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Enfin de justes mots en français sur Venise : Jean-Paul Kauffmann, en son sensuel « Venise à double tour »

13juin

Longtemps je me suis irrité 

contre l’incapacité de la plupart des Français à trouver des mots justes

sur Venise

_ cf ma série d’articles du second semestre 2012 (26 août, 4 septembre, 31 octobre, 23 décembre et 30 décembre) :

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Et là,

je découvre le Venise à double tour de Jean-Paul Kauffmann

_ qui, lui, valorise, au passage, le regard sur Venise, et de Sartre, en son trop méconnu La Reine Albemarle, ou le dernier touriste ; et de Lacan, via divers témoignages, dont le La Vie avec Lacan, de Catherine Millot, ou le film de Gérard Miller, Rendez-vous chez Lacan ; et, de Lacan lui-même, sa conférence, Le Triomphe de la religion.

Enfin un Français vraiment curieux _ et de fond ! il s’y consacre à plein temps ; et tout le temps qu’il faut vraiment à sa quête : au moins plusieurs mois…de la Venise la plus intime et la plus secrète _ qui est _ ;

à l’instar de ce vrai vénitien _ retrouvant sa Venise quittée un long moment (pour des raisons de travail loin d’elle) _ que fut le Paolo Barbaro (Ennio Gallo, 1922 – 2014)

de son merveilleux et magique _ un indispensable !!!! _ Petit Guide sentimental de Venise

_ un titre français absurde, pour cette merveille qu’est son Venezia La Città ritrovata _ L’idea di città in una nuova guida sentimentale… Et il se trouve que la traductrice de ce trésor est Nathalie Castagné, avec laquelle je me suis entretenu le 9 avril dernier chez Mollat…

Tenter de « retrouver« 

étant pour Jean-Paul Kauffmann _ comme cela avait été le cas pour le vénitien Paolo Barbaro (l’ingénieur hydraulicien Ennio Gallo) de retour en sa chère cité un trop long temps quittéela clé du regard curieux, intensif et infiniment patient que Jean-Paul Kauffmann va porter des mois durant sur Venise, via sa quête, que rien n’arrête, de maints trésors cachés (tenus sous de puissants scellés) de celle-ci, en vue de se mettre une seconde fois en présence d’une image singulière dont la source _ en quelque sombre église vénitienne, lui semble-t-il _ n’a jusqu’ici pas été localisée par lui

Au départ du récit, le trésor à « retrouver« 

se situerait, dans l’esprit du chercheur du moins, en quelque sanctuaire d’église un peu obscure, pénombreuse…

D’où le choix radical d’inspecter seulement des églises, à l’exclusion de tout autre monument : palais, scuole religieuses, musées, etc… : il est déjà bien malaisé de parvenir à remettre la main sur une si précieuse _ minuscule _ aiguille en une si _ gigantesque _ meule de foin…

La quête présente de Jean-Paul Kauffmann est donc précisément ciblée, du moins en son presque anodin _ ou futile, mais tout de même marquant, et surtout carrément obsédant _ départ

_ et ne serait-ce pas là, mais à son corps défendant, cela nous devons le lui accorder, seulement un hitchcockien Mac Guffin (le terme est prononcé à la page 49) ? _ :

« retrouver«  _ et il y parviendra, même si ce sera, in fine, très obliquement, et ailleurs que là où il cherchait… : il le confiera in extremis, à la toute dernière page de ce récit _, re-éprouver la sensation _ étrangement puissante : au point de l’amener-contraindre à s’installer, lui, ainsi, plusieurs mois durant à Venise… _ éprouvée lors de son premier _ très éphémère _ passage _ plutôt que séjour : ce fut très court, et même évanescent… _ à Venise, l’été 1968 ou 1969, l’auteur ne se souvient même plus très bien de l’année, de retour d’un long voyage en Crète, Grèce et Yougoslavie ;

et pas vraiment « retrouvée«  telle quelle, en sa singularité du moins, depuis, lors de fréquents _ et même réguliers _ séjours à Venise, cette sensation

(face à « une peinture qui miroite« , page 19 ;

et à la toute fin du récit reviendra l’expression : « la fameuse peinture qui brillait dans la pénombre lors du premier voyage« , page 327 _ le verbe « miroiter » étant, mine de rien, diablement important ! même si l’auteur semble n’y prêter à nul moment attention, ni même ne s’y attarde : pas un seul mot de commentaire réflexif ou méditatif ne lui est consenti… _) ;

en dépit des nombreux séjours renouvelés _ depuis 1988 (son retour du Liban) tout particulèrement _ de l’auteur en cette ville, accomplis précisément pour confronter cette étrange et toujours puissante _ bien que vague _ émotion primale éprouvée jadis _ sur le mode d’une étrange obsédante « douceur« … _ face à une image « miroitante » bien réelle _ mais en quelque sorte égarée en les arcanes-tiroirs de sa mémoire, faute, aussi, de pouvoir en situer (et retrouver, revisiter, revoir) le lieu singulier de la scène-événement primitive _ à la sensation d’un présent qui la rafraîchirait, ou pas ; afin de comprendre peut-être enfin les raisons de cette marquante impression d’alors :

« depuis cinquante ans, je ne cesse de revenir bredouille _ de mes recherches de cette peinture à Venise. La poursuite exigerait d’être menée plus rondement _ en s’y consacrant pleinement, méthodiquement et exclusivement : systématiquement. La chasse _ voilà ! (cf l’exergue du livre, emprunté à Pascal : « Nous ne cherchons jamais les choses, mais la recherche des choses« …)_ n’a rien donné jusqu’à présent. On n’attrape pas une ombre _ brouillée, pas assez consistante, parce que demeure aussi mal localisé le site de l’advenue de l’émotion insidieuse persistante à laquelle donna lieu cette peinture « miroitante » : « qui brillait dans la pénombre » de quelque sanctuaire sacré, pensait-il…

En tout cas, je m’obstine _ à rechercher-retrouver le lieu (très probablement une église) de cette « image miroitante » puissante. L’obstination plus que la force d’âme m’a permis dans le passé de résister à l’enfermement« , nous confie-t-il alors à la sauvette, sans  s’y attarder, page 18.

Alors, en effet _ en situation (sauvagement rude) d’otage, au Liban, du 22 mai 1985 au 4 mai 1988 _, « je devais à tout prix identifier (des) épaves de la mémoire. Ce jeu _ actif et exigeant _ me permettait _ lui seul _ de tenir debout _ en tant que personne encore un peu humaine. Il consistait à mettre un nom _ précis ; pensons aux animaux qui ne possèdent pas cet atout… _ sur des moments, des scènes, des événements qui n’étaient que des flashs _ évanescents et étrangement forts à la fois. Et la relative cohérence (avec trous, cependant) de la mémoire est bien ce qui peut assurer tant bien que mal, de bric et de broc, l’unité infiniment complexe (et toujours un peu problématique : à trous…) de l’identité de toute personne humaine (via des mots, tout particulièrement, qui donnent un contour un peu précis, et tenu, formé, à ces images le plus souvent flottantes) : les philosophes nous l’apprennent. D’où la tragédie d’effondrement irrémédiablement destructeur d’Alzheimer…

Ces impressions, je les avais vécues naguère, mais leur contour _ voilà _ était _ _ estompé » _ cf ici ce qu’apporte comme ressource essentielle et fondamentale le concept idéal d’idée (jusqu’à le sacraliser en Idée) chez Platon…

Et pages 19-20 :

« dans l’enchaînement des séquences qui ont composé ce séjour _ passé _, de nombreux espaces vides, en tout cas mal comblés _ laissés vagues, indistincts et confus _, m’ont toujours empêché de localiser avec précision _ voilà ! _ l’image _ vénitienne _ disparue : une peinture qui miroite _ voilà ce qui demeure d’elle encore ; et à quoi se raccrocher : le miroitement lumineux d’une peinture ; on remarquera aussi le retour, à plusieurs reprises, et à des moments de révélation cruciaux, du mot « illumination«  Qu’avais-je vu exactement ? Je n’ai cessé _ depuis _ de le chercher _ dans les églises de Venise. Les églises ouvertes _ déjà explorées jusqu’ici dans l’espoir de cette retrouvaille _ n’ayant rien donné, je vais à présent me tourner vers les églises fermées _ au public depuis lors. L’objet _ perçu-aperçu une fois, autrefois : « miroitant«  _ de ma quête y est enfoui _ et donc à exhumer-retrouver et revoir : voici le nouveau défi (très concret, très matériel, lui) qui vient se surajouter à (et en) cette quête sensitive, à partir de ce qu’a laissé émotivement comme trace fugace conservée, la mémoire.

