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Entre « Recherche » et « recherche », le « flou » actif de l’esprit imaginant à l’heure des GPS…

17juil

Un très intéressant article, ce matin, de Pierre Assouline, sur son « irration » (de lecteur !) d’un « Vademecum«  _ en anglais « Companion to« … _ « pictural » pour la « Recherche » de Proust,

par un anglais un peu trop bien intentionné, selon Pierre Assouline, Eric Karpeles…

Voici l’article de Pierre Assouline, en date de ce 17 juillet

_ farci de mes commentaires, selon la coutume de ce blog-ci… _ :

« Les lecteurs de Proust ont-ils vraiment besoin d’un guide de musée ?« 

     « Prenez un grand roman, disons « A la recherche du temps perdu« . Prenez chacune des évocations d’œuvres d’art que vous y trouverez. Prenez le moteur de recherche du site du Louvre. Mettez les uns dans l’autre, remuez, faites revenir à feu doux et servez quand c’est prêt. Cela donne un beau plat qui a un drôle de goût.

Au départ, une vraie idée d’éditeur ; à l’arrivée une fausse bonne idée. C’est « Le Musée imaginaire de Marcel Proust«  (traduit de l’anglais par Pierre Saint-Jean, 350 pages, 32 euros, Thames and Hudson). On espère que ce n’est pas le début d’une collection ; et que nous ne sommes pas menacés d’un Balzac ou d’un Stendhal du même tonneau. Pourtant son auteur Eric Karpeles, peintre et auteur de textes sur l’esthétique, a crû bien faire. Constatant que la  « Recherche«  était profuse en références picturales, et imaginant sans peine que la mémoire visuelle, pour ne rien dire de la culture artistique, de ses contemporains avaient des limites, il a donc entrepris de mettre le portrait de Mehmet II par Gentile Bellini en face du _ voilà le procédé de ce livre : et ses économies de « recherche documentaire«  pour le lecteur, même à l’ère d’Internet ! _ passage où Proust dit que le jeune Bloch lui ressemble étrangement, un cardinal par Le Gréco en face d’une évocation de Charlus en “grand inquisiteur peint par Le Gréco”, le « Déjeuner sur l’herbe » de Manet en face d’une allusion métaphorique à un déjeuner sur l’herbe, la « Procession de mariage« de Giotto en regard d’une procession, et bien sûr l’évanouissement de Bergotte face au petit pan de mur jaune à la seule vue du Vermeer ! Il semble que l’on ait échappé de justesse à un lit de Caillebotte en face de “Longtemps, je me suis couché de bonne heure”…

Un extrait du roman sur la page verso, une reproduction de l’œuvre censée lui correspondre _ l’enjeu de cet article (de Pierre Assouline en son blog) ainsi que le bien-fondé, ou pas, du livre de Karpeles, se situant en cette visée de « correspondance« -là !.. _ sur la page recto, tous les tableaux du roman dans leur ordre d’apparition. C’est là une conception _ éditoriale, eu égard à un « marché«  (et à une « demande«  de la part de certains lecteurs, désirant parer au plus pressé (de « besoins » d‘ »identifications«  des allusions du texte)… _ très anglaise, et assez américaine _ l’éditeur du travail de Karpeles est Thames and Hudson _, qui consiste à toujours expliquer, rationaliser, dans un esprit positiviste, sinon pratique _ pour ne pas dire immédiatement (et économiquement) utilitaire (ou utilitariste). D’ailleurs, il n’est pas anodin de relever que là-bas, le livre s’intitule « Paintings in Proust. A visual companion to « In Search of lost time«  ». Un “companion”,delft1.1247783924.jpg c’est exactement cela, spécialité typique des librairies britanniques. Asseyez-vous, posez votre roman, on vous aide à le comprendre _ par des « identifications » ponctuelles : éliminant le « flou«  en votre esprit. C’est parfois utile pour les étudiants ou les chercheurs, pratique surtout _ c’est-à-dire économique en temps, en énergie, et en dépenses de tous ordres… Le procédé est déjà _ littérairement, et poïétiquement : pour l’élan de l’imaginaire ! ce que Baldine Saint-Girons appelle si justement « l’acte esthétique« , en son si judicieux « L’Acte Esthétique« , aux Éditions Klincksieck ; et autour de quoi tourne le tout aussi majeur « Homo spectator«  (« spectator«  en action ! pas passif !!!) de Marie-José Mondzain, aux Éditions Bayard : deux ouvrages indispensables pour mieux comprendre tous les enjeux d’une civilisation de l’audiovisuel hypertechnologisé : ici, lire les travaux de l’ami Bernard Stiegler ; en commençant, par exemple, par le plus récemment publié : « Pour en finir avec la mécroissance« , aux Éditions Flammarion… : voilà pour un bon « équipement«  (de lecture et d’intelligence) sur les enjeux actuels (« civilisationnels«  !) de l’« aisthesis«  _ ; le procédé est déjà lourd en soi ; il pèse _ et gravement : pardon pour la redondance ! _ sur la poésie-même des plus belles pages de ce roman par endroits si incroyablement léger_ oui : en sa lecture, comme en son écriture : des affaires de « souffles«  (et inflexions terriblement véloces, car fines ! ou « dansées« ) : c’est une affaire de « rythme« , une fois encore !!! Cf aussi la phrase unique (de 517 pages), sur ce modèle de prestesse proustien, du si merveilleux « Zone« , de Mathias Enard, paru en fin d’été dernier, 2008… : cf, sur lui, mon article du 3 juin dernier : « Le miracle de la reconnaissance par les lecteurs du plus “grand” roman de l’année : “Zone”, de Mathias Enard » _ alors qu’il a tout d’une brique. Le lecteur de la « Recherche«  n’a pas besoin _ du tout : voilà la raison de l’intervention ici de Pierre Assouline _ qu’un conservateur de musée lui prenne la main pour le guider _ fut-ce avec les « meilleures œillères » du monde ! ah ! la terrible soumission à ce que l’on prend aveuglément pour des « autorités«  !.. Autant obliger tout visiteur _ en rang d’oignons et file indienne, ou pas ! _ des Offices à porter et utiliser l’un de ces casques audio _ même démilitarisé… _ qui vous expliquent _ vous devenant passif : tel un utilisateur de GPS !!! dans le dédale pourtant charmant d’une ville encore pas trop connue… : « passif » et « captif » (satisfait ! cf l’illustration de la bêtise chez Flaubert, dans le « contentement de soi » béat d’un Monsieur Homais, in « Madame Bovary«  !) de ce qui devient pur réflexe à un stimulus pré-formé… _ ce qui se passe ! Le fait est que ça parle beaucoup « peinture » chez Proust. Tableaux, dessins, gravures et sculptures sont partout dans la « Recherche« . Ils ont toutes sortes _ oui ! _ de fonction : ils reflètent, authentifient, métaphorisent _ peut-il donc exister un mode d’emploi « sécurisé«  (en stéréotypes) des métaphores ?.. Mais le problème de ce « Musée imaginaire de Marcel Proust est dans son principe même _ coupant l’herbe sous le pied de toute recherche effective par l’imagination (mise en action) du lecteur lui-même : ainsi « assisté«  passivement !.. C’est cette recherche personnelle qui est l’œuvre (irremplaçable !) et du « regardeur » et du « lecteur«  vrais : pas réduits à une consommation préformatée d’images devenant de très réducteurs « clichés«  ; et « réducteurs de têtes« , ajouterait Dany-Robert Dufour (en son important « Art de réduire les têtes«  !)…

On croirait le trousseau de clés _ mécanisé _ d’un prétendu roman-à-clefs. Or un roman est fait pour laisser vivre _ et prospérer en un vagabondage libre : libéré ! avec un « jeu«  enthousiasmant ! _ l’imaginaire du lecteur. Tant mieux s’ils se trompe ou s’égare, là n’est pas la question _ en effet : bravo ! et merci ! Pierre Assouline ! de mettre si bien un peu les points sur les i du métier éditorial, du point de vue de ce que risque de devenir l’« in-activité«  de lire (de la part de lecteurs devenus ainsi  « non-lecteurs«  !), avec de tels « compagnons«  trop bien intentionnés : cela me rappelant la morale, délicatement incisive, de ce génie de La Fontaine, dans « L’Ours et l’amateur de jardins » !.. (« Fables« , VIII, X _ en 1678) : que je me permettrai d’adapter ainsi : « Rien n’est si dangereux qu’un ignorant (= ici « mal savant »…) ami ; Mieux vaudrait un sage ennemi«  _ ; à lui _ lecteur ; et à lui seul ! en une liberté construite, et non renoncée, surtout ! _ d’interpréter _ en cherchant !.. ; c’est un jeu jouissif ! _, de traduire les mots en sensations _ et vice versa Proust n’avait pas conçu sa cathédrale de papier _ (et de mots et phrases imprimés) : l’expression est à prendre au pied de la lettre _ comme un beau-livre illustré _ en effet ! Lorsqu’il écrit que la lumière se dégradait dans les escaliers d’un hôtel et convertissait leurs degrés “en cette ambre dorée, inconsistante et mystérieuse comme un crépuscule, où Rembrandt découpe tantôt l’appui d’une fenêtre ou la manivelle d’un puits”, a-t-on vraiment envie de retrouver sur la page en regard une reproduction du « Philosophe en méditation » (1632) ? Non, d’autant que ce pourrait être _ tout autant ! _ un autre tableau _ le « Rembrandt » de Proust étant lui aussi (et cela, « fondamentalement«  !) fort composite, le réduire ainsi à un exemple unique (et, d’autant, là où Proust, lui, les multiplie : « tantôt« , « ou«  !..), c’est couper les ailes au déploiement de son imaginaire en train de s’activer « dans le temps«  : pour quelle économie instantanée ? ; le contresens est alors tout à fait grave, en effet !., cher Pierre Assouline ! Merci de nous en prévenir ainsi en votre blog de salubrité publique  (pour une vraie « république des livres«  et de lecteurs « vrais« , en tout cas : pas trop « décérébrés«  encore, en voie d’être eux-mêmes réduits à de purs « arcs-réflexes« )Pareillement lorsque, à propos du baron de Charlus, l’écrivain évoque _ le mot impliquant du « flou«  _ ”une harmonie noir et blanc de Whistler”, on n’a nullement envie d’être dirigé bellini_mehmet_ii.1247783957.jpg_ illico presto et comme sur rails de voie unique _ vers la reproduction de « Arrangement en noir et or : le comte de Robert Montesquiou-Fezensac » du même peintre. Car ces choix figent _ voilà le crime ! _ notre imaginaire _ de poïesis en action _ et c’est le pire service _ magnifique expression ! _ que l’on puisse rendre tant au romancier qu’à ses lecteurs.

Nous qui avons vécu des années dans l’ignorance de la « Vue de Delft » _ il nous fallait « essayer«  de nous la « représenter«  : que de joie en cette incertitude (et son « tremblé« …) ; et cette « confiance«  accordée au talent d’ekphrasis de Proust ! _ tout en vibrant à l’émotion _ vibrée, dans la phrase même, ondulante, de Proust… _ de Bergotte, pourquoi nous obligerait-on _ robotisés (« à voie unique«  : c’est un comble !) que nous deviendrions _ à mettre les points sur les i ? Rien n’est émouvant comme la découverte et la rencontre inopinées _ bien plus tard qu’à la lecture… _, un après-midi de printemps à la faveur d’un égarement dans un musée, entre ce que l’on avait lu et ce que l’on voit enfin par hasard _ remerciant alors (personne ! ou plein d’intermédiaires…) la grâce de ce « hasard » de rencontre… Avis aux “companions” les mieux intentionnés : nous sommes encore _ mais pour combien de temps, cependant ?.. Que fait ici, et que ne fait pas, l’École, pour les nouvelles générations ?.. un certain nombre à ne pas prendre ombrage lorsque, relisant « A la recherche du temps perdu«  avec une volupté inentamée _ en effet ! sa « fraîcheur » s’enrichissant, même !.. _, nous ignorons _ mais oui ! ah cette stupidité (à la Homais !) de « craindre de mourir idiot«  au sens de non-savant, d’ignorant : l’ambigüité du terme étant très joliment dans ce cher La Fontaine (de « L’Ours et l’amateur de jardins » : « ignorant«  opposé à « sage« …)… _ ce qu’est la noblesse d’une « buire » de Venise, ou le sens de “mazulipatan”…   Qu’importe puisque Proust, comme ses personnages, étaient à la poursuite _ ouverte ; et non figée (et pour cause !) _ d’un rêve _ un « rêve«  est-il jamais « à satisfaire«  ? : là est tout ce qui sépare le libre désir du lourd besoin : rassasiable, mais très temporairement, lui… _ et que la puissance _ oui ! _ de la fiction _ le substantif émanant du verbe (et de l’activité) de « feindre«  : c’est tout le « jeu«  du faire-semblant, avec tout son « bougé » en acte… _ étant ce qu’elle est, nul ne pourra l’objectiver _ et la tuer en la figeant : ne serait-ce qu’en clichés !!! (et toute leur solennelle « bien-pensance«  N’a-t-il pas écrit _ Proust… _ que l’essentiel est dans “cette lumière  _ un principe de connaissance qui passe aussi, et nécessairement, par l’activité de l’esprit : biologiquement, en quelque sorte ; et le processus existe aussi, c’est même une fonction ô combien capitale du vivant et de la survie, chez les animaux ! _ qui fait tout le jour la beauté des objets et le soir tout leur mystère _ on notera le splendidement discret décalage proustien entre « tout le jour«  et le passage furtif, lui, du « soir« , avant la nuit _, qui en se retirant d’eux _ « eux«  : les objets disponibles pour l’activité d’un sujet _ modifie à tel point leur existence _ de choses inertes, en dehors de notre appréhension (à commencer par perceptive, et attentive : il faut aussi que le regard, en son mouvement même, en son flux, se focalise un tant soit peu _ mais pas à les figer ! _ sur eux ; et pas forcément programmatiquement !) _ que nous sentons bien qu’elle _ cette « existence«  d’« objets« -pour-nous, et en-dehors-de-nous, aussi… _ en est le principe _ extérieur, transcendant : avec toujours son « mystère«  (pour nous !) ; et le « flou« , forcément, et à l’infini (à des degrés variant…), de toute perception qualitative ; et non pas pragmatiquement utilitariste seulement : là-dessus, lire les analyses décisives de Bergson, auxquelles on doit bien davantage revenir… _ et qu’eux-mêmes semblent passer, dans ces minutes si inquiétantes et si belles _ les deux étant intimement liés : c’est une des clés de l’œuvre proustien : de son intense et permanente, oui, « vibration«  ! à la lecture ! pour peu qu’on fasse confiance à l’élan du souffle long et splendide de sa phrase… _, par toutes les affres de la mort” _ et « dans le temps« … : le dernier mot (de gratitude !) à la toute dernière page du « Temps retrouvé«  _ ?.. Et cette lumière _ infiniment vibrante pour le lecteur acceptant de se livrer à sa « vibration«  : sans clichés ! _, l’artiste qui l’a créée et nous l’a transmise _ par le dispositif écriture-lecture exclusivement _ après l’avoir rêvée _ oui ! = imaginée activement ! en son génie d’auteur ! _ n’était pas peintre, mais écrivain » _ en effet !

(”Arrangement en noir et or : le comte Robert Montesquiou-Fezensac« , par James Abbott McNeill Whistler 1891-1892 ; “Vue de Delft” de Jan Vermeer 1659-1660 ; “Le Sultan Mehmet II” de Gentile Bellini, 1480)

Voilà pour ce bel article de Pierre Assouline.

