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De la latitude de faire comprendre la complexité de l’Histoire : l’éclairante conférence d’Emmanuelle Picard à propos de « La Fabrique scolaire de l’Histoire »

27mar

Jeudi soir dernier, 25 mars 2010, Emmanuelle Picard est venue présenter, dans les salons Albert-Mollat, le travail collectif qu’elle a co-dirigé, avec Laurence De Cock, et publié au sein de la collection « Passé & Présent » des Éditions Agone, et sous l’égide du « Comité de vigilance face aux usages publics de l’Histoire« , intitulé La Fabrique scolaire de l’Histoire _ ouvrage sous-titréIllusions et désillusions du roman national.

L’enregistrement écoutable et podcastable de cette conférence, avec la participation d’Alexandre Lafon, professeur d’Histoire-Géographie au Lycée Bernard-Palissy d’Agen et doctorant en Histoire, et Éric Bonhomme, professeur d’Histoire en Khâgne au Lycée Michel-Montaigne de Bordeaux et président de l’Association des Professeurs d’Histoire-Géographie d’Aquitaine ; et modérée par Francis Lippa, philosophe, dure 67 minutes.

Emmanuelle Picard est chargée de recherche au Service d’Histoire de l’Éducation de l’Institut National de la Recherche Pédagogique, à l’École Normale Supérieure. Elle a participé tout récemment à un important travail collectif européen _ qu’elle a très opportunément cité, et auquel elle a renvoyé, au cours de sa conférence _ : Atlas of the Institutions of European Historiographies _ 1800 to the Présent, publié aux Éditions Palgrave MacMillan, à Londres, en 2009 ; une référence à prendre en note : afin d’en faire usage !

Avec une magnifique clarté, ampleur et profondeur de vue,

Emmanuelle Picard nous a présenté les tenants et les aboutissants de ce travail collectif de huit chercheurs

_ Marc Deleplace (Comment on enseigne la Révolution française _ Quelques questions à l’écriture scolaire de l’Histoire),

Benoît Falaize (Esquisse d’une théorie de l’enseignement des génocides à l’école),

Charles Heimberg (Constructions identitaires et apprentissage d’une pensée historique _ L’Histoire scolaire en Suisse romande et ailleurs),

Évelyne Héry (Le Temps dans l’enseignement de l’Histoire),

Françoise Lantheaume (Enseignement du fait colonial et politique de la reconnaissance),

Patricia Legris (Les Programmes d’Histoire dans l’enseignement scondaire),

André Loez (La Fabrique scolaire de la « culture de guerre »)

et Marie-Albane de Suremain (Entre clichés et Histoire des représentations : manuels scolaires et enseignement du fait colonial) _,

présenté par les deux co-directrices de l’ouvrage Laurence De Cock (Avant-Propos ; II Quelle place pour les acteurs historiques dans l’Histoire scolaire ? Des prescriptions officielles aux manuels ; III Entre devoir de mémoire et politique de la reconnaissance, le problème des questions sensibles dans l’école républicaines et IV Pour dépasser le roman national) et Emmanuelle Picard (I Programmes et prescriptions : le cadre réglementaire de la fabrique scolaire de l’Histoire ; II Quelle place pour les acteurs historiques dans l’Histoire scolaire ? Des prescriptions officielles aux manuels et IV Pour dépasser le roman national ),

et pourvu d’une préface de Suzanne Citron (Un Parcours singulier dans la fabrique scolaire).

J’en ai d’abord retenu l’importance de la latitude plus ou moins accordée _ en marges de temps données et en diversité d’intensité de pression de l’étendue des programmes et autorité des prescriptions imposées _ aux professeurs d’Histoire (aux divers échelons de l’institution scolaire, mais principalement, ici, aux lycées et collèges)

et cela en fonction de la qualité _ parfois menacée ! _ de leur propre formation _ passée, certes (au moment de leurs études et de la préparation des concours de recrutement), mais aussi continuée ! _ universitaire

afin de leur permettre,

pas seulement de faire connaître et d’expliquer _ plutôt que de faire croire ou de faire savoir, au sens de « communiquer«  seulement ; comme tend à y inciter une instrumentalisation pressée (et pas assez authentiquement démocratique ! cf par exemple le livre de Nicolas Offenstadt L’Histoire bling-bling _ le retour du roman national, aux Éditions Stock)… _,

mais bien de faire comprendre, et dans toute sa complexité _ du moins en la respectant suffisamment, eu égard aux impératifs de transmission et de vulgarition des connaissances historiographiques mêmes, scientifiques (= celles des historiens eux-mêmes) _ ;

de faire comprendre, donc,

à leur élèves _ dans la diversité (et parfois grande hétérogénéité) de la composition des classes _

avec clarté,

mais sans simplifications abusives, ni généralisations faussement simplificatrices,

le sens (riche) du devenir historique collectif de l’humanité,

des hommes regroupés en États et Nations entretenant des rapports complexes, et souvent tragiquement (= violemment) conflictuels…

Et en s’efforçant de décentrer l’approche de cette intelligence (enseignée) du devenir collectif

de perspectives un peu trop nationalement centrées _ les échanges de la conférence ont confronté un traditionnel (et conservateur) franco-centrisme à un certain européo-centrisme (en chantier) ; mais aussi à une « global history« , ou, mieux, une « world history« _,

au profit d’une intelligence un peu plus critique _ ainsi qu’auto-critique ; ce qui n’est pas le plus facile… _ des propres représentations de départ de chacun (= représentations d’abord reçues et idéologiques : ce n’est certes pas une nouveauté à notre époque ; mais le poids des instruments de communication et de propagande leur procure une force d’impact d’autant plus considérable qu’inaperçue et reçue naïvement, sans assez d’interrogation ni de débat critiques)…

Tout cela demande, sinon beaucoup de temps (= d’heures d’enseignement pour la discipline), du moins une marge de latitude _ pédagogique : dans la conduite de l’heure de cours _ suffisante de l’enseignant afin de permettre

et avec une qualité suffisante

l’activité de l’effort de compréhension des élèves eux-mêmes,

dont l’attention et la curiosité _ c’est capital ! _ doit être mobilisée par l’enseignant en sa classe

au-delà de ce qui n’est que le travail _ de base _ du faire connaître, de l’expliquer

la complexité, déjà, du jeu des causes et des effets,

sans inciter à faire penser et/ou croire une détermination univoque et téléologique de ce devenir collectif des hommes

qu’est l’Histoire historique elle-même _ = l’objet même qui doit essayé d’être éclairé et compris par la discipline historienne.

Dans cette marge de latitude orientée vers le faire comprendre,

la part du questionnement _ épistémologique _ des historiens au travail (en amont, donc, de l’enseignement de la discipline de l’Histoire à l’école, par les professeurs d’Histoire en leurs classes _ et les professeurs devant impérativement y accéder eux-mêmes autrement qu’à travers des résumés rapides ! _),

n’est pas mince ;

ni celle des débats historiographiques _ Emmanuelle Picard l’a fort justement et très clairement évoquée à partir des exemples de la pratique scolaire de l’Histoire dans l’Allemagne d’aujourd’hui ; ou en Suisse romande, avec l’accent mis sur la préoccupation, aussi, des compétences à former des élèves _

au-delà de la seule érudition (à partager, donner, diffuser auprès des élèves)…


On voit bien la nature ici de ces enjeux pédagogiques
_ et au-delà d’une didactique plus ou moins mécanicienne ; ou du stress, tant des professeurs que des élèves…

Voilà ce à quoi le regard éminemment compétent, tant sur les enjeux pédagogiques (et citoyens) que de connaissance

et lumineusement éclairant _ et vivant ! _

d’Emmanuelle Picard

nous introduit

et dans le livre La Fabrique scolaire de l’Histoire qu’elle a et co-dirigé, avec Laurence De Cock, et publié dans la collection « Passé & Présent » aux Éditions Agone,

et dans cette belle et claire conférence donnée dans les salons Albert-Mollat jeudi 25 mars dernier ; et désormais écoutable par tous…

Merci à elle ! ainsi qu’à tous ceux qui ont été ses interlocuteurs…


Titus Curiosus, ce 27 mars 2010

Post-scriptum :

En un courriel à Emmanuelle Picard, j’ai apporté quelques précisions à cette idée de « latitude«  (à « faire comprendre la complexité de l’Histoire« ).

Le voici, tel quel :

Mon article est rapide et circonstanciel et ponctuel ;
je n’ai retenu qu’un trait : celui de la « latitude » (de).
Mais il est pour moi crucial…

La « latitude » (de), est un pouvoir ; une liberté (de pouvoir faire, ou ne pas pouvoir)…

Il me semble que c’est sur cela que vous avez voulu mettre l’accent dans votre regard
sur le « jeu » entre les programmes (prescriptifs, parfois jusqu’à l’autoritarisme…
_ eu égard aux horaires draconiennement fixés, tout particulièrement !..) et la marge de manœuvre du professeur
comme auteur de sa pratique d’enseignement…


C’est en cela qu’au-delà du concept de « roman national » (d’après Pierre Nora, vous l’avez rappelé _ dans le livre aussi, déjà : cf page 153 et suivantes ;

vous renvoyez aussi, en note, page 202, à votre article du n°113 de la revue « Histoire de l’Éducation« , en janvier 2007 : « Quelques réflexions autour du projet de l’European Science Foundation : « Representations of the Past : The Wrinting of National Histories in Europe« ),
c’est le concept de « récit » qui dérange au sein de la pratique pédagogique…

Mais vous avez bien distingué ce qui ressort de la connaissance en tant que telle, voire de l’érudition _ y compris chez les élèves _
et ce qui ressort des « compétences » à former ;
les unes allant, aussi, avec les autres…


Je n’ai pas pris le temps de développer des remarques là-dessus (le « récit« ), me contentant d’une allusion trop elliptique à l’œuvre de Ricœur ;
de même que je n’ai pas posé une question précise là-dessus _ ce que j’aurais fait si je n’avais pas eu à partager le questionnement avec mes collègues Alexandre et Éric… _ ;
mais ce moyen, voire cet objectif (pédagogique)-là fait problème pour le développement et la formation même de l’esprit critique des élèves,
face au cours et à ce qu’il donne à organiser (et connaître, expliquer et comprendre) des faits historiques…

Mais l’objectif de pareille conférence est principalement de donner le goût d’aller lire le livre dont il est question ;
de même que l’objectif du livre est de faire réfléchir et (se) questionner…

Et sur ces objectifs dynamiques, il me semble que nous avons été assez « positifs« ,
dynamisants…

La « latitude » est capitale, donc…
Chez le professeur, comme chez l’élève (et l’historien même).
Bref, chez l’homme.
Elle est gestuelle, physique
_ comme mentale.

