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Un vrai grand livre est un palimpseste : Retour à Lemberg, « un livre sur l’identité et le silence » et « les lacunes laissées en nous par les secrets des autres »…

02avr

Pour Annie,

pour Lara,

and, of course,

for « Dear Philippe« ,

sur le merveilleux visage duquel

rayonne le merveilleux sourire

de son merveilleux grand-père Leon Buchholz,

tel qu’il est bien visible, ce merveilleux sourire,

sur la photo de sa famille (Lemberg, ca. 1913)

_ très heureusement conservée, à travers toules les vicissitudes ! Leon avait neuf ans, et était le seul à sourire ! _,

à la page 47 du merveilleux Retour à Lemberg

Quel immense livre,

_ ce merveilleux Retour à Lemberg, de Philippe Sands _,

vient faire, au final,

la prodigieuse enquête _ de six années (de 2010 à 2016), et comportant chacune un retour (physique) de son auteur, Philippe Sands à Lviv-Lemberg-Lwow _

entrelacée,

entre les complexes _ et patientes : de très long souffle ! _ minutieuses reconstitutions des parcours de vie des juristes :

Hersch Lauterpacht (Zolkiew, 16-8-1897 – Londres, 8-5-1960),

Raphaël Lemkin (Ozerisko, 24-6-1900 – New-York, 28-8-1959)

et Hans Frank (Karlsruhe, 23-5 1900 – Nuremberg, 16-10-1946) _ éminent juriste, en effet, lui aussi, et auteur-inspirateur des lois du Reich nazi, en plus d’avoir été l’avocat personnel de Hitler _,

d’un côté

_ et il faudrait presque ajouter à ces parcours de juristes (se frottant tous les trois à la question de savoir s’il existe ou pas des limites, et lesquelles, à l’absoluité de la souveraineté des États),

la reconstitution, aussi (mais à venir, celle-ci !), du parcours de vie d’Otto von Wächter (Vienne, 8-7-1901 – Rome, 10-9-1949), qui lui n’était pas juriste, mais seulement avocat (il avait été le condisciple de Lauterpacht à la Faculté de Droit de Vienne à partir de 1919, une fois que, contraint de quitter Lwow parce que, à ce moment, assez bref, les étudiants juifs y avaient été proscrits de l’université, Lauterpacht s’était replié à Vienne, où il fut alors le disciple du très grand Hans Kelsen ; d’abord, von Wächter fut le meneur, à Vienne en juillet 1934, des nazis autrichiens qui assassinèrent le 25 juillet 1934 le chancelier Dolfuss ; ensuite, il fut atrocement efficace à Lemberg, à son poste de Gouverneur de Galicie, auquel il avait été nommé par Hitler lui-même le 22  janvier 1942, en son entreprise d’extermination (qui se voulait totale, pardon du pléonasme !) des Juifs de Galicie ; et cela jusqu’à sa propre fuite de Lemberg, à l’arrivée de l’Armée rouge, le 27 juillet 1944 ; l’enquête de reconstitution de ce brillant parcours meurtrier d’Otto von Wächter se poursuivant pour Philippe Sands, notons-le bien, puisque l’enquête sur ce personnage constitue la matrice du travail présent de son prochain livre…);

et ce côté-là est le côté le plus accessible, déjà un peu balisé qu’il est par les curiosités des universitaires, historiens et historiens du droit, du monde entier

_ mais Philippe Sands fouille plus loin et beaucoup plus profond, dans le devenir singulier, riche et moiré, des identités complexes, et, in fine, mal connues jusqu’ici , de ces trois  personnages, Lauterpacht, Lemkin et Frank, sur lesquels vient se pencher l’enquête merveilleusement fine et perspicace de son formidable livre _ ;

et, d’autre part, d’un autre côté,

la plus malaisée reconstitution,

face à la relative minceur _ et les lacunes ! _ des archives familales conservées, face aux difficultés à recueillir des témoignages des derniers vivants susceptibles d’apporter  quelque connaissance tant soit peu fiable et avérée sur un passé familial qui s’est considérablement éloigné ; et plus encore face à ce qu’avait été, sa vie durant, le mutisme intransigeant, quoique souriant (« C’est compliqué, c’est le passé, pas important« , page 39 _ et en français dans le texte ; Leon Buchholz a vécu quelques cinquante-huit ans à Paris : de janvier 1939 à sa mort, à l’âge de quatre-vingt-treize ans, en 1997 ; il était devenu français ; et vénérait la France ! _), de Leon Buchholz lui-même,

la plus malaisée reconstitution, donc,

du parcours de vie de Leon Buchholz (Lemberg, 10-5-1904 – Paris, 1997), le grand-père maternel de Philippe Sands

d’autant plus qu’un tel mutisme n’était pas seulement sien, mais celui, partagé, de la plupart des membres de sa famille ; à commencer, et surtout, par le silence (et « le détachement« , écrit Philippe Sands, page 38), compliqué d’une étrange complète absence de rire, de l’épouse de Leon, Rita ;

Rita, née Regina Landes (Vienne, 1910 – Paris, 1986), la grand-mère maternelle de Philippe ;

Rita, « sortie de nulle part« , constate, page 61, Philippe Sands, au moment de leur soudain mariage, à Vienne, le 23 mai 1937 (Leon venait d’avoir trente-trois ans ; et Regina-Rita Landes, née en 1910, en avait vingt-sept ; soudain, car nul témoignage (ni ancien, ni présent), ni document écrit, n’apporte le moindre éclairage sur les prémisses de cette union ; pas une seule photo antérieure avec Rita : leur première photo ensemble est la photo officielle de leur mariage, et sur laquelle, remarque Philippe Sands, page 61, « ni l’un ni l’autre ne sourit en ce jour heureux« …) ;

Rita, Regina Landes, donc, était « viennoise et autrichienne«  (page 61),

tandis que Leon, lui, né autrichien à Lemberg en 1904, était devenu ipso facto polonais par le simple fait du Traité international avec la Pologne, signé le 28 juin 1919 (un « document connu sous le nom de « Petit traité de Versailles »« , page 111 ; un Traité qui avait pour but de garantir et assurer la protection (menacée) des minorités résidant sur le territoire de la Pologne ressuscitée ; l’ancienne Pologne avait été en effet dépecée une troisième fois, le 3 janvier 1795, par l’Empire de Russie, le Royaume de Prusse et l’Empire d’Autriche, qui s’étaient partagés la totalité de ses territoires ; la Galicie, avec sa capitale Lemberg, ayant été donnée à l’Autriche) ;

et cela, en tant que natif, le 10 mai 1904, de cette ville qui, de Lemberg, autrichienne, venait de devenir Lwow, polonaise ; et alors même que, ayant fui Lemberg, prise par l’armée russe l’été 1914, Leon résidait depuis lors à Vienne, auprès de sa sœur aînée Gusta, qui y avait épousé l’année précédente, en 1913 donc, le viennois Max Gruber ;

mais la famille de ces Landes, apprendra-t-on incidemment plus loin dans le livre, avait, elle aussi, des racines à Lemberg en Galicie…

La mère de Rita, Rosa Landes, étant veuve, ce fut elle, ainsi que ses trois fils, Wilhelm (l’aîné, « dentiste de son état« , et père d’un petit Emil, né en 1933), Bernhardt (père d’une petite Susanne, née en 1932) et Julius Landes, les frères de Rita-Regina, qui, au début de l’année 1937, donc, « accordèrent la main de Rita à Leon«  (page 62) ; et « c‘était la nouvelle famille viennoise de Leon«  (page 62)…

Comment Leon et Rita avaient-ils bien pu se rencontrer, à Vienne, se plaire, puis s’épouser ce 23 mai 1937 ?.. L’enquête de leur petit-fils Philippe, narrée dans le livre, fait chou blanc sur ce point ; et eux-mêmes n’en ont jamais rien dit non plus à aucun de leurs proches parents ou amis, du moins parmi ceux qui ont survécu et auraient pu en témoigner auprès de Philippe, ou de sa mère Ruth… Le mystère continue donc de régner ici.

Leon Buchholz, donc, le propre grand-père, adoré !!!, de l’auteur :

« un homme généreux et passionné,

dont le tempérament fougueux _ voilà ! _ pouvait se manifester de manière brusque et inattendue« ,

ainsi commence la présentation-portrait de son cher grand-père Leon, qu’entreprend, à la page 39, son petit-fils Philippe ;

qui poursuit _ lui qui, né le 17 octobre 1960, aura eu trente-sept ans au moment du décès de son grand-père en 1997 ; et chaque année le londonien Philippe Sands, de double nationalité française et britannique, venait passer quelques jours chez (ou avec) ses grands-parents français Buchholz, à Paris : il a donc eu le temps, sur la durée, de bien le côtoyer et le connaître, et l’apprécier, l’aimer… _ :

« J’ai beaucoup de souvenirs heureux,

et pourtant l’appartement de Leon et Rita _ situé vers le milieu de la rue de Maubeuge, non loin de la gare du Nord, à Paris _ ne m’est jamais apparu comme un lieu joyeux _ voilà, et cela en très net contraste avec le tempérament « généreux et passionné«  du grand-père Leon ; soit une conjonction d’éléments de base de l’énigme du couple (de presque cinquante ans de durée : 1937 – 1986) de ses grands-parents, à élucider, pour leur petit-fils. 

Jeune garçon _ dans les années soixante _j’en sentais _ de cet appartement _ déjà la lourdeur,

une tension _ voilà… _ faite d’appréhension _ de quoi donc ? _

et imprégnée du silence qui remplissait l’air _ mais les lieux parlent.

Je ne venais _ de Londres à Paris _ qu’une fois par an _ aux vacances _,

et pourtant je me souviens _ tout spécialement _ de l’absence _ endémiquement pesante _ de rires » _ en ce lieu de vie des grands-parents Buchholz…

et cela, donc, d’un autre côté,

un côté forcément plus restreint et peu ouvert aux débats _ et c’est un euphémisme ! _et d’abord à l’intérieur même du cercle des proches _ que ce silence devait avoir, semble-t-il, pour intention de protéger ! _,

le côté, donc, de l’histoire intime un mot qui va se révéler crucial ! _ de la propre famille _ Buchholz – Flaschner – Landes – Gruber, etc. _ de l’auteur, Philippe Sands ;

et cela à travers aussi, et peut-être surtout, le parcours de vie (ainsi que les souvenirs _ tamisés et plus ou moins transmissibles en fonction des époques et de l’avancée en âge de chacun _ à propos de ses parents, Leon et Rita) de sa propre mère Ruth, née _ le 17 juillet 1938, à Vienne _ Ruth Buchholz ;

Ruth, au départ éminemment chahuté de Vienne _ le 22 juillet 1939 _, à l’âge d’un bébé de tout juste un an _ un an et 5 jours _, et voyageant en train de Vienne à Paris sans personne de sa famille pour l’accompagner, son père se trouvant déjà à Paris, et sa mère étant restée à Vienne : comment fut-ce possible ? C’est à peine croyable !.. Et pourquoi était-ce son père, et non pas sa mère, qui allait prendre en charge, et tout seul, isolé, à Paris, un enfant si petit ? Il y a assurément là de quoi s’interroger !

Ce que résume bien le témoignage (pages 66 et 67), récent, je suppose, du cousin _ né à Vienne en 1933 _ Emil Landes _ chirurgien-dentiste de son état, comme l’était son père Wilhelm (le frère aîné de Rita), ainsi que l’ami d’enfance (l’expression se trouve à la page 499) à Londres, d’Emil, Allan Sands : le mari de Ruth et père de Philippe… _ :

«  »Comment Rita a-t-elle pu vivre à Vienne _ seule : sans son mari Leon, parti à Paris dès janvier 1939 (comment et pourquoi ?) _  jusqu’à la fin de 1941 ? » _ s’interroge Philippe. Son cousin _ en fait le cousin germain de Ruth _ Emil, qui _ lui _ avait quitté Vienne _ pour Londres avec ses parents _ en 1938 l’année de ses cinq ans _, ne se l’expliquait pas _ lui non plus, quand Philippe est venu, assez récemment, je suppose, au début de son enquête, peut-être en 2010, le consulter là-dessus. « C’est un mystère, et cela a toujours été _ mais depuis quand ? _ un mystère« , m’a-t-il dit doucement. Savait-il que Leon et Rita n’avaient pas quitté Vienne ensemble ? « Non. Ils ne sont pas partis ensemble ? » me demanda-t-il. Savait-il que Rita était restée à Vienne jusqu’à la fin de 1941 ? « Non » _ rien n’avait donc filtré de cela dans cette famille Landes non plus…

Et aussi :

« Je n’ai absolument aucune idée de la manière dont ton grand-père _ Leon _ s’est arrangé _ remarque bien intéressante : Leon était un homme aussi remarquablement discret qu’intelligent et courageux, au milieu d’effroyables menaces _ pour quitter Vienne« , me dit Emil, le cousin de Ruth.

« Et j’ignore comment il a pu permettre à sa fille _ un bébé (juif, qui plus est !) de tout juste un an _ de quitter Vienne _ quant à cet exploit-là, l’enquête nous en apprendra davantage un peu plus loin : Leon était admirablement ingénieux ! et audacieux !

Et Leon participa aussi, mais sans en faire état non plus, à la Résistance en France ; cela, il a fallu que son petit-fils le déduise de ses patientes et rhizomiques recherches, et de quelques témoignages qu’il est parvenu, avec un peu de chance aussi, à obtenir ; notamment à partir du décryptage d’une photographie d’un cortège lors d’une cérémonie en un cimetière : il s’agissait du cimetière d’Ivry-sur-Seine ; et c’était le 1er novembre 1944 ; Leon y figure juste derrière le général de Gaulle !.. (pages 86 à 88) _,

ou comment ta grand-mère _ Rita, la tante d’Emil, et juive elle aussi… _ a pu s’échapper » _, Philippe découvrira plus tard que ce fut le 9 novembre 1941 : « le lendemain, les « frontières du Reich allemand furent fermées aux réfugiés », toute émigration cessa et toutes les voies de départ furent bloquées. Rita partit à la dernière minute » : le caractère énigmatique de ce départ (au bon moment !) du Reich allemand de Rita, ne faisait donc que se renforcer… (ce sera à la page 74) ;

tout cela, cependant, ce n’est pas frontalement que nous l’apprendrons ; nous devrons en rester à des suppositions à partir de quelques indices, principalement une série de photos, datant (mais il aura fallu aussi l’établir !) de l’année 1941, et conservées chez elle par Rita, d’hommes vêtus de Lederhosen (culottes de cuir) et de Weissstrüpfe (hautes chaussettes blanches) : « signe, je le sais maintenant, de sympathie pour les nazis. Dans un tel contexte, ces chaussettes prenaient une allure sinistre« , commente Philippe Sands, page 256 ; et d’hommes se tenant en la compagnie de Rita dans un jardin d’un beau quartier du centre de Vienne (voir la photo, page 256), au décisif chapitre V, L’Homme au nœud papillon, pages 245 à 258. Ce beau jardin viennois, Philippe Sands, l’ayant localisé, le visitera : il jouxte le splendide immeuble du 4 Brahmsplatz, où résidait cet homme au nœud papillon dont on peut voir la photo à la page 241. Ces photos ont été découvertes par Ruth, sa fille, « parmi les papiers de Rita, après sa mort en 1986 » ; et Ruth « les avait ensuite rangées avec celles de Leon _ décédé, lui, en 1997 _ dans un endroit où elles étaient restées durant une décennie« , avant que Philippe ne les découvre à son tour, en 2010, et cherche à les comprendre, en sa méthodique et minutieuse enquête, où le moindre détail devient un magnifique (et indispensable) indice (page 247). Fin de l’incise.

Confiée par sa mère, Rita, à une étrangère, une anglaise, dont on commence par ne connaître que le nom, Miss Tilney

_ un nom inscrit à la-va-vite sur le quai de la gare de l’Est, sur un petit bout de papier jaune (la photo de ce document se trouve page 159), griffonné probablement dans la perspective, pour Leon, d’un contact ultérieur _,

la petite Ruth, née donc à Vienne le 19 juillet 1938, arrive à Paris, à la gare de l’Est, le 23 juillet 1939, à l’âge de tout juste un an, mais sans sa mère Rita, demeurée, elle, à Vienne ; Rita, quant à elle, ne retrouvera son mari Leon et sa fille Ruth, à Paris, qu' »au début de l’année 1942 » (page 75), en pleine Occupation ; et alors qu’elle avait quitté le Reich _ ici demeure un trou spatio-temporel de deux mois, plutôt étrange … _ le 9 novembre 1941 : « le lendemain _ 10 novembre 1941, et par décision d’Adolf Eichmann _, les « frontières du Reich allemand furent fermées aux réfugiés », toute émigration cessa et toutes les voies de départ furent bloquées. Rita partit _ ainsi _ à la dernière minute _ tiens donc ! Sa fuite fut, soit très chanceuse, soit préparée par une personne informée _ j’ajoute donc ici ce commentaire très parlant de Philippe Sands à la citation commencée de donner un peu plus haut ! Je ne sais pas écrit Philippe Sands, page 74 _ quand Rita arriva à Paris ni comment elle y parvint. Sur le Fremdenpass conservé par Rita en ses papiers _, il n’y avait ni tampon ni explication. D’autres documents confirment cependant qu’elle a bien retrouvé son mari à Paris au début de l’année 1942″ (pages 74-75)

_ soit quasiment deux mois après son entrée, probablement par la Sarre, en France :

« Le 14 août _ 1941, à Vienne _, on délivra à Rita un Fremdenpass, valable pour un an, lui permettant de voyager, de quitter le Reich et d’y revenir. Bien qu’elle fût enregistrée comme Juive, le tampon J rouge n’y figurait pas. Deux mois plus tard, le 10 octobre, la police de Vienne l’autorisa à quitter le pays, et elle partit pour Hargarten-Falck, dans la Sarre, à la frontière entre l’Allemagne et la France _ voilà.

Le voyage devait avoir lieu _ elle le savait ! _ avant le 9 novembre. La photo du passeport montre une Rita terriblement triste, les lèvres serrées, les yeux pleins de pressentiment. J’ai trouvé une copie de cette photo dans les papiers de Leon ; Rita l’avait envoyée de Vienne à Paris. Au dos, elle avait inscrit : « pour ma chère enfant, pour mon enfant en or » (…) Avec, un peu plus bas, ce commentaire : « Pour quitter Vienne, Rita a dû bénéficier de l’aide d’une personne ayant des relations«  (pages 73-74). Fin de l’incise.

Et Rita, Ruth et Leon étaient juifs tous les trois…

Leur survie à Paris sous l’Occupation nazie fut, elle aussi, forcément problématique ; comme l’avait été l’existence de Rita, juive, à Vienne, dans le Reich, au cours des trois _ très _ longues années précédentes : 1939-40-41 _ de séparation du couple qu’elle formait avec Leon

L’énigme à décrypter se précise peu à peu _ step by step.

Qui est donc cette Miss Tilney

qui s’est chargée de convoyer par le train de Vienne à Paris, la petite Ruth, ce bébé d’un an à peine, à son père Leon ?

Cette énigme-ci sera résolue.

Mais d’autres au moins aussi étranges, et à multiples rebondissements, viennent vite s’y adjoindre et jalonner le somptueux récit palpitant de cette enquête tant historico-juridique qu’intimement familiale _ ces deux pans de la même quête entremêlés, croisés, alternés _en ce merveilleux Retour à Lemberg

_ cf mes trois précédents articles d’approche, des 23, 29 et 31 mars derniers :

«

»

»  _ ;

je n’en suis qu’à ma troisième lecture de ce livre passionnant et si riche,

et je découvre à chaque fois de nouveaux micro-détails

avec de nouvelles macro-connexions à opérer

en fonction de nouveaux éléments de contexte que je découvre, au fils du récit, et dont je prends de mieux en mieux conscience, par ces connexions mêmes, et dont je me souviens de mieux en mieux, aussi ; mais c’est cela, lire vraiment un texte, c’est-à-dire découvrir, parcourir et déchiffrer les couches successives de matériaux d’un palimpseste ; matériaux directement issus des vies des personnes dont sont observés à la loupe, comme ici, les parcours, et se découvrant, dès que l’on creuse un peu ; cela pouvant même se réaliser au corps défendant de l’auteur, et à son insu :

ainsi, par exemple, pourquoi le prénom du frère cadet (Marc) de Philippe, n’est-il jamais prononcé dans le livre, les deux fois que celui-ci est pourtant évoqué ? Cf à ce propos, la précision que Philippe Sands lui-même donne dans un article sien The Diary: Philippe Sands du Financial Times du 3 juin 2016 :

At an event in London earlier this week, it was a relief to reach the part where I could make a few remarks.
I took the opportunity to express, very publicly, feelings of fraternal love towards my brother, who has put up with years of queries about obscure family memories for things I’ve written.
 
Later, over dinner at nearby Fischer’s — where the Wiener schnitzel wins out over all competition — he thanks me for my nice words,
then asks whether there was a particular reason he got no mention in the acknowledgments for my latest book.
I want to set him straight, but am unable to do so after leafing through the relevant pages.
Aghast, I immediately email my publishers with a corrective insert, extolling the virtues of my brilliant brother Marc, the finest.
Knopf in New York replies, asking if he is my only brother. “This information affects whether to use restrictive or non-restrictive commas,” they explain. I take an instant decision not to consult our father.
Et pourquoi Marc Sands n’est-il pas, non plus, cité dans la liste pourtant apparemment exhaustive des Remerciements de l’auteur à tous ceux qui lui ont apporté une aide, si menue ait-elle été (parfois même un seul mot !), donnée aux pages 499 à 505 de Retour à Lemberg ?… Fin de l’incise _ ;

chaque relecture apporte donc son lot de nouvelles connexions à essayer, comme autant de pistes s’offrant à explorer…

Après le bref Prologue : Une Invitation (pages 23 à 33 = 11 pages),

ainsi que le tout premier et très important _ fondamental et probablement principal ! _ chapitre I, Leon (pages 37 à 91 = 54 pages),

les chapitres impairs suivants, tous brefs,

_ et que l’on aurait pu superficiellement penser ne constituer que des chapitres de transition, pittoresques et anecdotiques, afin de pimenter le récit principal, qui est celui de la grande Histoire _,

sont consacrés à des personnages apparemment secondaires et fugaces _ ils ne réapparaîtront pas _, de témoins ou comparses _ probablement annexes… _ de l’intrigue familiale _ celle réputée a priori par nous secondaire _,

soient les chapitres III : Miss Tilney de Norwich, pages 161 à 182 = 12 pages) ; V : L’Homme au nœud papillon (pages 245 à 258 = 14 pages) ; VII : L’Enfant qui est seul (pages 321 à 328 = 7 pages) ; et IX : La Fille qui avait choisi de ne pas se souvenir (pages 375 à 384 = 10 pages),

chapitres qui constituent comme autant d’étapes de la démarche d’enquête familiale du petit-fils de Leon et Rita, quant au parcours de vie, notamment pendant la guerre et sous l’Occupation, de ses grands-parents…

_ je pense ici à la très belle enquête d’Ivan Jablonka à propos du parcours de vie (et de mort ) de ses grands-parents paternels, en Pologne, puis à Paris (sous l’Occupation), en son passionnant Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus _ une enquête ; cf aussi, sur ce beau livre, mon article du 9 avril 2012 : »

Et je pense aussi à l’enquête superbe, encore, et de par le monde entier, de Daniel Mendelsohn, Les Disparus (le livre est paru en 2006 aux États-Unis, et en 2007 pour son édition française) ; cf mes deux articles des 8 et 9 juillet 2009 : «  et » ; rédigés suite à ma lecture du livre suivant de Daniel Mendelsohn paru en français, en 2009 (mais l’original était paru aux Etats-Unis en 1999), L’Étreinte fugitive

Et aussi, forcément, à ce chef d’œuvre absolu que sont les travaux éblouissants de Saul Friedländer : L’Allemagne nazie et les Juifs, volume 1 : Les Années de persécution 1933-1939, paru en 1997, et volume 2 : Les Années d’extermination 1939-1945, paru en 2008 ;

précédé de son très beau Quand vient le souvenir, paru en 1978 ; et suivie de son merveilleux Où mène le souvenir _ ma vie, paru en 2016 ;

sur cette somme, cf mes deux articles en suivant des 16 et 29 septembre 2016 : «  et »

Et sur l’histoire de la Galicie,

consulter aussi l’admirable travail de Timothy Snyder Terres de sang _ l’Europe entre Hitler et Staline ; et mon article du 26 juillet 2012 : «

Cf aussi, à propos de ma rencontre avec le Père Desbois, le 31 janvier 2008, à Bordeaux, pour le colloque Les Enfants de la guerre, ainsi que ma lecture de son terrible Porteur de mémoires _ sur les traces de la Shoah par ballesces articles du 12 novembre 2008 et du 9 juillet 2009 : « … ; et »

Auparavant, j’avais lu, terrifié, eu égard au silence radical de mon père, né à Stanislawow le 11 mars 1914, l’impressionnant roman de Wlodzimierz Odojewki (Poznan, 14 juin 1930 – Piaseczno, 20 juillet 2016) Et la neige recouvrit leur trace, paru aux Éditions du Seuil, en 1973…

Un des premiers souvenirs de mon père, raconte ma mère (qui vient d’avoir cent ans le 11 février 1918 : quelles dates !), c’est celui de l’entrée des cosaques, sabre au clair, dans la cour de la maison de ses parents, à Stanislawow, en Galicie, au pied des Carpates ; sa mère Fryderyka (native de Lemberg, et fille de Sara Sprecher, de la famille Sprecher, de Lemberg…), ayant pu sauver à temps le petit Benedykt, traumatisé à vie… Au cours d’un épisode de ces guerres austro-russes d’alors ; j’en ignore la date…

Fin de cette longue incise bibliographique (et personnelle, aussi) ; et retour à Retour à Lemberg.