Bref, un « Vademecum » (« Companion to…« , en anglais) assez peu utile poïétiquement : c’est même un euphémisme…

Titus Curiosus, ce 17 juillet 2009

La connaissance intime de l’autre via la « cardiognosie » du romancier moderne (en son usage du monologue intérieur) : à l’aune de l’augustinisme, par Jean-Louis Chrétien

15mai

Un remarquable article de Nicolas Weill dans Le Monde de ce jour, le 15 mai 2009, vient conforter à la fois mon grand intérêt pour le livre important de Jean-Louis Chrétien « Conscience et roman 1 _ la conscience au grand jour« , paru le 23 avril dernier aux Éditions de Minuit ; et un certain agacement à l’égard de ce que je ressens comme un hyper-pessimisme augustinien.

J’ai achevé la lecture de ce grand livre il y a plus d’une semaine ; et en laissais la lecture « reposer » (= « mitonner« ) un peu dans l’alambic à circonvolutions de ma mémoire-pensée avant de m’y « attaquer » sérieusement un peu frontalement ; jusqu’à découvrir ce matin cet excellent article de Nicolas Weill, qui partage mon angle de vision : quant au perspectivisme augustinien de Jean-Louis Chrétien _ auteur d’un « Saint Augustin et les actes de paroles« , pas encore lu, mais à lire urgemment…

Il faut dire que j’avais grandement apprécié le livre précédent de Jean-Louis Chrétien : « La Joie spacieuse _ essai sur la dilatation« , davantage en empathie, cette fois-là, avec ce que je pourrais qualifier, le plus modestement possible, de spinozisme et de « waltwhitmanisme«  _ de Walt Whitman, lire le formidablement dynamisant « Feuilles d’herbe » _ de ma propre idiosyncrasie

Ce travail-ci, aujourd’hui, de Jean-Louis Chrétien nous introduit au cœur d’une des questions majeures de la modernité (et de son devenir ; son avenir même : face au nihilisme qui le ronge et détruit ce qu’il recèle pourtant de forces de « vie » !) :

celle de l’identité personnelle se forgeant, fondamentalement, par la qualité des liens à l’autre (et à l’altérité)

_ c’est-à-dire ce qui se nomme proprement,

selon l’analyse qu’en fait on ne peut mieux lucidement Michaël Foessel,

l' »intimité«  :

cf là-dessus, de Michaël Foessel, le très important « La Privation de l’intime« 

(sur ce livre, majeur lui aussi pour l’intelligence de l’aujourd’hui, cf mon article du 11 novembre 2008 : « la pulvérisation maintenant de l’intime : une menace envers la réalité de la démocratie« ).

Ainsi que de leur connaissance, et de leur accessibilité, ou pas

_ à cette identité et à cette intimité des personnes _, à d’autres (que soi) :

à la page 17, Jean-Louis Chrétien cite un mot de François Mauriac, « en 1928, dans son ouvrage « Le Roman«  »,

en réponse à ces affirmations de Jacques Maritain, dans « Trois réformateurs » (en l’occurrence, Luther, Descartes, Rousseau), en 1925 : « Il y a un secret des cœurs qui est fermé _ même _ aux anges, ouvert seulement à la science sacerdotale du Christ. Un Freud aujourd’hui, par des ruses de psychologue, entreprend de le violer. Le Christ a posé son regard dans les yeux de la femme adultère, et tout percé jusqu’au fond ; lui seul le pouvait sans souillure. Tout romancier lit sans vergogne dans ces pauvres yeux ; et mène son lecteur au spectacle. »

François Mauriac remarque : « Je ne sais rien de plus troublant que ces  lignes pour un homme _ soit un romancier tel que lui-même ! _ à qui est départi le don _ sic _ redoutable de créer des êtres, de scruter le secret des cœurs« . Voilà donc ce qui fait ici question !

Et à la page 18, est citée la réponse ferme de Mauriac : « Ce secret des cœurs, dont Maritain nous assure qu’il est fermé aux anges eux-mêmes, un romancier d’aujourd’hui ne doute pas que sa vocation la plus impérieuse soit justement de le violer.« 

Etant (bien) entendu que de la qualité de ces liens (dont ceux des « cœurs« ) à l’autre, découle aussi, en aplomb et en surplomb _ cf déjà les analyses de Mélanie Klein sur l' »introjection » du moi chez le petit enfant, avant la parole… _, car les impliquant et les commandant, rien moins que la conception de soi, et du rapport à soi

(ainsi que des autres, et des rapports à eux) :

question éminemment cruciale, que celle de la conception

(et de la formation effective : au sein des processus d’éducation et d’enseignement, ainsi que d’initiation vraie à une culture riche)

de l’identité personnelle

_ à l’heure grotesque, sinon ubuesque, de l’inflation misérable des ego, d’autant plus narcissiques, que plus vides, ces « baudruches« , ces « outres de vent » gonflées de la prétention de leur « rien » !..

Et que _ ou combien ! _ de mauvais _ hauts ! _ exemples, ici, de « bassesses« , sur les tribunes, les estrades, sur lesquelles se focalisent les projecteurs et les sunlights, et les lucarnes blafardement luminescentes des pauvres écrans de télévision…

Sur ma lecture du livre de Jean-Louis Chrétien

et de ses six chapitres (après celui de présentation de la problématique) :

1) je me suis amusé à l’alacrité jouissive de la description de la comédie mondaine stendhalienne (surtout dans « Lucien Leuwen » et « Le Rouge et le Noir » ;

2) j’ai apprécié la très grande qualité de vista de l’approche, si riche (= pleine) de détails, du « monde » dans l’œuvre balzacien (surtout à travers de remarquablement fines analyses de « La Cousine Bette » et d' »Albert Savarus« )

_ au point que « en régime d’omnisignifiance _ tel que l’envisage l’option d’une Création infiniment bonne _ le détail révélateur, le détail qui n’a rien de contingent _ du moins dans l’absolu du cadre (théologique) ainsi envisagé _ (se) soulève la question de savoir s’il y a vraiment quelque chose comme des détails« . Alors « c’est lui _ le détail ! _ qui hérite de l’omnisignifiance chrétienne en la métamorphosant : dans la lumière de l’humain, il n’est rien qui ne fasse sens«  _ et soit absolument absurde ! Avec cette référence, alors , déjà, page 31, à Balzac : « Ceux qui se lassent des descriptions balzaciennes méconnaissent que voir une demeure et les choses qui s’y trouvent, c’est déjà explorer l’âme et l’histoire de ceux qui l’habitent. L’importance croissante du concept de « milieu », si bien étudié par Leo Spitzer et Erich Auerbach, va dans le sens de cette omnisignifiance. Tout étant solidaire, il n’y a plus de détails.«  Et tout spécialement : « un lieu réel d’omnisignifiance est la ville, et particulièrement la grande ville«  « Une ville est un lieu de saturation du sens », énonce Jean-Louis Chrétien, page 32. Etc… Fin de l’incise sur le « monde » balzacien…

3) j’ai découvert l’impressionnante ampleur, et hauteur, et profondeur, de vue métaphysique d’un Hugo (tant dans « Les Misérables » que dans « L’Homme qui rit » et « Les Travailleurs de la mer » ;

4) j’ai retrouvé la richesse de l’approche woolfienne de la complexité du réel, des points de vue, jusqu’à la morbidité

_ qui m’avait irrité dans le film, s’inspirant et de son style, et de son aventure personnelle (suicidaire, jusqu’au suicide effectif conclusif) du film « The Hours » (de Stephen Daldry, en 2003), d’après le roman de même titre de Michaël Cunningham, en 1999 : en français « Les Heures » _,

dans la lecture de l’incommunication (tragique) des personnages des (magnifiques) « Vagues » de Virginia Woolf ;

5) j’ai un peu déploré le choix de « Lumière d’août » pour entrer dans l’univers faulknerien, plutôt que les alternatives du « Bruit et la fureur« , ou « Sanctuaire« , ou « Absalon ! Absalon !« , à cause d’une vision davantage marquée, ici, par le poids du péché (que dans d’autres des romans de cet auteur tellement majeur ! en effet) : où se trouve, ici, l' »allègement » (« Light« ) de l’héroïne, Lena Grove, qui, enceinte, vient par hasard accoucher ce mois d’août-là au pays de « Yoknapatawpha County« , entre l’Alabama d’où elle vient, et la Louisiane vers où elle va ; et croise le parcours (= la via crucis) du martyr Joe Christmas…

et 6) j’ai pris grand plaisir à entrer dans l’univers (torturé : à je ne sais quel quantième degré !) beckettien par ce choix de « L’Innommable« , que je ne connaissais pas…

Voici donc, maintenant, l’article très clair et très juste de Nicolas Weill,

un peu truffé, à ma façon, de « commentaires« , au fil des phrases :

« Conscience et roman, I. La Conscience au grand jour », de Jean-Louis Chrétien : le roman et son péché originel« 

in LE MONDE DES LIVRES | 23.04.09 | 10h54  •  Mis à jour le 23.04.09 | 10h54

Pourrions-nous lire un roman si nous ne présupposions pas à l’avance que son auteur, à l’instar de Dieu, possède le don

_ possiblement éclairant pour le lecteur : à quoi « servirait«  sinon le temps pssé à la lecture d’un livre ? et cela depuis les premiers livres : sacrés ! cf le grand Nietzsche d’« Ainsi parlait Zarathoustra« , au chapitre magnifique « Lire et écrire«  : « Jadis l’esprit était Dieu ; puis il s’est fait homme ; maintenant il est plèbe » (en 1882-83) ; et aussi : « encore un siècle de lecteurs, et il va se mettre à puer« _

le don de sonder les reins et les cœurs de ses personnages ? Cette convention, qui a fini par avoir valeur d’évidence, Jean-Louis Chrétien s’y attaque dans ce premier volet d’une entreprise qui en comportera deux. Pour le philosophe, il s’agit de mener une réflexion de grande ampleur _ oui ! _ sur l’histoire de la conscience _ rien moins : c’est son objet ! _, telle qu’elle a été mise en forme _ oui, afin de mieux « ressentir«  (en l' »aisthesis« )… _ par le roman _ soit le « genre«  de livre le plus lu désormais : ce « miroir«  (de l’identité moderne), comme le nomme Stendhal, placé « le long du chemin«  de la vie de la plupart : « l’ai-je bien parcouru ? »  (ou « bien descendu ? » _ plutôt que « grimpé !« , on le remarquera : soit le « sens » de la pente « attractive«  et ultra-majoritairement dominante…) _ au cours des deux derniers siècles.

Les colères _ en effet !!! _ de ce penseur, lui-même grand lecteur des Pères de l’Eglise _ oui ! _, apparaissent très vite. Et ses développements _ riches d’une très grande perspicacité ! _ se révèlent imprégnés d’une indignation _ oui _ à la Bernanos face à la démesure _ ou le sacrilège… _ d’une littérature qui ose _ certes ! _ se substituer au Créateur. Cette irritation s’exprime en notes, remarques et apartés, sur le mode du coup de griffe à notre civilisation _ et à son pauvre nihilisme si ridiculement narcissique, et tragiquement (c’est à craindre) égocentré… Doit-on pour autant le ranger dans la catégorie, forgée par Antoine Compagnon, des « Antimodernes«  ? Oui, mais à condition de ne pas assortir l’expression de ses connotations politiques d’usage…

L’aventure du roman accompagne une métamorphose du sujet moderne _ oui !!! là-dessus, lire aussi le premier grand livre, en 1963, de Marthe Robert : « L’Ancien et le nouveau » (reparu dans la collection « Les Cahiers rouges«  des Éditions Grasset _ qui ne trouve guère grâce _ et pour cause ! _ à ses yeux. Celle qui transforme le moi en subjectivité recroquevillée _ oui ! _, sous l’effet des mutations propres à la société bourgeoise et individualiste. L’illustration caricaturale d’une telle évolution est l’actuel piéton urbain enfermé maladivement derrière ses écouteurs _ assourdissant (et anesthésiant, carrément !) tout : là-dessus, lire le très grand livre aussi, mais pas assez remarqué, d’Alain Brossat « La démocratie immunitaire » (paru à La Fabrique, en 2003, déjà) ; en plus du livre tout aussi remarquable et tout récent, lui, de Guillaume Le Blanc : « L’Invisibilité sociale«  : il est paru le 18 mars 2009, aux PUF... Pour Jean-Louis Chrétien, ce moi-là est des plus haïssables. Fait-il au moins de la bonne littérature ? La réponse est donnée à travers le parcours d’une figure de style : le monologue intérieur. Comme le style indirect libre, qui fera l’objet du prochain volume, ce procédé a le mérite de serrer au plus près _ en effet, pour la délectation de ce qui s’y révèle à notre connaissance _ l’entrelacement de la conscience contemporaine et du roman.

L’inspiration phénoménologique et religieuse de l’auteur _ oui _ lui permet d’établir une hiérarchie _ oui ! _ entre les diverses œuvres abordées, à partir de leur usage respectif du monologue intérieur. Il s’agit des « Misérables« , d’Hugo, ici magnifiquement réhabilité comme penseur de haut vol _ et Jean-Louis Chrétien donne envie de lire aussi « L’Homme qui rit » et « Les Travailleurs de la mer » : Victor Hugo prenant la dimension (à la Whitman !!! ) d’un immense métaphysicien ! _, des « Vagues« , de Virginia Woolf, de « Lumière d’août« , de Faulkner, de « L’Innommable« , de Beckett, ou de « La Comédie humaine« , de Balzac _ le premier chapitre du livre (après celui d’introduction : « L’Exposition de l’intime dans le roman moderne« , pages 7 à 40) étant tout de même consacré, pages 43 à 92, à l’œuvre de Stendhal : « Stendhal et le cœur humain presque à nu« 

LE SCEAU DE LA DÉMESURE

Tous ces classiques sont confrontés à une aune secrète _ absolument ! _ qui désigne un idéal _ doublement « chrétien« , si je puis me permettre pareille expression en cette occurrence particulière-ci… _ dont le sujet et la fiction modernes s’éloignent le plus : le moi des « Confessions« , auquel Jean-Louis Chrétien a consacré un admirable « Saint Augustin et les actes de paroles » (PUF, 2008). Le moi augustinien, en cherchant la vérité, découvre en lui un au-delà de lui-même _ et qui est aussi un infini (plein) _, alors que notre subjectivité à nous n’exhumerait que les faux-semblants d’une _ misérable _ intériorité narcissique _ vide : lire là-dessus la lecture pascalienne des si audacieux « Essais«  de Montaigne en ses « Pensées » : soit une résistance augustinienne toujours vivace (ou plutôt ravivée) à l’ère d’un premier avènement d’une magnifiquement humaine assomption de l’« humanité » : « bien faire l’homme« , dit Montaigne, au sublime chapitre final (Livre III, chapitre 13 : « De l’expérience« )…

Le geste fondateur du romancier, parce qu’il ose _ oui _ s’instituer en scrutateur _ certes _ des consciences et s’arroge le droit, jusque-là divin

_ en effet : c’était aussi l’audace, mais non sur le mode, biaisé (lui) de la fiction, de Montaigne en ses « Essais« , donc : en se donnant, lui, Montaigne, à pénétrer (par l’« indiligent lecteur« , qui sortirait un peu de son « indiligence«  : c’est là le seuil et le sas !.. « Hic Rhodus, hic saltus« …) ; à pénétrer, donc, un peu, en son activité de penser « sur«  son penser même, « en acte«  _

de pénétrer par effraction _ par son surplomb de romancier, ce « mensonge«  en acte qui prétend « dire la vérité«  (dixit Aragon _ assez expert, semble-t-il, en la chose…) sur les autres que lui-même… _ la conscience d’autrui,

se retrouve frappé du sceau de la démesure. Pour la nommer _ cette « effraction« _, le philosophe a forgé le néologisme de « cardiognosique », qui désigne ce viol de l’intimité _ nous y voilà _ propre au roman tel que nous le connaissons _ en « notre«  modernité.

