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Le génie musical opératique, pas assez partagé, de Haendel…

01oct

Ce jour, un article de ResMusica,

sous la plume de Dominique Adrian,

intitulé « Amadigi de Haendel à Francfort, une rareté qui ne devrait pas en être une« ,

me fait me pencher un peu sur la très regrettable insuffisance de reconnaissance par le public

de l’éclatant génie opératique de Haendel

_ ce compositeur adulé par Beethoven…


Voici donc ce très intéressant article :

Amadigi de Haendel est joué pour la première fois à Francfort dans une mise en scène qui laisse toute leur place aux voix.


Ce n’est pas dans la salle principale de l’Opéra de Francfort qu’a lieu la soirée, mais dans le Bockenheimer Depot, construit en 1900, et donc plus ancien que l’actuel Opéra. Cet ancien dépôt de tramways, avec sa belle charpente en bois, sert souvent pour les productions baroques ou contemporaines.

On peut compatir avec le metteur en scène Andrea Bernard, auquel le livret ne facilite pas la tâche : quatre personnages seulement, un manque certain de progression dramatique et un enjeu théâtral mal défini _ cela a déjà souvent été reconnu… _, le tout alors que la partition enchaîne des airs plus beaux les uns que les autres _ voilà ! Bernard a choisi de situer l’action dans un centre de cure thermale tenu par Melissa, la magicienne sans cœur (l’organe est dans un bocal soigneusement rangé dans une armoire avec les remèdes) ; le décor unique présente une vaste salle aux carreaux blancs, avec un bassin où Amadigi et Dardano font leurs ablutions. Le metteur en scène a d’abondantes explications pour ce choix dans le programme, mais ni elles, ni l’abondance de symboles avec lesquels il veut relancer le discours, ne parviennent à donner à la soirée la structure dont elle a _ hélas _ grand besoin. La force émotionnelle des airs tombe alors un peu à plat, et on se surprend à se contenter d’en admirer la beauté comme dans un récital _ voilà… Amantes amentes, les amants sont insensés, dit une expression empruntée à Térence sur le fond de scène : et alors ?


Un des grands mérites de la soirée est le choix du respect de la musique ; cela devrait être une évidence _ en effet… _, mais on a trop vu d’opéras baroques « améliorés » à coups de ciseaux fourrageant joyeusement dans la partition pour ne pas le signaler – ne manque que le deus ex machina à la fin de l’opéra, ce qui est pardonnable _ puisqu’on a été musicalement mieux que contenté : enchanté ! En raison de la configuration des lieux et du contexte épidémique, l’orchestre est placé derrière la scène – un feuillet distribué aux spectateurs présente les excuses de l’intendant Bernd Loebe pour les inconvénients acoustiques. Dommage pour l’écriture orchestrale de Haendel et ses somptueuses couleurs _ oui _ qui se ressentent encore de ses années en Italie _ en effet : la première d’Amadigi eut lieu à Londres, au King’s Theatre de Hay Market, le 25 mai 1715, alors que Haendel est demeuré en Italie (Florence, Rome, Naples, Venise) de l’automne 1706 à février 1710… _ : les voix ont la vedette plus que nécessaire, mais du moins elles tiennent leurs promesses.

Le contre-ténor Brennan Hall a un timbre éminemment poétique et beaucoup de délicatesse ; on aimerait simplement un soutien un peu plus franc, voire, parfois, une puissance qui permettrait d’enrichir le portrait de son personnage ; son ennemi Dardano a la voix abyssale de Beth Taylor, qui impressionne mais ne favorise pas le lyrisme. Les deux sopranos, la vénéneuse Melissa d’Elizabeth Reiter et l’intense Oriana de Kateryna Kasper, sont les plus convaincantes de la soirée, avec un vrai travail d’incarnation _ c’est toujours important. Kasper surtout comprend bien que son personnage n’est pas l’amante de service un peu fade, façon Ginevra dans Ariodante, mais une femme déterminée. Ce qu’on parvient à entendre de l’orchestre met en évidence la qualité du travail effectué, qui a permis aux chanteurs de creuser les émotions de chaque air _ et c’est bien évidemment essentiel. Roland Boër mène la soirée avec efficacité et rythme, et c’est une bonne chose que de voir un orchestre « moderne » _ et non « baroque », voilà _ se plier aussi bien aux sonorités et à la rhétorique de l’orchestre baroque _ de 1715…

Crédits photographiques : © Barbara Aumüller

Francfort/Main. Bockenheimer Depot. 29-IX-2021.