Nous serions donc, de prime abord, tentés de recevoir ces brefs chapitres impairs comme faisant fonction de virgule, de pause, entre les principaux et gros chapitres _ les chapitres pairs _, parties prenantes, eux, d’un récit _ de portée universelle, lui _ de la grande Histoire, celui de la vie et de l’œuvre (mêlées), de ces deux grands juristes du droit international que sont Lauterpacht et Lemkin, ainsi que de la vie et de l’œuvre (de mort) du nazi important _ juriste de formation, lui aussi, et principal concepteur du statut juridique des lois du régime nazi ! et ce point est fondamental du point de vue du Droit… _, qu’est Hans Frank, un des principaux accusés (et condamnés) du procès de Nuremberg

soient les chapitres II, Lauterpacht (pages 95 à 158 = 64 pages) ; IV, Lemkin (pages 185 à 242 = 57 pages) ; VI, Frank (pages 261 à 327 = 66 pages) ; VIII, Nuremberg (pages 331 à 371 = 41 pages) ; et X : Jugement (pages 387 à 440 = 54 pages) ;

et juste avant le bref et tranchant Épilogue : Vers les bois (pages 441 à 453 = 13 pages).

Ces chapitres impairs, presque anodins _ historiquement _ par rapport aux chapitres pairs de la grande Histoire, comportent de menus, mais décisifs éléments _ ou détails _ d’énigmes, se présentant, à chaque étape de l’enquête, comme un défi à résoudre, et se révélant bientôt, l’un après l’autre, comme autant de pièces-ressources successives de la résolution du puzzle familial dont pas mal d’éléments étaient, bien sûr, cachés, soigneusement tenus secrets par les uns et les autres, et pour divers motifs _ des Buchholz,

amenant,

sinon toujours la pleine résolution frontale des étrangetés et énigmes (aux éléments se clarifiant pas à pas) _ l’auteur, en très fin avocat qu’il est, répugne à asséner de massives résolutions au lecteur, préférant laisser celui-ci mariner un moment dans ces bizarreries et difficultés à s’orienter au sein de ce qui se révèle peu à peu, en effet, un puzzle ; puis se faire lui même, à partir du dossier d’éléments d’abord épars, puis assemblés peu à peu et réunis par l’auteur, ses propres conclusions de lecteur, d’autant mieux assertées ainsi, et alors, en ce processus de découverte progressive par lui-même ! _,

du moins, de quoi se faire une idée un peu approchée _ mais sans trop lourdement y insister, de la part de l’auteur : un très filial respect demeure aussi très présent, quand la compréhension finit par se faire jour ! _ de ce que cachaient des secrets longtemps tus _ car trop douloureux à porter à une lumière trop vive _ et donc tenus floutés, laissés plutôt à esquisser, à un peu de distance et en arrière-plan ;

et dont quelques très menus signes-détails seulement affleurent, laissés, avec infiniment de pudeur et de délicatesse, à peine perceptibles, et dans les blancs du discours (ou dans des gestes ou expressions du regard surpris au vol) plutôt que dans des paroles explicites et nettes ;

comme en témoignent, si l’on y prête bien attention, les mots de commentaire contenus, mais fermes cependant et pleinement assumés, de la nièce de Leon, Herta Gruber-Peleg, à Tel-Aviv (« ni surprise, ni choquée« , commente la scène Philippe Sands, page 383) ;

et plus encore, bien sûr, le « sourire entendu » (page 384) sur le visage de Ruth, la mère de l’auteur, se souvenant de sa propre rencontre en Californie _ dans les années 70, m’a précisé de vive voix Philippe Sands _, avec Max, l’ami de jeunesse viennois de son père…

_ Ruth s’est mariée jeune, elle avait 18 ans, en 1956, à un londonien, Allan Sands, le meilleur ami de son cousin Emil Landes, immigré à Londres, à l’âge de cinq ans, en 1938 ; Allan et Emil, amis d’enfance, ont tous deux été étudiants en dentisterie, puis chirurgiens-dentistes… Et à l’instant où j’écris cela, je m’aperçois que le nom de Sands est comme pré-inscrit dans celui de Landes.

Pas mal d’humour, riche d’amour et de générosité, dans cette discrétion subtile et délicate, est assurément bien là, présent, chez les Buchholz, et à travers les générations qui se succèdent : Leon, Ruth, Philippe et maintenant les enfants de Philippe Sands et Natalia Schiffrin.

Rien n’est ici trahi, 

du moins pour ce qui concerne les actes de Leondont certains héroïques : je veux parler ici d’actes de Résistance, durant les années d’Occupation, à Paris, même si rien n’en sera vraiment précisé, ni a fortiori étalé par lui-même _ et pas davantage dans le récit que s’efforce d’en recomposer très filialement ici, son petit-fils Philippe…

Il s’agit de l’infatigable travail de Leon à l’UGIF, l’Union Générale des Israelites de France

_ dont le récit est rapporté aux pages 82-83, avec aussi cet épisode : « Brunner nommé à Paris le 9 février 1943, afin d’intensifier le processus de déportation des Juifs de Frances’étant personnellement rendu dans les bureaux du 19 rue de Téhéran _ de l’UGIF _ pour superviser les arrestations, Leon lui avait échappé en se cachant derrière une porte » ; récit transmis à Philippe par sa chère tante Annie, qui le tenait de son mari, Jean-Pierre, le frère cadet (1947 – 1990) de Ruth _ ;

ainsi que de ses liens avec les Résistants du groupe Manouchian, membres des MOI, les Francs-Tireurs et Partisans de la Main-d’Œuvre Immigrée

_ rapportés aux pages 87-88 : « Un membre de l’affiche _ l’affiche rouge d’Aragon, rendue célèbre par la chanson de Léo Ferré _ m’était familier _ rapporte Philippe Sands, page 88 _, Maurice Fingercwajg, un Juif polonais de vingt ans. Je connaissais ce nom : Lucette, une amie de ma mère avec qui elle allait à l’école tous les matins après la fin de l’Occupation, avait épousé Lucien Fingercwajg, le cousin du jeune homme exécuté. Le mari de Lucette m’a appris plus tard que Leon avait eu des contacts avec le groupe _ voilà _, mais il n’en savait pas davantage. « C’est pour ça qu’il est parmi les premiers dans le cortège du cimetière d’Ivry », m’a dit Lucien » _ dans ce cortège, Leon se trouve juste derrière le général de Gaulle, sur une photo (page 87) prise le 1er novembre 1944 à Ivry : « De Gaulle avait visité le Carré des Fusillés, le mémorial des combattants résistants exécutés par les Allemands pendant l’Occupation » (page 86) ; une photo que Leon avait conservée en ses papiers, et « la première que j’ai vue dans le salon de ma mère avant le voyage pour Lviv« , l’été 2010, indique Philippe Sands, à la recherche passionnée, désormais, de toute ce qu’avait eu à surmonter, en sa vie, ce grand-père adoré, depuis son départ de Lemberg…


Rien n’est trahi.

Tout au contraire ; une parfaite piété filiale _ Leon n’appelait-il pas Philippe « mon fils  » ? (page 39)vient, et toujours discrètement, s’accomplir.

Et par ce lumineux livre-tombeau

à son grand-père,

le petit-fils fait pleinement droit à ce que fut la vérité profonde de la vie de Leon

Halleluiah !

Le second exergue, à la page 10, du livre,

en l’occurrence, et en tout premier lieu, une extraordinaire citation des psychanalystes Nicolas Abraham et Maria Torok, extraite de L’Écorce et le noyau _ à la page 427 de l’édition dans la collection Champs des Éditions Flammarion _ :

« Ce ne sont pas les trépassés qui viennent hanter _ voilà ! _,

mais les lacunes _ fantômales _ laissées en nous _ sans que nous, qui les subissons, y puissions, du moins tout d’abord, grand chose ! _ par les secrets des autres« 

_ sur ces lacunes mêmes, cf mes articles des 16 et 17 juillet 2008, à propos de Jeudi saint, de Jean-Marie Borzeix : «  et » _ ;

ainsi que,

et un peu plus loin, à la page 12 de la Préface à l’édition française du livre _ et seulement elle ! Et le titre français de ce récit d’enquête, Retour à Lemberg, me semble, aussi, bien plus parlant que le titre originel East West Street _ On the Origins of « Genocide » and « Crimes Against Humanity », en déplaçant l’accent à la fois sur le lieu parfaitement identifiable de la ville de Lemberg-Lviv (un carrefour de tensions toujours très vives pour notre Europe, et face à la Russie), et sur la très concrète démarche d’enquête (avec d’inlassables « retours » physiques de l’auteur qui y poursuit très concrètement ses recherches autour d’Otto von Wächter), plutôt que sur la question plus théorique (même si elle est, bien sûr, très importante !), de la genèse des concepts du Droit international ; et même si les enjeux d’application de ces derniers, surtout, sont, plus que jamais en 2018, considérables ! pour une plus effective démocratie, on n’y insistera jamais assez… _,

la double expression suivante :

« Retour à Lemberg est un livre sur l’identité et le silence _ résume ainsi splendidement ce qui en fait le principal et l’essentiel, Philippe Sands !

Et nous découvrirons, peu à peu, qu’il s’agira aussi, fondamentalement (même si ce n’est pas théorisé par l’auteur), de la formation et du devenir des identités personnelles, toujours potentiellement ouvertes et dynamiques, perçues et appréhendées, ici, à travers celles des principaux protagonistes (surtout Leon, Lemkin et même Frank ; un peu moins Lauterpacht ; mais même aussi l’identité plastique de la personne de l’enquêteur-narrateur lui-même, par rapport, notamment, à l’identité ressentie plutôt que consciemment connue, de son grand-père, Leon… ; et sa merveilleuse capacité de sourire et de presque tout surmonter…) ; même si parfois, voire souvent, il arrive à certaines, ou même à la plupart, de ces identités en mouvement de ces personnes-personnages de Retour à Lemberg, de se fermer, puis demeurer, fixement, refermées (névrotiquement), faute, alors, d’assez de capacité dynamique et dynamisante de plasticité et de ré-ouverture, ou résilience, en elles, ces identités personnelles… Savoir rebondir… Et ces enjeux-là de plasticité et dynamisme de nos identités, nous concernent, bien entendu, chacun et tous, sans exception ! ; et cela aussi en fonction, forcément, des contextes (sociaux et culturels : complexes et mouvants, eux aussi ; et cela sein de l’Histoire générale, qui nous porte et emporte ; parfois nous soulève, et parfois nous pèse, ou nous engloutit et détruit), à commencer par les comportements et réactions des autres, et des autres en groupe (un phénomène auquel Raphaël Lemkin est particulièrement sensible ; lire ou relire ici, aussi, le Masse et puissance d’Elias Canetti, un autre contemporain (1905-1994) important de cette Europe centrale…) ; de ces autres auxquels notre moi a l’occasion, d’abord, et occasion positive, de plus personnellement s’identifier et former, subjectiver (cf par exemple le processus dintrojection de Mélanie Klein), mais aussi, d’autres fois, de parvenir à se déprendre, se libérer, s’extirper d’une emprise nocive, névrotique, ou perverse… Etc. _ ;

mais c’est aussi une sorte

_ à la John Le Carré (par exemple dans le sublime Comme un collégien) ; et il se trouve, en plus, que John Le Carré est un voisin et ami, à Londres, de Philippe Sands... _

de roman policier

c’est-à-dire une patiente et très déterminée enquête, à passionnants rebondissements, obstinément menée par l’auteur (qui nous la détaille _ et l’attention au moindre des détails est en effet capitale ! _, en presque la moindre de ses démarches, et nous y fait participer ainsi, magnifiquement !) au cours de six années de déplacements de par le monde (et à Lemberg et Zolkiew, en Galicie, désormais ukrainienne, tout particulièrement),

à rechercher et décrypter de très nombreux documents d’archives qu’il fallait d’abord repérer et dénicher (sans rien laisser passer d’important…), rassembler et réunir, comparer et connecter entre eux, pour parvenir, ainsi mis en rapport, à les faire vraiment parler ! Et parler implique toujours un contexte (hors-champ : à impérativement éclairer), ainsi qu’une adresse (à des personnes déterminées, spécifiquement motivantes…) ; et la pratique plurivoque de son métier d’avocat a bien aidé Philippe Sands en ces diverses tâches d’enquêteur-décrypteur, puis auteur-compositeur de son récit !

Et s’efforcer, plus encore urgemment, de recueillir, à contresens du temps filant à toute allure des horloges biologiques des vies

_ « But at my back I always hear

            Time’s wingèd chariot hurrying near« ,
s’exclamait To his coy mistress le poète Andrew Marvell… _ ;
et s’efforcer de recueillir tant qu’il est temps, et en sachant aussi à l’occasion les provoquer, d’irremplaçables témoignages (parfois d’un seul mot !), quand est en train de s’achever, pour ce qui concerne les exactions de la Shoah principalement, ce qu’Annette Wiewiorka a nommé l’« ère du témoin«  (cf son livre de ce titre) ; mais, cela, pas seulement à l’égard de meurtres de masse ; cela peut concerner aussi les menues existences les plus privées, certaines expériences les plus intimes, en la singularité la plus discrète ou secrète, des rapports les plus personnels des individus, à d’autres, avec d’autres, avec certains autres, qui leur sont chers, ou qui veulent leur peau !.. Les affaires de l’intimité peuvent elles aussi se dérouler sur des fonds de violence, aussi bien dans le déchaînement de leur effectivité objective que dans le vécu le plus inquiétant ou affolant de leurs ressentis _

mais c’est aussi une sorte de roman policier

à double entrée :

la découverte des secrets de ma propre famille _ autour des liens affectifs noués, et plutôt en secret, à Vienne, par son grand-père Léon, d’une part, et sa grand-mère Rita, d’autre part (chacun de son côté) ; et ce seront bien là les clés de l’énigme familiale du couple (un peu atypique, au final, mais peut-être pas tant que cela…) des grands-parents Buchholz… _d’une part,

et, d’autre part, l’enquête de l’origine _ ou plutôt de la genèse… _ personnelle _ de la part, cette fois, des deux inventeurs de ces concepts décisifs du droit international contemporain, à partir de 1945 : Hersch Lauterpacht et Raphaël Lemkin _ de deux crimes internationaux _ ou plutôt de leur dénomination et surtout détermination juridique officielle ; mais il fallait, bien sûr, et extrêmement précisément, les déterminer ! _ qui m’occupent _ lui, Philippe Sands _ dans ma vie professionnelle _ d’avocat spécialisé plaidant en ces matières dans des procès on ne peut plus effectifs _ au quotidien,

le génocide _ le néologisme a été créé de toutes pièces par Raphaël Lemkin, qui le propose pour la première fois en son livre Axis Rule in Occupied Europe, achevé de rédiger le 15 novembre 1943 (page 231), et publié un an plus tard, en novembre 1944 (page 235) _

et le crime contre l’humanité«  _ avec Hersch Lauterpacht (dont le livre An International Bill of the Rights of Man parut, lui, en juin 1945), René Cassin, qui fut le principal concepteur (dès ses années de la France libre, à Londres, auprès du général de Gaulle), puis rédacteur principal de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 ; René Cassin, donc _ dont je suis un ami de la famille, et d’abord de son neveu Gilbert Cassin _, en partage la paternité de conception et dénomination ; mais Hersch Lauterpacht était, lui un juif de Galicie, devenu, aussi, à Cambridge, un très pragmatique britannique ; alors que René Cassin préfère lui, en bon français qu’il est, et à Londres, auprès du général de Gaulle, raisonner et agir en termes de principes universels… Mais leur profond souci et le plus effectif possible du Droit, est bien le même…

Philippe Sands précisant alors :

« Au lecteur de décider

si l’enchevêtrement _ dans la (très heureuse !) rigoureuse alternance des chapitres impairs concernant les Buchholz, et pairs concernant les grands juristes, Lauterpacht et Lemkin, puis Frank et le déroulé du procès de Nuremberg (un grand merci, ici à Victoria Wilson, son « éditrice parfaite : attentive, aimante et sceptique, elle n’a cessé de me vanter les mérites de l’écriture lente, je lui en suis très reconnaissant« , page 505)  _ de ces deux histoires toutes deux passant par cette même cité de Lemberg-Lwow (aujourd’hui Lviv), et à des moments qui les concernent, directement ou indirectement, chacun et tous, et sous la pression tragique des mêmes causes ! _n’est dû _ ou pas _ qu’au hasard

_ ou bien, plutôt, et aussi !, à quelque(s) conjonction(s) de facteurs personnels (d’identité et subjectivation) communs prégnants, liés certes au lieu et au moment, et aux milieux, menaces et actions armées d’autres (= les autres, en groupes surtout ; et c’est là-dessus qu’insiste Lemkin pour l’incrimination de génocide, que, lui, identifie à partir du modèle de l’exemple arménien de 1915 (pages 194-196…) ; mais aussi, peut-être, à d’autres facteurs plus personnels et intimes, voire singuliers (et facteurs puissants de notre identité ! ou identification…), pouvant être, aussi, lourds de violences, et déjà de menaces, qui y interviennent, là encore, plus ou moins directement ou indirectement, de la part surtout, il est vrai, de groupes… C’est que « nul homme n’est une île«  ! selon l’expression de John Donne. Et c’est fondamentalement au sein même des échanges avec les autres (à commencer par celui de la parole, en l’apprentissage de la langue, puis de toute la culture… ;  ainsi que des regards), mais aussi de tous les autres signes, y compris corporels et les moins conscients, avec nos proches, d’abord (puis d’autres ; qu’il faut apprendre à apprivoiser ; et avec lesquels s’accorder plus ou moins…), que nous, humains, nous formons et forgeons peu à peu, et continûment, notre identité de personne-sujet (qui est ainsi ouverte, et non pas fermée)… Et sur cette articulation-là, Philippe Sands, avec une très grande humanité et merveilleuse délicatesse, creuse loin et profond, et profondément juste, en son balancement très mesuré entre le poids de ces divers facteurs d’identification...

Et, de plus, et encore, nous sommes ici sur le terrain de droits (et pas de simples faits bruts) : de droits (à revendiquer et soutenir) à faire naître et apparaître d’abord, délimiter et faire reconnaître, d’abord théoriquement et en droit positif, puis à faire entendre, respecter et protéger très effectivement, sur le terrain, cette fois, quand d’autres les bafouent et les violent ! Et osent théoriser sur ces abus, tel le Calliclès du Gorgias de Platon, ou tel Carl Schmitt : un cran philosophique au-dessus du médiocre Hans Frank… Cf aussi le riche Masse et puissance, d’Elias Canetti…

Et au passage, nous pouvons comprendre le conseil de Léon à son cher petit-fils Philippe (page 38 : « Leon m’encouragea à faire du droit« ), c’est-à-dire consacrer sa vie professionnelle la plus effective au Droit, et la défense vigoureuse et argumentée, la plus concrète, des droits… Cf aussi, plus tard, et à la page 437 : « Leon était ravi de mon choix de carrière« … Mais, ici, et cette fois avec son œuvre d’auteur, et auteur de ce si éloquent Retour à Lemberg, Philippe Sands donne encore beaucoup plus d’ampleur à la mission reçue de son cher grand-père. Et c’est très émouvant.

Le sens des faits _ avec la lucidité et la clairvoyance qui le conditionnent, ce crucial et fondamental « sens des faits«  _

et les détails (le diable, nous le savons, sait s’y cacher ! mais c’est aussi là qu’il se fait démasquer !) _ de ce voyage qui va d’Est en Ouest et retour

_ (East West Street _ On the Origins of « Genocide » and « Crimes Against Humanity » est le titre originel anglais de ce Retour à Lemberg… : East West Street étant la traduction anglaise du nom polonais de la rue principale de Zolkiew, berceau de la branche maternelle, les Flaschner, de la famille de Leon Buchholz (mais la maison des Lauterpacht, les parents de Hersch, se trouvait dans cette même rue de Zolkiew !) ; une rue qui s’est appelée, à diverses périodes de domination germanophone : autrichienne, puis allemande-nazie, LembergerStrasse…  _

est en partie au moins _ une affaire personnelle » et cela, déjà, pour chacun des protagonistes de ce récit : les juristes-concepteurs, qui sont aussi de très pragmatiques acteurs des nouvelles conceptions du Droit international, à la création duquel ils ont décisivement contribué alors ; les traqueurs-prédateurs nazis ; et les traqués et victimes (quelques uns parvenant à en échapper, mais la plupart des autres, pas), juifs surtout…

Et c’est un immense mérite de ce livre qu’est Retour à Lemberg, que de réussir à nous faire approcher, encore une fois avec une extrême délicatesse, ces facteurs personnels et intimes, d’identité, profondément « humains« , jusque dans les amours un peu compliquées et chahutées, de certains, et même de la plupart, des protagonistes pris ici comme objets d’analyse fouillée en cette enquête extrêmement minutieuse, même un Hans Frank ; tous impliqués, à divers degrés, et ne serait-ce que dans leur famille, dans les violences et soubresauts annexes de l’Histoire collective ; sous les regards réels (ou potentiels) d’autres, des autres, ainsi que de groupes se conglomérant (cf, par exemple, ici, le Masse et puissance, d’Elias Canetti) ; afin de mieux comprendre la part de ces facteurs humains et inhumains, tant dans les comportements effectifs que dans les jugements sur eux…

Bien sûr,

au départ de l’enquête menée par Philippe Sands ici,

il y a cette invitation universitaire _ au printemps 2010 : l’Ukraine indépendante (et surtout sa partie le plus occidentale, la Galicie et sa ville principale, Lviv) s’ouvrait alors un peu à l’Europe de l’Ouest… _ faite à l’avocat de droit international spécialisé en affaires de génocides et de droits de l’homme qu’il est

_ et qui découvrira la ville de Lviv à la toute fin du mois d’octobre 2010, et y prononcera sa conférence dans la salle même où se trouvèrent, étudiants, Hersch Lauterpacht et Raphaël Lemkin durant le cursus de leurs études de droit (de 1915 à 1919, page 104, pour Lauterpacht ; et de 1921 à 1926, page 192, pour Lemkin) ; de même que se trouva, aussi, dans cette même salle, Hans Frank, pour un fameux discours prononcé là le samedi 1er août 1942 (pages 293 à 295, avec deux photos) : « c’était l’anniversaire de l’incorporation de Lemberg dans le Gouvernement général _ que dirigeait Hans Frank _, comme capitale du Distrikt Galizien, germanisé depuis peu _ à partir de l’été 1941, et le déroulé de l’opération Barbarossa. (…) Le principal objectif de Frank était de restaurer _ à son profit de Gouverneur Général de (toute) la Pologne occupée _ un régime civil sous la houlette ferme _ et c’est un euphémisme ! _ du gouverneur _ de Galicie, à Lemberg _ Otto von Wächter… » _ son subordonné ; page 291 _

par la Faculté de Droit de l’Université de Lviv, et à propos des conceptions nouvelles, depuis 1945-46 _ et le procès de Nuremberg _ de ce droit.

Mais, ce qu’ignorent encore, ce printemps 2010 de leur invitation, les instances invitantes de Lviv,

c’est que, d’une part, les deux inventeurs de ces concepts, Hersch Lauterpacht (1897 – 1960) et Raphaël Lemkin (1900 – 1959), sont tous deux étroitement liés à leur ville de Lviv

_ Lauterpacht est né à la très proche Zolkiew (LembergerStrasse) le 16 août 1897, et gagna Lemberg, avec ses parents, en 1910, afin d’y faire ses études (dont le début de celles de droit, à l’université, de 1915 à 1919 ; en 1919, pour causes de mesures antisémites polonaises à l’université, il dut partir pour Vienne afin d’y poursuivre et terminer ces études de Droit : auprès du grand Hans Kelsen) ; mais ses parents continuaient, eux, de résider à Lwow (où ils y furent raflés, en août 1942, pages 144-145) ; quant à Lemkin, lui est venu à Lwow, en octobre 1921, afin d’y faire, lui aussi, ses études de droit : la prohibition des éudiants juifs de 1919 avait alors cessé, du fait de l’application du Traité des droits des minorités ; et dont il sortit diplômé le 20 mai 1926 _,

mais, mieux encore,

les invitants ignoraient aussi, et d’autre part, que leur invité, l’avocat londonien Philippe Sands (né à Londres en 1960, y vivant, y exerçant son métier d’avocat et d’enseignant à l’université, ainsi qu’y résidant toujours),

avait lui aussi de très étroits liens avec la ville de Lviv _ des liens familiaux et culturels (juridiques !), même si ces liens étaient encore assez vagues pour lui-même, à ce moment d’octobre-novembre 2010 : son grand-père Leon, en effet, ne lui avait pas dit un mot, pas plus du détail de ses dix années de petite enfance passées à Lemberg (de sa naissance, le 10 mai 1904, à son départ de la ville, au mois de septembre 1914, fuyant les armées russes) que du détail des vingt-quatre années suivantes de sa jeunesse passées à Vienne (de son arrivée chez sa sœur Gusta Buchholz-Gruber, en septembre 1914, à son départ (tout seul !) pour Paris et la France, au mois de janvier 1939).

puisque son grand-père maternel, Leon Buchholz (1904 – 1997), lui aussi, était né à Lemberg (le 10 mai 1904), y avait vécu (jusqu’en septembre 1914, et sa fuite vers Vienne), et y était revenu, à Lwow _ la Lemberg autrichienne étant alors devenue polonaise _, à l’été 1923 : c’était, à ce moment, afin, d’une part, de disposer _ du fait du Traité des minorités imposé par les Alliés, le 28 juin 1919, à la Pologne renaissante _ d’un passeport polonais _ qui lui était désormais nécessaire, en tant que né en Galicie ; et qui, d’une certaine façon, bien plus tard le sauvera des Nazis (quand il sera considéré, sur la foi de tels papiers, non pas comme juif autrichien, mais simplement apatride : sans mention, à l’encre rouge sur ces dits papiers, de sa judéité !)… _, et, d’autre part, de rendre visite à ses cousins Flaschner _ du côté de sa mère, Malke, née Flaschner _, à Zolkiew

_ et c’est cet été 1923-là, que Leon aurait pu croiser à Lwow, et Raphaël Lemkin qui effectivement y étudiait ; et même, peut-être, Hersch Lauterpacht, qui certes y avait cessé d’étudier l’été 1919 (où, pour contourner les mesures anti-juives prises alors à l’université de Lwow par les toutes nouvelles autorités polonaises, il avait dû gagner Vienne pour pouvoir y achever sa formation de juriste, auprès du grand Hans Kelsen) ; qui s’était marié (à Vienne, le 20 mars 1923) ; et qui, le 5 avril suivant, avait rejoint l’Angleterre pour occuper bientôt, en octobre, un poste de professeur de droit qui lui avait été offert, à Londres ; mais Hersch Lauterpacht aurait pu venir à Lwow depuis Londres, rendre visite à ses parents, qui continuaient, eux, et continuèrent de résider à Lwow ; ainsi que son frère David, et sa sœur Sabina, et leurs époux respectifs : Ninsia, pour David, et Marcele Gelbard, pour Sabina ; et leurs filles : Erica, pour David Lauterpacht, et Inka, pour Sabina Gelbard,… En 1945, de toute cette famille Lauterpacht résidant à Lwow-Lemberg-Lviv, n’aura survécu que la seule Inka Gelbard (nièce de Hersch) ; tous les autres avaient été assassinés…

Leon, lui, ne reviendra plus jamais à Lwow.