Sur la spatialité et la joie qui s’y déploie, répand, étale, éclate,

cf le très beau livre de Jean-Louis Chrétien La joie spacieuse _ essai sur la dilatation

Bien à vous,

Titus

P.s. : vous ai-je parlé de « Versant d’Est » de Bernard Plossu (consacré au Jura, pour une expo à Besançon) :
il est superbe…
Poétique…

le bonheur vrai de la recherche : ce dont témoignent les « Journées du livre d’Histoire » de Nérac (I)

28oct

De la séance dite de « débats«  au Conseil Régional, alléchamment intitulés « La créativité et l’innovation au cœur de la relation homme / territoire dans un monde numérique« ,

en ce début d’après-midi de vendredi 23 octobre dernier ; « débats » (bien trop étiques ! ; de « débats« , il n’y eut guère que des « discours » ; sans réels échanges de « discussions« …) ; eux-mêmes consécutifs, il est vrai, à des séances d' »ateliers » consacrés au « numérique et la créativité en région« ,

je sortais un tantinet perplexe ;

à la fois heureux _ et plein d’espoir… _ qu’acteurs (« créateurs » peut-être ; « institutionnels« , surtout, probablement…) de la culture et « gestionnaires » de la mise en œuvre de « directives » _ forcément... _ des « décideurs » politiques de la « Région » _ la mienne ; et j’y suis très intensivement (ou charnellement) « attaché » !.. _ « prennent langue » ! et s’attellent à l’entreprise d‘aggiornamento de « la créativité et l’innovation » artistique et culturelle dans ma « Région »

_ même s’il faut bien (!) s’entendre sur le sens de tous ces mots, parmi l’emmêlement de tant de faux-semblants (et même carrément des « impostures » : sans être en rien un Savonarole, ni un « redresseur de torts« , j’ai le « goût » passablement exigeant et difficile, en ces matières de toute première importance, c’est-à-dire « civilisationnelle« , à mes yeux ;

ainsi que doit en témoigner, au fil des jours et des mois, ce blog-ci même ! ; de même que ma passion toujours aussi vivace d’« enseigner«  (et « vraiment » ! : suis-je encore naïf !..) le cœur de ce qui peut et doit faire sens pour un « humain« , versus l’absurde et l’imposture, encore ; et l’« in-humain«  !..) _,

à l’heure des bouleversements (formidables !) de la « révolution » du numérique ;

et des pressants appels _ cf Howkins et Florida, par exemple… ;

mais sont-ils d’incontestables « autorités«  en matière de « diagnostic«  comme de « propositions » (autres que pragmatiques : « civilisationnelles«  !) pour l’« époque«  ?.. _ à la « créativité » et à l' »innovation »

pour, déjà, au moins _ eux, les artistes _ ne pas mourir, survivre « économiquement » en cette « globalisation » (pour laquelle Bordeaux n’a, semble-t-il, déjà plus la « dimension » d’une « métropole » : il lui faudrait un million d’habitants, s’est-il dit…) ;

et peut-être _ surtout ! _ s’accomplir, s’épanouir : donner la fleur de l’œuvre…

Mais la « réussite » en ces matières (artistiques) est-elle affaire de « succès » et de « reconnaissance » publics _ et seulement « économiques« … : mais on me dira que c’est là d’abord une condition sine qua non d’« être« , au lieu de « ne pas être« _ ?..

La question s’impose à moi _ et j’ai « mes » réponses…

A la génération de mes enfants aussi, bien sûr…

Une vie (et ce qu’elle offre de potentialités à « réaliser« , ou pas…) étant si infiniment précieuse : que valent à ces égards les seuls étalons « sociaux » (et économiques) ?.. ;

j’étais, donc, à la fois heureux

mais aussi un tantinet perplexe ;

cf mon (court) billet d' »humeur » (du samedi matin : 07:23:13 ; juste avant de prendre la route, amusé, pour Nérac : j’y parvins vers 9 h15 ; le temps d’arpenter un peu la ville _ c’était jour de marché _ et de prendre un café…) à Bernard Stiegler _ avec lequel je n’avais pas pu « échanger » d’« impressions » : probablement, ce désir d’échanger « trois mots«  avec lui constituait-il la raison majeure de ma présence (incongrue, comme presque toujours…) à cette « rencontre » au Conseil Régional… _ ;

je doute un peu trop _ et par diverses expériences personnelles _, en effet, de la « positivité » de l’action de la plupart de ces « médiateurs » de l’Art et de la culture ; même s’il serait injuste de généraliser.

Ainsi en ai-je débattu le 5 septembre dernier à Paris, avec Nicolas Bomsel _ que je connaissais pas jusque là… _, au repas d’amis (dans un bistro du quartier) qui a suivi le merveilleux concert « Jacques Duphly » (cf le CD Alpha 150 : « Pièces de clavecin » de Jacques Duphly) d’Elisabeth Joyé à l’Hôtel de Soubise _ cf mon article du 9 septembre « merveilleux concert Duphly«  _ ; j’ignorais au départ que Nicolas Bomsel occupait de semblables fonctions (d' »institutionnel » de l’Art et de la culture) ; et œuvrait très positivement à l’éclosion de jeunes vrais talents…

Mais existent heureusement aussi de tels « médiateurs » d’Art et de culture passionnés et de grand goût ! _ et pas seulement (incultes, incurieux, dénués de passion d’Art) parasites…

Car existent, en effet, des Jean-Michel Verneiges, que j’ai rencontré à deux ou trois reprises, et davantage

_ à Saint-Michel-en-Thiérache et à Laon : il est et demeure (car la constance _ c’est une vertu ! _, et donc la permanence factuelle en la fonction, aussi, est considérablement importante en ces affaires ; contre la manie meurtrière et suicidaire tout à la fois ! des turn-over… des managers up to date !) « délégué à la musique«  au Conseil Général de l’Aisne ; et est l’heureux maître d’œuvre de la très belle collection de CDs de musique d’orgue « Tempéraments«  (bien que l’orgue Boizard de l’Abbatiale de Saint-Michel-en-Thiérache y soit sollicité, il est certes fort beau, un peu plus souvent que bien d’autres, demeurant, eux, encore, en leur singularité, « à découvrir » pour nos oreilles ; mais je ne veux pas être injuste : que de découvertes d’instruments merveilleux cette collection nous a permises et offertes !..) _

quand je fus « conseiller artistique » de « La Simphonie du Marais » ; et récitant _ quelles joies ! merci Hugo ! _ ; et aussi, plus encore peut-être, principal auteur d’un programme de disque (« Un Portrait musical de Jean de La Fontaine« , paru chez EMI en 1996 ; « programme » et disque dont je ne suis pas peu « fier« …) : la demi-semaine d’enregistrement du CD dans l’abbatiale de Saint-Michel-en-Thiérache, et le logement dans les cellules des moines de l’abbaye, du 25 au 28 août 1995, est peut-être un des « sommets » (de joie) de ma vie… quelle jubilation ! ;

je revis Jean-Michel Verneiges au concert de clôture de l' »année La Fontaine« , donné à Laon, le 14 décembre 1995 ; et j’avais été aussi récitant, en cette même superbe abbatiale de Saint-Michel, le 3 juillet 1994, pour un concert « Philidor » : Jean-Michel Verneiges m’avait bien « tuyauté » sur l’acoustique capricieuse de la nef (le CD « Marches, fêtes et chasses royales pour Louis XIV » de la Simphonie du Marais et Hugo Reyne fut enregistré courant juillet 1994, mais à la Maison de la Radio, quai Kennedy : j’y criai « la retraite ! la retraite » pour une bataille avec fanfare des armées du Roi-Soleil face aux troupes de Guillaume d’Orange)…

Je connais donc d’un peu près les difficultés des artistes à parvenir _ quelles courses d’obstacles pour eux ! _ à la réalisation matérielle (le livre, le disque, etc…) d’œuvres qu’ils « portent » pourtant si fort en eux… ; et à se battre au quotidien contre, souvent, de fausses hiérarchies _ artistiques, économiques, institutionnelles _ qui les réduiraient à la mort d’un quasi complet silence (d’œuvre !)…

J’ai aussi pour ami Jean-Paul Combet, le brillant et formidablement fécond créateur-éditeur du catalogue de CDs Alpha (que de merveilles s’engrangent pour les mélomanes de par le monde entier, ainsi !.. ; ainsi au Japon, par exemple, le succès d’Alpha est-il considérable…) ;

ainsi que créateur _ avec, à Arques, l’excellent Philippe Gautrot _ de l' »Académie Bach » d’Arques-la-Bataille _ tout à côté de Dieppe _, où se produisent chaque année, tout au long du jour et de la nuit _ parfois à l’aube même ; on éteint alors les chandelles… _, en une somptueuse semaine de musique de concerts (« magiques » !) se succédant les uns aux autres, la fine fleur des meilleurs musiciens ; dans la passion de l’excellence (de tous ; et de tout !)…

Et j’ai écrit pour Alpha des textes de livret de CDs dont je m’autorise, également, aussi, à être un peu « fier » :

par exemple celui du CD Alpha 017 « L’Orgue Dom Bedos de Sainte-Croix de Bordeaux« , par le très grand Gustav Leonhardt _ ma « présentation«  s’intitule : « La construction de l’orgue de Dom Bedos en l’abbatiale Sainte-Croix de Bordeaux sous la réforme mauriste » ; c’était en octobre 2001… _ ;

ou celui du CD Alpha 920, collection « Voce Umana » « Le Sermon sur la mort » de Jacques-Bénigne Bossuet, déclamé par Eugène Green _ ma « présentation«  s’intitule « Lecture de Bossuet : la traversée du mystère, le singulier du Présent«  ; des sous-parties ont à leur tour des titres ; les voici : « Dans le siècle et au milieu du monde _ chronique du temporel«  et « Poétique baroque de la Présence : la fraîcheur du vent dans les plis«  ; c’était en septembre 2002 ; et tout cela est parlant… 

J’en viens, enfin, au fait _ ma venue aux « Journées du Livres d’Histoire » de Nérac, samedi 24 octobre dernier, donc _ ;

ou plutôt, d’abord _ encore ! _, au « concours de circonstances » _ où participe l’amitié ! _ qui l’a permis :

ma décision, vendredi soir 23 _ il allait faire beau la journée du samedi… _ de répondre favorablement aux aimables invitations _ par mails _ de Céline Piot et Alexandre Lafon aux secondes « Journées du livre d’Histoire » de Nérac de ce 24 octobre 2009,

notamment à (et pour) l’occasion de la parution des « Actes du colloque d’Agen & Nérac (14-15 novembre 2008) La Grande Guerre aujourd’hui : Mémoire (s), Histoire(s)« , publiés par les Éditions d’Albret & l’Académie des Sciences, Lettres et Arts d’Agen ; et sous la direction d’Alexandre Lafon, David Mastin et Céline Piot…

J’avais joint vendredi soir au téléphone Alexandre Lafon pour lui demander et les horaires (10h-18h) et la localisation (la salle des Écuyers, en sous-sol du château de Henri IV) de la manifestation.

