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Le bien que la musique de Bach fait-faisait à Claude Sautet : infinie gratitude !

02sept

A l’instant,

peu avant 8 heures, sur France-Musique,

et en 8 minutes _ musique comprise

et sous les doigts de Leon Fleisher en 2004 _,

ce magnifique _ si juste, profond, avéré de la plupart d’entre nous _ propos de Claude Sautet _ 1924 – 2000 _

en 1982,

à l’émission _ merveilleuse et irremplacée ! _ de Claude Maupomé

talençaise, décédée le 31 mars 2006 ; elle officia splendidement (et en parfaite modestie) de 1975 à 1990 sur France-Musique ;

la notice nécrologique Claude Maupomé, productrice à France Musique de Gérard Condé dans Le Monde du 15 avril 2006

est excellente ! _

Comment l’entendez-vous ?,

à la fois sur Jean-Sébastien Bach

et sur le bien que l’écouter lui faisait-fait _ nous fait _ :

le propos sur Bach de Claude Sautet 

Écoutez-le !

Infinie gratitude !!!

Ce dimanche 2 septembre 2018, Titus Curiosus – Francis Lippa

P. s. :

généraliser aveuglément

_ tels les algorithmes paresseux qui trop souvent nous mutilent et nous font fulminer ! _

est certes stupide ;

mais nous pouvons étendre ce propos à presque toute la musique

_ presque toutes les musiques,

quand elles atteignent, du moins, la perfection : certaines chansons de trois minutes (par exemple le Respect d’Aretha Franklin) ;

et, aussi, que nous sommes en disposition (ce n’est hélas pas toujours le cas) de les recevoir le mieux possible,

condition sine qua non, et toujours perfectible… _ ;

et à tous les chefs d’œuvre de l’art

_ y compris les très grands (et très longs) livres : par exemple, Proust, Faulkner, etc. ! ;

pas seulement un bref poème (par exemple verlainien) qui nous touche et bouleverse pour jamais ;

il faut que tout un monde plein s’ouvre

et s’emplisse de lumières par là :

c’est la une voie d’accès privilégiée, et parfaitement temporelle (immédiate et dynamisante !), à l’éternité, rien que cela !!!

et en toute simplicité et évidence

pour peu qu’on sache l’accueillir, saisir, prendre, suivre, nous laisser conduire par elle

et ses multiples affluents et confluents _,

même s’il ne s’agit en rien _ à commencer pour leurs auteurs _ de médicaments

_ à consommer mécaniquement à la Pavlov (tous sens fermés, éteints, anesthésiés, quasi morts)…

Mais entrer

_ si peu que soit, pour commencer, et par quelque sens que ce soit ; même furtivement, mais à plein !… _

dans quelque moment de joie

élève

tel est l’effet (euphorisant) de cette irrésistible dynamique ! à poursuivre… _

l’entrant

qui est amené à rencontrer et partager ainsi l’aisthesis

infiniment riche en quelques traits simplement réunis

de l’œuvre !

Et à l’approfondir et cultiver, ensuite

et surtout !

Une culture se construisant, pas à pas, œuvre à œuvre,

inter-connectées

par notre sensibilité s’aiguisant et se formant

_ et c’est là l’œuvre (de larges confluences) de toute une vie

peu à peu de mieux en mieux nôtre !

En la singularité de ses riches partages multiples formateurs (et non formatés)…

Jusqu’à peut-être former-inaugurer son propre style, à soi…

C’est tout un monde plein et lumineux qui vient ainsi s’ouvrir-offrir à nous,

si nous savons l’accueillir

et y répondre…

Pour aborder le continent Cixous (II)

09mai

Pour continuer mon exploration du continent Cixous,

après mon  du 25 avril derniersoit ma première étape de cette approche _, qui concernait ma lecture de Homère est morte… (2014), Eve s’évade _ la Ruine et la Vie (2009), et Si près (2007), 

j’en viens à mes lectures de Hyperrêve (2006) et Tours promises (2004).


Par conséquent,

à partir de ma lecture de Hyperrêveparu le 7 septembre 2006,

je place ce jour à mon dossier d’approche

cet article

La Peau du Temps

de notre ami René de Ceccatty,

publié dans Le Monde, le 8 septembre 2006

_ article au sein duquel j’intercale, au passage, ainsi que j’aime le faire, quelques menues farcissures de commentaire (ou précisions factuelles) de mon cru, en vert.

Si ces farcissures dérangent, le lecteur a, bien sûr, entier loisir de les shunter.

Voici donc cet article de René de Ceccatty, de 2006, à propos de Hyperrêve d’Hélène Cixous,

et autour de la question qui vient plus particulièrement ici _ car elle est permanente ! _ travailler l’auteur

de ce qui continue d’une vie _ le podcast de la voix d’Hélène Cixous, enregistrée le 15 septembre 2006, dure 4′ 28 ; et c’est bouleversant de beauté de la vérité ! Les voix, en effet, sont tellement fondamentales ! et perdre la voix et la parole d’un interlocuteur (ne serait-ce qu’au téléphone !) ajoute à la tragédie de la perte pour nous de sa personne _ par-delà cette interruption que constitue, pour nous qui vivons, la mort physique de la personne dont la conversation nous fait désormais cruellement défaut :

La peau du temps

Hélène Cixous explore les tragédies
de l’intime dans Hyperrêve, un récit habité par le vieillissement de sa mère
et le deuil du philosophe Jacques Derrida 

Certains lecteurs _ c’est donc d’abord aux capacités et incapacités de la lecture (des divers lecteurs) que vient s’intéresser le lecteur lui-même qu’est ici René de Ceccatty, notons-le pour commencer _ ont perdu le sens musical, celui qui leur permettrait de retrouver, chez un auteur, les tonalités familières qui leur donneraient le sentiment d’être en sécurité _ en un très long flux continu, qui vient les envelopper et les exalter, en la chaude et vraie familiarité continuée, ou reprise, maintenue en tout cas _, le temps de la lecture _ serpentine d’une telle œuvre à longues phrases. Les mélomanes connaissent bien cette sensation qui fait que, entendant pour la première fois une pièce musicale, ils l’attribuent _ aussi _ sans difficulté à un compositeur _ dont ils reconnaissent, parce qu’il s’y sont plus ou moins familiarisés avec, l’unicité d’un style : singulier. « Le style, c’est l’homme même« , dit Buffon. Hélène Cixous, pour être lue et aimée, demande que les lecteurs récupèrent cette faculté _ musicale, en effet ; ce qui implique de relier l’opus en train d’être lu à d’autres précédemment lus de cet auteur ; dans l’œuvre de laquelle tout se tient, se prolonge, se continue, se perpétue, en se renouvelant sans cesse ; car il y faut ce dynamisme-là, et non la simple répétition (mécanique, ou algorithmique, maintenant). Elle a construit son œuvre, contrairement aux préjugés qui traînent encore _ hélas : le buzz des médias est difficile à contrebalancer, comme venir à bout de la mauvaise herbe _ et qui en ont interdit l’accès à ceux qui seraient prêts à y entrer, avec une parfaite _ c’est-à-dire totale _ liberté _ sans la moindre compromission, et jubilatoire, qui plus est : ce point est capital. Ici, les résonances durent longtemps ; et règnent : dans la grâce.

Joyce, auquel elle a consacré sa thèse _ L’Exil de James Joyce, ou l’art du remplacement, en 1968 _, lui a montré _ déjà _ une voie _ où engager sa propre écriture. Puis Kafka, puis Proust _ en effet. Et il y a l’ami « pour toujours », Jacques Derrida, avec lequel elle a entretenu un dialogue constant _ si dès 1955 elle l’a entendu, lui « de dos« (en une leçon d’agrégation à la Sorbonne), c’est en 1962 que leur dialogue a commencé, pour ne plus jamais s’interrompre _, qu’elle prolonge _ oui, par ce qu’elle nomme ici hyperrêves _ au-delà de la mort du philosophe _ survenue le 9 octobre 2004 ; il avait soixante-quatorze ans. Et le théâtre, pratiqué essentiellement avec Ariane Mnouchkine et parfois avec Daniel Mesguich, l’a incitée à adopter une autre forme _ encore _ de communication, se tournant vers d’autres mondes sans se couper _ jamais non plus _ d’elle-même _ c’est-à-dire des diverses voix résonnant toujours en elle-même : dans l’éternité temporelle.

Depuis quelques livres, on dit qu’Hélène Cixous est devenue « plus facile » _ à lire. Elle a rendu plus directe _ c’est-à-dire frontale _ une réflexion sur son père _ Georges _, sur sa mère _ Eve _, sur son fils _ Stéphane _ né handicapé et disparu très petit _ en 1961 _, sur ses ascendances juive et allemande _ côté sépharade comme côté ashkénaze _, sur sa jeunesse algérienne _ de sa naissance à Oran, le 5 juin 1937, à son départ pour Paris (et la khâgne du lycée Lakanal), en septembre 1955, à l’âge de dix-huit ans. Mais les thèmes étaient tous _ déjà _ là, dès les premiers livres _ oui. De même que demeure toujours ici l’usage très vif _ et terriblement libre : c’est-à-dire pleinement poiétique _ de la mythologie, de la psychanalyse, de la littérature aimée (Stendhal, Montaigne, Balzac et bien d’autres) _ ce sont, chaque fois, des dialogues ouverts : toutes ces voix parlent, questionnent et répondent, en de véritables conversations suivies, ouvertes et prolongées, continuées. Toujours, Hélène Cixous a _ en effet _ parlé _ dans ses livres _ de sa vie familiale _ une forme d’ancrage physique éminemment charnel, en ses divers déplacements effectifs _, de ses rencontres _ passionnées et vitales _, du monde extérieur et intérieur – les guerres, les violences politiques, l’existence quotidienne, les liens affectifs, et quelques lieux _ privilégiés _, près d’Oran, près d’Arcachon _ où elle écrit au calme de son intériorité interrogée et hyper-attentive, l’été _, dont _ aussi, et éminemment _ la tour _ chérie et vénérée _ du château de Montaigne _ oui _, au sens symbolique très fort —  dans un monologue _ poursuivi à l’infini avec toutes ces voix qui lui parlent _ que suspendent parfois _ mais oui _ des saynètes oniriques _ importantes _ ou que viennent tempérer des dialogues très simples, très vivants, très drôles _ absolument ! _ : avec son frère _ Pierre, d’un an plus jeune qu’elle _ qu’elle avait un peu prématurément décidé, dans un livre précédent _ Tours promises _ de réduire au silence _ comme personnage (dans ses livres), pas comme personne (dans sa vie) ; suite à un mot malencontreusement reçu (d’elle ; et à l’oral comme à l’écrit) par lui : le mot de « versatilité« … Cf à la page 85 de Tours promises _, et avec sa mère _ Eve, plus que jamais présente, avec sa formidable vitalité malicieuse et rayonnante, à quatre-vingt-quinze ans en 2005 .