Georg Friedrich Haendel : Amadigi, opéra sur un livret attribué à Nicola Francesco Haym.

Mise en scène : Andrea Bernard ; décor : Alberto Beltrame ; costumes : Elena Beccaro.

Avec : Brennan Hall (Amadigi) ; Kateryna Kasper (Oriana) ; Elizabeth Reiter (Melissa) ; Beth Taylor (Dardano).

Frankfurter Opern- und Museumsorchester ; direction : Roland Boër

 

Pour ma part,

je connais seulement le double CD d’Erato _ n° 2292 45490-2 _, en 1991, d’Amadigi dirigé par Marc Minkovski,

avec ses Musiciens du Louvre,

et les chanteurs Nathalie Stutzmann (Amadigi), Jennifer Smith (Oriana), Eiddwen Harry (Melissa), Bernard Fink (Dardano) et Pascal Bertin (Orgando)…

Ce vendredi 1er octobre 2021, Titus Curiosus  – Francis Lippa

 

L’événement du splendide Don Giovanni, à Salzbourg 2021, de Teodor Currentzis et Romeo Castelluci…

14août

En confirmation de mon article du dimanche 8 août dernier ,

qui qualifiait cette production salzbourgeoise à la fois d' »événement » et d' »absolument splendide« ,  et proposait d’accéder par la vidéo aux 3h 41′ de ce magnifique spectacle,

je découvre ce samedi, sur le site de ResMusica et la signature de Dominique Adrian, un excellent article intitulé À Salzbourg, le choc Don Giovanni,

qui détaille avec une parfaite justesse, en particulier, sur le détail des prestations des divers chanteurs, et leurs incarnations respectives des divers personnages de ce dramma giocoso, les qualités de cette très marquante production d’opéra.

Le voici, donc :

À Salzbourg, le choc Don Giovanni

Teodor Currentzis et Romeo Castellucci construisent ensemble une lecture forte et exigeante _ oui _ au cœur _ oui _ du Don Giovanni de Mozart _ qui n’a jamais aussi magnifiquement lisible ! Tant dans sa continuité, parfaitement fluide, qu’en son détail, merveilleusement éclairé ! Quel régal tant musical que visuel…

Après les trilogies Da Ponte exsangues signées successivement par Claus Guth (2006-2011), où seules les Noces avaient un intérêt, et Sven Eric Bechtolf (2013-2016), le Festival de Salzbourg avait bien besoin de remettre sur le métier le cœur de la production opératique de l’enfant du pays. Il ne pouvait pas le faire avec plus d’éclat _ oui ! _ que par ce Don Giovanni singulier et puissant _ oui ! Il marque ! _, et on peut espérer qu’il restera longtemps présent au répertoire du festival. Plus que la distribution, ce sont les deux maîtres d’œuvre principaux du spectacle qui font naître cette réussite _ oui, c’est parfaitement juste.

