et décida de me prendre sous son aile _ cela peut effectivement aider… Il m’ouvrit les portes _ voilà ! _ de la vie culturelle _ artistique _ londonienne qui comptait un nombre impressionnant de talents. Tous ses amis « baignaient » _ en effet _ dans l’art, faisaient de la critique de livres ou allaient s’applaudir les uns les autres sur la scène ou à l’écran.« 

Aussi

« la plupart de mes _ nouveaux _ amis _ vrais _ venaient _ -ils _ de son « écurie ».


Avec nombre d’entre eux j’entretenais
_ très bientôt, vite, aussitôt, déjà : c’est un talent ! _ une amitié _ et c’est là l’élément majeur (et de fond !) pour Peter ! _

qui allait s’approfondir _ voilà ! _ au fil des ans : une preuve de leur endurance _ à me supporter, souffrir, et accepter (et aimer)… _ et d’une certaine fidélité _ toujours de la modestie, avec les euphémisations : c’est là une vertu ; Peter n’a pas que des défauts… _ de ma part.

Pour quelqu’un qui vit seul _ pas « en couple« , donc : Peter assume son « célibat« … _,

les amis sont essentiels _ voilà.

Ils m’aidèrent à surmonter _ et durablement, pas à court terme : la dimension temporelle est capitale en ces affaires (existentielles) affectives ! _ mon sentiment _ endémique _ de déracinement _ qui comporte, aussi, il est vrai, l’avantage (non recherché !) du « décalement« , si crucial (pour la vie !), du regard… _,

car je portais en moi _ pour jamais _ des séquelles _ indélébiles, donc _ de mon enfance solitaire _ depuis, au moins, à l’âge de onze ans, le lycée (français, à Berlin, et puis à Züllichau, en Silésie) pour un enfant Juif (bien que ne portant pas l’étoile jaune, Louise, sa mère, étant « aryenne« …) en Allemagne nazie… _ et la nostalgie de mon adolescence _ à la Libération joyeuse, en même temps que pauvre, à partir de 1946… :

un passage assurément important de ce livre, pages 201-202, donc, comme on constate !..)

en beau garçon, d’abord,

via ses rencontres sexuelles et _ surtout, plus encore ! _ amicales

_ je reprends et poursuis maintenant ma phrase _,

celles-ci lui ouvrant bien des portes, bien des « clans » (ou « réseaux » d’amis) :

d’artistes, de créateurs, surtout ! _ c’est là l’élément majeur ! _, dans les diverses capitales que Klaus-Peter (bientôt Peter), va traverser :

Paris,

Rome : Peter devient le compagnon pour un temps, en 1955, d’Enrico Medioli, ami et collaborateur bientôt de Luchino Visconti ;

je m’y attarde un peu, maintenant (j’aime Rome !) :

« Je me rendais souvent à Rome. J’y découvrais un passé splendide. Alors que Paris représentait pour moi l’élégance et le raffinement _ voilà _ international, Rome incarnait _ oui : charnellement _ une grande civilisation ; même le chaos et la pauvreté des rues _ certes _ étaient parés _ oui _ d’une dignité intemporelle _ comme c’est juste ! Tout avait _ le baroque (même borrominien !) est ici mesuré ! sans morbidité : à la Bernin, plutôt… _ des proportions parfaites : les façades ocres baignées par la lumière de l’après-midi _ cf ici les descriptions si justes de mon amie Elisabetta Rasy en son magnifique « Entre nous » ; cf mon article sur son récit autobiographique suivant (« L’Obscure ennemie« ), toujours à Rome : « Les mots pour dire la vérité de l’intimité dévastée lors du cancer mortel de sa mère : la délicatesse (et élégance sobre) parfaite de “L’Obscure ennemie” d’Elisabetta Rasy« _, les toits avec leurs jardins suspendus, les terrasses des gens riches : tout semblait exprimer la sensualité, la douceur de vivre et le bien-être«  _ on ne saurait mieux dire !, page 181 ;

« Pendant l’un de mes nombreux voyages à Rome, j’avais rencontré Enrico Medioli. Enrico était un ami de Luchino Visconti et allait devenir bientôt l’un de ses plus proches collaborateurs. Avec Suso Cecchi d’Amico, il fut le scénariste de Rocco et ses frères, Sandra, Les Damnés, L’Innocent et Violence et passion.

Enrico incarnait pour moi la perfection : il était blond, aristocrate dans son comportement comme dans son style, grand, élégant, mondain, cultivé et possédait un humour caustique. Il était issu d’une grande famille de Parme et avait souffert de la tuberculose, ce qui ne fit qu’accroître à mes yeux son aura romantique. Il conduisait des voitures de sport et vivait dans un appartement avec terrasse qui surplombait les toits de la cité éternelle.

Il connaissait toutes les personnes qui valaient la peine _ voilà _ d’être connues à Rome.

Autour d’Enrico gravitait la jeunesse dorée. La plupart travaillaient dans le cinéma«  _ soit un medium en pointe :

voilà deux éléments importants dans la « formation«  du jeune Klaus-Peter (qui a alors à peine vingt-cinq ans), on va s’en rendre peu à peu mieux compte… ;

avant d’être plaqué (un peu abruptement !) par Enrico à Cortina d’Ampezzo :

« Enrico avait une énergie contagieuse. Nous allions jusqu’à la plage de Fregene si souvent filmée par Fellini _ dans Huit-et-demi, ou Juliette des esprits, par exemple _, pour déjeuner dans des restaurants que seuls les Romains connaissaient, ou nous dînions dans les établissements huppés de la via Appia. Enrico, qui qualifiait ces endroits de piccole trattorie, molto semplice, était salué par la moitié des clients. Nous prenions l’apéritif chez Bricktop’s et la granita di limone chez Rosati’s _ Piazza del Popolo….

Au fil des mois, l’usure _ cependant _ se fit sentir dans notre couple _ un mot qui sera rarement employé par l’auteur, en ces 443 pages, notons-le au passage. La clique romaine perdait _ pour Klaus-Peter _ son charme _ surtout vaporeux _, comme moi je perdais le mien à leurs yeux _ au pluriel… Je roulai dix-huit heures en voiture de Naples à Cortina d’Ampezzo, où Enrico possédait un chalet, pour apprendre qu’il pouvait juste m’accorder un dîner.

Je compris le message« , page 184…

Avec ce commentaire-ci : « Je revis Enrico quelques années plus tard à Londres où il montait _ comme Luchino Visconti ; ou comme Franco Zeffirelli : les metteurs en scène italiens s’enchantent à mettre leur talent à la disposition de l’opéra _ sa version de La Somnambula à Covent Garden. »

« Comme on perd facilement _ pas seulement de vue ! _ les gens dans la vie ! Pendant un moment, on les voit tout le temps, trois fois par semaine, on les appelle au milieu de la nuit, et puis tout à coup, ils disparaissent. Heureusement j’ai gardé beaucoup de mes relations _ voilà le terme approprié. Plus tard, j’ai eu la chance de revoir certains d’entre eux comme Luchino Visconti, Alberto Moravia, Maria Callas, Giuseppe Pattroni Griffi et Mauro Bolognini, Lila Di Nobili, Franco Zeffirelli et Giorgio Strehler. Cette fois-ci _ nouvelle _ c’était à titre professionnel _ pour des reportages filmés par Peter pour la BBC : entre 1968 et 1989 _ et quelques uns sont même devenus _ à des degrés divers : mais un palier important étant tout de même franchi ! _ des amis.« 

« Comme toujours, je désirais davantage _ relationnellement ; Klaus-Peter se remémore ici sa situation (notamment) affective en 1955 _

et voulais faire de nouvelles découvertes.

Il était temps de passer à autre chose« , pages 184-185 : un passage très important, mine de rien, que ce séjour italo-romain de Klaus-Peter, en 1955… 

mais surtout New-York :

cf le chapitre « America here I come _ 1956-1957« , pages 187 à 211 : venant aux États-Unis surtout pour y améliorer son anglais, Peter y fait la connaissance d’Edward Albee _ « un jeune auteur dramatique« _ et Richard Barr _ »un producteur de théâtre renommé« _, page 193. « Edward et Richard me firent rencontrer _ un terme important ! _ John et Tamara Ennery » _ lui avait été le mari de Tallulah Bankhead ; elle, née Tamara Gergeyeva, avait été l’épouse de Georges Balanchine, au temps des ballets russes de Serge Diaghilev : page 195.

Et enfin Londres, donc :

où Klaus-Peter _ devenu désormais définitivement Peter _ va s’installer, en 1958,

et, non sans difficultés et péripéties, trouver

et un travail qui soit et durable _ enfin : au bout de dix ans cependant ; Peter a commencé par faire ses gammes cinématographiques avec des films publicitaires _ et satisfaisant pour lui _ ce sera à la BBC, en 1968 ;

et pour vingt-deux ans, de 1968 à 1989, à l’âge de sa retraite professionnelle… _,

et _ plus encore ! _ sa vocation de créateur et artiste _ le principal pour lui ! mais il n’en a probablement pas encore vraiment conscience alors… _ :

cf le merveilleux compliment que lui fera Luchino Visconti, en remerciement du documentaire de Peter sur le tournage de Mort à Venise, en 1970 :

« Seul un artiste peut en voir _ = voir vraiment ! : cf le concept d’« acte esthétique » de Baldine Saint-Girons… _ un autre, merci. Amitié, Luchino« , en dédicace à « un très beau livre : Vecchie Immagine di Venezia, vieilles photographies de Venise«  ;

« Il y avait aussi une photo dédicacée : « Pour ta Mort à Venise sur ma Mort à Venise. »

De toute ma carrière _ d’homme d’images filmées _ aucun compliment ne m’a fait un tel plaisir« , page 267 _ :

je veux dire sa « vocation » _ émergeant peu à peu : suite à diverses rencontres, non programmées : par conjonctions de hasard _ de réalisateur de films et reportages culturels, ou plutôt : artistiques (et sur _ à propos… _ d’autres créateurs-artistes, en fait) à la BBC…

voici _ donc : je reprends une fois encore l’élan de ma phrase _

que Peter Adam offre au lectorat français et francophone

une somptueuse traversée de son siècle _ pas facile pour un garçon juif berlinois ! né en 1929 ! _,

tout à la fois en beau garçon

et en honnête homme

et artiste probe absolument et sans compromission soucieux de la justesse…

J’y viens maintenant…

Ce très grand livre qu’est Mémoires à contre-vent, est construit en trois grandes parties,

autour de la « formation » d’un homme

(et un artiste : Klaus-Peter Adam, devenu par son passage aux États-Unis, en 1956-1957, puis sa vie en Angleterre, de 1958 à 1989 ; et sa naturalisation anglaise, en 1965 : cf page 214, « un sujet de Sa Majesté » ! ; devenu « Peter Adam« , maintenant)

représentatif surtout d’une génération (d’Européens),

ainsi que l’auteur présente cet « essai » d’autobiographie d’abord tout à la fin, pages 438 à 440, de son dernier chapitre, « Le temps des moissons _ 1987-1989« , pour l’édition anglaise, parue en 1995 :

« J’avais l’impression d’avoir vécu plusieurs vies, adopté plusieurs cultures, rêvé et parlé dans plusieurs langues. En même temps j’étais de nulle part, un étranger partout. C’était ce qui me convenait le mieux.

Mon pays natal était un pays imaginaire, fabriqué à partir de souvenirs et d’amis.

Je songeais alors à écrire un livre sur mon enfance et à raconter l’histoire de ce garçon allemand au sang juif qui avait survécu au nazisme.
(…)

Je ne voulais certainement pas me construire une postérité

_ « d’encre et de papier«  : à côté de celle, familiale, de ses neveux, les fils de sa bien aimée sœur jumelle, Renate ;

ou du neveu de Facundo : Marcial di Fonzo Bo, un comédien de grande qualité (auquel, ainsi qu’à Facundo, est dédiée, remarquons-le aussi, cette version française de son autobiographie, Mémoires à contre-vent, page 7).

Je voulais transmettre

non pas mon histoire personnelle,

mais celle de toute une génération _ voilà ! _ marquée par l’Histoire en pleine mutation.

Il y avait eu beaucoup de récits _ écrits et publiés _ sur les bourreaux et les victimes, mais très peu sur la vie quotidienne de gens ordinaires, pris dans le tourbillon de l’Histoire.

Je souhaitais parler des horreurs de la normalité, de cette « banalité du mal »
_ selon l’expression de Hannah Arendt :

de fait les chapitres « allemands«  (1 à 3 : pages 13 à 88), à Berlin, puis au lycée français mis « à l’abri à la campagne« , en 1943, « à Züllichau, une petite ville de Silésie«  (page 86) ;

et les chapitres « autrichiens« , après que Klaus-Peter, expulsé pour judéité du lycée, début 1944, a rejoint les siens, qui s’étaient réfugiés déjà bien loin de Berlin, « à Tressdorf, dans une vallée perdue de la Carinthie«  (page 86, aussi ;

le premier chapitre « autrichien«  (le chapitre 4 : pages 89 à 104) est joliment intitulé « Intermède pastoral _ 1944-1945« … ;

et le suivant (pages 105 à 116 : « Après-guerre et nouveau départ _ 1945-1946« ) raconte ce qui suit la fin de la guerre et le retour, difficile à Berlin ; jusqu’à ce que le narrateur nomme, au bas de la page 116, « le début de l’après guerre« ) ;

sont des chapitres magnifiques de ces « Mémoires à contre-vent«  sur les conditions de survie des gens ordinaires sous le nazisme… _ ;

Je souhaitais _ donc, je reprends la phrase de Peter Adam… _ parler des horreurs de la normalité, de cette « banalité du mal » 

et montrer que, malgré tout, le bonheur pouvait survivre _ par résilience, ainsi que Boris Cyrulnik nomme ce processus… _ dans l’épreuve.