Car j’avais assisté le 14 novembre 2008 à une partie des contributions (remarquables !) de ce colloque, dans la salle des Illustres de l’Hôtel-de-Ville d’Agen :

j ‘y venais principalement saluer l’ami Alain Paraillous,

pour lequel j’avais rédigé, en 1998 _ du temps que je me démenais (jubilatoirement !) comme « conseiller artistique » de « La Simphonie du Marais » en Aquitaine _, un article : « La bibliothèque musicale des ducs d’Aiguillon _ un aperçu historique« ,

soit une passionnante

au moins pour moi ! j’y ai tellement appris ;

et de ce qui ne se trouve pas à recevoir passivement _ « informationnellement«  ou « communicationnellement« , seulement, dirais-je ; à quoi réduisent tout, hélas, les « pressés«  _ ;

et de ce qui ne se trouve pas à recevoir passivement, donc,

de la simple lecture, ou de la simple compilation, de la plupart des livres : il faut, en effet, procéder « en esprit« , dirais-je _ c’est là tout le sel, le piment, et bien d’autres savoureuses épices, ainsi que toute la fécondité de la démarche de la « recherche » : l‘ »enquête«  !!! _,

procéder, donc, à de très riches « mises en connexions » _ au pluriel _ de myriades de données _ toujours au pluriel _, que seule l’enquête « rassemble » et vient enfin « faire parler« … : activement et inventivement !

et viennent alors, comme une grâce non recherchée, comme en « surplus« , les « découvertes » !!!

soit une passionnante

découverte de la « constitution de la bibliothèque musicale de trois générations de Ducs d’Aiguillon«  (portant sur la fin de la période de la musique baroque en France et ce qui lui succède : tout au long du siècle…),

pour un colloque consacré aux Ducs d’Aiguillon, tenu (et superbement organisé par Alain Paraillous et toute son équipe) à Aiguillon le 19 septembre 1998…

L’article passe en revue les « acteurs » (tous trois mélomanes passionnés) de cette collection de musique constituée pour l’essentiel à Paris _ tout au long du siècle !.. _, et transportée au château ducal d’Aiguillon lors de l’exil forcé _ le 16 mai 1775 _ du second duc, le ministre _ « ministre principal » = le chef du gouvernement : rien moins !.. du 6 juin 1771 au 2 juin 1774 _ de Louis XV, à la suite de la mort du roi qu’il servait (et de la disgrâce qui s’ensuivit pour lui : la reine Marie-Antoinette lui en voulait spécialement de son amitié pour la Du Barry…) ; puis « entreposée et remisée » (et longtemps ignorée et à l’abandon, dans un grenier du Théâtre…) à Agen, au moment des troubles de la Révolution : soient les trois ducs d’Aiguillon, Armand-Louis Vignerod du Plessis Richelieu (1683-1750), Emmanuel-Armand (1720-1788) et Armand-Désiré (1761-1800) ;

l' »enquête » pour cet article m’a ainsi (amplement ; généreusement !) donné à « découvrir » toute une vie et musicale et musicienne, foisonnante, au XVIIIème siècle (à Paris, du moins : le « centre du monde » des Arts et de la Culture alors _ cf le très riche livre de Marc Fumaroli « Quand l’Europe parlait français » (aux Éditions de Fallois ; ou en Livre de poche…) ; comportant les activités : services, concerts, publications d’œuvres, voyages par toute l’Europe, d’une myriade de musiciens (dont la musique était d’abord le gagne-pain !) ; ainsi qu’une très intense vie musicale elle-même : tant les concerts privés dans les hôtels particuliers et les châteaux _ pas seulement à la cour du roi ; à Versailles _ que les concerts publics _ qui se développèrent à partir de la création du « Concert Spirituel« , en 1725 _ ; etc…

Soit une mine très riche de « découvertes » ; et que je peux entrecroiser aussi avec la vie (et les œuvres) philosophique(s) riches, elles aussi, en ce siècle (ainsi, d’ailleurs, qu’au précédent…).

L’article parut dans le n°1 de l’année 2000, aux pages 39 à 50, de la « Revue de l’Agenais«  (publiée, elle aussi, par l’Académie des Sciences, Lettres et Arts d’Agen…) ;

A ce colloque du vendredi 14 novembre 2008, dans la Salle des Illustres de l’Hôtel-de-Ville d’Agen,

je venais donc saluer l’ami Alain Paraillous,

mais aussi rencontrer Georgie Durosoir,

que je connaissais depuis le temps de mes recherches baroqueuses pour « La Simphonie du Marais » et Hugo Reyne, notamment lors de mon travail autour de l’activité _ pionnière : par sa « passion de la musique« , La Fontaine est en quelque sorte l’initiateur de la critique (et de l’esthétique) musicale en France ; rien moins ! mais qui le sait ? qui s’en soucie ?.. Que l’on consulte ma présentation du « Portrait musical de Jean de La Fontaine« , aux pages 9 à 14 du CD EMI 7243 5 45229 2 5, de 1996, pour qui le déniche !!! _ en faveur de la musique de Jean de La Fontaine ; de ses rapports avec Marc-Antoine Charpentier, etc… ;

mais que j’avais « re-contactée » à l’occasion de la publication, par l’entremise de ses soins (filiaux !) ainsi que ceux de son mari, Luc Durosoir, de cette « merveille des merveilles de musique » que sont les trois « Quatuors à cordes » de Lucien Durosoir (1878-1955), interprétés au disque par le Quatuor Diotima : CD Alpha 125. Œuvres du niveau _ pas moins !!! _ des « Quatuors » de Debussy et de Ravel ! Et je pèse mes mots !

Cf mes deux articles à la réception du CD, en juillet 2008 : « musique d’après la guerre« , le 4 juillet, et, le 17 juillet, « de la critique musicale…« … ;

mais aussi, encore (et beaucoup !),

parce que le champ exploré par les contributeurs à ce colloque d’Agen « La Grande Guerre aujourd’hui : Mémoire (s), Histoire(s)« 

me passionne ;

cf mon article sur le magnifique roman (sur la guerre aujourd’hui) « Zone » de Mathias Enard : « Émerger enfin du choix d’Achille« …

La guerre est une question capitale !

La comprendre, l’analyser est ainsi proprement essentiel !


Et celle de 14-18 fut le suicide de notre Europe !!! Et nous n’arrivons toujours pas à nous en remettre…


Au milieu des gazes, paillettes et autres « miroirs aux alouettes«  abrutissants de la « Foire aux vanités » de l' »entertainment » débridé des écrans !..

J’interromps ici ce qui n’est donc que le « prologue« , ou le « prodrome« , de l’article que je veux consacrer à l' »amour vrai de la recherche« 

que j’ai, de fait, rencontré (« incarné » en quelques personnes particulièrement remarquables !) à ces secondes « Journées du livre d’Histoire » de Nérac, samedi 24 octobre dernier (de 10 heures à 18 heures),

notamment auprès des « Amis du Vieux Nérac« 

(dont Hervé-Yves Sanchez Calzadilla _ avec lequel j’ai eu une conversation à table, et après, qui m’a passionné : au repas très convivial au restaurant « La Cheminée«  _, Hubert Delpont et Céline Piot)

et des auteurs invités à ces « Journées«  (dont le général André Bach) ;

je vais, bien sûr, détailler cet « essentiel« -là…


Un chaleureux merci à Alexandre Lafon et à Céline Piot de m’avoir fait signe…

L’article principal (II) dont celui-ci (I) n’est donc que le « prologue« , va immédiatement le suivre ;

et sa lecture pourra se passer de celle de ces trop longues prémices…


Titus Curiosus, ce 28 octobre 2009

Un modèle de « leçon de musique », à l’occasion de la mort de Maria Curcio, « pianiste italo-brésilienne », à Cernache do Bonjardim (Portugal)

20avr

Un bel article d’Alain Lompech, « Maria Curcio, professeur de piano italienne« , dans le Monde (du jeudi 16 avril _ je ne m’en étais pas encore avisé _,

à l’occasion de la disparition, ce 30 mars dernier, à l’âge de 88 ans, de la pianiste (et longtemps professeur de piano) italo-brésilienne, Maria Curcio, à « Cernache do Boa Jardim » _ ou plutôt Cernache do Bonjardim _, au Portugal ;

et qui nous aide à un peu mieux

(= plus finement ; avec les « petites oreilles » d’Ariane« ,

dirait Nietzsche, qui s’y entendait ;

cf, entre autres, « Les Dithyrambes de Dyonisos« , par exemple dans « Dithyrambes de Dyonisos _ poèmes et fragments poétiques posthumes : 1882-1888« , in « Œuvres philosophiques complètes« ), soit l’édition Colli-Montinari, aux Éditions Gallimard, en 1975 ;

ainsi que, plus largement, quant à la finissime sensibilité auditive de Nietzsche :

de François Noudelmann, « Le Toucher des philosophes : Sartre, Nietzsche, Barthes au piano » ;

+ mon article sur ce grand livre, du 18 janvier 2009 : « Vers d’autres rythmes : la liberté _ au piano aussi _ de trois philosophes de l’”exister« ) ;

et qui nous aide à un peu mieux percevoir

et ce que peut être (à son plus beau) la musique ;

et, peut-être davantage encore (même si les deux sont consubstantiellement liés) :

ce qu’est son apprentissage et sa transmission (délicates et magnifiques, à leur meilleur) :

de professeur à élève, comme d’élève à professeur

_ et c’est aussi un échange tant mutuel que réciproque !

Quel miracle qu’existent encore de telles rencontres entre de tels professeurs (de musique) et de tels élèves (musiciens) !!! Cela va-t-il durer ?..