Mais on ne déverrouille pas si facilement une église, surtout vénitienne, avec ses tableaux, ses autels incrustés de gemmes, ses sculptures _ tout cela évidemment très précieux.

Venise _ la richissime alors _ a thésaurisé _ voilà ! _ un patrimoine artistique d’exception _ et qui, d’ailleurs, donne assez vite carrément le vertige, à la visite de cette accumulation-surdose exhibée de trésors : notre capacité d’attention-concentration comporte en effet des limites ; et se lasse-fatigue plus vite que les muscles de nos jambes parcourant (jubilatoirement) le labyrinthe des Calli, à Venise. De l’air ! Je pense ici à ma propre sensation d’étouffement éprouvée tout particulièrement en l’église des Carmine, face à l’impossible (à mes yeux !) accumulation des toiles peintes accrochées partout sur les murs, sans le moindre espace vide d’un peu de respiration ; une impression jamais ressentie en aucune église ailleurs qu’à Venise, par exemple à Rome… Ni encore moins en France. Réglementé et surveillé jalousement. (…)

Beaucoup d’églises sont _ désormais _ fermées à jamais _ peut-être _, faute de prêtres et de fidèles _ et même de Vénitiens continuant à vivre-résider à demeure dans la Venise insulaire même : chaque année cette Venise insulaire perd de ses habitants. Certaines, menaçant ruine, soutenues par des étais, sont interdites pour des raisons de sécurité _ certes : et plus que les usures naturelles du temps même, c’est le défaut d’entretien de la part des hommes qui défait-déchiquète, jusqu’à l’irréversibilité, un jour, de la ruine, les monuments : le défi de les restaurer devenant, à un certain seuil de décomposition, matériellement insurmontable. Quelques unes ont changé d’affectation _ faute de capacité suffisante d’entretien de toutes par l’Église ou les autres institutions qui en ont la responsabilité, aujourd’hui. Elles sont transformées en musées, bureaux, entrepôts, appartements, ou encore salles de spectacle _ et pouvant re-devenir alors, à l’occasion, accessibles à une visite.

Les églises closes de Venise, surtout celles qui s’ouvrent _ comme capricieusement _ de temps à autre, suscitent en moi un état de frustration insupportable _ : suscitant le défi ultra-vif et on ne peut plus concret de remédier à cette frustration de visite par ses propres efforts et sa sagacité, quasi héroïquees, à obtenir de les faire exceptionnellement ré-ouvrir… Impossible de prévoir leur accès. (…)

Mon séjour à Venise, je vais le consacrer _ voilà ! du sacré se cachant effectivement en cette entreprise kauffmannienne… _ à _ tâcher de _ forcer les portes _ le plus souvent, et il faut le souligner, belles, ou du moins profondément émouvantes ; cf là-dessus l’œuvre picturale particulièrement touchante de Roger de Montebello ; qui a choisi de carrément vivre (depuis 1992) à Venise _ de ces sanctuaires _ puisque ce ne peut être qu’en un tel sanctuaire ecclésial qu’eut lieu le miracle si marquant (et désormais obsédant) de la rencontre de « la peinture qui miroitait«  Approcher _ quel sport herculéen ! _ des administrations réputées peu localisables _ déjà leurs sous-officines se cachent à force de discrétion ! _, régentées par une hiérarchie aussi contournée qu’insaisissable. La burocrazia _ abusant bien peu charitablement et jusqu’à l’absurde de son pouvoir (de refuser d’ouvrir).

J’ai repéré depuis longtemps _ voilà : ces verrous, chaînes et cadenas sont des provocations pour la passion de la curiosité ! _ diverses églises toujours cadenassées.« 

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L’enquête, narrée en les moments les plus décisifs _ d’avancée, ou blocage et impasse : ils forment des étapes, des paliers haletants du parcours de recherche _ de son défilement, se révèle bien sûr passionnante déjà par son détail, savoureux ; et amène l’auteur à méditer, au passage, sur la peut-être plus lointaine origine _ que ce flash vénitien de 1968 ou 69 _ de cette persistance mémorielle de l’impact de l’émotion éprouvée face à une telle image origine liée, nous le découvrirons, à l’histoire en amont, durant l’enfance, de la formation même de la sensibilité religieuse _ et catholique davantage que chrétienne _ de Jean-Paul Kauffmann. Et c’est là un des éléments forts et fascinants de ce livre…

Sur cette distinction entre « chrétien » et « catholique« , cf les éclairantes remarques de l’auteur aux pages 130-131 :

« Le côté catholique l’emporterait _ l’auteur reste prudent _ davantage (que le côté chrétien) chez moi _ à la différence de son épouse Joëlle.

Le rapport _ tridentin, jésuitique peut-être même _ à l’image, au visible, au spectacle. La dialectique de la loi et du désir. Et cette façon d’avoir listé les sept péchés capitaux ! Ce sont tout de même ces vices qui mènent _ partout _ le monde _ Jean-Paul Kauffmann leur est en effet très sensible. Reconnaissons aussi que, à part l’avarice et l’envie _ deux passions tristes _, ils donnent du sel à notre condition humaine _ laquelle serait bien plate et fade sinon…

Voilà pourquoi je me sens _ très sensiblement, sinon sensuellement même, mais oui _ lié à cette religion _ catholique.

La rémission des péchés est une invention géniale _ diabolique ? Il n’y a aucune faute, aussi grave soit-elle _ vraiment ? _, qui ne puisse être remise. Avec le catholicisme, on trouve toujours des arrangements _ en en payant le prix (assez infime) de la contrition : c’est plutôt commode ! Quiconque commet une faute sait qu’il sera _ toujours _ accueilli à bras ouverts et reconnu _ pardonné ! _ en tant que pécheur.

La vraie indignité n’est pas d’enfreindre, mais de prétendre _ auprès de l’autorité maternelle ecclésiale, qui ne pardonnerait pas cela ! _ ne pas avoir enfreint« …

Et aussi ceci, page 144 :

« Le catholicisme, religion de l’incarnation _ et du mystère de la présence réelle dûment éprouvée _, on le ressent à Venise plus qu’ailleurs _ thèse cruciale décisive pour le devenir personnel existentiel de Jean-Paul Kauffmann lui-même ; et sa fidélité singulière aux séjours vénitiens.

Ce corps souvent nié ne cesse ici _ tout spécialement, à Venise _ d’être _ hyper-sensuellement _ glorifié. S’il existe une ville qui nous fait croire à l’ambivalence du christianisme, qui a toujours su jouer supérieurement _ Venise est aussi la cité des ridotti… _ sur la dialectique du bien et du mal, c’est bien _ la marchande et habile _ Venise.

La peinture traite de sujets sacrés, mais elle ne cesse d’exalter _ tridentinement et post-tridentinement, pour séduire _ la nudité, la chair, la beauté des corps _ des anges et des saints.

