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Un autre très beau récent CD Mozart : « The Prussian Quartets », par le Chiaroscuro Quartet, davantage teinté d’inquiétude ou de mélancolie (en 1789 – 1790)…

05fév

En continuant de beaucoup écouter Mozart ce début du mois de février,

après le sublime « The beginning and the end » de Maxim Emelyanychv et il pomo d’oro _ le CD Aparté AP 207 ; cf mon article d’hier «  «  _,

je suis passé à un autre magnifique CD Mozart _ Bis-2558 SACD _, « The Prussian Quartets« , par l’excellent Chiaroscuro Quartet :

les 3 Quatuors n° 21, 22 et 23, K. 575, 589 et 590, composés en 1789 et 1790,

vestiges d’un projet de 6 Quatuors destinés, semble-t-il, dans l’esprit du moins de Mozart, au roi de Prusse, et demeuré inachevé.

Composés à un moment de difficultés professionnelles et financières de la vie de Mozart,

y perce comme une ombre de mélancolie… que rend magnifiquement la douceur tendre mais non tendue _ a-romantique ici encore _ du Quatuor Chiaroscuro…

Ici encore, un merveilleux CD Mozart…

Ce dimanche 5 février 2023, Titus Curiosus – Francis Lippa

Call me by your name : le captivant film de Luca Guadagnino

12mar

J’ai pu voir cette fin de matinée le film de Luca Guadagnino Call me by your name, en version originale _ mêlant anglais, italien et français, en fonction des  adresses à leurs divers interlocuteurs des divers personnages du film : ainsi, par exemple, la mère d’Elio, Annella Perlman, étant à demi-italienne (par son père, prénommé déjà Elio ; et juif…) et à demi française (par sa mère), s’adresse à Elio en français ; de même que c’est en français que conversent Elio et sa bientôt petite amie Marzia ; etc. D’autant que les interprètes de ces divers personnages d’Annella (Amira Casar), Elio (Timothée Chalamet) et Marzia (Esther Garrel) sont au moins eux-mêmes à moitié français. De même, d’ailleurs, et c’est un élément très important, que le réalisateur lui-même, Luca Guadagnino, par sa mère, elle-même à moitié algérienne et française, est imprégné de cette perception française (soit un certain tropisme classique : à la Ravel, disons…) de son esprit et de ses goûts, du moins me le semble-t-il… Une certaine culture française imprègne donc pas mal (et irradie sur) ce film, en plus d’une certaine culture juive, d’une culture italienne, bien sûr, et même de ce que j’oserai qualifier de « culture gay » : un éloge du métissage, de l’ouverture, et de l’accueil à l’altérité des minorités (âmes en peine des déplacés et errants)… Et je n’ai même pas parlé de la très importante part française, aussi, de ce juif italo-turc francophone venu d’Alexandrie qu’est André Aciman, l’auteur du roman de départ du scénario, Appelle-moi par ton nom

D’abord, voici, à titre d’introduction ici,

et précédant ma vision du film

une présentation _ il s’agit à l’origine d’un courriel : j’aime m’adresser à un interlocuteur particulier, et en rien anonyme _ préliminaire, factuelle, à propos de ce que j’ai pu, de bric et de broc, reconstituer tant bien que mal de la genèse _ assez longue et tortueuse _ de la conception, puis fabrication du film :

Ce matin,
je vais pouvoir aller voir Call me by your name en salle _ n’allant que très rarement au cinéma ; seulement quand un film me fait vraiment envie. Ce qui renforce mon désir du film…
Et cela, afin de confronter à la réalité du film en son entièreté les premières impressions _ forcément très partielles _ issues des clips fragmentaires et divers commentaires et interviews nécessairement partiels.

Même si celle-ci n’est qu’anecdotique, l’histoire de la gestation du film en amont de sa réalisation est assez intéressante.

L’achat des droits d’auteur en vue de la réalisation à venir d’un film
précèderait même, paraît-il _ mais oui ! aussi étrange que cela puisse paraîttre !!! _, la sortie (en 2007 et aux États-Unis _ en anglais, donc _) du livre d’André Aciman !!!
Ah ! ah !

C’est en effet une équipe _ solide, soudée _ de producteurs (homosexuels et juifs californiens _ installés à Los Angeles-Hollywood _) autour de Peter Spears (né en 1965) et Howard Rosenman (né en 1945),
ainsi que de l’agent des stars _ dont le jeune Timothée Chalamet… _ Brian Swardstrom (né en 1962 ; et compagnon de Peter Spears),
qui ont réalisé en 2007, il y a 11 ans !, l’achat de cette option sur une adaptation cinématographique à réaliser du livre même pas encore paru _ mais on devait déjà en parler ! : il faudrait creuser cela plus avant… _ d’Aciman.