Après Vienne, c’est la France et Paris qu’il gagnera, en janvier 1939 ; et pour toujours :

devenu français, Leon adorait la France ;

et au fils qui lui naîtra le 3 janvier 1947, il choisira pour prénom Jean-Pierre

_ et au passage je note que le fils aîné de Philippe Sands a été prénommé, en 1995, Leo JP…


L’art de la recherche _ en quelque domaine que ce soit _comme celui de la réalisation d’une œuvre à accomplir, nécessite de prendre l’initiative de concevoir _ Sape audere !, telle est la devise des Lumières, comme le proclame bien haut Emanuel Kant, en son indispensable Qu’est-ce que les Lumières?, en 1784 _ et de faire, en procédant à de fécondes connexions :

rien n’est ici simplement subi passivement, ou reçu de l’extérieur ; pas davantage qu’isolément, non plus.

Et dans les rapports du sujet cherchant, et créant, à son réel environnant,

il ne s’agit jamais, en rien, de simples coïncidences purement circonstancielles et extérieures, étrangères aux personnes _ et à la personnalité même, singulière _ du chercheurs et créateur.

Surtout quand viennent interférer, comme ici, des jeux meurtriers et à très grande échelle, de chats et souris entre traqueurs et traqués, bourreaux et victimes :

ainsi,

et à côté de bien d’autres _ presque tous, à vrai dire ! _ de leurs parents,

la mère de Leon, Malka Buchholz, née Flaschner, est assassinée à son arrivée sur la rampe de Treblinka, au bout de la Route vers le paradis, au mois de septembre 1942 (page 360) ;

quand la mère de Rita, Rosa Landes, venait, moins d’une semaine auparavant, le 16 septembre 1942, de mourir d’épuisement à Theresienstadt (page 76)…

Malka, Rosa : deux des arrière-grand-mères de Philippe Sands ;

Treblinka, Theresienstadt : deux des grands sites d’assassinat des Nazis…

..

Ce en quoi, pour ce qui concerne au moins les bourreaux,

le moment (20 novembre 1945 – 1er octobre 1946) du procès de Nuremberg

allait se révéler décisif, face à la phénoménale mauvaise foi persistante et endurante de la plupart de ces prédateurs attrapés, capturés, et désormais maintenus, à leur tour, dans une nasse, à Nuremberg ;

tel Hans Frank

_ quant à son subordonné direct, Otto von Wächter, éminent résident de Lemberg en tant que Gouverneur de la Galicie nommé par Hitler lui-même (le 22 janvier 1942), et terriblement efficace en l’extermination de ses Juifs, il réussit à fuir l’avancée de l’Armée rouge quand celle-ci, lors du reflux de la Wehrmacht hors de l’Union soviétique, vint s’emparer de Lemberg, le 27 juillet 1944 ; Wächter parvint, lui, à échapper, du moins provisoirement, au châtiment : il put se réfugier à Rome, où il bénéficia de hautes protections ecclésiastiques… jusqu’à sa mort, à Rome, le 10 septembre 1949, semble-t-il.

Outre son passionnant film The Nazi legacy : what our fathers didréalisé avec l’étroite collaboration _ et participation à ce documentaire _ de deux fils de bourreaux nazis, Niklas Frank et Horst von Wächter (tous deux nés en 1939),

le présent travail en cours de Philippe Sands, et grâce à la vaste documentation _ familiale _ que lui a généreusement fournie Horst von Wächter, concerne, justement, le parcours de vie entier (décès compris, à Rome), d’Otto von Wächter, éminent et singulier citoyen de Lemberg…

L’œuvre d’écrivain-chercheur de Philippe Sands se poursuit donc, à côté de son travail d’avocat en droit international spécialisé dans les crimes de génocide et d’atteintes aux droits de l’homme : passionnante, en sa quête de vérité, comme en sa très profonde _ et empreinte de la plus grande délicatesse _ humanité.

Mais je voudrais m’attacher au plus émouvant _ et touchant _ de tout,

même, peut-être, par rapport aux combles de l’horreur que furent les massacres d’extermination _ Shoah par balles, chambres à gaz, etc. _ :

le portrait si délicat par Philippe Sands de son bien aimé grand-père Leon Buchholz,

via, ici,

_ et entre autres assez rares témoignages désormais disponibles, à partir de novembre 2010 (début de cette enquête), quant au passé viennois de Leon, entre 1914 et 1939, puisque c’est sur ce passé viennois-là que vient se focaliser, à ce stade de sa recherche, la curiosité de son petit-fils, afin de mieux comprendre ce qu’a pu être en vérité le couple assez étrange qu’ont formé ses grands-parents Leon et Rita, disons entre leur mariage « célébré le 23 mai 1937 au Leopoldstempel, une belle synagogue de style mauresque, la plus grande de Vienne » (page 61)et la naissance de leur second enfant, Jean-Pierre, à Paris, le 3 janvier 1947 _

via, ici, donc,

le témoignage « viennois« ,

obtenu par Philippe Sands « dans une maison de retraite avec une belle vue sur la Méditerranée, non loin de Tel Aviv » (page 376), en 2012 _ à au moins soixante-quatorze ans de distance (entre 1938, son départ de Vienne, et 2012, ce jour de leur rencontre à Tel-Aviv) _, de la cousine Herta, âgée de 92 ans,

une des nièces de ce grand-père Leon _ puisque Herta Peleg, née Gruber, est la seconde des filles (après sa sœur Thérèse-Daisy, née en 1914, et avant sa sœur Edith, née en 1923) de Gusta Buchholz (la sœur aînée de Leon) et son mari Max Gruber ; et témoin potentiel privilégié, du fait que c’est chez Gusta et Max Gruber (qui venaient de se marier en janvier 1913), que vinrent se réfugier, l’été 1914 à Vienne, Leon et sa mère Malka, quand Lemberg fut prise et en partie dévastée par l’armée impériale russe.

Herta Peleg :  « la fille qui avait choisi de ne pas se souvenir« ,

ainsi qu’elle-même l’affirme à Philippe Sands, le fils de sa cousine Ruth, à la page 380 :

« Je veux que tu saches que ce n’est pas vrai _ comme certains le disaient, tel son propre fils Doron, Doron Peleg, que Philippe avait réussi à contacter depuis Londres _ que j’ai tout oublié,

voilà ce qu’elle dit, les yeux rivés aux miens _ précise alors Philippe.

C’est juste que j’ai décidé il y a très longtemps que c’était une époque dont je ne souhaitais pas me souvenir.

Je n’ai pas oublié. J’ai choisi de ne pas me souvenir« …

Ce témoignage-clé (aux pages 380 à 384) qui constitue un apport crucial décisif pour l’intelligence de la personnalité de son grand-père Leon, telle qu’elle avait pu se révéler et s’épanouir en sa jeunesse, à Vienne,

a été obtenu par Philippe Sands à Tel Aviv en 2012,

soit soixante-quatorze ans après le départ de Vienne (en septembre 1938, page 375) d’Herta, qui n’a plus jamais revu son oncle Leon, qui lui-même quitta Vienne peu de temps après, en janvier 1939.

Dans l’état d’esprit qui était celui de Philippe Sands au moment de ce voyage à Tel-Aviv,

Herta Gruber-Peleg,

était, pour lui, la dernière nièce vivante de Leon _ ce qui n’était pas tout à fait le cas ; car Philippe découvrira un peu plus tard, en 2016 (cf page 531, dans la Postface), l’existence, et à Tel-Aviv aussi, d’une autre nièce de Leon, et qui, dira-t-il, pleura en lisant certaines pages de Retour à Lemberg (paru en anglais en 2016, en effet) ; mais il n’en précisera pas l’identité, indiquant seulement que Doron Peleg était son neveu ; il s’agit donc, ou bien de Thérèse-Daisy, l’aînée des trois soeurs Gruber, née en 1914, ou, plus vraisemblablement, d’Edith, la benjamine, née en 1923… _,

et semblait constituer le tout dernier témoin à pouvoir lui parler de Leon au moment de sa jeunesse _ et de son mariage avec Rita, en 1937 _ à Vienne :

« D’après moi _ venait d’écrire l’auteur page 376 _, Herta était la seule personne vivante qui pouvait avoir _ et donc transmettre _ des souvenirs de Vienne, de Malke et de Leon.

Elle ne voulait pas parler _ avait prévenu son fils Doron, Doron Peleg _,

mais on pouvait peut-être rafraîchir sa mémoire _ un bon avocat devait en être capable ; surtout avec l’aide de quelques photos anciennes que Philippe apporterait et lui mettrait sous les yeux…

Elle se souvenait peut-être du mariage de Leon et de Rita au printemps de 1937, ou de la naissance de ma mère _ Ruth _ un an plus tard, ou des circonstances de son propre départ de Vienne. Elle pourrait peut-être aussi m’éclairer sur la vie de Leon à Vienne _ un élément important ; c’était là ce que se disait Philippe Sands, chez lui, à Londres, devant la perspective d’une telle rencontre à Tel-Aviv… Elle accepta de me recevoir. Qu’elle consente à parler du passé était une autre affaire » (page 376).

Mais l’avocat subtil et empathique qu’est le chaleureux et remarquablement fin Philippe Sands, va superbement y réussir.

Et cet échange, durant deux pleines journées d’échanges intenses, avec Herta, dans son appartement de la maison de retraite où désormais elle vivait, face à la Méditerranée, constitue le sommet _ en toute délicatesse et pudeur _, et la clé finale, du questionnement de Philippe à propos de son grand-père Leon _ et de sa grand-mère Rita. A moins que d’ultimes témoignages, ou de nouveaux documents, sollicités et décryptés, livrent de nouvelles découvertes. La recherche a aussi quelque chose de passionnément infini.

Ces pages-ci (de 380 à 384)

de la rencontre de deux jours, donc, de Philippe Sands avec Herta, à Tel-Aviv, et ce qu’il va en apprendre,

et qui comprennent aussi, in fine, en un paragraphe de sept lignes, page 384, la mention du « sourire entendu«  de Ruth, la mère de Philippe,

quand celle-ci, un peu plus tard, lui raconte sa rencontre avec Max, en Californie, dans les années 70..,

vont venir donner au petit-fils de Leon, le plus beau et juste portrait de son merveilleux grand-père.

Et, à ce stade presque final de ma lecture, je voudrais ici rappeler les mots de son petit-fils qui, page 39, ouvraient le portait de son grand-père Leon :

« un homme généreux et passionné,

dont le tempérament fougueux pouvait _ à l’occasion _ se manifester de manière brusque et inattendue » ;

soit un homme passionné, foncièrement ouvert, mais sachant aussi parfaitement se contenir et demeurer discret, de même que très audacieux, et même héroïque, quand il le fallait…

Après les dix ans, de 1904 à 1914, de sa prime enfance à Lemberg,

Leon avait en effet vécu à Vienne vingt-quatre années, qui avaient été celles de sa jeunesse joyeuse : de l’automne 1914, à son départ pour Paris en janvier 1939.

Et il en vivra encore cinquante-huit de plus, à Paris, jusqu’à son décès en 1997 _ et son veuvage, depuis 1986.

Nous découvrons d’abord ceci, à l’important chapitre 133, et à la page 381 :

« Ce fut le nom de Leon qui suscita le souvenir le plus vif _ de la vieille cousine Herta.

Son oncle Leon, elle l’avait _ en effet _ « adoré »,

comme un frère aîné, de seize ans seulement son aîné.

Il était toujours dans les parages _ chez elle et ses parents, à Vienne _,

une présence constante.

« Il était si gentil, je l’aimais. »

Elle s’interrompit,

surprise par ce qu’elle _ elle campée d’habitude sur un plutôt ferme quant-à soi… _ venait de dire.

Puis elle le redit,

au cas où _ qui l’aurait chagriné _  je n’aurais pas entendu.

« Je l’aimais vraiment ».

Ils avaient grandi ensemble, expliqua Herta,

ils vivaient dans le même appartement après le départ de Malke pour Lemberg en 1919 _ quand la situation s’était apaisée là-bas, à Lwow, désormais.

Il était là quand elle était née en 1920, il avait seize ans, c’était un lycéen viennois.

La mère de Herta, Gusta, le gardait en l’absence de Malke.

Leon était une présence constante _ et marquante _ dans sa vie. » (page 382). 

Puis, ceci, un peu plus bas, toujours page 382 :

« Lorsque nous feuilletions les albums de photos _ ceux d’Herta comme ceux que Philippe avait apportés _,

son visage s’adoucissait _ voilà _ chaque fois qu’elle voyait une photo de Leon

_ la douceur de Leon suscitait, et maintenant encore, de la douceur…

 Elle reconnut le visage d’un autre jeune homme qui apparaissait sur plusieurs photos

_ qu’avait apportées Philippe ; et qui dataient toutes d’à partir de 1924, l’année des vingt ans de Leon, en l’épanouissement de sa période « viennoise« , en quelque sorte.

Regarder surtout les photos des pages 59 et 383.

Son nom lui échappait.

C’est Max Kupferman, lui dis-je, le meilleur ami de Leon.

« Oui, , bien sûr », dit Herta.

« Je me souviens de lui, c’était l’ami de mon oncle, ils étaient toujours ensemble.

Quand il venait à la maison, il venait toujours avec son ami Max. »

Cette remarque m’incita à l’interroger sur les amies de Leon.


Herta secoua la tête vigoureusement,

puis sourit, d’un sourire chaleureux

_ sourire, douceur, chaleur, sont décidément des marqueurs cruciaux dans le recueil très attentif des témoignages à propos de son grand-père Leon auxquels procède Philippe Sands.

Ses yeux aussi sourirent _ et ils parlent clair.

« Tout le monde passait son temps à demander à Leon _ et c’est là la pression du groupe _ « quand vas-tu te marier ? »  Il répondait toujours qu’il voulait ne jamais se marier » _ a précisé alors Herta : « toujours, jamais« .

Je l’interrogeai _ donc _ sur d’éventuelles _ parfois _ petites amies.

Elle ne se souvenait d’aucune amie.

« Il était toujours avec son ami Max ».

C’est tout ce qu’elle a dit,

répétant ces mots

_ « Il était toujours avec son ami Max« 

Doron _ le fils d’Herta _ demanda _ alors, avec beaucoup de modération dans le conditionnel de la formulation _ si elle pensait que Leon aurait pu être gay _ un mot, bien sûr, assez récent.

« On ne savait pas ce que c’était alors » _ dans les années 20 et 30 ; surtout une petite fille née en 1920… _,

répondit Herta, d’un ton égal _ et bien sûr les intonations de la voix, de même que les regards, comptent beaucoup dans l’expression des témoignages…

Elle ne fut ni surprise, ni choquée. Elle ne confirma, ni n’infirma« .

Fin ici du chapitre 133.


 

Puis, ceci, encore, au chapitre suivant, 134 (pages 383-384) :

« De retour à Londres,

je me suis replongé dans les papiers de Leon, rassemblant _ avec méthode _ toutes les photos que je pouvais trouver. (…)

 Je mis de côté toutes celles où il y avait Max,

les rangeant par ordre chronologique du mieux que je pouvais. (…)

Entre 1924 _ l’année des 20 ans de Leon _ et 1936, sur une période de douze ans _ et en 1936, Leon avait eu 32 ans, le 10 mai… _,

Leon avait collectionné plusieurs douzaines de photos _  pas mal, par conséquent ! _ de son ami Max.

Pas une année apparemment ne s’était écoulée sans qu’une photo ne soit prise, ou plusieurs.

Les deux hommes en randonnée. Jouant au foot. Á une cérémonie. Á une fête sur la plage, accompagnés de filles, bras dessus, bras dessous. Ensemble près d’une voiture dans la campagne.

Ces _ plusieurs douzaines de _ photos prises sur une période de douze années,

entre vingt _ 1924 _ et trente-trois ans _ 1937 _ (quelques mois avant son mariage avec Rita _ qui eut lieu le 23 mai 1937, pour ce qui concerne les données biographiques de Leon… _),

témoignent d’une _ très réelle _ relation de proximité _ entre Leon et Max.

Qu’elle fût intime ou non _ voilà l’adjectif qui revient ici _,

n’apparaît _ cependant _ pas clairement _ au vu des seules photos (toutes dénuées d’impudeur) étalées sur la table.

Les revoyant à nouveau _ et plus attentivement _ aujourd’hui,

avec _ désormais, en plus _ les remarques de Herta en tête

_ procéder aux connexions judicieuses (prenant en compte aussi le hors-champ !) est, forcéement, décisif ; tout élément doit être, toujours, et le plus correctement possible, bien sûr, contextualisé ! c’est-à-dire connecté à d’autres… C’est la justesse de cette connexion qui ouvre l’intelligence (ou pas) de la signification… Par l’auteur, au premier chef, évidemment ! Mais par nous, les lecteurs, aussi (lire est lui aussi un acte d’intelligence ; et donc un engagement de soi, personnel et singulier) ; ce qui nécessite, de notre part, en emboitant le pas, en quelque sorte, à la démarche même d’écriture inventive de l’auteur écrivant, quelques relectures, à chaque fois un peu plus attentives aux détails qui avaient pu jusque là nous échapper ; et sur lesquels l’auteur avait peut-être, justement, choisi de ne pas trop lourdement insister ! faisant confiance à notre propre finesse de lecteur attentif (ou pas) aux moindres nuances et intonations (voire aux silences) de ses phrases… Hic Rhodus, hic saltus _,

je me dis que c’était là une intimité d’un genre particulier _ peut-être, mais lequel ? A nous d’y méditer…

Leon avait dit qu’il ne voulait jamais se marier _ et il n’existait certes pas alors de mariage entre personnes de même sexe ; ni de pacs.

Et encore moins de procréation médicalement assistée.

Les solutions fines à la configuration personnelle de telles relations étaient possiblement alors moins formatées que ce qui se déploie à très grande échelle aujourd’hui dans nos sociétés moutonnières, alors même que les individus se figurent être absolument singuliers et uniques : par un aveuglement (de totale cécité !) habilement construit par de très peu visibles, voire invisibles, dispositifs algorithmiques sociaux…


Max avait réussi à quitter Vienne _ quelles raisons précises l’y avaient donc incité ? _ ;

comment, quand, je ne le savais pas _ et c’est bien dommage : ni Herta Gruber-Peleg, née en 1920, et nièce de Leon ; ni Emil Landes, né en 1933, et neveu de Rita, ne l’ayant jamais su, ne pouvaient donc pas le savoir ; et même Emil Landes, bien trop jeune en 1937-38, ne pouvait évidemment pas avoir connu ni se souvenir de ce Max Kupferman… Et qui d’autre, maintenant, pouvait apporter un nouveau témoignage fiable sur tout cela ?..

Il était parti _ mais à quelle date ? dès 1937 (soit le moment où cessent les photos jusqu’alors si fréquentes de l’ami Max, au moins dans la collection qu’en conserva Leon) ? plus tard ? mais quand ? Et qu’est ce qui avait donc pu motiver son départ, à lui, de Vienne, et d’Autriche ?.. L’Anschluss (Max aussi était juif) ne se produisit que l’année suivante : au mois de mars 1938… Et pour quelles raisons Max était-il parti tout seul ?.. Qu’est- ce qui avait pu retenir si fort l’ami Leon à Vienne ? Sa profonde affection pour sa mère Malka ? Le désir de se marier et d’avoir des enfants ? Qui pourrait le dire ? _

il était parti

pour l’Amérique, New-York, puis la Californie _ Philippe Sands n’indique pas précisément ce qui lui permet de l’affirmer : une correspondance entre Max et Leon ? un témoignage particulier, tel celui de Ruth, issu de leur rencontre californienne ?.. Cela n’est pas explicité.

Il était _ cependant _ resté en contact avec Leon _ par échange de lettres ? et en permanence ? Il semblerait que oui, mais là encore Philippe Sands laisse discrètement ces éléments dans le flou. Il en reste au stade de l’allusion. Durant l’Occupation, Leon se trouvant à Paris sous la botte allemande, il avait dû leur être assez difficile de communiquer par le courrier, très surveillé ; chacun (Leon à Paris, Max en Amérique) devait disposer d’une adresse sûre et fiable de l’autre afin de réussir à le joindre, sauf à utiliser les services de la poste restante, mais dans une ville forcément préalablement connue de soi (peut-être Max a-t-il résidé toutes ces années-là, sans en bouger, à New-York…). La pratique de la poste restante était fréquente en France sous l’Occupation et le régime de Vichy. Par exemple, Hannah Arendt et ses amies allemandes du XIVéme arrondissement de Paris (dont Herta Cohn Bendit), l’utilisaient, une fois parvenues en zone libre et ayant à s’y déplacer (Lourdes, Toulouse, Montauban, Marseille), en 1940-41… _ ;

et plusieurs années plus tard, lorsque ma mère était _ ce « était à«  semble impliquer un minimum de résidence dans la durée _

à Los Angeles _ Ruth était devenue adulte, et depuis longtemps ! Ruth a épousé Allan Sands, l’ami d’enfance de son cousin Emil Landes (né en 1933, lui), en 1956 (elle avait 18 ans) ; j’essaie de me repérer… Mais Philippe Sands ne donne pas davantage de précision sur ce séjour de Ruth Sands à Los Angeles _,

elle l’avait rencontré _ Ruth, et à sa suite Philippe, sont donc tout à fait en mesure de dater correctement cette rencontre californienne de Ruth et de Max (dans les années 70, m’a dit de vive voix Philippe).

Leon avait-il indiqué à sa fille l’adresse de Max en Californie ? Ou avait-il communiqué à Max les coordonnées de Ruth lors de son passage ou séjour à Los Angeles ?.. C’est plus que probable… Mais cette précision ne nous est pas donnée ; Philippe Sands nous dit que Leon et Max gardèrent contact (mais à distance, sans se voir), l’un habitant Paris, et l’autre en Amérique : par-dessus l’Atlantique qui les séparait désormais ; et surtout il nous laisse penser que Leon a favorisé cette rencontre californienne entre son ami de toujours, Max, et sa fille, Ruth. Qu’avait donc dit Leon à sa fille (trentenaire alors) ?.. Et celle-ci en a-t-elle, depuis, confié le détail à Philippe ? C’est très vraisemblable. Mais le récit tel qu’il est publié, préfère, avec délicatesse, s’abstenir d’entrer dans ce détail du devenir de l’amitié viennoise de Leon et de Max..

Il s’était marié tardivement _ qu’est-ce à dire ? quand, plus précisément ? _,

m’avait dit ma mère _ née, elle, en 1938 ; et Max Kupferman ayant, pouvons-nous supposer, approximativement l’âge de Leon, né lui en 1904 ; cela pour tenter d’évaluer ce que pouvait être l’âge de Max (certainement plus de soixante ans) au moment de cette rencontre californienne (au cours des années 70) _,

et il n’avait pas d’enfants _ et avoir des enfants (ou pas) peut être très important pour certaines personnes.

Comment était-il ?

Chaleureux _ nous y re-voilà ! _,

aimable _ tiens, tiens ! _,

drôle _ et c’est parfaitement perceptible sur pas mal des photos de Max conservées par Leon : Max adorait plaisanter et rire ! _,

selon elle

_ et toutes ces micro-appréciations d’intonations que nous fournit ici Philippe Sands, nous apprennent, elles aussi, beaucoup.