Je sais bien que les liens entre la religion catholique et la culpabilité ne sont plus à démontrer, mais ils me semblent manquer _ pour ce qui concerne le penchant mis sur la culpabilité _ dans « la ville contre nature » » _ qu’est décidément Venise (le mot est de Chateaubriand) ; la Venise de ce « grand vivant«  qu’a été Casanova, probablement le Vénitien emblématique de sa ville, si on le comprend bien, à revers des clichés… Et Sollers appartient lui aussi à cette famille d’esprits (portés sur le charnel)…

La superbe expression « grand vivant« , empruntée à Cendrars, se trouve à la page 318 :

« En 1988, quelques semaines après ma libération _ du Liban _, je suis allé me réfugier _ raconte ici Jean-Paul Kauffmann _ dans la ville d’eau de Karlovy Vary en Tchécoslovaquie, l’ancienne Karslbad. (…) J’étais sonné, indifférent. Je ne ressentais _ voilà le péril _ aucun appétit, aucune sensation. Ma seule envie _ voilà, au milieu de cette terriblement asséchante acédie  _ était d’aller visiter le château de Duchcov _ anciennement Dux _ où Casanova _ le Vénitien par excellence ! _ avait vécu les dernières années de sa vie comme bibliothécaire du comte de Waldstein. (…) On avait pris à tort mon souhait pour un caprice. Ce n’était pas une lubie. Je me sentais perdu, je ne savais pas à quel saint me vouer _ voilà. Casanova n’était pas un saint, mais certainement un homme selon mon cœur _ voilà le cri du cœur de Jean-Paul Kauffmann ! Ce n’était pas tant le don Juan libertin qui m’importait que le « grand vivant » (Cendrars), l’homme supérieurement libre _ oui _, toujours gai _ voilà ! _, dépourvu de tout sentiment de culpabilité _ pleinement dans l’alacrité… Sa devise, « Sequere deum » (Suis ton dieu), n’était pas si éloignée du « Ne pas céder sur son désir » de Lacan _ qui plaît bien, aussi, à Jean-Paul Kauffmann. Cette visite à Duchcov m’avait redonné un peu de tonus » : cette confidence personnelle de Jean-Paul Kauffmann nous en apprend pas mal sur sa religion personnelle, pas très éloignée, au final, de la philosophie sensualiste du bonheur d’Épicure et Lucrèce…

A relier à ce passage-ci inaugural du récit, pages 15-16-17 (du chapitre premier) :

« Pourquoi choisir Venise ? Pour mesurer le chemin parcouru _ le livre est aussi une sorte de bilan (heureux) de vie (désirante). Venise n’est pas « là-bas », mais « là-haut », selon le mot splendide de Casanova. Il existe sans doute bien des hauteurs de par le monde où l’on peut jouir d’une vue étendue sur le passé, mais je n’en connais pas d’autres où l’histoire nous saisisse à ce point pour nous relier _ voilà : c’est ici l’objectif _ à notre propre vie _ vue d’en-haut. (…) Comme toute chose ici-bas _ dont l’individualité des vivants sexués _, Venise va vers sa disparition. C’est un achèvement qui n’en finit pas, un terme toujours recommencé, une terminaison inépuisable, renouvelée, esquivant _ voilà _ en permanence l’épilogue _ et lui survivant. La phase terminale, on l’annonce depuis le début. Elle n’a pas eu lieu. Elle a déjoué _ par son combat permanent de survie et résilience contre ce qui la menace au quotidien _ tous les pronostics. Cette conclusion ne manquera pas de survenir pour nous tous ; Venise, elle, passera _ encore _ à travers.

Voilà pourquoi la Sénénissime représente pour moi la ville de la jouvence et de l’alacrité » _ où reprendre des forces, mieux encore qu’à Duchcov ; et revoici ce mot décisif : « alacrité« 

Et page 67 :

« S’il y a une ville qui n’est pas dans la nostalgie, c’est bien Venise. Mon envoûtement _ voilà _ vient peut-être de là. Elle fait totalement corps _ voilà, en ses formes maintenues contre vents et marées… _ avec son passé. Aucun regret _ ici _ de l’autrefois. Aucune aspiration au retour. Pas besoin d’un déplacement. La translation du temps, on y est  » _ en voilà le secret…

C’est ici l’analogue pour le temps, de ce que, pour l’espace, René de Ceccatty, en son Enfance, dernier chapitre, nomme, à la page 306, la « télétransportation« … Voir là-dessus mon article du 12 décembre 2017 : .

Et déjà pouvait se lire page 87 :

« On ne s’ennuie jamais _ l’ennui serait-il l’ennemi insidieux principal de Jean-Paul Kauffmann ? _ dans une église vénitienne.

Le champ visuel paraît illimité _ mais est-ce bien un avantage ? Il suffit à l’œil de se fixer _ mais le peut-il aisément, face à pareille profusion de propositions : accablante ? _ dans n’importe quelle direction pour être mis face _ voilà _ à la réalité (sic) des corps : corps suppliciés, corps extatiques. Toute cette chair _ voilà _ exhibée !

Ici, l’incarnation règne en maître« …

Ce jeudi 13 juin 2019, Titus Curiosus – Francis Lippa

la traversée du siècle d’un honnête homme (et beau garçon) en quelques fécondes rencontres d’artistes-créateurs en des capitales cosmopolites : le parcours de Peter Adam de Berlin à La Garde-Freinet, via Paris, Rome, New-York et Londres

02mai

Non sans quelques points communs _ nous allons le découvrir… _ avec cet immense livre qu’est « Le Lièvre de Patagonie » de Claude Lanzmann :

une autre traversée _ un peu chahutée _ du siècle en quelques judicieuses rencontres (et un chef d’œuvre cinématographique !),

voici que Peter Adam _ ou Klaus-Peter Adam, un garçon juif allemand, au départ, natif de Berlin en 1929, puis devenu citoyen britannique vers 1965, peu après le décès de sa mère, la battante et admirable Louise, le 6 mai 1965 :

cf page 214 : « j’optai à cette époque pour la nationalité anglaise.

Depuis longtemps j’essayais de me débarrasser du garçon allemand _ qu’il était de naissance : la famille (juive) de son père venait de « Chodzesin, une petite ville de Prusse orientale. Mon arrière grand-père, Jacob Adam, y était né en 1789. Depuis le XVIIIème siècle, sa famille vivait du commerce du drap de laine. Cette activité les avait menés jusqu’en Pologne et en Lituanie« , page 14 ; « du côté de ma mère, les Leppin et les Gurke _ Gurke signifiant « concombre » _, étaient d’un tout autre genre : pauvres, chrétiens, et de souche paysanne« , page 20 _

afin de n’avoir de racines que dans l’imaginaire.« 

Et il poursuit : « Il se produisit mille choses dans ma vie et je possédais une énergie et une curiosité infinies. Je laissais l’univers tourbillonner autour de moi, espérant ne pas m’y noyer

_ le titre original de ce « Mémoires à contre-vent« , traduit par l’auteur lui-même en français en 2009, était, en anglais, en 1995 (pour les Éditions Andre Deutsch, à Londres) : Not drowning, but waving _ an autobiography

Je m’acceptais tel que j’étais, je n’étais gêné ni par mes défauts, ni par mes qualités. J’essayais, comme toujours _ en effet ! _ d’être honnête avec moi-même« 

voici que Peter Adam offre au lectorat français et francophone

_ mais cet amoureux de longue date de la France

avant même d’y venir séjourner, pour la première fois, en 1950

(cf au chapitre « Alma mater, 1949-1950« , les pages 139 à 146 :

« En 1950, je partis pour la première fois à Paris. Mon ami Klaus Geitel étudiait là-bas et je décidai de lui rendre visite. A Paris, Klaus m’attendait gare du Nord avec deux amis. J’étais tellement excité que j’entendis à peine leurs noms. Le premier, Hans Werner Henze, était un compositeur allemand ; le second, Jean-Pierre Ponelle, un scénographe français«  : mais oui !..) ;

puis, une seconde fois, en 1951, au chapitre suivant, « Mes premiers pas d’intellectuel _ Paris 1950-1953«  :