Ainsi, pour le projet de ce film,
et au sein de cette équipe de producteurs _ californiens, à Hollywood _ possédant les droits d’adaptation du roman,
l’italien Luca Guadagnino a-t-il été _ la précision des dates serait ici pour sûr intéressante _ successivement consultant _ probablement au triple titre, aux yeux de l’équipe des producteurs réunie autour de Peter Spears, d’italien (ayant une bonne du terrain, en l’occurrence les divers lieux en Italie évoqués parfois très allusivement dans le roman), de cinéaste, bien sûr, et enfin de gay… _, puis producteur exécutif, puis co-scénariste (avec le grand James Ivory), et enfin le réalisateur unique _ on imagine le terreau riche de conflits de toutes sortes (et concurrentiel) qui constitue le contexte de gestation de ce passionné et de très longue haleine projet cinématographique, avec les rivalités de conception qui n’ont pas manqué de l’entourer-constituer, au long de ses diverses péripéties à rebondissements… Au point qu’on pourrait presque s’étonner, au su de cette genèse cahotée, de son résultat apollinien si abouti, si maîtrisé, si apaisé…

Avant Luca Guadagnino_ l’heureux réalisateur in fine _,

avaient été successivement pressentis à cette réalisation, avant de s’en retirer _ pour des raisons que j’ignore _ : Gabriele Muccino, Sam Taylor-Johnson, puis James Ivory.
Et sont cités aussi _ sans préciser leur part d’investissement (ou pas) au travail collectif _ les noms de Ferzan Oztepek et Bruce Weber…

De fait, James Ivory a travaillé 9 mois à l’adaptation du roman d’Aciman : de septembre 2015 à mai 2016.
Et ce serait, semble-t-il, principalement son âge (approchant les 90 ans _ il est né le 7 juin 1928 _) qui l’aurait fait exclure par certains des financeurs de la production (notamment français)
de la tâche de réalisation du film ;

ainsi laissée à Luca Guadagnino _ le réalisateur d’Amore (sorti en 2009) et A Bigger splash (sorti en 2015)..

Le tournage, autour de chez lui à Crema, en Lombardie _ non loin de Crémone _,

Crema où réside Luca Guadagnino,

eut lieu en moins de six semaines, du 11 mai au 20 juin 2016 _ et chaque soir du tournage, le réalisateur-maître d’œuvre du film, rentrait dormir dans son lit, a-t-il raconté, en riant, à diverses reprises…

Timothée Chalamet, quant à lui, était venu plus tôt séjourner à Crema : 5 semaines avant ce début du tournage, soit à partir du 6 avril 2016, en se mêlant (incognito !) aux jeunes de son âge de la petite ville, à travailler à s’imprégner de son personnage d’Elio, et, à raison de une heure et demi chaque séance (soit quatre heures et demi en tout), à parfaire sa connaissance du piano, à apprendre à jouer de la guitare, et maîtriser sa pratique de la langue italienne ; cf cet article du Los Angeles Times du 17 novembre 2017 : Timothée Chalamet is Hollywood’s next big thing with ‘Call Me by Your Name’ and ‘Lady Bird’  ; ou celui-ci de Libération du 26 février 2018 : Timothée Chalamet, appelez-le par son nom… Fin de l’incise.


On voit par là combien Luca Guadagnino a fait de ce film une affaire toute personnelle !!!

Et cette intimité-là, avec son équipe de tournage comme avec ses acteurs, se ressent très positivement à la vision fluide et intimiste, sereine et heureuse, du film…

« J’ai trouvé Elio ! », déclara l’agent des stars Brian Swardstrom à son compagnon le producteur Peter Spears, à propos de Timothée Chalamet (qu’il avait vu dans la saison 2 de Homeland en 2012), dont il devient tout aussitôt l’agent _ Timothée Chalamet avait alors 16 ans ; c’était donc en 2012, puisque Timothée est né le 27 décembre 1995.
Et c’est en 2013 que Swardstrom présente Timothée Chalamet à Luca Guadagnino, qui l’intègre aussitôt au casting du film à venir.

Quant à Armie Hammer,
c’est Luca Guadagnino _ tombé amoureux de lui (dixit le réalisateur lui-même) en voyant The Social Network (de David Fincher), en 2010 : Armie Hammer y tient avec maestria les rôles de deux jumeaux : Cameron et Tyler Winklevoss _ qui l’intègre au casting du film en 2013, lui aussi, après l’avoir vu dans The Lone Ranger (de Gore Verbinski)_ le film est sorti sur les écrans américains le 3 juillet 2013…

Dernière chose sur ce très remarquable et magnifique acteur, lui aussi :
Armie Hammer a une superbe voix grave, profonde et très ductile à la fois ;
et les extraits de sa lecture du roman d’Aciman auxquels on peut accéder, sont carrément impressionnants ! : nous tombons immédiatement sous le charme ;
l’acteur est donc vraiment très bon,

et n’est pas seulement

_ et l’article, en anglais, auquel envoie ce lien quasi anodin (!!), est le plus juste de tous ceux que j’ai lus jusqu’ici sur ce film !!! _  

juste un beau gosse _ une expression que je n’aime pas _, ou un bel homme pour l’affiche…

Le contraste, d’ailleurs,

entre son interprétation magistrale et parfaitement évidente du très fin et élégant, ainsi que retenu et secret _ sans, par son naturel éminemment fluide et sobre, en donner le moindre soupçon : si c’est une certaine partie de son jeu qu’il cache, ce n’est certes pas la plus grande partie de son corps exposé au soleil  _ personnage d’Oliver _ son seul moment d’un peu d’extraversion, avant les moments de relations plus intimes avec Elio (mais très discrètement filmés, avec pudeur et sans exhibitionnisme, par le réalisateur), est la sublime séquence (de 44 ‘) dans laquelle, yeux et poings fermés, Oliver se lâche presque dionysiaquement sur la piste du dancing de Crema, sur le rythme lancinant de Love my Way _,

et ses prestations extraverties d’acteur faisant la promotion du film,

est, lui aussi, marquant : c’est dire combien la direction d’acteurs de Luca Guadagnino est elle aussi excellente ; autant que sont vraiment parfaits ses acteurs dans l’incarnation subtilissime des moindres nuances de leurs personnages !!!