Au passage, et à propos de l’importance de ces intonations de la voix, je veux souligner ici le vif et très émouvant plaisir qu’éprouve Philippe Sands (et c’est parfaitement perceptible sur la vidéo), à tenir, en concert, le rôle de récitant ; de récitant d’extraits de son Retour à Lemberg, accompagnés de merveilleuses illustrations musicales (Erbarme dich, de la Passion selon Saint-Matthieu de Jean-Sébastien Bach, chanté par Laurent Naouri, etc…), dans le spectacle  qu’il donne quatre fois par an de par le monde, en compagnie magnifique de proches amis : musiciens, chanteurs, comédiens… Mais la profession d’avocat en apprend déjà beaucoup sur les intonations efficaces…

Pour ma part, je me souviens d’avoir proposé à mes élèves de Terminale, l’année de ma toute première année d’enseignement de Philosophie (c’était en 1972, au lycée René Cassin, à Bayonne), en sujet de dissertation, ce fragment d’Héraclite (dit l’Obscur) : « Ces gens qui ne savent ni écouter, ni parler« … J’y suis particulièrement sensible ; et d’abord au « savoir écouter« 

Et j’ai été aussi récitant lors de concerts de La Simphonie du Marais et Hugo Reyne ; la toute première fois, ce fut pour un concert Lully, dans le grand salon de l’Hôtel-de-Ville de Lyon, le 20 novembre 1993… Plus tard, j’ai aussi appris sur le tas à parler à la radio (France-Culture, France-Musique, à Paris, à Versailles) ; puis à devenir modérateur pour des entretiens, chez Mollat, à la Cité du Vin, au Théâtre du Port-de-la-Lune, à Bordeaux. Cf mon listing d’entretiens disponibles par podcasts et vidéos. Etc.

Je suis donc très sensible à l’importance des intonations de la voix… Fin de l’incise.

Comment était-il ?

Chaleureuxaimable, drôle, selon elle.

« Et flamboyant » _ voilà !

Philippe et sa mère ont maintenant tout loisir d’entrer bien plus avant, dans leurs échanges, dans le détail de ce qu’ils ont appris de Leon, qui se trouve être aussi, par ailleurs, allais-je écrire, pour elle, le père, et pour lui, le grand-père dont ils ont connu d’autres facettes de l’identité, complexe, riche et dynamique ; de même que pour l’identité de quiconque, si l’on veut bien creuser un peu…

Et toutes ces remarques sur ce qui émanait de la personnalité de Max telle que Ruth a pu l’éprouver lors de cette tardive rencontre californienne, sont magnifiquement corroborées par la photo en gros plan du visage de Max (et celui de Leon), prise en 1929, à Vienne, dans une étroite cabine de photomaton : plus de quarante ans avant que Ruth ne découvre le visage et ne perçoive la personnalité de Max, le viennois, en Californie…

Elle avait souri _ encore et toujours ce fondamental sourire : d’intelligence et d’affection, les deux _,

d’un sourire entendu

_ Ruth savait donc. Mais n’avait rien dit, jusque là.

Philippe n’avait pas non plus demandé grand chose à sa mère, avant ce voyage à Lviv, en octobre 2010 ; et avant l’apparition de cette affectueuse curiosité ainsi déclenchée, à Lviv, envers la personnalité pas assez encore connue de lui jusque là, de ce grand-père Leon, qu’il aimait tant. Oui, ce fut bien ce voyage très émouvant d’octobre 2010 à Lviv qui fut le catalyseur de cette curiosité et de toute cette démarche d’enquête, et qui mena à cette meilleure connaissance par Philippe de son grand-père, via tout ce dossier ; et cela à côté de son enquête sur les parcours de vie et les œuvres des juristes Hersch Lauterpacht, Raphaël Lemkin et Hans Frank, et à propos de l’articulation conflictuelle entre les droits nationaux et le droit international…

Mais maintenant, Ruth a tout loisir de bien en parler à Philippe, et avec ce joli sourire d’intelligence complice entre eux deux…

Je retournai _ poursuit Philippe Sands _, à la seule lettre de Max que j’avais trouvée _ que sont devenues les suivantes ? puisque le contact entre Leon et Max s’est poursuivi jusqu’aux années 70 au moins… _ dans les papiers de Leon.

Écrite _ aux États-Unis _ en mai 1945, le 9, le jour où les Allemands avaient capitulé face à l’Union soviétique.

C’était _ visiblement _ une réponse à une lettre de Leon

_ quel pouvait être son contenu ? Leon avait-il pu déjà avoir connaissance, en avril 1945, et à Paris, de l’étendue des meurtres de Juifs en Europe centrale et orientale ? et, plus particulièrement du sort des proches de son ami Max Kupferman ?.. _,

expédiée depuis Paris _ qui avait été libéré le 25 août 1944 _ un mois plus tôt _ début avril 1945, donc : détails en effet significatifs…

Max décrivait la perte de membres de sa famille _ perte dont il venait de recevoir, d’Europe centrale, probablement, confirmation ; car il demeure assez peu probable qu’en avril 1945, Leon ait pu déjà disposer depuis Paris, de beaucoup d’informations sur les massacres d’Europe centrale ; et cela en dépit des relations nouées avec le réseau des gens de l’UGIF… Mais qui sait ? Leon était ingénieux et audacieux… _,

l’instinct de vie _ qui était le sien _,

l’optimisme retrouvé _ ce que Boris Cyrulnik a baptisé la « résilience« 

Ses mots _ de Max _ dénotaient un espoir _ mais lequel ? _ palpable _ si les signes sont bien là, sous nos yeux, c’est à nous qu’il revient d’apprendre à les interpréter ; et en fonction, bien sûr, des contextes, mouvants…

Ce que Philippe Sands s’est efforcé, bien sûr, de faire, au fur et à mesure des avancées (à rebondissements) de ses investigations…

Comme Leon _ pense alors par devers soi et comme à voix haute Philippe _,

il buvait la vie _ telle est la dominante du tempérament joyeux et optimiste (« flamboyant«  !) commun aux deux amis, Max et Leon ! _,

même si la coupe _ étant donné la situation, de part et d’autre de l’océan _ n’était qu’à moitié pleine

_ et ce qui tranche, aussi, avec l’absence endémique de rire de l’épouse de Leon, Rita…

Même si Rita et Leon donnèrent à Ruth un petit frère, Jean-Pierre, né à Paris le 3 janvier 1947.

Des choix drastiques furent donc faits, et à plusieurs reprises, et par chacun des impliqués ;

et où chacun d’entre eux se trouvait alors : à Vienne, à Paris, à New-York, en Californie ; ainsi qu’en fonction des divers lieux où il pouvait se déplacer, ou fuir, échapper à la nasse…

La dernière ligne _ de cette ultime lettre de Max conservée par Leon dans ses papiers : que devinrent les autres ? _ accrocha mon regard,

comme lorsque je l’avais lue pour la première fois,

mais c’était alors pour une raison différente,

sans connaître le contexte _ forcément crucial ! _,

avant d’avoir entendu le témoignage _ sur le vif, et irremplaçable _ d’Herta.

Max se référait-il à des souvenirs viennois _ précis _ lorsqu’il avait écrit ces mots,

lorsqu’il avait envoyé des « baisers affectueux » à Leon,

avant de terminer sa lettre par une question ?

« Dois-je répondre à tes baisers, avait écrit Max _ avec une bonne pincée d’humour noir _, 

ou sont-ils seulement pour ta femme ? » 

          

Sur cette question des droits les plus intimes _ je reprends cet adjectif in fine très important _ de la personne,

face aux pressions (et parfois _ voire souvent _ aux violences _ par exemple, en l’occurrence, homophobes _) des autres _ et le plus souvent en groupes (très vite fanatisés, qui plus est…) _,

deux autres situations _ et souffrances, chagrins _ peut-être proches, sinon exactement similaires,

ayant affecté l’intimité de deux des autres principaux protagonistes de l’enquête :

Raphaël Lemkin,

et Hans Frank,

doivent être aussi abordées quant à ce volet de l’intimité personnelle, et peut-être même singulière ;

et ses droits…

D’abord, et surtout _ par la détresse qui la nimbe d’un bout à l’autre, semble-t-il… _la situation personnelle de Raphaël Lemkin,

comme s’y intéresse, avec pudeur ainsi que prudence, Philippe Sands _ et d’après son enquête sur lui, éminemment scrupuleuse et la plus complète possible : un travail de bénédictin ; presqua analogue à celui que fit Lemkin à propos de Hans Frank ! _au chapitre 136 (de la partie X Jugement), et surtout à la page 390 ;

Lemkin, qualifié, page 390, de « célibataire endurci« , ne s’était, en effet, pas marié ;

de même qu’est souligné, page 442, le fait qu’il « mourut sans enfants« .

Il n’avait eu ni « le temps, ni les moyens de mener une vie maritale« , avait-il confié _ en 1959, soit l’année même de sa mort _ à Nancy Ackerly,

une jeune étudiante _ « de Louisville, Kentucky » _ avec laquelle, au printemps 1959, à New-York, il avait sympathisé et lié amitié _ après s’être amusé un jour qu’il se promenait dans un parc, et l’avait rencontrée par hasard, alors qu’elle « pique-niquait avec un ami indien sur la pelouse du Riverside Park, non loin de Columbia University« , à New-York, à lui claironner, par fanfaronnade, qu’il était capable, lui qui n’était plus un tout jeune homme (il allait avoir cinquante-neuf ans), de dire « je vous aime«  en vingt langues différentes ! (page 185).

Et, bientôt « devenus proches« ,  l’été qui suivitet qui allait être celui-là même de sa mort, d’une crise cardiaque, le 28 août 1959 _,

Raphaël Lemkin et Nancy Ackerly ont travaillé « ensemble sur le manuscrit _ des Mémoires de Lemkin que Lemkin intitula Totally Unofficial » (page 185) ; ce qui fait de cette jeune femme, qui fut sa confidente de prédilection en 1959, un témoin très privilégié de son parcours de vie.

Raphaël Lemkin était un homme à la personnalité singulière, un individu assez isolé socialement _ un « outsider«  ! ai-je entendu à diverses reprises le qualifier Philippe Sands… _ :

un homme « solitaire, déterminé, compliqué, émotif et volubile,

quelqu’un qui n’était pas véritablement charmant, mais qui « essayait _ et sans vrai succès _ de charmer les gens » »,

d’après l’éditorialiste Robert Silvers (page 196), qui l’avait bien connu, et en a parlé en ces termes à Philippe Sands ;

et cela, malgré une indiscutable sociabilité :

« Sociable _ il se liait plus facilement que Lauterpacht _, il vivait en homme du monde » (page 389) ;

mais c’est seul, tristement seul, qu’une fois rentré chez lui, il se retrouvait

et s’éprouvait, douloureusement :

sans personne auprès de qui vraiment s’épancher, se confier ;

contre qui se serrer, se blottir,

à qui s’abandonner ;

et étreindre…

 

Sa mère Bella l’en avait pourtant prévenu, averti, mis en garde, notamment la dernière fois qu’il était passé revoir ses parents, chez eux, à Wolkowysk, en Pologne, à la fin octobre 1939 :

« Bella insista, rappela à son fils que le mariage était un moyen de se protéger,

qu’un homme « solitaire et sans amour » aurait besoin d’une femme, une fois « privé » du soutien de sa mère.

Lemkin ne l’encouragea pas à poursuivre«  _ un tel discours.

Raphaël « répondit aux efforts de Bella avec affection, prit dans ses mains la tête de sa mère, caressa ses cheveux, baissa ses yeux, mais ne fit aucune promesse.

« Tu as raison », c’est tout ce qu’il put lui offrir, espérant que sa vie de nomade lui sourirait davantage à l’avenir« , page 210.

Le texte de ces Mémoires de Lemkin ne trouvant pas d’éditeur à ce moment (1959-1960)

probablement du fait du décès de Lemkin, le 28 août 1959 ; et plus encore de l’absence d’un vrai réseau d’amis fidèles, ou de disciples, auprès de lui, et ayant souci du soin de son œuvre ainsi que de sa mémoire au regard de la postérité.

Raphaël Lemkin n’avait pas non plus d’héritier dont il serait demeuré proche :

le fils de son frère Elias, son neveu Saul Lemkin, né en 1927 (la famille d’Elias avait réussi à survivre aux Nazis comme aux Soviétiques, et à rejoindre l’Amérique après la guerre), vivait lui-même, « à quatre-vingt ans passés« , assez isolé à Montréal, dans des conditions plus que modestes, quand Philippe Sands le rencontra pour recueillir son témoignage sur son oncle Raphaël ; mais les liens familiaux entre Raphaël Lemkin et son neveu Saul, étaient très distendus (pages 210-211).

Et la jeune étudiante qu’était Nancy Ackerly, en 1959, ne disposait, quant à elle, d’aucune autorité, ne serait-ce qu’universitaire, pour assumer et assurer ce rôle de conseil auprès d’un éditeur _,

le texte, donc, de Totally Unofficial

« finit _ un peu perdu, et en tout cas non édité (et donc demeuré invisible)… _ (…)

dans les entrailles de la New-York Public Library« 

_ de laquelle Bibliothèque, ce n’est que bien « des années plus tard » que « un jeune universitaire américain mentionna le manuscrit, et m’en fit _ ensuite _  parvenir une photocopie« , raconte Philippe Sands (page 186) ; ayant pris connaissance de l’existence de ce document, très précieux pour sa propre recherche concernant Lemkin (sa vie personnelle solitaire, sa vie professionnelle un peu compliquée et conflictuelle, ainsi que son rapport passionnel à son œuvre de juriste), Philippe Sands obtint donc de s’en procurer une photocopie, qui, bien sûr, le passionna et dont il tira énormément d’éléments pour son travail de reconstitution du parcours de vie et de la genèse à méandres de l’œuvre de juriste de Raphaël Lemkin. Et un tel travail de précision de reconstitution dans les moindres détails, tant d’une vie que d’une œuvre, est, bien sûr, la seule méthode qui vaille.

Plus loin,

aux pages 209-210,

continuant de se pencher sur les méandres peu heureux _ et c’est un euphémisme _ de la vie de Lemkin, Philippe Sands note bien que « l’une des caractéristiques frappantes de la biographie de Lemkin est en effet l’absence de référence _ qu’elle ait été exprimée, cette « absence de référence à toute relation intime« , par lui-même, ou bien reconnue et établie par d’autres _ à toute relation intime _ sic : cela va donc assez loin. Lemkin ferait-il donc partie de ceux qu’on qualifierait aujourd’hui d’« asexuels«  ? Probablement que non.

De tous les documents que j’ai dépouillés _ poursuit Philippe Sands _aucun ne mentionne _ en effet _ une femme, bien que certaines aient apparemment manifesté _ publiquement _ un intérêt pour lui.« 

Et c’est ce qui transparaît aussi, plus loin, page 390, de ce document privé exceptionnel et particulièrement expressif qu’est la petite œuvre poétique _ totalement inédite _ de Raphaël Lemkin, « trente poèmes qu’il avait écrits et qu’il avait voulu partager avec _ sa jeune amie et collaboratrice de 1959 _ Nancy » Ackerly ; et que celle-ci, bien des années après la disparition de Lemkin, adressa, par la poste, à Philippe Sands :

« La plupart _ de ces poèmes, résume Philippe Sands _ portait sur les événements _ de diverses sortes, probablement _ qui avaient façonnés sa vie et était (sic) heureusement _ pour sa faible qualité poétique ? pour ce qu’elle révélait (un peu trop ?) de la vie de son auteur ?.. _ restée dans l’ombre,

 mais certains poèmes parlaient d’affaires de cœur _ nous y voilà.


Visiblement, aucun n’était destiné à une femme en particulier _ qu’il aurait aimée ou courtisée un peu durablement _,

mais deux d’entre eux s’adressaient apparemment _ au vu de la syntaxe _ à des hommes.

Pris dans « l’effroi de l’amour »

_ est-ce là le titre du poème ? ou bien une expression significative du poème dont est cité l’extrait qui suit ? _,

il écrivait :

M’aimera-t-il davantage

Si je ferme la porte à clef

Lorsqu’il frappera cette nuit ?

Un autre, sans titre, s’ouvrait sur ces vers _ mais la suite (plus impudique ?) ne nous est pas ici donnée _ :

Monsieur, ne vous débattez pas

Laissez-moi baiser

Votre poitrine avec amour.

Philippe Sands concluant, page 391, ce passage à propos des confessions poétiques _ inédites _ de Raphaël Lemkin _ qui comporte probablement d’autres richesses biographiquespar ces mots :

« On ne sait à quoi _ à quel hors-champ bien réel (inconnu jusqu’ici) de son existence _ ces vers faisaient référence.

Il semble cependant que Lemkin avait vécu une vie _ entière _ de solitaire,

et qu’il avait peu de personnes avec qui partager sa frustration

…sur l’évolution du procès » _ de Nuremberg,

eu égard aux difficultés qu’il avait en effet éprouvées à obtenir la place officielle de premier plan, et au procès de Nuremberg même, qu’il désirait en ce décisif procès, au service de la reconnaissance universelle de son concept de « génocide« 

Et dans l’Épilogue de Retour à Lemberg, à la page 442,

nous retrouvons cette notation de Philippe Sands : « Lemkin mourut sans enfants ».

D’autre part,

Philippe Sands remarque, page 231, dans la Préface que Lemkin rédigea pour son livre capital Axis rule in Occupied Europeque de tous les groupes de personnes dont Raphaël Lemkin s’attachait à vouloir défendre _ sur le terrain du droit international _ les droits  _ en particulier les « Juifs, Polonais, Slovènes (?), et Russes » ; semble exister ici une maladresse de traduction… _,

« d’un groupe au moins, il ne faisait aucune mention :

les homosexuels« .

Qui étaient pourtant passibles, le fait est bien connu, d’abord du port de l’étoile rose, et qui furent très effectivement persécutés en tant que groupe identifiable _ ainsi marqué et fiché _ et stigmatisé…

Que déduire de pareille omission en ces écrits de Lemkin ?

Probablement une gêne toute personnelle de la part de Lemkin en sa vie d’homme sexué ;

et dont, à ce point d’être incapable de pouvoir l’aborder en son texte de droit _ pouvait-il y en avoir de vraies raisons théoriques ? _il souffrait et avait honte…

Raphaël Lemkin serait peut-être ainsi un gay

_ mais le mot n’est pas cette fois prononcé pour lui, faute de discours de quiconque sur lui sur ce chapitre : pas de Niklas, comme pour Hans Frank ; pas de Doron, comme pour Leon Buchholz ;

dans le cas de Raphaël Lemkin, son neveu, Saul Lemkin, qui vivait (pauvrement) à Montréal, ne sait rien de la vie personnelle et intime de son oncle, et ne porte pas le moindre jugement sur elle… _

qui n’aurait pas vraiment assumé ses penchants… ;

ou leur éventuelle publicité…

Et cela, que ce soit du temps de sa vie en Pologne _ quand ses parents, Bella et Joseph, n’avaient pas encore été exécutés par les Nazis ; ce fut à Treblinka (page 422) _, ou ensuite aux États-Unis…

Mais les pratiques homosexuelles, à cette époque _ avant 1960 _, et notamment à New-York,

constituaient-elles, ou pas, un comportement de groupe ?..

S’agissait-il là _ comme le néologisme qu’est le vocable de « gay«  _, ou pas,

d’un phénomène sociologique, et d’époque ?..

Etait-ce l’assignation de sa propre singularité à un groupe, qui lui répugnait ?

Ou plutôt, la constitution en quelque sorte officielle et au sein de la théorie juridique d’un tel groupe d’Homosexuels ?..

Le point serait intéressant à creuser…

Ce qui concerne, maintenant, le cas de Hans Frank

sur cette part relativement tue de sa propre intimité,

et cela malgré (ou à cause de) ses liaisons bien connues, voire ses affichages avec diverses maîtresses,

se trouve au chapitre 109 (de la partie VI, Hans Frank), et à la page 315 ;

et il est abordé par Philippe Sands à partir des analyses _ d’une sévérité impitoyable ! _ du dernier fils (né en 1939) de Hans Frank,

Niklas Frank,

en partie à partir de confessions, dans le Journal de l’épouse de Hans _ et mère de Niklas _, Brigitte Frank,

à propos de l’intimité _ en effet plutôt bizarre _ de leur couple :

« Niklas avait compris que

sa mère _ d’un côté _ exerçait une forte emprise _ psychique _ sur Frank,

malgré son attitude cruelle _ à lui, d’un autre côté _ envers elle

_ en une relation de couple sado-masochiste, et doublement perverse en quelque sorte.

« Sa cruauté _ envers Brigitte son épouse, « de cinq ans son aînée«  _ devait servir à cacher son homosexualité », me dit Niklas.

Comment le savait-il ?

Grâce aux lettres de son père

et au Journal de sa mère.

« Chaque fois, de nouveau _ c’était donc endémique… _,

il semble que mon Hans lutte désespérément _ et en vain ! _, encore et encore »confiait Brigitte à son Journal, « pour se libérer de son attitude juvénile _ qu’est-ce-à-dire ? qui datait de sa jeunesse ? qui concernait son attirance envers des jeunes gens ?.. _ pour les hommes »en référence au temps qu’il avait passé en Italie _ la référence demeure obscure, faute de disposer d’informations sur la jeunesse ou/et les voyages de Frank en Italie…

C’était pourtant le même Frank _ mais y a-t-il vraiment là incohérence ? _ qui avait favorablement accueilli le paragraphe 175a du code pénal du Reich étendant la prohibition de l’homosexualité_ adopté le 28 juin 1935 (in la note 103 de la page 481 ; avec cette précision : « Frank avait prévenu que « l’épidémie de l’homosexualité » menaçait le Reich« …) ; mais seulement si celle-ci tournait à l’exclusivité…

Et les Nazis (race de seigneurs !) n’avaient pas la moindre complaisance pour ce qui ressortait de l’universel, ou même du général.

Un tel comportement, avait déclaré Frank, est « l’expression d’une disposition contraire à la norme de la communauté nationale » _ une norme, c’est-à-dire un simple habitus majoritaire : de fait, et non de droit ; mais que peut donc signifier le droit pour un Nazi ? sinon le simple fait brut de la force, et de son pur arbitraire… ; cf ici les analyses de Carl Schmitt ; ou, déjà, en amont, le discours que prète à son personnage de Calliclès, dans Gorgias, Platon… _ qui doit être puni sans merci « si l’on ne veut pas que la race périsse » _ seulement par pragmatisme bien compris.

« Je crois qu’il était gay », dit Niklas » (page 315), en conclusion de ce raisonnement.

Et voici donc l’autre occurrence de ce mot « gay » (page 313, donc),

avec la question de Doron Peleg, à Tel-Aviv, à propos de Leon Buchholz (page 383)

dans Retour à Lemberg.

Ce qui nous ramène

à réfléchir à ce qui constitue, et en lui donnant forme,

dans le temps d’une vie humaine, tant au sein de la personnalité de l’individu, que dans l’évolution de ses rapports aux autres,

et dans l’affiliation _ tant recherchée par soi qu’assignée par d’autres (ou les autres) _ à divers groupes, sociaux, raciaux, ou autres,

l’identité :

l’identité, toujours complexe et dynamique, est toujours potentiellement ouverte,

et comporte toujours au moins une part de plasticité…

Et nous retrouvons ici la distinction et les approches concurrentes que faisaient dans leurs démarches de conceptualisation théorique du droit (et des droits)

Hersch Lauterpacht et Raphaël Lemkin ;

et que continue d’interroger, aussi, Philippe Sands…

Dont voici le podcast (de 56′ 38″) de la présentation de son livre,

mercredi 28 mars, à la Station Ausone,

tel qu’il vient d’être d’être mis en ligne par le site de la librairie Mollat…

Ainsi que la vidéo.

Ce lundi 2 avril 2018, Titus Curiosus – Francis Lippa

William Marx et le concept dangereux d' »identité sexuelle »

31jan

L’entretien, hier soir mardi 30 janvier 2018, au Studio Ausone, de William Marx, récent auteur d’Un Savoir gai (aux Éditions de Minuit) avec son collègue universitaire Jean-Michel Devésa _ un peu trop doctoral en son ton à mon goût, et pas assez libre (ou libéré) : surtout en pareil sujet… _
m’a laissé sur ma faim,
en n’interrogeant jamais, si peu que ce soit, l’évidence d’une « identité sexuelle »
_ qui est un très dangereux cliché selon moi, encourageant, volens nolens, les violences tellement sures d’elles-mêmes (et férocement décomplexées en leur déchaînement) de l’homophobie : mais oui ! _
évidence trop bien partagée dans l’idéologie dominante,
et thèse proclamée aussi d’un bout à l’autre des discours des deux intervenants, hier soir, sans la moindre analyse un tant soit peu auto-réflexive de leur part… ;

en n’interrogeant jamais, donc, l’évidence
de leur commune thèse
d’une « identité sexuelle », hétérosexuelle comme homosexuelle, et massive _ sinon universelle.


Les trois sobres (et très courtes) questions du troisième intervenant dans le public _ et que je ne connais pas _,
au terme des longs échanges entre William Marx et Jean-Michel Devésa,
furent, pour moi, en leur directe et frontale pertinence, la contribution la plus lucide de toute la soirée !