Stupéfiante digression

Cette mère, Eve Klein, d’origine allemande _ née à Strabourg, alors allemande, le 14 octobre 1910 ; et d’une famille d’Osnabrück : les Jonas et les Meyer… _, est le centre de ce récit. Disons plutôt _ oui, car le lien (par hyperrêves…) à Derrida disparu (encore récemment : le 9 octobre 2004) est au moins aussi important _ que c’est un thème principal. Ce n’est pas la première fois, mais jamais il n’avait été traité avec autant de présence, de ferveur, de précision _ oui : c’est à la fois très sobre et chaleureusement lumineux, et parfois flamboyant. Les clashes ne manquent pas. Elle est atteinte d’une maladie de peau, rarissime, auto-immune, qui n’affecte que les nonagénaires et exige des soins quotidiens (que sa fille, Hélène, lui prodigue). Cette intimité _ on ne peut plus pragmatique _ ne provoque chez le lecteur aucun sentiment de gêne. Pas plus que la réflexion de l’auteur, qui la sait « avant la fin », c’est-à-dire au seuil de la mort _ Eve Cixous décèdera huit ans plus tard, le 1er juillet 2013, en sa cent-troisième année. Le lecteur n’est pas embarrassé, parce qu’il ne s’agit pas d’impudeur : tout est matière à approfondissement, à intériorisation, à connaissance _ voilà ! et en permanence enrichie, mais c’est là par la vertu de l’acte même de l’écrire si ouvert et fécond d’Hélène Cixous _ de soi et de l’autre _ les deux pôles reliés, et c’est cela qui est éblouissant, dans sa simplicité et profondeur intrinsèquement liées : à fleur des soins quotidiens à la peau crevassée de sa mère… Ne sont gênants en littérature que les allusions _ frustrantes _, les appels usurpés à une basse complicité _ obscène _, les demi-mesures _ bancales. Le traitement frontal _ voilà : sans chichi, dans sa très simple et lumineuse évidence _ d’un sujet _ quel qu’il soit _ ne suscite aucun malaise. « Je serai cette peau demain » _ eh oui ! _, tranche l’auteur en oignant _ scrupuleusement, et quasi sacralement _ le corps de sa mère. Cela suffit à déchirer le voile de distance _ et entre elles deux, et avec nous qui lisons _ que pourrait tendre une excessive crudité _ qui nous violenterait. Ici c’est la plus humaine douceur tactile qui règne dans le ballet de la gestique, ponctuée d’un coruscant jeu verbal (à la Marivaux ?) et musical (à la Mozart ?) d’acérées et pétulantes frictions de mots, et leur piquant de pointes d’ironie et humour échangées.

Le vieillissement d’un être cher ne peut être aussi _ forcément _ que le nôtre _ un peu moins évident seulement. La peau d’Eve devient alors l’image visible _ et sensible _ du temps _ voilà ! « Tu es le temps » _ c’est magnifique ! _, répète Hélène à sa mère _ vieillarde, page 110 : elle en est simplement exemplaire. Et le livre tout entier apparaît comme un chant lyrique _ oui _ adressé _ sacralement _ au temps _ où se déploie (et qui nourrit) la dynamique de la vie ; et de toute vie. « Quand je peins ma mère, je peins _ aussi _ la peau du siècle _ qu’elle a traversé et vécu. Ce vingtième siècle si grand vu de loin, si petit vu de l’intérieur quand on est dans son wagon archiplein _ allemand notamment _ à ramper pour trouver une couchette et qui n’a pas arrêté un instant de faire _ en de plus que terribles chahutements _ l’histoire de ma mère _ et de sa famille (les Jonas) en Allemagne. Chaque fois qu’un ulcère cicatrise, il y en a un autre qui prend la suite du pus. On ne peut pas guérir. » De ce temps _ obstinément _ circulaire _ d’où survit, se dresse, court et rugit la formidable vitalité d’Eve _ se détachent quelques dates, quelques événements. Non pas seulement l’année 1971 où Eve Klein a dû quitter _ contre son gré : expulsée et complètement spoliée _ l’Algérie où elle avait vécu _ jusque là _, en exerçant le métier de sage-femme. Mais des dates qui appartiennent à un « patrimoine _ commun et général _ de l’humanité ». La particularité du « ton Cixous » _ voilà _ est qu’avec le plus grand naturel _ oui : tout coule de source et se déploie en longs flux de phrases : musicaux _, l’écrivain passe _ en un transport parfaitement naturel _ de tableaux intimes et familiaux à des analyses politiques et culturelles _ et dans une admirable palette de tons vivaces les plus divers et humainement variés. De la scène intime à la scène publique _ voilà. C’est, du reste, une des leçons du Théâtre du Soleil _ de son amie Ariane Mnouchkine avec laquelle elle a beaucoup travaillé, à Vincennes _, qui pour toute évocation d’un drame historique ou politique a, en général, préféré le langage individuel, de personnages obscurs, à la représentation démonstrative des grands de ce monde _ à hauteur de plus éclairants détails ; la remarque de René de Ceccatty est tout à fait précieuse.

Un événement familial très étrange (la récupération d’un sommier de Walter Benjamin, à la fin des années 1930 _ et dans le XIVe arrondissement de Paris, où s’étaient regroupés beaucoup d’Allemands anti-nazis : Hannah Arendt, Arthur Koestler, Erich et Herta Cohn-Bendit, Walter Benjamin, donc, ou Lisa et Hans Fittko… _) est le point de départ d’une stupéfiante digression. « Ton livre est sur Benjamin ? dit mon frère. – Sur les astres du déménagement dis-je, sur les trous dans les murs du dernier refuge, sur l’état des tapisseries. – C’est étrange, dit mon frère. J’aimerais comprendre. »

Le deuil de Jacques Derrida envahit, bien sûr _ forcément : les coups de fil au téléphone manquent désormais sévèrement à Hélène ! _, ces pages _ et davantage encore, à mes yeux, que l’inquiétude visionnaire d’Hélène Cixous pour le devenir de sa mère alors nonagénaire. Mais d’une autre manière que dans les essais que l’écrivain lui a consacrés (Portrait de Jacques Derrida en Jeune Saint Juif, Voiles, ou, plus récemment, Insister). Le philosophe est là, avec quelques-unes de ses phrases _ voilà _ qui résonnent encore douloureusement : « On peut toujours perdre encore plus. » Ou « Moi, je suis toujours et chaque fois en train de lui rappeler, de mon côté, qu’on meurt à la fin, trop vite. » Ou le commentaire de la phrase de saint Augustin « Sero te amavi » (« Je t’ai aimée trop tard »). Il faut lire ces pages comme des échos _ en rappels sonores et dans les harmoniques de leurs résonances ! _ d’analyses plus discursives que l’on trouvera ailleurs. Comme des échos tremblants _ oui _ d’émotion, dans cette zone intermédiaire _ voilà _ entre les visions du sommeil et leur description éveillée _ qui constitue précisément ces hyperrêves. Hélène Cixous a rédigé son livre, ses livres, dans cette marge-là _ vivante, vibrante, voyageante. Transporteuse et exaltante.

… 

René de Ceccatty

Relire Hélène

Bien que l’on ait dit qu’Hélène Cixous avait « changé de style » avec Or, Les lettres de mon père, suivi par Osnabrück (éd. Des femmes, 1997 et 1999) et par Les Rêveries de la femme sauvage (Galilée, 2000) qui ouvre un véritable cycle autobiographique – Le Jour où je n’étais pas là (ibid. 2000), Benjamin à Montaigne (2001), etc. –, il n’est pas d’œuvre plus fidèle au projet initial, lancé par sa thèse sur Joyce, L’Exil de Joyce ou l’art du remplacement (Grasset, 1968). Si, depuis son premier recueil, paru chez Grasset en 1967 (Le Prénom de Dieu), suivi par son prix Médicis, Dedans (ibid. 1969), ses publications se sont divisées en « fictions », « théâtre » et « essais », croisant souvent son travail d’enseignante à l’université de Vincennes (qu’elle a cofondée), puis de Nanterre, poursuivi par son séminaire au Collège international de philosophie et ses activités de dramaturge dans la compagnie d’Ariane Mnouchkine, elles ne sont jamais fermées sur elles-mêmes, mais se renvoient l’une à l’autre.

Et l’on est en présence d’un ensemble d’une rare cohérence _ oui : tout se tient, et résonne en échos qui se répondent, musicalement _ : chaque livre _ creusant son sillon propre, avec ses nouvelles focales _ pouvant servir de filtre ou de clé _ voilà _ aux précédents _ d’où nos fréquentes reprises de références… La multiplication de ses éditeurs (outre ceux qui ont été cités, Gallimard, pour La, 1976, et Le Livre de Promethéa, 1983, le Seuil pour Tombe, 1973, Prénoms de personne, 1974, Révolution pour plus d’un Faust 1975) est à l’image  est à l’image non de ses hésitations, mais des incertitudes éditoriales et des influences internes aux grandes maisons _ ce n’est donc pas du tout du côté de l’auteur que se trouve l’incohérence et l’infidélité. Il est temps de relire les premiers livres d’Hélène Cixous, NeutreIllaSoufflesAngst (disponibles pour la plupart aux éditions Des femmes), à la lumière limpide _ conquise à force de creusements et de multiplication des angles de vues _ des derniers (parus chez Galilée).

R. de C


Et,

toujours en remontant dans le temps,

et donc dans l’ordre inverse de celui des publications des œuvres d’Hélène Cixous,

c’est cette fois sur Tours promises,

ouvrage publié aux Éditions Galilée le 9 septembre 2004,

que voici cet autre article de René de Ceccatty paru le 13  novembre 2004 dans le Monde :

Hélène Cixous sur la scène du rêve et de l’amitié

_ avec, à nouveau interposées, mes menues farcissures de commentaire ou précisions factuelles, en vert.

Et si ces farcissures dérangent, le lecteur a toujours, bien sûr, loisir entier de les shunter. Chaque lecture a son rythme ; au lecteur d’en décider.

Hélène Cixous, sur la scène du rêve et de l’amitié

L’écrivain, qui a été une des figures de proue du féminisme, publie Tours promise: elle fait le point sur sa démarche littéraire _ et c’est bien là le point décisif ! C’est bien de cela, en effet, de cette « démarche littéraire » (à la fois extrêmement exigeante et infiniment jouissive en sa complexité et fécondité), qu’il s’y agit fondamentalement ! Car ces « tours promises« , ce sont d’abord, mais oui, des livres : des livres à venir ! (telles des « promesses » s’esquissant et dont l’auteur se réjouit du futur accomplissement…) et qui, une fois réalisées, viendront, achevées, se dresser, verticalement ! ; ainsi, aussi, que des livres qui ne parviendront pas, eux, jusqu’à ce stade de livres matérialisés et publiés, et qui ne prendront donc pas, eux, la forme de livres debout (ou couchés), et accessibles matériellement à tout moment sur les étagères d’une bibliothèque (personnelle ou publique) ; et dont les « promesses« , non réalisées, seront demeurées au stade (mais qui a aussi une forme, sa forme, de réalité…) de « promesses«  _  où se mêlent fiction, théâtralisation et réalité _ les « tours«  (ainsi « promises« ) étant donc aussi et d’abord ici ces livres en puissance d’être placés en position verticale, sur les rayons de la pièce-bureau où travaille et écrit l’auteur : à Paris ou à Arcachon ; ou ailleurs… Livres présents ; livres à venir ; livres demeurés (ou demeurant) dans les limbes… Soit des promesses accomplies, pour les uns ; en gestation ou en dormance, pour d’autres ; et peut-être à jamais avortées, pour d’autres encore ; mais qui toutes ces dernières n’en ont pas moins acquis une forme de réalité (semi-clandestine) en ce qui a été, assez durablement, leur gestation, voire leur simple éventualité plus ou moins envisagée et travaillée, déjà : dans la tête de leur auteur… C’est à ces ombres de livres promis et prometteurs que n’oublie donc pas de penser aussi, ici, Hélène Cixous.

