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La merveilleuse surprise d’un Jean Rondeau enfin justissime, et non hystérisé, en un magnifique programme « Gradus ad Parnassum », sur un superbe clavecin de Jonte Knif et Arno Pelto : de Palestrina à Debussy, en passant par Haydn, Mozart, Clementi et Beethoven, et bien sûr Fux, l’auteur du « Gradus ad Parnassum », en 1725 ; un miraculeux CD. Ou la révélation de ces oeuvres en leur absolu « naturel » par leur interprétation au clavecin…

02mar

C’est une magnifique _ divine… _ surprise que Jean Rondeau, enfin justissime et non hystérisé _ peut-être parce que le fond de l’affaire, cette fois-ci, est, au moins en son départ, et à sa base, l’assez exigeant contrepoint (de Fux : célèbre Kapellmeister de la cour de Vienne, organiste, compositeur, pédagogue estimé et auteur du Gradus ad Parnassum, en 1725, un traité de composition dont la force et le très durable succès résident dans sa consolidation des traditions contrapuntiques héritées des deux siècles précédents. Les interprétations qui s’ensuivent, en ce CD de Jean Rondeau, étant, elles, tout au contraire, et il faut bien le souligner, rayonnantes de « naturel« , d’élégance et même de tendresse ; sans la moindre once de rigide ni de forcé… _, vient nous offrir en un vraiment splendide, absolument maîtrisé, et d’une fluidité merveilleusement naturelle _ oui, oui, il me faut bien y insister _ et inventive, CD intitulé « Gradus ad Parnassum«  _ le CD Erato 5054197416170  _,

avec un merveilleux programme d’œuvres bâties autour et à partir de ce fameux Traité de contrepoint et composition musicale, de 1725, qu’est le « Gradus ad Parnassum« , du compositeur Johann-Joseph Fux (Hirtenfeld, 1660 – Vienne, 13 février 1741),

et cela sur un superbe clavecin de Jonte Knif & Arno Pelto (de 2006) _ et avec une superlative prise de son d’Aline Blondiau, en la fameuse salle de musique de La Chaux-de-Fonds, à l’acoustique parfaite ! où ce miraculeux enregistrement a eu lieu du 8 au 12 octobre 2021 _ :

un programme tout à la fois ingénieux, inventif _ et d’abord dans le choix, au départ audacieux, d’interpréter toutes ces œuvres, jusqu’à celle de Debussy, Doctor Gradus ad Parnassum, un pastiche de la série d’exercices pour le piano Gradus ad Parnassum, composée par Muzio Clementi, qui constitue la première pièce de « Children’s corner« , entre 1906 et 1908), sur clavecin ! Un choix qui n’a rien d’arbitraire et gratuit, et permet rien moins que leur lumineuse révélation !!!.. _ et absolument splendide,

qui va de Giovanni-Pierluigi da Palestrina (1525 – 1594) à Claude Debussy (1862 – 1918),

en passant par Joseph Haydn (1732 – 1809), Wolfgang-Amadeus Mozart (1756 – 1791), Muzio Clementi (1752 – 1832) et Ludwig van Beethoven (1770 – 1827),

et bien sûr Johann-Joseph Fux (1660 – 1741), l’auteur du célébrissime Traité de contrepoint intitulé « Gradus ad Parnassum« , en 1725…

Qu’on écoute, en particulier, les merveilles tout simplement admirables _ et quasi inouïes jusqu’ici à un tel degré de perfection en leur absolu « naturel«  ! _ qu’obtient ici, sur le clavecin, Jean Rondeau,

dans les 28′ de la Sonate Hob. XVI.46 de Joseph Haydn,

dans les 6′ 24 de la Fantaisie n°3 K. 397 et les 6’23 de l’Andante de la Sonate n°16 K. 545 de Mozart,

ou dans les 6’07 de l’Étude n°14 du Gradus ad Parnassum de Muzio Clementi…

C’est renversant de beauté de classicisme libre et lumineusement, tout en sourire, épanoui,

voilà ;

et qui, sans la moindre précipitation un peu trop virtuose, sait merveilleusement prendre tout le temps, serein, lumineux et joyeux, qu’il y faut, pour que ces pièces, en toute plénitude de leur « naturel« , viennent vraiment s’épanouir…

Ce à quoi il faut ajouter aussi que l’instrument qu’est ce clavecin magnifique _ de Jonte Knif et Arno Pelto (de 2006) _, et cette prise de son superlative _ d’Aline Blondiau _, aident aussi, afin de servir en toute perfection la gracilité toute simple splendidement épanouie, déjà, de ces pièces _ la majorité d’entre celles-ci (8/12) étant postérieures à l’invention (au mitan du XVIIIe siècle), et rapide triomphe, du piano-forte…