A nous, aussi, de bien les percevoir…

Ainsi, dans la gestation de ce film,

le choix, au casting, des titulaires _ Armie et Timmy, donc _des deux principaux protagonistes _ Oliver et Elio _, dès 2013,

précède-t-il donc _ il faut le noter _ celui, final, de Luca Guadagnino comme réalisateur,
même si celui-ci a fait très tôt partie de l’équipe aux commandes _ la date en serait à préciser, ainsi que son pourquoi et son comment… _ dans ce projet _ au long cours et à rebonddissements divers _ de production : d’abord comme consultant.

Tout cela est donc assez intéressant ; même si cela reste malgré tout anecdotique par rapport au principal : la valeur artistique du film…
Je vais bien voir !

A suivre…
Je pars au cinéma…

P. s. :

Timothée Chalamet :


Timothée Hal Chalamet naît le 27 décembre 1995 dans le quartier de Hell’s Kitchen, à New York. Il est le fils du français Marc Chalamet, ayant travaillé _ comme éditeur _ pour l’UNICEF, et de l’américaine Nicole Flender _ née en 1960 _, diplômée de Yale, actrice, danseuse à Broadway, puis agent immobilier. Il étudie au lycée LaGuardia pour jeunes artistes, d’où il sort diplômé en 2013. Il a une sœur aînée, Pauline, une actrice qui vit à Paris.


Depuis son enfance, Timothée Chalamet et sa famille ont régulièrement passé des vacances _ l’été _ au Chambon-sur-Lignon _ haut-lieu de la résistance civile (protestante) au nazisme ! cf l’admirable travail de Jacques Sémelin : Persécutions et entraides dans la France occupée : comment 75 % des Juifs en France ont échappé à la mort ; et mon article du 30 juin 2013 : « …  _, en Haute-Loire, dans une maison où habitaient son grand-père paternel Roger Chalamet, pasteur _ voilà ! _, et sa grand-mère Jean, une canadienne _ née Jean Elizabeth Asthworth, et décédée en octobre 2010.


La famille de sa mère, d’origine juive russe et autrichienne _ tiens, tiens ! _, est très présente dans le cinéma : son grand-père maternel est le scénariste _  new-yorkais, né dans le Bronx _ Harold Flender (1924 – 1975), son oncle Rodman Flender _ né le 9-6-1962 _ est réalisateur et producteur, et sa tante Amy Lippman, épouse de celui-ci, également productrice _ et dialoguiste.


De nationalité américaine et française _ les deux ! _, il parle couramment l’anglais et le français _ dont acte.

Puis, ce courriel à un ami, cet après-midi, à mon retour du cinéma :

Cher …,

tu serais, je pense, bien plus critique que je ne le suis à l’égard de ce film _ attentif aux chicanes de premiers émois amoureux au moment de l’entrée dans l’âge adulte _ : je suis, en effet, assez bon public _ au moins a priori : la critique est plus aisée et prompte que l’art ! L’œuvre, que ce soit de cinéma, de littérature, de musique, ou toute autre, a besoin d’abord être accueillie et reçue avec un minimum d’attention bienveillante (et d’appétit…) ; le regard critique ne doit pas être un a priori fermé et massif comme un coup de gourdin ; mais ne venir qu’après, avec finesse et à bon escient ; soucieux de ce qu’on peut estimer constituer les visées de fond de l’œuvre en question… Du moins quand, public, nous avons fait l’effort d’aller à la rencontre de cette œuvre-ci : en l’occurrence nous déplacer jusqu’à la salle de cinéma… Et je remarque, qu’au cinéma, les projections des subjectivités des spectateurs, se déchaînent sans vergogne ! Les unes et les autres reprochant au film de ne pas leur offrir ce qu’eux, tout spécialement et très égocentriquement, les spectateurs se trouvent parfaitement légitimes d’en attendre ! C’est le monde à l’envers ; et c’est infantile… Il faut commencer par accepter de décentrer son regard de ses habitudes subjectives. Et accueillir vraiment l’altérité de l’objet offert…

Le point de vue privilégié par le réalisateur du film _ Luca Guadagnino, à la suite, et dans les pas, du point de vue choisi par le romancier, André Aciman _ est celui du regard, mi-neuf, mi-perspicace (en analyses de signes à décrypter : Aciman a dû lire le Proust et les signes de Deleuze…), du jeune garçon _ vierge, puceau (au moins quant à l’homosexualité : il vient juste de faire l’amour avec Marzia…) _ de 17 ans, Elio, face au très séduisant inconnu, Oliver, qui débarque au mois de juillet dans la demeure familiale _ ouverte et accueillante (même si discrète, par tradition familiale, en Italie, sur sa judéité) _, près de Crémone,

et auquel, en la fougue de ses élans pulsionnels adolescents, le très fin, intelligent, sensible et cultivé, Elio est assez vite _ à condition, bien sûr, de se voir vraiment agréé aussi, et non rudement refusé, par l’aimé _ prêt à se livrer _ corps et âme… Mais les signaux, les feux verts, et cela des deux côtés, manquent encore de clarté, ainsi que de constance : d’où des blessures (réciproques) et des retards par divers malentendus et quiproquos successifs…
Nous sommes en 1983 _ a choisi le réalisateur Luca Guadagnino, plutôt qu’en 1987, à l’origine dans le roman d’André Aciman _, dans une Italie d’avant Berlusconi _ c’est le moment, confus, de Benito Craxi _, et d’avant le Sida…