Allant d’emblée, et enfin, questionner l’essentiel :

l’identité (ou pas) sexuelle, la bi-sexualité (etc.), le quid du top et bottom de la pénétration coïtale…


Mais Jean-Michel Devésa _ pas assez questionnant _ n’a guère aidé William Marx sur cette voie de l’interrogation-analyse d’une « identité sexuelle »
que j’aurais personnellement apprécié de voir et entendre vraiment _ et sérieusement _ explorer…


Et je ne vois même pas non plus, hélas,

ce que la spécialité « littéraire » de Jean-Michel Devésa a pu apporter, sur ce pourtant bien intéressant et riche plan littéraire-là, aussi, à l’échange :
rien
(ou si peu : la très rapide mention seulement du Tricks de Renaud Camus : paru en 1979, et pas en 1988, date de sa re-publication seulement ; et les dates importent fichtrement !!!)
sur les regards des écrivains assumant plus ouvertement leur orientation homosexuelle, dominante ou pas, exclusive ou pas : ces nuances, capitales, n’ont quasiment pas été abordées, affrontées…


Et cela, alors même que, sans paraître en avoir vraiment conscience, les deux intervenants étaient proches, l’un comme l’autre, vers la fin,
de se contredire _ mais oui ! _,

quant à cette thèse d’une « identité sexuelle »,


en envisageant _ enfin ! _ davantage de plasticité et de nuances et ouvertures

dans l’histoire

(singulière pour chacun ; et pas seulement grossièrement collective ; et surtout massivement idéologique…)

des pulsions et désirs sexuels,
eux-mêmes mal distingués d’ailleurs, et par les deux intervenants, des élans affectifs et amoureux :


comme si nous pouvions passer sans difficultés et instantanément des uns _ pulsions et désirs sexuels _ aux autres _ élans affectis et amoureux _,
c’est-à-dire du sexuel à l’affectif :


cela méritait au moins examen, et un peu précis et attentif,

tant dans l’entretien d’hier soir,

que dans le petit essai de William Marx, aussi et surtout…


L’amour a paru ainsi passer à la trappe
au profit du batifolant libertinage…


Même si, par ailleurs et d’autre part, William Marx distingue bien clairement et très justement, cette fois, les fantasmes et les actes.

Dont acte.



La sexualité _ toujours singulière en l’histoire souvent un peu complexe de chacun _ est bien plus complexe elle-même et variée qu’une affaire d’identité massive et fermée une fois pour toutes !!!


Et native, probablement, dans ces représentations-là,

qui courent tant les rues.
Et qui font les dégâts que l’on sait ; et d’autres que l’on ne sait pas.


Classer comme être classé est le plus souvent faussement rassurant.

Panurgique.


Il suffit, déjà, de lire Freud pour mesurer, de la sexualité, bien des enjeux existentiels, à l’aune de toute une longue vie déployée :
depuis ce que Freud nomme les « stades » de la « sexualité infantile »,
et en abordant très précisément ce que celle-là devient en ses, parfois riches, parfois pauvres _ par fixations névrotiques surtout, mais aussi, parfois, perversions forcées _, métamorphoses adultes…


Dans le petit aparté post-conférence que j’ai pu avoir avec William Marx,
je lui ai reproché, avec sans doute un peu d’excès, de ne pas assez nous livrer, en son essai, d’éclairages sur l’histoire de son propre devenir sexuel, et en sa singularité (si elle existe) :

si William Marx parle, en effet, et de manière tout à fait intéressante et précise, détaillée ici,

de sa lente et tardive
_ « Tu ne découvris en effet la masturbation que vers la fin _ soit en 1983 ou 84 _ de ta dix-septième année », page 140 _
prise de conscience, eu égard aux normes alors en cours, de l’éclosion de ses pulsions sexuelles

(et homosexuelles : et cela par contraste frontal avec deux coïts avec une femme :
« A l’âge de vingt-deux ans _ en 1988 donc _, pour en avoir le cœur net, tu voulais voir ce que donnerait l’amour _ ou plutôt le sexe ! l’expression, déjà paraît un peu curieuse… _ avec une femme : l’acte _ coïtal _ fut accompli, et par deux fois même, mais sans désir et sans plaisir particulier _ mais est-ce là vraiment significatif ? A la différence du libertinage, un vrai désir, a fortiori un amour authentique et véritable, ne se décrète pas, ni ne s’improvise ainsi. Ce fut la preuve _ mais que vaut celle-là ? Est-elle, aussi partielle, réellement probante ? _ que tu attendais : tu n’aimais et ne désirerais jamais que des hommes, et tu en pris ton parti. Tu crus enfin en ton désir. Ta vision du monde en fut changée. Quelques semaines plus tard, tu déclaras ta flamme _ mais est-ce tout à fait du même ordre ? _ à celui _ Erwann ? William Marx reste flou là-dessus… _ qui deviendrait le compagnon de ton existence _ là il nous livre une confidence _, et autour duquel tu tournais _ voilà ! _ depuis de longs mois déjà », pages 140-141 : amour et coït font, au moins tout d’abord, deux ! _) ;

il s’en tient, toutefois, en ce petit essai, à cette pour ainsi dire « pré-histoire » de sa sexualité réalisée _ il aura 52 ans cette année 2018 _ ;
il n’aborde jamais le vécu même de ses relations homosexuelles effectives _ il évoque seulement sa déclaration à Erwann (s’agissait-il de lui ? son nom apparaîtra à la page 154 de l’essai) : « celui qui deviendrait le compagnon de ton existence », vient-il d’écrire à la page 141 _,
comme ont pu le faire, de manière très détaillée (et passionnante, et chacune en son genre spécifique),

Renaud Camus en ses Journaux
_ je l’ai découvert, pour ma part, en 1987, à partir de mon très vif goût de Rome, en son Journal romain (1987) : la répétition hyper-compulsive de ses échanges sexuels (bien peu réciproques, il est vrai) m’a alors beaucoup surpris et étonné ! et informé, aussi, sur des pratiques sexuelles que j’ignorais du tout au tout… _,

et surtout René de Ceccatty en ses admirables Jardins et rues des capitales (1980), puis Une Fin (2004),
à propos de ses (assez courts, au final) épisodes de frénésie sexuelle en sa vie, lors de sévères _ et tragiques, même _ déserts amoureux…


Jardins et rues des capitales est un chef d’œuvre absolu, en ses trois admirables et époustouflantes parties : Hugues, Jacques ; Samuel en Samantha ; et Roma-Fanfilù
Je recommande très vivement sa lecture !

Le terme de « savoir » dans le titre de ce petit essai qu’est ce Un Savoir gai
me paraît, tout de même, assez excessif ;
participant de cette envahissante manie des calembours qui a colonisé depuis près de quarante ans les médias,
et qui est susceptible d’attirer les chalands aux yeux des éditeurs calculant leurs potentiels chiffres de vente…


Car ce n’est pas d’un vrai savoir qu’il s’agit là ;
seulement de représentations _ voilà : d’opinions _, plus ou moins répandues, et plus ou moins à tort ou raison…

Bref, nous restons sur notre faim…

Déjà, cet essai devrait être bien plus étoffé ; et du côté des expériences vraiment personnelles et singulières de l’auteur…


Sinon,

comme phénomène, voire symptôme, d’ordre social et idéologique,

et à tel moment donné _ comme aujourd’hui _ de l’Histoire,


le panurgique, si commun _ mais en même temps si contagieux et dangereux ! _, est bien moins riche et intéressant à décrypter :

il est à seulement à démonter, déconstruire et radicalement _ si c’est possible ! _ détruire ;

en tout cas affaiblir,

ou ridiculiser…

Même si _ ou parce que _ une des fonctions principales de l’idée de « nature », telle du moins qu’elle fonctionne dans les idéologies,

est de renforcer la représentation (humaine, culturelle) d’une immutabilité et universalité plus ou moins de fait _ ses rares exceptions, très minoritaires, forcément, constituant alors de simples anomalies monstrueuses, des ratés… _,

et de lui octroyer, en surplomb _ et la renforçant encore, si jamais besoin s’en faisait sentir à certains… _ un fondement « sacré » qui vienne comme pleinement _ et sans contestation aucune _ la légitimer, de droit absolu.

Au détriment de la variété et des créations de la fantaisie et de la liberté.


Ce mercredi 31 janvier 2018, Titus Curiosus – Francis Lippa

Saul Friedländer : la construction chahutée (par la vie) de l’oeuvre et de l’homme _ émergence et accomplissement d’une « vocation »

29sept

L’apport majeur de Où mène le souvenir _ ma vie,

ainsi que des Entretiens avec Stéphane Boutitrés _ un peu confusément : c’est bien le seul défaut de ce livre passionnant, avec l’oubli du nom du Père Patrick Desbois, page 216 de l’Index, alors que son nom apparaît à la page 178 _ Réflexions sur le nazisme,

et publiés, simultanément _ tel, à nouveau, un très éclairant contrepoint _ aux Éditions du Seuil ce mois de septembre 2016,

consiste en un magnifique éclairage, à la fois synthétique et très détaillé, sur la double construction, complexe et à rebondissements,

à la fois de l’homme Saul Friedländer,

et de ce que j’appellerais l’œuvre Friedländer.

L’homme Saul Friedländer 

est né le 11 octobre 1932 à Prague, dans une famille qu’il qualifie de « juive non juive«  _ « pour reprendre l’expression d’Isaac Deutscher, au point de ne pas m’avoir fait circoncire« , écrit-il page 19 de Où mène le souvenir _ ma vie _,

et il est bientôt _ dès ses six ans et demi, en avril 1939 _,

ballotté très vite qu’il est d’arrachements-déracinements en arrachements-déracinements,

et avec toujours, aussi, le viscéral et très vital besoin d' »une porte de sortie » (page 289) 

« à la recherche d’une identité et d’une « vocation »… » _ une expression capitale donnée à la page 10 _ ;

une fois qu’il aura réussi, en la France occupée de 1940 à 1944, à survivre à la traque nazie, d’abord

_ au printemps 1944, des Miliciens sont à sa recherche à Néris-les-Bains ! il l’apprendra plus tard… : « la Milice se présenta chez les  C., nos propriétaires : « Où est l’enfant ? » Les C. l’ignoraient, en toute bonne foi. Ce fut ensuite le tour de Mme M. de L. _ Madame Macé de Lépinay _ : « Les parents ont été pris ; mais où donc est l’enfant ? » Mme M. de L. prétendit ne rien savoir, mais passa tout de suite à la contre-attaque : n’avaient-ils pas honte ? quelle sale besogne ! quel odieux comportement pour des Français ! Les miliciens partirent sans l’inquiéter davantage. Pourtant, il y avait là  bien plus que l’enfant : Mme M. de L. était née juive » _ Rose Weil, convertie plus tard au catholicisme _,  page 118 de Quand vient le souvenir _,

et, ensuite, au chagrin de la perte de ses parents _ assassinés à Auschwitz _, quand il en prend clairement conscience, en janvier-février 1946, lors d’un crucial voyage à Saint-Étienne, auprès du père L. _ qui avait été son professeur aux Samuels à Montluçon, et en lequel il avait confiance et admiration.

On peut ainsi suivre le parcours géographique et temporel de ses errances,

« d’un lieu à l’autre, de pays en pays

à la recherche d’une identité et d’une vocation« , ainsi qu’il l’écrit page 10 de Où mène le souvenir _ ma vie.

Page 58, au moment de son départ de son poste provisoire _ dont il vient (malencontreusement) de démissionner (pour répondre à une proposition de secrétariat auprès de Nahum Goldmann, qui l’annule le lendemain même de la démission du jeune Friedländer !) _ à l’ambassade d’Israël à Paris pour la Suède, fin octobre 1956,

Saul Friedländer parle de lui, alors, comme d’un « déraciné » :

« à vingt-quatre ans _ soit à cette fin octobre 1956 _, j’étais un Luftmensch : un « déraciné », au vrai sens du terme«  ;

et c’est à propos de ces divers déracinements et transplantations,

souvent subis, parfois volontaires _ en un vigoureux sursaut de liberté, chaque fois _, qui caractérisent ce que Saul Friedländer appelle ses « années d’apprentissage« 

_ qui vont, pour le principal, dit-il, de sa naissance, le 11 octobre 1932, à 1967 environ, quand il obtient de venir, en octobre, pour « une année comme professeur invité en histoire à l’université hébraïque de Jérusalem » _,

que Saul Friedländer a, page 10, cette formulation capitale :

« j’ai erré d’un lieu à l’autre, de pays en pays

à la recherche d’une identité et d’une « vocation »…« .

La vocation _ celle d’auteur d’une œuvre à la fois magistrale et toute d’humilité, dont le chef d’oeuvre va être, en 2006, Les Années d’extermination 1939-1945 _ va peu à peu _ par sauts et paliers, à la suite de diverses rencontres, ainsi que découvertes de documents, dans des archives _ se révéler ;

quant à l’identité,

elle est foncièrement ouverte et fondamentalement inachevée _ loin de se ramener et surtout réduire à quelque origine biologique (« juive« , par exemple) que ce soit ; et ce sera bien là le sens de sa colère contre Ernst Nolte, à Berlin, fin février 1988 _, comme il convient à un homme profondément et vraiment libre.

Après Prague précipitamment quittée en avril 1939 quans elle se trouve déjà sous la botte allemande,

c’est à Paris que ses parents et lui se réfugient,

le plaçant, lui, un moment dans un un foyer d’enfants juifs à Montmorency.

Puis, sous l’Occupation, à partir de juin 1940, les Friedländer gagnent à nouveau précipitamment la petite station thermale de Néris-les-Bains, dans l’Allier, en zone non-occupée.

Mais, quand, juste après la rafle du Vel d’Hiv’, à Paris _ le 17 juillet 1942 _, commencent aussi les rafles de Juifs en zone sud, à partir du mois d’août 1942,

les parents Friedländer, qui vont tâcher de quitter la France (pour passer en Suisse), confient leur petit Paul _ qui n’est pas circoncis _ à une institution catholique, les Samuels, à Montluçon, sur les conseils de leurs amis à Néris, les Macé de Lépinay.

Un moment, en fait l’année scolaire 1942-1943, le petit Paul Henri Marie Ferland, qu’il est devenu, est envoyé dans un collège agricole, à La Souterraine dans la Creuse, où il fait une tentative de suicide _ dans l’eau glacée d’un ruisseau _, au mois de mars 1943 ; mais, pour la rentrée scolaire de septembre 1943, le voici de retour aux Samuels, à Montluçon,

où il demeure après la Libération, jusqu’au printemps 1946, quand ses trois oncles et sa grand-mère Glaser _ depuis Israël, pour ses oncles Paul et Willy, depuis la Suède, pour son oncle Hans et sa grand-mère _ le font confier, en mars-avril 1946, à un subrogé-tuteur, un commerçant juif parisien réfugié à Saint-Amand-Montrond, Isidore Rozemblat ; qui parvient, à sa troisième tentative, à l’extraire de l’institution catholique de Montluçon _ cela, Saul Friedländer ne l’apprendra que bien plus tard…

Au printemps 1946, donc, le petit Paul, redevenu, de son initiative, Friedländer, est placé par son subrogé-tuteur, Isidore Rozemblat, au collège de Saint-Amand-Montrond, en classe de seconde.

Et le voici, à l’automne, de retour à Paris _ où sont déjà revenus, au printemps, les Rozemblat, commerçants en cuir : ils habitent rue de Birague _, pour suivre les cours d’une classe de première au prestigieux lycée Henri IV _ où il est interne _, de septembre 1947 à juin 1948.

Et c’est alors que le jeune homme _ devenu ardent sioniste _, à la veille pourtant de passer le baccalauréat, quitte « subrepticement » son lycée, le 4 juin, « à 16 heures 30« , et, ayant gagné par le train Marseille, part pour Eretz Israël, à bord d’un bateau affrété par l’Irgoun, l’Altalena, qui quitte Port-de-Bouc le 11 juin 1948.

Puis, de juin 1948 à octobre 1953, le jeune Shaul Friedländer se trouve en Israël : d’abord chez son oncle Paul Glaser _ qui n’apprécie guère les intellectuels _ à Nira, puis, parce qu’il désire poursuivre des études secondaires, au lycée classique à Netanya ; et enfin à l’armée, où, effectuant son service militaire, il peut suivre, trois années durant (de septembre 1950 à  juin 1953) des cours du soir à l’École de Droit et Économie de Tel-Aviv.

Ensuite, d’octobre 1953 à octobre 1956, il réussit à retourner à Paris, pour accomplir deux ans d’études à Sciences-Po (au concours de fin de dernière année, en juillet 1955, il est reçu major de sa promotion de Relations internationales), en même temps qu’il a _ afin de gagner sa vie _ un poste temporaire (les deux premières années, au service de presse, puis, la troisième année, au bureau de l’attaché militaire) à l’ambassade d’Israël.

Puis, ayant _ malencontreusement _ démissionné de son travail à l’ambassade sur la foi d’une promesse de Nahum Goldmann _ qui entretenait une liaison avec sa cousine (du côté Glaser) Irena Neumann _ non tenue (« le lendemain _ de la démission _, je recevais un télégramme de Nahum Goldmann m’informant qu’il était désolé, mais que, tout bien réfléchi, il n’avait pas besoin d’un « secrétaire politique »« , page 72), Saul Friedländer part rejoindre en Suède son oncle Hans Glaser, auprès duquel il passe une année, d’août 1956 à août 1957, comme aide-soignant à l’école professionnelle de Salta, une institution anthroposophique pour des garçons handicapés mentaux, que dirigeait cet oncle bienveillant.

Jusqu’à ce que, « au bout de quelques mois » (page 73), Nahum Goldmann s’avise qu’il l' »avait laissé dans le pétrin » : « il savait par Irena que je souhaitais reprendre des études universitaires, et il m’envoya un chèque de deux mille cent dollars. Je pus ainsi acheter mon billet _ de bateau _ pour New-York. Grâce à mes résultats de Sciences-Po, j’avais été accepté _ comme étudiant _ au département de sciences politiques de Harvard« . 

Ainsi arrivé aux États-Unis au mois d’août 1957, et après de brefs mois (décevants) à Harvard, fin 1957, Saul Friedländer obtient enfin _ dès janvier 1958 _ ce travail jadis promis de « secrétaire politique » auprès de Nahum Goldmann, et qui comportait un semestre (celui d’automne-hiver) à New-York, et l’autre (celui de printemps-été) à Jérusalem ; et cela durera deux ans, les années 1958 et 1959.

Début 1960, marié (à Londres) depuis août 1959, et bientôt père d’un fils, Eli, qui naît en octobre 1960, Saul Friedländer, afin de mettre fin à ces allées et venues entre New-York et Jérusalem peu propices à la vie familiale, décide de s’installer en Israël ;

et, grâce à l’aide d’amis, il décroche un poste à Tel-Aviv, auprès de Shimon Peres, au ministère de la Défense, avec le titre de « chef du service scientifique du vice-ministre de la Défense« .

Mais l’été 1961, après de longues tergiversations (« je me souviens d’avoir ruminé pendant des mois la possibilité de reprendre _ c’était là une attraction très puissante _ mes études supérieures. J’étais attiré par l’histoire de l’Europe dans l’entre-deux-guerres et pendant la Seconde Guerre Mondiale, sans clairement  relier encore ces centres d’intérêt à ma propre histoire « , écrit-il page 93 de Où mène le souvenir _ ma vie),

il se décide à quitter ce poste

(« je voulais aussi prendre des décisions par moi-même et affronter des défis qui se présenteraient dans un domaine où j’aurais entrepris un projet personnel. Je pressentais que c’était l’univers des livres et de la recherche qui était le plus proche de ce qu’on pouvait appeler ma « vocation«  », écrit-il encore page 93)

« et à choisir _ ainsi _ une voie toute différente » _ que celle de la politique, fût-ce au service d’Israël _, celle de « reprendre des études supérieures« .

C’est donc ainsi qu’en septembre 1961, laissant « à Tel-Aviv Hagith _ son épouse _ et Eli _ son fils _ alors âgé d’un an« _ celui-ci est né en octobre 1960 _, Saul Friedländer vient, comme étudiant, à Genève, à l’Institut des Hautes études internationales, où il va pouvoir mener à bien en deux ans une thèse d’histoire des relations internationales (sur « le rôle du facteur américain dans la politique étrangère et militaire de l’Allemagne entre septembre 1939 et décembre 1941« ) ;

thèse  qu’il soutient avec succès en décembre 1963,

et qui aura nécessité divers travaux en archives à Bonn, Coblence, Fribourg-en-Brisgau et Londres,

ainsi que diverses rencontres et entretiens, notamment, en décembre 1962, avec l’amiral Dönitz, chez ce dernier, à Aumühle, dans le Schlesvig-Holstein.

Hagith et Eli le « rejoignirent quelques semaines après (son) arrivée _ à Genève, donc. Très vite, il apparut que la bourse de l’Institut _ « en échange d’un peu de tutorat« , page 97 _ ne suffisait pas à subvenir aux besoins d’une famille de trois personnes. Je fis des demandes pour toute une série de financements, et obtins finalement une réponse positive de la Fondation Rockefeller« .

Et « peu après, j’obtins un poste d’enseignant assistant » _ à l’Institut des Relations internationales, à Genève _, page 98.

Presqu’aussitôt la thèse passée avec succès en décembre 1963, dès le mois de janvier 1964, Saul Friedländer est amené à remplacer un jeune professeur assistant de l’Institut genevois tombé gravement malade ; et quelque mois plus tard, toujours en 1964, le remplacement se transforme en poste définitif.

Alors, une fois sa thèse passée, Saul Friedländer choisit de poursuivre des recherches aux archives de Bonn, profitant de ses vacances, l’été 1964, car au cours de ses recherches pour sa thèse, il était tombé par hasard sur un document mal rangé concernant les relations du Vatican (en l’occurrence le pape Pie XII _ qui désirait obtenir d’écouter, au Vatican, des extraits de Parsifal, par des musiciens allemands _) et de l’Allemagne nazie _ cela ne pouvant qu’intéresser le pensionnaire des Samuels qu’il avait été, à Montluçon, de l’été 1942 au printemps 1946 _ : il revient donc aux archives de Bonn l’été 1964 afin de creuser ce sillon-là.

Ce qui, la recherche rondement menée et ayant abouti à d’importantes découvertes, le conduit vite à Paris à la quête d’un éditeur pour publier ces « documents » ; lesquels paraissent, aux Éditions du Seuil, dès le mois de novembre 1964, sous le titre Pie XII et le IIIe Reich _ documents.

Alors, « d’un jour à l’autre, je devins célèbre et fus très demandé« , énonce Saul Friedländer page 125 ;

et « les deux années _ 1965 et 1966 _ qui suivirent furent très intenses, avec toute l’agitation que suscitait le sujet, et les déplacements constants que cela m’imposait« , page 129.

Le statut d’auteur de Saul Friedländer en fait désormais une personne médiatiquement importante.

Enfin, l’année 1967, Saul Friedländer vient, de Genève, la passer avec sa famille en Israël, comme « professeur invité à l’université hébraïque de Jérusalem« , page 148 : « à l’université, je  donnais un cours magistral sur l’histoire des relations internationales dans l’entre-deux-guerres, et un séminaire de recherche sur le nazisme, dans lequel j’abordais largement l’antisémitisme nazi et divers aspects du génocide des Juifs », écrit-il page 156.

Et de commenter : « Je savais _ désormais _ que la Shoah _ Saul Friedländer reprend ce mot à son ami Claude Lanzmann (qui vivait alors à Jérusalem) et le préfère au terme américain d’Holocauste _ serait le domaine auquel je consacrerais le plus clair de mes efforts intellectuels au moins pour quelques années.

Mais j’étais _ encore _ loin de me douter que cette histoire allait pratiquement dominer _ voilà ! _ toute ma vie de chercheur« , précise-t-il page 158.

« Au début de l’été 1968, à la fin du semestre, le doyen en sciences sociales _ de l’université hébraïque de Jérusalem _ me demanda de revenir après l’année _ 1968 – 1969que j’allais passer à Genève, et il m’offrit à demi-mot un poste de professeur en histoire et relations internationales. Il était entendu que je pourrais conserver mon poste à l’Institut de Genève et y enseigner chaque année d’avril à juillet.

J’acceptai, et Freymond _ à l’Institut des Relations internationales à Genève _ à qui je fis la proposition, donna aussi son accord « , page 164.

Ainsi s’achevèrent ces années quelque peu chahutées d' »errance« , « d’un lieu à l’autre«  et « de pays en pays« , « à la recherche d’une identité et d’une « vocation »« , pour reprendre l’expression cruciale repérée plus haut, à la page 10.

L’apport majeur de Où mène le souvenir _ ma vie, ainsi que des Entretiens avec Stéphane Bou,

consiste en un magnifique éclairage, à la fois synthétique et très détaillé en ses « imbrications » contextuelles riches et complexes,

sur la double construction, passablement intriquée, quasi alambiquée, et à multiples rebondissements, sauts et paliers, à surprises,

à la fois de l’homme Saul Friedländer,

et, en même temps, de ce que j’appelle l’œuvre Saul Friedländer,

avec ce sublime sommet (historiographique) qu’est le tome 2 de L’Allemagne nazie et les Juifs : les années d’extermination (1939 _ 1945), paru en 2006 _ et en février 2008, pour sa traduction française _ ;

et l’éclairage rétrospectif réalisé tant que la mémoire active de l’auteur, les années passant _ et divers accidents (fracture du genou, le 2 janvier 1993 ) et maladies et opérations (valve aortique, fin avril 1993 ; cancer de la prostate, en 2012 ; petit accident vasculaire cérébral, au printemps 2015) se succédant _, n’était pas trop entamée :

« J’ai commencé à écrire ces souvenirs _ que sont ce splendide Où mène le souvenir _ ma vie _ à quatre-vingt-un ans passés _ au début de 2013 _ sous la menace constante de perdre la mémoire.

Á mon âge toutefois, la mémoire à long terme est disponible, d’ordinaire avec une netteté accrue _ ce sur quoi, au passage, se pose de bien intéressantes questions, l’auteur, pages 27-28  _ ;

c’est le passé proche qui s’évanouit« ,

prévient l’auteur, page 12 de Où mène le souvenir _ ma vie, en un vivant et vif Prologue non dénué d’humour.

Ajoutant, et ce n’est pas du tout accessoire :

« Pour limiter les dommages de ce processus inexorable _ de dégradation-lacération de la mémoire _,

j’ai régulièrement noté _ en merveilleux ironique contrepoint _ certains événements très récents,

et j’en ai inséré _ voilà ; mais le collagiste Jiří Kolář (né le 24 septembre 1914, à Protivín en Bohême du Sud et mort le 11 août 2002 à Prague) n’était-il pas, lui aussi, pragois ? _ quelques uns dans le texte.