Peut-être y avait-il tout de même quelque chose dans cette vie et cette carrière en dents de scie _ voilà : je vais m’y pencher un peu… _ qui méritait d’être préservé » _ et transmis : pages 438-439…

D’autant que

« écrire mes mémoires se révéla _ à l’auteur que va devenir (et se découvrir : par là même !) aussi Peter Adam, à partir de 1990, par ce livre improbable et « ouvert«  de « retour«  sur sa vie… _ passionnant. Cela devenait mon jardin secret, des moments d’évasion _ créatrice ! _ dans un monde de contraintes. (…)

Ma curiosité _ d’analyse, maintenant, comme en actes : par les émissions à concevoir et à réaliser pour la télévision ! entre 1968 et 1989 _ m’avait amené plus loin dans la vie que je ne le pensais _ tout d’abord ; au départ…

La plupart des rencontres ont lieu par hasard. Ce que le désir, les intrigues et la détermination en font _ ensuite : tout un travail et une œuvre ! _ me paraissait plus intéressant que la rencontre elle-même _ advenue, survenue. Il y avait bien évidemment eu des expériences décisives, mais souvent je n’en avais pris conscience qu’après coup. Tout était lié _ ce fut sans doute la découverte la plus surprenante que je fis en écrivant« , page 439 ;

en ce même esprit, Peter a rapporté, page 411, ce mot, « une fois« , de son ami Bruce Chatwin (cf le récit de leur amitié de onze ans, de 1978 au décès de Bruce, le 18 janvier 1989 : aux pages 379 à 384 ; « Ce n’était pas facile d’être ami avec Bruce. Il menait plusieurs vies à la fois et ne permettait pas qu’elles se mélangent ou s’entrecroisent. En société, il était très réservé sur sa vie privée et ne laissait jamais transparaître ses sentiments« , page 380)


Bruce citant Le Portrait de Dorian Gray d’
Oscar Wilde : « Il s’efforçait de rassembler _ lui ; et non sans difficultés dues à tant et tant de hasards d’abord, et à son corps défendant, surtout, subis _ les fils écarlates de sa vie et d’en tisser un dessin«  : unifié, donc, où « tout« , finissant comme par « émerger«  du désordre ou chaos même, vécu par surprise en premier,
vient apparaître en quelque sorte enfin « lié«  et « en place« , « en ordre« , ou presque…

Telle, aussi, une image en un tapis…

Pages 410-411, Peter Adam a aussi écrit, à propos de sa « découverte » de l’écriture :

« Je n’avais jamais écrit de livre _ écrire des scénarios ou des articles _ utilitaires _ n’était pas la même chose _, mais je découvris  rapidement quel plaisir c’était. Rien dans ma vie professionnelle ne m’avait autant stimulé que la relation intime entre l’auteur et sa page, quand tout à coup des mots et des phrases émergent de nulle part«  : c’est la plus stricte vérité !.. Quelle jouissance ainsi rencontrée !

Et un peu différemment, encore,

en l' »épilogue » de 2o09-2010 _ rajouté pour cette « traduction« -« adaptation » française d’un livre qui avait été rédigé presque vingt ans plus tôt : entre 1990 et 1995 ; au moment de sa retraite (de son travail de « documentariste » à la BBC, en 1989) _ :


« En racontant ma vie une fois de plus en une autre langue _ en français, après l’anglais, cette fois _, je me suis découvert une perception du monde qui altérait _ et enrichissait _ la vision _ première _ que j’en avais vingt ans plus tôt _ en 1990. Certains événements n’avaient plus l’importance que je leur accordais en 1995 _ ou en 1989 ou 90… Des amitiés et des rencontres que je croyais emblématiques s’étaient fondues _ depuis lors _ dans l’ombre du temps.

Ainsi raccourci  _ ah! bon ! _ et réédité, Mémoires à contre-vent est un livre nouveau et très différent _ pour Peter le premier _ de Not Drowning, bur Waving.

Notre société et l’ordre du monde _ et nos regards (selon d’autres focalisations : neuves, plus perspicaces : c’est le gain du mûrir…) qui s’ensuivent… _ se sont profondément modifiés durant les vingt dernières années. Des systèmes totalitaires se sont écroulés, mais les droits de l’homme sont _ plus encore _ une vue _ seulement _ de l’esprit. Nous sommes encore bien loin du paradis terrestre où nous pourrions vivre en parfaite liberté, sans conventions hypocrites et libres de tout conformisme _ comme Peter l’a (ou l’avait) longtemps espéré…

Dieu nous est revenu _ de sa mort ! _ à travers deux conceptions qui sont une menace pour notre liberté : le fanatisme dérivé de l’islam et le zèle religieux d’une Amérique conservatrice _ jolie nuance… Dans certaines parties du monde, les bâtiments détruisent _ oui _ le paysage. Ailleurs, la terre _ livrée aux guerres de l’eau _ meurt de soif ; et les famines dues à la sécheresse chassent des populations entières _ émigrant _ de leur pays. Ils mettent leur vie en danger _ de se noyer _ pour traverser les mers à la recherche d’une existence meilleure dans un monde qui les rejette. Utopie mortifère _ combien !

Nous sommes tourmentés de toutes parts : la bêtise du pouvoir, l’imposture des politiques, les démocraties branlantes, la tyrannie des statistiques _ oui, oui, oui, oui ! _, l’omnipotence de la science _ et de ses expertises stipendiées _, l’absence _ veule _ de spiritualité, la fascination _ si niaise ! _ pour les people, cette triste pathologie de la vie moderne fondée sur la culture _ infantilisée _ du _ miséreux _ narcissisme.

Le superficiel règne en maître _ voilà ! Dans un monde obsédé par l’argent, il reste fort peu de place pour la métaphysique _ ou la poésie et le poétique… L’ennui général, très bien repéré par Hannah Arendt et Simone de Beauvoir, est devenu la condition humaine _ quasi générale sur la planète. Voilà pourquoi les gens ont désormais besoin d’être constamment _ et en pure perte _ divertis _ par l’entertainment (régnant à la télévision : même à la BBC ?..).

Il est devenu indispensable d’être joignable partout, à tout moment ; et cela se traduit par des heures de communication stériles _ c’est aimable _ via Internet ou les textos _ quelle sordide dérision !


La langue se banalise, le vocabulaire s’appauvrit ; nous sommes bombardés d’informations
_ et clichés _ ; mais le véritable échange d’idées _ condition de la vraie démocratie, pourtant _ est devenu bien rare. Les rapports épistolaires qui permettaient d’exprimer _ en la « formant«  vraiment _ la profondeur d’une pensée ou d’un sentiment _ plutôt que l’impact brut d’émotions _, ce magnifique plaisir _ certes _ de l’écriture, tombe en désuétude.


Trop de choses se ruent vers l’abîme
_ du nihilisme _ ; et je ne m’en console pas« , page 442…

A contrario, toutefois,

les « artistes » que Peter Adam a « eu le privilège de filmer » (et bien d’autres encore, aussi) « sont la preuve _ vive, vivante ! _ que l’humanité est encore et sera toujours capable de résister _ voilà ! _ à la conspiration _ grégaire _ de la médiocrité«  _ et de ses « statistiques«  ! pages 442-443.

Car « l’art nous donne accès _ en finesse et délicatesse _ à la richesse du monde dans ses dimensions _ qualitatives _ les plus complexes _ et diaprées : jusqu’au sublime…

La vie sans art n’est qu’une source _ minimalement _ tarie.

Seul le travail de l’esprit _ voilà _ peut nous offrir une existence plus vaste _ et libre en l’amplitude de ses mouvements _ que notre bref intermède biologique« , page 443 : bravissimo, M. Peter Adam !!!

La première partie du livre _ soient les chapitre 1 à 6, de la page 13 à la page 134 _ restitue le « terreau » de la génération de ceux qui ont été enfants sous le nazisme _ même si c’est non sans résistance critique dans le cas de la famille Adam, et de la mère, Louise, devenue veuve en 1935.

La seconde partie _ soient les chapitres 7 à 12, de la page 135 à la page 219 _ présente la période d’errances _ avec assez peu de boussoles _ cosmopolites (Paris, Rome, New-York, Londres) et les difficultés _ d’orientation _ de Klaus-Peter, puis Peter, avant de réussir à trouver le « dispositif » professionnel qui lui permettra de devenir véritablement lui-même ; et d’accomplir (en œuvres ! de partages) une « vocation« …

La troisième partie _ soient les chapitres 13 à 33 + l’« épilogue«  ajouté à la version française de la page 221 à la page 443 _ décrit l’éclosion (assez rapide : le chapitre 13 : « Témoin : Berlin, Biafra« , en 1968 et 69) et la maturation-maturité _ sereine _ de l’artiste-témoin :

et de son temps,

et des démarches de création des artistes ses contemporains (et souvent amis, vraiment !),

que sut devenir Peter Adam ;

avant de passer, in fine, à l’écriture _ puis la réécriture ! maintenant… _ du « témoignage » de son propre œuvrer…

Car très vite, dès 1969, « on avait demandé à James Mossman de reprendre la rédaction d’un magazine culturel hebdomadaire, Review, l’émission d’art la plus réputée de la BBC. (…) C’était l’occasion de rendre l’art accessible au plus grand nombre. Serait-il _ Jim _ capable de briser cette notion élitiste du bon goût qui dominait encore les reportages culturels de la BBC sans tomber dans le piège de la vulgarisation ou des généralisations _ tout Art est initiation à la singularité ! _ simplistes ?

Jim finit par accepter ce poste de rédacteur en chef, à condition que je l’accompagne dans cette aventure. Ce ne fut pas un choix facile, car j’aimais beaucoup les actualités. Je postulai donc pour ce nouveau travail, et fus embauché comme rédacteur en chef de cette émission artistique hebdomadaire.

Je venais de tourner une nouvelle page ; et un autre chapitre de ma vie commençait. J’avais quarante ans« , page 241.

Vont suivre vingt ans (1969-1989) de réalisations de films pour faire connaître _ en donnant à ressentir _ (par la BBC) le sens des créations artistiques modernes et contemporaines _ avec témoignages (= interviews ouvertes…) des créateurs, si possible, et documents audio et visuels à l’appui.

Ainsi _ parmi les projets entrepris et parfois avortés en chemin, ou effectivement réalisés et passés à l’antenne _ :

des émissions sur André Malraux (pages 243 à 245), Rudolf Noureev (245 à 248)

_ avec aussi, un reportage sur « Cuba : Art et révolution _ onze ans après » (249 à 257) _,

« Visconti au travail » pour Mort à Venise (259 à 267), Vladimir Nabokov (269 à 270), Andy Warhol (270 à 273), Doris Lessing (279 à 280), l’hommage, suite à sa mort par suicide, à James Mossman _ « J’intitulai l’émission To be a witness (« Être un témoin« )… _ (280 à 282), Borges (283 à 287)

_ avec, alors, la double décision, page 287, « de rester au département des Arts ; et de me consacrer à des films plus longs«  : c’est-à-dire moins courts ! afin de mieux rendre compte de ce qu’est la créativité singulière d’un artiste…

Hans Werner Henze (289 à 292), Man Ray (292 à 295), « Rêves royaux : Visconti et Louis II de Bavière« , à propos du tournage de Ludwig, le crépuscule des dieux (295 à 298)

_ avec, alors, une série de six émissions, « Eux et nous« , « sur l’art et la culture au sein des six pays fondateurs de la Communauté européenne » (pages 301 à 311) ; ainsi qu’une émission hebdomadaire consacrée au théâtre dans toute l’Europe (313 à 319) _,

« L’Esprit du lieu: la Grèce de Lawrence Durrell » (321 à  325)

_ la publication, en 1987, d’un livre de Peter Adam, « Eileen Gray, a biography » (paru aussi en traduction française, aux Éditions Adam Biro), consacré à son amie « la grande designer Eileen Gray«  qui vécut de 1878 à 1976 (327 à 333) _,

le « nouveau cinéma allemand » de Volker Schlöndorff, Wim Wenders, Werner Herzog, Hans Jürgen Syberberg et Rainer Werner Fassbinder (335 à 340), Jeanne Moreau (340 à 345), « Alexandrie revisitée : l’Égypte de Durrell » (347 à 351), Lillian Hellman et Lotte Lenya (353 à 367), « Diaghilev : une vision personnelle » (369 à 375), Edward Albee, « Un auteur dramatique face au théâtre » (385 à 388), David Hockney (388 à 394), une série consacrée aux « Maîtres de la photographie« , dont André Kertész, Alfred Eisenstaedt, Bill Brandt et Jacques-Henri Lartigue (395 à 407), « Richard Strauss « ressuscité » » (415 à 423) ; une dernière série (de 100 heures) consacrée à « L’Architecture au carrefour« , avec une trentaine d’architecte interviewés, dont I. M. Pei, Richard Rogers, Richard Meier, Norman Foster, Jean Nouvel et Arata Isozaki (page 425), « Gershwin « ressuscité » » (page 133), Buñuel (pages 433 à 434) ; et, pour finir, deux émissions d’une heure consacrées à « l’Art du troisième Reich » (435 à 438)…

Ces Mémoires à contre-vent (aux Éditions de La Différence) : un travail magnifique d’humaniste libre et exigeant !

« Passeur » de la poiesis des artistes ses contemporains les plus authentiques

par l’image filmique de la plus grande qualité ! dans le plus scrupuleux souci de l’intelligence du sens !

Bravo !