Cet arrachement au sacré _ certes _ et à l’altérité _ en son mystère : saccagé par ce « réductionnisme » vandale ! _ laisse les personnages seuls avec eux-mêmes

_ et sans amour (vrai : d’un autre) ; sans liens d’intimité (authentique) avec la personne (sacrée) de l’autre : au-delà du corps (ou de la viande : cf le trouble que provoquent les images sidérantes-médusantes d’un Francis Bacon… ; ou d’un Lucian Freud) ; au-delà du corps de l’autre, donc, tenu entre ses bras, en quelque sorte ; au-delà de ce qui se réduit de plus en plus à des comportements érotiques pornographiques (lire là-dessus, peut-être Jean-Luc Marion : « Le Phénomène érotique« , paru aux Éditions Grasset en 2003) _,

dans une société en décomposition _ putride. Reste à savoir si l’écrivain y participe avec plus ou moins de scrupules _ lui-même… Écrits par un Stendhal qui fut à l’école des « idéologues«  _ Destutt de Tracy, etc… _, héritiers révolutionnaires des Lumières, les monologues intérieurs omniprésents dans « Lucien Leuwen » ou « Le Rouge et le Noir«  incarnent une sorte de cas-type _ et cible première de Jean-Louis Chrétien ici, dénonçant son « théâtre«  mesquinement, en sa « comédie » sociale, « mondain«  _ de l’intériorité claquemurée dans l’individualisme conquérant _ des égotismes don juanesques beyliens, en ce premier exemple… Chrétien soutient même que Stendhal anticipe les analyses de Durkheim sur l’« anomie », cette déliaison sociale que la sociologie considère comme caractéristique de l’époque contemporaine.

A l’autre bout de la chaîne, dans « L’Innommable« , Samuel Beckett pousse au contraire la pratique du monologue à un point de rupture salutaire _ par tout ce que lui, Beckett, casse en sa dénonciation jubilatoirement desespérante.

Le fil rouge de cet essai se révèle donc plutôt comme le récit d’un renoncement progressif _ au XXème siècle, donc, beaucoup moins complaisant pour l’égotisme que le siècle précédent (et son abcès de fixation « romantique« …) ; du moins pour les chefs d’oeuvre (woolfiens, faulkneriens et beckettiens) sur lesquels choisit de faire pencher son attention et sa vigilance l’analyste _ au privilège de la « cardiognosie ». Plus un écrivain hésite devant ce privilège _ et carrément le casse en mille morceaux, le brise, le pulvérise _, plus il est grand, suggère Chrétien. A l’inverse, cette voix d’aujourd’hui, qui me réduit aux murs  _ insonorisés et anesthésiants _ du « monde privé », est comparée à celle du ventriloque _ misérablement narcissiste _ qui n’entend que lui. Pour Chrétien, parler sans personne à qui s’adresser _ cf le terrifiant (malgré lui, à son corps défendant ; et non fictif !!!) « E-Love _ petit marketing de la rencontre » de Dominique Baqué (ainsi que mon article du 13 décembre 2008 sur lui : « Le “n’apprendre qu’à corps (et âme) perdu(s)” _ ou “penser (enfin !) par soi-même” de Dominique Baqué : leçon de méthodologie sur l’expérience “personnelle” » )… _ est l’indice d’une souffrance particulière à notre temps. C’est aussi le péché originel de la littérature _ romanesque ? ou romanesque seulement ?… Quid de l’« essai«  à la Montaigne ? ou du penser d’un Nietzsche ?.. _, et sa leçon.


CONSCIENCE ET ROMAN, I. LA CONSCIENCE AU GRAND JOUR de Jean-Louis Chrétien. Minuit, « Paradoxe« , 288 p., 28 €….

Nicolas Weill

Soit, une brillante analyse d’un livre très important qui nous donne de quoi méditer sur un enjeu civilisationnel profond, grave : essentiel, même !Hier, je relisais avec mes élèves le discours du « dernier homme » que le Zarathoustra de Nietzsche fait prononcer, en un monologue intérieur, en son propre discours du « surhumain » (au chapitre 5 du « Prologue » d' »Ainsi parlait Zarathoustra » : le « discours du surhumain » s’étendant, lui, sur les trois chapitres 3, 4 & 5) à celui qui « va vivre le plus longtemps » :celui-ci, le « dernier homme » ne cessant de répéter, en disant (bien !) « nous« , et en clignant des yeux (et c’est d’abord à lui même que s’adresse la recherche de « connivence » !) :« nous avons inventé le bonheur« ..….Je cite ces « paroles« (de « monologue intérieur » autant que d’« adresse à d’autres«  ;

et qui ne sont, ces « autres« -là, que des « semblables« , « tout pareils aux mêmes »…)

in extenso (dans la traduction de Georges-Arthur Goldschmidt) :

« Qu’est l’amour ? Qu’est-ce que la création ? Qu’est le désir ? Qu’est une étoile ?« 

« Voilà ce que demande _ aux autres ou/et à lui-même _ le dernier homme ; et il cligne de l’œil« , fait dire Nietzsche à son personnage de Zarathoustra, cherchant à « parler » à la « fierté » de ceux « qui ne (le) comprennent pas » en son appel à un sursaut (du « surhumain« ) à l’encontre du nihilisme…

Puis : « Nous avons inventé le bonheur« ,

« disent les derniers humains ; et ils clignent des yeux. »

Et : « Jadis tout le monde était fou« ,

« disent les plus finauds ; et ils clignent des yeux« .

Et à nouveau : « Nous avons inventé le bonheur« ,

« disent les derniers hommes ; et ils clignent des yeux. »


Quant à la description que donne le Zarathoustra de Nietzsche, de cette « sagesse » terminale

(de « fin d’humanité » et de « fin de l’Histoire » ! ô la sublime parousie, ici !!!),

au style indirect, alors,

elle est prodigieuse de vérité sur l’« opinion » _ en voie d’unanimisme, peut-être _ de notre temps :

« La terre alors sera devenue petite et le dernier homme y sautillera qui rend _ à son image ! _ toute chose petite. Son espèce est indestructible comme le puceron des bois ; le dernier homme, c’est lui qui vivra le plus longtemps » _ et les records de longévité effectivement se battent…

« Ils ont quitté les contrées _ nordiques _ où il est dur de vivre : car l’on _ noter la forme impersonnelle de la grégarité : majoritaire ; et malheur à l’isolé ! _ a besoin de chaleur. On aime encore _ pas par désir, et encore moins par passion ; mais par « besoin«  ! attention à la chute, quand le service déçoit ! ou déchoie... _ le voisin _ à commencer par les dits « compagnons« , « copains » et « copines » avec lesquels on partage le pain et (tout) le quotidien… _ et l’on se frotte à lui, car l’on a besoin de chaleur. »

« On marche avec précaution _ lire ici, en assomption triomphante de ce « souci« , Hans Jonas : « Le Principe responsabilité«  Fou donc celui qui trébuche encore sur des pierres ou des humains«  _ c’est-à-dire d’autres que soi (et « non encore « in-humains » !..« , préciserait Bernard Stiegler…)…

« On travaille encore car le travail est un divertissement _ vive l’« entertainment » !.. Mais on prend soin _ on a appris à « gérer«  !.. _ que ce travail ne soit pas trop fatigant.

On ne devient plus ni riche ni pauvre, l’un et l’autre sont trop pénibles. Qui veut encore gouverner ? _ quelques uns s’agitent bien encore un peu, sur ce terrain-ci… _ qui veut encore obéir, l’un et l’autre sont trop pénibles.

Point de berger et un troupeau. Chacun veut la même chose : chacun sera pareil, celui qui sentira les choses autrement, ira volontairement _ de lui-même _ à l’asile d’aliénés » _ se re-faire « conformer« 

Et enfin : « On est malin et on sait tout ce qui s’est passé : ainsi on n’en finit pas de se moquer. On se querelle encore mais on se réconciliera bientôt _ sinon ça abîme l’estomac.
On a son petit plaisir pour le jour et son petit plaisir pour la nuit : mais l’on révère la santé
 »
_ plus que tout : c’est elle la panacée, qui fait « durer« 

Qu’adviendra-t-il de nous et par nous ?.. Ce sont-là _ à notre échelle, du moins _ des enjeux à ne pas trop négliger :

de ce devenir-là de l' »humain » ; au risque de l' »in-humain« …

Le premier mérite de ce livre important qu’est « Conscience et roman 1 _ la conscience au grand jour« , de Jean-Louis Chrétien,

est de nous en faire bien ressentir non seulement l’ampleur, mais les « prises » (singulières) de toute son amplitude sur l’identité des « soi » et leurs rapports à l’altérité des « autres » ; dans le jeu (voire la disparition !) des « liens » discrets, sinon « secrets » (pour des tiers _ que ces « liens » ne regardent pas !), de l' »intimité » même ;

en l' »incalcul » de sa générosité (ou « amour« )…

Titus Curiosus, ce 15 mai 2009

Le « désir-monde » du désir face à ses pièges : Clément Rosset à la rescousse des élans de Daniel Mendelsohn et de Régine Robin

18fév

La double lecture des puissants « L’Étreinte fugitive » de Daniel Mendelsohn et « Mégapolis _ les derniers pas du flâneur«  de Régine Robin, continue de me travailler ;

et m’amène à (continuer à) creuser un peu plus loin ou plus avant  _ et ici même, sur ce clavier, ce blog et cet écran _ la question des conditions du désir ;

je veux dire

la situation du désir,

avec ses divers tenants et aboutissants _ à l’infini, en fait… _

face aux pouvoirs auxquels immanquablement ce désir-ci, ou désir-là, a à se heurter,

par ce qu’il vient, en son bougé même (forcément…), « gêner » et « déranger », pour les autres (rarement complètement indifférents à ce jeu-là ; et donc « neutres »…) ;

comme, aussi, et en même temps, nécessairement, face aux propres efforts de soi-même (ou « Moi«  ?) pour « faire avec » lui ;

lui = lui, le désir (venant nous traverser de son mouvement, de sa flèche : d’où l’image d’un « Eros archer« …) ;

« faire avec » lui, le désir, donc,

en sa réalité toute matérielle filante, échappante, traversante

(et renversante, à commencer par les corps ; et pour commencer le sien ! ;

sinon foudroyante, même, parfois… : le mot même de « désir », on a fini par s’en re-souvevenir, a rapport aux astres _ « sidera » _ ; aux étoiles, « filantes » donc ; avec leur terriblement puissante « attractivité »…),

menant toujours (et poïétiquement !) plus loin et plus avant _ plus outre… _ qu’au (prosaïque = « po-pote » !) « ici et maintenant » (de nos habitudes installées = tendant à la simple répétition…) ;

et « faire avec » lui, toujours, le désir, toujours en quelque façon difficilement nommable (ou « Ça«  ?) et repérable, nonobstant son incroyable obstination, une fois, du moins, qu’on l’a identifié, reconnu (et nommé ! baptisé !), qu’on s’est, si peu que ce soit, « familiarisé »

_ mais est-ce jamais tout à fait réellement (et vraiment !) le cas : une « familiarisation » ?.. _

avec lui ;

et qu’on a, si peu que ce soit, aussi, « consenti » à sa réalité (de désir désirant),

et qu’on lui confère alors, par là même, par cette prise en considération (ou « considération » tout court _ cf toujours l’étymologie !!! _) un minimum de légitimité, au moins personnelle

_ ce qui n’advient peut-être pas dans le cas du « refoulement » (inconscient, ne pas le perdre de vue ; et pas pré-conscient ! il « résiste » à la prise de conscience ; et suscite bien des dénégations…) au cours de ce que Freud identifie comme « névrose » ; et demeure fort répandu ; pour se référer à la taxinomie feudienne..

Daniel Mendelsohn comme Régine Robin ont une filiation, en amont, est-européenne :

à Bolechov, en Galicie (arrondissement de Stanislavov _ qui fut en Pologne, puis en Autriche, puis en Pologne, puis en URSS, et maintenant en Ukraine), pour le premier (cf « Les Disparus« ) ;

à Mínsk Mazowiecki _ apprend-on très incidemment et sans autre précision au détour (très anodin) d’une page (314) du chapitre « Rivadavia y rincón : secret de famille », qui sert de conclusion à la « Quatrième partie : Buenos-Aires _ la ville de l’outre-Europe »  de « Mégapolis » _, en Mazovie, la province même de Varsovie, en Pologne, pour la seconde : c’est le 21 juillet 1942 que furent raflés les Juifs de cette ville, pour être exterminés « à Treblinka« , page 314, donc.

Pour l’un comme pour l’autre, et sans que jamais cela soit dit, pouvoir échapper à la nasse est vital ;

vital à leur respiration quotidienne la plus élémentaire même ;

et constitutif de leur « être-au-monde » fondamental…


Le souffle qui parcourt si magnifiquement ces livres

est ainsi le vent (porteur et fécond) de la liberté !


L’un comme l’autre, Daniel Mendelsohn comme Régine Robin, sont perpétuellement des « décalés »,

détestant tous les ghettos, tous les enfermements, tous les pièges

_ peut-être y compris familiaux ; du moins trop étroitement familialistes…

Même si, et il faut bien le noter, Régine Robin dédie « Mégapolis« , page 7, à sa « petite-fille Rebeccah, future flâneuse de Londres » ;

« Mégapolis« , ou, très montaniennement (cf le merveilleux avis « Au lecteur » à l’ouverture des « Essais« ), « la ville comme autobiographie«  _ le dernier mot de sa présentation de son livre, page 28 (et pudiquement retiré de la citation de ce paragraphe, en quatrième de couverture :

cf mon article « Aimer les villes-monstres (New-York, Los Angeles, Tokyo, Buenos Aires, Londres); ou vers la fin de la flânerie, selon Régine Robin« ) ;

et même si Daniel Mendelsohn adore sa famille, et tout particulièrement ses trois frères, Andrew, Matthew, Eric, et sa sœur, Jennifer _ à la page 643 des « Disparus« , au moment des remerciements, il a des mots particulièrement merveilleux, que j’ai à cœur de citer in extenso ici même :

« Un livre qu’il a fallu cinq ans _ et plus, en fait _ pour achever, n’aurait pas pu être écrit sans le soutien et l’encouragement de nombreuses personnes ; et c’est un grand plaisir pour moi que de témoigner ma gratitude envers ceux qui le méritent tant« , commence-t-il.

Et tout de suite : « Ce livre est un livre consacré à ma famille ; et ma plus grande dette, à tous égards _ merci d’être né ! et d’avoir été élevé, éduqué, et aimé ! _, est et a toujours été vis-à-vis de ma famille :

tout d’abord et surtout vis-à-vis de mes parents, Marlène et Jay Mendelsohn, qui ont encouragé les enthousiasmes bizarres de mon enfance (« la table d’Athéna » ; les excursions photographiques au cimetière) ; et qui, depuis lors, ont dépensé sans compter _ ce point est capital : la générosité ; l’amour (sans fond) et à perte ! _ leur temps _ oui !!! donner de son temps à qui on aime… _, leurs souvenirs et bien d’autres choses encore pour moi ;


puis, vis-à-vis de mes frères et de ma sœur, et leurs épouses et époux, qui ont été, comme ces pages l’ont montré, non seulement des supporters enthousiastes, mais aussi des participants actifs et constants du projet Bolechow : Andrew Mendelsohn et Virginia Shea ; Matt Mendelsohn et Maya Vastardis ; Eric Mendelsohn ; Jennifer Mendelsohn et Greg Abel _ leurs noms sont cités in extenso.


Il serait toutefois injuste de ne pas souligner ma gratitude profonde _ toute particulière, ici _ envers Matt _ l’auteur de la plupart des nombreuses photos qui composent aussi « Les Disparus » _, dans la mesure où il a collaboré pleinement à ce projet, du début jusqu’à la fin _ et continue ! en ses « suites… : cf les expositions des photos de Matt Mendelsohn, accompagnant les présentations des « Disparus » par son frère Daniel, de par le monde, comme au Mémorial de la Shoah, 17 rue Geoffrioy l’Asnier, à Paris, par exemple… _ ; le récit _ = « a search« , une quête tout autant qu’une enquête ! _ conté dans ce livre doit tout autant à lui qu’à moi ; et pas seulement parce que tant de pages de ce livre donnent la preuve de son talent _ de regardeur (et saisisseur d’images) _ extraordinaire.