Au nombre des élèves de ce très grand professeur, on peut répertorier, entre autres _ et classés par ordre alphabétique (ce que fait « The Guardian« ) _, Pierre-Laurent Aimard, Martha Argerich, Myung-Whun Chung, Barry Douglas, José Feghali, Leon Fleisher, Peter Frankl, Claude Frank, Anthony Goldstone, Ian Hobson, Terence Judd, Radu Lupu, Rafael Orozco, Alfredo Perl, Hugh Tinney, Geoffrey Tozer et Mitsuko Uchida : excusez du peu…


Comme un exemple, cet article très émouvant d’Alain Lompech

_ et donc bien davantage qu’une métaphore belle (ou même commode) _

de ce qu’est l’Art, la Culture (incarnée, vivante, créatrice et nourrisante, tout à la fois _ pas sclérosée, ni mortifère ;

pas « asphyxiante« , comme s’en inquiétait Jean Dufuffet,

éperdument en quête de toujours plus de « fraîcheur » et de « liberté » de création, lui,

in « Asphyxiante culture« , en 1968 ; cf aussi, du même : « Prospectus aux amateurs de tous genres« , en 1946 ; et « L’Homme du commun à l’ouvrage« , en 1973) ;

un Art et une Culture inspirants !

afin de prolonger de ses gestes (et peut-être même, parfois, d’œuvres, ou de « performances », telles que « jouer une œuvre de piano ») les plus beaux mouvements de la Nature, se déployant toujours, elle, même si c’est très lentement

_ les Chinois le savent particulièrement mieux que nous

(cf l’ami François Jullien : « Penser d’un dehors (la Chine) : Entretiens d’un Extrême-Occident » _ avec Thierry Marchaisse ; ou, plus récemment : « Les Transformations silencieuses _ Chantiers 1« ) ; sans compter, sur l’Art même, le très nécessaire « La grande image n’a pas de forme _ à partir des arts de peindre de la Chine ancienne« , qui vient de paraître très utilement en édition de poche (en Points-Seuil)…

Car au-delà de la « Natura naturata« , c’est à la « Natura naturans » qu’il importe de « se brancher »,

de connecter en souplesse (et si possible, avec grâce) ses « branchies » ;

afin que bientôt s’agite en musique le feuillage frémissant de toutes ses « branches » tendues vers le ciel, vers la lumière du jour, au dessus du tronc, et en largeur épanouie, et proportionnellement, aussi _ ne pas le perdre de sa « vue mentale » _,  à l’extension, toujours en acte, elle aussi, de ses racines, dans l’humus noir (toujours un peu pourrissant) d’un sol activement fertilisant _ qu’il faut aussi entretenir, fertiliser : par une vraie éducation (et pas un dressage) et une vraie culture : véritablement inspirante ; car, nous, Humains, sommes bien incapables de créer à partir de totalement rien ; la création réclame l’humilité d’apprendre du meilleur d’autres…


Sur ce point, je rejoins, bien sûr, les positions de mon ami Bernard Collignon _ même si son style est assez loin du mien : chacun fait comme il peut !.. selon l’histoire de sa sensibilité _ en son numéro 76 de sa revue « Le Singe Vert« , consacré à « L’Education Nationale«  (c’est le titre de cette « livraison » : l’article fait 11 pages ; contact : colbert1@wanadoo.fr ) :

scandaleusement pauvre, l’institution, en initiation artistique ; au lycée tout particulièrement… Cherchez l’erreur des Politiques (et des Administratifs _ qui obéissent, statutairement). Car c’est bien, à la racine, une affaire de choix politique…

Nous sommes assez loin, en France, de la finesse et justesse de projet (« Yes, we can« ) civilisationnel de la hauteur de vues d’un Barack Obama, lequel n’a pas été, pour rien, et assez longtemps

_ avant de rechercher, par l’engagement politique, justement, davantage d’efficacité à cette action-civilisationnelle-là ! _

« travailleur social » dans des quartiers difficiles de Chicago

_ cf son très très beau « Les Rêves de mon père _ l’histoire d’un héritage en noir et blanc »

(cf, ici, mon article du 21 janvier 2009 ; « Les “rêves” de Stanley Ann Dunham, “la mère de Barack Obama, selon l’article de Gloria Origgi, sur laviedesidees.fr « )…

L’objectif, auquel Barack Obama est fidèle

(cf mon autre article, du 10 janvier 2009 : « L’alchimie Michelle-Barack Obama en 1996 ; un “défi”politique qui vient de loin« ),

ne semblant pas, pour ce qui le concerne, lui _ nous allons bien voir _, de s’offrir ostensiblement (à soi) des Rolex et des croisières sous les Tropiques, en fréquentant, prioritairement, les fortunés de Wall Street ; ou les « people« …

Fin de l’incise Obama ; et retour à l’apprentissage artistique, à partir de (et selon) l’article d’Alain Lompech : « Maria Curcio, professeur de piano italienne« …

Écologiquement, les métamorphoses

des organismes (individuels) se nourrissent _ nécessairement ! _ de l’interconnexion, infinie (inassouvissable, tant que l’on est vivant !), de ces échanges (d’eux, organismes _ en commençant par leur estomac !) avec l’altérité riche et dynamisante d’autres « éléments » excellents (que soi ; et pour soi) ;

à commencer par cette forme plutôt unilatérale d’échange qu’est la prédation (unilatérale : tueuse…) !!!


Je reviens à la disparition, le 30 mars, de la pianiste-professeur de piano _ et professeur (plus encore) de musique (via la musicalité) : Maria Curcio.

Certes, disparaître, s’éteindre, à « Cernache da Boa Jardim« 

_ ou plutôt Cernache do Bonjardim, semble-t-il ; pas très loin de Pombal et de Tomar ; et Leiria, et Coimbra _

n’a pas nécessairement, à soi seul, tout du moins, grand sens

_ même pour une femme (au-delà de l’artiste en elle) dont la mère était brésilienne (de Sao Paolo ; et donc de langue portugaise : avec des intonations de la parole encore plus douces et chantantes qu’au Portugal ; au Brésil, veux-je dire) _ ;

mais tout de même : je veux y voir des filiations esthétiques, d’aisthesis ;

surtout pour quelqu’un (toujours au-delà de l’artiste en elle) dont, aussi, le père était italien…

Il n’est, encore, que de suivre, la liste des lieux _ selon cet article, déjà, d’Alain Lompech _ où a vécu Maria Curcio, de sa naissance à Naples, le 27 août 1920, jusqu’à sa disparition, le 30 mars dernier, à Cernache do Bonjardim :

_ Naples, d’abord, cette ville exceptionnellement musicale _ je me suis un peu penché sur la vie musicale à Naples au XVIIIème siècle, au moment de la préparation du CD Alpha 009 du « Stabat Mater » de Pergolèse par le Poème Harmonique de Vincent Dumestre _ ce qui m’a permis de faire la connaissance de Pino De Vittorio et Patrizia Bovi (extraordinaires artistes ! napolitains !) _ ;

_ Tremezzo, sur les bords du lac de Côme, où Maria Curcio allait recevoir des leçons de piano d’Artur Schnabel (1882-1951) entre 1935 et 1939, alors qu’elle était encore « enfant »… ;

_ Paris, où elle est élève, toujours encore « enfant », de Nadia Boulanger ;

_ Londres : elle y débute en février 1939 _ à l’« Aeolian Hall« , New Bond Street, en un programme « Beethoven, Mozart, Schubert et Stravinsky » : « La clarté latine fut la caractéristique première du jeu pianistique de Mademoiselle Maria Curcio de Naples« , commenta le chroniqueur musical du « Times« … _ ; avant de s’y installer durablement _ dans le quartier de Willesden _, avec l’aide de Benjamin Britten, comme « maître » de piano, en 1965 : Annie Fischer, Carlo-Maria Giulini et Mstislav Rostropovich lui envoient de nombreux étudiants, qu’elle  fait travailler « pas à pas« , au rythme qui convient vraiment à l’apprentissage de l’Art ; et avec l’exigence radicale de la qualité des « fondations » _ plutôt que d' »entreprendre la construction du bâtiment par le toit« … ; « Ne vous précipitez-pas !«  était son commandement (schnabelien) le plus constant ! ; « Ouvrez vos bras, et embrassez le monde !« , disait-elle aussi… « Ma tâche de pédagogue est de les libérer d’eux-mêmes«  disait-elle encore à propos de ses élèves : soit le nietzschéen « Deviens ce que tu es« , en suivant le conseil : « Vademecum, vadetecum » (in « Le Gai savoir« , les deux…)… Et, en rappelant le « but » (de l’artiste _ vrai !), elle disait aussi, après Artur Schnabel, qu’« en Art, aucun compromis n’est possible«  : voilà une excellente école : que celle de la plus haute vérité (et justesse)…

_ Amsterdam où elle passe les années de la seconde guerre mondiale, dans des conditions particulièrement difficiles (de logement, de sous-alimentation et terrible faim, de danger permanent) ; et qui altèrent irrémédiablement sa santé (tuberculose grave ; très grandes difficultés à marcher ; longues rééducations ; difficultés (jusqu’à l’incapacité) de se produire désormais en concert _ le dernier sera en 1963) ;

_ Edimbourg, où son mari avait brillamment « assuré » le rayonnement international du Festival de musique ;

_ Leeds, où elle est un membre actif du jury du concours de piano ;

_ le Portugal _ Cernache do Bonjardim _, où elle résidait depuis 2006, assistée de sa gouvernante Luzia…

Nécrologie

Maria Curcio, professeur de piano italienne

LE MONDE | 16.04.09 | 16h34

La pianiste Maria Curcio est morte le 30 mars, à Cernache do Boa Jardim (Portugal). Elle était âgée de 88 ans.

« Ton pouce ! » : de la cuisine où elle préparait les pâtes pour Laurent Cabasso, Maria Curcio avait entendu que le pianiste avait mis un mauvais doigté. Et des sucres lents, il allait en avoir besoin car, comme le dit ce musicien : « Quand Maria faisait travailler un élève, elle ne lâchait jamais prise, jusqu’à ce qu’elle obtienne _ voilà ce qu’est l’exigence _ ce qu’elle voulait. Le temps n’existait plus _ rien que l’éternité : qu’offre en effet la rencontre avec (et l’interprétation de) l’œuvre d’art ! On sortait épuisé _ mais heureusement : avec béatitude  _ de la leçon qui pouvait durer du matin au soir _ la durée étant celle (qualitative) de l’œuvrer, pas celle du temps (quantitatif et mécanique) physique de l’horloge (cf là-dessus les analyses de Bergson). Et quand elle se mettait au piano pour donner un exemple, c’était indescriptible _ en son « éclat » (plotinien)…  _ de beauté. Ce qui nous inspirait _ « L’artiste est moins l’inspiré que l’inspirant« , dit quelque part Paul Eluard… Des années après _ ces « leçons«  de Maria Curcio _, ce grand artiste dit que les séances de travail avec Maria Curcio ont changé sa compréhension du piano : « C’est difficile à expliquer, mais d’avoir travaillé avec elle fait qu’aujourd’hui je ressens dans mes muscles, dans mes mains, dans mes doigts chaque son joué par un autre pianiste _ voilà où porte la qualité de l’attention (ici l’écoute !), en son accueil exigeant et vrai de l’altérité ! _, ce qui me permet de mieux comprendre _ oui ! à côté de tant de surdité et d’inintelligence ; de tant d’in-attention ! _ les problèmes de mes _ propres _ élèves. »

Avant de devenir professeur, Maria Curcio avait donné des concerts. Née en Italie, à Naples, le 27 août 1920, d’une mère brésilienne _ et juive _ (Antonietta Pascal, pianiste et élève de Luigi Chiaffarelli, 1856-1923, à Sao Paulo) et d’un père italien _ homme d’affaire aisé _, Maria Curcio sera une enfant prodige _ apprenant le piano dès l’âge de trois ans, en 1923, et se produisant en de petits concerts dès l’âge de cinq ans, en 1925… Dotée d’un caractère ferme : elle refusera de jouer pour Benito Mussolini à qui elle _ elle avait sept ans, en 1927 _ trouvait une sale tête. Elève de Carlo Zecchi (1903-1984 _ lui-même élève d’Artur Schnabel _) _ ainsi que d’Alfredo Casella _, elle sera présentée à Artur Schnabel qui ne prenait jamais d’enfants parmi ses élèves. Il fera une exception.