Ainsi, au milieu du récit,

voit-on surgir _ le mot n’est pas innocent ! _ des éclairs _ ainsi imbriqués ! _ du présent,

qui permettent aussi _ et c’est capital ! _ de jeter sur le passé une lumière nouvelle« 

_ soit, ces éclairs qui éclairent, un des facteurs décisifs de la fructueuse méthode (avec profonde rumination aussi) de penser-découvrir (et d’écrire) de Saul Friedländer, et cela, tant dans son travail d’historien, que dans celui de mémorialiste intime.

avec un rythme merveilleusement vif et vivant qui rend sa lecture si passionnante.

Cf ce superbe passage, page 99 de Où mène le souvenir _ ma vie,

à propos de la méthode, en partie « de bric et de broc«  (l’expression se trouve page 100), _ mais un « de bric et de broc«  « composite« , qu’il s’agit, justement, de transcender-unifier-lisser, aussi _ ;

soit une méthode « bricolée«  (voir page 101 l’expression de « bricolage composite« ) _ ;

qui est la méthode tout bonnement géniale et merveilleuse de Saul Friedländer,

et qui fut initiée en 1961, au moment de la rédaction _ certes académique, celle-ci, forcément _, un peu pressée alors, en deux ans, à Genève, de sa thèse,

comme l’explique, à ce moment, pages 99-100, Saul Friedländer :

« J’avais gaspillé trop d’années, pensais-je _ en octobre 1961, Saul Friedländer vient d’avoir 29 ans, et guère de titres universitaires, sinon celui d’être « sorti major de la promotion en Relations internationales«  à Sciences-Po, à Paris en juillet 1955 _,

et il me fallait rattraper le temps perdu.

J’adoptai donc _ en cette urgence (de thèse à réaliser dare-dare en deux ans) _ une méthode insolite :

j’écrivais un premier jet avec tout le matériel _ puisé dans des notes progressivement réunies _ que j’avais sous la main, en suivant les grandes lignes qui se dégageaient de mes lectures _ au départ _ ;

ensuite, venaient un deuxième,

puis un troisième jet,

et ainsi de suite

(pour finir, il devait y en avoir une dizaine au bas mot).

Chaque nouvelle version intégrait _ voilà, et c’est très important ! _ plus d’informations,

chacune s’adaptait _ en un double mouvement, permanent, de va-et-vient : d’intégration de l’apport (quant au contenu), et de lissage de l’ensemble (quant à la forme)… _ au nouveau matériau d’archives _ un apport effectivement capital ! _,

jusqu’à ce que j’estime que le texte _ tant dans le contenu que dans la forme _ était au point.

Cela me permettait de garder toujours une vue d’ensemble

_ point majeur ;

à relier à cette remarque de Quand vient le souvenir, page 148 :

« En 1961, je repris définitivement le chemin de l’université _ à Genève.

J’essayais de ressaisir _ voilà ! _ le sens _ confus et très bousculé au départ _ d’une époque

et de rétablir la cohérence _ voilà  encore ! _ d’un passé _ mutilé _, le mien ;

on notera au passage la profonde modestie des trois verbes employés ici : « re-prendre«  (le chemin), « res-saisir«  (le sens) et « r-établir«  (la cohérence) ;

ainsi que l’importance de ce qui est à re-chercher-re-trouver : « le chemin » (de l’université), « le sens«  (d’une époque) et « la cohérence » (d’un passé, mien)… _

Cela me permettait, donc, de garder toujours une vue d’ensemble _ synoptiquesur le manuscrit

et d’organiser _ avec succès pour la lisibilité finale de la thèse, alors _ les chapitres en conséquence.

Cela impliquait de travailler simultanément le contenu et la forme

_ d’où l’importance décisive du style

dans ce que sera, désormais, tout le travail, tout l’œuvre, de Saul Friedländer.

Jusqu’à ce jour, je continue à travailler de la même manière _ voilà ! _,

y compris sur ces mémoires :

au fil de la plume _ voici le décisif, en ce que, pour ma part, et depuis mes lectures des travaux de l’amie Marie-José Mondzain, j’appelle l’imageance ! _

s’ouvrent _ c’est le processus décisif du présent actif et proprement inventif de la recherche ; et par là authentiquement créatif _

de nouvelles perspectives _ ce qui est à la fois la mission et le matériau basiques, les deux, du chercheur ! _,

que je n’avais pas encore entrevues _ entrevoir, déjà, puis voir de mieux en mieux, prend du temps, beaucoup de temps, et implique une très large (de la plus grande extension possible) culture, et nécessite énormément de mises en rapport (et mises au point, selon diverses focales), de va-et-vient, intégrant, aussi, face au hasard de ce qui se rencontre, la faculté de la sérendipité

(cf mon article du 3 mars 2014 Les enjeux de pouvoir de la curiosité libre et ouverte : le passionnant « Sérendipité _ Du conte au concept » de Sylvie Catellin, un livre salutaire ! », à propos du livre passionnant et pas assez reconnu de Sylvie Catellin, Sérendipité…)

et l’aptitude à saisir, sans le perdre en le laissant passer, le moment opportun, le kairos, qui va de pair… _ ;

et une grande part de ce qui paraissait oublié

ressurgit _ du passé oublié, ou négligé, ou pas assez exploré jusque là _ soudain _ brusquement ; il faut savoir l’accueillir, et le mettre à profit, et à travailler… _,

ce qui m’impose de noircir de nouveaux brouillons, etc.« .

Pour revenir à la base de mon propos,

soit cette longue et durable

_ infinie, finalement ? bien au-delà de cette période de sa vie que Saul Friedländer nomme « ses années d’apprentissage« , de sa naissance, le 11 octobre 1932 à Prague, à l’année 1967, celle de son arrivée, en septembre, à l’université hébraïque de Jérusalem, pour « une année _ 1967-1968 _ comme professeur invité en histoire« , page 148 ; mais ce statut de « professeur invité«  se transforme, l’été 1968, en celui de « professeur titulaire en histoire et relations internationales« , page 164 _

« recherche d’une identité et d’une vocation«  que Saul Friedländer indique page 10 de ce si beau _ cela aussi, il faut le souligner _ Où mène le souvenir _ ma vie,

il faut se pencher sur cette quête affirmée d' »une identité » _ que l’on peut considérer comme infiniment inachevée, toujours et encore ouverte… _,

et d' »une vocation« ,

qui finit, elle, par être trouvée, tard, avec la conception, puis l’élaboration,

_ elle aussi à plusieurs paliers, et suite à plusieurs rencontres, et même chocs (à la fin février 1986 à Berlin), qui vont constituer autant de « déclics » (cf page 300), du début des années 1980 (et la rencontre à Berlin, de l’éditeur Wolf Jobst Siedler, qui en propose une sorte d’amorce de projet, page 251), à l’installation de Saul Friedländer à l’université UCLA de Los Angeles, en septembre 1987, où Saul Friedländer, en 1990, se met très méthodiquement à l’écriture de ce qui sera cet œuvre majeur ; « l’impression légèrement négative que j’avais conservée de Los Angeles _ où il avait enseigné un semestre comme « professeur invité«  en 1982-1983 _ se transforma en choc culturel quand je réalisai, au début de l’année 1988, que j’y serais pour de bon plus d’un semestre chaque année _ l’autre semestre étant passé à l’université de Tel-Aviv. Je me demandais sérieusement si je n’avais pas fait une énorme bêtise. Pour la recherche à laquelle je voulais me consacrer, je serais _ certes _ au bon endroit ; mais serais-je capable d’y vivre ? L’espace d’un instant, j’envisageais de partir. (…) Je décidai que la tâche à accomplir était une obligation à la fois morale et professionnelle ; ce qui m’aida à m’adapter » à Los Angeles, page 286 ; ajoutant : « Il y a une certaine logique dans le fait que j’ai fini par atterrir dans un lieu aussi factice, un simulacre de ville _ lui, l’amoureux de Prague, de Paris, de Jerusalem _ qui ne vous émeut pas, ne vous saisit pas, ne vous tire pas un soupir, même l’espace d’un instant « , toujours page 286… _

du colossal projet de L’Allemagne nazie et les Juifs ;

et « accomplie » avec la réalisation, surtout, de son chef d’œuvre d’historien : le volume 2 de cet immense travail : Les Années d’extermination 1939-1945, en 2006

_ « Je commençai à écrire L’Allemagne nazie et les Juifs en 1990 et terminai le second volume en 2006« , page 300 ; et Saul Friedländer de résumer excellemment alors ce qui l’a formidablement porté pendant ces années d’écriture de ce chef d’œuvre saisissant : « Me motivait le sentiment récurrent de ne pas avoir accompli ce que je considérais comme un devoir fondamental _ c’est la clé. Le déclic avait été donné par le séjour à Berlin et la controverse avec Broszat. Le recrutement à UCLA m’en donnait les moyens _ voilà ! Bref, le tout début des années 1990 était vraiment le bon moment pour commencer (et, objectivement, le dernier)« , toujours page 300.

Quant à la « recherche d’une identité », pour reprendre cette expression questionnante,

elle est encore plus passionnante, car probablement infiniment ouverte pour un homme vraiment libre,

à travers les lieux de séjour (c’est-à-dire de passage, toujours provisoires, et bien difficiles, même, à compter _ de pays en pays, de ville en ville, d’appartement ou maison à appartement ou maison,… _) de Saul Friedländer,

face à la « faille intérieure« 

_ l’expression, importante, se trouve pages 36 (« Les gens qui, comme moi, ont vécu leur enfance dans des circonstances catastrophiques, ont peut-être réussi à se construire une apparence « normale ». Mais, de quelque manière qu’ils décorent cette façade, une faille _ voilà _ reste ouverte au cœur de leur personnalité « )

et 37 (« Souvent s’ensuit une étrange dynamique : vous ne pouvez pas vous débarrasser de la faille, mais, par compensation, vous agrémentez inlassablement l’extérieur ; ce qui, bien sûr, ne vous est pas d’un grand secours, et, pendant des années, vous incitera à travailler comme un damné, jamais en paix, toujours anxieux. Ce sentiment permanent m’a accompagné comme une sorte de basse continue _ la métaphore musicale baroque est à relever _ à travers les hauts et les bas d’une bonne partie de mon existence.

Dans mon cas, la faille intérieure s’est surtout manifestée par une paralysie émotionnelle. A un certain moment au pensionnat _ à Montluçon _, j’ai cessé d’attendre constamment mes parents (…) J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps quand on m’a dit qu’ils ne reviendraient pas ; mais n’était-ce pas ce que l’on attendait de moi ? Bientôt, après mon départ du pensionnat, je me suis rendu compte que rien ne pouvait me toucher profondément. (…) J’étais comme un insecte dont les antennes avaient été arrachées. (…) Les gens qui me connaissaient bien n’étaient pas dupes : « Tu es incapable d’émotion », me disait-on parfois. « Tu as l’âme aride ». Ma paralysie émotionnelle ne concernait que les relations avec les autres.« 

« On pouvait espérer un changement avec le temps« , conclut-il ce passage, page 38)

de Où mène le souvenir _ ma vie,

et cette expression de « faille intérieure«  a forcément rapport à la tragédie familiale,

initiée au départ dans la panique de Prague,

et marquée par l’arrestation de Hans et Elli Friedländer à Saint-Gingolph, à la frontière franco-suisse, le 30 septembre 1942, puis leur assassinat à Auschwitz en novembre 1942 (« Quand des rafles de Juifs étrangers commencèrent dans notre zone, mes parents me cachèrent, avec l’aide d’amis catholiques _ les Macé de Lépinay _, dans un pensionnat religieux (en fait un petit séminaire _ les Samuels _) de la ville voisine de Montluçon, et tentèrent de passer la frontière suisse. Ils furent arrêtés par les Suisses, livrés aux Français, puis aux Allemands, déportés à Auschwitz en novembre 1942 et assassinés. Les Juifs français étaient des parias, mais la plupart d’entre eux parvinrent à se cacher ; les Juifs étrangers étaient des morts vivants « , résume l’auteur, à la page 18 de Où mène le souvenir),

et aussi par cette révélation, un jour de janvier ou février 1946, à Saint-Étienne, quand le père L. , jésuite et qui avait été son professeur aux Samuels, confie à l’enfant de treize ans : « Tes parents ne seraient-ils pas morts à Auschwitz ? » (page 140 de Quand vient le souvenir), car jusqu’alors « la mort de mes parents restait, pour moi, enveloppée d’images imprécises, de circonstances indistinctes, sans rapport avec le cours véritable des événements » ; et « tout au long de cette journée décisive _ de janvier ou février 1946 à Saint-Étienne, auprès du père L. _, j’avais l’impression que les pièces essentielles d’un puzzle jusqu’alors incohérent tombaient en place. Pour la première fois, je me sentis juif _ non plus malgré moi ou secrètement, mais par un mouverment d’adhésion entière. (…) Quelque chose avait _ alors et pour jamais _ changé, un lien était rétabli, une identité _ voilà ! _ émergeait, confuse certes, contradictoire peut-être, mais désormais reliée à un axe central _ l’expression est importante _ qui ne pouvait faire de doute : d’une manière ou d’une autre, j’étais juif _ quelle que fût, dans mon esprit _ à ce moment de 1946, Saul a quatorze ans _ la signification de ce terme«  (ibidem, page 141) _

face à la « faille intérieure » qui le caractérise

_ en particulier depuis le déchirant adieu à ses parents à l’hôpital de Montluçon, un dimanche (« le premier dimanche de mon séjour » aux pensionnat des Samuels de Montluçon, Quand vient le souvenir, page 88), au début de septembre 1942 (les Friedländer avaient quitté Néris-les-Bains pour Montluçon un peu après l’arrivée des Allemands devant Stalingrad : « Je me souviens que _ le jour de ce départ de Néris _ mon père dit : «  »Meltzer vient d’entendre à la radio que les Allemands entrent à Stalingrad » » (c’était le 23 août 1942) : ibidem, page 81 ; et le 3 septembre 1942, Hans Friedländer avait adressé une lettre à « leur protectrice«  à Néris, Madame Macé de Lépinay :  ibidem, page 85) _,

et impossible, probablement, à complètement combler,

comme en témoigne le fond de « tristesse à bas bruit » (page 305 de Où mène le souvenir) quasi indicible, de Saul Friedländer…

D’une part, Saul Friedländer a _ et conserve, à jamais _ une « identité culturelle » française :

« Mon identité culturelle est restée essentiellement française« , constate-t-il en rédigeant, en 2015, son Où mène le souvenir _ ma vie, page 25.


Et c’est à l’école primaire de Néris-les-Bains, les années scolaires 1940-1941, et 1941-1942, que « en petite classe et au cours moyen, je suis devenu irrémédiablement français« , page 26 ;

poursuivant « aujourd’hui, j’écris en anglais pour des raisons pratiques puisque je vis aux États-Unis ; mais je continue encore à penser en français ; et je ferais mieux d’écrire en français.

Un tel attachement à une culture déborde largement des bases scolaires. Dans mon cas au moins, je suis tombé amoureux de l’absolue beauté de la langue française. Très tôt, peut-être dès la deuxième année de l’école primaire _ à Néris _, mais sans aucun doute pendant les trois ans et demi passés au pensionnat _ des Samuels à Montluçon, les années scolaires 1942-1943 (en 6e), 1943-1944 (en 5e), 1944-1945 (en 4e) et 1945-1946 (en 3e) _, nous devions faire une dictée par semaine pour mesurer les progrès faits en orthographe. Pour moi la dictée était un moment particulier : j’aimais les textes extraits d’un volume de morceaux choisis illustrant le beau style. Peu m’importait qu’il s’agisse de Poil de carotte de Jules Renard ou des Oraisons funèbres de Bossuet. J’aimais le  beau style pour lui-même « .

Toujours dans Où mène le souvenir _ ma vie, et évoquant le lent et bizarre surgissement par déclics soudains et paliers éloignés les uns des autres, après guerre, de ses souvenirs du passé, tels des poèmes, comme « la première strophe du Cimetière marin de Paul Valéry, soudain présente au complet » (page 27),

Saul Friedländer évoque ensuite, et d’autre part, son « identité première » _ voilà _, « juive allemande, de Prague« , toujours à propos du surgissement de ses souvenirs :

« En plus du français, des fragments non négligeables de l’héritage juif allemand de Prague, qui s’était évanoui quelques années durant la guerre, refirent lentement surface, refusant d’être plus longtemps ignorés.

Cette première identité _ expression importante _ s’est nouée, en quelque sorte avec l’identité israëlienne _ juive aussi, et cela dès son arrivée chez son oncle maternel, Paul Glaser, à Nira, fin juin 1948 _ ; elle ne m’a plus quitté depuis, en dépit de quelques fluctuations », page 28.

Et Saul Friedländer de rappeler que cette « part juive pragoise a constitué la ligne directrice de Quand vient le souvenir, qui traite surtout de (son) enfance et de (son) adolescence« .

Et « il y avait plus que de la nostalgie pour mon héritage pragois. La principale donnée qui a influencé ma vie _ et l’a peut-être même sauvée _ s’avéra être la totale assimilation de mes parents. Ils étaient des « Juifs non-juifs », pour reprendre l’expression d’Isaac Deutscher, au point de ne pas m’avoir fait circoncire « , page 29.

Ensuite, « c’est par le biais de la langue que mon appartenance culturelle à Israël (sic) est évidente. Deux ans après mon arrivée _ le 20 juin 1948 _, je passai avec succès _ au lycée de Netanya _ l’examen de fin de scolarité en hébreu« , toujours page 29.

Et « ma première _ Hagith _ et ma seconde _ Orna  _ épouses sont toutes deux nées en Israël, et au cours de ces deux mariages, de 1959 à aujourd’hui en 2015, nous avons parlé hébreu à la maison ; et bien sûr avec les enfants et certains des petit-enfants. Pendant plusieurs décennies, d’abord à l’université hébraïque de Jérusalem, puis à l’université de Tel-Aviv, j’ai fait cours uniquement en hébreu, et, tout naturellement, j’ai parlé hébreu au quotidien en Israël. Mais _ car il y a ici un tout petit « mais » _ je n’ai jamais vraiment aimé lire des livres _ c’est un point important _ en hébreu, pas plus que je n’ai écrit de livres _ même chose _ en hébreu. Et assez curieusement, que j’enseigne en hébreu ou en anglais, je n’ai cessé jusqu’à ce jour d’écrire mes notes préparatoires en français« , page 30.

Avec ce commentaire, page 31 :

« Alors que, pour la plupart des gens, l’identité culturelle va de pair avec le sentiment d’un « chez-soi »,

cela n’a jamais été mon cas.

J’aime être en France, mais je n’ai pas du tout l’impression d’arriver « chez moi » quand l’avion atterrit à Roissy,

pas plus qu’en aucun autre endroit du monde d’ailleurs » _ pour jamais Saul Friedländer est donc un perpétuel « déplacé« 

Ajoutant, page 32, et c’est capital :

« Cela dit, si quelqu’un devait me demander ce que je considère comme mon identité profonde, au-delà de toute empreinte culturelle _ voilà _,

ce que je ne voudrais jamais renier ou abandonner,

je répondrais sans la moindre hésitation :

je suis juif,

juif sans aucune attache religieuse ou lien à la tradition,

mais marqué _ voilà _ par la Shoah de manière indélébile.

Au fond, je ne suis rien d’autre« .

Et aussi, toujours page 32, et quant à sa résidence américaine, à Los Angeles, depuis l’automne 1987 _ la plus longue (29 ans), désormais, de toutes ses résidences provisoires, comme lui-même en fait le constat amusé _ :

« L’ironie de la vie n’est pas toujours drôle. Celle-ci, pourtant, a de quoi faire rire :

qu’avec mes « racines » européennes, mon éducation française _ deux ans à Sciences-Po-Paris (et trois ans de poste à l’ambassade d’Israël à Paris) compris ; ainsi que ses longues années (heureuses) passées à Genéve _, mon amour de tant de choses qui en découlent,

je doive sans doute finir mes jours à Tarzana, Californie, où Orna et moi vivons maintenant, et où il est probable que nous resterons,

voilà qui est pour le moins paradoxal.

De plus, au moment où j’écris, c’est un endroit où je ne fais guère autre chose que suivre la vie politique israëlienne« …

Où l’on découvre qu’identité _ heureusement ouverte, toujours, par-delà la faille subie _

et vocation _ accomplie _

finissent par très heureusement coïncider.

Fils aimé, né le 11 octobre 1932 à Prague, de ses parents Hans et Elli Friedländer, décédés, eux, en novembre 1942 à Auschwitz,

Saul Friedlander est aussi un peu aussi le fils de son œuvre accomplie, d’historien de la Shoah,

celle qui lui fait encore se demander, en 2015, à la page 345 de Où mène le souvenir, en ce qu’il nomme un « retour au passé » :

« Vous ne pouvez vous empêcher de considérer votre vie,

vous demandant si, à certains moments, vous avez pris la bonne décision, ou exprimé assez fermement votre conviction ;

vous vous demandez si, de votre point de vue, vous avez réellement accompli _ voilà _ ne serait-ce qu’une partie de ce que vous souhaitiez accomplir« …

Et se penchant maintenant sur son présent, aux pages finales (343 à 348) de Où mène le souvenir _ ma vie,

Saul Friedländer indique, à propos de ce présent sien de 2015 :

« La Shoah a déterminé le cours de ma vie, mais depuis longtemps elle n’affecte plus mon quotidien. Mon quotidien est aussi gris ou ensoleillé que celui de mes contemporains, ou presque.

Jour après jour, j’essaie de vivre  au présent dans les moindres aléas du présent.

Le présent, ses instants sont réellement difficiles à saisir _ en jouant avec (ou étant joué par) le divin, malicieux et terrible, Kairos.

Ma méthode est devenue plus terre-à-terre : double dose d’humour quand c’est possible ; sinon double dose de Zoloft. Vous pouvez aussi vous rabattre sur des moyens plus traditionnels : un bon livre, de la musique _ « la musique a été omniprésente dans ma vie«   _ et un verre de whisky.

Ajoutez à ces stratégies pour cueillir l’instant, une présence qu’Orna et moi avons choisie sans être pleinement conscients de l’importance qu’elle allait prendre : Bonnie, notre chiot Labrador couleur chocolat« .

 Ainsi que les visites, à Tel-Aviv, à Paris, à Berlin, à ses enfants et petits-enfants, aussi.

Titus Curiosus, ce jeudi 29 septembre 2016

 

François Jullien, Vincent Descombes : aventuriers-explorateurs de l’impensé des usages de la raison

13avr

Après la réception, le mardi 18 mars de François Jullien, pour son tout récent Vivre de paysage, ou l’impensé de la raison _ cf le podcast (de 68′) de sa conférence ; qui n’a pas été vraiment un entretien, comme l’aurait désiré celui qui le recevait, Francis Lippa ; et alors même que François Jullien fait dans son livre l’éloge vibrant de l’entretien ! _, aux Éditions Gallimard,

la Société de Philosophie de Bordeaux reçoit mardi prochain 15 avril à 18 heures, toujours dans les beaux salons Albert-Mollat,

Vincent Descombes pour son très riche Les Embarras de l’identité, lui aussi aux Éditions Gallimard.

Au-delà de la première apparence qui semble éloigner leurs styles d’écrire-penser,

plus poétique apparemment pour l’un _ l’auteur du passionnant Philosophie du vivre _,

plus (classiquement, peut-être, quoique…) méthodique apparemment pour l’autre _ l’auteur du très scrupuleux Le Complément de Sujet _ Enquête sur le fait d’agir de soi-même : livres lus, tous et en leur temps, avec une très grande attention _,

il m’apparaît surtout que tant l’objet visé :

soit la construction du sujet pensant et son identité,

ou, aussi bien et encore, le processus même de la subjectivation en toute sa complexité à tenter passionnément d’un peu démêler-éclairer,

que la démarche entreprise d’analyse-exploration : soit une très riche aventure d’auteur !,

dans Les Embarras de l’identité de Vincent Descombes comme dans Vivre de paysage, ou l’impensé de la raison de François Jullien,

s’apparentent beaucoup…

Car l’un comme l’autre de ces deux auteurs philosophes

pratiquent une très consistante et très cohérente, en sa persévérante audace de recherche, poiesis

que j’ose qualifier ici d’aventureuse,

et qui les fait, d’œuvre en œuvre, chacun,

patiemment et très heureusement,

progresser

en leur exploration de l’impensé…

J’ose, aussi, ici personnellement espérer

que cette fois _ soit mardi prochain 15 avril : après-demain ! _,

à la différence frustrante _ un peu trop pressée par le défaut de temps _ de la conférence de François Jullien _ celui-ci m’a avoué (en courant à son taxi) n’avoir pas encore pris le temps de visiter si peu que ce soit notre belle ville de Bordeaux, lors de ses cinq conférences, à ce jour, à Bordeaux ! :

sur ce temps ouvert de la déambulation (ou entretien activement réceptif avec un paysage),

cf mes propres articles sur déambuler à Venise : par exemple Ré-arpenter Venise : le défi du labyrinthe (involutif) infini de la belle cité lagunaire… ; je viens d’y faire allusion dans mon article sur Le Mal de Paris de Régine Robin ; cf aussi le podcast (de 50′) de mon entretien avec elle à propos de ce superbe livre de déambulation dans le grand Paris, le lundi 10 mars dernier, au 91 de la rue Porte-Dijeaux _,

un peu d’entretien (ouvert) avec Vincent Descombes

poursuivra (un peu) l’exposé de sa conférence, mardi prochain…


Pour ma part,

j’ai découvert grâce à ces riches Embarras de l’identité de Vincent Descombes,

l’œuvre d’Erik Erikson _ l’auteur d’Adolescence et crise : la quête de l’identité _, ainsi que ses débats avec la riche école de Chicago, autour de l’œuvre d’Erving Goffman (l’auteur de La Mise en scène de la vie quotidienne) ;

et j’ai pu, une nouvelle fois, vérifier l’importance philosophique majeure de l’œuvre de Cornelius Castoriadis, l’auteur du décidément plus que jamais immense L’Institution imaginaire de la société

Je rattache aussi le travail de penser l’impensé

auquel s’attachent, chacun à sa manière, Vincent Descombes comme François Jullien,

à la démarche de sérendipité qu’analyse Sylvie Catellin en son magnifique (et archi-nécessaire !) Sérendipité _ du conte au concept (cf mon article du 3 mars 2014 : Les enjeux de pouvoir de la curiosité libre et ouverte : le passionnant « Sérendipité _ Du conte au concept » de Sylvie Catellin, un livre salutaire !…) ;

ainsi qu’à ce à quoi travaille (à Inria, à Talence) le roboticien-ingénieur Pierre-Yves Oudeyer, et qu’il expose en partie en son Aux sources de la parole _ auto-organisation et évolution.