Titus Curiosus, ce 2 mai 2010

 

Douceur (de la musique) française _ ou pas

30jan

En partie, on va le découvrir, « à contrechamp » de ma série d’articles sur la musique française _ ou de goût (ou style) français _,

voici deux passionnantes et magnifiques productions (de CDs) :

un double CD Sanctus (marque américaine) : « Six Sonatas for violoncello and continuo, opus 3 » de Carlo Graziani _ né (à une date inconnue) à Asti, et mort en 1787 à Postdam _, interprétées par l’excellentissime violoncelliste Antonio Meneses _ cello _& les continuistes Rosana Lanzelote _ harpsichord _ et Gustavo Tavares _ cello, too, but at continuo _ ;

en un (double, pour 91 minutes) CD Sanctus SCS 002/003, enregistré au « Studio 3 of the Swedish Broadcastin Corporation« , à Stockholm du 26 au 29 octobre 1994 : un bijou…


Et un CD Oehms Classics (de marque allemande) : « The ENIGMATIC ART of Antonio and Francesco Maria Veracini« , une série de « Sonatas« , des « plus importants représentants de l’Ecole florentine de violon » _ tant au niveau du jeu interprétatif, que de la composition _, l’oncle, Antonio, et le neveu, Francesco Maria : Veracini, tous deux (1659-1733, pour l’oncle ; 1690-1768, pour le neveu) ; interprétées par, au tout premier chef, en violon _ Barockvioline _ soliste, Rüdiger Lotter ; et l’ensemble Lyriarte, constitué ici de Dorothée Oberlinger, à la flûte à bec _ Blockflöte _ ; Axel Wolf, au luth _ Laute _ ; Kristin von der Goltz, au violoncelle _ Barockcello _ ; et Olga Watts, au clavecin _ cembalo _ : un non moins très remarquable CD Oehms Classics OC 720 , enregistré les 14, 17, 18 & 19 décembre 2007 à la Himmelfahrtkirche de München-Sendling : une petite merveille de finesse…

Les données biographiques sur Carlo Graziani demeurent à ce jour très lacunaires : sa naissance à Asti, nous l’induisons de sa signature « Astignano » : « d’Asti  » ;

et « on ignore« , donc, « toujours où il demeura jusqu’au moment où _ comme bien d’autres musiciens de la péninsule italienne franchissant les Alpes pour faire carrière ailleurs que chez eux, alors _ on le retrouve à Paris, où en 1747 il joua au « Concert Spirituel«  _ fondé en 1725 : sur cette institution cruciale pour l’Histoire même de la musique (en Europe), cf le riche et passionnant travail de Constant Pierre : « Histoire du Concert Spirituel (1725-1790)« , aux Éditions Heugel en 1975, réédité en 2000.

Lequel « Concert Spirituel », « en instaurant le concerto solo« , « contribua beaucoup à attirer des musiciens étrangers en France, où ni l’église ni l’opéra ne donnaient une chance au virtuose _ instrumentiste _, comme c’était le cas _ aussi ! _ en Italie » : « l’artiste soliste _ de talent _ n’avait _ guère _ d’autre choix _ tant économique qu’artistique : de « carrière » _ que celui de s’adresser à la salle de concerts publique.« 

De plus :

« en outre, comme le concerto solo avait aussi peu de possibilités d’évoluer en dehors du cadre _ et des genres : principalement les « suites » (genre français par excellence) _ ;


en dehors du cadre français d’origine, il fallait _ à l’interprète _ se tourner vers l’étranger _ surtout l’Italie _ pour des modèles _ de composition… De cette façon, la nouvelle organisation attirait des virtuose de toute l’Europe, (…) encourageant ainsi l’essor du concerto solo en France.« 


C’est ainsi que Graziani, après son succès au « Concert spirituel » en 1747, « fut engagé pour jouer dans l’orchestre du marquis de la Pouplinière, où il était premier violoncelliste avec un cachet annuel de 1 200 livres« .

Et « le 14 décembre 1758, Graziani obtint une bourse de dix ans pour « la musique instrumentale. Cette année coïncid(ant) avec la composition de son premier recueil de « Sonates pour violoncelle avec contrebasse » (opus 1).«  Ainsi « Graziani contribua (-t-il) à développer le style français de musique « galante ». Il introduisit _ aussi _ en France les rythmes iambiques, les motifs de « chasse » et les trilles que l’on retrouve dans les « Sonates » parisiennes opus 1 et opus 2 pour violoncelle et basso continuo (1758), dix ans avant que les compositeurs français ne commencent à les utiliser _ à leur tour (et à sa suite) _ dans leurs œuvres. A cette époque, un style musical européen plus vif et plus varié _ « galant » _ apparut qui reflétait le goût du jour pour le plaisir et les festivités.

Ce nouveau style remplaça lentement mais surement la pompe et la solennité des années précédentes par une musique pleine de gaîté et de frivolité. De courtes compositions basées _ encore _ sur des pas de danse _ mais nouvelles : la France est aussi le pays par excellence de la danse ! _ ne cesssaient de gagner en popularité ; et les « allemandes » et « sarabandes » _ des « suites » du passé (depuis plus d’un siècle : vers 1640… ; à peu près vers l’arrivée de Froberger à Paris…) _ se libéraient de la gravité intellectuelle qui les avaient caractérisé lors du siècle précédent. » Ainsi « un style plus « galant » limita (-t-il) la basse à un rôle plus modeste _ au sein, ou en dehors, du continuo. C’était l’âge d’or du menuet qui, par sa grâce délicate, résume ce style nouveau _ présent aussi, alors, chez Jean-Chrétien Bach et Wolfgang Amadeus Mozart…


Mais en décembre 1762, suite à la mort de soin mécène _ La Pouplinière _, l’orchestre fut dissous ; et Graziani, sans travail, dut quitter Paris

_ non sans avoir été marqué par ces influences françaises : en profondeur, et durablement ; ainsi que cela s’entend si bien en l’opus berlinois…


Graziani commence alors une nouvelle vie, comme violoncelliste virtuose itinérant, jouant dans de nombreuses capitales européennes. Le 17 mai 1764, il se trouve à Londres (…) il rencontra le jeune Wolfgang Amadeus Mozart. (…) En 1770, on le retrouve à Francfort.


A la mort _ le 15 septembre 1772 _ du gambiste Ludwig Christian Hesse, Graziani déménagea à Berlin _ pour servir « le prince héritier de Prusse (le futur Frédéric-Guillaume II)« .

Et c’est ainsi que,

« bien que non datées,

les partitions existantes de l’opus 3 portent l’en-tête suivant » :

« SIX SONATES / A / VIOLONCELLE & BASSO /Dediés / A SON ALTESSE ROYAL / Monseigneur Le / PRINCE de PRUSSE, / Par / CHARLES GRAZIANI, / d’ASTI / Musicien de la Chambre de S.A.R. / Monseigneur le Prince de Prusse / Œuvre Troisième. / Chés JEAN JULIEN HUMMEL, à Berlin avec Privilège du Roi, à Amsterdam au Grand / Magazin de Musique / et / aux Adresses ordinaires ».

Quant aux œuvres des deux florentins Antonio & Francesco Maria Veracini,

il s’agit _ purement ! _ de (spendide) musique italienne ;

et tout aussi splendidement interprétées : avec feu et très grande délicatesse… :

le (grand) mérite de ce CD Oehms Classics : « The ENIGMATIC ART of Antonio and Francesco Maria Veracini« , à l’initiative de Rüdiger Lotter,

étant de nous faire approcher au plus près de l' »énigme » des sources idiosyncrasiques du génie _ poïétique… _ qui présida,

sur un espace de temps tout à fait intéressant et significatif,

à leur création (et filiation « florentine »)  :

1691, pour l’opus 1 ;

1694, pour l’opus 2,

d’Antonio Veracini ;

1716, pour la « Sonata Nona a violino o flauto solo e basso«  (in « 12 Sonates a Flauto solo, e Basso », dédiées au prince Frédéric-Auguste, à Venise, le 26 juillet 1716 ; et présentes à la Stadtbibliothek de Dresde) ;

1721, pour l’opus 1 des « Sonates pour violon avec basse continue », publiées à Dresde en 1721, et dédiées au roi de Pologne et Saxe Auguste le Fort [réédité à Amsterdam, chez Jeanne Roger, et Roger et Le Cène en 1730 ; et à Paris, chez Leclerc le cadet ; ainsi qu’à Londres, chez I. Walsh, en 1733] ;

1744, pour l’opus 2 des « Sonate accademiche a violino solo e basso« , dédiées au roi Frédéric-Auguste III (devenu à son tour, après son père, par élection, roi de Pologne en 1733) ; et publiées aussi à Londres,

de Francesco Maria Veracini

Bref : ces deux productions discographiques (Sanctus & Oehms Classics)

sont toutes les deux

magnifiques !

Et permettent de clairement distinguer, au passage,

ce qui caractérise un style italien (florentin !) assez préservé

_ en Angleterre (Londres, à plusieurs reprises, à partir de 1714 : c’est une des capitales européennes de la musique : Francesco Maria Veracini y réside de 1733 à 1738 ; il y est encore en 1744) ;

en Allemagne (Francfort _ en 1711, pour les fêtes du couronnement de l’empereur Charles VI _, Düsseldorf, en 1715, Dresde, surtout : de 1717 à 1722, dans l’orchestre _ brillantissime ! _ d’Auguste II le Fort, avec Johann Georg Pisendel

_ avec cette nuance (intéressante) que

l’orchestre de la cour royale de Dresde est alors _ depuis 1709 _ dirigé par la kappelmeister, violoniste, maître de ballet et compositeur Jean-Baptiste Volumier (1670-1728), de naissance flamande, mais formé à la cour de Versailles, qui sert, et avec enthousiasme, le « goût français » d’Auguste le Fort ; la nuance est à remarquer _ ;

fin, ici, des références allemandes)

et Autriche (plus spécifiquement Bohème : Chlumec, en 1722, Prague : pour le couronnement _ fastueux ! _ de l’empereur Charles VI comme roi de Bohème, cette fois, en 1723) ;

en Italie aussi (Rome _ où il rencontre Arcangelo Corelli, en 1699 _, Venise _ en 1717, il fréquente Giuseppe Tartini (qui avait été très impressionné par lui lors d’un concert dès 1712) et où il rencontre le prince héritier Frédéric-Auguste, qui va le faire venir pour l’orchestre royal à Dresde) _, Pise, de 1745 à 1750, Turin, en 1750, en plus de sa ville de Florence, qui demeure sa cité ; où il revient régulièrement ; réside à partir de 1750 ; est maître de chapelle de plusieurs églises à partir de 1755 ; et finira par se retirer, après 1760) ;

et jamais _ de fait ! _ en France ;

dans le cas de Francesco Maria Veracini (Florence, 1er février 1690 – Florence, 31 octobre 1768) ;

et exclusivement à Florence,

où il se consacre beaucoup à son importante école de violon, Via di Palazzuolo,

dans le cas d’Antonio Veracini (Florence, 17 janvier 1659 – Florence, 24 octobre 1745),

oncle et professeur de son brillant neveu _ ;

Bref

_ je reprends l’élan de ma phrase _,

ces deux productions discographiques permettent de clairement distinguer

ce qui caractérise un style italien (et florentin !) assez préservé, donc, du goût français ;

et le raffinement des « Goûts réunis« ,

sous (délicieuse !) influence française, lui...


Même si le plaisir (des sens, à l’audition de ces musiques) déborde _ et très largement _ la pure satisfaction de la seule curiosité historienne…

Le jeune _ il est né en 1969 _ Rüdiger Lotter, violoniste,

comme le chevronné _ et grand ! , né en 1957 à Recife, au Brésil _ Antonio Meneses, violoncelliste,

sont, tous deux, d’assez extraordinaires interprètes

de ces répertoires :

le plaisir que nous en éprouvons

est intense :

vivement recommandé !..


Titus Curiosus, ce 30 janvier 2009


Post-scriptum
(le 31) :

à propos du CD « Veracini« , ceci, tout frais,

dans les magazines musicaux de ce mois de février-ci :

d’abord, sous la plume de Frank Langlois, dans « Le Monde de la Musique« , page 84 :

« Au sein de la production violonistique italienne au XVIIIème siècle, ce disque nous incite à réévaluer _ sans doute _ l’art de Veracini l’oncle (florentin) et surtout de Veracini le neveu, véritable européen _ oui ! _, de Florence à Londres, Dresde ou Prague. Ce dernier compte au nombre de ces inlassables voyageurs dont les itinérances, loin de les éparpiller, ont concentré la sève créatrice«  _ oui ! l’expression, pour désigner le génie (« poïétique« ), est on ne peut mieux parlante !

A propos des deux « Sonate accademiche » que Frank Langlois apprécie tout particulièrement  en ce disque, cette précision-ci : « Sans doute par « académique » faut-il entendre la familiarité avec une conception platonicienne du Beau _ empruntée peut-être (en 1699) au modèle corellien ; et si marquante à Florence, la ville de Marcile Ficin, l’importateur, via la réception de ceux qui fuirent la Constantinople (prise en 1453) des traditions « académiques » platoniciennes… Le Beau est en effet le premier sentiment qui s’impose ici à l’auditeur _ nous l’avons constaté ; et célébré ! On dirait du Corelli moins abstrait, mais d’une aussi haute tenue, et nourri d’une impérieuse vie sensible et mentale.« 

Veracini avait déjà été servi, avec excellence _ oui ! _ par Enrico Gatti (CD Arcana A 27, en 1996). Rüdiger Lotter est de la même trempe. Certes moins olympien, mais doté d’une identique maîtrise technique, il offre une sonorité charnue, une intuition plus présente et une égale tenue d’archet. Offrant un continuo vif-argent _ oui ! _ (Kristin von der Golz y tient un rôle moteur), « Lyriarte » contribue heureusement à de disque essentiel _ je bats des mains pour applaudir à cette « écoute » du beau travail réalisé en ce disque !


