Posts Tagged ‘échelle des valeurs

Quand le fric devient l’étalon-or de la culture : l’exemple du cahier « Livres » du Monde…

22oct

Alors même que ces jours-ci, en mon for intérieur _ qu’on veuille me pardonner de l’étaler ainsi au grand jour ! _ je me réjouissais de la qualité des romans de cette rentrée littéraire

(et me préparais à rédiger un éloge du magnifique « Le Siècle des nuages » _ j’ai failli écrire « des lumières«  à la place de « des nuages«  !!! un lapsus plein de sens… _),

voici que ce matin,

je tombe sur un article d’Alain Beuve-Méry, à la page  du cahier « Livres » du Monde,

intitulé « Littérature française : le creux de la vague« ,

qui me chagrine très fort ! :

quant à la dérive d’un quotidien dit « de référence« …

Et qui résiste mal aux _ tristes _ sirènes de l' »air _ intéressé ! cupide… _ du temps« …

Voici,

avec mes farcissures critiques,

le corps du délit :

Littérature française : le creux de la vague

LE MONDE DES LIVRES | 21.10.10 | 11h45  •  Mis à jour le 21.10.10 | 11h45

Mais où est donc passée la littérature française ?

Bien présents sur les tables des librairies, les romans français sont en revanche, en cette rentrée 2010, étrangement absents des palmarès des meilleures ventes _ tel serait donc le lieu privilégié, et même unique, de la littérature ! Tiens, tiens !.. Un seul titre fait la course _ du « palmarès des meilleures ventes«  _ nettement en tête : La Carte et le territoire (Flammarion), de Michel Houellebecq _ je ne le lirai certainement pas !!! Sorti le 9 septembre, soit trois semaines après la première salve de parutions de la rentrée, l’ouvrage a déjà dépassé les 200 000 exemplaires vendus (chiffres d’Edistat) et devrait atteindre les 250 000 avant même l’ouverture du bal des prix _ combien de lecteurs sont-ils capables de se réellement taper cela jusqu’au bout ?.. Le savoir fournirait une mesure de l’avancée du masochisme (du lectorat) en ces temps de nihilisme avancé, faisandé… La Carte et le territoire a d’ailleurs toutes les chances de continuer sur sa lancée _ de chiffres de vente ! _, puisqu’il figure sur les sélections des _ prescripteurs de lecture ! _ trois grands prix d’automne (Goncourt, Femina et Renaudot _ mais pas le Médicis : le moins inféodé ! _) et sur celle du Grand Prix du roman de l’Académie française _ jusque là va donc l’inféodation !.. _, décerné le 28 octobre _ on en vient ainsi à préférer un jury de lecteurs, tel que celui du Prix du Livre-Inter ; un jury (un peu plus aléatoire…) de lecteurs libres : non inféodés, car non stipendiés par « leurs«  maisons d’édition… N’est-ce pas le jury du Prix du Livre-Inter qui, en 2009, osa couronner cette merveille qu’est l’immense Zone de Mathias Enard ! Mais oui… Cf mon article du 3 juin 2009 : Le miracle de la reconnaissance par les lecteurs du plus “grand” roman de l’année : “Zone”, de Mathias Enard

Ce phénomène de l’inféodation de ceux que certains baptiseraient, bien indument, « l’élite« , fait partie des symptômes de la maladie endémique de notre société (nihiliste, en son fond) d’achetés et vendus ! corrompus ! société dans laquelle la parole ne vaut plus rien ; n’est pas digne de confiance, tant elle est « fausse », tant elle ment. Faute d’oser assumer, en un commerce « vrai«  des esprits et des personnes, la moindre liberté du juger !!! C’est très grave…

A la mi-octobre, La Carte et le territoire est le seul ouvrage français en grand format _ hors « poches«  _ présent dans le top 20 (toutes ventes confondues) réalisé par Ipsos pour Livres Hebdo, avec celui _ c’est tout dire ! _ de Bernard Werber, Le Rire du Cyclope, sorti le 1er octobre chez Albin Michel. A la même époque, en 2009, on trouvait quatre titres français, dont Trois femmes puissantes, de Marie Ndiaye (Gallimard) _ peut-être pas son meilleur, me suis-je laissé narrer par des amis à la lucidité littéraire desquels je fais confiance… _, et Mauvaise fille, de Justine Lévy (Stock) _ fille de Bernard-Henri _, plus un Bernard Werber _ déjà, encore et toujours ! ces auteurs ont donc leurs affidés ! _ et un Jean-Christophe Grangé _ et peu importent les titres ; ce voisinage (de ventes, seulement, Dieu merci !) deviendrait presque inquiétant pour Marie N’Diaye... En 2008, c’étaient cinq titres, dont Ritournelle de la faim, de J. M. G. Le Clézio (Gallimard), Où on va papa ?, de Jean-Louis Fournier (Stock), Le Fait du prince, d’Amélie Nothomb (Albin Michel), et toujours un Werber et un Grangé _ avec leur perdreau de l’année ! CQFD !!! Cela dit, ce phénomène n’a rien de neuf en 2010 : que l’on compulse la liste des best-sellers du XIXe siècle ; on constatera, et non sans s’en amuser un peu, ce qui a (littérairement) « survécu«  à (et de) ces succès de ventes !.. Le temps fait son tri ! Et il juge bien mieux… C’est au XIXe siècle que la politique commerciale des éditeurs commence l’ampleur de ses ravages… Dans un texte essentiel de son Ainsi parlait Zarathoustra, Lire et écrire, Nietzsche, recommandant de ne lire que « ce que quelqu’un écrit avec son sang«  (« et tu verras que le sang est esprit« …), s’en lamentait déjà : « Encore un siècle de lecteurs _ et d’éditeurs, ajouterais-je _, et l’esprit va se mettre à puer«  : c’était en 1884…

Pourtant, de Paul Otchakovsky-Laurens, qui dirige POL, à Olivier Nora, patron de Grasset et Fayard, tous assurent qu’« il n’y a pas _ cette année 2010-ci _ d’effet Bienveillantes«  : en 2006, le pavé _ bien peu ragoûtant ! _ de Jonathan Littell avait littéralement assommé _ en concentrant sur lui (par l’appât du nec plus ultra de l’horrible à couleur de vrai : le déchainement d’un sadisme historiquement avéré _ cf par exemple le travail d’historien de Christopher Browning : Des Hommes ordinaires _, avec les confessions imaginées d’un membre des einsatzgruppen), le capital (exploitable) des acheteurs-consommateurs de livres, sinon de lecteurs authentiques ! _ la rentrée _ commerciale, du moins ! Cette fois, d’autres titres se vendent bien _ ouf pour les éditeurs ! _, qu’il s’agisse de _ tant mieux pour eux : combien de saisons dureront-ils ? Guère… _ La Première Nuit, de Marc Levy, en Livre de poche, de La Chute des géants, du Britannique Ken Folett (Robert Laffont), ou encore de XIII, Mystery, Joe Bar Team et Blacksad, trois bandes dessinées parues en septembre _ la BD étant parmi ce qui se vend le mieux, paraît-il…