« A l’automne 1951 _ ayant obtenu « une bourse d’un an du gouvernement français, ainsi qu’une inscription à la Sorbonne« , page 147 _, je débarquais à Paris pour la seconde fois«  :

« J’arrivais au bon moment. Le passé était enfin soldé ou presque. La France de la Quatrième République commençait à se moderniser.  (…) Les gens avaient l’air riche ; ils possédaient un goût inné pour la qualité et le style _ voilà _, doublé d’un sens aigu de la compétition« , page 147 ; « Alors qu’à Berlin, nous avions essayé de construire un nouveau monde, les Français jouaient au ping-pong avec leur héritage culturel, retournant les idées dans tous les sens, juste pour le plaisir. Je me sentis immédiatement chez moi, le lycée de Berlin m’ayant bien préparé à ce perpétuel désir de théoriser et de synthétiser les idées. Les bâtiments de la Sorbonne reflétaient ce même esprit libre et chaotique. Les vieux couloirs sombres fourmillaient d’étudiants bruyants et fougueux. Les murs étaient recouverts de slogans très politiques, culturels ou sexuels, combinant parfois les trois en même temps comme dans celui-ci : « Fais-toi sucer en Russie, Simone ! » », page 148

il avait fait ses études secondaires au lycée français de Berlin, dès 1940, page 58)

mais cet amoureux de longue date de la France,

donc,

y vit désormais, depuis août 1989, à demeure, cela fait vingt-et-un ans

(depuis sa retraite de reporter et réalisateur de la BBC, en août 1989 : car c’est là, à la BBC, que se déroula, en effet, sa « principale«  carrière, du 4 avril 1968, à la cérémonie de départ de sa retraite, en août 1989) :

en son « cabanon«  du Mazet, à La Garde-Freinet, dans les Maures, et non loin de Saint-Tropez

_ Facundo Bo et Peter Adam découvrirent, en effet, cette thébaïde « un matin de 1970«  :

« un petit vallon où des moutons broutaient près des oliviers.

C’était l’endroit dont nous _ Facundo & Peter _ rêvions _ 12 000 mètres carrés isolés du monde et un petit cabanon. Nous l’achetâmes aussitôt.

La Garde-Freinet allait devenir notre port d’attache pour les quarante années à venir« , page 275 _

mais cet amoureux de longue date de la France y vit désormais à demeure,

avec son compagnon Facundo Bo : compagnon depuis leur coup de foudre lors d’un « dîner snob« , en 1968, à Paris ;

cf page 236 : « Durant la réalisation de ce documentaire _ pour la BBC : La maison Christian Dior, en 1968, donc _,

j’eus l’occasion, un soir, d’être invité à un de ces dîners snobs dont les Français raffolent. J’étais assis en face d’un jeune acteur argentin au physique extraordinaire, au type légèrement indien. Comme d’habitude, je parlais beaucoup, faisant de mon mieux pour impressionner. J’avais appris l’art de l’autodéfense et ajouté du cynisme à mon scepticisme naturel. Intrigué par les yeux inquisiteurs de ce garçon, je parlais des souffrances au Biafra _ dont Peter revenait d’y réaliser un reportage particulièrement périlleux (et tragique !) : il en fait le récit aux pages 227 à 232 _, mais également du grand bal de l’Opéra de Paris _ le Bal des petits lits blancs _ auquel j’avais assisté la veille. Je révélais ainsi l’un de mes nombreux paradoxes dont je n’étais pas très fier.

Facundo _ c’était le prénom de ce garçon très beau et gêné _ ne prononça pas un seul mot de la soirée. A la fin, au moment de partir, je lui glissai mon adresse à Londres.

Trois semaines plus tard, je reçus une lettre : « Cher Peter, détruisez cette lettre, je n’ai jamais écrit une telle lettre à personne, mais pendant ces trois dernières semaines, je n’ai pas arrêté de penser à vous et je voulais simplement vous le dire. Je vous prie de m’excuser ». La lettre était signée Facundo Bo.

Trois heures plus tard, je m’envolai pour Paris« 

« Je crois au coup de foudre _ poursuit-il aussitôt, toujours page 236, en commentaire rétrospectif. Pendant les quarante-deux ans à venir _ de 1968, leur rencontre, jusqu’en 2010, où paraissent ces « Mémoires » en traduction française _, Facundo serait la source de beaucoup de mes joies et de mes chagrins _ la maladie de Parkinson de Facundo déclarée « à l’âge de quarante ans« , « l’empêchant petit à petit _ lui acteur brillant de la troupe de théâtre TSE, d’Alfredo Arias _ de monter sur scène« , découvre-t-on, à un coin de page, page 412 ;

cf aussi, le jour de son départ de Londres pour gagner la France, page 440 : « Je ne savais pas alors combien ma nouvelle vie à Paris _ et au Mazet, à La Garde-Freinet _ allait m’apporter de joie d’amour solide et de douleur aussi, liée à la fragilité croissante _ parkinsonienne ! _ de Facundo. Mais jamais je n’ai regretté ma décision«  _ de venir vivre définitivement en France : avec Facundo Personne ne m’a jamais été aussi proche ; et je pense _ écrit-il maintenant en 2009-2010 _ que personne ne le sera jamais. Facundo devint le centre absolu de ma vie«  _ voilà !..  _

voici que Peter Adam offre au lectorat français et francophone une somptueuse traduction en français, cette année 2010, du récit autobiographique _ publié en 1995 à Londres sous le titre de Not drowning but waving _ an autobiography _ de sa traversée _ Berlin, Paris, Rome, New-York, Londres, La Garde-Freinet _ du siècle,

tout à la fois en beau garçon _ ce peut être un atout ; du moins pour commencer, en se faisant « remarquer«  ; car à la longue n’être que le « petit ami de« … s’avère un peu court pour poursuivre et s’établir au moins un peu…

et en honnête homme

et artiste _ filmeur du monde et de la création artistique : ce sera là sa « vocation«  _ probe _ absolument ! et sans compromission aucune :

certains de ses très proches et meilleurs amis se suicideront face à la « détérioration«  (Peter Adam emploie le mot « dégradation« , page 410, en son chapitre « Inventaire« …) de ce monde :

le magnifique « grand reporter«  James Mossman (celui-là même qui l’avait fait engager à la BBC : c’était le 4 avril 1968), le 5 avril 1971 ;

le peintre Keith Vaughan, le 4 novembre 1977… ;

mais encore, page 427 :

« Au travail, le suicide mon collègue Julian Jebb s’ajouta à la longue liste de mes collègues disparus, dont l’esprit toujours en éveil _ pourtant ! _, n’avait pas été capable d’arrêter la course à l’autodestruction _ voilà _ : les grands reporters James Mossman, Robert Vas et Ken Sheppard. Le garçon qui s’occupait de la maison de Tony Richardson à La Garde-Freinet, tua d’abord sa petite amie avant de se donner la mort. La boisson et la solitude durant les longs mois d’hiver au Nid du Duc _ le hameau de la colonie Richardson, l’auteur du film Tom Jones, à La Garde-Freinet _ l’avaient poussé à cet acte terrible, disait-on. La fille de Lawrence Durell, Sappho, se pendit« … Bref, « la mort continuait à jalonner ma route« , remarque Peter, page 427…