Le choix de ce point de vue du regard d’Elio

facilite, bien sûr, l’identification avec le personnage d’Elio _ très brillamment interprété par le merveilleusement  expressif (ses regards !) Timothée Chalamet _, de pas mal des spectateurs _ à commencer, bien sûr, par le vaste public (visé ?) des jeunes ; mais pas seulement lui : il est bien connu de tous que, quand on aime, on a toujours vingt ans ; et c’est vrai ! L’élan est puissant.

L’astuce romanesque _ du film comme du roman _,

c’est que le bel objet désiré, le splendide _ mais pas que _ universitaire américain _ il enseigne déjà à Columbia et publie ses livres : et c’est précisément pour préparer l’édition en traduction italienne de son travail sur Héraclite (dit l’Obscur) qu’il est venu en Italie, et chez le Professeur Perlman, cet été là, au moment de ses propres vacances universitaires : il s’est d’abord rendu en Sicile, puis va passer un mois et demi (soit quasiment la même durée que le tournage !) dans la résidence d’été du Pr. Perlman et sa famille _, Oliver,

qu’interprète avec beaucoup d’élégance et brio et finesse, Armie Hammer,

use de pas mal d’artifices de fuite (later, later, ne cesse-t-il de répéter pour se défiler des approches _ il les voit, bien sûr, venir ! _

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et tentatives d’emprise sur lui du jeune Elio… _ et le titre du roman choisi lors de sa première parution en français, en 2008, aux Éditions de l’Olivier, était Plus tard ou jamais ; de même que le titre de la première partie du roman  d’Aciman est Si ce n’est plus tard, quand ? ; c’est à relever… Il y comme de l’urgence dans l’air ; le temps leur est compté… _ ) ;

mais longtemps dans le film, nous non plus, n’en pénétrons pas bien les raisons…


Á la suite d’Elio,

dont nous ne cessons à nul moment de partager et suivre le regard, l’angle de vue, le cadrage, au présent de la survenue frontale des événements (et non rétrospectivement, au filtre de la mémoire),

nous aussi, spectateurs, nous sommes souvent déroutés par le comportement d’Oliver…

Et c’est là un élément décisif _ voulu par le réalisateur, à la suite du choix, aussi, du romancier _ de notre perception de l’intrigue  !!!

Ce sont donc ces yeux-là d’Elio,

non seulement hyper-curieux, mais aussi extrêmement inquiets car follement épris et séduits,

que nous, spectateurs du film, avons sans cesse

pour le beau et très retenu, et discret _ à l’exception de sa plastique exposée au soleil _, sinon secret, Oliver !

Et ce ne sera qu’a posteriori _ après le retour chez lui aux États-Unis d’Oliver, une fois son stage de six semaines auprès du Professeur Perlman terminé, et le texte de sa traduction en italien scrupuleusement revu et achevé _,

in extremis donc,

que nous comprendrons que ces diverses esquives _ arrogance ? timidité ? goujaterie ? s’était-on demandé _ et mesures dilatoires _ later, later... _ du bel Oliver

étaient, tout au contraire, chargées d’infiniment d’égards et de délicatesse _ protectrice ! _ envers le jeune Elio _ de 17 ans ; et le contraste physique entre eux deux est très net ! _,

eu égard aux obstacles auxquels lui-même, Oliver, s’était, en sa récente adolescence _ lui-même n’a, après tout que 24 ans ! _, heurté et durement blessé,

et probablement se blessait maintenant encore, chez lui aux États-Unis (à commencer en son milieu familial)

_ fort discret (c’est-à-dire prudent ! : larvatus prodeo…), Oliver parle d’autant moins de lui-même, nous semble-t-il, que c’est seulement via le regard d’Elio que nous, spectateurs, dans le film, avons accès à lui, c’est-à-dire à ses gestes et expressions, mais pas à ses sentiments et pensées : à cet égard le film, moins bavard (et cahoté) quant aux élucubrations du garçon ne sachant jamais sur quel pied danser avec Oliver, est beaucoup mieux réussi que le roman !)  ; Elio ne cessant passionnément d’essayer (non seulement il est d’un naturel extrêmement curieux de tout, mais il est surtout très épris !), de percer à jour d’abord ce que ressent l’apparemment versatile Oliver, mais ensuite surtout peut-être le tréfonds de ses secrets… _ :

afin de tempérer (un peu) et filtrer (sinon les refroidir vraiment, car le désir, nous le découvrirons, est bel et bien _ mais à partir de quel instant ? c’est très difficile à situer en regardant pour la première fois le film, assez subtil en cela… _ réciproque…) les fougueuses ardeurs du jeune garçon, Elio :

d’où la succession de péripéties à rebondissements de l’intrigue _ retournements de situations, surprises après atermoiements, révélations, semblants de démentis, prises de conscience… _ survenant _ et nous surprenant, nous aussi ! _ le long des 2 heures du film.