Si je dis qu’il a une façon magnifique de voir les choses, je fais référence à quelque chose de plus que son œil de photographe professionnel ; au bout du compte, sa profonde humanité _ le mot va (et considérablement !) loin : « bien faire l’homme« , dit notre Montaigne, quand tant le font si vilainement… (= non « non-inhumainement » !..) ; et il s’agit ici de la « profonde humanité » de Matt _ s’est inscrite dans les mots _ du livre : ceux, en aval, de Daniel _ autant que dans les images _ de Matt lui-même… Parmi tout ce que j’ai trouvé au cours de ma quête, il _ Matt ! _ est le plus grand trésor«  : quel hommage !

et compte-tenu de ces considérants-là,

nos deux auteurs, Régine Robin et Daniel Mendelsohn, sont des chercheurs (et au plus concret de leur propre existence _ et œuvre, si étroitement mêlée à elle ; comme cela se doit) de liberté ; c’est-à-dire de l’épanouissement de la puissance humaine de chacun, pour reprendre l’analyse la plus riche et la plus juste de ce qu’est la liberté, je veux dire celle de Spinoza dans l' »l’Ethique« ….

Avec le critère décisif _ qui s’éprouve (et pas sur commande ! pas instrumentalement !) _ de la joie…


Aussi, voudrais-je mettre en regard de la finesse (et justesse) de leurs analyses _ tant dans « L’Étreinte fugitive » et « Les Disparus« , pour lui, que dans « Mégapolis » et  » « Berlin chantiers« , pour elle,

la très belle analyse du désir _ et aussi de la joie (et de l’amour) _ que propose le très fin (et toujours bref, aussi !) _ Clément Rosset,

dans un bien beau (et si juste, comme toujours !) récent texte de 30 pages en tout et pour tout ;

+ un « Avant-Propos » de même pas deux pleines pages… qui n’est ni plus ni moins que le récit de ce « rêve«  effectué, si j’ose ainsi le qualifier, « dans la nuit du 30 au 31 mai 2007 »  qu’évoque le titre de ce petit essai _ page 7 ;

et « l’écrit qui (le) suit » n’étant, en sa teneur, « que le strict développement (sic) de ce plan _ à toute vitesse brossé dans le rêve _, quelque chose comme son passage à l’acte«  ;

avec, à peine encore, cette ultime infra-précision concernant cet « écrit«  : « Il n’est ainsi que la simple réalisation d’un rêve _ de philosophe _ ; revu et développé certes mais ni revu ni tronqué« 

_ soit comment l’inspiration philosophique, chère Marianne Massin (auteur d’un « La Pensée vive _ essai sur l’inspiration philosophique« ), peut advenir jusque dans l’activité nocturne du rêve au cours du sommeil !.. _ ;

il s’agit de

« La Nuit de mai« , paru le 14 février 2008, aux Éditions de Minuit…


Je me permets d’en retenir ceci :


D’abord cette parole (de « conseil » _ de « quelqu’un » ! _ à propos d’« une conférence sur « le désir »«  que Clément Rosset pense devoir (« il me faut«  !) « prononcer dans l’après-midi«  même, à Nice ; je reproduis in extenso le passage de la page 8 :

« Or voici que quelqu’un (que je n’identifie pas dans le rêve, mais à qui je me sens très redevable dans la réalité) me prend à l’écart pour me dire : « C’est pourtant bien simple. Il suffit de montrer que le désir est quelque chose de très compliqué, ou plutôt de très complexe _ c’est beaucoup mieux, en effet ! On ne désire jamais quelque chose _ d’unique, séparé d’un contexte _, mais une pluralité _ en quelque sorte « ouverte »… _ de choses.

Evoquez en passant Deleuze

et concluez avec Balzac.

Le début ? Eh bien, il n’y a qu’à parler du « Combray » de Proust, de la petite madeleine. »

Pour la référence au « Combray » de Proust _ une Bible, en effet ! _, voici la source vive, donnée page 13 :

« Comme dans ce jeu où les Japonais _ cf une très belle scène du film « Domicile conjugal » de François Truffaut _, s’amusent à tremper dans un bol de porcelaine rempli d’eau, de petits morceaux de papier jusque là indistincts qui, à peine y sont-ils trempés, s’étirent, se contournent, se colorent, se différencient, deviennent des fleurs, des maisons, des personnages consistants et reconnaissables ;

de même maintenant toutes les fleurs de notre jardin et celles du jardin de Monsieur Swann _ « Combray » constitue le (grand !) chapitre d’ouverture de « Du côté de chez Swann » _, et les nymphéas de la Vivonne,

et les bonnes gens du village et leurs petits logis _ tout se précipite et accourt _ et tout Combray et ses environs,

tout cela qui prend forme et solidité,

est sorti,

ville et jardins, de ma tasse de thé«  _ page 13 de « La Nuit de mai« …

Clément Rosset commente : « Autrement dit Combray n’est pas en soi, ou à lui seul, un objet _ séparé, individualisé et, statiquement, coupé du reste _ de joie ou un sujet de désir (en l’occurrence rétroactif, comme il advient toujours chez Proust), mais la somme _ et même le produit, la multiplication proliférante et féconde _ des joies et des désirs connotés par l’enfance de Proust _ ou plutôt « Marcel » seulement, le narrateur de la « Recherche » ; et pas directement, du moins, l’auteur, Proustà Combray. (…) Je suggère qu’un objet d’amour n’est jamais _ pour qui le ressent et l’éprouve, cet « ob-jet«  _ seul _ statiquement, en quelque sorte ; et figé… _ mais toujours accompagné (…) d’un ensemble de facteurs favorables _ dynamiques, dynamisant _ qui le favorisent _ en son statut même d’objet désiré _ et lui tiennent lieu, comme pour un mets réussi _ c’est-à-dire véritablement « appétissant »  et « réjouissant » _, d’excellente et nécessaire _ oui ! _ garniture«  _ comme la dynamique des guirlandes des notes bien mal nomméees « d’accompagnement« , et de leur jeu, surtout, improvisé, dans l’interprétation de la musique baroque, ou dans le jazz, ou dans tout vrai concert euphorisant ; et pas seulement dans les cadences dont je parlai hier à propos de celles de l’éblouissant Martin Fröst dans les œuvres concertantes pour clarinette solo (virtuose) de Weber, à propos de la vertu charmeuse de l' »élégance »…


Le propos de Clément Rosset _ page 15 _ sera donc de formuler « les raisons pour lesquelles un bonheur, s’il est seul, est moins une marque de joie qu’un symptôme dépressif » _ cf du même Rosset : « Route de nuit _ Episodes cliniques« 

« A mes yeux _ précise alors Clément Rosset _ la joie parfaite (que j’ai appelée « force majeure« ) ne se contente pas d’un accompagnement idoine _ et refermé sur lui ; clos ; sécurisé ! garanti à tous égards (y compris contractuels) !!! _ mais exige _ eh oui ! _ un accompagnement plus général _ et festif, s’il vous plaît ! _, englobant l’approbation de toutes les choses dont on peut avoir l’expérience » _ cf Montaigne, ce maître ès joie, au final de l’essai « bouquet-final » lui-même des « Essais« , « De l’expérience« , Livre III, chapitre 13 : « Pour moi donc, j’aime la vie et la cultive _ activité capitale ! sinon, on « perd«  son temps !.. en laissant « couler et échapper«  sa vie… _ telle qu’il a plu à Dieu nous l’octroyer. (…) On fait tort à ce grand et tout-puissant donneur de refuser _ pour quelque détail qui déplaît _ de refuser son don, l’annuler et défigurer. Tout bon, il a fait tout bon. » Ce que Georg-Friedrich Händel traduit, au final magnifique (peut-être le sommet de tout l’œuvre haendelien) de l’acte II de son « Jephtah« , en 1752, par ces paroles puissantes de l’immense chœur : « Wathever is, is right. » Et que Nietzsche nomme l’épreuve (cruciale) de « l’éternel retour (du même) »..

« Etre amoureux, continue Rosset, signifie qu’on est amoureux de tout, comme l’exprime si bien _ oui !!! l’expression est magnifique ! _ un amant dans une pièce du dramaturge latin Trabea : « Je suis joyeux de toutes les joies » _ « omnibus laetitiis laetum » », page 15.


Plus loin, page 18 :  » Ce que j’ai dit jusqu’ici de la joie peut naturellement se dire aussi du désir, pour cette raison _ que je me permets de partager pleinement ! _ que joie et désir sont des termes complémentaires qui frisent l’identité. L’homme joyeux désire (et à la limite désire tout) ; le triste ne désire guère (et dans les cas de tristesse aiguë, c’est-à-dire de dépression, ne désire _ carrément _ rien). L’amour étant la forme la plus intense du désir _ oui ! _, La Fontaine _ que je pense connaître un peu pour avoir avec un peu de soin construit la majeure partie du programme du CD « Un portrait musical de Jean de La Fontaine« , en 1995 (paru chez EMI en mars 1996, par La Simphonie du Marais, dirigée par Hugo Reyne) ; et écrit le texte du livret de présentation de ce beau programme _ ;


La Fontaine _ un des sommets de l’Art français... _ résume en quelques mots l’identité du désir et de la joie lorsqu’il écrit, au début des « Animaux malades de la peste » : « Plus d’amour, partant, plus de joie ».«  Et « de même que la joie ne saurait surgir _ oui ! à l’occasion d’un seul motif _ qui lui a donné de son mouvement (ascendant : jusqu’à atteindre le plan _ a-temporel, lui _ de l’éternité) _, le désir ne peut naître _ sourdre _ que s’il vise, non un seul objet _ et c’est tout ! _, mais un objet auréolé _ dynamiquement, en quelque sorte _ d’autres occasions _ sourcières _ de plaisir _ ou plutôt « joie«  (…) Ce qui doit finir, surtout lorsqu’il doit incessamment finir, n’a jamais eu aucun goût. Cioran le répète sous une forme ou une autre : ce qui doit finir est déjà fini. Nul n’a jamais désiré quoi que ce soit, si ce quelque chose n’est pas répétable à merci, au moins en imagination, et moyennant _ aussi, en effet ! _ quelques variations, comme le dit Leibniz dans la « Théodicée« , qui contient curieusement une première version du retour éternel nietzschéen : « Je crois qu’il se trouverait peu de personnes qui ne fussent contentes, à l’article de la mort, de reprendre la vie, à condition de repasser par la même valeur des biens et des maux, pourvu que ce ne fût point par la même espèce : on se contenterait de varier sans exiger une meilleure condition que celle où l’on avait été ». »

Ce que Clément Rosset commente ainsi, page 20 : « Autrement dit, l’accomplissement d’un désir n’a de sens que s’il est accompagné de la perspective _ ouverte ! _ de mille autres accomplissements du désir.« 

Car « en réalité l’objet désirable n’est désiré que si l’accompagne la perspective _ dynamisante _, même fugace _ et c’est son jeu qui nous charme ; même au prix de déceptions répétées _, d’une multitude d’autres objets désirables _ eux aussi _ ; que dans la mesure où il est mobile ; où il ne tient pas en place _ l’enfer, c’est l’immobilité d’un huis-clos : généralisant l’horreur (médusante) du pratico-inerte sartrien !  _, tel un vif-argent.

Le désir est
_ très freudiennement, même si Clément Rosset ne l’aborde pas ainsi ici _ dans le déplacement ; lequel Clément Rosset préfère se référer, page 21, au « De natura rerum » de Lucrèce : « Vénus est « vulgivaga » _ au vers 1071 _ : c’est une vagabonde qui saute sans cesse d’un lieu à l’autre.« 


C’est que « sans ce que j’appellerai le combustible _ adjuvant dynamiseur conditionnant et entretenant le feu _ du désir, c’est-à-dire tout un mélange d’autres désirs et de raisons de désirer _ soit tout un monde !!! ; où tout élément renvoie, d’une façon ou de mille autres, à mille autres éléments ayant un semblable pouvoir (kaléidoscopique !) _, le désir _ plombé ! _ ne décolle pas« , page 27…« Or, ce combustible est précisément ce qui fait totalement défaut au déprimé. Il perçoit bien qu’une prise de taille s’offre à lui. Pourtant il n’en a, à strictement dire, rien à faire : parce que cette prise, « isolée », n’aura ni témoin ni observateur _ ni rebondissement éventuel, ni jeu d’ouverture _, tel un spectacle merveilleux qui n’aurait pas de public. A quoi bon ?  : c’est l’éternelle rengaine du dépressif« , page 27 aussi…

Voilà ce jeu ouvert (et joyeux) du désir qui plaît aussi tant à Daniel Mendelsohn, qu’à Régine Robin, en leurs villes ouvertes… Même si le désir peut, à l’inverse, être menacé de danse de Saint-Guy…

Un monde a certes besoin d’ouvertures et de perspectives de rebonds _ et de filiations, en aval (et pas seulement en amont), ainsi que de vraies œuvres ;

mais il a besoin aussi de sujets ayant du répondant, avec une capacité vraie de converser (autre que mécanique _ cf les répondeurs automatisés…) _ pas seulement de (beaux) mannequins (avec lunettes noires Armani, ou autres : mettre ici tous les noms _ interchangeables _ qu’on voudra ; et en I, et en A…) ;

il a besoin, pour être un « monde » réel (et pas rien que virtuel), d’amitiés et d’amours vraies entre des sujets qui en soient eux aussi vraiment, en leurs principaux actes, du moins ; et pas de commodes objets _ ou pures silhouettes, ou sacs de son _ qu’on pourra systématiquement « éluder » (un clou chassant l’autre…) ;

avec de vraies confiances ; et constances ; et fidélités…

On y discerne aussi tout ce qui distingue la vraie plasticité _ qu’analyse la philosophe Catherine Malabou, par exemple dans « Que faire de notre cerveau ? » _ ; de ce l’on cherche à tout prix à nous fourguer sous la scie prétexte de « flexibilité » managériale…


Et il me semble que tout cela se lit aussi dans les dangers que soulignent, sans les négliger, à « bien » les lire, ces œuvres profondes et importantes (et éminemment cultivées…) de Daniel Mendelsohn _ « L’Étreinte fugitive » et « Les Disparus » _ et de Régine Robin _ « Berlin chantiers » et « Mégapolis« …

Titus Curiosus, ce 18 févier 2009

Désir et fuite _ ou l’élusion de l’autre (dans le « getting-off » d’un orgasme) : « L’Etreinte fugitive » de Daniel Mendelsohn

08fév

Un grand beau livre _ et socio-historiquement significatif (sinon important !) _, que cette « Étreinte fugitive« , par Daniel Mendelsohn,
qui paraît cette fin janvier 2009 aux Éditions Flammarion,

traduit de l’américain « The Elusive Embrace«  _ dont le sous-titre, curieusement in-apparent ici (?), en son édition originale (« by Alfred A. Knopf« ) le 24 mars 1999, était « Desire and the Riddle of Identity » :

une clé, pourtant ! car c’est bien à cette « énigme de l’identité » (personnelle) que se confronte l’enquête éminemment personnelle _ et passionnante _ de Daniel Mendelsohn, qui n’est pas tout à fait un essai philosophique, ni une enquête socio-psychologique, voire psychanalytique à visée générale, mais bien le récit d’une quête existentielle personnelle, celle de l’individu Daniel Mendelsohn, né en 1960 dans une banlieue de New-York (sur l’île de Long Island)…

En un fort utile « Au lecteur français » (de novembre 2008), l’auteur présente ce « livre« , « L’Étreinte fugitive« , comme le premier « panneau d’une entreprise que je me suis toujours _ dès l’origine, donc ! en amont même de sa mise à l’écriture même !!! _ représentée comme un triptyque«  : afin de clairement remettre en sa perspective originelle le livre paru en France le 29 août 2007, dans une traduction de Pierre Guglielmina, et qui connaît un immense succès _ mérité : un chef d’œuvre !!! _ international : « Les Disparus« , paru initialement aux Éditions Harper Collins, le 19 septembre 2006. En fait, « The Lost«  signifie « Le Perdu«  ; par contraste avec « The Found« , « Le Trouvé« , ou même « Le Retrouvé«  : comme pour Proust, en sa « Recherche« 

et le troisième et dernier« panneau » du « tryptique« , demeurant, lui, à écrire _ et à écrire en France, maintenant, en cette année 2009, ai-je cru comprendre ; même si Daniel Mendelsohn sera aussi l’hôte de Rome et de l’Italie, en cette année 2009…

Car « à première vue, les lecteurs familiers des « Disparus« 
_ sur lequel on lira avec un immense profit le très beau compte-rendu qu’en fit, très tôt (le 30 octobre 2007), et d’un point de vue plutôt historien, Ivan Jablonka sur le site (si riche !) de laviedesidees.fr : « Comment raconter la Shoah ? _ à propos des « Disparus » de Daniel Mendelsohn » _

pourraient être tentés de penser que le sujet de ce « nouveau » livre

_ qu’est pour un lecteur francophone « L’Étreinte fugitive« , donc… _,
qui est une méditation approfondie sur la nature et le sens de ce qu’il y a de plus intime dans la vie de chacun

(les hommes et les femmes
_ et pas les « garçons« , comme il en fera la distinction d’avec les « hommes«  ; ni les « filles« , d’avec les « femmes » _
les pères et les fils
_ le chapitre « Paternité« , pages 135 à 217, étant peut-être la clé du « puzzle«  de l’« énigme«  (« riddle« ) de l’« identité » personnelle… _,
la sexualité
_ qui nous traverse tous, et d’amont en aval, et réciproquement, en de multiples pistes _),

n’a pas grand chose à voir avec le sujet de mon « précédent » livre

_ pour le lectorat francophone, donc : « Les Disparus » _
(l’histoire familiale
_ du côté maternel, les Jäger (et du côté de Bolechow, en Galicie),
bien davantage, pour ne pas dire exclusivement, que du côté paternel, celui des Mendelsohn (guère loquaces en fait d' »histoires« , à commencer par la leur, quant à eux ;
pas plus que riches en « photos » (prises et/ou conservées), non plus !
_,

la culture juive, les événements de la Seconde Guerre mondiale).