Chaque été _ à partir de 1935, elle a quinze ans _ jusqu’au départ de Schnabel pour les Etats-Unis où, juif, il sera contraint de s’installer, Maria Curcio travaillera avec le grand pianiste dans sa maison _ de Tremezzo _ du lac de Côme (Italie) _ « un des plus grands talents que j’ai jamais rencontrés« , dira-t-il d’elle… A Tremezzo, elle accompagne aussi les chanteurs auxquelles Thérèse Behr, l’épouse d’Artur Schnabel et interprète reconnue de lieder, prodigue ses leçons ; et apprend aussi énormément d’elle (et du chant). Elle prend, encore, des leçons auprès du maître Fritz Busch… Elle sera également l’élève de Nadia Boulanger, à Paris. Quand Maria Curcio arrivait, la mère de l’illustre professeur disait à sa fille : « Ouvre la porte quand la petite Italienne joue…«  Mariée _ au lendemain de la guerre, en 1947 _ à Peter Diamand _ (autrichien ; né à Berlin, le 8 juin 1913 ; et mort à Amsterdam, 16 janvier 1998) qui avait été à partir de 1934 et jusqu’en 1939 le secrétaire particulier d’Artur Schnabel (ils avaient fait connaissance à Amsterdam) ; et juif, lui aussi ; avec lequel elle quitte Londres pour gagner Amsterdam en 1939, où Peter Diamand résidait et où il avait des projets de Festival (elle divorcera de lui, à l’amiable, en 1971 : son mari n’ayant pas su assez « résister«  à un penchant pour Marlene Dietrich ; mais ils demeureront « bons amis« ) _ qui sera le fondateur du Festival de Hollande _ où il exercera les plus hautes responsabilités de 1946 à 1973 _ et du Festival d’Edimbourg _ de 1965 à 1978 _, après la seconde guerre mondiale, Maria Curcio passera les années d’occupation à Amsterdam. Catholique, elle pouvait gagner quelque argent afin de nourrir son mari et la mère de celui-ci, qui se cachaient des nazis dans un réduit _ une soupente en un grenier.

De tous les élèves de Maria Curcio, Jean-François Dichamp est sans aucun doute celui qui en fut le plus proche, avec Rafael Orozco (1946-1996). Il raconte qu’elle lui avait dit « avoir souffert terriblement à Amsterdam, où l’on crevait de faim bien plus qu’à Paris ». Pendant la guerre, elle attrape la tuberculose qui met un terme à sa carrière _ d’interprète de concert virtuose. Elle sera donc professeur.

« LA MUSIQUE PARLAIT »

Lui-même enfant prodige (il jouait le rôle de Mozart enfant dans le film de Marcel Bluwal au côté de Michel Bouquet), Dichamp a vécu chez Maria Curcio à Londres pendant deux années. Il a pu voir et entendre les leçons qu’elle donnait aux nombreux étudiants qui passaient chez elle. Chaque samedi, elle recevait amis musiciens, élèves, anciens élèves dans son appartement londonien pour des soirées musicalo-amicales où il arrivait qu’elle se mette au piano. « C’était incroyable, le son était grand, jamais forcé, la musique parlait. Nous étions tous fascinés quand elle jouait les « Scènes d’enfants« , l’« Arabesque«  de Schumann, ou un nocturne de Chopin.« 

Pas loin de là, dans les années 1970, vivaient dans une grande maison les pianistes Martha Argerich, Nelson Freire, Rafael Orozco, la violoncelliste Jacqueline Dupré, les chefs d’orchestre Daniel Barenboïm, Youri Temirkanov, la violoniste Iona Brown. Ils formaient un phalanstère informel autour de cette musicienne aux conseils avisés, sans en être tous les élèves. Maria Curcio était très proche du compositeur Benjamin Britten _ et de son ami Peter Pears _ comme elle l’était du chef d’orchestre Carlo Maria Giulini et de la pianiste hongroise Annie Fischer _ elles passaient des nuits au téléphone ! _ mais aussi de Szymon Goldberg, Otto Klemperer, Josef Krips, Pierre Monteux et Elisabeth Schwarzkopf ; ou encore Charles Dutoit…

Pour Jean-François Dichamp, Maria Curcio apprenait à « avoir une relation entre le son et la main pour traduire une idée avec la palette sonore la plus large possible ». Elle apprenait « la continuité du discours. Une phrase respire _ c’est capital ! _ si on lui donne le souffle, sa respiration. Inspirer, expirer. La phrase doit avoir une continuité, une fin et un début » _ à comparer au chant : chez Mozart, chez Chopin…

Ses cours duraient le temps qu’il fallait _ idéalement. Ils n’étaient pas gratuits, mais quand l’élève n’avait pas les moyens de payer et que Maria Curcio pensait qu’elle pouvait lui apporter quelque chose, il n’était plus question d’argent entre eux _ voilà la générosité.

De l’Irlandais de Paris Barry Douglas au Roumain Radu Lupu, la liste des _ grands _ pianistes passés chez Maria Curcio est longue. Aux noms déjà cités, il faudrait ajouter ceux de Pierre Laurent Aimard, de Jean-François Heisser, de Marie-Josèphe Jude, d’Éric Lesage, d’Huseyin Sermet et de tant d’autres.

Alain Lompech

Un autre de ses élèves, le pianiste Niel Immelman, dit que pour Maria Curcio, « il n’y a pas de différence entre la musique et la technique«  : un « beau son » en tant que tel est sans intérêt pour elle ; ce qu’elle cherche, c’est « un son faisant accéder à l’essence même de l’œuvre« , en « vérité« … Aussi recommandait-elle chaudement d’étudier aussi la musique à (un peu de) distance de l’instrument : « nous devons écouter ce que nous regardons ; et regarder ce que nous écoutons«  ; et elle était extrêmement précise (et pratique, ou pragmatique) dans l’enseignement des aspects physiques du jeu même de piano. Et sa volonté très ferme savait s’adapter à la singularité de chacun des élèves _ n’est-ce pas la clé du succès de tout enseigner ? _ ; de même que sa générosité énorme _ ce qu’elle donnait sans compter d’elle-même _ témoignait de la profondeur de son désir d’apporter vraiment aux autres…

Le répertoire austro-allemand était central dans son enseignement, mais, grâce à son travail avec Alfredo Casella _ et avec Nadia Boulanger ! _ elle se trouvait « également » chez elle dans la musique française. Tout comme dans l’idiosyncrasie radicale de Leoš Janáček…

Et ses curiosités débordaient largement la musique _ cela me rappelle la personnalité de Gustav Leonhardt, lui aussi un « maître » de musique particulièrement attentif à la singularité de chacun de ses élèves (cf Jacques Drillon : « Sur Leonhardt » ; ainsi que mon article du 15 mars 2009 : « Du génie de l’interprétation musicale : l’élégance exemplaire de “maître” Gustav Leonhardt, par le brillant talent d’écriture (et perception) de Jacques Drillon« )…

Maria Curcio disait aussi, à propos de ses relations, parfois un peu complexes, avec certains « grands artistes« , et de son propre tempérament, en digne discipline du grand (et merveilleux : d’humanité) Artur Schnabel : « Vous ne pouvez pas être l’ami de tous les grands artistes, parce que tous les grands artistes ne sont pas de grands humains« 

Une belle « leçon de musique » ;

et de « grandeur » : simples…

Titus Curiosus, ce 20 avril 2009

Le « n’apprendre qu’à corps (et âme) perdu(s) » _ ou « penser (enfin !) par soi-même » de Dominique Baqué : leçon de méthodologie sur l’expérience « personnelle »

23déc

Retour réflexif sur la lecture de

E-Love _ petit marketing de la rencontre“, par Dominique Baqué, aux Éditions Anabet ;

de Méfiez-vous, fillettes d’Yves Michaud, en son blog « Traverses » (sur le site de Libération) ;

ainsi que de mon propre « Le “bisque ! bisque ! rage !” de Dominique Baqué (”E-Love”) : l’impasse (amoureuse) du rien que sexe, ou l’avènement tranquille du pornographique (sur la “liquidation” du sentiment _ et de la personne)« , mon article tout frais d’hier soir, sur ce même blog, « les carnets d’un curieux« …

Ma perspective, cette fois, « réflexive« , sera méthodologique ;

et portera

_ dans la perspective du « se conduire »

(et « conduire« , comme faire se peut, et tant bien que mal, à la va comme je te pousse, « sa vie« ) _

sur les modalités de l' »apprendre » ;

je veux dire de l' »apprendre par soi« ,

et seulement (= rien que !) à son corps

_ « corps et âme« ,

ainsi que le dit Nietzsche en son important « Des contempteurs du corps« , du début d’« Ainsi parlait Zarathoustra » _ ;

sur les modalités de l' »apprendre par soi« , donc,

et seulement (= rien que !!!) à son corps _ « corps et âme« , donc _ défendant…

Ainsi que le pratique Dominique Baqué elle-même

dans son (très) courageux et rageur _ ou rageur et (très) courageux _ « E-Love » : « petit marketing de la rencontre« ,

ainsi qu’il est sous-titré sur la couverture du livre ;

ou encore « E-Love » : « Amours & Compagnie« ,

ainsi que cela apparaît, comme variante (à noter !!!), en page 1 du livre…

A mes yeux, cet « essai » « à cœur et corps perdu« 

_ ainsi qu’elle-même l’écrit à l’ouverture même (page 3) de son livre :

je relis ce début :

« Divorcée. Me voici donc divorcée. Je répète ces mots avec incrédulité comme s’ils ne me concernaient pas, comme s’ils n’avaient pas pu _ les mots ? la chose ? l’ambiguïté, déjà, est bien intéressante _ m’arriver, à moi. Surtout avec cet homme que j’avais aimé à corps et cœur perdus.« _  ;

cet « essai » « à cœur et corps perdu« , donc, représente un modèle

_ oui ! par son simple et tout à fait modeste exemple : l’« essai » n’est-il pas qualifié, sur sa propre couverture, de « pamphlet » ?.. ;

et je voudrais méditer, aussi, sur l’exemplarité ! _

cet « essai » « à cœur et corps perdu«  représente un modèle, donc

_ je reprends et continue ma phrase… _,

de ce qu’est l' »apprendre à penser » : par soi-même ;

en apprenant _ learning _ de son expérience tâtonnante (de l' »apprendre » à se conduire soi-même ; se conduire : raison et appétits « humainement«  emmêlés ;

prendre garde, cependant _ et Montaigne, et Pascal, nous en avertissent ! _ à « ne pas faire la bête » à trop « vouloir faire l’ange« …)

Étant « enfants avant que d’être hommes« ,

ainsi que le dit _ et à plusieurs reprises en son œuvre _ Descartes ;

et pour commencer en la seconde partie de son « Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et trouver la vérité dans les sciences » ;

voici le passage :

« Pour ce que nous avons tous été enfants avant que d’être hommes,

et qu’il nous a fallu _ par incontournable « passage«  ! _ longtemps être gouvernés _ il faut bien des boussoles à qui subit l’attraction des aimants (et des sirènes) !.. _ par nos appétits

et nos précepteurs,

qui étaient souvent contraires _ indice avertisseur d’incertitude et, forcément, erreur ! _ les uns aux autres,

et qui, ni les uns ni les autres, ne nous conseillaient peut être pas toujours le meilleur _ invite pressante ! à nous y ajuster… _,

il est presque impossible que nos jugements soient si purs, ni si solides qu’ils auraient été,

si nous avions eu _ oh ! l’idéalisation ! _ l’usage entier _ mais sera-ce jamais le cas ? même à suivre l’œuvre entier de Descartes ? _ de notre raison dès le point de notre naissance,

et que nous n’eussions jamais été conduits _ nous, « humains«  (en notre condition de l’« union intime de l’âme et du corps« ) _ que par elle.