Il s’agit donc ici, d’abord _ mais immédiatement derrière, même si c’est habilement et très discrètement suggéré, sont tapis les secrets de la vie (passée, présente, mais à venir aussi…) d’Oliver : car celui-ci a des projets, tant professionnels que personnels (voire conjugaux et de paternité aussi), déjà en voie de formation, et à mener à long terme… _,

de la première (mais décisive) éducation sentimentale _ qualifions-la ainsi ! _ d’Elio _ pour la vie ! : avec une dimension verticale (et fondamentale !) d’éternité. Qu’en adviendra-t-il donc ? Et pour l’un, et pour l’autre ?..

Pour la vie est aussi _ il faut le noter _ le mot d’Elio lui-même pour sa proclamation _ émue et parfaitement sincère _ d’amitié envers Marzia, sa petite amoureuse _ très joliment interprétée par Esther Garrel _, une fois que celle-ci a bien compris, et osé très ouvertement le lui déclarer, que c’était d’Oliver qu’Elio était vraiment épris, et non d’elle _ qui ne l’en aimait pas moins, pour autant !.. Car Elio est fondamentalement honnête ! S’il lui arrive _ souvent désemparé qu’il se trouve, bousculé par ce qui survient de non anticipé par lui, pourtant si réfléchi _ d’être indécis et partagé, Elio n’a rien d’un traitor

Car il se trouve, aussi, qu’ici nul des protagonistes _ pas un seul ! _ n’a de mauvaises, ni a fortiori perverses, intentions ! Pas un seul méchant ou salaud…

Même ceux qui sont déçus ou blessés :

tous ceux qui s’expriment à propos de leurs relations inter-personnelles, sont ce qu’on appelle maintenant _ même si je n’aime pas du tout cette expression _ de belles personnes

Et cela agace, voire irrite, certains spectateurs, soucieux de davantage de réalisme cinématographique.

Et reste _probablement pour les faire davantage encore enrager de trop de concentré de beauté ! _,

au dessus de tout, la sublime lumière _ magnifiée par le doigté magique du chef opérateur d’Apichatpong Weerasethakul : Sayombhu Mukdeeprom ! C’est mon amie Marie-José Mondzain (cf le podcast de mon entretien avec elle sur ce livre, le 16 mai 2012) qui me les a fait découvrir et connaître en son Images (à suivre) _ de la poursuite au cinéma et ailleurs _

qui nimbe la luxuriance tranquille des verts paysages de Lombardie _ y compris Bergame et la montagne bergamasque, pour les Alpi Orobie, à la fin du séjour italien d’Oliver, en grimpant vers les cimes, à la montagne… _ en ce si bel été qui va être brutalement interrompu.


Ainsi que l’intérieur du très beau palazzo de la Villa Albergoni, à Moscazzano, dans  la province de Crémone…

Et avant le vespéral paysage de neige de la nuit de décembre, le soir de Hanouka,

à la fin du film…

Le point culminant du film est probablement la double réaction finale _ chacun de son côté, et en deux temps nettement séparés, au mois d’août, puis au mois de décembre _ des deux parents d’Elio :

d’abord, et immédiatement, au mois d’août, le regard et les gestes compréhensifs et très tendres de sa mère (la très belle, et toujours parfaite, sublime, Amira Casar), au moment du départ _ pour jamais ? _ du bel américain, lors du parcours du retour en voiture d’Elio, en larmes _ telle Ariane abandonnée de Thésée à Naxos _, à la maison ;

et plus encore le sublime discours détaillé (et les confidences très personnelles à son fils) de son père, le Professeur Perlman (Michaël Stuhlbarg, d’une splendide humanité !), révélant à Elio, six mois plus tard, en hiver, tout à la fin du film, son admiration _ admiration tue de sa part, il le lui dit, à tout autre que lui, Elio : y compris son épouse Annella… _ pour la chance qu’Elio, lui et au contraire de lui-même, en sa propre jeunesse _, a su _ not too late !!! sur cela, et pour célébrer cette fois le miracle de la naissance d’une amitié (et pas d’un amour), cf en mon Pour célébrer la rencontre rédigé au printemps 2007, ma référence au divin Kairos et à l’impitoyable châtiment (de la main coupée !) infligé à ceux qui (too late !) ont laissé passer leur chance et voulu, mais trop tard, la ressaisir… _ courageusement saisir à la volée _ au contraire de lui-même, donc ; avec les regrets qui lui en demeurent encore maintenant, mais oui !, et il le confie alors, magnifiquement, à son fils _, et lui conseillant d’en tirer (sans amertume ou aigreur, ni oubli _ ou refoulement _ non plus) le meilleur pour la suite de sa vie adulte qu’adviendra-t-il donc de la vie amoureuse future d’Elio ?.. Le film, à très bon escient, en restera là…

Mais des suites viendront, très probablement, dans quelques années : le passage du temps ayant fait son office…


Soit, ici avec ce père intelligent si magnifiquement humain… _ une autre identification possible pour les spectateurs de ce film.