D’autres ouvrages, à mi-chemin entre essai et littérature _ hum ! hum ! tant pour l’appellation « littérature » que pour l’appellation « essai » !.. « à mi-chemin«  est encore ce qui convient le mieux à ce type de brouet… _, se portent bien _ toujours en chiffres de vente : pour les caisses des éditeurs, donc… Face à Houellebecq, les deux titres qui résistent _ le vocabulaire (de l’auteur de l’article) est opérationnel, voire guerrier _ le mieux sont, d’un côté, le livre assez sombre _ mais l’auteur a ses files de fidèles ! _ de Jean d’Ormesson, C’est une chose étrange à la fin que le monde (Robert Laffont), de l’autre, celui d’Ingrid Betancourt, Même le silence a une fin (Gallimard) _ en tout cela, c’est bien la rumeur des medias qui semble la clé du succès éditorial ! Même si l’interview que j’ai écoutée d’Ingrid Betancourt sur France-Culture, le vendredi 1er octobre, m’a assez impressionné, tant par la langue, que par les analyses…

Histoires de bouche-à-oreille

La littérature étrangère ne connaît pas non plus de fléchissement _ de ventes ! toujours… C’est bien lui le critère (et unique !) ici… _ notable, comme en témoignent les succès _ de vente, toujours ! _ de Suite(s) impériale(s), de Bret Easton Ellis (Robert Laffont), et dIndignation, de Philip Roth _ lui est « un grand«  : lire en priorité Les faits, et sa suite : Patrimoine _, qui constitue l’une des meilleures ventes de Gallimard _ en attendant l’effet « Nobel » _ voilà ! le jury Nobel étant un prescripteur (assez inégal : il y a les Prix Nobel géniaux ! (par exemple, Imre Kertész, dont sort enfin en français le très impatiemment attendu Journal de galère…), mais il y a aussi les politiquement corrects ! A nous lecteurs de faire le tri… _ sur l’œuvre de Mario Vargas Llosa _ de lui, lire par exemple l’excellent La Tante Julia et le scribouillard… De son côté, la littérature scandinave connaît de belles histoires de bouche-à-oreille _ hors marketing, donc ! voilà un bon signe ! _, avec deux auteurs inconnues et traduites pour la première fois en France : la Finlandaise Sofi Oksanen, qui a reçu le prix Fnac pour Purge (Stock) et vendu 60 000 exemplaires de son roman, et l’Islandaise Audur Ava Olafsdóttir, avec Rosa candida, très soutenu par les libraires. Son éditeur, Zulma, en est à plus de 30 000 exemplaires imprimés.

Patron de Denoël, Olivier Rubinstein observe _ on admirera la technicité du langage ! _ « une hyperconcentration des ventes sur quelques titres ». Un phénomène qui a tendance à s’amplifier d’une année sur l’autre _ qu’en déduire quant à la courbe des motivations, sinon des lecteurs, du moins des acheteurs de ces livres ?.. Voilà l’enquête qu’il m’intéresserait de voir mener… De fait, malgré le succès d’estime _ ô la jolie expression ! et ce qu’elle masque de déception (commerciale) ! _ rencontré par Le Troisième Jour, de Chochana Boukhobza, c’est sur Just Kids, de Patti Smith _ encore une people… _, et Le Choc du nouveau siècle, un beau livre _ au titre déjà bien accrocheur : à la Paris-Match : « le choc des photos« _ consacré aux photographes de l’AFP, qu’il mise _ éditorialement : mais, après tout, que peut donc bien rechercher un éditeur ? _ pour cette fin d’année.

Ce constat de faiblesse _ en chiffres de vente ! voilà ici le seul critère qui fait foi !!! _ concernant la littérature française _ l’année, pourtant, de Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants, de Mathias Enard (cf en ce même cahier littéraire du vendredi du Monde cet article-ci, de Julie Etienne : Un Orient épique et lyrique à la fois…), l’année du Siècle des nuages (un chef d’œuvre !) du toujours magnifique Philippe Forest, l’année du très riche et très habité Naissance d’un pont de Maylis de Kerangal ;

cf les entretiens avec ces 3 excellents auteurs dans les salons Mollat : de Francis Lippa avec Mathias Enard ; de Jean-Michel Valençon avec Philippe Forest ; de David Vincent avec Maylis de Kerangal

Quelle ingratitude à l’égard des auteurs de ces grands livres !!! _ est aussi partagé chez Grasset et au Seuil. « Les Etats-Unis ont connu un creux semblable _ de vente, faut-il supposer, de la part de ces discours d’éditeurs ! Qui ne sont, eux, après tout, que des passeurs (de livres) ! Faudra-t-il en venir à se passer de tels intermédiaires ??? _, il y a quelques années, avant de repartir _ en chiffres de vente _ avec Jonathan Franzen, notamment » _ je n’ai pas encore lu cet auteur ; je n’ai pas encore éprouvé un désir assez fort de le lire, devrais-je plutôt dire : parmi la cohue des livres se pressant à lire… _, observe Olivier Nora. Dans ce paysage atone _ en chiffres de ventes… _, Apocalypse Bébé, de Virginie Despentes _ cf ceci (et tout à fait succulent !), intitulé Histoire belge, dans le cahier Livres de Libération du jeudi 14 octobre : merci à Madame Edmonde Charles-Roux de mettre, si bien, les pieds dans le plat !.. _, fait d’ailleurs mieux que se défendre. « Un auteur, cela reste toujours une exception », observe _ enfin justement ! en cet article centré sur les chiffres de vente _ M. Nora _ les vrais lecteurs, sans doute aussi !.. De son côté, Martine Saada, qui dirige la littérature au Seuil, note que « les livres sur lesquels il y avait de fortes attentes font moins que prévu » _ toujours dans cette logique des chiffres de vente… Son meilleur résultat, elle le doit au Testament d’Olympe, de Chantal Thomas, avec 30 000 exemplaires sortis. « Pas si mal que ça pour de la littérature exigeante », dit-elle _ c’est tout dire du « bien peu d’exigence«  du commun de ce qui se vend… Le morceau de vérité étant ici craché par l’éditrice qui est la compagne (ou le fut au moins un temps, me souvient-il) de Pascal Quignard : un auteur assez « exigeant« , lui, assez probablement !.. Au Seuil, l’heure est à l’optimisme, car la maison devrait, pour la première fois depuis sept ans, être bénéficiaire en 2011. Et ce, grâce à quatre titres, dont trois beaux livres (Fragments, de Marilyn Monroe _ documentairement intéressant, au moins, sinon un chef d’œuvre de littérature ! Toujours les people : ce sont eux les étalons-mètres de la notoriété ! Ou l’ère sinistrée du « vu à la télé«  _, Les Mythologies (édition illustrée _ par les soins judicieux de Jacqueline Guittard… _), de Roland Barthes _ une grande chose : et qui s’en prend, en ces années cinquante, aux peoples !!! dont il « démonte«  magnifiquement la mécanique de l’idéologie… _, La France, de Raymond Depardon _ un livre trash sur une France trash : à comparer avec les si beaux 101 éloges du paysage français, de Bernard Plossu, édité par Silvana Editoriale, un éditeur italien… _) et un polar, L’Homme inquiet, d’Henning Mankell.