Mais, comme je l’ai souvent dit
_ et certains d’entre vous
_ Français _ m’ont peut-être entendu _ à Paris même, ou via les ondes de la radio _ le dire dans ce français que _ professeur de littérature « classique » formé au Grec et au Latin en ses études à l’Université de Virginie (à Charlottesville) et à Princeton _ je parle avec ferveur, à défaut de le parler bien _ Daniel Mendelsohn n’est-il pas aussi un très éminent lecteur d’« A la recherche du temps perdu » et de tout l’œuvre de Marcel Proust ?.. _,

je n’ai jamais conçu « Les Disparus _ « The Lost : A Search of Six of Six Million » : cette fois encore, le titre originel, non plus que le sous-titre, ne fut pas retranscrit en français par l’éditeur, Flammarion… _
comme « un livre sur la Shoah ».

Pour moi, c’est un livre qui parle _ oui ! _ de la relation angoissée, mais enrichissante, que le présent noue avec le passé
_ avec les « voix » (et regards des visages, aussi, via des photos) duquel, passé, se « re-brancher » est si nourrissant et libérateur (du présent _ polysémiquement !..) _ ;

que le moi noue
_ mais en sachant aussi s’en mettre un peu
(et pas que géographiquement :
« Géographie » est le titre, important, lui aussi, du chapitre premier de « L’Étreinte fugitive« , pages 15 à 66)
à distance
_

que le moi noue _ donc… _ avec la famille et ses traditions,
une relation que le moi a, en réalité, avec une tradition culturelle beaucoup plus vaste

_ sujets qui intéressent tout un chacun, ai-je tendance à penser _ commente au passage Daniel Mendelsohn, page 12 de ce « Au lecteur français« .

Cela n’a guère de sens, néanmoins, de réfléchir
_ ce que fait très effectivement Daniel Mendelsohn en ces « essais » d’engagement aussi très « personnels » ; et magnifiquement ! _
à ces relations cruciales
_ oui ! c’est le mot on ne peut plus juste :
à la croisée des voies et d’amont et d’aval, tant biologiquement que culturellement, bien sûr !
_

_ ne parlons pas des responsabilités intellectuelles, psychologiques et éthiques que cela implique _ et ô combien ! commente lui-même Daniel Mendelsohn _ _

sans s’être auparavant penché sur le moi qui est au centre _ du réseau vibrant _ de ces relations,
qui est le sujet de cette réflexion
_ qu’est « L’Étreinte fugitive« . Cet examen
_ oui ! et passionnant, de longue venue, pour l’auteur, et en temps comme en espace _
est, précisément le fil rouge de « L’Étreinte fugitive » : parfaitement !


Daniel Mendelsohn le précise :

« De fait, dès que vous commencerez à lire ce livre, vous verrez que si les questions qui le sous-tendent sont d’un ordre très intime

_ sur l’intime, lire Michaël Foessel : « La Privation de l’intime » (cf mon article du 11 novembre 2008 : « la pulvérisation maintenant de l’intime : une menace envers la réalité de la démocratie » ; et lire Roland Barthes : des « Fragments d’un discours amoureux » et du « Roland Barthes par lui-même » au tout récemment publié, le 5 février 2009, « Journal de deuil« , en passant par « La Chambre claire« , et d’autres _

(qui suis-je ? quelle est mon identité ? qu’est-ce que l’« identité » au bout du compte ? est-elle faite d’une seule pièce ou de plusieurs
_ suis-je une seule chose
_ « chose » ? non… _ seulement, ou davantage ? le « cœur » _ nourrissant, irriguant _ de mon identité est-il non mélangé, indépendant _ non : « nul n’est une île !«  _ du monde extérieur ; ou est-il tributaire des relations _ oui ! et redevable… _ que j’ai avec les autres _
auquel cas
_ qu’examine l’important, lui aussi, chapitre « Multiplicité« , des pages 67 à 134 _
lesquelles sont les plus déterminantes _ et selon quelle « échelle » ? _ pour établir « qui je suis » : celles que j’ai avec mes parents ? mes enfants ? les gens avec qui j’ai des relations sexuelles ? ceux dont je suis amoureux ?) _

vous verrez _ et, en effet, nous le découvrirons ! _ que si ces questions sont d’un ordre très intime _ reprend le fil, ou film, de sa phrase, après son incise, lui aussi (!), Daniel Mendelsohn _,

elles présagent tout simplement celles qui devaient nourrir
_ oui ! et combien richement et bellement ! « Les Disparus » est un chef d’œuvre somptueux !!! à lire toutes affaires cessantes ! (et il vient de paraître en édition de poche en collection « J’ai lu« , ce mois de février-ci…) _

le livre suivant _ « Les Disparus« , donc _
(qui sont les gens de ma famille ? qui sont vraiment _ l’adverbe est très important _ mes parents _ Marlène, née Jäger (en 1931) ; et Jay Mendelsohn (né en 1929) _ et mes frères _ Andrew (l’aîné, né en 1957), Matthew (le photographe, né en 1962, qui suit Daniel dans la fratrie : Daniel, lui est né en 1690), Eric (né en 1964) _ et sœurs ? _ Jennifer (née en 1968) _

quelle est ma relation _ complexe et riche _ à leur histoire _ au double sens, d’ailleurs, et de l’histoire réelle, et du récit qui affirme la narrer ! _ quelle est ma relation au passé, de manière générale, et à l’Histoire elle-même _ en remontant aux Grecs et aux Hébreux _ ?). »

Et aussi :

« De même, les grands voyages _ en Galicie, en Ukraine, en Pologne, en Israël, en Suède et jusqu’en Australie _ que j’ai décrits dans ce dernier livre  _ « Les Disparus » _ par-delà les océans et les continents,
n’auraient jamais eu lieu si je n’avais auparavant accompli ces trajets plus réduits
_ au sein des Etats-Unis ; et vers « le Sud », la Virginie ; ou dans New-York… _ dont parle mon premier livre _ « L’Étreinte fugitive » _ :

les promenades quotidiennes que je faisais lorsque j’habitais un certain quartier de New-Yor
k

_ légérement au nord de Chelsea, 25ème rue ouest : Chelsea s’étendant de la 14ème rue à la 23ème… D’où l’importance de consulter des cartes (maps) un peu précises…
cf page 51 :

« c’est pas vraiment chelsea. chelsea finit à la 23e
au-dessus de la 23e ça devient clinton t’es nulle part en fait
« ,
comme le lui avait écrit

« un type
avec qui j’avais discuté un moment
 » « alors que je participais à un chat sur Internet » ;
« comme c’était quelqu’un dont le profil en ligne et la photo
_ là-dessus lire mon article du 22 décembre « Le “bisque ! bisque ! rage !” de Dominique Baqué (”E-Love”) : l’impasse (amoureuse) du rien que sexe, ou l’avènement tranquille du pornographique (sur la “liquidation” du sentiment _ et de la personne) » à propos de « E-Love_ petit marketing de la rencontre » de Dominique Baqué _

me plaisaient beaucoup _ pour ce qu’il en avait à faire cette nuit-là, du moins... _
je lui ai donné mon adresse. » C’est ainsi que « au bout d’un moment un message est apparu dans un coin de mon écran » (page 50) : celui selon lequel, en logeant dans la 25e rue ouest de Manhattan, entre Chelsea et Clinton, on n’est, comme en Pologne _ selon le mot bien connu d’Alfred Jarry dans « Ubu roi » : « En Pologne, c’est-à-dire nulle part ! » _, « nulle part, en fait » !!!..

Fin de l’incise à propos des « promenades quotidiennes«  en « un certain quartier de New-York » ;

je reprends : « ces trajets :

le train que je prenais, et que je prends chaque semaine encore aujourd’hui, pour aller de Manhattan à une capitale de province qui est à une heure de là
_ où résident
celle
_ « une amie proche » _ qu’il a choisi d’« appeler Rose » et « qui est hétéro et célibataire«  (page 138),
et son fils « Nicholas«  ;

si importants, tous deux _ et c’est un euphémisme ! _ dans le devenir récent, depuis la naissance de Nicholas, une nuit d’août 1995 :

« après la naissance du fils de Rose, Nicholas, quelque chose d’étrange _ en effet ! _ s’est produit : je me suis retrouvé très profondément impliqué _ et tous ces mots sont décisifs ! je les relis, ces mots de la page 138 : « je me suis retrouvé très profondément impliqué«  ! Car sans pareille « très profonde implication« , on ne « se trouve » pas ; jamais !!!  _ dans la vie de Nicholas, qui a maintenant trois ans _ en 1998-99, lors de la rédaction de « L’Étreinte fugitive » ; il a aujourd’hui treize ans _ et dont je suis devenu le parrain le jour de son baptême, quand il avait trois mois. C’est arrivé _ oui ! _ petit à petit _ en effet _, et, en même temps, j’ai été pris par surprise

_ « pris par surprise« , page 139 : cela ne se recherche pas ! encore moins s’instrumentalise !!! ;

« pris par surprise« , je le répète ! :

Voilà : comme en tout amour véritable ; et non par quelque « calcul » de drague et d’orgasme (« getting off« , dit très explicitement un partenaire _ circonstanciel, occasionnel : « de passage » _ de ces jeux, page 118) simplement « escompté »…

Ce qui a commencé comme un jeu
_ les mots « ludique » et « elusive » (= « élusif » ou « élusive ») ont la même étymologie :
du latin « eludere« , constitué à partir du préfixe « ex » (= « hors de ») et du radical « ludere » (= « jouer »),
« éluder » signifie « esquiver », « éviter », « tromper » :
c’est même, selon l’excellente définition de la huitième édition du Dictionnaire de l’Académie française,

« éviter avec adresse et désir de se dérober« 

ce qui a commencé comme un jeu
de rôle
pseudo parental

_ puisque Rose et Daniel ne sont ni mariés, ni le « couple parental biologique » de l’enfant (« je ne peux pas m’empêcher de penser _ par exemple « au moment où Rose allaite ; ou quand Nicholas est enveloppé dans les courbes de son corps«  _ à quel point il doit être électrisant _ oui ! _ pour des gens qui sont amants de devenir les parents d’un enfant« , confie, comme avec regret _ c’était en 1999 _, Daniel Mendelsohn, page 168) :

« j’avais toujours pensé qu’elle
_ « j’ai rencontré la mère de Nicholas en septembre 1990, lorsque j’ai commencé _ à l’âge de trente ans _ à travailler à mi-temps dans la société où elle est employée. Une partie de son travail consiste à faire des évaluations statistiques compliquées« , précisera la page 165 de « L’Étreinte fugitive » _

« j’avais toujours pensé _ un peu abstraitement ! hors contexte existentiel, en quelque sorte _ qu’elle
ferait
_ plus concrètement, alors, forcément !.. _ une mère formidable ;
et je le lui avais dit en plusieurs occasions
_ comme quoi, les effets « de longue distance » de simple paroles…

Mais elle me demandait _ très ponctuellement, ce jour-là, au début de l’année 1995 _ à présent _ donc ! _
si je pouvais l’aider _ si je pourrais
_ et cela, en plusieurs sens du terme : possiblement, d’une part ; mais aussi si j’acceptais de (ou voulais bien), amicalement, y consentir… _

si je pourrais être un « modèle masculin »,
pas exactement un père,
mais un homme qui serait présent dans la vie de cet enfant. Un
« oncle » _ en quelque sorte.


A la différence de la fois précédente
_ « près de deux ans«  auparavant, « en 1993″ : « une femme que je connais m’a invité à boire un café et demandé d’être le père de l’enfant qu’elle projetait d’avoir« , vient d’évoquer Daniel Mendelsohn à la page précédente, page 137. « Et j’ai dit non« . Alors « je ne pouvais envisager d’être responsable _ soit « répondre de » _ de qui que ce soit d’autre que moi _ certainement pas d’un enfant« …

A la différence de la fois précédente, cette requête _ de « Rose« , donc : au tout début de 1995 _ m’a plu,
je ne me suis pas senti trop impliqué
_ une affaire de nuance (ou de « dosage ») dans l’implication d’une responsabilité ! _ pour autant _ mais est-ce faute de le « re(s)sentir » alors assez, seulement ?.. _,
et j’ai donc accepté
_ en une parole néanmoins « engageante », toutefois…

Et c’est alors que vient la réflexion _ essentielle : c’est le tournant décisif ! _ reportée un peu plus haut
à propos du processus d’
« implication » dans lequel « petit à petit » s’est trouvé « pris« , et « par surprise »
_ faute d’avoir assez « mesuré » auparavant ce à quoi sa « parole » amicale , et non matrimoniale (sans parler de l’absence de tout engendrement, ou même de rapport sexuel, entre « Rose » et lui) _
Daniel Mendelsohn… :

je peux alors terminer la phrase _ demeurée en suspens !.. _, page 139

« Ce qui a commencé comme un jeu
de rôle
pseudo parental

un peu ironique _ un mode d' »être » devenu presque consubstantiel, par auto-protection, pour le gay, quasi en permanence « sur ses gardes », qu’est Daniel Mendelsohn _

est devenu une partie très importante de ma vie. »


Avec ce très joli passage, de découverte _ et naïf (le mot provient directement de « neuf »), si l’on veut ! _, page 139 :

« C’est à cause de Nicholas _ un vrai « garçon »
_ à la différence, peut-être, de ces en quelque sorte « garçons attardés » (adolescents prolongés ; voire « adulescents », selon le mot-valise qu’a proposé je ne sais quel psychologue italien, au départ), que sont ceux qui se conçoivent maintenant comme « gays«  _

c’est à cause de Nicholas _ un vrai « garçon » _ que je divise à présent
_ en 1999 ; mais le temps passe ; et les « gays » eux aussi (comme tout un chacun de vivant-mortel sexué) vieillissent _

que je divise à présent mon temps
_ de disponible, dans l’organisation, notamment, du « travail », mais aussi des « loisirs » (dont des opérations de « rencontres » _ sexuelles : exclusivement, semble-t-il… : dans le quartier de New-York qui leur est dévolu, Chelsea, juste au sud de Clinton, et (assez) au nord de Wall Street… _

entre New-York avec ses autre garçons _ jusqu’à quel âge le sont-ils donc ?.. _
et la banlieue où vivent Rose et Nicholas.