Et Roger-Claude Travers dans « Diapason« , page 98 :

« Si l’on en croit Charles Burney _ en son « Voyage musical dans l’Europe des Lumières«  : à consulter toujours, quand on le peut, sur l’époque (paru aux Éditions Flammarion en avril 2003) _ qui entendit jouer Francesco Maria Veracini, sa sonorité était puissante et claire, la tenue de l’archet ferme, au service d’une ornementation riche et expressive.

Parmi les interprètes d’aujourd’hui, Enrico Gatti (CD Arcana) s’en approcherait peut-être un peu, s’il savait ajouter ce soupçon _ mais pas plus ! _ qui offre son parfum subtil à cette musique magnifique. Sa diction épurée oublie le grain de folie, qui fait aussi défaut à un Holloway (CD ECM). (…) C’est dire combien Rüdiger Lotter était attendu. » Mais, tempère son enthousiasme Claude-Roger Travers, « l’imagination ornementale est _ certes _ un peu fantasque _ ce qu’il faut ! _, mais pas assez aboutie ; le coup d’archet lisse, agréable, mais sans _ assez de _ mordant ; le vibrato, un peu tendre. Un anti-Gatti _ en quelque sorte _, dont la réflexion manque _ à son goût, un peu trop _ d’ancrage...


En revanche, « le travail d’équipe de « Lyriarte » est _ lui, proprement _ enthousiasmant : cohésion, mise en place, saveur des conceptions du continuo, avec de délectables tenues d’orgue. La flûte à bec de Dorothée Oberlingen, très juste d’intonation, est particulièrement ravissante.

Bienvenue au catalogue, enfin, à Antonio, vieux sage florentin, oncle de Francesco Maria, pas si éloigné par la langue d’un Corelli, oncontournable référence… _ en effet !

Voilà qui conflue assez bien avec mon enthousiasme…

François-Marius Granet, admirable tremblement du temps, Aix, Paris, Rome

15août

Expo « Granet, une vie pour la peinture » au Musée Granet d’Aix-en Provence du 5 juillet au 2 novembre 2008 : soit une « exposition rétrospective«  ;

et Denis Coutagne : « François-Marius Granet 1775-1849 Une Vie pour la peinture » (Somogy Éditions d’Art, en juin 2008)

Ou une « étude critique » pour lecteurs vaillants, endurants, patients, persévérants et courageux, à la découverte d’un très grand peintre.

Le travail réalisé par Denis Coutagne pour cette « exposition rétrospective«  du Musée dont il fut le Conservateur en chef de mai 1980 à décembre 2007 : le Musée d’Aix-en-Provence portant depuis 1949 le nom de celui (né en 1775 et mort en 1849) qui « n’a pas fondé le musée, mais (…) l’a installé comme un grand musée ; à sa mort, Granet léguait à sa ville natale _ presque _ toute son œuvre (son œuvre personnelle riche de près de deux cents tableaux et de deux mille œuvres graphiques) et ses collections (riches de trois cent cinquante tableaux environ) » _ ainsi que le rappelle opportunément Madame Maryse Joissains-Masini, Maire d’Aix-en-Provence et Présidente de la communauté du pays d’Aix, en l’Avant-propos à ce très beau et important livre ;

le travail réalisé par Denis Coutagne pour cette « exposition rétrospective » _ et ce livre qui en offre aux lecteurs de par le monde et pérennise le fruit _ consacré à l’œuvre pictural et graphique _ et même à son activité (considérable, aussi) de collectionneur _ de François-Marius Granet (17 décembre 1775, Aix – 21 novembre 1849, le Malvallat, Aix), constitue un éclairage indispensable désormais sur un peintre majeur et maillon décisif de la si belle (et pas encore assez largement connue, notamment, et peut-être d’abord, en France) tradition _ ouverte _ de la « peinture de paysage« .

François-Marius Granet étant bien davantage, en cette « filiation », qu’une simple transition entre Nicolas Poussin et Claude Lorrain (et Pierre-Henri de Valenciennes : 1750, Toulouse – 1819, Paris ) et les « dynamiteurs sereins » impressionnistes (Claude Monet, Camille Pissaro, Auguste Renoir), et,  bien sûr, à Aix, l’inclassable _ et « pas serein » du tout, lui : un lutteur cabochard formidable ! _ Paul Cézanne (1839, Aix – 1906, Aix)

Même si la « hiérarchie des genres » (et la primauté de la peinture d’histoire) pèse alors encore, et combien, sur le statut (officiel et social) et l’autorité des artistes _ jusqu’à leur image de soi, en ce premier dix-neuvième siècle : d’où, sans doute, le « libre » départ et long séjour (d’entre ses vingt-deux et quarante-neuf ans : l’âge de la maturation, et celui de la maturité) _ mais le contraire d’un « exil » _ de Granet pour et à Rome : il s’y « trouve » ; et pas à Aix, ni à Paris, qu’il fuit…

A cet égard, je noterai d’ores et déjà l’importance, pour cette filiation de peintres véritablement « créateurs » _ et pas seulement continuateurs ou épigones de leurs prédécesseurs _ de l’initiateur _ ou « impulseur » _ à la peinture de Granet, son premier maître (et professeur), le provençal Jean-Antoine Constantin (Bonneveine, près de Marseille, 1756, Aix-en-Provence, 1844), qui avait fait le voyage de Rome en 1777 _ où il séjourna trois ans : « J’étais si content quand j’habitais ce pays. Ce sont les années que j’ai passées de ma vie les plus heureuses. Je voudrais y être encore et pouvoir avec vous me promener dans ces belles ruines, examiner cette nature si belle pour les couleurs et si grandiose qu’on ne trouve ailleurs. (…) Que vous êtes heureux d’habiter cette magnifique Italie où la nature et les monuments apportent partout le caractère du Beau » _ du « Beau« , et pas du « sublime », ni du « pittoresque » _, a-t-il pu écrire à Granet alors à Rome (page 31) ; c’est « en 1785 » que « Constantin est nommé directeur de l’école des Beaux-Arts d’Aix-en-Provence » et « alors a pour élèves Granet et Forbin » (ibidem : Granet et Forbin ont à peine dix ans et huit ans _ notons-le _, lors de cette décisive impulsion « à la peinture ») ; sur Constantin, la notice _ sans doute un peu trop courte pour notre curiosité _ qui lui est consacrée (pages 31 à 33) précise ceci : « la force intrinsèque de ses dessins et tableaux l’apparente à Salvatore Rosa, Van Ruysdaël, Dujardin _ intéressantes pistes… En tout cas, l’énergie spécifique qu’il déploie dans ses « études » _ un terme à remarquer _ lui donne une place irremplaçable entre les védutistes du XVIIIème siècle et le classicisme du début du XIXème siècle. Sa fougue annonce avec évidence l’âge romantique que sa vieillesse lui donnera de rejoindre. » Granet n’oubliera jamais, ni d’aucune façon, son maître, et, ainsi, multipliera les « démarches » pour obtenir « au plus digne des hommes » des « secours« , en la « pénible position » de sa vieillesse (notamment entre 1839 et sa mort, en 1844). Trois œuvres de Constantin nous sont données ici à regarder, pages 31 à 33 : un « Autoportrait« , « Les Cascatelles de Tivoli » et une « Vue intérieure du Colisée » : on mesure d’autant leur importance pour le désir _ proprement « fondateur » pour sa peinture (à lui) _ de Granet de faire le voyage de Rome (voire d’y passer sa vie : comme « au pays même de sa peinture », j’oserai une telle expression).

Jean-Antoine Constantin lui-même _ j’y demeure _ s’était formé (page 20) à l’académie des Beaux-Arts de Marseille qu’avait créée (en 1750) l’aixois _ déjà _ Michel-François Dandré-Bardon (Aix, 1700 – Paris 1783), qui avait lui-même connu, à Aix, le peintre d’origine sicilienne _ « originaire de Trapano » est-il indiqué page 20 : Trapani _ Jacques Viali (ou « Vialy« ), peintre de paysages et de marines, « arrivé en 1680 à Aix-en-Provence » et qui « s’y fera naturaliser en 1720 pour y mourir en 1745, formant un Joseph Vernet : Valenciennes comme Constantin n’oublieront pas la leçon de Vernet » _ est-il judicieusement précisé toujours page 20 (d’après les « Annales de la peinture » d’Etienne Parrocel, en 1862) : sur quels modes, cette « leçon » ?  Un Joseph Vernet qui passera (par rapport à Vialy) ou avait passé (par rapport à Constantin) rien moins que vingt ans à Rome, de 1733 à 1753 !.. Michel-François Dandré-Bardon _ dont la page 20 nous offre un très bel « Auguste punissant les concussionnaires » de 1729, visible au Musée Granet _ « né en 1700 à Aix« , et « monté à Paris, gagnera Rome en 1725 où l’accueille Vleughels » ; puis « quitte Rome _ où il aura passé, lui aussi (comme Constantin plus tard), trois ans _ pour un long séjour à Aix » _ et, aussi, la fondation (en 1750) d’une académie de Beaux-Arts à Marseille, donc, celle-là même où se formera, en 1771 (« sous Kappeler, Giry et David de Marseille » _ page 31) Jean-Antoine Constantin, le maître de Granet…

Tout un terreau artistique, donc _ et lié au voyage de Rome ! _, où va germer le « désir de peinture » _ voire de toute « une vie pour la peinture«  : jusque là ! _  de notre Granet… Ce sera mon hypothèse aussi…

A ce propos, et en incise, je voudrais citer ici des extraits de la notice qu’en son « Abécédario«  (des peintres) Pierre-Jean Mariette consacre à Joseph Vernet, même si le lien à Vernet de Granet, et même à Vernet du maître de Granet, Constantin, semble seulement « indirect » : je me permets de « fouiller » seulement un peu ici cette phrase de la page 20 du livre de Denis Coutagne : « Valenciennes comme Constantin n’oublieront pas la leçon de Vernet« … Car cette « leçon«  _ à (ou de _ puis par…) Constantin _, par l’intermédiaire de Vernet, passe elle-même par une filiation déjà aixoise !

Voici donc ces extraits : « VERNET, Joseph, né en Avignon en 1715, le 15 août, se distingua dans le talent de peindre des paysages et des marines. Il a demeuré longtemps en Italie, et c’est en étudiant d’après nature et en travaillant avec la plus grande application qu’il s’est fait une si belle touche, et qu’il a su rendre avec tant de vérité les différents effets de la lumière, et ce que produisent dans l’air les vapeurs qui sortent de la terre ou de l’eau, et que le soleil a tiré à lui _ le détail de Mariette est proprement remarquable : tout est ici à remarquer, à commencer par l' »étude« , et « avec la plus grande application » (de l’artiste), « d’après nature » : « sur le motif », donc, et sur le lieu-même (du « phénomène« , dirait le philosophe, tel Kant, en sa « Critique de la faculté de juger« , ou Merleau-Ponty, en sa « Phénoménologie de la perception« , ou « Le Visible et l’invisible« ) ; et afin de « rendre » avec une intensité puissante de « vérité » les « effets » _ proprement « æsthétiques » _ des divers éléments de l' »atmosphère » _ voir trois phrases plus loin _, à travers ce qu’en proposent les jeux de « la lumière » sur qui sait _ tel le peintre (Vernet, Granet, Monet, Pissaro, Cézanne…), le photographe (Bernard Plossu _ passim), ou le cinéaste (Michelangelo Antonioni _ « Par delà les nuages« , à Ferrare, Portofino, ou Aix !..) s’y attacher… Le défi de l’artiste demeure le même : toujours apprendre à regarder, écouter, lire aussi _ tous « actes de focalisation » _ ; afin de vivre, nous tous, plus pleinement cette vie (passagère)… Des lieux, des moments, des œuvres aussi, peuvent nous y aider, à cet apprentissage infini du « vivre », avec un tant soit peut d' »inspiration »…

Je ne connais aucun peintre, pas même Claude le Lorrain, qui les ait mieux rendues _ ces « vapeurs« , continue Pierre Jean Mariette à propos du travail d’artiste paysagiste de Vernet. Il n’a pas moins bien imité _ il s’agit toujours bien d’une mimesis de la nature (ou physis) _ la limpidité de l’eau, et, si c’est une tempête qu’il représente _ voilà toujours la mimesis _, on la voit avec toutes ses horreurs _  passant là de l’impression de beau à celle de sublime : je renvoie de nouveau ici aux analyses de Baldine Saint-Girons, par exemple dans son « Acte esthétique« . On ne finirait pas s’il fallait le suivre dans toutes les différentes situations de l’atmosphère _ voilà bien ce qu’il s’agit ici de « saisir » ! avec un surcroît de « sensibilité » (sur les habitudes routinières de la commodité et de l’intérêt, que la société utilitariste et mercantile développe chez les clients potentiels des « marques ») _ dont ses tableaux donnent une image fidèle.«  Je passe ici sur sa « vogue _ celle de Joseph Vernet _, surtout de la part des Anglais » et sur « les circonstances que le roi _ Louis XV, sur la recommandation de son ministre Marigny _ l’appela et qu’il lui fut ordonné dans les principaux ports de mer du royaume en prendre des vues et en faire des tableaux« … Avec ce petit commentaire critique que s’autorise ici Mariette, face à l’ampleur du succès de Vernet auprès _ un marché se développant alors _ des amateurs : « Notre peintre, s’il faut en dire mon avis, montre un peu trop de confiance en son pinceau et dans une pratique de faire qu’il s’est acquise, et qui, s’il n’y prend garde, dégénèrera en pratique _ routinière, mécanique _ et pourra lui nuire«  _ en son effort de vérité… Le frôlement (de l’aile) du « génie » se perdant, hélas, à un peu trop systématiquement, l’artiste, se répéter, recopier, copier-coller, dirait-on à l’ère de l’informatique et de ses redoutables mésusages (hyper-technologiques _ cf Bernard Stiegler, passim, ou, par exemple, « Prendre soin« ) pervers, si faciles et tentants ; et leur « impérialisme » stérilisant la sensation en étouffant la curiosité…