Chez Flammarion, l’ombre portée du livre de Michel Houellebecq nuit _ tiens donc ! _ aux autres titres, en littérature française _ quelle peine ! Mais tous les éditeurs ne se plaignent pas. Françoise Nyssen, patronne d’Actes Sud, se réjouit du succès d’Ouragan, le dernier roman de Laurent Gaudé _ un autre bon vendeur… _, et du bon accueil fait à Jérôme Ferrari pour Où j’ai laissé mon âme. Yves Pagès (Verticales), lui, est l’éditeur comblé de Maylis de Kerangal et d’Olivia Rosenthal, dont les livres _ Naissance d’un pont et Que font les rennes après Noël ?, je suppose : le titre de son roman n’est même pas indiqué ici !.. _ se vendent bien _ plus de 15 000 exemplaires chacun _ et qui figurent sur les listes de prix. Reste que, comme tous les éditeurs, il constate « un effondrement des ventes petites et moyennes », ce qui crée un environnement darwinien _ ah ! ah ! _ pour tous les auteurs en quête d’une place au soleil _ du lectorat.

Alain Beuve-Méry

Article paru dans l’édition du 22.10.10

Il est vrai que cet article _ d’Alain Beuve-Méry _ prend place dans la rubrique « Actualités« , à la page 2 du cahier « Livres » du Monde ; et concerne spécifiquement le petit monde _ surtout germano-pratin _ de l’édition…

Il aurait pu, au moins, être accompagné d’une précision de son auteur, concernant le caractère purement éditorial du point de vue exploré par cette enquête journalistique pour Le Monde…

Quant au titre de l’article _ « Littérature française : le creux de la vague«  _, il est, lui, purement calamiteux,

en laissant penser _ ou plutôt croire : et c’est là qu’il abuse le lecteur pas assez vigilant !.. _ que la valeur de la littérature française est bel et bien déclinante,

au seul item du comptage du palmarès des ventes :

c’est contre cela que je veux protester ici,

en un blog qui n’a en vue que le (modeste) service, mais exclusif _ sans en déchoir ! c’est le luxe de ma liberté ! _, de la qualité des œuvres… 


A contrario

de cet article, et de son malencontreux titre,

je dis donc :

vive la littérature (française, et autre) !

Vivent les vrais auteurs !

Et vivent _ et survivent : au marketing ; et aux medias… _ les vrais lecteurs !

Et tant pis pour les livres achetés

encombrant vainement la mémoire oublieuse _ de poisson-rouge ? _ de tant de lecteurs…

Dans le même Lire et écrire, cité plus haut,

Nietzsche,

qui, lui, sur sa montagne,

ne cherchait à ménager personne

_ le sous titre de ce plus que jamais sublime Ainsi parlait Zarathoustra n’est autre que : Un Livre pour tous et pour personne ! _,

Nietzsche disait aussi :

« Je hais les oisifs qui lisent« …

Soient les destinataires _ nihilistes : proliférant… _ de l’industrie _ plus que jamais prospère, elle… _ du divertissement !

Au passage,

et en faveur de l’a contrario,

je signale la parution, aux Éditions Flammarion, de l’essai important du très vaillant Bernard Stiegler :

Ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue _ De la pharmacologie

Titus Curiosus, le 22 octobre 2010

La connaissance intime de l’autre via la « cardiognosie » du romancier moderne (en son usage du monologue intérieur) : à l’aune de l’augustinisme, par Jean-Louis Chrétien

15mai

Un remarquable article de Nicolas Weill dans Le Monde de ce jour, le 15 mai 2009, vient conforter à la fois mon grand intérêt pour le livre important de Jean-Louis Chrétien « Conscience et roman 1 _ la conscience au grand jour« , paru le 23 avril dernier aux Éditions de Minuit ; et un certain agacement à l’égard de ce que je ressens comme un hyper-pessimisme augustinien.

J’ai achevé la lecture de ce grand livre il y a plus d’une semaine ; et en laissais la lecture « reposer » (= « mitonner« ) un peu dans l’alambic à circonvolutions de ma mémoire-pensée avant de m’y « attaquer » sérieusement un peu frontalement ; jusqu’à découvrir ce matin cet excellent article de Nicolas Weill, qui partage mon angle de vision : quant au perspectivisme augustinien de Jean-Louis Chrétien _ auteur d’un « Saint Augustin et les actes de paroles« , pas encore lu, mais à lire urgemment…

Il faut dire que j’avais grandement apprécié le livre précédent de Jean-Louis Chrétien : « La Joie spacieuse _ essai sur la dilatation« , davantage en empathie, cette fois-là, avec ce que je pourrais qualifier, le plus modestement possible, de spinozisme et de « waltwhitmanisme«  _ de Walt Whitman, lire le formidablement dynamisant « Feuilles d’herbe » _ de ma propre idiosyncrasie

Ce travail-ci, aujourd’hui, de Jean-Louis Chrétien nous introduit au cœur d’une des questions majeures de la modernité (et de son devenir ; son avenir même : face au nihilisme qui le ronge et détruit ce qu’il recèle pourtant de forces de « vie » !) :

celle de l’identité personnelle se forgeant, fondamentalement, par la qualité des liens à l’autre (et à l’altérité)

_ c’est-à-dire ce qui se nomme proprement,

selon l’analyse qu’en fait on ne peut mieux lucidement Michaël Foessel,

l' »intimité«  :

cf là-dessus, de Michaël Foessel, le très important « La Privation de l’intime« 

(sur ce livre, majeur lui aussi pour l’intelligence de l’aujourd’hui, cf mon article du 11 novembre 2008 : « la pulvérisation maintenant de l’intime : une menace envers la réalité de la démocratie« ).