Ces Haydn et Mozart, servis donc ici au clavecin par Jean Rondeau, sont ainsi comme enfin révélés à eux-mêmes, voilà, mieux encore que par le pianoforte, ou le piano classique de concert :

j’en prendrai pour exemple une comparaison de cette si heureuse et radieuse interprétation-ci par Jean Rondeau (en 28′) de la Sonate Hob. XVI.46 de Joseph Haydn _ probablement l’acmé de ce si beau CD ! _avec l’interprétation _ qui m’avait pourtant bien plue : « épatamment jeune« , « pétulante« , disais-je…  _ du cher Christian Zacharias (en 17′ 39″ _ contre les 28′ de Jean Rondeau : une différence considérable… _) sur un Steinway Concert Grand Piano D. 1901, en son récent très réussi CD « Haydn Sonatas » MDG 940 2257-6cf mon article du 31 janvier dernier : « « 

Quelle interprétation de Jean Rondeau en tout ce CD « Gradus ad Parnassum » ! Quel jeu !!! quelles délices !

Un pur ravissement de musicalité… Et cela grâce au clavecin, mais oui !

Une fête qui nous comble !!!

Une absolue révélation musicale, donc, par ce très évident CD !

Ce jeudi 2 mars 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Ecouter encore, à nouveau, le piano agreste du cher Lars Vogt, cette fois dans Schubert, les Impromptus (D 899) et les Moments musicaux (D. 780) : sa belle et juste tendresse

10oct

Le décès du cher Lars Vogt m’a amené à rechercher les récents CDs Ondine

qui manquaient encore à ma discothèque,

après les 2 CDs des 2 Concertos pour piano et orchestre Op. 15 et Op. 83 de Brahms,

soient les CDs Ondine ODE 1330-2 et ODE 1346-2 ;

et un CD Mozart, de 4 Sonates de jeunesse, les n° 2, 3, 8 et 13, K. 280, 281, 310 et 333,

soit le CD Ondine ODE 1318-2,

que je me suis déjà procurés.

Cette fois, il s’agit du CD Schubert Ondine ODE 1285-2,

qui assez étrangement n’apparaît pas dans toutes les discographies disponibles de Lars Vogt,

et qui comporte les 4 Impromptus D. 899, les Moments musicaux D. 780 ;

ainsi que les Six Danses allemandes D. 820

Et la joie vogtienne, légère et fluide, et intense et profonde à la fois,

est cette fois encore fidèle au rendez-vous de notre écoute…

Comme il va nous manquer…

Ce lundi 10 octobre 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

Interpréter les Lieder de Schubert : Alice Coote, mezzo-soprano, avec le piano de Julius Drake, un admirable lumineux CD !

15août

Bien sûr ne manquent pas, au disque, de sublimes interprétations des sublimes Lieder de Schubert…

Alors comment situer en cette très belle discographie le récent « Schubert 21 Songs« , soit le CD Hyperion CDA 68169, de l’excellente mezzo-soprano Alice Coote, avec le piano hyper-attentif de l’excellent Julius Drake ?..

Eh bien, au plus haut !!! 

Quel sublime art de dire et de chanter

avec une telle fluidité, tendresse, lumineuse clarté, et parfaite justesse.

Pour ne rien dire du parfait accompagnement, avec une si délicate écoute en dialogue, de Julius Drake au piano…

Sur ce magnifique CD d’Alice Coote et Julius Drake,

je partage donc pleinement l’appréciation de Patrice Lieberman en son article « Alice Coote et Julius Drake touchent juste dans Schubert« ,

paru sur le site Crescendo le 8 août dernier…

Alice Coote et Julius Drake touchent juste dans Schubert

LE 8 AOÛT 2022 par Patrice Lieberman

Franz Schubert(1797-1828) : An den Mond, D.259; Wandrers Nachtlied I(Der du von dem Himmel bist), D.224; Im Frühling, D.882,Der Zwerg, D. 771;Ständchen, D. 957; Seligkeit, D.443; Abendstern, D.806; Der Tod und das Mädchen, D.531; Litanei über das Fest Aller Seelen, D.343; Rastlose Liebe, D.138; Ganymzed, D.544; An Silvia, D.891; Der Musensohn, D.764; Lachen und Weinen, D.777; Erlkönig, D.328; Nacht und Träume, D.827; Auf dem Wasser zu singen, D.774; Im Abendrot, D.799; Frühlingsglaube, D.686; Wanderers Nachtlied II (Über allen Gipfeln), D.768; An den Mond, D.2396. Alice Coote (mezzo-soprano); Julius Drake (piano). 2022. 71’36.Textes de présentation en anglais, textes chantés en allemand et anglais. Hyperion  CDA68169

C’est un très beau _ oui ! _ et généreux florilège du lied schubertien que nous offrent ici l’excellente mezzo Alice Coote et son non moins excellent compatriote et partenaire (on n’ose utiliser ici le terme d’accompagnateur), le subtil Julius Drake _ excellents, et même parfaits, tous deux, en ensemble, dans leur admirable perception de l’idiosyncrasie schubertienne : à saluer bien bas !