Teodor Currentzis est la star mozartienne du festival depuis la première année de la direction de Markus Hinterhäuser en 2017, et une Clemenza di Tito qui avait ému le public salzbourgeois. Déjà connue par un enregistrement de 2015, son interprétation trouve tout son sens à la scène. Les tempi, bien sûr, ne sont ceux d’aucune tradition, et Currentzis n’entend pas en faire une vérité absolue ; la tendance générale est rapide, parfois un peu trop pour le bien des chanteurs, mais il sait aussi ralentir _ oui. Le récitatif d’Elvira In quagli eccessi est pris très lentement : ce n’est certes pas conforme à la partition, mais c’est juste émotionnellement _ oui _, comme un gros plan qui révèle l’âme du personnage. _ voilà. Le travail de Currentzis ne se limite pas à des questions de tempo qu’on peut toujours contester à loisir : quoi de plus passionnant que cet art de creuser chaque phrase, de chercher une transparence parfaite _ c’est tout à fait cela _ qui révèle à chaque instant des détails dont on avait toujours su qu’ils étaient là mais jamais vraiment consciemment entendus ? Son extraordinaire orchestre, où de nombreux solistes internationaux viennent rejoindre une troupe majoritairement russe, permet toutes les audaces, ne recule devant aucun détail _ sans jamais rien alourdir… _, et réagit au quart de tour aux moindres inflexions de la direction : les spectateurs auront du mal, après une telle performance, à retourner à la routine des grandes maisons d’opéra _ probablement.

Profusion de symboles et vrai théâtre

Cette fois, ce n’est pas Peter Sellars qui est à ses côtés, mais Romeo Castellucci, qui à son habitude signe aussi bien la mise en scène que les décors, costumes et lumières. Dès l’Ouverture, un bouc, une jeune fille nue _ oui _ : la scène mythologique, les symboles archaïques abondent chez Castellucci, et il présente à la fin de l’opéra les survivants comme les corps inertes des victimes de Pompei _ en effet _ : des humains face à _ et définitivement figés par _ la catastrophe _ survenue. Les symboles surabondent dans ce spectacle, mais il y une bonne nouvelle : contrairement à beaucoup d’autres de ses travaux (dont sa Salome salzbourgeoise), ils ne sont pas cette fois un frein au théâtre. La scène initiale, dans le silence (ou plutôt dans les commentaires intempestifs d’une partie du public), illustre la problématique religieuse dont il ne se défait pas _ en effet _ : des ouvriers entrent dans une église pour en retirer tous les symboles religieux, statues, crucifix, tableaux _ et c’est fondamental… Déjà,plus d’un siècle plus tôt, le Dom Juan de Molière procédait ainsi par rapport au Don Juan tenorio de Tirso de Molina…

Pour Castellucci, Don Giovanni est le diable, non pas le mal absolu, mais le double négatif de Dieu, celui qui vient détruire _ oui : malicieusement… _ ce que son double a créé. Les réjouissances nuptiales de Zerlina et Masetto à l’acte I sont une sorte d’Arcadie, de paradis originel ; il suffit que Don Giovanni pénètre la scène pour que les invités recouvrent leurs blancs costumes d’un bleu et se retrouvent au travail. Les pommes deviennent alors produits de consommation alors qu’elles étaient jusque là symboles sensuels, pommes du paradis terrestre, pommes d’or des Hespérides. À la fin de l’acte I, la liberté _ voilà ! _ invoquée par Don Giovanni n’est pas une promesse d’accomplissement individuel, c’est un appel au chaos _ oui : par le débridement fou des désirs…. Castellucci mène la danse au gré des transformations du décor unique, souvent couvert par un voile qui l’abstrait, avec un sens du rythme épatant _ c’est très juste ! _, une capacité à prendre chaque scène pour ce qu’elle est _ oui _ sans perdre _ jamais _ la conception d’ensemble _ et c’est très important _ : le spectacle _ en sa parfaite et très réjouissante fluidité _ est extrêmement divertissant tout en prenant au sérieux chaque strate de cette œuvre si riche _ oui.