Dans son appartement parisien _ en son autre chez elle, à Arcachon, en sa « tour » d’écriture probablement favorite où elle écrit l’été, Hélène Cixous n’a jamais reçu quiconque qui n’est pas de sa famille, vient-elle de me confier au téléphone, quand je lui ai proposé de venir lui rendre visite cet été à Arcachon, depuis Bordeaux ; c’était jeudi matin le 3 mai, il y une semaine ; Hélène Cixous réservant très rigoureusement, et sans la moindre exception pour quiconque d’étranger à sa famille, son été à Arcachon à l’absolu de la concentration de sa tâche sacrée d’écriture ! Je la comprends parfaitement _, lumineux, vaste et moderne, qui porte les marques de l’Orient, tapis de l’Algérie natale et tissus soyeux d’une Inde rêvée _ un lieu que René de Ceccatty connaît, par conséquent _, Hélène Cixous vit avec ses chattes, qui ont leur place _ oui : existe en effet aussi entre elles un dialogue silencieux qui mérite d’être abordé par elle _ dans ses livres _ tels qu’ils sont publiés. L’environnement quotidien, son séminaire fidèlement tenu le samedi, son travail au Théâtre du Soleil avec Ariane Mnouchkine, ses conférences aux Etats-Unis,  ses rêves _ ou très précieux hyperrêves _ notés en pleine nuit dans de brefs réveils _ il faut les recevoir et conserver avec le plus grand soin ! ce sont des messages (sacrés) d’interlocution avec des absents et surtout disparus, avec lesquels maintenir une exceptionnelle communication ainsi _, ses dictionnaires, sa mémoire familiale, la visite quotidienne de sa mère, Eve Klein, personnage-clé de son œuvre : les repères sont nets, rappelés dans les textes écrits et dans la conversation. Cette conversation, tous ceux qui approchent Hélène Cixous, la savent fluide _ oui _, brillante et joyeuse _ oui _, toujours éclairée de rires _ et quelque chose de cela s’entend très audiblement encore dans le flux sonore, musical, si merveilleusement vivant, des phrases du livre.

Sa thèse sur Joyce (avec Jean-Jacques Mayoux _ immense angliciste et américaniste (1901-1987) : un maître de lecture pour moi aussi ! cf par exemple son somptueux William Shakespeare _ qui l’a mise sur le chemin de l’écriture), ses recherches sur le langage, ses cours à l’Université de Vincennes, puis de Saint-Denis, la création d’une chaire d’Etudes féminines, ont élaboré une figure _ certes _ d’auteur « difficile », en réalité éloignée _ mais oui ! _ de la personne vibrante et passionnée _ voilà ! _ que ses publications dévoilent _ et donnent merveilleusement à ressentir : pour ma part, seule celle-ci m’intéresse. Exigeante et disciplinée, certainement. Tant dans la construction de ses livres que dans l’organisation de sa vie intellectuelle, strictement partagée entre le théâtre, l’enseignement et l’écriture, et sur un mode plus discret, l’activité politique en faveur des populations déplacées. Mais aussi curieuse, spontanée, attentive, affective _ dont acte : l’essentiel est dit là. L’amitié _ sans nul doute _ détermine ses engagements, comme elle le rappelle dès qu’on l’interroge sur son parcours.

Parce que Tours promises (Galilée, 266p.  26€) se réfère, plus encore que les précédents ouvrages, à la part d’autobiographie réinventée _ tiens donc ! mais où passe ici la frontière entre le réel et le vécu effectivement advenus, et l’« autobiographie réinventée«  ? Est-ce aisé à repérer ? Est-ce même assignable ?.. Nul doute que nous avons affaire, ici aussi, à un jeu malicieux (mais déjà actif dans le moindre travail de mémoire de quiconque) entre souvenirs et fiction… _ que comportent ses fictions _ le terme est parfaitement clairement annoncé ! et donc assumé… _, on est tenté, à partir de cette parution, de proposer un bilan _ René de Ceccatty, lecteur merveilleux et magnifiquement scrupuleux, le peut, en 2004 ; moi-même, pas ; du moins pas encore, en 2018. Si la destruction des Twin Towers _ le 11 septembre 2001 _ est évoquée, c’est d’une autre tour qu’il est _ surtout, très concrètement, et d’abord (mais pas seulement elle, cette tour aimée là…) _ question : celle _ merveilleusement exemplaire : le modèle même (et vénéré !) de toute chambre porteuse d’écriture ! _ du château de Montaigne ; et à travers elle _ en effet _ l’amitié passionnée de l’auteur des Essais et de la Boétie _ et leur conversation sans égale. C’est sur le terrible manque (et son effort de « remplacement« ) éprouvés par Montaigne, qu’ont dû s’élaborer et s’ajouter (et ré-écrire, rectifier par précisions permanentes : « tant qu’il y aura de l’encre et du papier au monde« …) les essais, eux-mêmes merveilleusement plurivoques ; et même à plusieurs encres dans leur ajoûts à la relecture et à la re-pensée. Cf là-dessus le magnifique livre d’Alain Legros (à propos du dialogue de Montaigne avec ses inscriptions latines et grecques sur les poutres de sa librairie) Essai sur poutres ; et aussi, du même Alain Legros, Montaigne manuscrit ; et cf mon article du 30 septembre 2011 :  L’amitié, la passion _ oui _ : toutes deux constamment présentes _ absolument ! Chez Hélène Cixous comme chez Montaigne. Et ici je me permets de renvoyer à l’article inaugural de mon blog En cherchant bien _ le carnet d’un curieux, rédigé en quelque sorte programmatiquement au mois de mai 2008, il y a exactement dix ans : Le Carnet d’un curieux. On y lira ce qui me lie personnellement, moi aussi, et à Montaigne, l’auteur des Essais, et à sa tour (et sa magique librairie). Puisque j’ai vécu toute mon enfance dans le voisinage et la proximité de cette toute simple et en même temps si humaine tour, pouvant m’y rendre à pied dans la journée. Et c’est avec ferveur que j’y ai souvent conduit des amis.

Le frère d’Hélène _ Pierre, son cadet d’une année, et médecin à Bordeaux _ a longtemps accompagné la rédaction des livres. Comme Eve, la mère, le frère médecin apparaissait, donnant une tonalité souvent gaie et décalée _ oui : très plaisante ! _ au récit. Et voilà _ suite à une vexation à propos du terme de « versatilité » employé (à l’oral et à l’écrit) par sa sœur pour le caractériser ! Alors qu’à la page 199 de son Photos de racines, Hélène Cixous a écrit on ne peut plus positivement à propos de ce mot même de « versatilité« , ceci : « Peut-être que la virtuosité ou la versatilité verbale qu’il y a dans mon écriture, je la tiens de mon père : comme s’il m’avait fait cadeau de clés ou des linguistiques  » ; ce « cadeau » (de richesse de verbalisation), son frère Pierre l’a donc lui aussi reçu !.. _ qu’il ne veut plus être un personnage _ voilà _ des livres de sa sœur _ et à ces rapports entre personne et personnage René de Ceccatty est d’autant plus sensible que c’est le titre même (Personnes et personnages) qu’il a choisi de donner à sa toute première publication, aux Éditions de la Différence, en 1979… Et, plus encore, qu’il s’agit là d’un lien (entre personnes et personnages) qui continue, lui auteur, de le travailler ; cf mon article du 12 décembre 2017 sur son magnifique Enfance, dernier chapitre : … Comment le remplacer _ ce personnage de frère _ et, du reste, est-il remplaçable ? L’écrivain _ et nous lecteurs, à sa suite ! _ va être surpris par le destin, qui lui offre sur-le-champ un substitut _ qualifié de « semifrère«  _, en la personne de François Tremblay, un ami d’enfance _ à Alger _ qui resurgit _ en effet, page 212 : au Canada  _ cinquante ans plus tard. Devenu photographe au Canada _ page 248 _, il ressuscite _ qu’en penser ? est-ce bien là réalité ? ou fiction ?.. Nous hésitons. François Tremblay, photographe canadien, existe bien ! _ une part obscure de la vie du père d’Hélène Cixous _ peu avant son mariage (le 15 avril 1936, à Oran) avec Eve Klein _ : il se serait fiancé avec la sœur aînée de François, qui s’appelait Albertine _ page 196. Comme l’Albertine disparue de Proust. Le livre tout entier devient _ et c’est un point capital ! _ une méditation sur la disparition et le remplacement _ en effet : « J’écris un livre sur le remplacement. C’est maintenant que je mesure l’immensité rusée du sujet« , écrit on ne peut plus clairement Hélène Cixous page 167. Un processus présent tant dans le travail du rêve que dans les dynamiques de la fiction poiétique…

Stendhal, Proust, Kafka, Montaigne _ eux, mais aussi bien leurs personnages de fiction _ accompagnent les « promenades crépusculaires », qui rythment _ successivement _ cette enquête intérieure, où se dégagent des figures ou, comme préfère le dire Hélène Cixous, des « trans-figures » fraternelles et amicales _ qui sont les interlocuteurs privilégiés et probablement nécessaires de l’auteur (ainsi en dialogue) qu’est Hélène Cixous ; de même que de telles « trans-figures fraternelles et amicales«  étaient nécessaires aux méditations de conversation en absence… de Montaigne lui-même s’essayant en la librairie de sa tour chérie à ce qui, plume à la main, et avec encre et papier, devient, feuillet après feuillet, le jeu abouté de ses essais. Peu à peu, sans doute depuis les lettres retrouvées qui ont inspiré Or (Editions des femmes, 1997), l’œuvre s’est centrée _ mais simplement exemplairement _ sur l’histoire familiale : « J’ai toujours écrit à partir du matériel _ de base _ de la littérature, de la scène primitive _ voilà _ de toute littérature, qui est une scène de famille _ le concept, bien sûr, est freudien. On pourrait le dire d’Eschyle… Ce n’est pas une façon de tout ramener à ma famille, mais de considérer que c’est une famille qui peut avoir valeur universelle _ voilà _, si j’ai le regard suffisamment analytique ou poétique _ les deux ! Et la poiesis, bien sûr, est en l’affaire capitale ! _ pour en dépasser l’écorce _ platement et conventionnellement _ réaliste _ voilà : une simple affaire de capacité d’exemplarité, donc ; un exemple comme un autre, mais présent, là, et disponible, à proximité. A part mon « avant-premier livre », si je puis dire, Prénom  de Dieu,  que je laisse dans la préhistoire, dans la caverne, parce que c’est une chose, j’appelle ça une « chose », une larve, qui m’a toujours fait peur, qui venait des profondeurs, qui était hallucinatoire, et qui m’a même menacée. D’ailleurs j’étais, il faut le dire, dans une période de grande folie. Il me semblait que j’avais là la preuve de ma folie. J’ai tenu cette chose à distance, et c’est resté, cette chose-là. A part donc ce  recueil de nouvelles, de mythes éruptifs, des laves et des larves,  dès que j’ai écrit Dedans, j’ai eu honte qu’on prenne ce que j’avais écrit pour un livre : c’était simplement pour moi la _ simple _ manifestation littéraire _ comme il peut en exister bien d’autres manifestations _ d’une tragédie qui était pour moi primitive _ Hélène avait dix ans et cesse alors de n’être qu’une enfant _, c’est-à-dire la mort de mon père. Dedans ne commençait pas et ne finissait pas _ comme est censé le faire un livre _, enfin il explosait, eh bien là, c’était déjà, la scène de famille, mais transposée _ simplement. Je crois que ma signature, c’est la transposition » _ pleinement assumée.