Il est vrai que nous ne voyons point

_ en 1637, nous n’en sommes qu’à l’orée de la modernité ; et son endémique prurit de « réformes«  (ou « réformite« ) !..

Et les terriblement sanglantes « Guerres de religions« , en voie de s’achever en 1648 (au « Traité de Westphalie« ), vont peu à peu s’apaiser, tout de même, en seulement (moins brutale) « Querelle des Anciens et des Modernes«  _

qu’on jette par terre toutes les maisons d’une ville,

pour le seul dessein _ esthétique : Descartes le prend peu au sérieux… _ de les refaire d’autre façon _ = de pure forme _,

et d’en rendre les rues plus belles ;

mais on voit bien que plusieurs font abattre les leurs pour les rebâtir,

et que même quelquefois ils y sont contraints,

quand elles sont en danger _ technique : critère plus sérieux, pour Descartes ! _ de tomber d’elles mêmes,

et que les fondements n’en sont pas bien fermes

_ ce que Descartes prend au sérieux, c’est la très concrète (et imminente) menace de ruine : l’écroulement !

A l’exemple de quoi

je me persuadai (…)

que pour toutes les opinions que j’avais reçues jusques alors en ma créance,

je ne pouvais mieux faire que d’entreprendre, une bonne fois, de les en ôter,

afin d’y en remettre par après,

ou d’autres meilleures,

ou bien les mêmes,

lorsque je les aurais ajustées _ voilà le criterium : l’ajustement ! par la sagacité !!! _ au niveau de la raison _ la faculté fondatrice.


Et je crus fermement que, par ce moyen,

je réussirais à conduire ma vie _ c’est l’enjeu ! _ beaucoup mieux que si je ne bâtissais que sur de vieux fondements,

et que je ne m’appuyasse _ pratiquement _ que sur les principes que je m’étais laissé persuader en ma jeunesse,

sans avoir jamais examiné s’ils étaient vrais…« .

J’en reviens à la démarche _ en son « essai » _ de Dominique Baqué ;

à son courage (acquis : sur sa témérité) ;

à sa sagesse (acquise : sur son « innocence« , sa bêtise, et ses aveuglements _ ou « illusions« , dirait un Freud _ ;

de même que pour tout un chacun, bien sûr ! nul n’ayant _ pareil prodige se saurait (et se célèbrerait !) vite !!! _ la sagesse infuse !..

et tant que la techno-science demeure(ra) impuissante à greffer (tout) un cerveau (!) _ et avec « mode d’emploi » « incorporé« , qui plus est (ou « serait« ) !!!

En quoi a donc pu consister sa niaiserie-naïveté-innocence ?

Sinon d’avoir « envisagé » de (= « cherché à« ) rencontrer, via un « site de rencontre » du Net, à l’âge de 51 ans (elle en affichera « 45« ), « un homme (40-50 ans), cultivé et curieux, tendre et cérébral,

pour construire une relation authentique« , (page 14) _ voilà la réalité escomptée :

« il me fallait un compagnon ; et vite«  (page 8), a-t-elle constaté « décidément« , « après une telle épreuve de plusieurs mois » (page 5) de « silence » « minéral«  (page 5) de solitude : « la réalité était sans appel : il n’y avait personne à mes côtés » ; « rien, absolument rien ne se présentait _ force m’était de le constater«  (page 6).


Avec l’aide _ « généreuse » _ d’« un ami » _ Jean-François _ d’« une de » ses « meilleures amies » _ Sandrine _,

la « véritable stratégie de séduction » de l’annonce en quoi consiste « l’inscription sur un site de rencontres » (page 11) donne lieu à une « séance » qui « va être une épreuve pour moi », anticipe rétrospectivement en son récit, Dominique, au chapitre « L’annonce, la photographie« , page 12. « Séance«  qui permet de faire alors « réalistement«  le point sur ce que « cherche«  réellement Dominique ;

sur ce

à quoi, grâce à l’avisé Jean-François, elle va pouvoir, sinon savoir, du moins apprendre (= découvrir), à quoi « s’attendre«  un peu « réalistement« , donc ;

ainsi qu’à la « présentation«  d’elle-même qu’elle doit alors (ici et maintenant) échafauder et mettre au point pour le site…

« Jean-François, homosexuel, drôle, extraverti, ayant le goût du théâtre et de la mise en scène«  (page 12) dispose ainsi de « tout ce qui peut m’aider« , fait ainsi le point Dominique.


« Jean-François me demande ce que je recherche exactement. Un peu prise de court, je réponds spontanément : « Un compagnon ». Voilà qui est on ne peut plus clair.

« _ Peut-être, mais ton compagnon, tu ne vas pas le trouver _ soit le mot-clé ! _ la semaine prochaine

_ non plus que « sous les sabots d’un cheval au galop« , pourrait-on ajouter…

_ Oui, j’imagine ».

En fait, je n’imagine rien : je ne sais rien _ en effet ! _ de ce monde _ des « sites de rencontres« .

_ « Il faut _ et c’est de la plus élémentaire prudence… _ que tu saches _ et le mot veut bien dire ce qu’il dit ! _ qu’il y a plein de mecs qui vont sur le Net pour baiser. Et beaucoup sont mariés. Ils ne te le diront pas… ».

Pour être franche, l’information est rude. J’accuse le coup _ (page 13) : ce monde des annonces du Net est lardé de chausse-trapes…

 Etc… Le détail du récit est tout bonnement passionnant.

Après l’épreuve (« d’une heure d’écriture et de retouches« ) de la rédaction de l’annonce

et avant celle de « la séance photo« ,

« Jean-François, qui a bien conscience que je n’entends rien _ d’où danger ! _ au réseau, me prodigue ensuite quelques _ réalistes _ conseils et avertissements :

_ « Il arrivera peut-être que tu aies une histoire avec un mec, mais cela ne l’empêchera pas de continuer à être _ actif, et même hyper-actif _ sur le site ».

Je suis offusquée de cette mise en garde : j’ignore encore à quel point elle s’avèrera pertinente…

_ « Certains vont te demander de chatter. Laisse tomber. (…) Comme tu frappes lentement, tu vas t’énerver, et eux ils vont quitter le chat ».

(…)

_ « Enfin, tu ne fais jamais venir un homme chez toi la première fois ».

Mais on n’apprend (après entendre !) jamais « vraiment«  que sur le tas, à l’épreuve frontale (et blessante) du réel lui-même ; le reste ne faisant que « glisser«  au vent…

C’est ce que va faire aussi notre encore assez « innocente« , à tout du moins « inexperte« , « Alice« -« Cendrillon« 

en ce pays des fausses merveilles du virtuel (et du mensonge) affiché sur l’écran, en avant du « réel« 

Sur « Alice » et les pays du « virtuel«  et du « réel« , lire _ au delà de l »Alice au pays des merveilles » de Lewis Caroll _ ; lire la passionnante lecture qu’en propose le _ plus que jamais, combien nous pouvons nous en rendre compte aujourd’hui ! sagace Gilles Deleuze en son « Logique du sens » (en 1969) … Fin de l’incise carollo-deleuzienne !


« D’autant

_ comme j’y ai insisté en mon article précédent : « le bisque ! bisque ! rage ! de Dominique Baqué : « E-Love » _ l’impasse amoureuse du rien que sexe » _

que la haine _ ou la rage ! _ se nourrit de vengeance, et que, oui, je voulais me venger de ce bonheur trop expansif que D. affichait, jusque dans les rues, m’avait-on rapporté«  (page 8) ; et que cette « donnée«  participe d’un certain aveuglement de Dominique,

qui désire tellement « rendre«  à son « ex-mari«  « la monnaie de sa pièce«  d’un « compagnonnage«  trop complaisamment exhibé !!!

« Nul n’est exempt de dire des fadaises. Le malheur _ ou le ridicule ! _ est de les dire curieusement« 

_ c’est à dire avec un trop grand soin (= efforts de sérieux, componction, fatuité ; manque d’humour) ;

alors que ce qui échappe, avec légèreté, à la vigilance (par nonchalance),

est (beaucoup) plus excusable par l’interlocuteur, ou lecteur.

Montaigne, entamant avec son humour coutumier, le troisième livre _ ce sera le dernier _ de ses « Essais« , en 1592, demande au lecteur-interlocuteur un symétrique recul (d’humour) en sa lecture par rapport à l’humour que lui-même revendique en l’écriture de ces « essais » de son esprit

_ sur l’esprit, lire de Bernard Sève, le merveilleux et prodigieux (de sagacité) « Montaigne. Des Règles pour l’esprit« , paru aux PUF en novembre 2007 ;

ainsi, en forme d’hommage, que mon article du 14 novembre : « Jubilatoire conférence hier soir de Bernard Sève sur le “tissage” de l’écriture et de la pensée de Montaigne« 

Je poursuis, pour le pur plaisir, le discours de présentation de Montaigne :

Montaigne cite d’abord l‘ »Heautontimoroumenos » de Térence (auteur comique !) :

« Assurément, cet homme va se donner une grande peine pour dire de grandes sottises« .

Et il poursuit : « Cela ne me touche pas. Les miennes m’échappent aussi nonchalamment qu’elles le valent. D’où bien leur prend. Je les quitterais soudain, à peu de coût qu’il y eût. Et ne les achète, ni les vends que ce qu’elles pèsent. Je parle au papier comme je parle au premier que je rencontre. Qu’il soit vrai, voici de quoi… »

Et il entame la réflexion sur son sujet (« De l’utile et de l’honnête« ) :

« A qui ne doit être la perfidie détestable, puisque Tibère la refusa à si grand intérêt… »

Etc.


Fin de l’incise montanienne sur les fadaises (de la niaiserie)…

Il faudra bien (forcément !..) inlassablement et sans trop de relâche se coltiner aux efforts (et écorchures plus ou moins graves _ et cicatrisables !.. _ en résultant…) de l’apprentissage : par la méthode des essais _ et rectifications des erreurs :

parce que si « errare humanum est« , en revanche « perseverare diabolicum » !