Au second acte, ce sont les femmes qui mènent la danse. Castellucci invite sur scène une bonne centaine de « femmes de Salzbourg », de tous âges et de toute origine, parfois victimes désignées du séducteur, mais de plus en plus muettes accusatrices d’un monde _ qui advient _ dont Don Giovanni est le révélateur _ oui, celui de désirs débridés, dont apparaît bien clairement la litanie développée de divers instruments de violence (une panoplie très variée d’armes…) qui accompagnent leurs conflits… Le sacré revient bien à l’occasion, avec un crucifix inversé et noir, et plus encore avec la présence du commandeur indiquée _ seulement _ par de simples lumières. Don Giovanni meurt _ lentement foudroyé _ seul en scène, séparé de son seul compagnon Leporello par un voile infranchissable : le destructeur lui-même finit par être dévoré par son œuvre _ de destruction _, mais on ne saurait dire _ certes… _ si c’est une bonne chose _ et tous et chacun d’hésiter…

Quant aux chanteurs, leur grande qualité est leur intégration _ oui _ dans le double projet _ parfaitement unifié _ du chef et du metteur en scène. On aimerait un peu plus de chair _ oui ! _ et un peu plus de volume _ aussi _ pour le rôle-titre (Davide Luciani) _ l’incarnation est en effet pâlichonne, surtout dans le premier acte, d’ailleurs… _, et même _ à un bien moindre degré cependant _ pour Vito Priante en Leporello _ dont la plus grande prestance lui aurait permis d’intrepréter plutôt Don Giovanni _ ; on aimerait surtout un autre Commandeur que le pâle Mika Kares, aussi loin des attentes qu’il y a quelques semaines en roi Marke à Munich. C’est à Michael Spyres, en Ottavio nettement comique dans son désir vain _ mais c’est le livret qui le programme ainsi _ de bien faire, qu’il revient de sauver _ très brillamment musicalement ! _ l’honneur masculin _ oui ! _ dans cette distribution ; les dames, elles, sont tout de même plus satisfaisantes _ oui. Nadezhda Pavlova est une habituée du travail avec Currentzis (elle a entre autres été sa Traviata), et cela s’entend, mais son Non mi dir chanté à la limite du souffle n’est pas très loin de la rupture. Beaucoup plus émouvante est Federica Lombardi _ excellente _ en Elvira, dont Castellucci fait la représentante de l’ordre établi. La distribution est couronnée _ oui ! _ par une Zerlina rayonnante _ c’est vrai _, aussi en voix qu’en verve scénique, Anna Lucia Richter : elle seule crée l’événement ici _ probablement… ; mais l’engagement scénique des divers chanteurs est, lui, excellent ! Romeo Castellucci a su les diriger…

On aurait aimé une distribution plus brillante _ musicalement, peut-être _, c’est certain, mais l’opéra, ce ne sont pas d’abord les chanteurs : c’est d’abord l’œuvre _ voilà ! _, dont les chanteurs sont les serviteurs _ on ne saurait mieux dire... Grâce à une mise en scène créatrice, riche et maîtrisée _ oui ! d’une très grande lisibilité, et sans nulle épaisseur ; et surtout merveilleuse d’engagement de chacun des personnages… _, grâce à un chef qui va _ musicalement _ au fond des choses _ oui _, le festival de Salzbourg assume ici fièrement sa mission _ oui.

Crédits photographiques : © SF / Ruth Waltz (photo 1) ; Monika Rittershaus (photos 2 et 3).

Salzbourg. Grosses Festspielhaus. 10-VIII-2021.

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Don Giovanni, opéra en deux actes sur un livret de Lorenzo da Ponte.

Mise en scène, décors, costumes, lumières : Romeo Castellucci ; chorégraphie : Cindy van Acker.

Avec : Davide Luciano (Don Giovanni) ; Mika Kares (Il Commendatore) ; Nadezhda Pavlova (Donna Anna) ; Michael Spyres (Don Ottavio) ; Federica Lombardi (Donna Elvira) ; Vito Priante (Leporello) ; David Steffens (Masetto) ; Anna Lucia Richter (Zerlina) ;

MusicAeterna Choir ; MusicAeterna Orchestra ;

direction : Teodor Currentzis.

Voilà qui est parfaitement bien rendu…

Ce samedi 14 août 2021, Titus Curiosus – Francis Lippa

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