Tous les deux ont été absorbés _ inclus, sans difficultés _ dans ma grande famille _ et fratrie _ ; et Nicholas est traité comme un neveu et comme un petit-fils
_ quant à Rose, elle est, eh bien, une sorte de belle-fille, belle sœur.
« 


Avec cette conclusion-ci, encore, toujours page 139, de ce passage-ci, pour « introduire » le très intéressant chapitre 3 :  » Paternité » (pages 135 à 217) :

« Ce que vous apprenez _ ici sans avoir rien fait (de facto, si je ne crains pas trop la redondance pléonastique…) en matière d’engendrement ; puis « par surprise« , au fil des jours et de l’évolution de ses rapports avec l’enfant, qui n’est d’abord qu’un tout petit bébé : à travers l’échange des regards !!! _ avec la présence _ prenante ! _ d’un enfant dans votre vie _ au quotidien : rien d’élusif ici !!! ; et si « étreinte » il y a bien, de facto, dans la tenue du bébé, et dans les soins qu’on lui prodigue, elle n’a rien, ici, d’orgasmique ! _, c’est ceci : oubliez tout ce à quoi vous vous attendiez.« 


Autrement dit, rien à voir avec les répétitives _ fermées _ séquences de « baise », ou de « getting-off«  :
cf la remarque tellement signifiante, page 118 :

« ce genre de soulagement s’appelle le « getting-off »,
expression qui véhicule assez bien l’impulsion
_ qu’il faudrait mieux, cher auteur de l’essai, analyser !!! _ qui sous-tend ces rencontres, l’envie de se débarrasser _ « vider les vases », disait Montaigne… _ de quelque chose d’urgent,
d’une certaine quantité de sperme.

Plus d’une fois, après un « getting off » de ce genre, un type _ le terme est déjà bien significatif _ m’a dit, en ne plaisantant qu’à moitié, au moment de quitter mon appartement où il venait de passer son heure de déjeuner, « Bon, je vais pouvoir me concentrer sur mon travail, maintenant » ;
et en refermant la porte
_ le plus important, probablement ! « Out ! »_ je me suis aperçu que j’étais dans le même état d’esprit. »

Avec cet ultime commentaire de Daniel Mendelsohn, encore, pour ce passage à propos du « getting-off« , page 118 :

« Mais naturellement l’urgence _ « pressante » du besoin, confondu ici avec le désir (!) _ revient bien assez vite ; et la recherche _ volontariste et compulsionnelle : dépourvue de disponibilité à une authentique altérité d’un autre, d’une personne, d’un visage, et sans lunettes noires de soleil Armani (cf l’anecdote page 122) ; d’un visage qui soit celui, infini, et « vrai », lui, de quelqu’un qu’on aime… ; et avec le regard de cet autre que soi… _ d’un nouveau partenaire _ objet seulement ! _ recommence. »

Dispositif (de recherche = « drague ») volontariste et compulsionnel _ j’y reviens donc _ auquel Daniel Mendelsohn avoue lui aussi _ est-ce toujours le cas aujourd’hui ? pas mal d’eau ayant coulé depuis lors sous le pont (de Brooklyn)… _ se plaire (ou complaire) en la répétitivité, partenaire d’un soir après le partenaire du soir précédent _ et surtout pas le partenaire du soir prochain ! du lendemain ! « pas de futur » de ce côté-là ; rien que de l' »élusion »… _,

ainsi qu’il le décrit en un « charmant » portrait, non dépourvu d’une touche de condescendance amère _ et vengeresse, aussi (page 127) _ d’un de ses amis gay : ou « Don Juan gay » :

le passage (pages 125 à 128) succède à celui de « l’absence de regard (pages 122, puis 123 !)  _ « impossible de voir à quoi ses yeux ressemblent » (page 122, sept lignes et trois phrases plus haut que la première occurrence d’« absence de regard«  !) _ du mannequin Armani«  (la narration de l’épisode de cette photo du « garçon Armani » (page 124) se déroulant des pages 122 à 124…).

« La répétition n’est pas le problème, mais le but de toute cette affaire« , formule excellemment la chose, Daniel Mendelsohn, page 121.

Ou :

« le plaisir en soi

_ comment interpréter la traduction ? le français est ici, involontairement (probablement !) délicieusement équivoque : à côté, et au-dessous, du sens obvie d' »à lui tout seul », vient en effet se glisser cette autre piste d’un « exclusivement à l’intérieur d’un soi » (qui serait comme une « forteresse »)… _

est séparable de l’amour. »


« Au-dessus » du « bureau » de Daniel Mendelsohn, « se trouve _ en effet, encore _ une autre photo qui m’a donné l’impression de provoquer un écho en moi, à l’époque où je l’ai vue _ pour la première fois : en page d’un magazine. C’est une publicité pour des lunettes de soleil Armani ; et elle montre un jeune homme si parfait _ en l’image ! _ que, la première fois que je suis tombé dessus _ cela ne se recherche pas _, j’ai cessé de feuilleter le gros magazine que je tenais, le coin inférieur droit de la page serré dans ma main droite, et je me suis mis à la fixer. Comme il porte des lunettes de soleil, il est impossible de voir à quoi ses yeux ressemblent. Ça ne me dérange pas vraiment » _ remarque Daniel Mendelsohn, page 122…

Et il compare cela, page 123, avec le fait qu’« on ne voit pas les yeux sur la plupart des nombreuses photos qui sont postées sur les chats d’AOL (…). Ces photos ne montrent _ exposent, exhibent _ souvent qu’un torse, ou un corps  _ tronqué ; ou plutôt étêté ! _ depuis le cou jusqu’aux pieds ; ou parfois simplement le pénis en érection _ sont-ils photogéniques ? Le caractère incomplet de ces photos s’explique en partie par un désir de discrétion : certaines des personnes qui postent ces photos sont (…) bien connues dans les cercles étonnamment réduits qui constituent la société gay des grandes villes ; et, pour la plupart des hommes, l’embarras éventuel de se voir associé _ ah ! _ à la photo en ligne d’un corps exhibant une érection ne vaut pas une « séance de sexe », même géniale (sic). Ce qui m’intéresse _ et nous, lecteurs, à la suite de l’essayeur _ dans ces photos incomplètes (…), c’est le fait qu’elles ne semblent pas _ au « regardeur » _ vraiment incomplètes _ elles me paraissent parfaitement naturelles _ dit l’auteur, toujours page 123 _, comme est naturelle l’absence de regard du mannequin Armani » (sic).

Nous approchons ici du principal de l’analyse…

« Les visages _ poursuit-il _ m’ont l’air superflus ici : ce sont les corps _ les corps seuls, ajouterai-je, pléonastiquement ; des corps sans regards, ni visages : soit la pure et simple pornographie, rien moins… _ qui excitent _ soit une forme assez spécifique de « photogénie »… _ ;

les corps que, grâce à un entraînement _ exigeant et performant _ assidu, nous pouvons _ instrumentalement : telles des poupées ! ou des mannequins, en effet ! des professions à succès !.. _ façonner _ ce qui ne peut se faire (en rien !) de qui on aime (vraiment) !.. _ pour qu’ils se rapprochent d’une image _ de corps _ idéalisée,

bien mieux que nous le ferions avec nos visages _ qu’en est-il, cependant, des prouesses de la chirurgie esthétique ? sinon des techniques les plus sophistiquées (cf « Gorgias«  de Platon : 464 b465 c) du maquillage ? _ et leur idiosyncrasies _ singulières, donc _ récalcitrantes, faites de narines, de joues et de mâchoires. »

Avec ces inférences, page 124 :

« En lorgnant le garçon Armani sans regard _ because les lunettes noires (Armani !) _ et en passant tout à coup aux photos sans tête _ ni marques _ d’AOL,
je me rends compte que le premier
_ le garçon sur la photo _,
qui cherche à provoquer une sublimation
_ avec « déplacement« , dirait Freud _ (« Achète ces lunettes, c’est comme une baise fantastique »),
est aussi gay dans son essence
que les autres
_ exhibés sur AOL _,
avec leurs promesses sans ambiguïté de gratification sexuelle immédiate (
« Appelle-moi, je te promets une baise fantastique »).
 »

Et ce en quoi il est « aussi gay«  _ sur l’écran d’Internet (chez soi) _ « que les autres« , selon Daniel Mendelsohn,
« ce sont les lunettes de soleil, je m’en aperçois _ en y réfléchissant _ ;

l’absence de regard chez lui. »

Car
« sans le regard,
il ne peut être un sujet ;

pas même le sujet de son propre regard désirant ;

il ne peut être _ donc, ou en conséquence d’un tel dispositif photographique (publicitaire) _ qu’un objet  _ ce qui peut et « reposer », et « amuser » (telle une absence ; ou un voyage-crochet _ ou « tourisme » _ auprès du désert du rien…) ; « qu’un objet«  de convoitise _ pour le désir des autres. »

Il se prête (ou s’expose : très momentanément !) au désir des autres _ et surtout sans jamais s’y donner ! ni durer…

Et Daniel Mendelsohn poursuit son analyse sur « la contenance » (froide) que se donnent ces provocateurs de désir, ou du moins d’érection :

« puisque c’est cette contenance que nous _ les gays _ adoptons, comme un masque _ en effet, et en permanence similaire, en ce « jeu » érotique _ quand nous allons dans des bars ou des boîtes :

un égocentrisme _ exclusivement tourné sur soi _

tel qu’il n’exige rien de vous _ là c’est du « spectateur » « à attirer » (voire du lecteur qui participe à l’analyse par sa lecture) qu’il s’agit… _,
si ce n’est que vous le regardiez. »

Et, cette « contenance » froide
_ pour ne pas dire frigide (en même temps que « brûlante » pour qui s’y laisse prendre et entraîner : à « désirer ») _,

« c’est l’expression qui vous permet de ne pas être le sujet, celui qui désire, l’incomplet (!) qui regarde en silence
_ nous ne sommes certes pas dans la version spinoziste, ou deleuzienne, du désir ; mais dans la version « désastreuse » platonicienne (du « Banquet »


_ sur les « désastres«  du désir, lire aussi le beau passage, par la professeur de Grec à Princeton, page 100, montrant « une longue liste établie par elle, alors qu’elle écrivait un article sur la manière dont les Grecs se représentaient Eros, le désir. La liste est un catalogue d’images du désastre : maladie, mort, douleurs, refroidissements, flammes, souffrances de l’esprit et du corps, pestes littérales et figurées, armes, conflagrations, flèches, poisons déluges, batailles, défaites. Ce sont les images que ces païens de Grecs invoquaient quand ils pensaient à Eros. Dans l’imaginaire hellénique de la haute période classique, l’amour est toujours une affliction«  _ qui dépossède de soi) _ ;

mais au contraire l’objet _ celui qui est parfait _ auto-suffisant _ et désiré _ par de malheureux désirants, page 124, donc.

Voilà qui me rappelle les étonnements de ma lecture, il y a plus de vingt ans, du très riche (et courageux !) « Journal romain (1985-1986) » de Renaud Camus (aux Éditions POL, en novembre 1987), en « découvrant » ses séances _ qui me paraissaient tellement répétitives _ de « baise » (homosexuelle) à Rome ; et qui retardaient tant la lecture _ délicieuse, elle, et désirée, recherchée (je suis un passionné des « trésors » de Rome !)des pages de « découverte » ravie des merveilles singulières, elles, des beautés sises, voire même (assez souvent) cachées, tout particulièrement, même si ce n’est pas exclusivement, dans des églises et des musées romains, aux horaires d’ouverture, les unes comme les autres, si anarchiques et peu prévisibles, que pouvoir pénétrer une (unique) fois en leurs antres (par exemple, lors d’une cérémonie de mariage ; ou de funérailles) faisait ainsi figure, sinon de « miracle », du moins de « grâce »…

Quant au passage (pages 125 à 128) sur le « Don Juan » gay, « un beau jeune homme _ et plus un « garçon » ! _ à l’esprit agile et à la carrière professionnelle brillante, qui couche avec un inconnu différent chaque soir, si possible » _ et cela l’est presque chaque fois _, il est encore plus significatif que celui de la photo du « mannequin Armani » :

« Ce pour quoi il vit _ mais oui ! on a bien lu ! _, ce qui _ lui _ rend le sexe intéressant et même fascinant _ et inlassablement _,
c’est la nouveauté
_ absolument nécessaire !!! _ de chaque partenaire _ si l’on veut : pour un objet ! pour un pur réceptacle de la matière du « getting off«  ! _, l’excitation _ idéelle ; idéaliste _ qu’il ressent une fois _ l’événement de ce savoir « dure »-t-il ? _ qu’il sait _ voilà ! le plaisir pur de se figurer !.. _ qu’il a séduit » _ non seulement qu’il a « eu » ou « possédé » (par son phallus) l’autre, mais qu’il le « tient » par le désir de l’autre de « revenir », voire de « rester »…

Et Daniel Mendelsohn d’ajouter, page 126 :

« Je pense souvent à ces hommes qui quittent son _ très bel _ appartement, ruisselants d’espoir ;

et lorsque j’y pense,

ce que je vois,
c’est le regard étincelant d’excitation
_ sadique, d’abord _ de mon ami _ si élégant : « délicat, intelligent, beau et doué » (page 125) _,

le scintillement de la certitude  _ jouissive (avec une part de sadisme, donc) _ infaillible qu’il les possède plus surement encore _ désormais, ainsi _ qu’au moment
où il était sur eux,
derrière eux,
à côté d’eux,

en eux » _ page 126 : Don Juan, vous dis-je ;
le dilettante, par excellence.