Comme on savait écrire et penser, avec délicatesse et idéal de justesse, en ce dix-huitième siècle ; au point qu’on pourrait se dire qu’il n’y fallait presque pas de talent personnel… « Quand il était _ l’artiste _ soutenu _ sur le motif _ par la vue _ aiguisée _ de la nature, il n’avait pas ce malheur _ car c’en est un, en effet ! _ à craindre. » Avec cette conséquence économique-ci : « Il est peut-être le seul d’entre les peintres qui ait vu vendre ses tableaux au poids de l’or _ la tentation (du vendre seulement) commençant donc à s’enfler en ce siècle… Tel de ses ouvrages dont il n’avait pu avoir, étant à Rome _ nous y voilà ! _, plus de cent écus, en a été vendu mille. La mode y est _ autre fléau naissant de ce siècle, que va amplifier bientôt la malheureuse Marie-Antoinette _, on se les arrache. »

J’en viens ici à ce qui touche, en Vernet, d’un peu plus près Aix, et la filiation (en amont) de Granet (par son maître Constantin) : « M. Vernet, qui savait déjà manier le pinceau, sortit d’Avignon et vint trouver à Aix _ en 1731, Joseph Vernet avait seize ans _ le père _ Jacques (1650-1745) _ du peintre _ Louis-René Vialy (1680-1770) _ Viali qui peignait le paysage et des marines avec assez de succès. On est curieux en Provence d’avoir des chaises à porteurs fort ornées, et Viali était un de ceux qui étaient le plus employés à les enrichir de peinture _ décorative. Vernet se trouva de lui aider, et c’est ainsi qu’il est entré dans une carrière _ de « peintre de paysages », c’est ici ce qui m’intéresse _ où il s’est si fort distingué. Il sentit que _ une qualité (de « génie« ) dont l’artiste (créateur) a besoin, si je puis dire : cf Kant, « Critique de la faculté de juger« , décidément majeur en l’affaire ! _, pour y faire de plus grands progrès _ voilà l’exigence _, le voyage d’Italie _ nous y voilà ! _ lui était nécessaire ; il y passa en 1733.

Il vint à Rome _ nous y sommes ! _, d’où se détachant de temps en temps _ comme faisaient et Poussin, et Claude le Lorrain, et Gaspard Dughet (1615-1675 : le beau-frère de Poussin _ dit « le Guaspre« , ou « Gaspard Poussin » ! _ et auteur de fresques à San Martino in Monte : Denis Coutagne n’en dit rien… _ il faisait des incursions _ et non « ex-cursions » : tout est dans la curiosité d' »aller vers » ; et non s’é-carter,  se di-vertir (se détourner, à l’ère des loisirs, de la « vacance », et de la fuite _ de tout, et jusqu’à soi !) _ dans les campagnes et sur les côtes maritimes, et partout il étudiait _ par sa pratique « sur le motif » : voilà ce qu’est une « étude » ! nous le retrouvons chez Granet ! _ la nature et ses effets _ æsthétiques, tant perceptifs que picturaux : était-ce dissociable ? _, et les rendait ensuite _ et il faut bien le prendre à la lettre : « rendre », restituer la perception « fondamentale » une fois « atteinte » ; c’est là le moment du travail à l’atelier _ sur la toile _ à peindre, à l’huile… _ dans la plus grande vérité _ à conserver, préserver, ne pas perdre (ou oublier, anesthésier  : dans trop de « pittoresque » peut-être), en quelque sorte, cette vérité-là du perçu « sur le motif » !

La vue des paysages de Salvator Rosa ne contribua pas peu à le diriger _ un peintre a aussi besoin, en plus d' »impulsions », de références, de guides (pour plus pleinement percevoir et ressentir), quitte à s’en séparer _ et à lui faire acquérir une touche précieuse et brillante _ toujours la remarquable précision (« tactile » en quelque sorte) de l’analyse de Pierre-Jean Mariette. Etc…

Une dernière note : la phrase de conclusion de l’article de Mariette, à propos du succès en France des tableaux romains de Joseph Vernet, lors de « l’exposition du salon de 1746 » _ Vernet ne revenant définitivement de Rome qu’en 1753 : « Il eut la satisfaction, que peu de ses confrères ont eue, de voir revendre ses tableaux des prix énormes, de sorte qu’un tableau qu’il avait fait autrefois pour cent écus romains, fut payé jusqu’à cinq mille livres. » Voilà pour cette incise éclairante, j’espère sur une partie de l’historique de la peinture de paysage, en amont _ à propos du « Contexte culturel que connut le tout jeune Granet » (comme intitule son « aperçu » à la page 20 de son livre Denis Coutagne) _ ; en amont, donc, de François-Marius Granet.

Granet, en effet, rencontre, avec ce premier et vrai maître qu’est Jean-Antoine Constantin _ je reviens souligner encore ici cette rencontre fondatrice de la vocation et « paysagiste » et « romaine » de Granet que je privilégie, donc : peut-on les disjoindre ? _ ;

Granet rencontre son désir (et, proprement, « vocation« ) de se confronter _ « à la romaine », si je puis dire _ au paysage « sur le motif »…  Et aux lumières, diverses et variées, aussi, de Rome, il faut aussi le souligner. Nous retrouvons alors pleinement « vérifiée » l’expression que Denis Coutagne a merveilleusement choisie pour préciser le titre même de son ouvrage : « une vie pour la peinture » : en effet ! telle est bien là sa seule « vocation » ; ce qui appelle le jeune Granet _ il a alors vingt-sept ans _ sur le territoire pentu de Rome (et de la campagne romaine : Tivoli, Frascati ; et même Subiaco ; et jusqu’à, dans le cas de Granet, Assise _ quand Corot s’attachera, lui, au pont de Narni)…

Même son passage à l’atelier du « grand » David (Jacques-Louis David, 1748-1825 ) n’y changera rien ; cet atelier de David _ le peintre « majeur » de l’époque (et assurément impressionnant, surtout pour le discret, timide, provincial et peu fortuné _ il tombe qui plus est subitement orphelin de ses deux parents coup sur coup, le 24 mai et le 11 juin 1796) qu’était ce jeune homme François-Marius Granet en 1798) _ où Granet, en compagnie de son ami Forbin, « passe » en 1798 : il n’y demeure pas longtemps, faute sans doute, d’abord, de pouvoir en régler « le prix mensuel de douze francs » ; mais pas seulement : plus essentiellement, Granet prend très vite conscience, semble-t-il, que sa « voie picturale » n’est pas celle de la « peinture d’histoire, mode David » _ soit le « grand genre » ; « il sait déjà que sa manière à lui n’est pas le dessin pur, mais une saisie de lumière à travers les formes« , indique lumineusement Denis Coutagne page 67 de ce très intéressant _ lui aussi _ chapitre VIII des pages 65 à 69. Granet n’a ni les moyens sociaux (politiques et financiers : de son ami Forbin), ni les moyens picturaux (et probablement heureusement ! car les siens propres sont bien plus considérables et originaux au regard rétrospectif de l’histoire de l’Art) de ce grand genre d’alors, triomphant _ encore pour ce siècle _, qu’est la peinture d’histoire Son genre à lui, ce sera, et en partie à son propre corps défendant, le (plus discret) paysage ; comme cela s’avère dans cette (grande) exposition et dans ce (grand) livre.

Même si pour les besoins de sa subsistance et de sa carrière _ que va aider considérablement l’ami de toute sa vie Auguste de Forbin (1777, La Roque d’Anthéron – 1841, Paris ; qui mourra le premier, le 23 février 1841) _ porteur, lui, Forbin, d’un des grands noms (et d’une fortune) d’Aix et de la Provence (je me souviens ici des lettres de Madame de Sévigné et des rivalités avec les Forbin, notamment, auxquelles se heurtait Monsieur de Grignan aux Etats-Généraux de Provence ; et à Aix, notamment _ ;

même si pour les besoins de sa subsistance et de sa carrière, donc, Granet dut aussi mener (et réussir) une ambition académique, qui se caractérisa par ce que l’on peut qualifier de « sa seconde carrière » (parisienne et versaillaise _ après le bonheur (hors temps, lui ; ou d’éternité !) du séjour romain : qui n’était pas, ou assez peu, nous le verrons, une « carrière » ! avec son accession, à partir de 1824, aux postes, revenus et résidences à l’Institut (avec la responsabilité chaque année des Salons) et au Musée historique que le roi des Français (à partir de la révolution de juillet, en 1830), Louis-Philippe, crée au château de Versailles (le projet démarrant en 1833). On peut en fixer « le tournant » avec le témoignage de cette lettre de Granet (n° 385, selon l’archivage _ travail décisif pour la connaissance de la vie et de l’œuvre de Granet _ d’Isabelle Neto _ une des bases de ce travail-ci , de fond, de Denis Coutagne, avec les « Mémoires » de Granet, rédigés vers 1847) d’octobre-novembre 1824, à son ami Rémi Girard : « J’ai été nommé _ le 14 octobre 1824 _ conservateur des tableaux des musées royaux, c’est-à-dire adjoint à monsieur Landon qui est d’une mauvaise santé et plus âgé que moi. Cela peut devenir une bonne place  si je me décide _ ce n’est donc pas encore le cas : Granet hésite _ à habiter Paris, enfin nous verrons… » Et _ page 232 _ « à la mort de Landon, Granet doit prendre physiquement son poste au Louvre comme conservateur en chef (29 mars 1825) » : c’est alors que la page romaine se voit décisivement tournée.

« S’il fait encore un séjour à Rome, c’est _ maintenant _ à partir de Paris : Rome n’est plus sa demeure, Rome devient un lieu de voyage _ essentiellement pour « rapatrier » toutes ses « affaires » (dont ses tableaux, ses lavis, ses dessins _ et ses collections : accumulés depuis 1802) : ce « rapatriement »-là _ infiniment précieux, tant pour Granet lui-même, au premier chef, bien sûr, que pour nous, aussi, qui pouvons et avec cette grande et magnifique exposition, et avec ce si beau livre, y accéder à notre tour _, Granet l’accomplira en un ultime (!) voyage d’Italie, d’octobre 1829 à septembre 1830 : la durée (de quasiment un an) de cette dernière « balade romaine » déjà dit la hauteur de la difficulté de l’arrachement et adieu…

Mai 1825 : la page matériellement tournée un an plus tôt l’est cette fois administrativement. Dure épreuve pour cet homme _ commente avec infiniment de justesse Denis Coutagne page 242 _ jusqu’à ce jour libre et indépendant de toute institution » _ car ce n’était certes pas en « prix de Rome » et « pensionnaire de l’Académie de France » (et à la Villa Médicis _ qui n’ouvre pas ses portes avant l’achèvement de ses travaux d’aménagement : Jean-Dominique Ingres (1780, Montauban, 1867, Paris), lui-même, « prix de Rome en 1801, doit temporiser pour partir à l’Académie de France à Rome » _ page 85 _, et n’y vient « finalement » _ page 124 _ qu’en 1807 : « depuis quatre ans Granet était installé comme peintre indépendant _ et il lui fallait en vivre _, tout à côté de la place Trinité des Monts » : « dans une maison située au coin de la rue Felice et de la rue Gregoriana, dans un petit palais qu’on nomme l’Arco della Regina« , écrit Granet lui-même _ est-il mentionné page 79) ;

car ce n’était certes pas en « prix de Rome« , donc, que Granet avait accompli, avec l’ami Forbin, le voyage de Rome, l’été 1802 (d’autant que l’Académie de France elle-même ne « fonctionnait » plus depuis le saccage _ lié aux troubles révolutionnaires de France et à ses (longues) « répliques » : jusqu’à Rome… _ du palais Mancini (hérité _ en 1725 _ de la succession de neveux de Mazarin…), sur le Corso, le 10 janvier 1793, et l’assassinat de Basseville : certains pensionnaires avaient certes commencé à revenir « à la fin du siècle » (page 83) ; mais en mai 1801, « l’intérieur de l’académie de France à Rome  (demeure) dans un délabrement complet _ une partie des portes et fenêtres (ayant été) brisées » ; et « il faut attendre l’été 1802 pour que le choix définitif de l’installation de l’académie de France à Rome s’effectue Villa Médicis _ après négociations complexes (et échange de palais) avec le grand duc de Toscane _, permettant la réinstallation des pensionnaires, après des travaux qui n’ont pu commencer qu’en 1803« , précise Denis Coutagne page 83. Avec cette « conclusion » significative « qui s’impose : le voyage à Rome, encore si prisé dans les années 1770-1780, particulièrement par les Anglais, n’était plus « dans l’air du temps » à l’extrême fin du XVIIIème siècle. » Ajoutant encore : « Il y a comme une éclaircie en 1802. De fait, il faudra attendre 1815 _ et la fin de l’occupation française de Rome, puis les soubresauts, non dénués de violences, encore, de sa cessation _ pour que le tourisme culturel retrouve vraiment son développement« …