« Dans les années quatre-vingt, mon histoire d’amour avec la Grande-Bretagne touchait _ ainsi _ à sa fin. Mme Thatcher n’avait pas encore engagé _ profondément, pas encore _ sa politique absurde et désastreuse _ humainement : Peter Adam ne mâche pas ses mots ! _, mais un nouveau climat social se faisait _ déjà _ sentir, sapant _ durement _ les qualités de ce pays que j’avais tant apprécié. L’Angleterre, comme beaucoup de pays d’ailleurs, entraînée par son désir insatiable et impétueux de richesses, prônait _ maintenant _ l’arrivisme, la ruse, l’avidité comme qualités essentielles. Les inégalités flagrantes, la cruauté des riches, la complaisance des gens au pouvoir et la corruption _ lire ici Paul Krugman… _ devenaient monnaie courante. Je regardais les yuppies, interchangeables avec leurs chemises à rayures, leurs bretelles rouges, leurs manteaux à épaules marquées, leurs BMW, leur arrogance, leurs femmes à sac à mains à chaînes dorées _ on ne disait pas encore le bling-bling… J’observais la nouvelle génération, son appétit féroce, sa frénésie de consommation, son égoïsme impitoyable _ voilà _, et la comparais à ma propre génération qui avait l’espoir chevillé au corps que la vérité et la beauté _ voilà _ finiraient par l’emporter sur les mensonges et la laideur du monde _ quelle belle actualité ! toujours…

Bien sûr cette dégradation _ voilà _ ne se produisit pas en un jour. Ce n’était que le début d’un profond et triste changement qui, hélas, se propageait _ bientôt _ partout«  _ de par notre monde commun, pages 409-410…  _,

voici _ je reprends l’élan de ma phrase _  que Peter Adam offre au lectorat français et francophone une somptueuse traduction en français, cette année 2010, du récit autobiographique _ paru en anglais en 1995, lui _ de la traversée de son siècle :

tout à la fois en beau garçon

et en honnête homme et artiste probe

soucieux de la justesse…

en beau garçon, d’abord _ et le livre est généreusement (et judicieusement) agrémenté de photos de nombreuses personnes rencontrées et narrées _ :

via ses rencontres sexuelles (avant l’amour vrai de Facundo Bo, en 1968, donc : Peter aura alors trente-huit ans _ mais tout cela fort discrètement, et sans le moindre exhibitionnisme, ni a fortiori sensationnalisme ! très loin de là ! Peter Adam a beaucoup de délicatesse et pudeur…) et amicales, plus encore (dont certaines féminines : Hester Chapman et Prunella Clough, à Londres),

celles-ci _ « rencontres« , donc _ vont lui ouvrir bien des portes, bien des « clans«  (ou « réseaux » d’amis :

par exemple, pages 201-202, en débarquant de New-York à Londres,

ce passage-ci, clé ! :

« Parmi les quelques adresses que j’avais _ à Londres, donc, en 1958 _, aucune ne fut plus précieuse et appréciée que celle d’un ami d’Edward Albee _ merci à lui de cette « adresse«  ! de ce « contact«  décisif… _, Patrick Woodcock.

Patrick était le médecin du Gotha artistique londonien _ rien moins ! _ : de Noël Coward à Marlene Dietrich, de Peggy Ashcroft à David Hockney, de Peter Brook à Christopher Isherwood. (…)

Comme à Paris, Rome et New-York _ c’est un point décisif du parcours (et la vie !) de Peter ! _, j’ai eu la chance _ encore faut-il apprendre et à la saisir et plus encore à la cultiver ! et ne pas trop, non plus, la gâcher… _, d’être adopté _ apprécié par, aimé de _ par un clan _ voilà _

pour lequel j’étais _ du moins tout d’abord, au départ :

cela se dissipant cependant assez vite (cf la conclusion plus négative, en 1955, de l’épisode romain et sa « clique« , page 184 : je vais le préciser par le détail un peu plus loin)… _

un objet de curiosité : « Allemand, Juif, non émigré et sorti de l’Allemagne indemne. « How intersting« , disait-on » _ pour commencer, donc ; ici, c’était en 1958, Peter a vingt-neuf ans 

il est aussi très « beau garçon«  (cf les photos généreusement données du livre) ; et éminemment sympathique, plus encore : il a du charisme…

« Patrick était absolument convaincu qu’il était le mieux placé pour tout organiser _ sic _ et décida de me prendre sous son aile _ cela peut effectivement aider… Il m’ouvrit les portes _ voilà ! _ de la vie culturelle _ artistique _ londonienne qui comptait un nombre impressionnant de talents. Tous ses amis « baignaient » _ en effet _ dans l’art, faisaient de la critique de livres ou allaient s’applaudir les uns les autres sur la scène ou à l’écran.« 

Aussi

« la plupart de mes _ nouveaux _ amis _ vrais _ venaient _ -ils _ de son « écurie ».


Avec nombre d’entre eux j’entretenais
_ très bientôt, vite, aussitôt, déjà : c’est un talent ! _ une amitié _ et c’est là l’élément majeur (et de fond !) pour Peter ! _

qui allait s’approfondir _ voilà ! _ au fil des ans : une preuve de leur endurance _ à me supporter, souffrir, et accepter (et aimer)… _ et d’une certaine fidélité _ toujours de la modestie, avec les euphémisations : c’est là une vertu ; Peter n’a pas que des défauts… _ de ma part.

Pour quelqu’un qui vit seul _ pas « en couple« , donc : Peter assume son « célibat« … _,

les amis sont essentiels _ voilà.

Ils m’aidèrent à surmonter _ et durablement, pas à court terme : la dimension temporelle est capitale en ces affaires (existentielles) affectives ! _ mon sentiment _ endémique _ de déracinement _ qui comporte, aussi, il est vrai, l’avantage (non recherché !) du « décalement« , si crucial (pour la vie !), du regard… _,

car je portais en moi _ pour jamais _ des séquelles _ indélébiles, donc _ de mon enfance solitaire _ depuis, au moins, à l’âge de onze ans, le lycée (français, à Berlin, et puis à Züllichau, en Silésie) pour un enfant Juif (bien que ne portant pas l’étoile jaune, Louise, sa mère, étant « aryenne« …) en Allemagne nazie… _ et la nostalgie de mon adolescence _ à la Libération joyeuse, en même temps que pauvre, à partir de 1946… :

un passage assurément important de ce livre, pages 201-202, donc, comme on constate !..)

en beau garçon, d’abord,

via ses rencontres sexuelles et _ surtout, plus encore ! _ amicales

_ je reprends et poursuis maintenant ma phrase _,

celles-ci lui ouvrant bien des portes, bien des « clans » (ou « réseaux » d’amis) :

d’artistes, de créateurs, surtout ! _ c’est là l’élément majeur ! _, dans les diverses capitales que Klaus-Peter (bientôt Peter), va traverser :

Paris,

Rome : Peter devient le compagnon pour un temps, en 1955, d’Enrico Medioli, ami et collaborateur bientôt de Luchino Visconti ;

je m’y attarde un peu, maintenant (j’aime Rome !) :

« Je me rendais souvent à Rome. J’y découvrais un passé splendide. Alors que Paris représentait pour moi l’élégance et le raffinement _ voilà _ international, Rome incarnait _ oui : charnellement _ une grande civilisation ; même le chaos et la pauvreté des rues _ certes _ étaient parés _ oui _ d’une dignité intemporelle _ comme c’est juste ! Tout avait _ le baroque (même borrominien !) est ici mesuré ! sans morbidité : à la Bernin, plutôt… _ des proportions parfaites : les façades ocres baignées par la lumière de l’après-midi _ cf ici les descriptions si justes de mon amie Elisabetta Rasy en son magnifique « Entre nous » ; cf mon article sur son récit autobiographique suivant (« L’Obscure ennemie« ), toujours à Rome : « Les mots pour dire la vérité de l’intimité dévastée lors du cancer mortel de sa mère : la délicatesse (et élégance sobre) parfaite de “L’Obscure ennemie” d’Elisabetta Rasy« _, les toits avec leurs jardins suspendus, les terrasses des gens riches : tout semblait exprimer la sensualité, la douceur de vivre et le bien-être«  _ on ne saurait mieux dire !, page 181 ;

« Pendant l’un de mes nombreux voyages à Rome, j’avais rencontré Enrico Medioli. Enrico était un ami de Luchino Visconti et allait devenir bientôt l’un de ses plus proches collaborateurs. Avec Suso Cecchi d’Amico, il fut le scénariste de Rocco et ses frères, Sandra, Les Damnés, L’Innocent et Violence et passion.