Et je suppose que c’est bien pour faciliter ces diverses identifications des spectateurs à ces divers personnages du film, face à la relative énigme _ qui demeure en grande partie à la fin du film (et à la différence du roman) _ du personnage d’Oliver

_ bien différent en cela de l’ange terrible qu’incarne Terence Stamp dans le brûlant Théorème de Pasolini _,

que,

prenant en mains la réalisation du film,

Luca Guadagnino a choisi de renoncer au procédé du commentaire _ rétrospectif, mélancolique, un peu trop auto-centré sur les regrets du narrateur : passéiste ; à rebours des très vifs effets de présent recherchés en ses spectateurs par le cinéaste !.. _

par une voix-off,

qu’avait d’abord retenu James Ivory !

Et c’est probablement le jeu très précis, subtil et infiniment nuancé _ leur incarnation de ces nuances complexes de leurs personnages est vraiment magnifique ! _ des acteurs

qui produit _ en plus de cette merveilleuse lumière qui nimbe les paysages de l’été italien _ le principal impact,

émotivement très puissant,

de ce si émouvant et si beau film.


La poursuite de ce décryptage par le spectateur de ces images en mouvement que sont un film _ mieux capter chacune de leurs nuances furtives, à l’instar du regard scrutateur et interrogatif d’Elio lui-même _ accroît ainsi

l’urgence d’aller revoir un tel film,

avec un nouveau surcroît d’attention de notre regard

pour le moindre de ses détails qui nous aura échappé…

Tu vois comme je suis gentil.

Parmi les critiques du film que j’ai lues _ aucune de très subtile ni de vraiment fouillée jusqu’ici ; mais je ne m’abreuve probablement pas aux meilleures sources !

Cf cependant celle-ci, par Isabelle Régnier, dans Le Monde du 28 février dernier : « Call Me by Your Name » : entre ombre et secret, l’été amoureux de deux garçons … ;

ou celle-là, quoique un peu trop contournée pour mon goût, par Johan Færber, dans la revue Diacritik du 27 février :  Call Me By Your Name : l’académisme est un sentimentalisme… _,

certaines trouvent au film trop de longueurs ;
alors que, à l’inverse, d’autres se plaignent que le film _ d’une durée paraît-il de 4 heures en sa toute première version _ souffrirait un peu trop des ellipses _ notamment concernant les personnages secondaires _ résultant des coupures opérées au montage pour améliorer le rythme du récit.

Pour ma part, je n’ai éprouvé aucune de ces deux impressions ; et j’ai regardé le film avec une forme d’empathie _ la mienne a priori quand (et puisque) je décide d’aller voir un film, de lire un livre, d’écouter un CD : la critique sera seulement a posteriori ; je me répète… _ pour les divers protagonistes, très humains _ chacun à sa manière… _ de cette intrigue…

Lequel d’entre nous _ qui sommes sexués _ ne tombe pas un jour amoureux ?.. et passera complètement à côté d’émotions questionnantes de ce genre ?..

Ou ignorera complètement les chagrins d’amour ?


Et cela, ici, à la vision de ce film, avec un très grand plaisir : celui de baigner pleinement par le regard dans les parfums, saveurs et couleurs d’une Italie aimée ;

tout en sachant aussi que l’Italie est certes loin de se réduire à ces images idylliques _ ce qui ne manque pas d’agacer, voire irriter, certains des spectateurs du film, jugé par eux trop idyllique…


De même que semblent, malgré tout, encore assez menues, et surtout peut-être réparables, les blessures infligées _ par de tels chagrins _ à la personnalité des principaux personnages, notamment le jeune Elio…

Mais là je suis peut-être un peu trop optimiste…

D’abord, en effet, un premier amour n’a pas de substitut ! Sa marque, oui, indélébile, est et demeure pour toujours la référence…

Ici, je repense, a contrario, à l’humour acéré et absolument terrible de Pasolini (Théorème _ en 1968 _)…
Ou à la verve pleine de charge comique très incisive d’un Fellini (Amarcord _ en 1973 _)…

Mes références _ et alors que je suis d’abord un très fervent antonionien (Par delà les nuages, Identification d’une femme, L’Eclipse, sortis respectivement en 1995, 1982 et 1962…) _ seraient plutôt ici les auras solaires d’un Bertolucci (La Luna _ en 1979 _) ou d’un Rosi (Trois frères _ en 1981 __ qui me comblent aussi ; même si, à la revoyure de ces films, je m’aperçois bien que chacun d’eux et tous comportent une dose très importante de réalisme tragique ; aucun d’eux n’est vraiment idyllique…

Mais le tragique, ici, est d’un autre ordre.

Bref, j’y ai éprouvé du plaisir.
Comme celui pris aux films _ Chambre avec vue, Maurice, Retour à Howard Ends, en 1985, 1987 et 1992… _ de James Ivory : est-ce un hasard ?

Francis

P. s. :

Je viens de lire une interview particulièrement niaise (et donc agaçante) d’André Aciman _ vaniteux, pour aggraver son cas _, dans En attendant Nadeau _ il me faudra lire le roman afin d’être plus juste envers lui !..