Ainsi qu’aux travaux sur ce que je nomme le travail d' »imageance« 

de mes amies Marie-José Mondzain _ cf son indispensable Homo spectator _

et Baldine Saint-Girons _ cf son indispensable L’Acte esthétique



A mardi avec Vincent Descombes !


Titus Curiosus, ce 13 avril 2014

P.s. : avec ce lien au podcast de la conférence de Vincent Descombes le mardi 15 avril.

La place du « rêve ukrainien » d’un Habsbourg, dès 1912, dans l’Histoire de notre Europe : le passionnant « Le Prince rouge _ les vies secrètes d’un archiduc de Habsbourg », de Timothy Snyder : sur les modalités de la faisabilité de l’Histoire

30déc

Ce chef d’œuvre

_ monumental ! et indispensable !!!  ; sur cet admirable (et nécessaire) monument de l’histoire contemporaine, cf mon article chiffrage et inhumanité (et meurtre politique de masse) : l’indispensable et toujours urgent « Terres de sang _ l’Europe entre Hitler et Staline » de Timothy Snyder du 29 juillet 2012 _

qu’est Terres de sang _ L’Europe entre Hitler et Staline, de Timothy Snyder,

mettait _ en 2010, à sa parution aux États-Unis _ en très grand appétit de lecture

la parution, en traduction française, de tout autre travail disponible de cet auteur,

a fortiori quand il s’agit, à nouveau, au cœur de ces vastes « terres de sang » de l’Europe orientale,

de l’Ukraine…


Même s’il s’agit cette fois d’un travail de micro-histoire,

centré sur « les vies secrètes d’un archiduc de Habsbourg« ,

celui qui fut un temps _ en 1918 et les années qui suivirent… _ surnommé, en Ukraine, « le Prince rouge » :

Guillaume de Habsbourg-Lorraine, né à Pula (alors base navale autrichienne sur l’Adriatique, au sud-ouest de l’Istrie) le 10 février 1895, et mort à Kiev (alors soviétique) le 18 août 1948.

Et même si la première lecture je l’ai lu quatre fois _ procure un curieuse sensation de romanesque quasi échevelé,

qui se dissipe cependant ensuite : l’auteur multipliant, en brèves notes de bas-de-pages, les références aux  sources (la plupart inaccessibles en français) où sa très minutieuse recherche a puisé et sur lesquelles elle s’est fondée ; et, de fait, Guillaume a bel et bien vécu plusieurs « vies secrètes« , jouant de divers patronymes, dont, surtout et à maintes reprises, celui, ukrainien, de « Vasyl Vyshyvanyi » :

« Guillaume arriva à la gare de Lviv au début de l’après-midi du 10 septembre 1917. Sa voiture parée de fleurs était suivie d’un comité d’accueil et d’un orchestre. Il s’adressa à Sheptytsky en ukrainien et en allemand, à la grande joie des spectateurs ukrainiens et du métropolite. Sheptytsky n’avait jamais rencontré Guillaume auparavant. A présent se tenait devant lui un jeune et bel archiduc _ il a vingt-deux ans _, parlant un ukrainien correct et l’accueillant devant une foule rassemblée au nom de son souverain _ l’empereur d’Autriche Charles Ier, cousin de Guillaume. Sous l’uniforme, comme le métropolite et la foule pouvaient le voir, Guillaume portait une chemise ukrainienne brodée. « Vyshyvanyi », s’écrièrent les spectateurs, un mot ukrainien désignant ce type de broderie. Ce mot allait devenir le nom ukrainien de Guillaume. Tout d’un coup, il reçut une identité ukrainienne complète : Vasyl Vyshyvanyi« , lit-on pages 112-113.

Et selon diverses sexualités aussi :

Guilllaume fait partie des archiducs demeurés célibataires (et sans postérité), jusqu’à alimenter parfois _ cf par exemple aux pages 203 à 218 _ la chronique « scandale » des journaux ; comme en France en 1934-1935 : Le Matin (« Une Escroquerie au rétablissement des Habsbourg« , 15-12-1934), Le Populaire (« La « fiancée » de l’archiduc Guillaume de Habsbourg est en prison depuis un mois« , 15-12-1934), Le Figaro (« Les Habsbourg vont-ils rentrer en Autriche ? », 4-7-1935 ; « La Fiancée d’un prétendant au trône d’Autriche« , 28-7-1935 ; « Une Lettre de l’archiduc Guillaume de Habsbourg-Lorraine« , 13-8-1935), L’Œuvre (« L’Archiduc de Habsbourg-Lorraine est condamné par défaut à cinq ans de prison« , 28-7-1935), Le Journal (« Il fallait d’abord faire manger le prince« , 28-7-1935)…

Mais au-delà de la biographie singulière de ce Guillaume de Habsbourg-Lorraine-ci,

c’est d’une biographie familiale, en fait, qu’il s’agit,

celle d’une des branches d’archiducs _ celle des Habsbourg-Teschen _ de la famille des Habsbourg,

dont constitua la souche l’archiduc Charles-Louis d’Autriche (né à Florence, le 5 septembre 1771 _ son père, avant de succéder à son frère Joseph II sur le trône impérial, en 1790, était alors Grand-duc de Toscane _, et mort à Vienne, le 30 avril 1847), archiduc d’Autriche, duc de Teschen, grand maître de l’ordre Teutonique de 1801 à 1805,

troisième fils de Léopold II (1747-1792), d’abord grand-duc de Toscane, puis empereur du Saint-Empire en 1790 au décès de son frère l’empereur Joseph II (1741-1790), le fils aîné de l’empereur François Ier de Lorraine et de l’impératrice Marie-Thérèse _ ;

et de son épouse Marie-Louise de Bourbon (1745-1792), infante d’Espagne, et fille du roi Charles III _ Charles III, qui lui-même avant de devenir roi d’Espagne (suite au décès de son demi frère Ferdinand VI) de 1759 à sa mort en 1788, avait été, à Naples, de 1735 à 1759, roi du royaume des Deux-Siciles, créé pour lui par son père Philippe V, lors du rétablissement, en 1735, des Bourbon à Naples, aux dépens des Habsbourg : par reconquête ; l’histoire de Naples est, elle aussi, passionnante, en ses rebondissements…

Mais les Habsbourg et les Bourbon cousinaient aussi : depuis le double mariage, le 18 octobre 1615, de Louis XIII avec l’infante Anne d’Autriche, et de sa sœur la princesse Elisabeth de Bourbon avec l’infant Philippe, le futur Philippe IV, avec échange des princesses à l’île des Faisans le 9 novembre 1615 ; cf aussi le travail de l’excellente Chantal Thomas, sur un autre de ces échanges de princesses à l’Île des Faisans, en 1722, cette fois : L’Échange des princesses_ ;

 

mais aussi fils adoptif de sa tante l’archiduchesse Marie-Christine d’Autriche (1742-1798) et de son époux Albert de Saxe (1738-1822), qui n’avaient pas pu avoir d’enfant _ Albert de Saxe-Teschen est le fondateur de la très importante et très prestigieuse collection d’art de l’Albertina, à Vienne…

L’archiduc Charles-Louis d’Autriche-Teschen _ né en 1771 _ est en effet le frère de François Ier (1768-1835), empereur d’Autriche (ou François II du Saint Empire) au décès leur père Léopold , en 1792 ; et de Ferdinand III (1769-1824), grand-duc de Toscane à partir de 1790.

Charles-Louis était ainsi le troisième fis de l’empereur Léopold II, lui-même second fils, après son frère l’empereur Joseph II (1741-1790), de l’empereur François Ier de Lorraine (1708-1765) et de l’impératrice Marie-Thérèse (1717-1780), les fondateurs de la dynastie des Habsbourg-Lorraine :

l’empereur Charles VI (1685-1740) _ lui-même frère cadet de l’empereur Joseph Ier (1678-1711), qui était mort sans descendance masculine _, lui-même encore sans descendance (ni masculine, ni féminine), ayant imposé par la Pragmatique sanction, en 1713 _ Pragmatique sanction qu’il parvint à faire ratifier par ses États généraux ainsi que par le concert des puissances étrangères en 1725 _, que lui succèdent sur le trône d’Autriche en priorité ses enfants à venir, et cela quel que soit leur sexe _ en l’occurrence, Léopold (1716-1716), Marie-Thérèse (1717-1780), Marie-Anne (1718-1844), Marie-Amélie (1724-1730) _, plutôt que les filles de son frère aîné, le défunt empereur Joseph Ier (1678-1711) : Marie-Josèphe (1699-1757), qui épousa en 1719 Frédéric-Auguste, électeur de Saxe, puis roi de Pologne (1696-1763) ; et Marie-Amélie (1701-1756), qui épousa en 1722 Charles-Albert, électeur de Bavière (1697-1763).

Et le 12 février 1736, la fille ainée de Charles VI, Marie-Thérèse, épousa son promis de très longue date, François-Étienne de Lorraine _ prince élevé à Vienne, à partir de 1724, à la fin toute spéciale, en effet d’épouser la fille aînée de Charles IV… Et le frère cadet de François-Étienne, le prince Charles-Alexandre de Lorraine (1712-1780), présent à Vienne, lui, à partir de 1735, épousera le 7 janvier 1744 la sœur cadette de Marie-Thérèse, Marie-Anne (1718-1744), qui meurt au mois de décembre 1744 des suites de sa première couche ; de même que meurt son bébé… En 1735, afin de faciliter l’acceptation de ce mariage de Marie-Thérèse et de François, et de ses conséquences pour l’équilibre européen, la dynastie de Lorraine consent à procéder à l’échange de son duché de Lorraine, au profit de Stanislas Leszczyński (et à terme de la France : à la mort de Stanislas…), avec le grand-duché de Toscane, à la mort du dernier des Médicis, Jean-Gaston (qui allait mourir sans descendance le 9 juillet 1737) : cet échange territorial, négocié en secret dès 1735 et effectif l’été 1737, est formalisé par le traité de Vienne en 1738… L’art de la diplomatie et des mariages était une spécialité des Habsbourg…

Bien qu’épileptique _ il y avait d’assez nombreux mariages consanguins parmi les Habsbourg, de même que parmi les Bourbon ; je reviens ici à la branche des Habsbourg-Teschen… _,

l’archiduc Charles-Louis fut très admiré en tant que commandant et réformateur de l’armée autrichienne, au cours des guerres napoléoniennes.

Et grâce à une sagace décision de son père le futur empereur Léopold II,

Charles-Louis, le troisième des fils de Léopold _ alors Grand-Duc de Toscane _,

fut adopté et élevé _ d’abord à Vienne, puis, ensuite à partir de 1780, au décès de son oncle l’archiduc Charles-Alexandre de Lorraine (1712-1780), qui était gouverneur général des Pays-Bas autrichiens, à Bruxelles _,

par sa tante Marie Christine d’Autriche (1742-1798) _ la fille préférée de l’impératrice Marie-Thérèse _ et son mari Albert de Saxe-Teschen (1738-1822) _ le quatrième des fils du roi de Pologne et électeur de Saxe, Auguste III (1696-1763) et de son épouse Marie-Josèphe d’Autriche (1699-1757) _,

tous deux, Marie-Christine et Albert-Casimir, étant demeurés sans enfant

et étant gouverneurs des Pays-Bas de 1780 à 1793 _ à Bruxelles, ces derniers avaient succédé comme gouverneurs des Pays-Bas, au frère de François et doublement beau-frère de Marie-Thérèse, Charles-Alexandre de Lorraine, puisque celui-ci avait épousé l’archiduchesse Marie-Anne d’Autriche, la sœur cadette de l’impératrice Marie-Thérèse…

À la mort de son oncle _ et donc père adoptif _ Albert de Saxe-Teschen, en 1822,

l’archiduc Charles-Louis hérite ainsi du duché de Teschen _ ce qui demeurait à l’Autriche de la Silésie, perdue en 1748 au profit du roi Frédéric II (et de la Prusse), au terme de la guerre de succession d’Autriche ; et limitrophe de la Galicie polono-autrichienne : un élément important de la saga de cette branche des Habsbourg-Teschen ; dont les châteaux familiaux, le château-vieux et le château-neuf, se trouvent à Zywiec (en allemand Saybusch), à l’est de Teschen (en polonais Cieszyn).

En 1722, le duché de Teschen avait été donné en cadeau personnel par l’empereur Charles VI, père de Marie-Thérèse, à son cousin et proche ami le duc de Lorraine Léopold Ier (1679-1729), père de François de Lorraine ; la mère de Léopold Ier était en effet Eléonore d’Autriche (1653-1697), elle-même quatrième fille de l’empereur Ferdinand III (1608-1657), et sœur de l’empereur Léopold Ier (1640-1705).

Puis, par le mariage, le 12 février 1736, du fils aîné du duc de Lorraine Léopold Ier, François,

avec la fille de Charles VI, Marie-Thérèse,

le duché de Teschen était redevenu un domaine de la couronne autrichienne.

Ensuite, après le décès de son époux l’empereur François Ier, le 18 août 1765, l’impératrice Marie-Thérèse avait, à nouveau, remis en cadeau personnel à un proche ce duché de Teschen : à son gendre Albert de Saxe, le jour de son mariage, le 9 avril 1766, avec l’archiduchesse Marie-Christine, la fille préférée de l’impératrice.

C’est ainsi que, plus tard, ce duché silésien de Teschen fut légué, à sa mort, par l’archiduc Charles-Louis, en 1847,

à son fils aîné l’archiduc Albert de Teschen (1817-1895).


Lequel, n’ayant pas eu de descendant mâle lui survivant,

le transmet, en 1895, à son neveu (lui-même fils cadet de son frère cadet l’archiduc Charles-Ferdinand, 1818-1874) et enfant adoptif, l’archiduc Charles-Étienne de Teschen (1860-1933) :

Charles-Étienne de Teschen, que Timothy Snyder nomme plus simplement Étienne.

Et dont le frère aîné Frédéric de Teschen (1856-1936) devait hériter, lui, surtout des territoires de Hongrie de leur mère, l’archiduchesse Elisabeth de Habsbourg-Hongrie (1831-1903), une personnalité importante, sur laquelle Timothy Snyder n’attarde pas ici son projecteur ; le destin de cette branche familiale (celle de Frédéric de Teschen) était donc « hongrois« , plutôt que « polonais » ! ;

et en effet le fils (unique) de Frédéric, l’archiduc Albert-François (1897-1955) sera hongrois, et proche de l’amiral Horty : après la Première Guerre mondiale, cet archiduc Albert-François, cousin de Charles-Étienne (qui choisit, lui, d’être polonais), est candidat à la couronne de Hongrie, mais l’opposition des Alliés à la restauration des Habsbourg et la division des monarchistes hongrois l’empêchent de monter sur le trône. Durant la régence de Horthy, l’archiduc Albert-François de Teschen (1897-1955) devient membre de la Chambre haute hongroise et prend la tête de différentes organisations sportives et culturelles. Partisan d’Hitler, le dernier duc de Teschen quitte la Hongrie à la fin de la Deuxième Guerre mondiale et s’installe en Argentine

Fin ici de l’incise hongroise ;

et retour à la branche polonaise ; cf page 55 :

« En 1994 et 1895, alors que Marie-Thérèse _ de Habsbourg-Toscane _ était enceinte de Guillaume _ le dernier de ses six enfants _, Étienne savait que sa destinée était sur le point de rejoindre celle de la Pologne. Albert _ duc de Teschen, son oncle et père adoptif _ était mourant. À sa mort _ le 18 février 1995 _, qui suivit de huit jours la naissance de Guillaume _ le 10 février  _, Étienne _ et pas son frère aîné Frédéric, faut-il déduire… : mais Timothy Snyder n’en dit rien ! _ hérita des domaines de Galicie. Il savait qu’il était l’archiduc le mieux placé _ mieux que son frère aîné l’archiduc Frédéric, donc : promis, lui, à un destin hongrois… _ pour régler la question polonaise, qui, après la question des Balkans, était le problème national le plus urgent dans l’Europe du moment« … 

Marié tardivement, en 1815 _ il a quarante-quatre ans _, l’archiduc Charles-Louis d’Autriche-Teschen _ je reviens donc à lui _ aura, outre deux filles, cinq fils :

l’archiduc Albert de Teschen (1817-1895) _ qui demeurera sans postérité masculine _,

l’archiduc Charles-Ferdinand d’Autriche-Teschen (1818-1874) _ le père de l’archiduc Charles-Étienne (1860-1933), lui-même époux, en 1854, de l’archiduchesse Élisabeth de Habsbourg-Hongrie (1831-1903), et grand-père de l’archiduc Guillaume (1895-1948), notre « Prince rouge«  _,

l’archiduc Frédéric-Ferdinand (1821-1847) _ célibataire et sans postérité _

et l’archiduc Guillaume-François d’Autriche (1827-1894) _ célibataire et sans postérité, lui aussi.

Quant à l’archiduc Charles-Ferdinand d’Autriche et duc de Teschen _ auquel son frère aîné l’archiduc Albert, sur ordre de l’archiduchesse Sophie, la mère toute-puissante de l’empereur François-Joseph Ier, fera épouser le 18 septembre 1854 la princesse Élisabeth de Habsbourg-Hongrie (1831- 1903), pour éviter que celle-ci épouse l’empereur ; l’empereur François-Joseph Ier épousera Élisabeth de Wittelsbach, « Sissi« , le 24 avril 1854… _,

il aura, lui, de son épouse Elisabeth de Habsbourg-Hongrie (1831-1903),

quatre enfants :

l’archiduc Frédéric d’Autriche et duc de Teschen (1856-1936),

Marie-Christine d’Autriche (1858-1929), qui épousera Alphonse XII d’Espagne (1857-1885), et qui  sera la mère du roi Alphonse XIII ;

l’archiduc Charles-Étienne d’Autriche-Teschen (1860-1933) _ personnage crucial de la saga du « Prince rouge« , Guillaume, dont l’amiral Charles-Étienne est le père ;

les frères et sœurs de Guillaume sont : Éléonore (1886-1974), Renée (1888-1935), Charles-Albert (1888-1951), Mathilde (1891-1966) et Léon-Charles (1893-1939) ; Guillaume, le futur « Prince rouge«  d’Ukraine (1895-1945) est ainsi le plus jeune des six enfants de l’archiduc Charles-Étienne de Teschen et de son épouse l’archiduchesse Marie-Thérèse de Habsbourg-Toscane (1862-1933) _ ;

et l’archiduc Eugène d’Autriche-Teschen (1863-1954) _ connu, lui, pour sa chasteté ; et qui protégera un temps, à son retour en Autriche, son neveu Guillaume, à la mi-juin 1935, à Vienne.

En ce passionnant Prince rouge _ les vies secrètes d’un archiduc de Habsbourg, et pages 12-13 du Prologue,

Timothy Snyder fait débuter la focalisation sur cette branche des Habsbourg-Teschen

par l’énoncé de ce qu’il nomme « l’axiome » de l’archiduc (et amiral) Étienne :

les archiducs de Habsbourg-Teschen Albert (Charles-Albert, 1888-1951) et Guillaume (1895-1948) _ c’est sur eux deux principalement que Timothy Snyder se centre au long de son enquête _

« étaient nés à la fin du XIXe siècle et avaient atteint leur majorité dans un âge d’empires.

À l’époque, leur famille _ celle des Habsbourg-Lorraine _ était toujours à la tête de la monarchie autrichienne, la plus ancienne et la plus glorieuse entre toutes.

S’étendant des monts d’Ukraine _ c’est-à-dire les Carpates de Silésie ou Beskides _, au nord, jusqu’aux eaux chaudes de l’Adriatique _ l’Istrie et toute la Dalmatie croate _, au sud,

elle embrassait une douzaine de peuples sur lesquels elle régnait sans interruption depuis six cents ans _ le fief originaire des Habsbourg se trouve dans la Suisse du nord-ouest, dans le canton d’Argovie.

Le colonel ukrainien et le colonel polonais, Guillaume et Albert _ ainsi que leur frère Léon : Léon-Charles-Marie-Cyrille-Méthode (1893-1939), qui était promis, lui, à un destin balkanique, mais qui venait de mourir de tuberculose, dans un sanatorium près de Vienne, le 28 avril 1939, peu avant le déclenchement de la seconde guerre mondiale _, avaient été élevés _ par leur père Étienne _ pour préserver et agrandir l’empire familial _ des Habsbourg _ dans une ère de nationalismes  _ dès 1815 et l’Europe du congrès de Vienne, et Metternich…

Ils devaient devenir des princes polonais et ukrainiens loyaux à l’égard de la monarchie et subordonnés à l’empereur _ en l’occurrence François-Joseph Ier, empereur régnant depuis 1848 : il mourra le 21 novembre 1916. 

Ce « nationalisme monarchique » était une idée de leur père Étienne.

C’est lui qui, délaissant le cosmopolitisme traditionnel de la famille impériale

pour se faire _ spécifiquement _ polonais _ et on ne peut plus effectivement : au moment de son installation au château de Zywiec (en allemand Saybusch) en 1907, au cœur des territoires du duché de Teschen (en polonais Cieszyn), dont ses frères Frédéric et Eugène et lui avaient hérité des territoires, au décès, le 18 février 1895, de leur oncle et père adoptif l’archiduc Albert de Teschen : celui-ci, après le décès de leur père, l’archiduc Charles-Ferdinand, le 20 novembre 1874, les avait en effet adoptés… _,

avait espéré devenir régent, ou prince, de Pologne _ de même que son frère aîné Frédéric, régent, ou prince, de Hongrie.

Albert, le fis aîné _ d’Étienne _, se voulait _ et sera, jusqu’au bout, en son attachement viscéral à la Pologne _ son fidèle héritier.

Guillaume, le cadet et rebelle, choisit _ lui _ une autre nation _ c’est-à-dire la nation ukrainienne, au lieu de la nation polonaise _,

mais les deux fils _ l’autre fils, Léon-Charles-Marie-Cyrille-Méthode, promis, lui, à un destin balkanique, meurt de tuberculose en avril 1939 _ adoptèrent l’axiome de leur père :

si le nationalisme est inéluctable, la destruction des empires, elle, ne l’est pas.

Faire un État de chaque nation ne libérerait pas pour autant les minorités nationales.

Au contraire, se figurait-il, cela ferait de l’Europe un assemblage sommaire d’États faibles dépendant de plus forts qu’eux pour survivre.

Les Européens, croyait Étienne, se porteraient mieux s’ils pouvaient concilier leurs aspirations nationales avec une allégeance supérieure à un empire _ en l’occurrence la monarchie des Habsbourg.

Dans une Europe imparfaite, celle-ci offrait la meilleure scène (!) possible pour abriter (!!) les drames (!!!) nationaux _ la traduction non plus n’est hélas pas parfaite ! Mais que font les relecteurs ?

Laissons les politiques nationales s’opérer, pensait Étienne, à l’intérieur des doux confins d’un empire tolérant, doté d’une presse libre et d’un Parlement« .

Et c’est ainsi que « Guillaume devint le Habsbourg ukrainien« , énonce Timothy Snyder page 13.

« Il apprit la langue, commanda des unités ukrainiennes pendant la guerre _ de 14-18 _ et s’attacha étroitement à sa nation élue _ la nation ukrainienne, donc.

Une opportunité sembla s’offrir à lui quand la Révolution bolchévique mit à bas l’empire russe en 1917 _ Guillaume avait alors vingt-deux ans _,

ouvrant l’Ukraine à la conquête.

Envoyé par l’empereur des Habsbourg _ le nouvel empereur (depuis le 21 novembre 1916, à la mort de François-Joseph), Charles Ier d’Autriche (1887-1922) ; lequel est doublement le cousin de Guillaume : et par la mère de Guillaume,  Marie-Thérèse de Habsbourg-Toscane (1962-1933), et par le père de celui-ci, Charles-Étienne de Habsbourg-Teschen (1860-1933), tous deux descendants de l’empereur  _

dans la steppe ukrainienne en 1918,

Guillaume s’efforça _ en particulier à la Sitch _ de susciter une conscience nationale parmi la paysannerie

et d’aider les pauvres à conserver les terres qu’ils avaient prises aux riches.

Il devint une légende à travers tout le pays : le Habsbourg qui parlait l’ukrainien,

l’archiduc qui aimait le peuple,

le « Prince rouge » ».