Enrico incarnait pour moi la perfection : il était blond, aristocrate dans son comportement comme dans son style, grand, élégant, mondain, cultivé et possédait un humour caustique. Il était issu d’une grande famille de Parme et avait souffert de la tuberculose, ce qui ne fit qu’accroître à mes yeux son aura romantique. Il conduisait des voitures de sport et vivait dans un appartement avec terrasse qui surplombait les toits de la cité éternelle.

Il connaissait toutes les personnes qui valaient la peine _ voilà _ d’être connues à Rome.

Autour d’Enrico gravitait la jeunesse dorée. La plupart travaillaient dans le cinéma«  _ soit un medium en pointe :

voilà deux éléments importants dans la « formation«  du jeune Klaus-Peter (qui a alors à peine vingt-cinq ans), on va s’en rendre peu à peu mieux compte… ;

avant d’être plaqué (un peu abruptement !) par Enrico à Cortina d’Ampezzo :

« Enrico avait une énergie contagieuse. Nous allions jusqu’à la plage de Fregene si souvent filmée par Fellini _ dans Huit-et-demi, ou Juliette des esprits, par exemple _, pour déjeuner dans des restaurants que seuls les Romains connaissaient, ou nous dînions dans les établissements huppés de la via Appia. Enrico, qui qualifiait ces endroits de piccole trattorie, molto semplice, était salué par la moitié des clients. Nous prenions l’apéritif chez Bricktop’s et la granita di limone chez Rosati’s _ Piazza del Popolo….

Au fil des mois, l’usure _ cependant _ se fit sentir dans notre couple _ un mot qui sera rarement employé par l’auteur, en ces 443 pages, notons-le au passage. La clique romaine perdait _ pour Klaus-Peter _ son charme _ surtout vaporeux _, comme moi je perdais le mien à leurs yeux _ au pluriel… Je roulai dix-huit heures en voiture de Naples à Cortina d’Ampezzo, où Enrico possédait un chalet, pour apprendre qu’il pouvait juste m’accorder un dîner.

Je compris le message« , page 184…

Avec ce commentaire-ci : « Je revis Enrico quelques années plus tard à Londres où il montait _ comme Luchino Visconti ; ou comme Franco Zeffirelli : les metteurs en scène italiens s’enchantent à mettre leur talent à la disposition de l’opéra _ sa version de La Somnambula à Covent Garden. »

« Comme on perd facilement _ pas seulement de vue ! _ les gens dans la vie ! Pendant un moment, on les voit tout le temps, trois fois par semaine, on les appelle au milieu de la nuit, et puis tout à coup, ils disparaissent. Heureusement j’ai gardé beaucoup de mes relations _ voilà le terme approprié. Plus tard, j’ai eu la chance de revoir certains d’entre eux comme Luchino Visconti, Alberto Moravia, Maria Callas, Giuseppe Pattroni Griffi et Mauro Bolognini, Lila Di Nobili, Franco Zeffirelli et Giorgio Strehler. Cette fois-ci _ nouvelle _ c’était à titre professionnel _ pour des reportages filmés par Peter pour la BBC : entre 1968 et 1989 _ et quelques uns sont même devenus _ à des degrés divers : mais un palier important étant tout de même franchi ! _ des amis.« 

« Comme toujours, je désirais davantage _ relationnellement ; Klaus-Peter se remémore ici sa situation (notamment) affective en 1955 _

et voulais faire de nouvelles découvertes.

Il était temps de passer à autre chose« , pages 184-185 : un passage très important, mine de rien, que ce séjour italo-romain de Klaus-Peter, en 1955… 

mais surtout New-York :

cf le chapitre « America here I come _ 1956-1957« , pages 187 à 211 : venant aux États-Unis surtout pour y améliorer son anglais, Peter y fait la connaissance d’Edward Albee _ « un jeune auteur dramatique« _ et Richard Barr _ »un producteur de théâtre renommé« _, page 193. « Edward et Richard me firent rencontrer _ un terme important ! _ John et Tamara Ennery » _ lui avait été le mari de Tallulah Bankhead ; elle, née Tamara Gergeyeva, avait été l’épouse de Georges Balanchine, au temps des ballets russes de Serge Diaghilev : page 195.

Et enfin Londres, donc :

où Klaus-Peter _ devenu désormais définitivement Peter _ va s’installer, en 1958,

et, non sans difficultés et péripéties, trouver

et un travail qui soit et durable _ enfin : au bout de dix ans cependant ; Peter a commencé par faire ses gammes cinématographiques avec des films publicitaires _ et satisfaisant pour lui _ ce sera à la BBC, en 1968 ;

et pour vingt-deux ans, de 1968 à 1989, à l’âge de sa retraite professionnelle… _,

et _ plus encore ! _ sa vocation de créateur et artiste _ le principal pour lui ! mais il n’en a probablement pas encore vraiment conscience alors… _ :

cf le merveilleux compliment que lui fera Luchino Visconti, en remerciement du documentaire de Peter sur le tournage de Mort à Venise, en 1970 :

« Seul un artiste peut en voir _ = voir vraiment ! : cf le concept d’« acte esthétique » de Baldine Saint-Girons… _ un autre, merci. Amitié, Luchino« , en dédicace à « un très beau livre : Vecchie Immagine di Venezia, vieilles photographies de Venise«  ;

« Il y avait aussi une photo dédicacée : « Pour ta Mort à Venise sur ma Mort à Venise. »

De toute ma carrière _ d’homme d’images filmées _ aucun compliment ne m’a fait un tel plaisir« , page 267 _ :

je veux dire sa « vocation » _ émergeant peu à peu : suite à diverses rencontres, non programmées : par conjonctions de hasard _ de réalisateur de films et reportages culturels, ou plutôt : artistiques (et sur _ à propos… _ d’autres créateurs-artistes, en fait) à la BBC…

voici _ donc : je reprends une fois encore l’élan de ma phrase _

que Peter Adam offre au lectorat français et francophone

une somptueuse traversée de son siècle _ pas facile pour un garçon juif berlinois ! né en 1929 ! _,

tout à la fois en beau garçon

et en honnête homme

et artiste probe absolument et sans compromission soucieux de la justesse…

J’y viens maintenant…

Ce très grand livre qu’est Mémoires à contre-vent, est construit en trois grandes parties,

autour de la « formation » d’un homme

(et un artiste : Klaus-Peter Adam, devenu par son passage aux États-Unis, en 1956-1957, puis sa vie en Angleterre, de 1958 à 1989 ; et sa naturalisation anglaise, en 1965 : cf page 214, « un sujet de Sa Majesté » ! ; devenu « Peter Adam« , maintenant)

représentatif surtout d’une génération (d’Européens),

ainsi que l’auteur présente cet « essai » d’autobiographie d’abord tout à la fin, pages 438 à 440, de son dernier chapitre, « Le temps des moissons _ 1987-1989« , pour l’édition anglaise, parue en 1995 :

« J’avais l’impression d’avoir vécu plusieurs vies, adopté plusieurs cultures, rêvé et parlé dans plusieurs langues. En même temps j’étais de nulle part, un étranger partout. C’était ce qui me convenait le mieux.

Mon pays natal était un pays imaginaire, fabriqué à partir de souvenirs et d’amis.

Je songeais alors à écrire un livre sur mon enfance et à raconter l’histoire de ce garçon allemand au sang juif qui avait survécu au nazisme.
(…)

Je ne voulais certainement pas me construire une postérité

_ « d’encre et de papier«  : à côté de celle, familiale, de ses neveux, les fils de sa bien aimée sœur jumelle, Renate ;

ou du neveu de Facundo : Marcial di Fonzo Bo, un comédien de grande qualité (auquel, ainsi qu’à Facundo, est dédiée, remarquons-le aussi, cette version française de son autobiographie, Mémoires à contre-vent, page 7).