La mélodie schubertienne n’a cessé d’attirer les plus grands chanteurs depuis l’aube de l’enregistrement sonore _ en effet _, et il est _ très _ bon – même si certains garderont pour toujours une indéfectible allégeance à certains interprètes d’un passé plus ou moins récent – de voir comment une des meilleures vocalistes de la génération moyenne aborde ce type de répertoire aujourd’hui _ mais oui !

Autant l’annoncer tout de suite, cette parution est une très belle réussite _ oui ! D’abord, par sa programmation intelligente qui mélange avec intérêt certains des Lieder les plus connus de l’auteur (Le Roi des Aulnes, La Jeune fille et la Mort, la célébrissime Sérénade) avec d’autres connus  ou moins connus, comme la Litanei über das Fest Aller Seelen (Litanie sur la Fête de Toussaint).

La mezzo britannique qui met son beau timbre soyeux _ oui _ au service de ce genre si piégeux qu’est le lied trouve avec un naturel confondant _ mais oui ! _ un heureux moyen terme _ oui, un très juste équilibre, en effet… _ entre la priorité accordée au beau chant ou celle à conférer à la déclamation dramatique plutôt qu’à la ligne mélodique. Sur le plan purement vocal, Alice Coote fait valoir un magnifique mezzo aux couleurs claires _ lumineusement et délicatement claires ! _ et aux registres homogènes _ voilà _ ainsi qu’une maîtrise technique irréprochable _ en  effet. Articulant toujours avec soin _ oui : comme c’est absolument nécessaire _, elle fait entendre parfaitement _ oui ! _ chaque mot des poèmes, impeccablement enchâssés dans une ligne mélodique menée, grâce à une respiration  parfaitement _ oui ! _ maîtrisée, avec une grande sûreté et sans la moindre distorsion _ toutes ces appréciations sont de la plus grande justesse… Qui plus est, elle se montre fine et sensible interprète d’une musique dont elle saisit le caractère d’intimité _ oui _ et de confidence _ oui _ à la perfection _ voilà. Si son approche générale est de ne pas faire de ces morceaux des mini-drames, elle se hasarde cependant à jouer les quatre protagonistes du Roi des Aulnes – le narrateur, l’enfant, le père et le Roi – en variant habilement son timbre pour chacun d’entre eux, mais sans _ jamais _ tomber dans la caricature.

De même, Alice Coote évite tout sentimentalisme _ oui _ dans la Sérénade rendue avec beaucoup d’élégance mais sans le moindre sentimentalisme, et elle est également sensible à l’agitation de Rastlose Liebe ou à l’entrain de Der Musensohn.

Dans Auf dem Wasser zu singen, elle rend très bien – parfaitement aidée par Julius Drake, partenaire aussi _ merveilleusement _ attentif qu’imaginatif –  le balancement du bateau comme le flux et le reflux de l’eau. La chanteuse se montre particulièrement prenante dans l’hymne panthéiste qu’est le splendide et profond Im Abendrot, sur un poème du peu connu Karl Lappe.

On l’aura compris: ce disque – dont on se demande d’ailleurs pourquoi Hyperion a attendu près de cinq ans pour le sortir – mérite _ absolument ! _ sa place dans la discothèque de tout amateur du genre.

Son 10 – Livret 9 – Répertoire 10 – Interprétation 9

Un admirable lumineux CD, donc,

et tout à fait indispensable !

Ainsi qu’à conseiller à qui désire découvrir en toute sa palette et intime évidence le sublime génie du lied de Schubert !