C’est par là que

le « teaching » _ de l’enseignant, du maître _ peut sans doute un peu un petit quelque chose

à l’égard du « learning » _ de l’enseigné (actif), de l’élève (en voie de « s’élever« …) _

de tout un chacun ;

et là se trouve l’enjeu majeur des tâches d’éducation et enseignement

(ainsi _ car cela en est rien moins que le noyau ! _ que d’acculturation) ;

et des responsabilités

tant individuelles et personnelles _ je les distingue _,

que collectives : sociales, économiques et politiques ;

tout particulièrement à l’heure de la particulièrement grave « crise » de « démocratie« 

_ versus « gouvernance«  (de raffarinienne mémoire !) _

auxquelles tâches

(d’éducation et enseignement _ et acculturation :

versus décérébration à méga échelle de l’entertainment marchand _)

et responsabilités

(sociales, économiques, et surtout politiques)

nous nous trouvons, de par le monde entier (« mondialisation » aidant), tout spécialement confrontés en ce moment même ; et pas qu’en France, en Grèce, ou ailleurs encore en Europe, ce mois de décembre-ci…

La « crise » dépassant largement la « crise financière«  des banques et du capitalisme (« de spéculation » des actionnaires et, en amont, des entrepreneurs investisseurs marchands),

pour faire bien clairement ressentir à tous,

et d’abord aux jeunes mêmes,

que la « crise » (ou « tournant de l’Histoire« ) de ce moment-ci porte sur l’échelle même des valeurs ;

et que c’est bien de cette « réalité« -là dont il s’agit,

de la valeur du (vrai) travail,

des (vrais) efforts,

du (vrai) temps et de la (vraie) attention et du (vrai) soin

investis dans de (vraies) activités qui soient aussi de (vraies) œuvres…

Une des ironies du phénomène étant, par ailleurs _ à la marge _, le retour « à la mode » d’un Karl (et pas Groucho) Marx…

Aussi,

et au-delà de l’investissement financier en direction des faiblesses _ de fiabilité (et de confiance) _ soudainement « avérées« 

_ et en cascade, à partir de la déclaration (forcément peu discrète !) de faillite, le 15 septembre dernier, de la banque Lehman Brothers, à New-York _

des établissements bancaires de par le monde entier,

s‘agirait-il de se mettre à réfléchir

enfin

un peu (= beaucoup !) plus sérieusement

à de profonds investissements culturels et éducatifs

_ loin des seules logiques de « bouclage«  (à la Éric Woerth) strictement d’« économie budgétaire«  des États…

Soit une affaire de (vrai) « pouvoir«  : entre les hommes…

« Yes, we can » : sera-ce un peu plus qu’un slogan électoral (même à succès) pour un 4 novembre d’un Barack No Drama ?..

Nous _ sur toute la planète _ allons y être forcément attentifs…

De vraies grandes (larges et profondes) « réformes » s’imposent ici ;

et pas à la marge

_ ainsi que feint de s’étonner, en France, le ministre en charge de l’Éducation,

devant l’ampleur des « résistances » lycéennes à sa pourtant « bien modeste » _ dixit lui-même _ « réforme » de la seule classe de « seconde » des lycées…

« Réformes » qui devraient mettre en cause aussi et d’abord _ en le débranchant quelque peu _ l’ignoble outil de propagande par l’entertainment qui crétinise à longueur de temps des millions et milliards de cerveaux

(et leur « temps disponible« 

_ selon la parole (d’expert) de Patrick Le Lay, répercutée par la fameuse dépêche AFP du 9 juillet 2004 _

qui n’est pourtant pas infini, ce « temps disponible » : « Memento mori !« )

par connection, techno-économiquement à la portée de la plupart, sur toute la planète

et les conditionne à l’addiction aux marques _ « Coca-Cola« , etc. _ et à une peu réfléchie consommation (marchande) de masse…

Mais, je reviens à mon sujet :

le courage versus la témérité ;

la lucidité versus l’aveuglement

de Dominique Baqué

les « cinq mois de pratique intensive du Net« ,

ainsi qu’elle le formule à l’ouverture du chapitre final (« Une affaire de marketing…« ), page 119, de son « pamphlet » « E-Love« ,

afin, aussi, de mettre en garde contre l’addictivité aux pratiques des « sites de rencontre« , et de ce qui s’ensuit _ bien réellement, via un « sexuellement » effectif, bien qu’éphémère, et si superficiel (en surface, sans « attachement« ) : « on » « passe » immédiatement à « autre chose« , en passant « au suivant ! » ; et si peu différent de la série de tous ceux qui viennent de le précéder (sur ce « marché » via le Net) !.. _ ;

et de ce qui s’ensuit, donc,

de destructeur de (et pour) la personne qui tombe

_ et pour quelque raison que ce soit : la rage (féroce) d’un divorce très mal subi ; la jalousie (panique) d’un « bonheur » (de remplacement) si complaisamment « affiché » (et plus ou moins innocemment « rapporté » par d’autres…) _

dans ces rets-là ;

et de destructeur de « l’intimité« ,

ce si précieux (gratuit, généreux, incalculé) « lien à l’autre« ,

ainsi que l’analyse brillamment Michaël Foessel dans son très important

_ démocratiquement ; et « civilisationnellement » _

« La Privation de l’intime_ mises en scène politiques des sentiments« , paru aux Éditions du Seuil, ce mois d’octobre dernier ;

et comme je le rapporte dans mon article du 11 novembre : « la pulvérisation maintenant de l’intime : une menace envers la réalité de la démocratie » …

En lieu et place du (vrai) désir,

le désir mimétique de l' »envie » (de l' »envieux » : cf les œuvres de René Girard : « Vérité romanesque et mensonge romantique« , « La Violence et le sacré« , « Le Bouc-émissaire« , ou « Shakespeare : les feux de l’envie« , par exemple…).

Apprendre, c’est toujours se déniaiser ; et c’est en cela, aussi, que le critère de l’amour authentique, est de connaître vraiment _ = en vérité et plénitude ! _ l’autre ; de même que s’y découvrir, en même temps, et par là même, soi-même, par cette ouverture que constitue le lien _ et don : gratuit et généreux _ de l’intimité :

« à cœur et corps perdu« , comme l’énonce si bien elle-même Dominique Baqué…

L’amour vrai n’est certes pas aveugle ;

ce qui est aveugle, ce n’est que

l’illusion amoureuse (ou « rêve d’un amour« ) : sa (triste) contrefaçon ;

son envers ; et sa caricature…

Quant à la bêtise, c’est la fatuité ; le contentement de soi ; le refus de chercher à comprendre en cherchant bien, plus loin, et un peu mieux…

« La bêtise, c’est _ ainsi _ de conclure« , l’a mieux dit que d’autres, Flaubert, en son « Dictionnaire des idées reçues« …

On lira aussi, là-dessus, l’excellent « Bréviaire de la bêtise » d’Alain Roger…


Reste l’abîme terrifiant de la trahison,

que ce soit la trahison d’un amour, ou la trahison d’une amitié ;

voire des deux à la fois ;

ainsi qu’en dessine un portrait singulièrement brûlant, le grand, l’immense, Sandor Maraï, dans un de ses chefs d’œuvre : « Les Braises« 

Qu’en était-il

_ rétrospectivement,

pour nous qui nous le demandons, maintenant, au présent, et face à un passé qui vient de nous « lâcher » _ ;

qu’en était-il donc de nos propres sentiments, quand tout s’effondre, et que nous découvrons bernés ;

peut-être d’abord par notre propre bêtise ; par l'(incroyable !) aveuglement de nos illusions ?..


C’est ce cauchemar rétrospectif _ et mélancolique _ là

que rencontre et affronte Dominique Baqué,

trahie, ici, par son mari…

C’est déchoir

de l’espèce (infiniment profuse et généreuse, à l’infini) de l’éternité

à l’espèce aride d’une temporalité soudain devenue pingre (et comptable) pour nous…

Pour le reste, il n’y a rien à chercher ;

encore moins rechercher ;


seulement se tenir disponible,

afin d’accueillir _ avec pureté et générosité _ une nouvelle rencontre…

Quant à l' »apprendre par soi-même« , que met en œuvre assez superbement, et à son corps défendant, a posteriori, Dominique Baqué dans « E-Love« ,

il me rappelle

le très beau travail de penser (et d' »essai« ) de Stanley Cavell, que, sur les conseils de Layla Raïd, je viens de découvrir _ au cours de mon aller-retour Bordeaux-Marseille et Aix (du week-end autour du 13 décembre dernier), par le train : « Un ton pour la philosophie _ Moments d’une autobiographie » _ :

en voici la 4ème de couverture, afin de comparer ce qu’on peut en retirer

aux « leçons » de mon article à propos des démarches d’auteur(e) _ et philosophe ? _, de Dominique Baqué en son « E-Love » :

Rechercher « le ton de la philosophie« , c’est avant tout s’interroger sur
la voix du philosophe, sur sa prétention à parler au nom de tous, à
s’universaliser. C’est la question du statut de l’intellectuel qui est
alors posée, de sa capacité à dire «nous» à partir du «je», à être
représentatif. Cette question est au cœur du travail philosophique,
puisqu’elle accompagne son « arrogance »
_ ou du moins son « audace«  _ fondamentale, sa prétention _ son ambition _ à
éduquer et à parler pour.


Stanley Cavell nous livre ici le récit de certains moments fondateurs
de sa propre existence
, convaincu que l’autobiographie est un des
fondements de la philosophie. Dans le «nous» du philosophe, il y a
toujours un «je»
_ oui ! Comme pour un Montaigne; ou un Nietzsche : Cavell, lui, cite d’abord Emerson (et Thoreau)…

Revenir à la voix, c’est aussi inévitablement s’intéresser à nos
énoncés et à nos accords
_ avec les autres _ de langage, et donc finalement à la
démocratie, qui repose sur la capacité de chacun d’avoir ou, tout au
moins, de revendiquer une voix
_ qui soit écoutée ; et retenue, aussi…

C’est enfin rechercher une voix pure, une parole exemplaire, à travers le cinéma et l’opéra _ soient des Arts de la voix, qui touche…

C’est au prix de ces multiples détours _ l’autobiographie, le langage,
l’opéra
_
que l’on peut repenser l’acte même de philosopher et inventer
un nouveau ton pour la philosophie, celui de l’ordinaire.

Nous retrouvons bien, aussi, le sens même de la démarche de Dominique Baqué…

Titus Curiosus, ce 23 décembre 2008

Sur le « rencontrer » _ philosophique : le point de vue du « prof de philo »

10déc

Pour prolonger l’article précédent, à propos de Portraits de maîtres _ les profs de philo vus par leurs élèves, sous la direction de Jean-Marc Joubert & Gibert Pons, aux Editions du CNRS (paru au mois d’octobre 2008),

ce message à Frédéric Brahami, en accompagnement de l’envoi de mon article précédent _ « de ce que c’est qu’un « maître » de philosophie _ quand s’effondre l’Ecole » _ où je cite des extraits _ passionnants ! _ de sa contribution à ce livre (aux pages 139 à 142) :

 De :   Titus Curiosus

Objet : Article sur « Portraits de maîtres »
Date : 10 décembre 2008 06:48:37 HNEC
À :   Frédéric Brahami

Etat des lieux provisoire
sur le recueil « Portraits de maîtres _ les profs de philo vus par leurs élèves » (aux Editions du CNRS).