Le rapport de Granet aux modes et troubles du temps, est ainsi fort intéressant et significatif. Alors qu’il est le plus souvent « à contretemps » de ces modes, Granet va connaître, bien malgré lui, d’abord, « son moment » _ romain _ de célébrité et de gloire _ et il saura « le mettre à profit » pour ce qui va prendre dès lors la forme d’une « carrière », fort utilement épaulé, aussi, à ce « tournant de l’Histoire », par l’habile politique, et bien en cour, lui (à Paris, auprès du roi Louis XVIII, après avoir fréquenté (de bien près) Pauline Borghese, la soeur de Napoléon) _ on lira sur ce sujet des « habiles » en 1814-1815 cet immense livre qu’est « La Semaine sainte » de Louis Aragon _ ;

fort utilement épaulé, à ce « tournant de l’Histoire », par l’habile politique, et bien en cour (à Paris), lui, donc, Forbin, à l’heure de la chute de l’Empire, des Cent-Jours, et puis de la Restauration, quand l’esprit du temps, qu’avait anticipé, en 1802, « Le Génie du christianisme » d’un autre bien intéressant « voyageur de Rome », François-René de Chateaubriand _ à Rome de juillet 1803 à janvier 1804 : « lui, voyageur, n’y restera que six mois. Granet est là pour vingt ans !« , commente Denis Coutagne page 117 _ ;

quand l’esprit du temps, donc, tournera à une certaine religiosité (disons de modalité _ quasi d’esthétique, pourrait-on se risquer à avancer _ franciscaine, voire capucinienne : ainsi Denis Coutagne intitule-t-il un chapitre-clé (XV) de son livre : « Le temps franciscain, une certaine piété « mineure »«  _ pages 195 à 217) ;

religiosité _ Denis Coutagne lui consacre aussi la pénultième sous-partie de son dernier chapitre, pages 312 à 321 ; juste avant l’ultime page (322) consacrée au « Testament de Granet« ) _ qui se donne à percevoir tout au long du travail d’œuvre, même, de Granet _ mais aussi dès son arrivée à Rome et sa séduction _ plusieurs tableaux (« pré-cézanniens », si j’ose dire : qu’on en juge en les contemplant !) en témoignent et magnifiquement ! dès 1803 _ par la crypte de l’église San Martino in Monte (cf le tableau page 104 : « Intérieur de l’église souterraine de San Martino in Monte » ; avec, page 109, son commentaire ; ainsi que, en forme de « variations », les magnifiques « La crypte de San Martino in Monte » et « Rome voûte antique » : quel chef d’œuvre ! « pré-cézannien », oui ! qu’on en juge en le regardant : c’est le n° 75, page 109 ; l’œuvre, elle, est à demeure visible au Musée Granet) ;

et qui « rencontre », cette religiosité, un immense succès dans toute l’Europe des rois et des empereurs de ce « 1815 et après » (soit la nouvelle Europe du Congrès de Vienne que tricota Metternich) _ au point que Granet va devoir s’employer, et à temps plein, à en multiplier (peut-être plus de vingt-cinq !..) les exemplaires _ avec « le Chœur des Capucins« …

Au point que la gloire _ et l’aisance matérielle, voire la fortune : il va s’offrir « sa bastide au Malvallat » (page 242) : « l’acquisition (auprès de Madame veuve Espariat en) est réglée en octobre 1825 » _

au point que la gloire de Granet, donc, tient presque toute, de son vivant, en ce « Chœur des Capucins » de la Piazza Barberini, à Rome.

Denis Coutagne entame le crucial chapitre XV (de l’avant-dernière « période romaine » : « de 1814 à 1819 » et 1822

_ le dernier moment à Rome, constituant, quant à lui, une sorte de dernière embellie « mondaine« , un peu anomique : « 1822-1824 : le temps « cardinal », une certaine mondanité romaine » : ce sera le moment de son dernier très grand tableau romain : « Le Cloître des chartreux« , qu’il ne terminera qu’en 1835, et à Versailles… _,

par ce sous-titre : « 1814-1819 : le temps du « Chœur des Capucins«  ; et avec cette première phrase, page 195 : « S’il fallait, eu égard à la notoriété _ car tel est bien ici le critère _ qu’il apporta à Granet, ne garder qu’un seul tableau de toute l’œuvre du peintre, nul doute que notre choix s’arrêterait sur « Le Chœur des Capucins, Chiesa dell’Immacolata Concezione », sise près de la place Barberini »…

Alors que de 1813 à 1819, Granet loge tout près de là, « strada delle Quattro Fontane, portone delle Scozzesi (ancien collège des Ecossais), n° 12« , de 1820 à 1824 ; puis en 1829-1830, « l’adresse de Granet est « via San Nicola di Tolentino, place Barberini n° 29 » (nous apprend Denis Coutagne, page 79) : soit tout à côté, cette fois, à cinquante mètres à peine des « Capucins », en plein quartier Barberini : la « strada delle Quattro Fonane » est celle qui dessert le Palazzo Barberini, que le pape Urbain VIII fit construire _ pour sa résidence « personnelle », non loin du palais papal de Monte Cavallo (sur le Quirinal) _ en y employant et Bernin et Borromini : dont se contemplent, « entre » ces deux palais, les deux chefs d’œuvre d’église que sont San Andrea al Quirinale, pour l’un, et San Carlo allo Quattro Fontane, pour l’autre (mais le « baroque » conquérant de la Contre-Réforme n’intéresse décidément en rien notre Granet, centré, lui, sur _ et fasciné, jusqu’à la passion, par _ les (on ne peut plus) humbles racines chrétiennes de l’ancienne Rome, et ses cryptes, telle celle de San Martino in Monte, sur l’Esquilin : là dessus, explorer, si on le déniche, « Rome et ses vieilles églises » d’Emile Mâle, publié chez Flammarion en 1942 : une mine…). Voilà ce qui se découvre à qui connait d’un peu près Rome, ou consulte un plan un tant soit peu précis de la ville…

Et c’est aussi, encore, cette pauvreté radicale (voire « misère ») qui intéresse _ le mot est faible _ François-Marius Granet en la figure de son saint patron _ puis dans la « suite » des images qu’offrent ses « fondations » : franciscaines et capuciniennes, jusqu’à faire le voyage d’Ombrie, à Assise _ Saint François d’Assise : un point crucial à bien intégrer pour saisir la force du lien de notre Granet à sa Rome !..

Granet, ou « l’Arte povera » _ ou du « poverissimo » ! _, en quelque sorte…

Alors, après avoir découvert le très, très étonnant « Extase de saint François« , une aquarelle de 31,7 x 21,5 cm, page 195 : une merveille ! _ que Denis Coutagne place sur une pleine page en exergue de son chapitre XV « Le temps franciscain, une certaine piété « mineure » » _ afin de mieux nous faire « entrer » dans ce qui a priori nous touche le moins aujourd’hui dans l’œuvre de Granet : sauf peut-être certains très beaux contrastes de lumières, si on y regarde d’un peu plus près _, on regardera d’un œil un peu « amélioré » ses grands intérieurs d’église _ par exemple, l’immense (199,5 x 274 cm) « Intérieur de l’église basse d’Assise«  (de 1823) que Denis Coutagne parmi les plus grandes « réussites » _ en matière de notoriété à son époque ? _ de Granet…

Et cela

_ ce « Chœur des Capucins« , donc, j’y reviens après cette incise sur le franciscanisme « fondamental » de François-Marius Granet _,

parmi les quatre tableaux que, ailleurs encore, page 168, Denis Coutagne choisit pour nous faire ressentir ce que fut l’épisode de sa notoriété « religieuse », à l’heure (« historique », cette « heure » : Granet n’y ayant guère, même alors sans doute, d’atomes crochus avec…) de la Restauration.

Je cite : « S’il ne fallait que retenir quatre tableaux de Granet pour signifier _ du point de vue de la « notoriété » qu’en retire alors Granet _ son œuvre romaine entre 1802 et 1824, il faudrait, à côté de « Chœur des Capucins » (196 cm x 148cm), d’« Intérieur de l’église basse d’Assise » (199,5 x 274 cm), et du « Cardinal Aldobrandini recevant le peintre Zampieri dit le Dominiquin à Frascati, villa Belvédère » (190 cm x 145 cm), faire figurer « Stella dans sa prison » (195 cm x 144 cm) :

le peintre Jacques Stella (né à Lyon en 1596, et mort à Paris en 1657) vit dix ans à Rome, de 1621 à 1631 : intime de Poussin, il travaille pour le pape Urbain VIII Barberini ; avant d’être nommé à Paris, sur le conseil du cardinal de Richelieu, « peintre du roi » par Louis XIII, en 1635), le peintre Stella a connu momentanément l’incarcération à Rome, suite à un incident ayant blessé l’amour propre de quelques nobles romains : Stella avait fait tenir fermée la porte du Peuple ; « obligés de passer la nuit à la belle étoile« , « ils se rendirent chez le gouverneur de Rome pour accuser la pauvre peintre d’être un homme de mauvaises moeurs, qui avait des rapports charnels avec ses modèles« ... Et en prison, Stella, « ayant par hasard trouvé par terre, un morceau de charbon, se mit à dessiner sur une partie de la muraille une Vierge à l’enfant » qui stupéfia les prisonniers qui « admirèrent avec un saint respect les traits angéliques de la Madone. (…) Le bruit s’étant répandu dans Rome qu’à la prison du Capitole un célèbre peintre avait dessiné, avec du charbon sur la muraille, une Vierge d’une grande beauté, le cardinal _ Francesco _ Barberini voulut la voir. Il se transporta dans ce lieu de misère. On sait _ ajoute alors Granet en ses « Mémoires » en 1847 _ que le cardinal Barberini, membre du sacré collège _ et un peu plus que cela… _ sous le pontificat de _ son frère aîné _ Urbain VIII, aimait beaucoup les beaux-arts, et les hommes qui s’en occupaient avec gloire« … L’Histoire se poursuit quand on sait que le parrain et _ excellentissime _ professeur en politique du jeune Louis XIV n’était nul autre que Giulio Mazzarini, formé par les Barberini à Rome _ et qui ne manquerait pas d’accueillir à la cour de France toute la famille Barberini, dont le cardinal Francesco, à la mort d’Urbain VIII (en 1644), ayant à souffrir les avanies de son successeur sur le trône de Saint-Pierre, Innocent X Phamphili…

Fin de l’anecdote à propos du peintre « Stella dans sa prison »

_ et du goût de Granet pour la figure des artistes en situation de « misère » :

les détresses et dérilictions de la prison (Stella, Le Tasse)

et de l’agonie (Poussin, Sodoma, Girodet), en particulier.

On pourrait ajoindre encore à ces quatre grands tableaux éminents de Granet, même s’il n’est pas encore achevé à son départ de Rome en 1824, le très beau, également _ mais pleinement lumineux, lui ; de même que la scène du « Cardinal Aldobrandini recevant le peintre Zampieri dit le Dominiquin à Frascati Villa Belvédère » _, « Cloître des Chartreux » (198,8 cm x 271 cm) _ cloître « dont on dit qu’il est de Michel-Ange« , et « dans le fond » duquel, le tableau comme le cloître, « on entrevoit l’église Santa Madona degli Angeli« , à « l’architecture » éminemment « romaine, puisqu’il s’agit des thermes de Dioclétien » (page 223) ; tableau de très grande dimension « qu’il _ notre Granet _ ne terminera qu’en 1835, à Versailles » (page 222) : il nous fait grande impression.

Ainsi que, dans la gamme des très lumineux, encore le célèbre et si beau (à la lumière du matin, et « vu » depuis la chambre même de Granet, au palais Zuccari : « je voyais par les fenêtres le plus beau panorama du monde… j’avais sur le premier plan l’obélisque de la Trinité-du-Mont, la jolie façade de cette église, la Villa Médicis, surmontée de ses deux belles loges« , se souviendra encore Granet en rédigeant ses « Mémoires« , en 1847…) _ mais de petites dimensions, lui (48,5 cm x 61,5 cm)  « La Trinité-des-Monts et la Villa Médicis«  (en 1808) conservé au Louvre ; et le plus petit encore (32,5 cm x 43 cm) « La Promenade du pape Pie VII dans les jardins du Quirinal«  (en 1807 ; assorti d’un point d’interrogation) : qui a l’honneur, lui, de la quatrième de couverture de ce livre-ci _ et si proche, dans son décor (du Quirinal vu de la Villa Médicis), comme dans ses tons, du merveilleux « Portrait de Granet » par Ingres (en 1809, lui, le portrait ; et quel chef d’œuvre !) : au point qu’on s’est demandé si ce décor du « Portrait de Granet » d’Ingres n’était pas de la main du sujet portraituré _ l’ami, et bientôt témoin du mariage : « le 4 décembre 1813, Granet fut témoin au mariage d’Ingres et de Marguerite Chapelle à l’église San Martino in Monte » (encore !), indique Philip Conisbee page 130…

Mais la taille réduite de ces deux œuvres-ci de Granet les ôte irrémédiablement de la catégorie des « tableaux de Salon », seuls susceptibles de permettre à un artiste « faisant carrière », de se voir « reconnue » l’onction (de « notoriété », donc) de l' »autorité » du public… Demeure, cependant, cette appréciation parlante du critique Pierre Chaussard, au vu des premiers envois de Granet au salon de 1806 (page 124, sous la plume du regretté Philip Conisbee _ auteur de la belle page de commentaire de ce « Portrait de Granet » d’Ingres ; ainsi que dédicataire de ce livre) : « C’est sous le ciel brûlant d’Italie que Granet a puisé ce ton vigoureux et chaud de ses tableaux, la vérité des sites et la sévérité du style«  : c’était là, en 1806, un fort beau compliment ; et en totale concordance, qui plus est, avec la sensibilité de notre siècle.