Cela m’évoque « Le Problème du mal » d’Étienne Borne _ livre paru en 1958, et ré-édité aux « Presses Universitaires de France« , en janvier 2001 _, considérant le dilettantisme, l’avarice et le fanatisme comme « les trois figures essentielles du mal humain« , par le refus _ sévère, inexorable, impitoyable _ de la passion, cette « épreuve continue _ et infinie, elle !.. _ d’une vulnérabilité à autrui« , quand l’autre est vraiment réellement (= à cœur perdu ; c’est-à-dire donné ; sans rien de retenu et de gardé seulement pour soi) aimé _ car c’est comme cela que cela s’appelle ! _, comme l’analyse magnifiquement Etienne Borne, là…

Daniel Mendelsohn sait bien _ il le dit page 127 _ que « nous _ et il parle des gays, d’abord _ avons tous fait ce qu’il _ l’ami don juanesque _ fait : l’excitation de la séduction, le plaisir absolu, bref, certes, mais entêtant, de savoir qu’on vous veut« ,
suivi _ immédiatement : à la minute ! _ de la fuite, du couper court (« to elude« ) ! :

« Il faudrait que je fasse le compte des garçons que j’ai moi-même fuis après les avoir possédés » _ et Daniel Mendelsohn d’en énumérer, non sans un brin de remords, quelques uns…

Car, « une fois que c’est fait _ le « getting off » ; l’orgasme, avec sa « chute » (de tension) post coïtum _, vous avez besoin _ voilà le seul terme adéquat, et non « désir » ! _ d’en avoir _ au sens qu’on interprètera _ un autre _ « au suivant ! » _ ;

quelqu’un d’autre, quelqu’un de différent _ tous sauf le(s) même(s) ! _ ;

et vous devez donc _ en un tel dispositif de fonctionnement : comparable aux parcours indéfiniment répétables (et répétés) des longueurs de bassin de la piscine ! _ supprimer _ le mot est terrible : de la liste des partenaires (-objets) possibles _ le garçon précédent,
celui que vous mouriez d’envie d’avoir
_ c’est fait ! et n’est ainsi plus « à faire » ! au lit ! _ la veille ;

vous devez
le faire disparaître

parce que si vous le re-voyez _ et avez « r-affaire » à lui _,
il sera un garçon particulier _ une personne singulière _,

et non pas simplement Le Garçon _ une idée, une image mentale, une fiction,

même si (nécessairement : « getting-off » oblige !) bien charnelle _,

pas simplement CE qui _ pas quelqu’un ; mais un quelque chose : un leurre du désir _ vous fait rester dehors toute la nuit, ou réveillé toute la nuit, ou en ligne toute la nuit
dans l’espoir
_ réaliste (= pragmatique), et qui s' »avèrera » (= passera au stade de « réalisé »), en effet, le plus souvent, en un tel « jeu » (de manège)… _ que lui, comme tant d’autres, passera dans votre petit appartement _ et votre lit, et vos bras _ où le désir _ en ce « chez vous » _ ne concerne que « vous » _ et pas lui, ni quiconque : c’est dit noir sur blanc, page 128 _,

quelque chose _ et non pas quelqu’un, une personne, avec un visage _
que vous contrôlez _ voilà : par votre intelligence et votre volonté ; votre habileté, votre ruse _,

quelque chose qui n’a rien à voir, en fin de compte

_ le terme (de la traduction française, au moins !) est parfaitement adéquat ! _
avec la personne

_ où diantre se cache(-rait ici) pareil animal-là ?

et nonobstant (ou en dépit de) la présence apparente (et tenable : charnue) de son corps... _

qui se trouve là, pour l’heure, dans la chambre. »

« Out ! »

and « Off ! » ; « Away ! »

La page  juste avant celle (page 121) sur la répétition _ j’y reviens _,
page 120, donc,

l’auteur avait émis cette thèse-ci :


« Pour beaucoup d’hommes gay _ et par conséquent pour les hommes en général, puisque la culture gay n’est rien d’autre qu’un laboratoire _ décomplexé, probablement _ où observer ce que devient la masculinité sans les contraintes imposées _ nous y voilà ! _ par les femmes :

le sexe, pour les hommes, est finalement _ « par nature », biologiquement, en quelque sorte, par un bien beau retour de l’idéologie « naturaliste » : « chassez le naturel, il revient au galop !«  _ séparable de l’affect.

Trios, cuir, orgies, jeux de rôles _ « jeux » : pour les gays, le sexe peut être séparé _ c’est tout l’art (du « Don Juan » : schizé !!!) ! _ du moi, du sujet.

Distancié, objectivé, il peut devenir en fin de compte esthétique

_ ou une nouvelle légitimation idéologique.

Sur cette « esthétisation », lire avec profit l’excellent Yves Michaud : « L’Art à l’état gazeux _ essai sur le triomphe de l’esthétique« 

Sur le plaisir de la répétitivité, cette remarque encore, à propos de l’exercice de la natation en piscine _ pas dans l’océan, forcément : comment y « compter » quoi que ce soit ? _, pages 131-132 :

« Il y a quelque chose de profond et d’une familiarité inconsciente dans le plaisir de nager _ en piscine ! _ : le plaisir d’enchaîner _ oui ; avec « compteur » ! _ les longueurs de bassin » (…) ; soit « quelque chose qui ressemble à un mouvement, mais qui en fait ne va nulle part _ ce que, pour ma part et tout personnellement, si je puis me permettre de m’immiscer idiosyncrasiquement en ce commentaire, j’exècre et abomine !!! le comble de l’ennui… _ ; et c’est le plaisir de savoir _ plutôt que ressentir _ que les distances que vous parcourez _ en ce (petit) bassin géométrique _ peuvent toujours _ ad nauseam même, si cela nous « chante » _ être comptées en petites unités stables _ le prototype du cauchemar et de l’horreur pour moi ! _ à la répétition constante et réconfortante _ pour qui aime « compter », comme Daniel Mendelsohn (alors), dont le père, comme l’amie (« Rose ») sont, certes, mathématiciens !

« Le désir est un mouvement plutôt qu’un lieu« , énonce fort bien Daniel Mendelsohn, page 44. Mais ce mouvement-là poursuit souvent une chimère du passé ; dont l’auteur s’efforce ici de re-tracer en quelque sorte (« en amont ») l’archéologie _ de « garçon«  en « garçon« , en quelque sorte _, depuis un premier aimé et désiré _ P. : nous n’en connaitrons ici que l’initiale _ ; et qui l’a fui irrémédiablement, quelques années (d' »amitié adolescente ») plus tard. Et P. était champion de natation… Mais P., aimé, était-il seulement un « garçon« , lui, le premier (et « modèle » de la « série » des « garçons«  ne l' »équivalant », aucun, jamais…) ?..

« Quand il a atteint l’âge de quatorze ans _ en 1974 par conséquent _ « le garçon » qu’est lui-même le jeune Daniel Mendelsohn « écrit«  dans le « journal » qu’il « tient » « en cachette« , page 91 : « J’ai rencontré P. aujourd’hui, je crois _ ajoute-t-il immédiatement _ que nous pourrions devenir amis » ;

et, environ six mois plus tard, quand il souffre sévèrement de ce qu’il n’a pas encore identifié comme l’amour _ c’est dit _ : « Je refuse de croire que mon idée d’avoir un ami parfait soit, comme le dit Papa, de la « merde« . »

Mais aussi, page 101 :

« Dès que j’ai posé les yeux sur P., j’ai _ en effet, immédiatement _ su _ simultanément _ que c’était sans espoir (sic) ; que quel que fût l’endroit _ à l’autre bout du monde… _ où m’emportait mon désir, je n’y trouverais jamais (!) accomplissement ni bonheur... »

« Cela _ avec P. _ a _ cependant _ duré plusieurs années, jusqu’au début de la Terminale _ page 102 _ ; je me suis insinué _ le désir amoureux est puissant : il donne des ailes… _ dans sa vie, je connaissais ses amis, son emploi du temps _ les longueurs de bassin de piscine _, ses parents; comme si le fait de posséder ce savoir, de tout connaître de lui, me permettait d’en faire une reconstitution, de me l’approprier _ l’amour n’a pas de limites. Un jour, alors que je devais passer la nuit chez lui, je me suis soûlé ; et, comme nous parlions de ce dont parlent les adolescents quand ils dorment chez l’un ou chez l’autre, j’ai compris que je voulais lui faire violence, d’une manière ou d’une autre, que je voulais que l’intensité de mon désir pour lui, transperce _ enfin _ ou abatte les murs de son… de son quoi ? De son « moi », de son identité _ pas assez poreuse _, de ce qu’il était inévitablement et répétitivement. Mais, bien sûr, ça n’a pas marché. Il est demeuré toujours _ voire plus que jamais _ lui-même, distant et parfait _ sans moi… _ en quelque sorte ; comme si le fait d’être désiré était un accomplissement, une fin en soi _ pour lui _ ; et je suis devenu toujours plus moi-même _ = désirant ; et passionnément _ à force de le désirer.


Je pense que les choses auraient pu durer _ ainsi _ indéfiniment, mais il a commencé par sortir avec une fille que je connaissais bien. Je les observais en silence ; et même si mes yeux ne se voilaient pas, si mon ouïe ne se détraquait pas, si la sueur ne coulait pas sur mon corps pendant que je les regardais _ selon le modèle plus tard découvert du sublime « poème 31″ de Sappho _, même si je ne devenais pas plus vert que l’herbe _ idem _, je m’affaiblissais, je me renfermais sur moi-même ; j’étais de moins en moins capable d’être dans le monde _ celui qui est partagé ; et commun ; sous le regard des autres.

Il est venu me voir un jour et m’a dit que les choses devenaient _ par l’effet de contrastes nouveaux _ trop intenses ; qu’il ne me verrait plus jamais ; qu’il ne me parlerait plus jamais ;


et fidèle à sa promesse, il ne l’a _ très effectivement _ plus jamais fait ;

se détournait _ jusque là _ de moi quand il me voyait dans les couloirs, les salles de classe ou les cafétérias,

avec une maladresse si transparente et si brutale

qu’elle en tournait presque _ eh ! oui! _ à l’inverse, la tendresse _ que d’émois brûlants ! Et il s’en allait.

A ce moment-là, je me suis laissé aller à le détester ;

ce qui faisait du bien,

dans la mesure où l’aimer publiquement avait été interdit ;

et le détester publiquement _ ou la part si puissante des autres (cf le chœur antique) en ces divers processus _ était tout à fait acceptable.

Je tournais en dérision ses intérêts, la natation _ la revoilà _, ses amis, ses cheveux _ blonds paille, décolorés par le chlore des piscines _,

et j’amusais _ de ma carapace d’« ironie«  (à la Oscar Wilde) _ mes amis, auxquels j’étais désormais revenu,

avec des récits _ de « connivence » retrouvée : à quel prix ! _ de mon séjour chez les barbares _ page 103.

Page 104 : « Le premier homme avec qui j’ai couché  _ « ce devait être pendant la semaine qui a précédé mon vingt-et-unième anniversaire, au début du printemps 1981 » _ en Virginie _ avait le même prénom que lui _ P..

Et nous savons depuis la page 31, à l’occasion d’une confidence : « la première fois que j’ai fait l’expérience de désirer un autre homme dont je savais qu’il me désirait aussi _ voici la nouveauté ! par rapport à P., au lycée de la banlieue de Long Island _, c’était à l’université. (…) Nous avions tous les deux dix-neuf ans _ c’était donc en 1979. (…) C’était dans une université du Sud _ à Charlottesville, en Virginie, page 30. (…) J’étais venu là , à l’université nichée dans les contreforts du Blue Ridge, parce que j’avais aimé, au lycée, un garçon _ P., donc _ qui venait de cet Etat, un garçon qui m’avait rejeté lorsqu’il avait compris _ ou après _ que je le désirais ; je pensais qu’en allant là-bas, à l’endroit d’où il venait, je pourrais le retrouver _ le mot est capital : « re-trouver le « perdu » (« the lost«  !) _, d’une certaine façon, absorber _ en soi _ une partie de lui. Je pensais qu’être dans _ déjà _ cet endroit, avec ses collines et ses élevages de chevaux, et la crête bleutée et brumeuse de la chaîne de montagnes au loin, me permettrait de découvrir _ thaumaturgiquement _ qui était ce garçon _ ce qui est une façon tout à fait profonde d’aimer ; page 31. Mais ce jour-là de 1979, la séquence n’aboutira pas (la rencontre sexuelle sera, par timidité encore, « éludée ») : ce n’est que deux ans plus tard, en 1981 donc, que Daniel Mendelsohn va (enfin ! et toujours en ce même campus de Virginie…) « coucher avec un homme« , prénommé, lui aussi, P.

Mais, page 111 :

« Il est possible de tomber amoureux _ par le processus que Freud nomme « déplacement«  _ de quelqu’un  parce qu’il a les cheveux _ blonds _, le prénom _ P. _ ou l’ascendance _ être de Virginie _ qui conviennent _ mais pas pour longtemps. La structure du fantasme que votre désir _ votre Inconscient (peut-être névrotique) _ impose _ alors, par « projection »/ »introjection » _ à cette personne,

est vouée, à la fin, à exploser,

puisque son identité réelle _ car elle existe bel et bien ; et résiste aux seuls fantasmes ! _ va finir par remonter à la surface et venir troubler l’image _ illusoire, cf Freud : « L’Avenir d’une illusion« … _ que vous vouliez _ ou plutôt que lui, votre désir fantasmatique, ici, « voulait » ! _ y voir.

Pour la plupart des gens, le fait que l’être aimé soit différent, le fait qu’il soit lui _ en son idiosyncrasie, peut-être _,

est riche de possibilités ;

pour les autres _ comme l’auteur, semble-t-il, ici _, ce n’est pas le cas. Mais pour les autres, il y a _ toutefois _ des plaisirs différents,

les plaisirs d’une profonde connaissance _ peu à peu _ de soi _ faute que ce soit de l’autre… _,

la vision intérieure _ par la méditation intensive et suivie _ qui est plus claire _ oui ! _ que celle des _ seuls _ yeux,

la capacité de capter _ grâce à la « focalisation » ; et la méditation intense et réfléchie (« critique ») _ le son émis _ et les paroles _ par les statues qui parlent.

J’ai couché avec beaucoup d’hommes _ dit alors Daniel Mendelsohn, page 111. La plupart d’entre eux ont une apparence _ physique _ bien déterminée _ un certain « type ». Ils sont de taille moyenne et ont tendance à être plutôt jolis _ plaisants à regarder. Ils auront probablement _ statistiquement _ les yeux bleus. Ils ont l’air, vus dans la rue, ou depuis l’autre côté de la pièce, un peu solennels.

Lorsque je les tiens dans mes bras,

c’est comme si je tombais _ et littéralement _ à travers un reflet

sur mon _ propre _ désir _ seulement _,

sur la chose qui me définit,

sur mon moi _ page 112 ;

et pas « dans » eux, ces « hommes« …

Un peu plus haut _ pages 110-111 _, parce que « il y a eu une période, à l’université, avant que je ne commence la marche et la chasse _ liées par Daniel Mendelsohn à l’homosexualité _, où j’ai eu des rapports sexuels avec des femmes, assez souvent » ;

de ces accouplements _ coïts _, je me souviens de ceci :

lorsque les hommes ont des rapports sexuels avec des femmes, ils tombent dans la femme. Elle est la chose qu’ils désirent, ou parfois redoutent ; mais en tout cas elle est le point final, l’endroit où ils vont _ to come = jouir…

Les hommes gay, eux, tombent, pendant le sexe, à travers leurs partenaires,

jusqu’à eux-mêmes, inéluctablement » _ page 111.


Un livre courageux et passionnant ; même si on peut s’irriter _ contre qui ? le Destin (l’Anankè) ? _ de voir le narrateur-auteur

si peu

rencontrer vraiment

un autre : du moins avant la survenue de l’enfant Nicholas…

Sans négliger, non plus, un aussi puissant que discret

formidable humour, sous cette plume, en cette voix

de Daniel Mendelsohn… :

c’est donc non sans une certaine impatience

que nous attendons de le lire à nouveau, l’écouter, le rencontrer nous parler…


Titus Curiosus, ce 8 février 2009

Sur la part des désirs (d' »amateurs » d’oeuvres) dans la vie (et l’Histoire) des Arts

10jan

Tout spécialement pour Michèle Cohen

Un très intéressant _ par la précision de ses détails, comme par la vigueur et la pertinence de ses focalisations _ travail d' »Histoire de l’Art » : « Les Amateurs d’Art à Paris au XVIIIe siècle« , par Charlotte Guichard, dans la collection « Époques » aux Éditions Champ Vallon

_ l’ouvrage paru en septembre 2008 est assez tardivement « apparu » dans la chronique de livres des journaux : dans le cas de ma « découverte », c’est grâce à l’article « Profession : amateur«  (avec pour sous-titre « le rôle de l’Académie royale au XVIIIe siècle« ) de Jean-Yves Grenier, en page du cahier « Livres » de Libération, jeudi 8 janvier dernier…

L’article étant accompagné de cette phrase le « signalant » au lecteur (peut-être parfois un peu trop pressé) : « Parlementaire, financier, mais aussi membre de l’élite politique » (…) « l’amateur doit faire preuve d’un goût sûr et éclairé, à la différence d’un simple curieux« …

Le distinguo « amateur« / »curieux » m’ayant particulièrement « accroché »…

D’autant que l’article de Jean-Yves Grenier, en ce cahier « Livres » de Libération, en « suivait » un autre consacré, lui aussi, à la « réception » des Arts (et à la « constitution » des « publics« ) :

un article de Dominique Kalifa « L’Europe en scènes«  (sous-titré « La Somme de Christophe Charle sur l’essor du spectacle« ), consacré au livre « Théâtres en capitales _ Naissance de la société du spectacle à Paris, Berlin, Londres et Vienne« , aux Éditions Albin Michel..