Ainsi que de leur connaissance, et de leur accessibilité, ou pas

_ à cette identité et à cette intimité des personnes _, à d’autres (que soi) :

à la page 17, Jean-Louis Chrétien cite un mot de François Mauriac, « en 1928, dans son ouvrage « Le Roman«  »,

en réponse à ces affirmations de Jacques Maritain, dans « Trois réformateurs » (en l’occurrence, Luther, Descartes, Rousseau), en 1925 : « Il y a un secret des cœurs qui est fermé _ même _ aux anges, ouvert seulement à la science sacerdotale du Christ. Un Freud aujourd’hui, par des ruses de psychologue, entreprend de le violer. Le Christ a posé son regard dans les yeux de la femme adultère, et tout percé jusqu’au fond ; lui seul le pouvait sans souillure. Tout romancier lit sans vergogne dans ces pauvres yeux ; et mène son lecteur au spectacle. »

François Mauriac remarque : « Je ne sais rien de plus troublant que ces  lignes pour un homme _ soit un romancier tel que lui-même ! _ à qui est départi le don _ sic _ redoutable de créer des êtres, de scruter le secret des cœurs« . Voilà donc ce qui fait ici question !

Et à la page 18, est citée la réponse ferme de Mauriac : « Ce secret des cœurs, dont Maritain nous assure qu’il est fermé aux anges eux-mêmes, un romancier d’aujourd’hui ne doute pas que sa vocation la plus impérieuse soit justement de le violer.« 

Etant (bien) entendu que de la qualité de ces liens (dont ceux des « cœurs« ) à l’autre, découle aussi, en aplomb et en surplomb _ cf déjà les analyses de Mélanie Klein sur l' »introjection » du moi chez le petit enfant, avant la parole… _, car les impliquant et les commandant, rien moins que la conception de soi, et du rapport à soi

(ainsi que des autres, et des rapports à eux) :

question éminemment cruciale, que celle de la conception

(et de la formation effective : au sein des processus d’éducation et d’enseignement, ainsi que d’initiation vraie à une culture riche)

de l’identité personnelle

_ à l’heure grotesque, sinon ubuesque, de l’inflation misérable des ego, d’autant plus narcissiques, que plus vides, ces « baudruches« , ces « outres de vent » gonflées de la prétention de leur « rien » !..

Et que _ ou combien ! _ de mauvais _ hauts ! _ exemples, ici, de « bassesses« , sur les tribunes, les estrades, sur lesquelles se focalisent les projecteurs et les sunlights, et les lucarnes blafardement luminescentes des pauvres écrans de télévision…

Sur ma lecture du livre de Jean-Louis Chrétien

et de ses six chapitres (après celui de présentation de la problématique) :

1) je me suis amusé à l’alacrité jouissive de la description de la comédie mondaine stendhalienne (surtout dans « Lucien Leuwen » et « Le Rouge et le Noir » ;

2) j’ai apprécié la très grande qualité de vista de l’approche, si riche (= pleine) de détails, du « monde » dans l’œuvre balzacien (surtout à travers de remarquablement fines analyses de « La Cousine Bette » et d' »Albert Savarus« )

_ au point que « en régime d’omnisignifiance _ tel que l’envisage l’option d’une Création infiniment bonne _ le détail révélateur, le détail qui n’a rien de contingent _ du moins dans l’absolu du cadre (théologique) ainsi envisagé _ (se) soulève la question de savoir s’il y a vraiment quelque chose comme des détails« . Alors « c’est lui _ le détail ! _ qui hérite de l’omnisignifiance chrétienne en la métamorphosant : dans la lumière de l’humain, il n’est rien qui ne fasse sens«  _ et soit absolument absurde ! Avec cette référence, alors , déjà, page 31, à Balzac : « Ceux qui se lassent des descriptions balzaciennes méconnaissent que voir une demeure et les choses qui s’y trouvent, c’est déjà explorer l’âme et l’histoire de ceux qui l’habitent. L’importance croissante du concept de « milieu », si bien étudié par Leo Spitzer et Erich Auerbach, va dans le sens de cette omnisignifiance. Tout étant solidaire, il n’y a plus de détails.«  Et tout spécialement : « un lieu réel d’omnisignifiance est la ville, et particulièrement la grande ville«  « Une ville est un lieu de saturation du sens », énonce Jean-Louis Chrétien, page 32. Etc… Fin de l’incise sur le « monde » balzacien…

3) j’ai découvert l’impressionnante ampleur, et hauteur, et profondeur, de vue métaphysique d’un Hugo (tant dans « Les Misérables » que dans « L’Homme qui rit » et « Les Travailleurs de la mer » ;

4) j’ai retrouvé la richesse de l’approche woolfienne de la complexité du réel, des points de vue, jusqu’à la morbidité

_ qui m’avait irrité dans le film, s’inspirant et de son style, et de son aventure personnelle (suicidaire, jusqu’au suicide effectif conclusif) du film « The Hours » (de Stephen Daldry, en 2003), d’après le roman de même titre de Michaël Cunningham, en 1999 : en français « Les Heures » _,

dans la lecture de l’incommunication (tragique) des personnages des (magnifiques) « Vagues » de Virginia Woolf ;

5) j’ai un peu déploré le choix de « Lumière d’août » pour entrer dans l’univers faulknerien, plutôt que les alternatives du « Bruit et la fureur« , ou « Sanctuaire« , ou « Absalon ! Absalon !« , à cause d’une vision davantage marquée, ici, par le poids du péché (que dans d’autres des romans de cet auteur tellement majeur ! en effet) : où se trouve, ici, l' »allègement » (« Light« ) de l’héroïne, Lena Grove, qui, enceinte, vient par hasard accoucher ce mois d’août-là au pays de « Yoknapatawpha County« , entre l’Alabama d’où elle vient, et la Louisiane vers où elle va ; et croise le parcours (= la via crucis) du martyr Joe Christmas…

et 6) j’ai pris grand plaisir à entrer dans l’univers (torturé : à je ne sais quel quantième degré !) beckettien par ce choix de « L’Innommable« , que je ne connaissais pas…

Voici donc, maintenant, l’article très clair et très juste de Nicolas Weill,

un peu truffé, à ma façon, de « commentaires« , au fil des phrases :

« Conscience et roman, I. La Conscience au grand jour », de Jean-Louis Chrétien : le roman et son péché originel« 

in LE MONDE DES LIVRES | 23.04.09 | 10h54  •  Mis à jour le 23.04.09 | 10h54

Pourrions-nous lire un roman si nous ne présupposions pas à l’avance que son auteur, à l’instar de Dieu, possède le don