Fin de l’incise ; et retour au « Chœur des Capucins » et à sa place dans la notoriété de Granet :

Jusqu’au saint-père, Pie VII, qui, en mars 1816, « entend voir le tableau des « Capucins » », à « Monte Cavallo » (= en son palais du Quirinal) ; ainsi que le roi, Charles IV, et la reine d’Espagne, alors de passage à Rome (au palais de l’ambassade, Piazza di Spagna, au bas de la scalinata de la Trinité-des-Monts, « la toile (étant par les rues de Rome) portée (en ces deux palais) par quatre hommes que j’avais choisis pour cela » _ page 202).

La page 204 de l’album de Denis Coutagne s’efforce de recenser les divers exemplaires de ce « Chœur des Capucins«  : « les versions repérées dans les Mémoires ou la correspondance de Granet« , ainsi que « les versions reconnues comme authentiques non signalées par Granet« , au nombre, les premières de douze, et, les secondes, de trois : soit au minimum quinze exemplaires de cette seule toile. Sans compter celles, encore, qui vont s’en inspirer… Ainsi, avec cette reconnaissance internationale du « Chœur des Capucins » _ avec les commandes officielles de la reine Caroline de Naples, de son frère Louis, l’ex-roi de Hollande (et père du futur Napoléon III) _ sœur et frère de Napoléon _, du duc de Berry (héritier du trône de France), du prince Albert, époux de la reine Victoria, de l’empereur de Russie, Alexandre !… _, sonna l' »heure de gloire » par toute l’Europe d’avant et après 1815 de cet homme longtemps à contre temps, voire hors du temps, qu’avait été le discret Granet, fuyant le Paris révolutionnaire et d’Empire, pour une Rome « désertée« , de jardins entre des ruines _ ce qui demeure encore un peu aujourd’hui _, la Rome de son vieux (né en 1756, il mourra en 1844) maître Jean-Antoine Constantin (à Rome, lui, en 1777, 78 et 79)…

Sans Titre - © Bernard Plossu

Pages 94 et 183, Denis Coutagne cite _ deux fois _ un passage d’une belle lettre (du 23 août 1810) du préfet (de Napoléon à Rome de 1810 à 1814 : quand Rome, d’occupée par les Français, devient le chef-lieu d’un département français !) Camille Tournon à sa mère, que je ne résiste pas au plaisir de citer en entier, tant j’en trouve la teneur représentative et (toujours) judicieuse : « Je monte à cheval tous les jours de 6 h à 8 heures du matin, et je vais visiter les diverses parties de la ville. Il faut des années entières pour la bien connaître, tant il y a de choses remarquables, modernes ou antiques. La ville antique est remplie de jardins, de vignes et de champs, mais au milieu desquels s’élèvent les ruines des temples, des palais, des thermes, des acqueducs. Ce mélange de ruines, d’arbres et de plantes fait un effet très gracieux, et rend plus imposants ces beaux vestiges. Le terrain sur lequel est bâtie Rome est couvert de petits côteaux, ce qui donne aux édifices qui les couvrent un aspect plus pittoresque, et varie les points de vue _ comme c’est magnifiquement saisi ! Dans les vallons qui séparent ces mamelons, sont des jardins et des vergers. L’enceinte de Rome est immense, et un mur bâti en partie par Tarquin, par les consuls, par les Césars, par Bélisaire, par les papes enfin, enveloppe la ville. Rien n’est plus curieux que de suivre la succession de ces diverses constructions qui toutes sont très pittoresques. Toute la partie sud de l’enceinte est abandonnée, et la ville actuelle est toute réunie dans la partie nord et sur les rives du fleuve. Elle paraît un point dans une immense enceinte. En comparant l’espace qu’occupait l’ancienne Rome et le petit coin dans lequel est confiné la nouvelle, on juge de la différence des deux peuples et des deux âges. »

« On peut alors imaginer l’aspect général d’une ville comme abandonnée par l’histoire sur le bord du chemin : les grandes constructions de la Renaissance et de l’âge baroque rappellent la magnificence d’une ville qui entendit proclamer sa place éminente, aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, alors qu’elle n’a guère de moyens en ce début de XIXe siècle » _ commente alors Denis Coutagne, page 95 : et c’est cette nostalgie _ ou « mélancolie singulière« , selon une autre expression de Tournon à son arrivée à Rome (en une autre lettre à sa mère, le 6 novembre 1809) _  qui proprement « enchante » François-Marius Granet _ Denis Coutagne intitulant ce très beau chapitre XIII (de la page 117 à la page 175) : « Les Années 1805-1809 _ ou l’enchantement« …

Sans titre - © Bernard Plossu

Et quand, de retour d’un voyage à Naples, au début du mois de juillet 1811, Granet revoit Rome d’un œil un peu plus neuf, il s’irrite : « Cette belle ville avait changé d’aspect, et tout son caractère religieux était effacé. Les hommes de guerre avaient remplacé les prélats, les cardinaux, les religieux«  , se souviendra-t-il en ses « Mémoires« , en 1847…La ville connait aussi bien des rénovations architecturales _ tel, l’aménagement par Valadier, de la Piazza del Popolo ; et archéologiques, au Campo Vaccino et au Colisée, où l’on nettoie les pierres des herbes et végétations (ou habitations) qui les encombraient depuis si longtemps. Granet s’en irrite à nouveau lors de son retour à Rome de novembre 1829 à septembre 1830 : « ceux qu’il appelle « les ingénieurs » _ commente Denis Coutagne _ ont dépouillé les ruines de leurs buissons et feuillages, histoire de les préserver et de restituer l’architecture antique dans sa sobriété » _ commence l’ère du « patrimoine »…« Je blâmai les hommes qui avaient eu la hardiesse de mettre leurs mains profanes sur ces beaux marbres que le temps a respectés et que la nature, avec sa grâce à elle, avait ornés de fleurs et de guirlandes« , se lamente Granet (page 251 du chapitre « l’Adieu à Rome« , pages 251 à 255).

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Denis Coutagne met aussi cela au compte du « regard même du peintre«  (page 252) : j’y reconnais l’« admirable tremblement du temps«  que Gaëtan Picon a su si bien relever (en un merveilleux livre, aux Éditions Pierre Skira, dans la si remarquable collection « Les Sentiers de la création« , en 1970) dans la prose magnifique des « Mémoires d’outre-tombe » de Chateaubriand _ l’exact contemporain de Granet, ainsi que connaisseur, lui aussi, de Rome ;

l’« admirable tremblement du temps« , donc, qui affecte, séduit et enthousiasme « picturalement » (ou « æsthétiquement » : les deux ne sont pas dissociables _ on pourrait y adjoindre tout regard « plastique » : celui du photographe, comme celui du cinéaste : il faudrait ici mettre en regard aussi les ouvrages « romains », et de Bernard Plossu, et de Michelangelo Antonioni _ dans « Identificazione di una donna » , par exemple, mais aussi « L’Eclisse » et « L’Avventura« , en remontant le cours de l’œuvre du ferrarais _, je l’ai déjà avancé) ;

l' »admirable tremblement du temps » qui affecte, séduit et enthousiasme « picturalement » ou « æsthétiquement » le peintre, élève du « romain » aussi Jean-Antoine Constantin, François-Marius Granet : et en ce qu’il regarde (= sait saisir) ; et en ce que _ activement _ il sait peindre et peint (dessine, trace, etc…) _ car les deux sont liés, comme l’analyse si bien Marie-José Mondzain en son « Homo spectator« … Et cela,  dans la partie la plus « personnelle », discrète, voire secrète, de son œuvre, que je n’ai que peu abordée jusqu’ici ; celle qui nous touche tant aujourd’hui… j’y viens : ce que Granet nomme ses « études« . Et qu’il s’est « désolé » de voir si maltraitées lors de son passage à la douane, à son retour en France, « par la frontière des Rousses » (page 255), en novembre 1830.

Je cite ce moment tel que le rapporte Denis Coutagne : « Le désespoir est à son comble quand le douanier français met à mal (sic) les bagages que le peintre rapporte _ de vingt-huit ans de vie et de « travail » à Rome, depuis son arrivée à l’automne 1802. On déballe dans le plus grand désordre _ voici l’objet du « délit » _ des petites études à l’huile, on les éparpille sans égards _ et ici Denis Coutagne laisse la plume à Granet : « Tout fut inutile et je fus obligé, de guerre lasse,de leur laisser ma caisse ouverte. Que de regrets et de peines j’éprouvai en pensant que je laissais le fruit de 26 ans d’étude entre les mains de ces barbares ! » Et Denis Coutagne de commenter : « Déréliction : non seulement il faut quitter Rome, mais encore accepter que des mains étrangères profanent ces souvenirs, les retiennent. C’est la France : Granet pressent que la critique _ à Paris _ à l’instar de ce préposé, ne sera pas reconnaissante. Pour l’immédiat, il se fait connaître _ au plus tôt _ aux services de douane à Paris et obtient en huit que ses « études«  _ c’est le (juste) nom qu’il leur donne _ lui soient restituées.

 » Ces « études » de Granet, dûment estampillées par l’administration « Legs Granet« , étant ce qui nous émeut le plus :  » Ces huiles de petit format, longtemps inconnues, esquissées d’un seul jet sur le motif dans les rues de Rome ou dans les environs de la ville, et destinées à la méditation du peintre seul, nous bouleversent immédiatement« , met en exergue Marc Fumaroli dans sa magnifique « Préface« , si bien « sentie », page 10. Et il détaille : « Quand nous allons aujourd’hui de l’un à l’autre de ces fragments plastiques du « journal intime de Rome » _ comme cette expression est juste ! _ de Granet _ puisque c’est d’abord de cela qu’il s’agit, avant le « journal  intime de l’Institut », des bords de Seine (près du pont des Arts et en direction du pont du Carrousel) ; et du « journal intime de Versailles », en direction de la pièce d’eau des Suisses, en 1837-38, 1841, et 1842 (cf page 282) _, c’est un peu comme si , sautant par-dessus Corot, se révélait à nous l’un des chaînons manquants entre Poussin et Cézanne, un chaînon d’une irréductible originalité et se suffisant à lui-même _ absolument ! _, même s’il nous faut remercier Cézanne de nous avoir préparés, rétrospectivement, à comprendre d’emblée _ dorénavant _ et sans préjugé la vigueur formelle et la grandeur spirituelle de ces esquisses, si humbles et si nues _ oui _ que leur peintre semble avoir oublié et dédaigné, devant son objet, les ficelles de son métier » _ ou comment l’art vrai transcende toute technique, y compris picturale, graphique (et non mécanique ; ou mécanisable).

Marc Fumaroli pousse alors un cran plus loin son analyse (et son recul) : « Quand on a perçu une fois le singulier « cézannisme » _ que l’on jette un coup d’œil, par exemple, à l’huile sur toile de 60,8 x 49 cm intitulée « Rome voûte antique » (saisie sans conteste en la crypte de cette église décidément importante pour Granet (et Ingres, qui s’y est marié) qu’est San Martino in Monte ; et qui recèle des fresques de Gaspard Dughet (dit Poussin, ou « le Guaspre« ), on s’en convaincra plus encore si besoin encore était _, avant la lettre de ce Granet pélerin solitaire de Rome, la conviction d’une filiation à la fois plastique et spirituelle entre les deux artistes aixois s’impose comme une évidence à la sensibilité et à l’esprit » _ parfaitement ! on ne saurait mieux le dire…

Et Marc Fumaroli de parler aussi du « tête-à-tête intime (ou « combat avec l’ange«  _ à la Delacroix à Saint-Sulpice) entre Granet et Rome, dont témoignent ces petits formats monumentaux« , y a-t-il plus juste expression que pareil oxymore ?! Et Marc Fumaroli de préciser encore : « Granet, héritier lui-même d’une « tradition romaine » des peintres d’Aix _ et revoilà Viali, Dandré-Bardon, Vernet et Jean-Antoine Constantin, surtout, au premier chef, auprès du jeune François-Marius Granet, à l’école de dessin d’Aix ! selon notre intuition… _ qui doit beaucoup à Poussin paysagiste » : comme j’adhère à cette riche perspective !..

Et, pour Cézanne, alors, ceci : « Si Granet lui a fait voir Rome _ il s’agit de Cézanne fréquentant, d’abord en sa jeunesse, le musée d’Aix (enrichi des collections de Granet lui-même) _, la Rome que Cézanne put vraiment voir _ et « saisir » _ au musée Granet, était encore plus proche que la Rome de Poussin _ ou du « Guaspre« , ou du « Lorrain » _ de « cela » que lui-même _ Cézanne _ cherchait à Aix : « du Poussin d’après nature », un lieu primordial _ l’analyse est réellement magnifique de profondeur en sa justesse, si je puis me permettre, Maître _, ramené à ses volumes, à ses nervures et à ses tonalités essentielles, dénudé _ oui _ des conventions de métier  et d’académie, rugueux et d’autant plus ductile au travail rédempteur de la lumière »  _ qu’on y prête soigneusement attention en parcourant et les salles si riches de ce musée en cette exposition, ou en détaillant les pages et les images si riches de ce livre-ci…

Avec ce dernier mot quant à la filiation Granet-Cézanne de la part de Marc Fumaroli : « Comment ne pas entrevoir, dans ce Granet secret _ qui nous touche tant _, l’un des rares intercesseurs qui pouvaient orienter Cézanne dans sa propre ascèse solitaire sur les chemins d’une ville et d’un arrière pays _ je pense, pour ma part, à la carrière de Bibémus, au flanc de la Sainte-Victoire, pour en partager un peu les secrets, les veines, les lumières, les tons _ qu’il avait élus pour son oratoire personnel _ loin de Paris, à Aix, donc _, comme Granet l’avait fait _ en écoutant (le désir de) Constantin _ pour Rome ?« 

Et ceci encore, en forme de synthèse sur un certain art « français » : « Singulière configuration de lieux « provinciaux » _ hors Paris-la-capitale, donc : Les Andelys de Poussin, l’Aix de Granet et de Cézanne. Rome les superpose et les résume _ avant Mazarin (et Richelieu), dans le cas de Poussin. Singulière famille aussi de peintres français, pour lequel le lieu de naissance et la cité intérieure _ ainsi que leurs lumières _ comptent beaucoup plus, en définitive, que leur nationalité« . A l’écoute d’un « admirable tremblement du temps » sensible dans la variation des atmosphères que révèlent les jeux de la lumière à qui apprend  _ et « étudie » _ à la regarder (et saisir, et tracer) en ses fluctuations, précisément… Et je pense aussi à Proust, ici ; et à sa « peinture » par longues écharpes de phrases si parfaitement détaillées : par exemple face à la haie d’aubépines dans « Du côté de chez Swann« … Merci François-Marius Granet ; merci Marc Fumaroli ; merci Denis Coutagne ; et tous ceux qui ont concouru à tout le travail ayant mené à cette exposition, et à ce livre : quelles mines ! quels trésors ! vous nous offrez à « explorer » !