En ce mois de novembre 2013 de sa parution en traduction française

_ hélas bien peu soignée ! cette traduction d’Olivier Salvatori : à comparer avec l’excellence de la traduction de Terres de sang _ L’Europe entre Hitler et Staline, par les soins de l’infatigable Pierre-Emmanuel Dauzat, en avril 2012 ; l’édition originale était parue, elle, le 28 octobre 2010 aux Éditions Basic Books, aux États-Unis ; certains passages du Prince rouge sont même carrément incohérents et incompréhensibles ! :

ainsi, par exemple, aux pages 115-116, à propos de « deux exigences«  des diplomates ukrainiens, en janvier et février 1918, à propos des diverses républiques ou principautés ukrainiennes qui aspiraient à la reconnaissance :

« la première (de ces exigences) était que leur État indépendant ukrainien inclût une certaine région occidentale que les Polonais (de leur côté !) considéraient comme leur. La seconde était que la monarchie des Habsbourg reconnaisse (en leur empire) une province ukrainienne séparée (…) ; et « le 9 février 1918, l’Allemagne, les Habsbourg et les diplomates ukrainiens signèrent un accord connu sous le nom de « paix du pain ». L’Allemagne et la monarchie des Habsbourg étaient d’accord pour reconnaître la république ukrainienne (prise à la Russie), et la monarchie des Habsbourg, dans un protocole secret, promettait de créer un domaine royal ukrainien constitué de la Galicie orientale et de la Bucovine » : comment s’y retrouver ?.. ;

ou page 52, à propos de deux Mathilde de Habsbourg-Teschen, non assez clairement distinguées : Mathilde, la troisième fille du neveu, Charles-Albert (et plus jeune sœur de Guillaume, donc), née en 1891, et Mathilde, la seconde fille de l’oncle, Albert de Teschen, morte brûlée vive en 1867 « alors qu’elle essayait d’allumer une cigarette à son père«  _

en ce mois de novembre 2013 de sa parution en traduction française aux Éditions Gallimard, l’original étant paru en 2008, toujours aux Éditions Basic Books,

l’actualité ukrainienne de ce travail légèrement antérieur, donc, de Timothy Snyder qu’est Le Prince rouge _ les vies secrètes d’un archiduc de Habsbourg,

accède tous les jours à nos oreilles et nos yeux. Cf par exemple l’article de Timothy Snyder paru dans l’édition du Monde du vendredi 20 décembre dernier : Pourquoi l’indépendance est en danger à Kiev.

Le Prince rouge _ les vies secrètes d’un archiduc de Habsbourg,

ce nouvel opus de Timothy Snyder à propos de l’Histoire de l’Ukraine,

aborde cette fois ce sujet

à travers une focalisation sur plusieurs membres de la famille des Habsbourg-Teschen,

et tout spécialement Guillaume-François-Joseph-Charles de Habsbourg-Lorraine, « l’archiduc rouge« ,

dit aussi « Vasyl Vychyvany » à partir de 1918 :

ce qui signifie « Basile le brodé«  Description de cette image, également commentée ci-après

né à Pula, en Istrie, le 10 février 1895, et décédé à Kiev le 18 août 1948.

Ici, il est nommé Guillaume.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mais aussi

son père, Charles-Étienne de Habsbourg- Teschen, archiduc d’Autriche et prince de Teschen :

né le 5 septembre 1860 à Groß Seelowitz, ou Zidlochovice (en Moravie), amiral de la flotte, et décédé le 7 avril 1933 : personnage majeur de la saga familiale.

Ici, il est nommé Étienne.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ainsi que le frère aîné de Guillaume,

Charles-Albert-Nicolas-Léon-Gratien de Habsbourg-Altenbourg

né à Pula, le 18 décembre 1888, et mort à Östervik, près de Stockholm, le 17 mars 1951.

Il est nommé ici Albert.

Ce travail-ci de Timothy Snyder à propos des péripéties _ difficiles : encore en ce passage de 2013 à 2014… _ de la réalisation-accomplissement de l’Ukraine _ pas encore pleinement advenu en ces premiers jours de 2014… _,

je le relie aussi à la question des modalités de la faisabilité de l’Histoire,

telle que la pose excellemment Christophe Bouton, dans son très remarquable Faire l’Histoire, paru cet automne, aux Éditions du Cerf ;

ouvrage que Christophe Bouton, notre collègue philosophe à l’Université Bordeaux-3, est venu présenter dans le cadre de la saison 2013-2014 de notre Société de Philosophie de Bordeaux, dans les salons Albert-Mollat, le mardi 19 novembre dernier _ cf le podcast de cette présentation.

Et cette question de l' »ukrainisation » à accomplir de l’Ukraine,

telle que, très tôt et tout au long de sa vie _ il en est mort, de mauvais traitements et de tuberculose laissé sans soins, à l’hôpital d’une prison de Kiev, le 18 août 1848 _, l’archiduc Guillaume se l’est donnée comme programme à accomplir,

se trouve au cœur de cette présentation par Timothy Snyder du « Prince rouge«  ;

cf ce passage de présentation, page 13 du Prologue :

« Guillaume devint _ à partir de 1912 et d’un séjour au cœur des Carpates, dans la montagne, à Verokhta, au sud de Stanislawow, à l’extrême sud de la Galicie _ le Habsbourg ukrainien.

Il apprit la langue, commanda des unités ukrainiennes pendant la guerre et s’attacha étroitement à sa nation élue. Une opportunité sembla s’offrir à lui quand la Révolution bolchévique mit à bas l’Empire russe en 1917, ouvrant l’Ukraine à la conquête. Envoyé par l’empereur des Habsbourg _ l’empereur Charles Ier d’Autriche, qui succéda le 21 novembre 1916 à son grand-oncle, l’empereur François-Joseph Ier _ dans la steppe ukrainienne en 1918, Guillaume s’efforça de susciter _ à partir de ses succès à la Sitch _ une conscience nationale parmi la paysannerie et d’aider les pauvres à conserver les terres prises aux riches.

Il devint une légende à travers tout le pays : le Habsbourg qui parlait l’ukrainien, l’archiduc qui aimait le peuple, le « Prince rouge » « .

Et commentant un peu plus loin (pages 14-15) en ce même Prologue

ce que Timothy Snyder qualifie de « pouvoir de définir l’individu« 

_ un pouvoir d’imagination et d’auto-création que ces Habsbourg de Teschen avaient très à cœur de se donner… _,

Timothy Snyder distingue très fortement deux regards sur les individus, les peuples et les nations de l’Histoire,

celui des nazis et des Soviétiques,

et celui des Habsbourg :

« Pour les nazis comme pour les Soviétiques,

la nation exprimait des réalités immuables _ génétiques, raciales _ situées dans le passé,

non une volonté humaine dans le présent.

Parce qu’ils exercèrent leur domination sur une si grande partie de l’Europe

et d’une façon si brutale,

cette idée de race est restée parmi nous

_ main de zombie _ idéologiquement toujours très présente _ de l’Histoire

telle qu’elle n’est _ pourtant _ pas advenue _ durablement : le IIIe Reich nazi tout comme l’Union soviétique ont disparu !

Ces Habsbourg _ les archiducs Étienne (1860-1933), Albert (1888-1951), Guillaume (1895-1948) _ avaient une notion plus vivante de l’Histoire. (…)

Ils concevaient le temps comme une éternelle _ ou plutôt permanente… _ possibilité _ c’est mal traduit !, mais l’invocation de la dimension d’éternité au sein même de l’agir parmi le jeu (toujours mouvant) des possibles est, elle, une idée (spinoziste…) très forte et très juste de Timothy Snyder ; même si son traducteur échoue ici à la rendre en un français qui soit intelligible ! _,

et la vie comme une suite de moments emplis de halos de gloire naissants,

telle une goutte de rosée attendant _ telle la survenue de l’espiègle (et terrible) petit dieu Kairos _ la caresse du soleil pour déployer son spectre de couleurs. »

Et pages 15-16, Timothy Snyder poursuit :

« Est-il important _ = grave… Cela dépend de l’échelle sur laquelle on se situe ! Et l’échelle des peuples diffère certes de l’échelle des individus et personnes… _ que la goutte de rosée finisse sous la semelle noire d’une botte ?

Ces Habsbourg _ Albert, le polonais, Guillaume, l’ukrainien _ perdirent leurs guerres _ celles de Pologne, pour Albert, celles d’Ukraine, pour Guillaume, et cela en 14-18 comme en 39-45 _,

et échouèrent à libérer leurs nations de leur vivant ;

ils furent, comme ces mêmes nations qu’ils s’étaient choisies, vaincus par les nazis et les bolcheviks _ en 1945.

Mais les régimes totalitaires qui les avaient jugés et condamnés

passèrent eux aussi.

Les horreurs des systèmes nazi et communiste empêchent _ aujourd’hui _ de considérer l’Histoire du XXe siècle comme une marche en avant vers un plus grand bien _ = un progrès.

Pour une raison similaire,

il est difficile de voir dans la chute des Habsbourg en 1918

le prélude d’une ère de libération _ le regard de Timothy Snyder rejoint ici celui de Joseph Roth : cf La Marche de Radetzky et La Crypte des Capucins

Comment dès lors parler de l’Histoire contemporaine de l’Europe ?

Peut-être ces Habsbourg,

avec leur lassitude _ le contresens du traducteur est ici absolu ! quand il s’agit d’une inlassable volonté, au contraire… _ de l’éternité

et leur vision optimiste de la couleur du temps,

ont-ils quelque chose à nous offrir« .

Car « chaque instant du passé (…) contient aussi _ parmi ses diverses graines de virtualités _ ce qui semblait impossible

et s’est avéré _ cependant, puisque bel et bien advenu ! _ possible,

comme un État ukrainien unifié,

ou une Pologne libre dans une Europe unie.

Et si c’est vrai de ces  instants du passé,

ça l’est aussi du moment présent«  _ à l’aune de ce qu’il y a, pour nous tous, à construire…

Ainsi « l’idée _ forte d’un Étienne de Habsbourg _ que le patriotisme peut se concilier avec une loyauté européenne supérieure

semble _ dorénavant _ étrangement visionnaire« ,

s’autorise à affirmer Timothy Snyder, page 16

en conclusion de l’ouverture à son livre qu’est ce Prologue.

Et là l’intuition de Timothy Snyder qui commande tout l’élan de ce livre

rejoint l’idée-force de la faisabilité de l’Histoire

et de la validité persistante de l’idée-idéal de démocratie

_ et cela, quelles que soient les scories et difficultés de ses successives réalisations jusqu’ici _,

telles que les défend l’ami Christophe Bouton dans son passionnant Faire l’Histoire...

Et quelles que soient les difficultés de la réalisation de l’idée-idéal de démocratie

dans la construction brinquebalante des institutions européennes de l’Union européenne,

en lesquelles Timothy Snyder propose, semble-t-il, de voir une sorte d’application

transposée aujourd’hui

de l’idéal pragmatique et doux de « création » de ses Habsbourg

_ cf page 57 : « les archiducs de Habsbourg devraient se recréer eux-mêmes, à l’avance, en tant que dirigeants nationaux.

Avec Étienne montrant la voie,

les princes pourraient échanger leur rôle traditionnel de commandement militaire

pour une dignité nouvelle : la création de peuples« 

Ce qui est aussi _ page 64 _ rien moins que

« faire l’expérience de la liberté« …

Même si,

au final de l’existence de Guillaume, « au début des années cinquante« ,

« la Galicie multinationale, création des Habsbourg, n’avait pu survivre à Hitler et Staline.

En 1948, l’Europe habsbourgeoise,

faite de loyautés multiples et de nationalités ambiguës

semblait avoir vécue », pages 280-281.

Et page 292 :

« Avec Guillaume, un certain rêve ukrainien semblait _ à nouveau ce mot sous la plume de Timothy Snyder _ avoir péri.

Guillaume lui-même n’était qu’une victime parmi les dizaines de milliers d’hommes et de femmes tués par les Soviétiques à la fin des années 1940 pour leur engagement, réel ou supposé, dans des mouvements indépendantistes ukrainiens.

Beaucoup d’entre eux, sinon la plupart, étaient originaires de la zone qui avait été autrefois la Galicie orientale habsbourgeoise.

Guillaume incarnait,

peut-être plus que n’importe lequel d’entre eux,

la connexion ukrainienne entre la monarchie des Habsbourg et l’Occident,

les liens entre la culture européenne et les traditions qui distinguaient l’Ukraine,

aux yeux de tant de patriotes ukrainiens,

de la Russie.

Après avoir annexé ces territoires en 1945,

Moscou les avait délibérément coupés de leur histoire habsbourgeoise.

Le génocide et les nettoyages ethniques avaient déjà irrévocablement modifié la population.

Les Allemands avaient tué la grande majorité des Juifs entre 1941 et 1944 ;

les Soviétiques avaient ensuite déporté les Polonais (et les Juifs qui avaient survécu) en Pologne. » Etc.

Quant à l’Autriche _ pages 294-295 _,

« dans la mesure du possible, la façon dont elle se représentait elle-même,

évitait la politique

et insistait sur la culture,

et, au-dessus-de tout, la musique » _ l’immense Thomas Bernhard dit-il autre chose ? Qu’on le relise !!!

Parfois, cependant, la musique à Vienne était trop molle _ et kitch…

Les chefs d’orchestre et compositeurs juifs,

au centre de la culture viennoise depuis que Gustav Mahler avait pris la direction de l’opéra de la Cour, en 1897,

avaient fui le pays dans les années 1930, ou avaient été tués au cours de l’Holocauste »

_ là-dessus lire le beau travail de Jacques Le Rider, Les Juifs viennois à la Belle-Époque_

Et _ page 295 _ « l’Ukraine

était perdue pour l’Autriche

non seulement de l’autre côté du rideau de fer,

qui commençait à moins de quatre-vingt kilomètres à l’est de Vienne,

mais au-delà (? ou, bien plutôt, à l’intérieur !) des limites intellectuelles de la nouvelle identité nationale

que les Autrichiens s’étaient forgée _ encore une traduction aberrante !

Sous les Habsbourg, l’Autriche n’avait jamais été une nation ;

elle était d’une certaine manière

au-dessus des nations,

dans une identification avec la monarchie et l’empire.

Pour que l’Autriche devînt une nation,

elle devait descendre de son piédestal

et son peuple devenir comme les autres _ cela convient-il, cependant, à la France et au peuple français ?.. _ en Europe.

L’Autriche neutre _ d’après 1945 _

recherchait la sécurité,

penchant vers l’Ouest

et évitant les connexions à haut risque avec l’Est« …

Et _ page 296 _ « la guerre froide aussi connut son terme,

pas les Habsbourg.

Les femmes les plus importantes de la dynastie dans la vie de Guillaume,

sa belle-sœur Alice (1889-1985 : l’épouse de son frère Albert)

et l’impératrice Zita (1892-1989 : l’épouse de l’empereur Charles Ier),

vécurent assez longtemps pour assister au déclin de l’Union soviétique

et à l’émergence d’une nouvelle Europe« …


Jusqu’à _ page 297 _ « la fin de l’Union soviétique

et sa désintégration au profit des républiques qui la constituaient.

A la fin de 1991, l’Ukraine était un État indépendant.

Le court XXe siècle était terminé« …

Et _ pages 300-301 _ « La chute de l’Union soviétique en 1991 libéra l’Ukraine,

qui incluait la Galicie et la Bucovine,

toutes deux parties intégrantes de l’ancien domaine royal des Habsbourg« …

« Otto, le fils de Zita,

qui avait été élevé en vue d’une restauration de la monarchie dans les années 1930,

était toujours actif en politique,

soixante ans après,

en tant que membre du parti conservateur allemand de Bavière

et député au Parlement européen. (…)

En 1935, Guillaume était tombé à cause d’un scandale à Paris,

privant Otto du soutien d’un Habsbourg en Ukraine

et plongeant dans l’embarras toute la famille.

Sept décennies après cette déconvenue,

Otto parlait à nouveau de l’Ukraine.

A la fin de 2004, il déclara

que la nouvelle Europe se déciderait à Kiev et à Lviv.

Otto avait raison.

L’Ukraine était la plus grande et la plus peuplée des républiques postsoviétiques en Europe,

un pays de la taille de la France et de cinquante millions d’habitants.

A ce titre, elle faisait figure de test

pour savoir si la démocratie pouvait s’étendre à l’Europe postcommuniste. (…)

L’Ukraine, ancienne république soviétique,

n’avait guère connu d’existence indépendante _ c’est là au moins un euphémisme ! _

et devait créer de toutes pièces _ Cf le grand livre de Cornelius Castoriadis, L’Institution imaginaire de la société _ un appareil d’État autonome

en plus d’une démocratie et d’un marché.

Comme tous les pays qui avaient enduré le communisme depuis l’origine,

c’est-à-dire depuis la formation de l’Union soviétique,

l’Ukraine rencontrait des difficultés pour entreprendre une transformation aussi fondamentale.

L’idée de l’État comme réalité objective, par delà (?) le contrôle personnel de ses chefs,

était une chose entièrement nouvelle.

De même que d’immenses fortunes étaient réalisées dans une ère de privatisations des plus opaques,

l’État en vint à être considéré comme le protecteur des barons de l’économie, appelés oligarques.

Dans les premières années du XXIème siècle,

l’Ukraine glissait vers un autoritarisme oligarchique

qui voyait un président aux pouvoirs considérables gouverner avec un entourage fluctuant d’hommes et de femmes richissimes, qui, entre autres choses, contrôlaient les chaînes de télévision« …

Puis vint la « révolution orange« .

Page 302 : « En Russie, aux États-Unis et en Europe,

bien des gens comprenaient la « révolution orange« , comme on l’appelait,

en termes ethniques.

Les partisans de Iouchtchenko étaient décrits dans la plupart des médias

comme des Ukrainiens ethniques,

des gens dont les actes étaient en quelque sorte dictés par leur origine familiale.

Les adversaires de la démocratie étaient présentés, de manière non moins discutable, comme russes. (…)

Il n’y avait aucune raison pour que les journalistes associent ainsi ethnicité et politique.

La hâte irréfléchie _ essentiellement médiatique, journalistique, de bien pauvre connaissance historique ! _

à définir la politique est-européenne comme essentiellement raciale

était une victoire intellectuelle _ hum !.. _ des politiques nationales de Hitler et Staline

sur le legs plus doux et plus équivoque des Habsbourg »…

Alors que « la « révolution orange » en elle-même était la revanche politique des Habsbourg« .

Page 303 :

« Quand l’Union soviétique s’effondra, en décembre 1991,

l’Ukraine put se pourvoir d’une forme d’État qui lui convenait.

Les frontières de la république soviétique définissaient soudain un pays indépendant.

Lorsque le gouvernement ukrainien sombra dans la corruption,

l’idée nationale fut à nouveau disponible,

comme le gouvernement du peuple, ou démocratie _ mais que font les relecteurs ?


Pendant la « révolution orange » de 2004,

les patriotes ukrainiens prirent des risques pour défendre leur vision de l’Ukraine

dans laquelle les citoyens auraient leur mot à dire sur la gouvernance (!).

Dans les événements de 1991 et 2004,

la population de l’ancienne province habsbourgeoise de Galicie

joua un rôle disproportionné (!!!) _ au secours, les relecteurs !!! Réveillez-vous ! Vous dormez !

Bien des patriotes ukrainiens (…) défendaient la nation ukrainienne

non pour des raisons ethniques,

mais par choix politique.

Le courageux journaliste décapité _ Georgii Gongadze _ était né dans le Caucase, loin de l’Ukraine.

La ville où se déclencha la révolution ukrainienne, Kiev, parle russe.

La nation est une question d’amour plus que de langue« …

Page 304 :

« La « révolution orange » fut le combat pour la démocratie le plus important dans l’Europe du début du XXIe siècle « …

Page 306 :

« Guillaume _ qui n’avait certes pas défendu toujours des options démocratiques : dans l’espoir que Mussolini et Hitler bousculeraient les situations établies, en Ukraine soviétique, comme en Galicie devenue polonaise, Guillaume de Habsbourg avait adhéré dans l’entre-deux-guerres à ce que Timothy Snyder qualifie joliment de « fascisme aristocratique« _,

durant les années 1940,

comme des millions d’autres Européens,

avait amorcé un basculement intellectuel (!) certain vers la démocratie.

Celle-ci ne pouvait s’accomplir politiquement que sur la moitié du continent non communiste,

comme le démontrèrent _ en négatif… _ l’enlèvement de Guillaume

_ à la Südbahnhof de Vienne, le 26 août 1947 ; cf page 286 _

et sa mort en Union soviétique« 

_ « dans un hôpital de prison soviétique de Kiev »,  le 18 août 1948 ; cf page 290…

« Guillaume a été sauvé de l’oubli

par une poignée d’historiens et de monarchistes ukrainiens fervents.

Avec la fin du communisme, à la fin du XXe siècle,

et l’élargissement de l’Union européenne au début du XXIe,

les Histoires des nations européennes vont peut-être connaître une redéfinition

en termes plus cosmopolites ;

et Guillaume trouver sa place dans chacune d’entre elles.

Lui et les Habsbourg reviendront.

En fait, avec le réveil de l’Ukraine,

ils sont déjà là« …

Page 312 :

« Au début du XXIe siècle, l’Union européenne se trouve

dans ce que l’on pourrait appeler

« la position des Habsbourg » :

elle contrôle une immense zone de libre-échange,

au centre d’un paysage économique globalisé,

mais sans possessions maritimes reculées,

et dans l’incapacité de déployer une puissance militaire décisive, dans un âge de terrorisme imprévisible. (…)

L’Union européenne, comme la dynastie des Habsbourg,

est dépourvue d’identité nationale ;

et pourtant son destin est de résoudre la question nationale

au sein de ses parties constituantes

comme le long de ses frontières.

Les Habsbourg obtenaient les plus grands succès

lorsqu’ils abordaient les questions nationales

en mêlant tact, pressions économiques et promesses d’emplois bureaucratiques.

Les Européens, aux forces militaires extrêmement limitées,

n’ont pas d’autre choix que de les imiter.

En général, cela leur réussit plutôt bien« …

Page 316 :

« Même les plus libres des sociétés démocratiques

ne permettraient pas les sortes de choix que firent les Habsbourg« …


« La possibilité de se faire ou refaire une identité _ que Guillaume de Habsbourg sut saisir et se ménager et réaménager tout le long de sa vie… _

n’est pas très éloignée du cœur même de l’idée de liberté ;

elle consiste à s’affranchir de l’oppression d’autrui et à devenir soi-même.

Dans leurs meilleurs jours,

les Habsbourg jouirent d’une sorte de liberté

dont nous ne disposons plus :

celle d’une autocréation imaginative et résolue. (…)

Les Habsbourg bénéficièrent de la croyance qu’ils étaient l’État,

plutôt que les sujets de celui-ci.

Mais n’est-ce pas ce que tout individu libre espère :

prendre part à un gouvernement

plutôt que d’en être l’instrument ?« …

Le livre s’achève, page 323, sur la description aujourd’hui d’une petite place de Lviv

_ « Lviv est demeurée la plus fières des villes ukrainiennes, même sous la férule soviétique ; c’est aujourd’hui la plus patriotique de l’Ukraine indépendante«  _ :

« Dans un quartier tranquille,

une petite place porte le nom de Guillaume,

ou plutôt de Vasyl Vyshyvanyi.

Son seul ornement est une plaque de rue en noir et blanc.

En son centre, un socle gris ne supporte aucune statue.

Alentour, des balançoires et des bascules sont peintes de couleurs vives.

Vasyl Vyshyvanyi est un terrain de jeu.

Au cours d’un après-midi d’été,

des grands-mères assises sur un banc surveillent leurs petits-enfants.

Aucun d’eux ne saurait dire qui était Vasyl Vyshyvanyi.

Je leur raconte l’histoire de Guillaume« …

Pour le reste,

nous suivons le parcours européen de Guillaume,

de sa naissance à Pula, le 10 février 1895 _ où son père, amiral, dirige la flotte de l’Adriatique _,

à sa mort, à Kiev, le 18 août 1948.

En 1896, l’amiral Étienne de Habsbourg-Teschen prend sa retraite d’amiral,

et s’installe avec sa famille dans l’île de Losijn,

dans le palais Podjavori, « Sous les lauriers« …

Et c’est en 1907 que la famille s’installe dans le « Château-neuf » de Zywiec,

en Silésie polonaise habsbourgeoise…


Ensuite,

Guillaume se trouvera à Vorokhta, dans les Carpates, à l’extrême sud de la Galicie, l’été 1912 ;

puis, ayant terminé sa formation militaire à Wiener-Neustadt, le 15 mars 1915,

il gagne le front en Galicie le 12 juin 1915,

et participe à la reprise de Lviv sur les Russes, quatre jours plus tard.

Et voici quelques lieux  où se trouvera Guillaume, après Lviv :

Vienne, Lviv, Vienne, Kherson, la Sitch, Vienne, Spa, dans les plaines d’Ukraine, Odessa, Tchernivtsi, Lviv _ la Grande Guerre vient officiellement de se terminer le 11 novembre 1918 ; mais les hostilités se poursuivent à l’est jusqu’en mars 1921… _ ;

Boutchach (en Galicie sud-orientale), Bucarest, Kameniets-Podilsky (en Podolie) _ en septembre 1919 _, en Ukraine _ en novembre et décembre 1919 _, Bucarest _ de janvier à mars 1920 _ ;

Vienne _ du printemps 1920 à novembre 1922 _ ;

Madrid _ de novembre 1922 à 1926 _ ;

Enghien-les-Bains _ 1926-1931 _ ;

Paris _ d’octobre 1931 à la mi-juin 1935 _ ;

Vienne _ jusqu’au 26 août 1947 _ ;

Baden _ de septembre à décembre 1947_ ;

Lviv _ le 20 décembre 1947 _ ;

Kiev _ à partir de la fin décembre 1947, jusquà sa mort, le 18 août 1948…



Titus Curiosus, ce 30 décembre 2013

 

 

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