_ possiblement éclairant pour le lecteur : à quoi « servirait«  sinon le temps pssé à la lecture d’un livre ? et cela depuis les premiers livres : sacrés ! cf le grand Nietzsche d’« Ainsi parlait Zarathoustra« , au chapitre magnifique « Lire et écrire«  : « Jadis l’esprit était Dieu ; puis il s’est fait homme ; maintenant il est plèbe » (en 1882-83) ; et aussi : « encore un siècle de lecteurs, et il va se mettre à puer« _

le don de sonder les reins et les cœurs de ses personnages ? Cette convention, qui a fini par avoir valeur d’évidence, Jean-Louis Chrétien s’y attaque dans ce premier volet d’une entreprise qui en comportera deux. Pour le philosophe, il s’agit de mener une réflexion de grande ampleur _ oui ! _ sur l’histoire de la conscience _ rien moins : c’est son objet ! _, telle qu’elle a été mise en forme _ oui, afin de mieux « ressentir«  (en l' »aisthesis« )… _ par le roman _ soit le « genre«  de livre le plus lu désormais : ce « miroir«  (de l’identité moderne), comme le nomme Stendhal, placé « le long du chemin«  de la vie de la plupart : « l’ai-je bien parcouru ? »  (ou « bien descendu ? » _ plutôt que « grimpé !« , on le remarquera : soit le « sens » de la pente « attractive«  et ultra-majoritairement dominante…) _ au cours des deux derniers siècles.

Les colères _ en effet !!! _ de ce penseur, lui-même grand lecteur des Pères de l’Eglise _ oui ! _, apparaissent très vite. Et ses développements _ riches d’une très grande perspicacité ! _ se révèlent imprégnés d’une indignation _ oui _ à la Bernanos face à la démesure _ ou le sacrilège… _ d’une littérature qui ose _ certes ! _ se substituer au Créateur. Cette irritation s’exprime en notes, remarques et apartés, sur le mode du coup de griffe à notre civilisation _ et à son pauvre nihilisme si ridiculement narcissique, et tragiquement (c’est à craindre) égocentré… Doit-on pour autant le ranger dans la catégorie, forgée par Antoine Compagnon, des « Antimodernes«  ? Oui, mais à condition de ne pas assortir l’expression de ses connotations politiques d’usage…

L’aventure du roman accompagne une métamorphose du sujet moderne _ oui !!! là-dessus, lire aussi le premier grand livre, en 1963, de Marthe Robert : « L’Ancien et le nouveau » (reparu dans la collection « Les Cahiers rouges«  des Éditions Grasset _ qui ne trouve guère grâce _ et pour cause ! _ à ses yeux. Celle qui transforme le moi en subjectivité recroquevillée _ oui ! _, sous l’effet des mutations propres à la société bourgeoise et individualiste. L’illustration caricaturale d’une telle évolution est l’actuel piéton urbain enfermé maladivement derrière ses écouteurs _ assourdissant (et anesthésiant, carrément !) tout : là-dessus, lire le très grand livre aussi, mais pas assez remarqué, d’Alain Brossat « La démocratie immunitaire » (paru à La Fabrique, en 2003, déjà) ; en plus du livre tout aussi remarquable et tout récent, lui, de Guillaume Le Blanc : « L’Invisibilité sociale«  : il est paru le 18 mars 2009, aux PUF... Pour Jean-Louis Chrétien, ce moi-là est des plus haïssables. Fait-il au moins de la bonne littérature ? La réponse est donnée à travers le parcours d’une figure de style : le monologue intérieur. Comme le style indirect libre, qui fera l’objet du prochain volume, ce procédé a le mérite de serrer au plus près _ en effet, pour la délectation de ce qui s’y révèle à notre connaissance _ l’entrelacement de la conscience contemporaine et du roman.

L’inspiration phénoménologique et religieuse de l’auteur _ oui _ lui permet d’établir une hiérarchie _ oui ! _ entre les diverses œuvres abordées, à partir de leur usage respectif du monologue intérieur. Il s’agit des « Misérables« , d’Hugo, ici magnifiquement réhabilité comme penseur de haut vol _ et Jean-Louis Chrétien donne envie de lire aussi « L’Homme qui rit » et « Les Travailleurs de la mer » : Victor Hugo prenant la dimension (à la Whitman !!! ) d’un immense métaphysicien ! _, des « Vagues« , de Virginia Woolf, de « Lumière d’août« , de Faulkner, de « L’Innommable« , de Beckett, ou de « La Comédie humaine« , de Balzac _ le premier chapitre du livre (après celui d’introduction : « L’Exposition de l’intime dans le roman moderne« , pages 7 à 40) étant tout de même consacré, pages 43 à 92, à l’œuvre de Stendhal : « Stendhal et le cœur humain presque à nu« 

LE SCEAU DE LA DÉMESURE

Tous ces classiques sont confrontés à une aune secrète _ absolument ! _ qui désigne un idéal _ doublement « chrétien« , si je puis me permettre pareille expression en cette occurrence particulière-ci… _ dont le sujet et la fiction modernes s’éloignent le plus : le moi des « Confessions« , auquel Jean-Louis Chrétien a consacré un admirable « Saint Augustin et les actes de paroles » (PUF, 2008). Le moi augustinien, en cherchant la vérité, découvre en lui un au-delà de lui-même _ et qui est aussi un infini (plein) _, alors que notre subjectivité à nous n’exhumerait que les faux-semblants d’une _ misérable _ intériorité narcissique _ vide : lire là-dessus la lecture pascalienne des si audacieux « Essais«  de Montaigne en ses « Pensées » : soit une résistance augustinienne toujours vivace (ou plutôt ravivée) à l’ère d’un premier avènement d’une magnifiquement humaine assomption de l’« humanité » : « bien faire l’homme« , dit Montaigne, au sublime chapitre final (Livre III, chapitre 13 : « De l’expérience« )…

Le geste fondateur du romancier, parce qu’il ose _ oui _ s’instituer en scrutateur _ certes _ des consciences et s’arroge le droit, jusque-là divin

_ en effet : c’était aussi l’audace, mais non sur le mode, biaisé (lui) de la fiction, de Montaigne en ses « Essais« , donc : en se donnant, lui, Montaigne, à pénétrer (par l’« indiligent lecteur« , qui sortirait un peu de son « indiligence«  : c’est là le seuil et le sas !.. « Hic Rhodus, hic saltus« …) ; à pénétrer, donc, un peu, en son activité de penser « sur«  son penser même, « en acte«  _

de pénétrer par effraction _ par son surplomb de romancier, ce « mensonge«  en acte qui prétend « dire la vérité«  (dixit Aragon _ assez expert, semble-t-il, en la chose…) sur les autres que lui-même… _ la conscience d’autrui,

se retrouve frappé du sceau de la démesure. Pour la nommer _ cette « effraction« _, le philosophe a forgé le néologisme de « cardiognosique », qui désigne ce viol de l’intimité _ nous y voilà _ propre au roman tel que nous le connaissons _ en « notre«  modernité.