Je pense que je rédigerai un article plus synthétique
_ ainsi que « critique » _
sur ce « recueil » de témoignages un peu inégal, dans sa diversité,
en même temps que nécessaire
quand l’École est menacée ;

et le rôle que peuvent jouer
des profs de philo
,
qui n’auront pas nécessairement de « disciples »,
mais marqueront tout de même; et peut-être en profondeur,
pour leur vie d' »homme »
(et « non in-humain », comme le dit Bernard Stiegler dans « Prendre soin 1« )
quelques uns des « élèves »
que l’institution scolaire
leur a permis
_ donné l’occasion, explosive parfois _ de « rencontrer »…

Voici un lien pour mon  article
« de ce que c’est qu’un « maître » de philosophie _ quand s’effondre l’Ecole »

D’autre part, voici ce que j’ai pu écrire _ et qui avait paru sur le site Ars Industrialis de Bernard Stiegler le 5 avril 2007 _
sur le « point de vue » du « prof de philo » (de Terminale, au lycée) quant au « rencontrer » ses élèves
dans l’activité du « philosopher »
du (simple) cours de philo…


Je cite un « passage » de l’article…

Bien à toi
(où en es-tu de ton travail sur les Maistre, Bonald, etc… ?
car j’ose l’attendre, depuis que tu m’en as parlé !..),

Titus

Voici _ sans retouches _ l’extrait de cet article de mars-avril 2007 :

Ce régime assez divers de tonalités diverses de « rencontres », je l’éprouve particulièrement pour ce qui me concerne dans mon métier et mon travail, au quotidien, de professeur de philosophie, avec la diversité _ grande _ de mes élèves _ et des progrès que j’en attends, que j’en espère, et qui me ravissent quand ils se sont en effet _ car cela, mais oui, arrive ! _ comme hegeliennement réalisés (= passés de la puissance à l’acte). Même si j’œuvre _ heureusement ! _ à plus longue échéance que celle de l’examen de fin d’année _ et de ses statistiques habilement manipulées pour la galerie, qui on ne peut plus complaisamment, et avec courbettes, s’y laisse prendre.

La classe de philosophie est cependant, et en effet, pour moi, sans contrefaçon aucune pour quelque galerie que ce soit _ les élèves à ce jeu n’ont heureusement pas, eux la moindre fausse complaisance ! _ un vrai lieu d’activité permanent _ et donc privilégié, éminemment chanceux, selon, bien sûr, l’inspiration des jours, et de chacun, et de tous ; tous ayant droit à la parole et plus encore à l’écoute, ainsi qu’à la critique bienveillante, encourageante, joyeuse, mais aussi exigeante, des autres, et d’abord, bien sûr du professeur, responsable de l’entité « classe » et de sa « vérité » _ un lieu, donc, de rencontres, un lieu vibrant et aimanté de sens, un lieu électrique où doit progresser, et progresse la conscience…

Entrer dans la classe, s’approcher de la chaire, et après avoir déballé l’attirail plus ou moins nécessaire ou contingent, après « l’appel » _ au cours duquel je m’avise avec soin de l’état de chacun par ce qu’annonce son visage, son teint, sa posture, ainsi que la voix qui répond, mais d’abord de son regard, en avant de tous les autres signes _, et dans l’échange vivant de nos regards, commencer à parler. A convoquer le sens _ « Esprit, es-tu là ? Viens ! Consens à descendre parmi nous, et en nous : et à nous animer de ta raison !« _, à partir de notre commun questionnement, notre socratique _ et « pentecôtique » ? _ dialogue.

Voilà qui réclame infiniment de présence, c’est-à-dire d’attention, de ré-flexion, de chacun et de tous _ et d’abord du professeur, qui conduit les opérations. Un exercice exigeant. A l’aune de l’idéal de la justesse. Et sur un mode le plus joyeux possible _ le professeur, tout le premier, doit être le plus constamment possible en grande forme !

Car ici et maintenant, en cette salle de classe, tout _ ou presque _ se met à tourner autour du règne de la parole. Qui doit être aussi, bien sûr, ou plutôt devenir le règne de la pensée : sommée _ ou plutôt invitée, encouragée _ de s’interroger, de réfléchir, de méditer. Afin d’oser, en confiance, à s’essayer à juger. Et puis justifier ses raisons.

Dans l’espace public et protégé de la classe, qui comprend, entre l’espace formidablement libre de ses murs, et dans une acoustique qu’il faut espérer adaptée, l’échange de nos paroles, de nos phrases, s’essayant et se mesurant, par l’effort du « penser » à la justesse ardemment désirée du bien pesé, du bien jugé, du bien pensé…

Emmanuel Kant : « Penserions-nous bien et penserions-nous beaucoup, si nous ne pensions pas pour ainsi dire en commun avec d’autres, qui nous font part de leurs pensées et auxquels nous communiquons les nôtres ?«  (dans « La Religion dans les limites de la simple raison » _ vigoureux opuscule contre la censure). Soit une rencontre avec l’idéal de vérité et de justesse du jugement, dans l’échange à la fois inquiet et joyeux du « juger ».

De même que pour Montaigne, instruire, c’est essentiellement former le jugement. Exercice pédagogique exigeant.

Voilà ce qu’est la rencontre pédagogique philosophique.

Entre nous. Autour de la parole. Autour de, et par l’échange _ et cette « rencontre » de vérité. Et pour _ c’est-à-dire au service de _ la réflexion, et dans la tension vers sa justesse. Chacun, comme il le peut. Avec un style qui va peut-être se découvrir, pour chacun. Car, « le style, c’est l’homme même« , nous enseigne Buffon en son « Traité du style« .

Comment accéder à « son » style ? Comment accomplir une œuvre qui soit vraiment « sienne » _ et sans se complaire dans de misérables égocentriques illusions ? Là, c’est l’affaire d’une vie, pas seulement d’une année de formation de philosophie.

Celle-ci peut et doit encourager et renforcer un élan _ même si elle n’est pas capable de le créer de toutes pièces _ ainsi que l’aider de conseils à ne pas s’égarer dans de premières voies qui aliéneraient ; afin de découvrir soi-même, en apprenant à le tracer, pas à pas et positivement, son propre chemin. « Vadetecum« , recommandait Nietzsche dans « le Gai savoir » à qui désirait un peu trop mécaniquement devenir son disciple, le suivre : « Vademecum, vadetecum« … La réussite du maître, et c’est un paradoxe bien connu, c’est l’émancipation _ autonome _ de l’élève.

J’adore, pour cela, cette situation « pédagogique », bien particulière, sans doute, à l’enseignement de la philosophie _ ou plutôt du « philosopher » : « on n’enseigne pas la philosophie, on enseigne à philosopher« , disait encore Kant, après Socrate, et d’autres. C’est que c’est un art, et pas une technique. Un art un peu « tauromachique » _ c’est-à-dire n’hésitant pas à s’exposer mortellement à la corne du taureau _, à l’instar de la mise en danger qu’évoque si superbement Michel Leiris dans sa préface à « L’âge d’homme« .

Situation particulière encore, aussi, peut-être, à ma pratique personnelle _ si tant est que j’ose une telle expression _ de cet enseignement « philosophique », tel que je le conçois, comme je l’ai bricolé, cahin-caha, tout au long de ces années, avec les générations successives d’élèves. Car j’ai aussi bien sûr beaucoup appris d’eux, par eux, avec eux, dans ce ping-pong d’une classe vivante, où vraiment, avec certains, sinon tous, nous nous « rencontrons »par le questionnement vif et exigeant de la parole.

Comme j’ai moi-même au lycée vraiment rencontré mon professeur de philosophie de Terminale, Madame Simone Gipouloux : un modèle d’humanité, dans toute sa modestie, et son sourire _ parfaitement intact dans son grand âge _, une personne simplement épanouie dans une gravité joyeuse.

Avec les élèves : voilà, j’aime ça.


Ainsi est-ce une grande chance pour moi que d’avoir _ et d’être rétribué pour cela _ à « rencontrer » ainsi, en mon service hebdomadaire, mes élèves…

En partie indépendamment de son efficacité, certes assez inégale, je prends à cet effort un plaisir important. Mieux : une joie portante. Une vivifiante jeunesse.


Même si pour certains, voire beaucoup d’entre ces élèves _ et au pire, mais c’est quand même très rare, une classe entière : alors quel boulet ! _ rien, ou pas grand chose, vraiment ne se passe, rien d’intéressant n’advient durant tout ce temps. Pas d’étincelle, pas de lueur s’allumant au moins dans la prunelle de l’œil, pas d’enthousiasme, pas de progrès… Les dieux, qui sont « aussi dans le foyer«  _ ainsi que le montrait du geste Héraclite cuisinant_, se taisant désespérément alors, n’inspirant aucune pensée, n’éveillant aucun éclair d’intelligence, désertant tristement les tentatives d’échanges… « Le grand Pan » est mort pour ceux-là. Je n’aurai pas réussi à éveiller-réveiller ces dormeurs d’Éphèse… C’est aussi, en partie, le lot de cet enseignement, il faut en convenir. On se console en se disant qu’on sème _ et qu’on aura semé _ pour l’avenir…

Mais c’est déjà, objectivement, le jeu statistique de la vie, en dépit des occasions qui nous sont encore offertes _ pour combien de temps, les budgets se réduisant ? _ par la configuration des espaces et constructions scolaires et des emplois du temps… Jeu statistique aidé, accéléré ou retardé, par l’évolution _ ce mot trop souvent trompeur _ politico-économique des « structures »… L’acteur, se démenant, échouant parfois à dynamiser, à sa modeste mais nécessaire place et par sa modeste mais nécessaire contribution, le système pourtant maintenu en état, et qui continue à présenter une apparence _ rassurante ou illusoire ? _ de solidité… Pour combien de temps ? Et avec quelles énergies ?

Dans la vie, c’est pareil : j’aime « rencontrer », j’aime « échanger », j’aime cette situation électrique de « désirs » (= curiosités) « croisés » _ même, et c’est la règle, de fait comme de droit, peu érotisés : cela m’arrange, je suis plutôt un chaste.  Cela n’empêchant pas une vive et permanente dimension « esthétique » du vivre, de l’ordre même du jubilatoire _ jusqu’à l’éclat de rire joyeux…

Même si la plupart du temps, je dois en convenir, j’ai le sentiment de croiser pas mal d’ombres. Et pas de celles, errantes, qui enchantent de leurs émois le monde musical si pleinement vivant d’un François Couperin.

Etc…

Fin du message à Frédéric Brahami.


Titus Curiosus, ce 10 décembre 2008

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