Enfin,

existe en audio-livre, la lecture _ en anglais, bien sûr _, par le magnifique Armie Hammer

_ quelle spendide voix ! et quelle merveilleuse lecture ! Quel grand acteur il est donc !!! Et aurait-il pâti jusqu’ici, en sa carrière d’acteur (il est vrai à Hollywood surtout) de sa trop manifeste beauté ?.. Que l’on se donne la peine de revoir la scène magnifique (de 44 ‘) de sa danse presque sauvage, yeux et poings fermés, aux prises peut-être, seul avec quelque fantôme de son histoire, au milieu de la piste du dancing à Crema… ; et que l’on écoute, à côté, ses confidences amusantes (1 et 2) d’acteur sur les circonstances particulièrement « uncomfortable«  pour lui du tournage de cette sublime hyper-sensuelle séquence… _

du roman Call me by your name, d’André Aciman ;

la lecture _ splendide par cette voix si bien timbrée et si juste en ses intonations comme en sa fluidité ! _ dure 7 h 45 _ en existait bien un podcast, mais le lien en a été, depuis ma mise en ligne, effacé !

C’est superbe !

La principale question que pose toute rencontre, surtout, bien sûr, toute rencontre heureuse,

est celle de son devenir, par delà tout ce qui peut la menacer, corroder, ruiner ;

de son suivi, de ses suites ;

de la dynamique _ à inventer davantage qu’à subir _ de sa poursuite-perpétuation-renouvellement d’enchantement…

Et c’est bien ce qu’il y a de terrible

dans le dernier regard _ mouillé, car très probablement se sentant coupable de partir ainsi, sans projet de vraiment revenir bientôt (ou jamais) ; et le sentiment non dilatoire, cette fois, de quelque too late !.. _, dans le compartiment du train _ qui démarre et s’en va _, du personnage d’Oliver en direction du personnage d’Elio ;

Elio, demeuré, lui _ abandonné, telle Ariane à Naxos… _ à quai,

comme plombé, là, par la peine-douleur de cette séparation, sur le quai de cette toute petite gare de Clusone, au pied des Alpi Orobie livré, totalement, là en vrac, à son impuissance d’agir face au train qui imparablement éloigne Oliver vers Milan et les Amériques. Elio (qui va entrer en classe Terminale) n’a pas pu retenir Oliver, qui rentre (sans nul retour ?) chez lui, aux États-Unis, retrouver son travail et sa carrière à l’université, sa famille, ses projets déjà formés, etc. _ ;

et très bientôt en larmes.

Elio, totalement désemparé par cette séparation _ sans remède ? à jamais ? _ d’avec son amant de ces quelques journées volées au reste du monde, 

Elio, va, au téléphone public de cette gare perdue de Clusone _ n’existaient pas encore, en 1983, les telefonini dont vont très vite raffoler les Italiens _, prier sa mère de bien vouloir venir en voiture jusque là _ c’est assez loin de Crema : à plus d’une heure de route… _ le récupérer et le ramener chez eux…

Mais s’ensuivra, encore _ ultime rebondissement du lien (puissant…) entre Elio et Oliver dans le film _ la séquence finale du coup de fil d’Oliver à Elio, le soir de Hanouka, le 6 décembre 1983.

On comprend aussi combien est intelligent le choix

_ de classicisme et de ligne claire : à la française ; et à la Ravel, donc… _

de Luca Guadagnino

d’avoir interrompu à ce moment précis le récit des rapports entre Elio et Oliver,

sans le prolonger sur ce qui les suivra bien plus tard

_ mais ce sera là matière, pour plus tard, pour un ou plusieurs autres films, quand se retrouveront, et en quel état, à l’aune de l’éternité (car tel est là le critère !), Elio et Oliver _,

comme l’a fait André Aciman dans le roman.

C’est bien l’aune de l’éternité, en son impact _ hyper-puissant _ sur les personnages,

qui doit prévaloir

et triompher…

Ce lundi 12 mars 2018, Titus Curiosus – Francis Lippa

 

 

Pour décrypter ce que peut être « un savoir gai » : un travail d’exploration de William Marx

15jan

Pour explorer et décrypter ce que peut être, en sa spécificité et son étrangement  _ qui est ici un substantif _, l’être-au-monde _ toujours en décalage et toujours au moins en léger déport de situation et vision _ d’un homosexuel _ lambda _,

par rapport à la situation et vision majoritaire et dominante des hétérosexuels _ si tant est que généraliser ait du sens : un peu, au moins, probablement ; et aboutisse à ce qui peut, au-delà de l’expression nietzschéenne de « gai savoir« , se nommer authentiquement un « savoir » un tant soit peu efficace et utile _,

vient à point, ce mois de janvier 2018, aux Éditions de Minuit,

Un savoir gai, de William Marx,

en 33 courts et vifs et alertes _ et ardents militants de la cause… _  chapitres, classés par ordre alphabétique (Altérité, Cabinet secret, Communauté _ voilà _, Communion virile, Contingence, Couples, Désastre, Égalité Liberté, Espérance de vie, Esthétique, Étrangement, Évangile, Fascination, Faux départs, Hypersexualisation _ certes ! _, Invisibilité, Libido sciendi, Littératures, Mathématiques, Mimétisme, Modèles, Pédophilie, Permutabilité, Prostitution, Refuges, Scepticisme, Signes et symétrie, Surface/profondeur, Taille _ du pénis _, Terreur, Urgence _ oui ! _, X, Zeus),

et un Préambule _ tout à fait judicieux, et intitulé, lui, Sexe et pensée.

« La sexualité informe ton esprit : elle lui donne forme.

Elle contribue à la singularité _ voilà _ de ton point de vue sur le monde«  ;

Avec encore cette précision informative sur la perspective de ce livre, page 9 :

« Ce n’est pas tout le sexe qui sera pensé ici, ni tout le sexe qui pensera.