Et encore ceci, à propos de Rome et de ce qui y fut vécu _ et surtout fait, réalisé par Granet _, pour terminer sur lui et son rapport singulier (d’artiste) à Rome :

Rome, « cette terre que nous regrettons tous, où nous avons passé les plus beaux jours de notre vie«  (in la lettre n° 582, au classement d’Isabelle Neto, en date du 13 décembre 1834. Et encore « pour conclure ce chapitre » _ de l' »Adieu à Rome » _, poursuit Denis Coutagne, page 255, « encore une parole de notre homme. Nous la tirons d’une lettre adressée à Ingres, en mars 1835 ; Ingres tout nouveau directeur de l’Académie de France à Rome _ à la Villa Médicis _ : « Promettez-moi de penser quelquefois à votre vieil ami _ depuis les leçons de l’atelier de David, en 1798, puis « l’espace de travail » partagé (« jusqu’en 1800« ) « au couvent des Capucines, un couvent de la place Vendôme sécularisé pendant la Révolution et rendu accessible aux artistes » (page 124) _ au milieu de cette belle terre classique _ on notera l’expression de Granet _ où j’ai passé les plus doux moments de ma vie… lorsque vous serez avec notre Boguet, dites ensemble : si Granet était là ! » _ lettre de Granet à Paris, à Ingres à Rome, datée du 5 mars 1835…

Pour le reste _ la carrière, les établissements, la fortune, l’assise matérielle (socio-économique) de Granet _,  le 4 mai 1833, Granet dispose, en plus de son logement à l’Institut _ face à la Seine _ d’un logement à Versailles, à l’Hôtel du Grand-Contrôle ; et le 5 mai, Louis-Philippe crée le Musée historique de Versailles et en nomme Granet conservateur : il a en amitié cet homme et cet artiste discret…

La « quatrième période » (et finale) de « Vie pour la peinture » de Granet, après le chapitre « Le Difficile retour«  _ lui-même comportant deux moments :

_ « 1824-1829 : un retour durable en France »

et, « monteverdien », tel le sublime dernier air d’Ottavia (« Addio Roma !« ) juste avant le final du troisième et dernier acte de l’ultime opus, en 1642, de Claudio Monteverdi (« L’Incoronazione di Poppea« )_ par exemple chanté par Cathy Berberian dans la version dirigée par Nikolaus Harnoncourt, enregistrée en 1974, chez Teldec :

_ « 1829-1830 : l’Adieu à Rome » ;

un « final » de dix-neuf ans, au cours duquel Granet, en tant que peintre-créateur sur la scène officielle, surtout « se survit » : ce chapitre est intitulé :  « D’un roi, l’autre : Paris, Versailles, Aix-en-Provence ; ou l’apprentissage de la vieillesse« …

Mais, de même que « une rose d’automne est plus qu’une autre exquise« , ainsi que nous l’avons appris d’Agrippa d’Aubigné (en ses « Tragiques » : un sommet de la poésie française !) ;

quand, se libérant, en sa peinture même, des soucis d’exposition (de Salon) et de carrière _ désormais suffisamment assise pour l’essentiel _, le créateur ne peint _ à nouveau, comme en ses débuts à Rome _ que pour lui-même, en toute et souveraine liberté. Granet retrouve alors, en ces moments tout à lui, l’amplitude de la grâce et liberté « romaines » éprouvées _ à tous égards _ au temps de son arrivée (« été 1802 – automne 1804 » et « les années 1805-1809 ou l’enchantement » _ intitule ses chapitres Denis Coutagne), quand il allait « sur le motif » son simple petit carnet (à dessin) sous le bras, ou à la main _ celui-là même qu’il tient en sa main droite dans le célèbre et si beau portrait de lui-même par Ingres (en 1809) _, et qu’il s’est « donné », en « études« , de merveilleux « paysages » de lumière _ quasi sans « monuments » repérables, comme l’indique Denis Coutagne (et donc vierges de « clichés » _ « à touristes » faisant leur « tour« ) _, tels les « huiles sur papier marouflé sur toile« , de petites dimensions, qu’admire tant, et à si justes raisons, dans sa très belle préface (pages 9 à 11) Marc Fumaroli ; les « lavis d’encre brune, esquisses à la mine de plomb, sur papier collé« , « lavis d’encre grise« , « lavis de sépia« , « lavis de gris et de sépia« , « lavis de brun sur papier vergé« , etc…, « dessins à la plume grise« , et autres sublimes « aquarelles, lavis d’encre brune, esquisse à la mine de plomb, sur papier collé« , encore, de petites dimensions, que l’artiste conservait (comme la prunelle de ses yeux) par devers lui…

C’est ce « peintre de paysage« -là (l’expression de Denis Coutagne se trouve page 131) qui, de fait, et l’expression est encore faible, nous « enchante«  _ comme l’indique le magnifique titre, déjà souligné, de la page 117…

Cette « rose d’automne« , ensuite (et en fin), étant les « aquarelles de Paris et de Versailles«  (de petites dimensions _ de la page 269 à la page 291) : en hiver, surtout, et mélancoliques ; pas mal d’entre elles postérieures à la perte de l’ami Forbin… Qu’on s’y délecte. Ce sera mon mot _ trop long, encore _ de la fin.

Titus Curiosus, ce 15 août 2008

Photographies : Sans Titre, © Bernard Plossu

Encore deux remarques de commentaire :  l’une sur la taille des œuvres (et « études » !) de Granet ; l’autre sur ses autoportraits _ réels, ou « indirects » (et leur mise en scène « cléricale ») ; ce qui me permettra une hypothèse quant à la personnalité _ discrète et effacée ; pas du tout dans l’exhibitionnisme romantique de l’ego qui allait se déchaîner de son temps… Granet n’est pas un romantique.

La première portera sur la taille de ses tableaux. Les tableaux exposés au Salon, devaient affronter la _ redoutable _ concurrence à la quelle les soumettait l’accrochage tel qu’il se pratiquait alors, pour l’exposition au public : on en a une très bonne idée dans l’accrochage _ surchargé _ encore en cours aujourd’hui même à Rome dans les très riches (et superbes) galeries des palais Doria-Pamphili _ sur le Corso, juste en face du palais Mancini, où fut l’Académie de France à Rome entre 1725 et 1802 et l’échange, à rebondissements, des palais avec le grand-duc de Toscane, un Habsbourg-Lorraine, et le transfert dans la sublime Villa Médicis, sur le belvédère du Pincio _ ; et palais Colonna (le plus éblouissant salon de marbre et d’or de Rome : visitable le samedi matin seulement : c’est un enchantement !) : Piazza Colonna, tout près du débouché du Corso place de Venise, devant le Capitole… La taille des œuvres concerne le regard, la « focalisation » _ et l’approche toute physique : il doit s’ap-procher ! pour vraiment « voir » ! _ du « regardeur » : cela me rappelle les remarques de Bernard Plossu sur sa préférence, souvent, pour le petit format de tirage _ et d’exposition _ de ses photos ; et les pas de « rap-prochement », donc, demandés ainsi au « spectateur-regardeur » : une activité à plein temps ! Cf et Marie-José Mondzain, et Baldine Saint-Girons… Une certaine intimité est nécessaire pour cette activité pleine de « regard » _ pas passif ; pas « just a glimpse« , en passant, en courant _ tel celui du touriste pressé : serait-ce un pléonasme, à l’heure du marchandage des RTT ? Le temps de regarder et de vivre _ et celui de lire, aussi !… _ doit-il être objet de marchandage ?  Un minimum (et une qualité) d’attention _ « intensive« , j’ajoute _ est nécessaire pour entrer _ venir, s’introduire, en y étant si peu que ce soit invité _ dans l’intimité de l’auteur d’une œuvre et la connivence _ amicale : un minimum « empathique » _ avec lui… Sinon le passant trop rapide _ cf le merveilleux « A une passante » de Charles Baudelaire (dans « Les Fleurs du mal« ) _ ne « voit » rien, pour reprendre le mot du regretté Daniel Arasse _ « On n’y voit rien« , et le (magnifique et décisif : un must !) « Le Détail _ pour une histoire rapprochée de la peinture » : des urgences de lecture… Ainsi en va-t-il du tourisme pressé (par un temps calculé trop chichement) ; et qui se contente de reconnaître « vite fait, bien fait », les « clichés » (sommaires _ c’est un pléonasme) en cours : éculés, les « clichés »… Je vais y revenir en un prochain article sur le (excellent) travail de l’Office de Tourisme d’Aix _ et l’inventivité efficace de sa direction ; comme je l’ai promis dans mon article précédent « Parcours d’art à Aix (préambule)« .

Ma seconde remarque portera sur les 5 autoportraits de François-Marius Granet que j’ai recensés dans le « Une Vie pour la peinture » de Denis Coutagne _ + les 4 (très probablement d’autres m’ayant échappé…) autoportraits « déguisés », « indirects », dans lesquels l’auteur se « représente » _ se « figure » _ en prêtre ; ou, du moins, en costume ecclésiastique : deux de ces derniers sont des œuvres de très grand format (et magnifiques : tant la « Réception de cardinaux par une maîtrise à la villa du belvédère de Frascati » : 153 cm x 204 cm ; que « Le Cloître des Chartreux » : 198,8 cm x 271 cm), comportant un grand nombre de figures _ ce dont dépendait alors le prix de vente du tableau, comme à la Renaissance ! ; et deux de plus petit format (« La Confession« , en 1846 : 60 cm x 50 cm ; et « Granet en rédemptoriste » _ je doute que ce titre soit de la main de l’auteur, sans date : l’œuvre, toujours à Aix, appartient à une collection privée : par suite de legs personnels de Granet à ses très proches amis aixois ?) + enfin, la « Messe de funérailles«  de son épouse, Nena (ou « Magdeleine« , « morte à Paris en 1847« , comme cela est gravé au mur _ représentant la chapelle de Saint-Jean-de-la Pinette, qui doit accueillir leur double sépulture : Granet s’y représente priant, au pied de l’autel , sur le bord du tableau…

Les 5 autoportraits, s’étalant sur un grand espace de temps de la vie de leur auteur _ entre 1797, pour le premier, une huile sur toile de 39 x 28 cm : Granet est dans l’année de ses vingt-deux ans, et l’extrême fin de sa vie, « 1847- 1849 (?) », pour le dernier, une toute petite aquarelle de 11 x 14,6 cm _, nous offrent une très grande amplitude d’intimité, où nous reconnaissons _ à la seule exception du dernier (sans regard !) _ la même lueur inquiète et légèrement mouillée _ tendre _ du regard… Que sert _ et combien magnifiquement ! _ l’immense « Portrait de Granet » d’Ingres, en 1809 : Granet étant dans la plénitude « romaine » de ses trente-quatre ans. A part les belles mêches brunes, et les favoris bas, rien d’arrogant, ni d’assis ou trop assuré _ on est à mille lieues du portrait de M. Bertin (du même Jean-Auguste-Dominique Ingres), dans cette image de l’artiste : seulement la flamme tranquille/intranquille de la curiosité : vers quoi se tourne son regard ? et le cahier (portfolio) à son nom, sobrement tenu contre lui… Ainsi qu’un beau camée à son doigt. François-Marius Granet n’est pas un romantique. C’est seulement dans son activité de peintre _ « une vie pour la peinture« , en effet _ que Granet a tendu à « accomplir » son « faire« … Et c’est la lumière « trouvée » qui parle, alors, pour lui…

Et pour finir, une magnifique surprise, en inventoriant le fonds de ma bibliothèque : j’ai pu en exhumer, d’incroyable fraîcheur d’images _ et avec quelle richesse : 224 œuvres exposées _, le splendide catalogue « Paysages d’Italie _ les peintres du plein air (1780-1830)« , des expos au Grand-Palais à Paris (d’avril à juillet 2001) et au Palazzo di Te, à Mantoue (de septembre à décembre de la même année), édité par Electa et la RMN en mars 2001, par Anna Ottani Cavina, Vincent Pomarède et Stefano Tumidei : une merveille d’amoureuses recherche et érudition ! L’œuvre de Granet à Rome (et dans sa campagne) s’y trouve, par là, et en son « originalité », superbement « mise en perspective », parmi combien d’autres chefs d’œuvre ! et avec quelle profusion !… Et même, après une excellente notice (de Vincent Pomarède, page 121) consacrée à Jean-Antoine Constantin, le maître _ décisif en son impulsion et désir d’aller se confronter, là-bas, à la lumière de Rome _ de François-Marius Granet, j’ai pu découvrir deux très belles « Études de nuages » de ce maître aixois à « re-découvrir »…

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