Des amitiés _ de fait peu fréquentes : exceptionnelles, donc ; aujourd’hui, a contrario, se dit là-dessus n’importe quoi… _, Hélène Cixous parle comme de « miracles » _ elle n’a pas tort : l’amitié vraie rompt la chaîne de l’utilitarisme égocentré cyniquement triomphant dans le relationnel aux autres : chez les puissants, et les malheureux qui, médias et propagandes aidant, en sont contaminés. Le premier, ce fut donc la rencontre de Jacques Derrida, en deux temps. La première fois, en 1955, où, à peine arrivée en France _ pour accomplir sa khâgne au lycée Lakanal _, elle assiste _ à la Sorbonne _ à une « leçon » d’agrégation _ sur la pensée de la mort, se souvient-elle _,  comme elle le raconte _ page 47 _ dans ces Tours promises. La deuxième fois, sept années plus tard _ toujours page 47 _, où elle lui donne à lire son premier texte. « J’ai rencontré, juste au moment où j’aurais pu ne pas écrire, Derrida.. J’ai un sentiment de reconnaissance _ voilà _ à l’égard de la vie, figurez-vous… _ le sentiment de gratitude profonde et radieuse de Montaigne, et que Montaigne sublime en l’écriture jubilatoire de son sublime ultime essai L’angoisse s’est déplacée. L’angoisse _ terrible _ de mon enfance et de ma jeunesse était dans un coin de la pièce, très proche de moi : j’avais du mal à me tenir à l’écart de cette angoisse qui provenait des événements tragiques _ atrocement subis par sa famille ; et pas seulement en Allemagne hitlérienne. D’avoir vu, d’avoir été témoin _ en Algérie, enfant, déjà, puis adolescente _ de l’horreur de la guerre. De savoir, sans aucune hésitation possible, sans aucun voile, ce qui se produisait pendant la guerre. Je savais, je savais ce qui se passait dans ma famille _ même ; et pas seulement les Jonas _, je savais ce qu’était un camp de concentration _ et d’extermination. Je n’avais pas du tout de marge d’illusion _ dont acte à elle. Là-dessus, donc, des enchaînements tragiques dans mon existence, très vite, les uns après les autres _ oui. Et ensuite, inversement _ en un contraste puissant _, avec un peu de temps, j’ai eu la possibilité de mesurer la grâce _ voilà : elle existe.  Et la grâce, c’est d’avoir auprès de moi des gens d’une immense probité _ oui ! Et inconditionnelle. J’aurais pu ne pas avoir rencontré _ certes _ les êtres que j’aime, que je vénère ou avec qui je partage des choses essentielles _ sur ce phénomène de la rencontre, cf ma propre célébration :  J’aurais pu ne pas parler ma langue _ sa langue conquise d’auteur. Or, je peux parler ma langue _ celle, tout à fait sienne, conquise, qui apparaît d’abord peut-être dans l’écriture ; mais pas seulement l’écriture : qu’on l’écoute parler !!! _ avec quelques personnes _ qui savent l’entendre et la lire ; et échanger avec, bien sûr. Ça m’a permis de donner une part de ma scène intérieure _ voilà : celle qu’elle développe en ses livres _ à des états d’âme légers, heureux, joyeux, comiques _ bien présents, en effet, dans les livres ; et on partage la réjouissance de leur souffle joyeux. Je crois que le rire qu’il y a dans mes textes _ mais oui ! et presque tout le temps : on l’entend parfaitement… _ et qui n’est pas toujours perçu _ par les indiligents lecteurs dont voulait se préserver Montaigne dans le merveilleux Avant-Propos de ses Essais : « Indiligent lecteur, quitte ce livre !«  _, exprime cette gratitude _ voilà ! et c’est fondamental _ à l’égard de ce que la vie peut accorder » _ et qui se trouve être le dernier mot (testamentaire : le legs le plus heureux !) du sublime dernier chapitre des Essais : De l’expérience (livre III, chapitre 13).

René de Ceccatty

Voilà donc pour continuer cette exploration mienne du continent Cixous

par un dialogue de lecture redoublé,

et avec l’auteur Hélène Cixous elle-même,

via la succession de mes lectures successives de quelques livres marquants d’elle,

et avec notre ami à tous deux, René de Ceccatty,

via la succession de mes lectures et commentaires de quelques articles déjà bien fouillés de lui à propos de ses lectures lucides des livres successifs d’Hélène Cixous :

quel sublime concours de chances ! _ et à portée de toutes simples lectures attentives, du moins pour commencer… Avant de nous parler en creusant plus encore peut-être en profondeur.

Ce mercredi 9 mai 2018, Titus Curiosus – Francis Lippa

Après l’entretien avec Julien Hervier sur son passionnant « Ernst Jünger _ dans les tempêtes du siècle : une intéressante appréciation de Hannah Arendt en 1950″

31jan

Simplement,

et avant un article détaillé sur le Ernst Jünger _ dans les tempêtes du siècle, de Julien Hervier, paru ce mois de janvier 2014 aux Éditions Fayard,

voici un extrait du courriel que je lui adresse ce matin,

suite à notre _ riche et remarquable _ entretien d’hier soir, jeudi 30, dans les salons Albert-Mollat :

Hier soir, en arrivant à la librairie Mollat, vers 17h15,
mon premier geste a été de me procurer le volume II des « Journaux de guerre » (1939-1948) d’Ernst Jünger,
et en vous attendant, sur la table du 2d étage, j’ai parcouru rapidement votre Introduction (de XXV pages),
et y ai découvert, à la dernière (page xxxiv), cette très belle citation de Hannah Arendt à propos d’Ernst Jünger,
accessible dans Penser l’événement (aux Éditions Belin), in Après le nazisme, en 1950.

La voici, précédée de votre phrase d’introduction :

« C’est à cette cohérence et à cette honnêteté _ de Jünger _ que rendait hommage Hannah Arendt lorsqu’elle écrivait dans « Reportage d’Allemagne » :

« Le Journal de guerre d’Ernst Jünger apporte sans doute le témoignage le plus probant et le plus honnête de l’extrême difficulté que rencontre un individu pour conserver son intégrité et ses critères de vérité et de moralité dans un monde _ de violence totalitaire meurtrière _ où vérité et moralité n’ont plus aucune expression visible.

Malgré l’influence indéniable des écrits antérieurs de Jünger sur certains membres de l’intelligentsia nazie,

lui-même fut du début jusqu’à la fin un antinazi actif,

et sa conduite prouve que la notion d’honneur, quelque peu désuète mais jadis familière aux officiers prussiens, suffisait amplement à la résistance individuelle« .

Et vous ajoutez _ c’est votre phrase de conclusion à cette superbe Introduction _ :

« Mais Hannah Arendt constate aussi les limites d’une telle résistance intérieure,

qui déchire la conscience de manière cauchemardesque

entre les pôles contradictoires de l’activité de survie dans le monde diurne

et du jugement moral exercé aux moments de solitude nocturne« …

Or, jusqu’ici de ma lecture, le nom de Hannah Arendt _ je l’avais chaque fois recherché ! _ n’était pas apparu
dans votre biographie de Jünger qui paraît chez Fayard ;
pas davantage, d’ailleurs, que dans l’Index de ce Pléïade II.

Ce matin, mon premier geste a donc été de lire attentivement les 25 pages de cette Introduction,
que je trouve rien moins qu’admirable(s) !

Admirable en la double précision-concision de cette synthèse _ lumineuse ! _ qu’elle propose au lecteur
qui s’apprête à arpenter ces très riches en même temps que si beaux Journaux de la Seconde Guerre Mondiale de Jünger.

Par votre capacité d’articuler si magnifiquement clairement
la démarche de Jünger face à l’Histoire

qui, à lui aussi _ même si c’est d’une autre façon que pour Hannah Arendt _, lui tombe à nouveau, ou encore, ou toujours, dessus,

avec sa démarche si merveilleuse d’en écrire aussi lumineusement l’expérience qu’il reçoit et construit ;
expérience du réel forcément complexe, mais aussi si riche :

celle qui fait de lui l’écrivain vraiment exceptionnel qu’il est,
par cette singulière qualité d’extrême « acuité de la vision
qui fait du monde un enchantement«  _ je reprends votre expression de la page 423, que j’ai lue hier soir à la conférence.

Comme je vous l’ai dit ensuite, c’est cet auteur-là, celui de ces Journaux,
ou encore celui de ses Correspondances adressées _ dans l’intimité du privé _ à divers interlocuteurs, surtout, bien sûr, de ses amis, auxquels il livre le plus intime de son « juger » _ au sein même de son percevoir et ressentir ! _,
qui m’intéresse le plus,
en sa formidable capacité de vérité, de justesse _ y compris poétique : ou plutôt, justement, parce que poétique (mais sans le pathos qu’on associe trop souvent à la poésie : et alors ce n’est plus du tout de vraie poésie qu’il s’agit !)… _

de l’art de détailler-analyser…


C’est pour cela que j’ose espérer que vous réaliserez une édition

_ par exemple à nouveau en Pléïade, et sans nécessairement l’occasion
(certes commode : et en effet le monde de l’édition fonctionne ainsi, par le repère aisé si évident des dates des anniversaires… : ah le fétichisme des chiffres !!!)

des commémorations des Guerres mondiales _,
des Journaux de la grande maturité de Jünger,

c’est-à-dire les 5 volumes de Soixante-dix s’efface.