Cet arrachement au sacré _ certes _ et à l’altérité _ en son mystère : saccagé par ce « réductionnisme » vandale ! _ laisse les personnages seuls avec eux-mêmes

_ et sans amour (vrai : d’un autre) ; sans liens d’intimité (authentique) avec la personne (sacrée) de l’autre : au-delà du corps (ou de la viande : cf le trouble que provoquent les images sidérantes-médusantes d’un Francis Bacon… ; ou d’un Lucian Freud) ; au-delà du corps de l’autre, donc, tenu entre ses bras, en quelque sorte ; au-delà de ce qui se réduit de plus en plus à des comportements érotiques pornographiques (lire là-dessus, peut-être Jean-Luc Marion : « Le Phénomène érotique« , paru aux Éditions Grasset en 2003) _,

dans une société en décomposition _ putride. Reste à savoir si l’écrivain y participe avec plus ou moins de scrupules _ lui-même… Écrits par un Stendhal qui fut à l’école des « idéologues«  _ Destutt de Tracy, etc… _, héritiers révolutionnaires des Lumières, les monologues intérieurs omniprésents dans « Lucien Leuwen » ou « Le Rouge et le Noir«  incarnent une sorte de cas-type _ et cible première de Jean-Louis Chrétien ici, dénonçant son « théâtre«  mesquinement, en sa « comédie » sociale, « mondain«  _ de l’intériorité claquemurée dans l’individualisme conquérant _ des égotismes don juanesques beyliens, en ce premier exemple… Chrétien soutient même que Stendhal anticipe les analyses de Durkheim sur l’« anomie », cette déliaison sociale que la sociologie considère comme caractéristique de l’époque contemporaine.

A l’autre bout de la chaîne, dans « L’Innommable« , Samuel Beckett pousse au contraire la pratique du monologue à un point de rupture salutaire _ par tout ce que lui, Beckett, casse en sa dénonciation jubilatoirement desespérante.

Le fil rouge de cet essai se révèle donc plutôt comme le récit d’un renoncement progressif _ au XXème siècle, donc, beaucoup moins complaisant pour l’égotisme que le siècle précédent (et son abcès de fixation « romantique« …) ; du moins pour les chefs d’oeuvre (woolfiens, faulkneriens et beckettiens) sur lesquels choisit de faire pencher son attention et sa vigilance l’analyste _ au privilège de la « cardiognosie ». Plus un écrivain hésite devant ce privilège _ et carrément le casse en mille morceaux, le brise, le pulvérise _, plus il est grand, suggère Chrétien. A l’inverse, cette voix d’aujourd’hui, qui me réduit aux murs  _ insonorisés et anesthésiants _ du « monde privé », est comparée à celle du ventriloque _ misérablement narcissiste _ qui n’entend que lui. Pour Chrétien, parler sans personne à qui s’adresser _ cf le terrifiant (malgré lui, à son corps défendant ; et non fictif !!!) « E-Love _ petit marketing de la rencontre » de Dominique Baqué (ainsi que mon article du 13 décembre 2008 sur lui : « Le “n’apprendre qu’à corps (et âme) perdu(s)” _ ou “penser (enfin !) par soi-même” de Dominique Baqué : leçon de méthodologie sur l’expérience “personnelle” » )… _ est l’indice d’une souffrance particulière à notre temps. C’est aussi le péché originel de la littérature _ romanesque ? ou romanesque seulement ?… Quid de l’« essai«  à la Montaigne ? ou du penser d’un Nietzsche ?.. _, et sa leçon.


CONSCIENCE ET ROMAN, I. LA CONSCIENCE AU GRAND JOUR de Jean-Louis Chrétien. Minuit, « Paradoxe« , 288 p., 28 €….

Nicolas Weill

Soit, une brillante analyse d’un livre très important qui nous donne de quoi méditer sur un enjeu civilisationnel profond, grave : essentiel, même !Hier, je relisais avec mes élèves le discours du « dernier homme » que le Zarathoustra de Nietzsche fait prononcer, en un monologue intérieur, en son propre discours du « surhumain » (au chapitre 5 du « Prologue » d' »Ainsi parlait Zarathoustra » : le « discours du surhumain » s’étendant, lui, sur les trois chapitres 3, 4 & 5) à celui qui « va vivre le plus longtemps » :celui-ci, le « dernier homme » ne cessant de répéter, en disant (bien !) « nous« , et en clignant des yeux (et c’est d’abord à lui même que s’adresse la recherche de « connivence » !) :« nous avons inventé le bonheur« ..….Je cite ces « paroles« (de « monologue intérieur » autant que d’« adresse à d’autres«  ;

et qui ne sont, ces « autres« -là, que des « semblables« , « tout pareils aux mêmes »…)

in extenso (dans la traduction de Georges-Arthur Goldschmidt) :

« Qu’est l’amour ? Qu’est-ce que la création ? Qu’est le désir ? Qu’est une étoile ?« 

« Voilà ce que demande _ aux autres ou/et à lui-même _ le dernier homme ; et il cligne de l’œil« , fait dire Nietzsche à son personnage de Zarathoustra, cherchant à « parler » à la « fierté » de ceux « qui ne (le) comprennent pas » en son appel à un sursaut (du « surhumain« ) à l’encontre du nihilisme…

Puis : « Nous avons inventé le bonheur« ,

« disent les derniers humains ; et ils clignent des yeux. »

Et : « Jadis tout le monde était fou« ,

« disent les plus finauds ; et ils clignent des yeux« .

Et à nouveau : « Nous avons inventé le bonheur« ,

« disent les derniers hommes ; et ils clignent des yeux. »


Quant à la description que donne le Zarathoustra de Nietzsche, de cette « sagesse » terminale

(de « fin d’humanité » et de « fin de l’Histoire » ! ô la sublime parousie, ici !!!),

au style indirect, alors,

elle est prodigieuse de vérité sur l’« opinion » _ en voie d’unanimisme, peut-être _ de notre temps :

« La terre alors sera devenue petite et le dernier homme y sautillera qui rend _ à son image ! _ toute chose petite. Son espèce est indestructible comme le puceron des bois ; le dernier homme, c’est lui qui vivra le plus longtemps » _ et les records de longévité effectivement se battent…

« Ils ont quitté les contrées _ nordiques _ où il est dur de vivre : car l’on _ noter la forme impersonnelle de la grégarité : majoritaire ; et malheur à l’isolé ! _ a besoin de chaleur. On aime encore _ pas par désir, et encore moins par passion ; mais par « besoin«  ! attention à la chute, quand le service déçoit ! ou déchoie... _ le voisin _ à commencer par les dits « compagnons« , « copains » et « copines » avec lesquels on partage le pain et (tout) le quotidien… _ et l’on se frotte à lui, car l’on a besoin de chaleur. »

« On marche avec précaution _ lire ici, en assomption triomphante de ce « souci« , Hans Jonas : « Le Principe responsabilité«  Fou donc celui qui trébuche encore sur des pierres ou des humains«  _ c’est-à-dire d’autres que soi (et « non encore « in-humains » !..« , préciserait Bernard Stiegler…)…

« On travaille encore car le travail est un divertissement _ vive l’« entertainment » !.. Mais on prend soin _ on a appris à « gérer«  !.. _ que ce travail ne soit pas trop fatigant.