Or ces questions de la « réception » des œuvres, ainsi que de l’existence même d’une « vie _ et d’abord d’une « réalité » même « artistique » ! _ artistique« , donc, sont à la source même (et « inspiration », ou « souffle ») de ce blog

_ qui ne s’appelle pas pour rien « Carnets d’un curieux«  ; et encore « En cherchant bien » ; et de la part de qui se nomme et signe Titus Curiosus !!!

Ainsi l’Art « existe »-t-il bel et bien, en dehors (et en aval) de l’acte (de la création) même _ au jour le jour, en quelques moments (plus) intenses (que d’autres) _ de l’artiste ; ainsi qu’en des œuvres qui vont (un peu ; et plus ou moins… ; d’une certaine façon, en tout cas, et qui leur est propre) demeurer (et durer un peu) ; s’offrant, un moment (plus ou moins bref, ou prolongé…), à quelque « rencontre » et « contemplation » (plus ou moins jubilatoire, voire extatique ! mais oui !!!) d’un autre (= autrui) qui s’y livre, s’y donne, s’y adonne peut-être, si peu que ce soit… ;

ainsi, donc

(en conséquence de cette « chaîne » d’activités _ créatrices et æsthétiques _ là…)

l’Art « existe »-t-il aussi sous le regard

_ et les (divers) sens (= complémentaires les uns des autres), tous plus ou moins convoqués _ d’un « amateur« , et d’un « public« , qui s’en enchante ; et le valorise _ y applaudit ; au point de parfois même (voire souvent, voire toujours) payer un prix fou (!) pour en jouir ; et, dans certains cas, « acquérir » lœuvre _ si et quand « œuvre » il y a bien… _, en devenir le « possesseur », qui s’en assure une permanence _ et/ou exclusivité _ de « jouissance » (et peut devenir, aussi, alors _ « en suite »… _, un « collectionneur » d’œuvres d’Art…)…


Bref, un « sujet » qui m' »intéresse » passionnément ;

car l’Art même est menacé en sa « vie » même

_ et en sa plus élémentaire matérialité ; et économique ! _

de n’être pas ;

et, à sa suite, encore plus menacé, lui, le « goût » _ qui serait alors rien que « mort-né » !.. _ de l’Art ;

menacé de, tout bonnement, n’être pas

_ quel terrible paradoxe ! pour tant de générosité de joie prodiguée !!! _

un peu largement partagé : au-delà de ce que l’on, en son corps, ressent soi ;

et sur cette question

éminemment cruciale _ à mes yeux _,

on se reportera toujours avec le plus grand profit de compréhension

_ et parmi quelques autres,

tel l’essentiel, lui aussi, « Homo spectator » de Marie-José Mondzain ;

ainsi que le si merveilleux « L’acte esthétique » de Baldine Saint-Girons ; j’y reviens toujours !!! _,

au livre très remarquable de Jacques Rancière « Le Partage du sensible« , paru en avril 2000, aux Éditions La Fabrique…


Fin de l’incise.

Je reviens dare-dare aux enjeux des distinctions entre curiosité (à propos des « curieux« ), amour (à propos des « amateurs« ), et connaissance (à propos des « connaisseurs«  _ et bientôt « experts«  : au siècle suivant, plus « lourd » ; et dominé, lui, par les « marchands », à un moment d’expansion, bientôt « irrésistible » (?) de la « marchandisation »…) ès Arts…

La première phrase de « conclusion » _ page 339 du livre de Charlotte Guichard, « Les Amateurs d’Art à Paris au XVIIIe siècle » _ le dégage on ne peut plus clairement,

et plus largement encore

et que « à Paris »

et que « au XVIIIe siècle » :

« Le XVIIIe siècle est l’âge d’or de l’amateur, entre l’apogée du mécène au XVIIe siècle et celui du collectionneur au XIXe siècle.« 

Mais Charlotte Guichard précise tout aussitôt : « Loin d’être une figure universelle de l’amour de l’art _ une expression capitale ! _, l’amateur au siècle des Lumières _ et surtout à Paris ; à la différence de Londres, de Berlin ou de Dresde, ou de Rome (exemples choisis par cet auteur) !.. _ est un acteur important du système monarchique _ en France : à Versailles et à Paris, pour l’essentiel… _ des arts. Son essor est lié _ voilà le principal acquis de ce travail-livre _ à la réforme académique qui se met en place dans les années 1740 _ le roi Louis XV, né le 15 février 1710, abordant tout juste alors sa trentaine _ : le modèle de l’amateur, théorisé par le comte de Caylus en 1748, est une réponse de l’Académie royale de peinture à l’ouverture de l’espace artistique _ un concept assez intéressant ; et à creuser-explorer… _ à l’espace public de la critique et du marché«  _ deux facteurs qui deviennent ici et alors décisifs !

Charlotte Guichard synthétise les acquis de sa recherche : « Associé à l’institution académique à travers le statut d' »honoraire », l’amateur est défini par l’exercice du goût, que la connaissance visuelle _ dans le cas, bien évidemment, des arts plastiques, et au premier chef desquels se trouve la peinture ; mais l’analyse peut s’appliquer à d’autres Arts, à commencer par la musique ! _ des œuvres, la pratique artistique en amateur _ et c’est un des apports très concrets de son travail ici que de l’avoir révélé et très bien mis en valeur _, et les relations de sociabilité avec les artistes _ qui, de fait, se développent alors (par exemple en la fréquentation de « salons », à la Ville…) _ doivent perfectionner.

Face à la publicité nouvelle du jugement de goût _ à la Ville (= Paris), par rapport à la Cour (de Versailles) ; dans les salons (parisiens, donc) ; mais aussi dans la presse qui va très vite se développer et prendre de l’ampleur _, l’Académie royale propose donc une alliance _ « politico-culturelle », pourrait-on dire, si l’on ne craignait le pléonasme ; en un « milieu » plus ouvert et plus large que le milieu de cour ; auquel Louis XIV, fort habilement cornaqué par son parrain romain, le plus que judicieux Jules Mazarin (né à Pescina dans les Abruzzes le 14 juillet 1602, formé auprès du pape Urbain VIII Barberini, à Rome, et décédé au Château de Vincennes le 9 mars 1661…), avait consacré son effort _ ;

une alliance entre les artistes et les amateurs, dont le rôle de conseil est rendu légitime par leur position de médiateurs _ le terme est bien intéressant ! _ entre l’espace de l’atelier et l’espace des sociabilités, où se recrutent les commanditaires.

Les amateurs sont donc au cœur d’une conception académique _ la chose est directement issue de Rome (et des « académies » romaines !!! ; après Florence ; et, en amont, via Venise, la Constantinople byzantine d’avant 1453…) _ du public, qui promeut des communautés de goût _ un concept diablement intéressant ! lui aussi !.. _ associées au système monarchique des arts,

comme le montrent les écrits du comte de Caylus

_ Anne-Claude-Philippe de Tubières-Grimoard de Pestels Levieux de Lévis, comte de Caylus, marquis d’Esternay, baron de Bransac, né à Paris le 31 octobre 1692 et mort le 5 septembre 1765 ;

et fils de Madame de Caylus (1673-1729 _ lire ses très intéressants « Souvenirs« , dans l’édition du Mercure de France), nièce (chérie et tout spécialement « élevée » par elle) de Madame de Maintenon… ;

sur Caylus, lire : « Le Comte de Caylus : les Arts et les Lettres« , études réunies et présentées par Nicholas Cronk & Kris Peeters, aux Éditions Rodopi, en 2004 ; et « Caylus, mécène du roi : collectionner les antiquités au XVIIIème siècle« , sous la direction d’Irène Aghion & Mathilde Avisseau-Broustet, à l’Institut National de l’Histoire de l’Art, en décembre 2002 _

et, avant lui, ceux de l’abbé Du Bos

né en décembre 1670 à Beauvais et mort le 23 mars 1742 à Paris : existe une édition récente, à l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts, en 1993 (mais hélas non disponible : épuisée !), de ses « Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture » (dont la toute première édition est de 1719 _ par Pierre-Jean Mariette) ;

on pourrait y joindre utilement aussi les écrits  _ « Abecedario de P.-J. Mariette, et autres notes inédites de cet amateur sur les arts et les artistes, ouvrage publié par MM. Ph. de Chennevières et A. de Montaiglon » _ de Pierre-Jean Mariette lui-même (né à Paris en 1694 et mort à Paris en 1774)…

Juste le temps, encore, de quelques brèves précisions qu’apporte Charlotte Guichard, pages 15 à 17, aux distinctions quant à quelques uns des « médiateurs« 

qui _ écrit-elle, page 15 _ « ne sont pas dans une relation secondaire par rapport à l’œuvre : ils participent activement _ oui ! _ à sa création _ rien moins ! en effet… _, à sa reconnaissance et à sa réception, grâce aux relations d’interdépendance qui structurent _ aujourd’hui comme alors ! comme cela est (tragiquement ; cruellement ; suicidairement !) méconnu ; et pis encore, négligé, hélas !!! _ les « mondes de l’art » ! :

une expression dont il faut mesurer avec soin toute la portée (et les « exclusions ») !!!


Je lis, page 15 : « Mentionné pour la première fois dans le dictionnaire de l’Académie française _ dont c’était la toute première édition _ en 1694, le terme d' »amateur » est alors rapporté au domaine des objets, en particulier des productions savantes, littéraires ou artistiques :

« Qui aime. Il ne se dit que pour marquer l’affection qu’on a pour les choses, & non celle qu’on a pour les personnes. Amateur de la vertu, de la gloire, des lettres, des arts, amateur des bons livres, des tableaux. »

Un peu plus bas, pages 15 et 16 :

« En France, la littérature artistique spécialisée confirme la stabilisation du lien entre le terme d' »amateur » et la peinture au milieu du XVIIIe siècle »

_ en 1746, 57 & 59 ;

attestant « la spécialisation picturale du terme »

et résumant « la définition autour du « goût », devenu l’attribut essentiel de l' »amateur ». »

Charlotte Guichard synthétise :

« l' »amateur » est défini dans un rapport de prédilection, mais aussi de discernement et de compétence :

l’opposition avec la figure du professionnel apparaît pour la première fois

_ en 1759, dans le « Dictionnaire portatif des Beaux-Arts« , de Lacombe de Prézel…

L’amateur s’inscrit donc dans la sphère de l’otium et des loisirs cultivés.


Surtout, Charlotte Guichard note, et marque, que « dans « L’Encyclopédie », la figure de l' »amateur » est construite au sein d’un champ sémantique plus large : un intense souci taxinomique travaille les définitions, qui spécifient les figures du « curieux », de l' »amateur » et du « connaisseur » ; et  les inscrivent dans des hiérarchies de valeur.

Soit la définition du « curieux » par Paul Landois :

« CURIEUX. Un « curieux en peinture« , est un homme qui amasse des dessins, des tableaux, des estampes, des marbres, des bronzes, des médailles, des vases, &c. ce goût s’appelle « curiosité« . Tous ceux qui s’en occupent ne sont pas connaisseurs ; et c’est ce qui les rend souvent ridicules, comme le seront toujours ceux qui parlent de ce qu’ils n’entendent pas. Cependant la curiosité, cette envie de posséder qui n’a presque jamais de bornes, dérange presque toujours la fortune ; & c’est en cela qu’elle est dangereuse. Voyez AMATEUR. »


L’auteur _ Paul Landois, commente Charlotte Guichard, page 15 _ définit le « curieux » par la pratique de l’accumulation (il « amasse »), et non par l’exercice du goût. Il le distingue du « connaisseur », mais le renvoie à l' »amateur », confortant l’hypothèse d’un champ sémantique large.


La définition du « connoisseur » dans l’« Encyclopédie » confirme cet effort taxinomique :

« CONNOISSEUR. N’est pas la même chose qu’amateur. Exemple. Connaisseur, en fait d’ouvrages de Peinture, ou autres qui ont le dessin pour base, renferme moins l’idée d’un goût décidé pour cet art, qu’un discernement certain pour en juger. L’on n’est jamais parfait connaisseur en peinture, sans être peintre ; il s’en faut même beaucoup que tous les Peintres soient bons connoisseurs. »

Le « connaisseur » _ commente Charlotte Guichard, page 16 _ est défini par son savoir (« discernement ») et sa compétence à juger les œuvres. Il se distingue de l' »amateur », qui, lui, est défini par son « goût » : « Il se dit de tous ceux qui aiment cet art, & qui ont un goût décidé pour les tableaux. »

Le souci de spécifier ces différentes figures en établissant un jeu de renvois et d’oppositions révèle la volonté d’organiser un ordre légitime des pratiques du goût. Cette opération de définition _ en déduit Charlotte Guichard, page 17 _ fait donc surgir une hiérarchie de valeurs associées à ces expériences _ ainsi distinguées  _ de l’objet.

La critique du « curieux » est définitive : ainsi, l’effacement du terme au XVIIIe siècle renvoie à la condamnation de l’accumulation, parallèlement au déclin de la culture de la curiosité.

Krzysztof Pomian _ en son « Collectionneurs, amateurs et curieux » (en 1987) _ a bien montré que les définitions du « curieux » sont construites autour du « désir de totalité ». Dans l’organisation du champ sémantique, ce type de disposition laisse place au goût _ associé à l' »amateur » _ et aux compétences artistiques _ associées au « connaisseur », caractérisé par son « discernement », ses « connaisances » et ses « lumières ».


Ceci annonce _ propose, dès cette page 17 de l’« Introduction » à son travail, Charlotte Guichard _ le triomphe d’un régime d’expertise dans les mondes _ divers ; y compris ce qui se situe à son extérieur ! _ de l’art.


Le marchand d’art Gersaint _ et cette référence est passionnante ! _ inscrit ainsi _ en 1744, en son « Catalogue de Quentin de Lorengère » : note 2, page 17 _ ces figures dans une hiérarchie stable de valeurs : il distingue « les Curieux de Tableaux & les Amateurs de la Peinture ». Seuls ces derniers sont susceptibles d’acquérir les compétences techniques en « admir(ant) le mérite et les talents de chaque _ en sa singularitéMaître » : « par gradation, on acquiert la qualité de connoisseur« .

En 1792, le « Dictionnaire des arts de la peinture » résume cette hiérarchie des valeurs associées aux pratiques de la prédilection : « On est connoisseur par étude, amateur par goût, & curieux par vanité. »

Il est vrai que la pente du second XVIIIe siècle, celle qui a mené au régime de la guillottine sous la Terreur, a été le commandement de « toujours plus de vertu  » !..


Pendant ce temps, les « affaires » _ exclusivement marchandes ?!.. _ n’en « tournent » que mieux…

Et bientôt, dès le XVIIIème siècle, la « place » de Londres concurrence, sinon supplante déjà, « celle » (commerciale) de Paris…

Mais, à trop effacer, et la « curiosité » (des « curieux ») et l’amour (des « amateurs ») au seul profit de l’expertise _ mais de qui ? et de quels « connaisseurs » ? Est-elle technique ? est-elle artistique ? est-elle marchande (et exclusivement marchande)  ?.. cette dite « connaissance »-« expertise »-là ?.. _, ne jette-t-on pas Bébé (« Art ») avec l’eau de son bain (les « mondes des Arts ») ?..

En Art, Désir et Amour _ et chance des rencontres ! _ sont indispensables ;

et n’obéissent _ certes pas ! _ au doigt et à l’œil, non plus qu’à la commande _ de quelque ordre qu’ils ou qu’elle(s) soi(en)t…

Il y faut aussi pas mal d’empathie

_ et peut-être encore, au delà des œuvres elles-mêmes, stricto sensu, avec les artistes, en personne (et en chair et en os) !.. _ ;

et _ loin du calcul, exclusivement « spéculatif » _ de la générosité…


Titus Curiosus, le 10 janvier 2009

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