 

Soit le chef d’œuvre de la maturité encore mieux accomplie,

dans la sérénité des trente-deux années que la prodigalité de la vie allait lui donner encore,

à Wilflingen, en Souabe, où il s’installe le 15 juillet 1950,

ainsi qu’en ses voyages de par le monde entier : « frappé par la profusion, la variété, la prodigalité et même le gaspillage insensé qui règnent dans la nature« ,

écrivez-vous magnifiquement page 422 de votre biographie-portrait de l’auteur…

Car « les beautés que le voyage nous apporte à profusion

réclament donc aussi une prédisposition _ et celle-ci doit s’apprendre à cultiver ! _ à les recevoir.

Plus encore que le pittoresque des êtres ou des lieux

compte la qualité du regard que l’on porte sur eux. (…)

Pour lui, c’est bien plutôt l’acuité de la vision

qui fait du monde un enchantement ;

Soixante-dix s’efface abonde en instantanés émerveillés,

son récit est émaillé par des sortes de flashs où l’écrivain se concentre _ voilà ! _ sur une vision qu’il tente de fixer à l’aide du langage _ par son travail de précision… _,

au lieu, comme la plupart des touristes, de l’enregistrer mécaniquement par la photographie,

avant de passer précipitamment à autre chose« , écrivez-vous ainsi page 423.

Cela n’est pas sans me rappeler le bonheur d’écriture et de jouissance du vivre _ mêlés _ d’un Montaigne

en son sublimissime essai final De l’expérience (Essais III, chapitre 13) ;

ou l’acmé du bonheur musical (expression d’une semblable gratitude infinie du vivre) d’un Händel

en la jubilation de son chœur : « Tout bon, il a fait tout bon » _ Deus sive Natura…

Mais c’est aussi ce que Nietzsche nomme très justement l’épreuve _ très simplement surmontée _ de l’éternel retour du même

Et Spinoza, l’accomplissement de la joie.

A propos de cet art profondément crucial (!) de l’acuité du regard,

je voudrais vous signaler les très beaux livres de deux de mes amies,
dont les analyses, chacune à sa façon, rejoignent cette « acuité du regard » de Jünger :

Homo spectator de Marie-José Mondzain (aux Éditions Bayard),
et L’Acte esthétique de Baldine Saint-Girons (aux Éditions Klincksieck).

Voici aussi deux podcasts d’entretiens que j’ai eus avec elles deux dans les salons Mollat :

celui avec Baldine Saint-Girons, le 25-1-2011, à propos de son Le Pouvoir esthétique (aux Éditions Manucius)
et celui avec Marie-José Mondzain, le 16-5-2012, à propos de son Images : à suivre _ au cinéma et ailleurs (aux Éditions Bayard).

Merci encore, cher Julien Hervier, de ces excellents moments…

Titus Curiosus, ce 31 janvier 2014

Les rencontres heureuses et la vitalité généreuse d’une attentive vraie, Danièle Sallenave : l’état (= bilan provisoire) de sa « Vie éclaircie » _ somptueuse lumière d’un livre majeur !

29déc

Je tiens à saluer,

et comme il le mérite _ c’est-à-dire grandement ! _,

le livre absolument magnifique que nous offre,

en la jeunesse robuste et vive, et toujours si _ formidablement _ immensément joyeuse, de ses soixante-dix printemps

_ mais le passage du temps sur son indéfectible jeunesse (de cœur et d’esprit, d’abord !) est totalement imperceptible ! si ce n’est par un toujours surcroît de plénitude !… _,

Danièle Sallenave,

une vraie attentive

autant qu’une attentive (constamment et surabondamment…) vraie !

l’exemple même, si l’on veut, de l' »honnête homme » aujourd’hui,

et de la « belle personne »,

_ et cela indépendamment de la question, trop souvent parasite désormais, du « genre« , du sexe, de la sexuation : elle-même sait fort bien écarter, ici (au chapitre V, « Femmes, hommes« , aux pages 177-205 de ces passionnants  « entretiens » : avec Madeleine Gobeil, et avec elle-même : sur la page d’écran de l’ordinateur, à corriger pour préciser et creuser, approfondir, déployer bien de l’implicite...),

écarter, donc,

un tel parasitage… ; cf cette réflexion-ci, page 195, en réponse à la question (de Madeleine Gobeil) : « Les hommes et les femmes aiment-ils différemment ?« … :

« A mon sens, hommes et femmes aiment ou aimeraient exactement de la même façon, s’ils se souciaient _ d’abord et essentiellement _ d’être des individus, et non de se conformer, même à leur insu, à l’idée qu’ils se font, ou que l’époque se fait _ voilà ! tel est le poids exténuant (la « pesanteur sociologique« , si l’on préfère…) de la pression des clichés ! _, « des hommes » et « des femmes » !« … ;

et il faudrait ainsi que l’on « transgresse l’opposition rigoureuse hétéro/homosexualité.

C’est _ précise-t-elle bien vite, page 203 _ l’idée qu’un être, avant d’être sexué, est d’abord un individu au sens plein du terme

_ en son intégrité et unicité ; ainsi qu’en la conscience même (d’abord opaque, aussi…) de cette intégrité et de cette unicité, en soi : nécessairement singulières ! les deux (l’intégrité comme l’unicité) ! et cela, pour chacun (en son pour soi ! déjà ; ainsi qu’en un « chacun pour soi«  : bien trop souvent exacerbé…) par rapport à lui-même et son (propre : opaque ! non-transparent ! l’accomplissement et la découverte de soi constituant un long et complexe parcours…) soi ! _,

un individu au sens plein du terme, donc,

qu’on aime _ lui _ comme individu _ en son intégrité et unicité singulières ! elles aussi _, par-delà son sexe » même, ajoute très justement Danièle Sallenave, page 203, donc ;

et de commenter encore cela ainsi, dans la foulée, pages 203-204 :

« Pour un ou une « hétéro », ce n’est pas _ cette bisexualité rencontrée alors, non sans une certaine surprise… _ de l’indifférence à la différence sexuelle, qui continue _ elle, et bel et bien _ d’exister et de concentrer sur l’« autre sexe » les fantasmes de désir, de séduction… c’est comme une trouée dans un paysage, par où d’autres paysages se dévoilent _ alors : en perspective s’élargissant… La « bisexualité » _ puisque c’est à cela que l’auteur fait alors allusion, via sa fiction de La Fraga qu’elle commente alors _, c’est alors comme un complément _ voilà _ d’être, une manière de vouloir se saisir et de saisir l’autre _ en l’expérience vécue d’un tel désir amoureux ouvert sans considération dominante (et intimante !) du genre de l’aimé _ dans une liberté que rien n’entrave _ plus, du moins à cet égard de la spécification (carrée !) du genre de l’autre… _, aucune considération de sexe ou du genre. C’est la manifestation d’une liberté conquise«  : contre (et par-dessus) ses propres préjugés, qui avaient fini par s’incruster… _,

celle-là même qui dit,

page 40 de sa Vie éclaircie _ Réponses à Madeleine Gobeil (qui paraît cet automne 2010 aux Éditions Gallimard),

avoir, de ses parents _ un couple d’instituteurs de Savennières, sur les rives (et juste au-dessus des « levées« ) de la Loire, non loin d’Angers _, « hérité aussi« 

_ outre leur passion (germinative !) de la curiosité

(« Curiosité«  était « le maître-mot«  de ses parents, rapporte-t-elle, page 39, à propos des élèves qui leur étaient confiés : « Il n’a pas de curiosité ! » leur était, se souvient-elle, « un jugement sans appel« …),

leur passion de l’écoute

(un enseignant doit savoir aussi et avant tout apprendre à écouter au plus près ceux qu’il entreprend d’instruire-enseigner-éduquer ! car est là un rapport décisif ultra-sensible ! ;

et Danièle Sallenave de se remémorer ici cette « très belle chose«  « dans un texte de Jean Starobinski« , page 40, en suivant : « Il ne faut pas que l’immense bruit qui nous entoure _ et prolifère _ diminue nos facultés d’écoute _ attentives : activement réceptrices. C’est à les accroître ou du moins à les maintenir _ à rebours des anesthésies de toutes sortes ! se généralisant… _ que j’espère avoir travaillé« , écrivait Jean Starobinski, l’auteur de Largesse, dans L’Invention de la liberté…) ;

ainsi que celle, chevillée au corps et au cœur, elle aussi

_ car Danièle Sallenave vibre (toujours !) de la passion (éminemment porteuse : enthousiasmante !) de la générosité _

de l’inlassable « instruction« 

dont ceux-ci, ses parents, avaient fait leur métier,

au service du « métier de vivre« , de (« grandes« ) « personnes«  (que ces enfants « devaient«  être en train de devenir…), à aider à se former, des enfants qui leur étaient confiés,

du temps de ce qui était encore une « Instruction publique« , et fut, ensuite, une « Éducation nationale«  : en quoi est-elle donc, celle-là, en train de se métamorphoser, quand ses présents ministres ont été mis à pareille « place«  pour avoir su se faire d’assez efficaces « Directeurs de Ressources humaines«  d’entreprises (ô combien privées !) telles que L’Oréal !..  : « parce que que vous le valez bien« , qu’ils avancent comme appels d’achat de leurs « produits«  (séducteurs…) de « maquillage«  !.. ;

et sur la cosmétique, relire les mots toujours aussi brûlants de vérité de Socrate (dans l’indispensable Gorgias de Platon _ ou « contre la rhétorique«  !..)… _

celle-là même, Danièle Sallenave, qui dit avoir « hérité aussi« , donc, de ses parents,

une profonde mélancolie«  :

celle, du moins

_ cf Aristote, la Poétique, et Rudolf Wittkower : Les Enfants de Saturne.., mais cela à dose homéopathique, il me semble, pour ce qui la concerne singulièrement, elle, Danièle Sallenave, étant donné les inlassables trésors, bien plus manifestes (que ces tendances à l’acédie mélancolique !), eux, de la vitalité ! dans lesquels elle puise toujours et encore… _,

celle _ « mélancolie« , donc _ qui _ par la conscience d’un certain « tragique«  de la vie même, éphémère… _ « ouvre des horizons immenses« , page 40 :

ceux, et à perte de vue, de la profondeur (et de l’intensité maîtrisée : toute de classicisme !) de champ (de perceptions : diverses…) ;

c’est-à-dire le « relief« 

vrai

et parlant en pure vérité

_ d’un timbre de voix, seulement, un peu grave et à peine rugueux, en dépit de sa suavité (et chaleur même) de ton  ; tel un accent, à peine un brin voilé, mais de fond

à peine perceptible : tout simplement… ; mais qui « éclaire«  loin et profond ! voilà ! _

c’est-à-dire le « relief«  vrai et parlant en pure vérité, donc

_ et peut-être baroque ;

de ce Baroque qui sait parler et chanter à Danièle Sallenave ; et qui l’a tellement touché, elle aussi, à Rome et à Prague, notamment (comme il m’a personnellement touché, en ces lieux, et via quelques voix de personnes : ainsi, Elisabetta Rasy, à Rome ; Vaclav Jamek, à Prague…) _

le « relief » _ baroque, si l’on veut ! _ du tragique

consubstantiel de l’existence

« fragile » _ voilà ! et combien précieuses par là ! irremplaçables ! ces profondeur et intensité-là,

devant (et face à) cette fragilité vitale (en son éphémère)… _ de nos vies

effectivement passagères : l’automne et le crépuscule ne manquant pas

_ en général du moins : quand,

accomplissant l’espérance vitale (« et les fruits passeront la promesse des fleurs« ),

il s’avère, magnifiquement, que

« une rose d’automne est plus qu’une autre exquise« _

l’automne et le crépuscule ne manquant pas

_ pour certains, du moins, qui ont su vivre avec succès le « dur désir de durer » un peu (plus que d’autres) et, surtout, assez : pour bien l’« expérimenter« 

(tel un Montaigne en la « vieillesse«  relative, toujours, de ses cinquante ans)… _

d’advenir…

Ce n’est pas non plus sans émotion que j’ai découvert, in fine, page 247, les paroles de conclusion de ce magnifique livre d' »entretiens » (avec Madeleine Gobeil) :

« La seule vie, c’est la vie au présent,

cette vie-là !