On ne devient plus ni riche ni pauvre, l’un et l’autre sont trop pénibles. Qui veut encore gouverner ? _ quelques uns s’agitent bien encore un peu, sur ce terrain-ci… _ qui veut encore obéir, l’un et l’autre sont trop pénibles.

Point de berger et un troupeau. Chacun veut la même chose : chacun sera pareil, celui qui sentira les choses autrement, ira volontairement _ de lui-même _ à l’asile d’aliénés » _ se re-faire « conformer« 

Et enfin : « On est malin et on sait tout ce qui s’est passé : ainsi on n’en finit pas de se moquer. On se querelle encore mais on se réconciliera bientôt _ sinon ça abîme l’estomac.
On a son petit plaisir pour le jour et son petit plaisir pour la nuit : mais l’on révère la santé
 »
_ plus que tout : c’est elle la panacée, qui fait « durer« 

Qu’adviendra-t-il de nous et par nous ?.. Ce sont-là _ à notre échelle, du moins _ des enjeux à ne pas trop négliger :

de ce devenir-là de l' »humain » ; au risque de l' »in-humain« …

Le premier mérite de ce livre important qu’est « Conscience et roman 1 _ la conscience au grand jour« , de Jean-Louis Chrétien,

est de nous en faire bien ressentir non seulement l’ampleur, mais les « prises » (singulières) de toute son amplitude sur l’identité des « soi » et leurs rapports à l’altérité des « autres » ; dans le jeu (voire la disparition !) des « liens » discrets, sinon « secrets » (pour des tiers _ que ces « liens » ne regardent pas !), de l' »intimité » même ;

en l' »incalcul » de sa générosité (ou « amour« )…

Titus Curiosus, ce 15 mai 2009

« Livrez-vous ! » à la lecture, le studio de la photographe Mélanie Gribinski au coeur de la librairie Mollat du 18 avril au 9 mai : portraiturer le lecteur en sa lecture

14avr

A propos de la proposition de « portraits » _ photographiques _ de lecteurs

se livrant à la lecture

au sein même des (vastes) espaces de la librairie Mollat :

« Livrez-vous !« , du 18 avril au 9 mai,

« Mélanie Gribinski réalise votre portrait dans son studio de photographe installé au centre de la librairie Mollat à Bordeaux.

Venez accompagné du livre de votre choix,

livre du moment, livre de chevet, livre préféré, livre rare, petit ou grand livre, livre de la librairie ou de votre bibliothèque« …

Livrez-vous !

ce petit échange de correspondances

entre Mélanie Gribinski, l’artiste-photographe qui va oeuvrer en un studio monté ad hoc au sein des (larges) espaces de la librairie, rue Vital Carles (ou rue Porte-Dijeaux)

et Titus Curiosus, le blogger qui fait part de ses curiosités et enthousiasmes :

Le 12 avr. 09 à 23:35, Mélanie Gribinski a écrit :

Bonjour,
Je me permets cet envoi de la part de Bernard Plossu.
Cordialement.
Mélanie Gribinski

——– Message original ——–
Sujet:    LIVREZ-VOUS! – librairie Mollat à Bordeaux
Date:    Sun, 12 Apr 2009 22:14:31 +0200
De:    Mélanie Gribinski


LIVREZ-VOUS !
du 18 avril au 9 mai 2009

Mélanie Gribinski réalise votre portrait dans son studio de photographe installé au centre de la librairie Mollat à Bordeaux.

Venez accompagné du livre de votre choix, livre du moment, livre de chevet, livre préféré, livre rare, petit ou grand livre, livre de la librairie ou de votre bibliothèque…

Mélanie Gribinski est photographe portraitiste, spécialisée dans le portrait Noir & Blanc à la chambre grand format.

Après avoir été élève du photographe Reza à l’école de photographie MJM, dont elle est sortie, en 1989, avec le premier prix décerné à l’unanimité, elle a travaillé au laboratoire  professionnel de photographie Imaginoir à Paris avec des photographes tels que Sebastião Salgado, Sarah Moon, Gisèle Freund, Raymond Depardon…

Elle a photographié près de cinquante psychanalystes, parmi les plus grands noms de la psychanalyse française,

puis a réalisé une série de portraits de poètes, invités du Centre international de poésie à Marseille. Elle a fondé les éditions « La Chambre » et a publié notamment un recueil de photographies et de planches contacts inédites de la photographe Denise Colomb sous le titre « Instantanés« .

Elle élabore actuellement un ensemble de portraits et d’entretiens autour du travail de certains éditeurs installés en Aquitaine.

Les portraits d’artistes et d’intellectuels sont ces centres d’intérêts photographiques.

L’essentiel de son travail est visible sur le site www.melaniegribinski.com

Librairie Mollat – 15 rue Vital Carles 33000 Bordeaux tél. 05 56 56 40 00 – http://www.mollat.com/

Avec cette rafale de messages en réponse à cet « envoi » :

De :   Titus Curiosus

Objet : Rép : [Fwd: LIVREZ-VOUS! – librairie Mollat à Bordeaux]
Date : 13 avril 2009 06:07:33 HAEC
À :   Mélanie Gribinski


Merci beaucoup de votre envoi.

Bernard Plossu m’a en effet déjà parlé de vous ;
au moins pour votre travail sur les psychanalystes.
Et d’autres fois.

Portraiturer est fascinant ; et un magnifique défi…
Je viendrai avec joie !!!

En plus,
« Livrez-vous » est une « idée » (et, mieux, un « projet », un processus, un faire artistique) magnifique ;
nous tous sommes si coincés ; si peu enclins à donner quelque chose de nous ;
alors nous livrer !!!


La lecture le permet peut-être en effet davantage : l’auteur déjà s’est (plus ou moins,
et selon son degré de rapport à la vérité !)
livré lui-même en son écriture,
et se tient disponible, entre les lignes, entre les mots,

à la juste distance du rythme de lecture
et de la curiosité du lecteur ;
à condition, toutefois, que ce dernier désire le découvrir vraiment, en sa distance et en sa singularité,
sans s’identifier
stupidement à lui, ni le vampiriser…
C’est tout un art de confiance et de respect mutuel…

Alors pour ce qu’il en est du portraitureur et du portraituré !..