Je voulais transmettre

non pas mon histoire personnelle,

mais celle de toute une génération _ voilà ! _ marquée par l’Histoire en pleine mutation.

Il y avait eu beaucoup de récits _ écrits et publiés _ sur les bourreaux et les victimes, mais très peu sur la vie quotidienne de gens ordinaires, pris dans le tourbillon de l’Histoire.

Je souhaitais parler des horreurs de la normalité, de cette « banalité du mal »
_ selon l’expression de Hannah Arendt :

de fait les chapitres « allemands«  (1 à 3 : pages 13 à 88), à Berlin, puis au lycée français mis « à l’abri à la campagne« , en 1943, « à Züllichau, une petite ville de Silésie«  (page 86) ;

et les chapitres « autrichiens« , après que Klaus-Peter, expulsé pour judéité du lycée, début 1944, a rejoint les siens, qui s’étaient réfugiés déjà bien loin de Berlin, « à Tressdorf, dans une vallée perdue de la Carinthie«  (page 86, aussi ;

le premier chapitre « autrichien«  (le chapitre 4 : pages 89 à 104) est joliment intitulé « Intermède pastoral _ 1944-1945« … ;

et le suivant (pages 105 à 116 : « Après-guerre et nouveau départ _ 1945-1946« ) raconte ce qui suit la fin de la guerre et le retour, difficile à Berlin ; jusqu’à ce que le narrateur nomme, au bas de la page 116, « le début de l’après guerre« ) ;

sont des chapitres magnifiques de ces « Mémoires à contre-vent«  sur les conditions de survie des gens ordinaires sous le nazisme… _ ;

Je souhaitais _ donc, je reprends la phrase de Peter Adam… _ parler des horreurs de la normalité, de cette « banalité du mal » 

et montrer que, malgré tout, le bonheur pouvait survivre _ par résilience, ainsi que Boris Cyrulnik nomme ce processus… _ dans l’épreuve.

Peut-être y avait-il tout de même quelque chose dans cette vie et cette carrière en dents de scie _ voilà : je vais m’y pencher un peu… _ qui méritait d’être préservé » _ et transmis : pages 438-439…

D’autant que

« écrire mes mémoires se révéla _ à l’auteur que va devenir (et se découvrir : par là même !) aussi Peter Adam, à partir de 1990, par ce livre improbable et « ouvert«  de « retour«  sur sa vie… _ passionnant. Cela devenait mon jardin secret, des moments d’évasion _ créatrice ! _ dans un monde de contraintes. (…)

Ma curiosité _ d’analyse, maintenant, comme en actes : par les émissions à concevoir et à réaliser pour la télévision ! entre 1968 et 1989 _ m’avait amené plus loin dans la vie que je ne le pensais _ tout d’abord ; au départ…

La plupart des rencontres ont lieu par hasard. Ce que le désir, les intrigues et la détermination en font _ ensuite : tout un travail et une œuvre ! _ me paraissait plus intéressant que la rencontre elle-même _ advenue, survenue. Il y avait bien évidemment eu des expériences décisives, mais souvent je n’en avais pris conscience qu’après coup. Tout était lié _ ce fut sans doute la découverte la plus surprenante que je fis en écrivant« , page 439 ;

en ce même esprit, Peter a rapporté, page 411, ce mot, « une fois« , de son ami Bruce Chatwin (cf le récit de leur amitié de onze ans, de 1978 au décès de Bruce, le 18 janvier 1989 : aux pages 379 à 384 ; « Ce n’était pas facile d’être ami avec Bruce. Il menait plusieurs vies à la fois et ne permettait pas qu’elles se mélangent ou s’entrecroisent. En société, il était très réservé sur sa vie privée et ne laissait jamais transparaître ses sentiments« , page 380)


Bruce citant Le Portrait de Dorian Gray d’
Oscar Wilde : « Il s’efforçait de rassembler _ lui ; et non sans difficultés dues à tant et tant de hasards d’abord, et à son corps défendant, surtout, subis _ les fils écarlates de sa vie et d’en tisser un dessin«  : unifié, donc, où « tout« , finissant comme par « émerger«  du désordre ou chaos même, vécu par surprise en premier,
vient apparaître en quelque sorte enfin « lié«  et « en place« , « en ordre« , ou presque…

Telle, aussi, une image en un tapis…

Pages 410-411, Peter Adam a aussi écrit, à propos de sa « découverte » de l’écriture :

« Je n’avais jamais écrit de livre _ écrire des scénarios ou des articles _ utilitaires _ n’était pas la même chose _, mais je découvris  rapidement quel plaisir c’était. Rien dans ma vie professionnelle ne m’avait autant stimulé que la relation intime entre l’auteur et sa page, quand tout à coup des mots et des phrases émergent de nulle part«  : c’est la plus stricte vérité !.. Quelle jouissance ainsi rencontrée !

Et un peu différemment, encore,

en l' »épilogue » de 2o09-2010 _ rajouté pour cette « traduction« -« adaptation » française d’un livre qui avait été rédigé presque vingt ans plus tôt : entre 1990 et 1995 ; au moment de sa retraite (de son travail de « documentariste » à la BBC, en 1989) _ :


« En racontant ma vie une fois de plus en une autre langue _ en français, après l’anglais, cette fois _, je me suis découvert une perception du monde qui altérait _ et enrichissait _ la vision _ première _ que j’en avais vingt ans plus tôt _ en 1990. Certains événements n’avaient plus l’importance que je leur accordais en 1995 _ ou en 1989 ou 90… Des amitiés et des rencontres que je croyais emblématiques s’étaient fondues _ depuis lors _ dans l’ombre du temps.

Ainsi raccourci  _ ah! bon ! _ et réédité, Mémoires à contre-vent est un livre nouveau et très différent _ pour Peter le premier _ de Not Drowning, bur Waving.

Notre société et l’ordre du monde _ et nos regards (selon d’autres focalisations : neuves, plus perspicaces : c’est le gain du mûrir…) qui s’ensuivent… _ se sont profondément modifiés durant les vingt dernières années. Des systèmes totalitaires se sont écroulés, mais les droits de l’homme sont _ plus encore _ une vue _ seulement _ de l’esprit. Nous sommes encore bien loin du paradis terrestre où nous pourrions vivre en parfaite liberté, sans conventions hypocrites et libres de tout conformisme _ comme Peter l’a (ou l’avait) longtemps espéré…

Dieu nous est revenu _ de sa mort ! _ à travers deux conceptions qui sont une menace pour notre liberté : le fanatisme dérivé de l’islam et le zèle religieux d’une Amérique conservatrice _ jolie nuance… Dans certaines parties du monde, les bâtiments détruisent _ oui _ le paysage. Ailleurs, la terre _ livrée aux guerres de l’eau _ meurt de soif ; et les famines dues à la sécheresse chassent des populations entières _ émigrant _ de leur pays. Ils mettent leur vie en danger _ de se noyer _ pour traverser les mers à la recherche d’une existence meilleure dans un monde qui les rejette. Utopie mortifère _ combien !

Nous sommes tourmentés de toutes parts : la bêtise du pouvoir, l’imposture des politiques, les démocraties branlantes, la tyrannie des statistiques _ oui, oui, oui, oui ! _, l’omnipotence de la science _ et de ses expertises stipendiées _, l’absence _ veule _ de spiritualité, la fascination _ si niaise ! _ pour les people, cette triste pathologie de la vie moderne fondée sur la culture _ infantilisée _ du _ miséreux _ narcissisme.