Il faut en cultiver sur terre

_ c’est là la leçon, à la lumière de la rigueur d’Épicure, du sublime dernier chapitre des Essais de Montaigne, « De l’expérience« , sous lequel ce bilan (provisoire !) joyeux de Danièle Sallenave me semble venir se placer _


toutes les caractéristiques divines,

dont l’allégresse !

J’aime bien ce mot d’allégresse,

il me paraît correspondre tout à fait au sentiment que donne la musique

_ celle de Felix Mendelssohn, par exemple, héritier, en cela, via son maître Zelter, de l’Empfindsamkeit renversante et nourricièrement énergétique, en ses tourbillons de légèreté grave, profonde, du très grand Carl-Philipp-Emanuel Bach !..

De ce Mendelssohn-ci,

écouter la folle énergie du double concerto pour violon et piano dans l’interprétation sublimée de Gidon Kremer et Martha Argerich (un CD Deutsche Grammophon) ; ou l’Octuor dans l’enregistrement live qu’emmène Christian Tetzlaff pour le « Spannungen Chamber Music Festival«  de Heimbach (un CD Avie)… _,

Ce mot d’allégresse me paraît correspondre tout à fait

au sentiment que donne la musique

plus que n’importe quel art. (…) La musique est l’art divin.

J’ai beaucoup aimé parler de musique _ continue et achève de dire : ce sera là tout simplement la conclusion de cette Vie éclaircie, page 247… _ dans l’émission de Claude Maupomé Comment l’entendez-vous ?.

On écoutait le morceau en entier ; celui-ci terminé, le silence revenu _ celui qui permet à la pensée d’aller un pas plus loin ! _, on se regardait ; « alors ? », disait-elle, de sa belle voix _ un peu grave, elle aussi ; et magnifiquement posée.

Il y avait la pénombre du studio, les techniciens derrière la vitre ; et j’avais souvent la gorge nouée d’émotion avant de pouvoir parler et donner suite _ voilà ! _ au chant… _ inspirateur… :

sur l’« acte esthétique« ,

je renvoie une fois de plus à la scène initiale, à la tombée du soir, et en compagnie de deux amis, à Syracuse, de l’ouverture si subtilement juste du (sublime !) essai de Baldine Saint-Girons, L’Acte esthétique (aux Éditions Klincksieck) ;

cf mon article du 12 octobre 2010, à propos de l’opus suivant de Baldine Saint-Girons, Le Pouvoir esthétique (aux Éditions Manucius) : les enjeux fondamentaux (= de civilisation) de l’indispensable anthropologie esthétique de Baldine Saint-Girons : “le pouvoir esthétique”

L’écoute de la musique

procure un bonheur complet. Le temps n’est plus suspendu,

mais son mouvement _ allant : se chargeant, en la grâce porteuse de son déploiement, de toute une plénitude : comblante ! _

se charge de signification ;

il vous fait _ comme _ participer à la grâce souveraine du calcul,

à l’ordre mathématique

_ tant de la mélodie (horizontale) que de l’harmonie (verticale) ; en une inspiration possiblement leibnizienne ; ou bachienne ;

pour ma (modeste et humble) part, je serais tenté de faire un brin plus confiance à l’aventure un peu plus hasardeuse de ce qu’on pourrait nommer « inspiration« , s’élançant dans l’air, et avançant toujours un peu à l’aveuglette, en se fiant à la chance de ce qui va être rencontré, et respiré : à la façon de Domenico Scarlatti en ses 555 sonates, quasi indéfiniment re-tentées, par exemple... _

Le mouvement du temps vous fait participer à l’ordre mathématique, donc,

et joyeux du monde.« 

Car je me suis alors souvenu

que c’est peut-être lors d’une émission

de Claude Maupomé, « Comment l’entendez-vous ?« , sur France-Musique, quand la radio (de Radio-France) parlait un peu plus souvent vraiment vrai _ au lieu de ne se faire bientôt presque plus que propagande et publicité !_,

que j’ai fait la connaissance, par la voix, la parole, et la conversation vivante _ émue et émouvante, en sa vérité ! _ et vraie

de Danièle Sallenave _ et d’autres, tels, parmi d’autres passionnants, Pascal Quignard, ou le peintre de Montpellier Vincent Bioulès… _

commentant la musique aimée…

Voici, pour finir cette présentation-évocation

de La Vie éclaircie _ Réponses à Madeleine Gobeil,

la parlante quatrième de couverture :

« Madeleine Gobeil m’a proposé il y a quelques années de réaliser avec elle une interview par courriel. J’ai longuement développé _ en les travaillant : à la Montaigne, dirais-je… _ mes réponses ; et ce livre en est sorti. L’enfance, la formation (I), les livres (II), le théâtre (III), les amitiés, les amours (IV _ « L’Histoire, les intellectuels, la vie sensible » _ & V _ « Femmes, hommes »), les voyages (VI _ Les voyages, l’Art, le temps), la politique (de ci, de là)… Progressivement, une définition se dégage : écrire, c’est essayer d’ouvrir des brèches, des trouées

_ dans lesquelles une pensée peu à peu, à l’œuvre, et en s’aventurant (c’est le travail exploratoire du génie même de l’imagination…) se déploie : se précise et s’accomplit ; page 75, Danièle Sallenave cite Hegel : « C’est dans le mot que nous pensons«  ; et elle ajoute fort justement, dans l’élan : « Et dans l’articulation des mots, qui constitue des phrases, des énoncés, et pour finir ce qu’on appelle le discours« , selon ce que Chomsky nomme magnifiquement la « générativité«  du discours par la parole… ; le reste, privé de cela, c’est « ce qu’Adorno appelle « la vie mutilée » : coupée en ses élans généreux… Cela chez les privilégiés (« socio-économiques« , ajouterais-je !) comme chez ceux qui ne ne le sont pas. Un « privilégié » qui ne lit rien d’autre que ses dossiers, des ouvrages d’économie, ou sur la résistance des matériaux, et qui ne compte que sur Internet pour sa formation générale, vit aussi pour moi (et pour moi-même aussi !) d’une « vie mutilée »… » ; et Danièle Sallenave de citer encore à la rescousse, page 24, l’excellent Marc Fumaroli, en la préface de ses Exercices de lecture : « Passer par _ voilà ! _ les livres, c’est accéder à une certaine « forme d’intelligence », « que donne de soi-même et des hommes en général la fréquentation assidue _ oui : en mosaïque… _ des œuvres littéraires les plus diverses et d’époques différentes » et qui prépare et éclaire _ c’est cela ! _ celle que donne  _ à l’aveuglette, sinon _ l’expérience » _ individuelle empirique seulement. Comme le commente alors excellemment Danièle Sallenave : « Tout est là : préparer et éclairer l’expérience, qui est forcément _ d’abord : animalement et inculturellement : l’enfance, c’est la « neuveté«  ignorante, d’abord ; surtout privée du désir de plus profondément connaître… _ limitée. Et il ajoute : la lecture « lui donne des ailes _ voilà ! _, elle la prévient contre le rétrécissement _ ou du moins l’étroitesse à jamais _ triste »« , pages 74-75 _,

pour mieux voir, mieux comprendre, mieux sentir. C’est une manière de vivre. D’unifier, d’éclaircir la vie » _ en apprenant à démarquer ainsi le « relief«  même de l’essentiel… Alain dit ainsi : « Apprendre à bien penser, c’est apprendre à s’accorder avec les hommes les plus éminents, par les meilleurs signes »

Ce qui est dit de l’écrire est, en sa parfaite modestie (et justesse !), passionnant !

Magnifique !!!

Les rencontres que la vie,

un peu de chance,

et aussi parfois un brin de courage _ pour savoir saisir, et, plus encore, « cultiver« , en apprenant à soigner et entretenir, avec des trésors de délicatesse, les opportunités du hasard objectif ! _

ont ménagé à Danièle Sallenave,

sont plus passionnantes encore : je n’en dis rien ici ;

je laisse le soin de les découvrir au fil de la lecture

de ces pages infiniment précieuses et riches…

Cette Vie éclaircie _ Réponses à Madeleine Gobeil n’est qu’un « état des lieux » provisoire _ à la Montaigne, ou à la Proust : « tant qu’il y aura de l’encre et du papier » !.. _, mais sachant se concentrer de mieux en mieux, et avec générosité, sur l’essentiel, de la part de Danièle Sallenave,

car celle-ci est très loin de penser, comme celle à laquelle elle a consacré un panorama biographique, Castor de guerre, qu’à soixante ans, « il n’y avait plus rien à vivre, sauf l’attente de la mort« …

Cette Vie éclaircie

se trouve donc, par là, aux antipodes du Tout compte fait de Simone de Beauvoir,

dans lequel cette dernière lâchait mélancoliquement : « J’ai le goût du néant dans les os« …

Œcuméniquement, en quelque sorte

_ eu égard, peut-être, à une partie de dette (d’auteur) de Danièle Sallenave à cette formidable énergique qu’a d’abord su être presque tout le long de sa vie Simone de Beauvoir ; cf aussi le très beau portrait qu’a offert de celle-ci, récemment, ce livre très important (à de multiples égards) qu’est Le Lièvre de Patagonie de Claude Lanzmann _,

Danièle Sallenave ose alors, page 243, un :

« Chacun trouve ses propres chemins,

ceux qui lui conviennent » ;

aussi « faudrait-il arriver à considérer l’« âge »

_ mot que je préfère à celui de « vieillesse » (précise Danièle Sallenave) _

autrement que sous l’angle de la mort annoncée« …

_ lire ici (et relire souvent, sinon toujours !!!) le merveilleux Montaigne sur le temps et le vivre, au final de son dernier essai, « De l’expérience«  (Essais, III, 13) !