Votre projet est passionnant.
Et déjà la photo exemplaire de votre projet
est engageante, en sa beauté…

J’ai écrit un essai,
que Bernard Plossu a pu lire, puisque je le lui ai communiqué,
qui s’intitule « Cinéma de la rencontre : à la ferraraise« ,
avec pour sous-titre « un jeu de halo et focales sur fond de brouillard(s) : à la Antonioni« …

Ainsi qu’un article « Pour célébrer la rencontre« …
qu’avait publié sur son site « Ars Industrialis »
Bernard Stiegler (en mars 2007)…

A très bientôt,

Titus Curiosus

Et

Vous pouvez aussi jeter un œil sur mon blog En cherchant bien
sur le site de la librairie Mollat ;

avec son premier article programmatique (où je cite Bernard Plossu),
le 3 juillet 2008 :
« Le Carnet d’un curieux » ;

et avec celui-ci, commentant une photo de Bernard Plossu :

« Attraverso Milano _ le carton d’invitation alla mostra »


J’en suis à plus d’une centaine d’articles depuis…

Par exemple, dernièrement, celui-ci,
à propos de 3 philosophes amis :

« Energie, joie, reconnaissance _ et amitiés aussi : la grâce des oeuvres et de l’Art : François Noudelmann, Gilles Tiberghien, Bruce Bégout »

A suivre,

Titus Curiosus

Et j’ai même adressé à Mélanie Gribinski mon article « Pour célébrer la rencontre »

qu’avait publié en mars 2007 « Ars Industrialis« ,

le site de Bernard Stiegler…

Voici ce que répond, sous cet accablement (de textes à lire), l’artiste photographe,

en pleins préparatifs (urgentissimes : le 18, c’est dans quatre jours) de son dispositif pour son travail à partir du samedi 18 avril prochain, en son studio photographique monté (pour trois semaines) en plein cœur de la librairie Mollat :

Le 14 avr. 09 à 00:15, Mélanie Gribinski a écrit :

Bonjour Titus Curiosus,

Vous m’envoyez tout à trac un flot de lecture dans lequel je n’ai malheureusement pas le temps de me plonger en ce moment, car très prise par la préparation du dispositif que je mets en place chez Mollat.
Mais je prendrai volontiers le temps de faire connaissance avec vos textes après la rencontre !

A bientôt donc.
Mélanie Gribinki

Ma réponse ce matin :

N’ayez crainte :
le temps (de…) vient (ou, parfois, pas). On le prend (ou, parfois, pas).
C’est là règle du jeu de la vie ; particulièrement dans le monde hyper-pressé (et hélas faux) qui est
(du moins se veut tant…) le nôtre
(cf les analyses de Paul Virilio sur la vitesse _ par exemple « La Vitesse de libération » ; ou « Vitesse et politique« , en 1977, aux Éditions Galilée _ ;
et les équivalences Time / Money…) ;
ou, a contrario, le temps hyper-alenti et déployé d’une psychanalyse…


Mais, justement, l’artiste est celui qui, contre ce temps faux-là (marchand ; à « rentabiliser », croient-ils…), apprend à (et sait, peu à peu) mettre en place une autre temporalité (vraie, elle),
où mieux vivre, vraiment s’épanouir
(parfois _ ce n’est pas tout à fait sur commande !.. ; ni mécanique…).

Soit la vérité (et la béatitude : par la joie ; à distinguer du plaisir) versus la plus-value monétaire…

Qu’est-ce donc que je perds quand « je perds mon temps » ; et que ma vie se passe à rien qu’à « la gagner » ?..

Notre époque

_ individu (ou plutôt la « personne » ; avec un vrai visage ; et pas rien que des « mines »…) ; individu par individu _

aurait tout « intérêt » (vrai !) à réfléchir enfin un peu (et mieux) à l’échelle de ses valeurs ; à la revoir ; à la remettre vite _ il y a urgence ! pour tous, comme pour la planète _ sur ses pieds…


Dans l’article (déjà long, en effet : plus qu’une photo faite, certes !) que je vous ai envoyé (« Pour célébrer la rencontre« ),
je développe un peu l’image du petit dieu espiègle Kairos (à apprendre à « accueillir ») ;
un dieu pourvu aussi
, en plus de ce qu’il donne (!) généreusement, d’un rasoir tranchant.

Le temps des préparatifs (d’un dispositif) est assez magnifique : car c’est un temps de préparation d’une fête (possible) à venir…
Et la fête vient !

Alors quand il s’agit de préparatifs d’un dispositif artistique !

Surtout, tout spécialement, pour ce préparatif de « rencontre » qu’est un portrait _ et photographique, qui plus est…
Quel défi (temporel) ! Stimulant !

Dans le genre des portraits, mais pas photographiques,
pour ma part, j’apprécie tout particulièrement ceux de Lucian Freud
_ cf par exemple, pour un début de « connaissance » de cet artiste majeur : « Lucian Freud : l’observation de l’animal« , par Sebastian Smee, aux Éditions Taschen…


Mais le temps de peindre
n’est certes pas le temps de photographier…


Quant au temps de lire (un livre _ puisque c’est un élément essentiel de votre dispositif « Livrez-vous !«  en votre « studio de photographe » de 3 semaines « au centre de la librairie Mollat » !) : c’est un temps d’intense intimité…

Le regard du lecteur étant tourné
vers ce que dit la parole
éminemment (et pour toujours !) vive _ désormais écrite : elle se tient tranquillement à disposition _ de l’auteur : à distance importante, voire considérable, d’espace et de temps
(et même carrément par-delà la disparition _ physiologique _ de l’auteur : devenu, dissous, poussière et « fantôme » : sans chair ni os…).

Un échange sub specie aeternitatis, dirait Spinoza (cf « L’Ethique« ) : c’est ce qu’offre la grâce de l’Art (vrai)… Une fête, absolument !!!


Je suis ravi de faire votre connaissance _ et ainsi, de cette façon (!) : à l’œuvre…
Bernard Plossu m’a à plusieurs reprises parlé de vous » : c’est un « passeur » éminemment positif…

Et le 18 avril, c’est en effet, samedi prochain, très bientôt ! Tous mes vœux vous accompagnent !!!

Titus Curiosus

Venez donc vous livrer à ce « Livrez-vous ! » !

et participer à ce projet (d’artiste) magnifique !!!


Titus Curiosus, ce 14 avril 2009

Chercher sur mollat

parmi plus de 300 000 titres.

Actualité
Podcasts
Rendez-vous
Coup de cœur