D’Alice Coote,

je possède le très beau _ et lumineux et tendre, lui aussi _ CD Hyperion CDA67962 « L’Heure exquise _ A French Songbook« , avec le piano de Graham Johnson, enregistré en octobre 2012

Ce lundi 15 août 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

Encore et toujours la prodigieuse fécondité créative d’Antonio Vivaldi de mieux en mieux accessible en CDs : par exemple avec Giovanni Antonini, à diverses flûtes, et même Martin Fröst, à la clarinette

28avr

Du vivant d’Antonio Vivaldi (Venise, 4 mars 1678 -Vienne, 28 juillet 1741),

la clarinette _ du moins celle que nous connaissons comme telle de nos jours _, n’avait pas tout à fait encore, semble–il, complètement vu le jour, en s’émancipant des divers chalumeaux

qui la précédaient dans l’instrumentarium disponible…

Cependant, créé vers 1690 à Nuremberg par le facteur Johann-Christoph Denner,

l’instrument nouveau que nous appellons désormais la clarinette, apparaît déjà _ apprenons-nous, et si l’on cherche bien… _ dans l’Ouverture HWV 424 de Haendel,

ainsi que, et surtout  _ et c’est forcément à relever ! _, dans les Concerti Grossi RV 559 et RV 560 d’Antonio Vivaldi, déjà en 1716 _ j’en possède au moins une interprétation discographique : dans le CD de l’excellent Ensemble Zefiro que dirige l’excellentissime Alfredo Bernardini, le CD Naïve Edition Vivaldi (Tesori del Piemonte, volume 25) intitulé « Concerti per vari strumenti« , enregistré en novembre 2004, avec aux clarinettes Lorenzo Coppola et Daniele Latini… _ ; et aussi, encore cette même année 1716, dans la Juditha triumphans, de ce même Antonio Vivaldi !.. Ainsi que dans le Concerto « per la solennita di San Lorenzo«  RV 556, dont j’ignore la date de composition.

Et aussi dans la tragédie en musique Zoroastre de Jean-Philippe Rameau en 1749.

Et ce n’est qu’à partir des années 1750 que la clarinette aura conquis, d’abord les instrumentistes, et bien vite le public des concerts qui commençaient alors à gagner en aura et diffusion par les diverses capitales européennes…

À commencer par le salon des La Pouplinière, à Paris _ fréquenté par Rameau ; et pépinière de remarquables talents….

C’est donc avec une curiosité certaine que j’ai réussi à me procurer, tout de suite, et écouter le CD « Vivaldi«  _ Sony 19073929912 _ de Martin Fröst, avec Concerto Köln, enregistré en 2019 :

le programme comportant 3 Concertos reconstitués, à partir d’Arias chantés extraits de diverses œuvres vocales d’Antonio Vivaldi _ et respectivement baptisés ici « Sant’Angelo« , « La Fenice«  et « Il Mezzetino«  _, a été spécialement constitué et adapté pour la clarinette de Martin Fröst par le Professeur Andreas N. Tarkmann…

Mais, à mon goût du moins, cette réalisation « re-imagining Vivaldi » manque par trop d’évidence dans le raboutement de ces divers morceaux, et n’atteint hélas pas la fluidité bien plus convainquante du programme, pourtant bien plus composite, du CD suivant de Martin Fröst, « Night Passages« … 

En revanche _ et sur les conseils de toute confiance du toujours très avisé Vincent Dourthe _, je me suis aussi procuré le CD Vivaldi Alpha 364, paru en 2020, intitulé « Concerti per flauto« , avec diverses fûtes, de Giovanni Antonini, avec Il Giardino Armonico :

et c’est là une réalisation tout à fait somptueuse

et de _ sans rien forcer _ la plus parfaite évidence, elle, en le naturel lumineux de sa fluidité pourtant la plus virtuose, en l’aisance élégante et si poétique de sa sprezzatura

Le trésor des œuvres, toujours nouvelles, laissées par l’inventivité inépuisable du génial Antonio Vivaldi, nous semble en quelque sorte, et merveilleusement, toujours à découvrir …

Ce jeudi 28 avril 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

Bravissimo au ravelissime CD Ravel de Clément Lefebvre

30déc

Pour enfoncer le clou de mon article  du 18 novembre dernier,

dans lequel je me référais au commentaire, excellent, de ce CD par Jean-Charles Hoffelé, en un article intitulé Ravel danse, de la veille,

voilà que je suis tombé hier sur un nouvel article de commentaire de ce ravélissime CD de Clément Lefebvre, sur le site ResMusica, et sous la plume de Stéphane Friédérich :

un article intitulé cette fois Le réjouissant Ravel de Clément Lefebvre

Que voici :

Le réjouissant Ravel de Clément Lefebvre

Après un splendide _ oui ! _ album consacré à Rameau et Couperin également chez Evidence Classics _ cf mon article du 9 juin 2018 : _, Clément Lefebvre nous offre, loin des pages les plus spectaculaires de Ravel, des interprétations marquantes de pièces composées à l’ombre du Grand Siècle.