L’« âge »

et même le « grand âge » tant que le corps tient le coup _ et le détail importe, certes ! _,

c’est aussi _ en effet ! pleinement ! _ un âge de la vie ;

il devrait donc être vécu en tant que tel _ avec visée, toujours, de plénitude ! _,

et non sous la menace du temps qui rétrécit _ et attriste, par la même : cf les analyses très détaillées du très beau (et si juste ! un très grand livre !) La Joie spacieuse _ essai sur la dilatation de Jean-Louis Chrétien…

Car la jeunesse ne se résume pas _ certes : à chacun, au plus vite, de l’apprendre et d’en faire son miel ! _ uniquement à la quantité de temps qu’on suppose _ à la louche ! pas à la pipette (qui n’existe pas pour cela, en dépit des efforts de tous les prévisionnistes très, très intéressés… _ avoir devant soi…

Encore moins à l’idée qu’il est _ biologiquement _ infini _ inépuisable : prolongeable à volonté et sur commande…

Ou le rêve de Faust ;

et le piège de Méphisto…

Cf ici le mot (terrible) de Staline à De Gaulle, à Moscou, en 1945 : « A la fin, c’est la mort qui gagne » ;

à comparer au « Si Dieu n’existe pas, tout est permis ! » de l’Ivan Karamazov de Dostoïevski…

Danièle Sallenave poursuit, elle,

à propos des divers âges de la vie,

ceci,

aux pages 243-244 :

« J’ai toujours su que mon temps _ de vie (mortelle)… : et la rareté fait beaucoup, sinon tout (pas vraiment, non plus !), du prix ! _ était compté, même quand je n’avais que dix ans !

Et dans le même mouvement, je pensais que « j’avais tout mon temps » _ à condition de savoir apprendre à (et de pouvoir) aussi « le prendre« 

J’ai très tôt senti _ mais peut-on vraiment « penser«  si peu que ce soit et ressentir autrement que cela, et ainsi ?.. _ quelles infinités _ mais oui ! « Inextinguibles« , dit même Theodor Adorno, en son (merveilleux) essai sur L’essai comme forme, en ses Notes sur la littérature _ chaque âge

et chaque moment _ même _ de l’âge

recelait.


Mais ce n’est pas la littérature qui me l’a fait découvrir : c’est l’ayant découvert que je me suis mise à écrire.
« 


Et de préciser aussitôt : « Car je ne m’« abrite » pas derrière les mots ;

je ne cherche pas dans l’écriture _ à la façon de l’admirable Philippe Forest dans ce chef d’œuvre des chefs d’œuvre dont la plupart de ses lecteurs potentiels ne réussissent pas à supporter d’affronter de bout en bout la lecture : le sublime terrible Toute la nuit !.. _, à calmer l’angoisse _ ici, pour elle _ de devoir disparaître«  _ mais c’est là un B-A BA de l’apprendre à « exister«  de tout un chacun !..

Et d’y répondre, page 244 :

« Quand je suis en train d’écrire un livre,

pendant que je rédige ma réponse à vos questions _ chère correspondante : chère Madeleine Gobeil, en l’occurrence _,

je ne ressens plus le temps _ physique et physiologique _ comme un pur écoulement _ en vertu des lois mécaniques générales (et sans la moindre exception) de l’entropie de la thermodynamique, si l’on veut… _, au sens où on dit qu’un liquide s’écoule, qu’un corps se vide _ irréversiblement et irrémédiablement…

Quelque chose se dissipe _ en effet ; certes _, se consomme _ physiologiquement est transformé, assimilé, avec des déchets rejetés _, se consume _ et se dissout en nuées _ ;

mais rien _ de substantiel _ ne m’a été _ par cette alchimie-là _ ôté ;

au contraire, c’est de l’énergie _ voilà ! _ qui se régénère«  _ et même davantage que cela : « se sublime«  ! _ en se dépensant _ sur cette « sublimation économique« -là, lire Georges Bataille : La Part maudite

Car : « C’est le mouvement de l’écriture qui fait naître _ du moins la capte  et la « sublime«  ! avec un minimum de micro « déchets«  physiologiques ; rien qu’une micro fatigue enthousiasmante ! _ l’énergie _ même _ dont il a besoin _ pour cette gestique : minimale en moyens ; optimale en résultats (= œuvres : au départ et à l’arrivée de simples phrases ; mais quel envol ! parfois, au moins, de « pensée«  ; et quel surcroît, par ces voies-là, d’épanouissement de soi…)…

Alors là , oui, en ce sens

_ et il me semble qu’un Philippe Forest même, lui si hyper-épidermiquement réservé (= écorché vif ! hyper-« grand brûlé«  ! et quel immense écrivain !) quant à d’éventuelles fonctions cathartiques de l’écriture, consentirait lui aussi à pareille formulation… _,

la littérature, l’écriture m’ont aidée.

Elles m’ont donné de la force«  _ celle des écrivains (majeurs, du moins, surtout, mais même aussi les autres, quand ils « avancent«  ainsi…), des penseurs et philosophes, des artistes ; et de tous les « créateurs » en général…

C’est ce processus même de transfiguration qu’analyse si magnifiquement Spinoza dans tout le déploiement de son Éthique,

ce processus qui permet à celui qui parvient à donner réalisation à ses potentialités en apprenant à se connaître (Spinoza le nomme, pour cela, « le sage«  !),

de s’extraire, d’une certaine façon (seulement ! certes !), de la seule temporalité (de sa vie mortelle), à laquelle de toutes les façons il n’échappera pas biologiquement ! ;

de s’en extraire cependant sub modo aeternitatis : en « sentant et expérimentant«  alors,

en ce « passage«  de ses potentialités naturelles (de départ) à « une puissance supérieure« ,

ressenti comme un surcroît d’intensité ;

en « sentant et expérimentant«  alors que,

tout en demeurant un animal temporel (en tant que vivant mortel : la mortalité étant la rançon (biologique) de l’individualisation des membres d’une espèce sexuée ! et cela, naturellement !, sans la moindre exception !),

quelque chose _ de soi ; en soi ; et par soi, aussi… _ accède cependant et aussi alors à une autre dimension de l’être que les seules dimensions du temps et de la temporalité,

c’est-à-dire aussi alors

à de l’éternité

_ l‘éternité : en tant que l’autre même du temps ;

en tant que ce qui excède, au sein même de

(et en plein dedans : bien sûr _ et forcément !),

au sein même de

la temporalité et de la vie (merci à elle !) ;

en tant que ce qui excède (et vient excéder, profusément, mais aussi intensivement !) la temporalité ;

ce qui, d’une certaine façon, lui échappe (en tant qu’autre, simplement, qu’elle ! ; en tant que son autre : le « face«  de son « pile«  ! si l’on veut…) ;

et que le reste de la vie, et, en particulier, ou surtout, l’événement (bref _ un instant ! _ unique et irréversible) de la mort _ pfuitt… : le souffle s’en est allé… _ ,

n’a nul pouvoir d’effacer ;

d’empêcher le fait que « cela« , ce « passage » d’instant-là (avec son intensité a-temporelle !),

a (bel et bien !) été

(ainsi qu’été vécu, ressenti, et même « expérimenté«  !) ;

que cette dimension-là, de l' »exister«  (de l’individu),

a été atteinte et éprouvée, de facto, un moment (de plénitude) ! par lui (non, il n’a pas « rêvé«  !)

La modalité (affective) de ce « sentir et expérimenter » (« que nous sommes éternels« )

étant le ressentir de la (pure et vraie) joie

_ ne pas la confondre avec la sensation (passive, contingente, et trop souvent simplement factice !) du malheureux « plaisir«  (là-dessus lire les beaux et justes arguments de Socrate face à la naïveté trop courte de Calliclès dans le décisif Gorgias (ou « contre la rhétorique« ) de Platon… ;

méditer aussi sur les (très) cruelles impasses (jusqu’au sadisme !) du dilettantisme (le plaisir, oui, mais sans nulle douleur !) à la Dom Juan (cf la très belle analyse qu’en donne l’excellent Étienne Borne (1907-1993) en son Problème du mal_,

le ressentir de la (pure et vraie) joie

comme sublime épanouissement,

pour l’individu qui en est affecté, l’éprouve et le ressent (et l’« expérimente«  même !),

de ses capacités personnelles naturelles de départ…

A l’inverse,

qui n’éprouve jamais pareille vraie (et pure) joie (d’éternité de quelque chose de soi advenant ainsi en lui _ ainsi que par soi…) ; mais demeure scotché dans la seule (et unique) temporalité de sa vie (et en sa dimension exclusive (!) de mortalité, qui plus est…),

celui-là (le « non-sage« ), Spinoza le nomme « l’ignorant » :

ignorant faute de suffisamment prendre (et apprendre (!) à prendre) conscience

et, assez vite, alors, vraiment connaissance ;

et surtout faute _ grâce à cette connaissance vraie, alors, de cette « vocation« -là ! _, de passer

à l’acte de l’effectuation-réalisation _ un peu pleine !.. Spinoza a grandement foi dans l’apport et l’aide de la connaissance !.. Freud aussi, après lui, en un semblable mouvement thérapeutique… _ de ses potentialités naturelles de départ : en germes seulement, d’abord (à l’état en quelque sorte de « vocation« ), pour tout un chacun : telle est la donne (à assumer, au-delà du « dur désir de durer«  lui-même…) de tout vivant sexué, pour commencer ; cf là-dessus, de François Jacob, Le Jeu des possibles;

et qui resteront, ces « potentialités« , à ce stade (infertile !)

de rien que « germes«  (!),

chez celui _ l’« ignorant« , donc ! _ qui ne les aidera pas (mieux !) à passer en toute effectivité

de la potentialité à l’acte,

du stade (inférieur) de « seulement potentiel«  (ou virtuel)

au stade (supérieur _ il s’agit d’un différentiel ! en soi… pas par rapport à d’autres ! Bourdieu, par exemple, étant ici superficiel !.. car seulement « social«  !) _ de « réellement actuel« ,

en une effectuation-actualisation qui serait, elle, réellement (et vraiment !) effective : Hegel parlera ici, lui, de wirklichkeit… _ ;

et, à la toute fin (lumineusement flamboyante : il s’agit, au livre V, de la description du bonheur comme « béatitude«  !) de l’Éthique,

Spinoza met en comparaison la mort de cet « ignorant« -ci

et la mort de ce « sage« -là :

du point de vue _ physico-biologique _ de la vie et de la temporalité,

ces deux morts-là sont équivalentes,

mourir étant pour l’individu (des espèces sexuées) le tout simple subir la dispersion à jamais des parcelles d’atomes (tant de l’âme que du corps) dont il était (circonstanciellement en quelque sorte) la réunion temporelle (vivante et mortelle) : éphémère (et provisoire, au fond : si l’on veut…), par là… L’espèce, elle, se perpétuant (avec une relative ténacité, au moins statistique…) par le renouvellement (sexué) de ses membres, en tant que maillons constitutifs (nécessaires reproducteurs en cela…) de la chaîne des générations se succédant et se remplaçant, en quelque sorte (même s’ils accèdent peut-être, ces « maillons« , à une relative singularité : à voir !)…