Le superficiel règne en maître _ voilà ! Dans un monde obsédé par l’argent, il reste fort peu de place pour la métaphysique _ ou la poésie et le poétique… L’ennui général, très bien repéré par Hannah Arendt et Simone de Beauvoir, est devenu la condition humaine _ quasi générale sur la planète. Voilà pourquoi les gens ont désormais besoin d’être constamment _ et en pure perte _ divertis _ par l’entertainment (régnant à la télévision : même à la BBC ?..).

Il est devenu indispensable d’être joignable partout, à tout moment ; et cela se traduit par des heures de communication stériles _ c’est aimable _ via Internet ou les textos _ quelle sordide dérision !


La langue se banalise, le vocabulaire s’appauvrit ; nous sommes bombardés d’informations
_ et clichés _ ; mais le véritable échange d’idées _ condition de la vraie démocratie, pourtant _ est devenu bien rare. Les rapports épistolaires qui permettaient d’exprimer _ en la « formant«  vraiment _ la profondeur d’une pensée ou d’un sentiment _ plutôt que l’impact brut d’émotions _, ce magnifique plaisir _ certes _ de l’écriture, tombe en désuétude.


Trop de choses se ruent vers l’abîme
_ du nihilisme _ ; et je ne m’en console pas« , page 442…

A contrario, toutefois,

les « artistes » que Peter Adam a « eu le privilège de filmer » (et bien d’autres encore, aussi) « sont la preuve _ vive, vivante ! _ que l’humanité est encore et sera toujours capable de résister _ voilà ! _ à la conspiration _ grégaire _ de la médiocrité«  _ et de ses « statistiques«  ! pages 442-443.

Car « l’art nous donne accès _ en finesse et délicatesse _ à la richesse du monde dans ses dimensions _ qualitatives _ les plus complexes _ et diaprées : jusqu’au sublime…

La vie sans art n’est qu’une source _ minimalement _ tarie.

Seul le travail de l’esprit _ voilà _ peut nous offrir une existence plus vaste _ et libre en l’amplitude de ses mouvements _ que notre bref intermède biologique« , page 443 : bravissimo, M. Peter Adam !!!

La première partie du livre _ soient les chapitre 1 à 6, de la page 13 à la page 134 _ restitue le « terreau » de la génération de ceux qui ont été enfants sous le nazisme _ même si c’est non sans résistance critique dans le cas de la famille Adam, et de la mère, Louise, devenue veuve en 1935.

La seconde partie _ soient les chapitres 7 à 12, de la page 135 à la page 219 _ présente la période d’errances _ avec assez peu de boussoles _ cosmopolites (Paris, Rome, New-York, Londres) et les difficultés _ d’orientation _ de Klaus-Peter, puis Peter, avant de réussir à trouver le « dispositif » professionnel qui lui permettra de devenir véritablement lui-même ; et d’accomplir (en œuvres ! de partages) une « vocation« …

La troisième partie _ soient les chapitres 13 à 33 + l’« épilogue«  ajouté à la version française de la page 221 à la page 443 _ décrit l’éclosion (assez rapide : le chapitre 13 : « Témoin : Berlin, Biafra« , en 1968 et 69) et la maturation-maturité _ sereine _ de l’artiste-témoin :

et de son temps,

et des démarches de création des artistes ses contemporains (et souvent amis, vraiment !),

que sut devenir Peter Adam ;

avant de passer, in fine, à l’écriture _ puis la réécriture ! maintenant… _ du « témoignage » de son propre œuvrer…

Car très vite, dès 1969, « on avait demandé à James Mossman de reprendre la rédaction d’un magazine culturel hebdomadaire, Review, l’émission d’art la plus réputée de la BBC. (…) C’était l’occasion de rendre l’art accessible au plus grand nombre. Serait-il _ Jim _ capable de briser cette notion élitiste du bon goût qui dominait encore les reportages culturels de la BBC sans tomber dans le piège de la vulgarisation ou des généralisations _ tout Art est initiation à la singularité ! _ simplistes ?

Jim finit par accepter ce poste de rédacteur en chef, à condition que je l’accompagne dans cette aventure. Ce ne fut pas un choix facile, car j’aimais beaucoup les actualités. Je postulai donc pour ce nouveau travail, et fus embauché comme rédacteur en chef de cette émission artistique hebdomadaire.

Je venais de tourner une nouvelle page ; et un autre chapitre de ma vie commençait. J’avais quarante ans« , page 241.

Vont suivre vingt ans (1969-1989) de réalisations de films pour faire connaître _ en donnant à ressentir _ (par la BBC) le sens des créations artistiques modernes et contemporaines _ avec témoignages (= interviews ouvertes…) des créateurs, si possible, et documents audio et visuels à l’appui.

Ainsi _ parmi les projets entrepris et parfois avortés en chemin, ou effectivement réalisés et passés à l’antenne _ :

des émissions sur André Malraux (pages 243 à 245), Rudolf Noureev (245 à 248)

_ avec aussi, un reportage sur « Cuba : Art et révolution _ onze ans après » (249 à 257) _,

« Visconti au travail » pour Mort à Venise (259 à 267), Vladimir Nabokov (269 à 270), Andy Warhol (270 à 273), Doris Lessing (279 à 280), l’hommage, suite à sa mort par suicide, à James Mossman _ « J’intitulai l’émission To be a witness (« Être un témoin« )… _ (280 à 282), Borges (283 à 287)

_ avec, alors, la double décision, page 287, « de rester au département des Arts ; et de me consacrer à des films plus longs«  : c’est-à-dire moins courts ! afin de mieux rendre compte de ce qu’est la créativité singulière d’un artiste…

Hans Werner Henze (289 à 292), Man Ray (292 à 295), « Rêves royaux : Visconti et Louis II de Bavière« , à propos du tournage de Ludwig, le crépuscule des dieux (295 à 298)

_ avec, alors, une série de six émissions, « Eux et nous« , « sur l’art et la culture au sein des six pays fondateurs de la Communauté européenne » (pages 301 à 311) ; ainsi qu’une émission hebdomadaire consacrée au théâtre dans toute l’Europe (313 à 319) _,

« L’Esprit du lieu: la Grèce de Lawrence Durrell » (321 à  325)

_ la publication, en 1987, d’un livre de Peter Adam, « Eileen Gray, a biography » (paru aussi en traduction française, aux Éditions Adam Biro), consacré à son amie « la grande designer Eileen Gray«  qui vécut de 1878 à 1976 (327 à 333) _,

le « nouveau cinéma allemand » de Volker Schlöndorff, Wim Wenders, Werner Herzog, Hans Jürgen Syberberg et Rainer Werner Fassbinder (335 à 340), Jeanne Moreau (340 à 345), « Alexandrie revisitée : l’Égypte de Durrell » (347 à 351), Lillian Hellman et Lotte Lenya (353 à 367), « Diaghilev : une vision personnelle » (369 à 375), Edward Albee, « Un auteur dramatique face au théâtre » (385 à 388), David Hockney (388 à 394), une série consacrée aux « Maîtres de la photographie« , dont André Kertész, Alfred Eisenstaedt, Bill Brandt et Jacques-Henri Lartigue (395 à 407), « Richard Strauss « ressuscité » » (415 à 423) ; une dernière série (de 100 heures) consacrée à « L’Architecture au carrefour« , avec une trentaine d’architecte interviewés, dont I. M. Pei, Richard Rogers, Richard Meier, Norman Foster, Jean Nouvel et Arata Isozaki (page 425), « Gershwin « ressuscité » » (page 133), Buñuel (pages 433 à 434) ; et, pour finir, deux émissions d’une heure consacrées à « l’Art du troisième Reich » (435 à 438)…

Ces Mémoires à contre-vent (aux Éditions de La Différence) : un travail magnifique d’humaniste libre et exigeant !

« Passeur » de la poiesis des artistes ses contemporains les plus authentiques

par l’image filmique de la plus grande qualité ! dans le plus scrupuleux souci de l’intelligence du sens !

Bravo !

Titus Curiosus, ce 2 mai 2010

 

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