Classicisme et/ou modernité, précisément : la question est induite dans l’excellent texte de présentation _ de Clément lefèbvre lui-même ? _ qui offre la parole au compositeur placé devant le dilemme de rendre dommage à « ce XVIIIᵉ siècle de mes rêves » tout en demeurant pleinement lui-même dans l’effervescence des années 1890-1910. À la première mesure, la Sonatine naît sous les doigts du pianiste comme une évidence _ oui, tout simplement, en effet. Il est d’ailleurs impossible qu’elle ne soit pas “juste” et d’en relâcher une seule note, mais aussi de ne pas projeter le son vers le haut, de ne pas éviter “l’effet bibelot” ou, pire, le rachitisme analytique. La Sonatine n’est guidée que par une lumière à peine tamisée, jouant de « ce battement d’ailes » comme le décrivit si bien Vlado Perlemuter. Interpréter avec raffinement sans être précieux _ voilà ! _, voilà précisément ce que réussit Clément Lefebvre dans cette œuvre, puis dans l’élan du Menuet sur le nom de Haydn, moins “lent” que supposé, mais toujours ciselé dans le chant intime _ oui : ravélien. C’est, en effet, une musique que l’on joue pour soi et qui devrait être fortement déconseillée dans les grandes salles de concert. L’œuvre ne croît que par ses ambiguïtés, ses suggestions, une divine hypocrisie _ ou plutôt pudeur _ de styles bariolés. Elle s’amuse de ses indications « très vite mais pas précipité», mais aussi « sans prudence et sans merci ! ». Le superbe Yamaha CFX que l’on entend est réglé comme un cartel de Versailles avec juste ce qu’il faut d’or, de patine et de doux balancement.

Le cœur de l’album, ce sont les Valses nobles et sentimentales. Clément Lefebvre multiplie les modes d’attaques, les respirations brèves, les atmosphères qui naissent et disparaissent aussitôt, grâce à un toucher associant tendresse et robustesse _ voilà. C’est à la fois franc, élégant et suggestif _ oui : sans la moindre « hypocrisie« , par conséquent : le mot était un peu malheureux... Les ombres d’une chorégraphie et le pressentiment de l’orchestration déjà pensée par Ravel favorisent la prise de risques. Dans la cinquième danse, par exemple, l’interprète tire les rythmes “à lui”, dans un tempo un peu plus rapide que ce « presque lent », mais l’effet si bien calculé en devient… naturel _ comme il se doit, raveliennement… Les valses sont ce qu’on en attend : piquantes et aimables à la fois, des successions déroutantes de mouvements contraires et indansables.

Le Menuet Antique qui suit, frôle la parodie “chabriesque”. Peut-on imaginer, en 1895, soit deux ans avant la disparition de Brahms, une œuvre plus éloignée de l’écriture du viennois ? Quant à la partition à demi-reniée par le compositeur, la Pavane jouant sur les maux d’une infante, « ce morceau qui fait l’admiration des demoiselles qui ne jouent pas très bien du piano » écrit le critique Roland-Manuel, Clément Lefebvre ne se réfugie pas dans la distanciation affective ou, pire encore, dans un jeu la main sur la poitrine : il laisse les harmonies si délicates s’épanouir par elles mêmes. C’est amplement suffisant, et donc difficile à exécuter. D’une mourante feinte, à l’hommage aux disparus (eux, bien véritables), le Tombeau de Couperin clôt ce disque d’un néo-classicisme d’avant-garde. L’interprète nous a prouvé, en effet, que ces deux termes n’étaient pas tant des oxymores, que la nostalgie de faire revivre une Europe en paix _ probablement. Dans ce Tombeau de Couperin, imaginons que Clément Lefebvre nous convie au souvenir de promenades dans le Palais Royal, dans des jardins à la française. Le piano toujours aussi limpide et narratif ne rompt pas un instant avec le charme moqueur et la noblesse discrète _ oui _ des premières œuvres de ce disque. Rameau et Couperin, toujours _ oui.

Maurice Ravel (1875-1937) : Sonatine ; Menuet sur le nom de Haydn ; Valses nobles et sentimentales ; Menuet antique ; Pavane pour une infante défunte ; Le Tombeau de Couperin.

Clément Lefebvre, piano.

1 CD Evidence Classics.

Enregistré au Théâtre Elisabéthain du Château d’Hardelot, en avril 2021.

Notice en anglais et français.

Durée : 60:05

Un CD délectablement ravelissime en sa sveltesse raffinée

aux antipodes du moindre maniérisme…

Ravel, un musicien de l’intimité discrète, mais ferme.

Ce jeudi 30 décembre 2021, Titus Curiosus – Francis Lippa

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