Mais il n’en est pas ainsi du point de vue de l’éternité :

à laquelle l’un, l’« ignorant« , le « non-sage«  _ ne parvenant jamais à prendre véritablement consistance ; à réaliser pleinement ses potentialités d’épanouissement ; à accéder, à quelques moments, à la pure et vraie joie active (bien différente du plaisir subi, lui, passivement et par pure contingence !) _ n’aura pas (= jamais !) « accédé«  (n’en ayant, probablement, même pas le moindre petit début d’idée…) ;

tandis que l’autre, le « sage«  _ y accédant à certains moments d’épanouissement effectif de ses potentialités _, a connu (= très effectivement « senti et expérimenté«  : pas seulement passivement subi !), lui, cette modalité du hors-temps (ou « éternité« ) :

au point que l’événement brutal et irréversible de sa mort physique

ne peut tout bonnement plus (= est impuissante à) empêcher, au sein même de son effacement, alors (et irréversiblement), du règne des individus vivants,

le fait _ à jamais, lui ! _, d’avoir goûté,

connu,

et d’avoir (à jamais) accédé _ en personne ! ainsi… _ à

ce réel plus réel et plus plein _ conférant une infinie, inaliénable et irréversible « consistance« … _,

éternel, donc,

offert dans le jeu même de ce qui vit (dans l’éphèmère même du temps donné et imparti à vivre biologiquement)…

Soit une « vocation«  à un certain degré déjà remplie :

cf le cantique de Siméon,

par exemple, en sa version musicale bachienne, le BWV 82 (pour basse) : Ich habe genug (« Je suis comblé« ) ; pour la fête de la purification de Marie, le 2 février…


Sur la joie,

outre cette grandissime leçon de l’Éthique de Baruch Spinoza,

consulter aussi l’admirable travail d’analyse magnifiquement détaillée de Jean-Louis Chrétien, en son lumineux La Joie spacieuse _ essai sur la dilatation ;

ainsi que les sublimissimes remerciements à la vie

de Montaigne :

« J’ai un dictionnaire tout à part à moi : je « passe » le temps, quand il est mauvais et incommode ; quand il est bon, je ne le veux pas « passer », je le retâte, je m’y tiens. Il faut courir le mauvais et se rassoir au bon. Cette phrase ordinaire de passe-temps et de passer le temps représente l’usage de ces prudentes _ telle est la douce ironie montanienne… _ gens, qui ne pensent _ = croient ! bien illusoirement ! _ point avoir meilleur compte de leur vie _ reçue : avec ingratitude ainsi… _ que de la couler et échapper, gauchir, et, autant qu’il est en eux, ignorer et fuir _ quel gâchis ! _, comme chose de qualité _ objectivement ! _ ennuyeuse et dédaignable. Mais je la connais _ singulièrement ! _ autre, et la trouve et prisable et commode, voire en son dernier décours _ ce que Danièle Sallenave vient de qualifier, elle, de « l’âge«  ! _ où je la tiens ; et nous l’a Nature _ très objectivement ! _ mise en main, garnie de telles circonstances et si favorables, que nous n’avons à nous plaindre qu’à nous _ voilà ! _ si elle nous presse et nous échappe inutilement. Je me compose pourtant à la perdre _ cette vie en voie de se terminer, de s’interrompre… _ sans regret, mais comme perdable de sa condition _ générale ! _, non comme moleste et importune. Aussi sied-il proprement bien _ = de droit _ de ne se déplaire à mourir qu’à ceux qui se plaisent à vivre _ comme c’est sensé ! Il y a du ménage _ = de l’art ! _ à la jouir, et je la jouis au double des autres, car la mesure en la jouissance dépend du plus ou moins d’application _ voilà ! _  que nous y prêtons _ très activement ! Principalement à cette heure _ la vieillesse (ou l’« âge«  !) de Montaigne a débuté pour lui avant ses cinquante ans ! _, que j’aperçois la mienne si brève en temps _ vraisemblablement !.. Ce sont des probabilités presque calculables ! et d’aucuns, aujourd’hui, ne s’en privent pas ! _, je la veux étendre en poids _ en « consistance«  vraie ! _ ; je veux arrêter la promptitude de sa fuite par la promptitude de ma saisie, et par la vigueur de l’usage _ Danièle Sallenave est elle aussi de ce tempérament (et de cette sagesse) -là ! _ compenser la hâtiveté de son écoulement. A mesure que la possession du vivre est _ probablement, en terme de prévision de probabilités _ plus courte, il me la faut rendre plus profonde et plus pleine«  _ voilà ! C’est d’une lucidité dirimante ! _ ;

et une page à peine plus loin,

cet acmé de la « profession de foi«  finale de Michel de Montaigne :

« Pour moi donc, j’aime la vie

et la cultive _ tel est le concept décisif ! _

telle _ c’est la sagesse (= art de bien vivre !) que tout un chacun doit apprendre à savoir (enfin !) reconnaître ! Ce n’est même pas une affaire d’invention !.. _

qu’il a plu à Dieu nous l’octroyer«  ;

dans l’ultime essai de récapitulation de ce que Michel de Montaigne a appris de la vie : « De l’expérience« , Essais, Livre III, chapitre 13…

Fin de l’incise sur l’apport nourricier de la vraie joie.

Et retour aux dernières pages des méditations de Danièle Sallenave,

pages 244 à 247…

« la littérature,

l’écriture m’ont aidée. Elles m’ont donné de la force. Le temps que je passe à écrire ne me retire pas de lavie,

il m’en donne.

Pas en longueur

_ nous retrouvons ici les intuitions de Montaigne : « à cette heure, que j’aperçois la mienne _ de vie _ si brève en temps, je la veux étendre en poids«  ; et « à mesure que la possession du vivre est plus courte, il me la faut rendre plus profonde et plus pleine« _,

mais en intensité ».

Et d’ajouter
,

mais peut-être un peu trop vite, cette fois :

« Et la vie intense,

c’est de l’immortalité «  :

en écrivant « immortalité » au lieu d' »éternité« , quand les distingue si justement un Spinoza !


Suit alors, page 245, une très judicieuse précision

à propos de ce qui a pu opposer d’abord, un peu grossièrement, sans assez de précision, les convictions athées de Danièle Sallenave

à certaines manières de pratiquer certaines fois religieuses ;

je cite :

« J’ai enfin compris, justement avec l’expérience de l’« âge »,

ce qui me paraissait _ depuis longtemps _ le plus regrettable dans la foi, dans l’espérance religieuse _ du moins celles insuffisamment « pensées« 

Ce n’est pas qu’elles consolent,

on a _ tous et chacun : très humainement… _ des heures de détresse, et bien peu de leçons _ en effet ! _ à donner là-dessus.

Ce n’est pas non plus que beaucoup confondent l’existence _ objective _ de Dieu

avec le besoin _ tout subjectif _ qu’ils en ont.

Non, ce que je regrette,

c’est qu’en proposant _ un peu trop fantasmatiquement _ la vie éternelle _ en fait : le fantasme de l’immortalité biologique, bien plutôt ! _,

les religions _ en ces interprétations insuffisamment « pensées«  (ou méditées), du moins, me permettrais-je de préciser… _ nous empêchent de mener jusqu’à son terme, si on le peut,

le grand travail sur soi _ voilà : c’est cela que nous devons apprendre à « cultiver« , pour reprendre un autre mot décisif de Montaigne ! _

qu’imposent tous les âges,

mais aussi le vieillissement _ le vieillir, déjà : permanent ! _,

la vieillesse _ installée, finalement _

et la perspective _ rétrécissante ! _ du néant.« 

Et c’est aussi le travail sur lequel s’est focalisé un Michel Foucault durant les dernières années de sa vie,

tant dans ses Cours au Collège de France (L’Herméneutique du sujet, Le Gouvernement de soi et des autres, Le Courage de la vérité…)

que dans ses derniers livres publiés (Histoire de la sexualité _ Le Souci de soi…)…

Ce « grand travail« 

à « mener » tout personnellement « sur soi » :

« C’est une ascèse,

une ascèse gaie,

qui ne suppose aucune macération, aucune délectation morose ;

mais,

comme disait Montaigne _ celui-ci est donc bien très présent dans la méditation de Danièle Sallenave : cette Vie éclaircie (et éclairée !) étant, en quelque sorte, comme son (tout provisoire encore) De l’Expérience à elle ! _,

l' »absolue perfection, et comme divine, de savoir _ l’ayant peu à peu appris et forgé : tout personnellement, et à son corps défendant (comme tout ce qui importe vraiment !)… _ jouir loyalement

_ voilà le critère montanien majeur ! en toute vérité et dignité ! sans trucage ! _

de son être »… »…

« Ce qu’elle espère atteindre, cette ascèse

_ donc ; qui ne débouche « pas sur une « autre vie après la mort », certes,

mais sur « une vie dans la vie » : une vie apaisée, transformée« , aussi page 246… _,

est sans prix : le prix est dans l’ascèse _ toute personnelle, donc _ elle-même,

un exercice libre et joyeux de l’attention _ voilà ; lire là-dessus tous les derniers livres de l’ami Bernard Stiegler : Prendre soin 1 _ de la jeunesse et des générations ; et le tout récent Ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue _ de la pharmacologie !.. (aux Éditions Flammarion, les deux)… _,

une attention au présent,

à chaque moment, à chaque instant » _ jusque selon, peut-être, les modalités montaniennes indiquées en son « dictionnaire à part soi« 

Et Danièle Sallenave de se remémorer alors Pindare :

« N’aspire pas à la vie éternelle _ ou immortelle ?.. _,

mais épuise le champ du possible«  :

« C’est ce que chantait Pindare dans ses Pythiques, il y a deux millénaires et demi, un peu avant le siècle _ classique _ de Périclès. »

« On le cite souvent. Qui le pratique vraiment ?
Tout est à relire et à méditer chez les sages de l’Antiquité, ses poètes, ses philosophes,

car, ainsi que le dit _ le regretté _ Pierre Hadot :

« La philosophie antique n’est pas un système ; elle est un exercice préparatoire à la sagesse _ très activement désirée _ ; elle est un exercice spirituel » _ voilà !

Nous avons _ un peu trop _ perdu ce sens-là de la philosophie« , page 246…

Le paragraphe final de ces méditations de l' »âge«  _ qui n’est pas du tout celui de la mélancolie ! _ que forme cette belle Vie éclaircie (et éclairée !) de Danièle Sallenave

évoque, je l’ai déjà mentionné un peu plus haut, « le bonheur complet« 

que « procure » à l’auteur « l’écoute de la musique« 

et « la participation

à la grâce souveraine du calcul,

à l’ordre mathématique et joyeux

du monde« ,

et cela, au rythme du « mouvement » même « du temps« 

« chargé » alors _ comme électriquement : qualitativement, et non quantitativement ou mécaniquement... _ « de signification » :

c’est en effet là une « grâce » artiste…

Titus Curiosus, le 22 décembre 2010

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