Plutôt la partie désir _ voilà _ de la vie sexuelle,

la façon dont elle informe _ et forme aussi, en le dé-conformant du modèle majoritaire dominant _ l’individu, et dont elle l’informe sur le monde. Sur la culture et sur la société en particulier.

La sexualité implique un rapport particulier au vrai, au beau, au bien ;

autrement dit une épistémè, une esthétique, une éthique, une politique« .

… 

Avec pour conséquence que, page 10 :

« cette différence _ celle qui « t’a fait naître ou devenir amant de ceux de ton propre sexe » et qui « te sépare du plus grand nombre« est le levier _ voilà _ par lequel tu mettras en évidence l’imbrication _ oui _ du sexuel et de l’intellectuel. Toute connaissance _ et tout « savoir« , donc _ t’arrive transformée par cette orientation différente«  ;

si bien que, « à tout prendre, tu prétends davantage expliquer _ ici même _ aux hétérosexuels l’hétérosexualité _ qui, bien trop évidente, leur demeure impensée _ par le simple jeu des différences : on ne se connaît singulier que par la comparaison.

Le monde autour de soi est tellement univoque que les hétérosexuels n’ont guère l’occasion _ quant à eux _, à moins de la chercher, de se confronter à l’altérité« .

Et, page 11 :

« pour _ enfin un peu _ savoir il fallait d’abord ignorer, être perdu, désorienté _ et s’en apercevoir, le découvrir, en prendre peu à peu ou soudain conscience.

La note fondamentale de ton expérience, c’est _ donc _ l’étrangement »…

Et qui, pour le lecteur que je suis,

vient prolonger _ mais sur un tout autre mode d’écriture : analytique et disons sociologique, ici ; assez loin d’une investigation de la singularité idiosyncrasique (et littéraire) de l’auteur ! _ ce que j’ai pu découvrir et apprendre ces six derniers mois, en parcourant de fond en comble l’œuvre autobiographique passionnant à décrypter de René de Ceccatty,

à commencer, tout particulièrement, par cet extraordinaire et sidérant récit très détaillé, publié en septembre 1980 aux Éditions de la Différence, qu’est Jardins et rues des capitales, dont les trois chapitres s’intitulent respectivement : Hugues, Jacques ; Samuel en Samantha ; et Roma-Fanfilù _ une entreprise probe et courageuse de lucidité comme il en existe bien peu. Un chef d’œuvre !!!

Voir là-dessus mon article de synthèse, le 12 décembre dernier, sur Enfance, dernier chapitre : Lire, vraiment lire, ce chef d’œuvre qu’est « Enfance , dernier chapitre », de René de Ceccatty (et au-delà : à propos de tout l’œuvre autobiographique de René de Ceccatty) ;

et écouter le podcast de notre entretien sur ce merveilleux livre, tout de singularité, ainsi que sur la traduction de la Divine Comédie de Dante. 

L’entreprise, ici, de William Marx, a en effet d’abord et surtout, me semble-t-il,  une visée défensive de ce que je nommerai la communauté homosexuelle,

et cela en un temps d’offensives virulentes d’homophobie _ par exemple de la part de la-dite « manif’ pour tous«  à l’égard de ce qui a été nommé « le mariage pour tous« 

William Marx n’aborde pas frontalement ses expériences personnelles _ car tel n’est pas l’objet de son livre _ même s’il lui arrive, à l’occasion, de le faire : quand il s’agit de prendre des exemples précis…

En son important et fort intéressant chapitre « Scepticisme » (pages 139 à 142),

qui débute par ces phrases :

« Longtemps tu n’as pas su que tu étais gai.

Du moins en as-tu douté voilà _, alors même que tu as toujours été attiré par les jeunes gens un peu plus âgés que toi. Tu voulais les imiter dans leur façon de s’habiller. Tu cherchais les occasions de voir des corps masculins nus. Leurs organes sexuels te fascinaient. Par ailleurs, tu n’éprouvais aucun de ces sentiments à l’égard des jeunes filles et des femmes, qui te laissaient indifférent.

Pour autant, tu ne croyais pas _ voilà _ que ton attirance pour les hommes et les jeunes gens fût en rien sexuelle _ mais seulement pré-sexuelle, en quelque sorte. A tes yeux _ voilà _, cette attirance montrait justement que tu n’étais pas encore entré dans le monde _ actif et pragmatique _ de la sexualité, avec ses désirs et ses besoins _ efficients _ propres«  ;

et d’ajouter même, à la page 140 :

« Il n’est pas impossible que cette conviction ait _ carrément _ freiné l’épanouissement de ta sexualité physiologique. Tu ne découvris en effet la masturbation que vers la fin de ta dix-septième année _ en 1983 _, bien que tu en connusses l’existence théorique _ livresque seulement _ justement par ce livre d’éducation sexuelle _ que ses parents lui avaient en effet offert « vers l’âge de onze ou douze ans », soit dès 1977 ou 78. Mais tu ne savais pas comment procéder _ dans la pratique effective de la chose _ malgré tes efforts (…), et puis sans doute ce besoin organique ne se manifestait-il pas avec suffisamment de force pour t’obliger à trouver la solution ; celle-ci ne t’apparut que fort tard, donc » ;

au point même d’avoir cru « que ce retard _ physiologique _ était dû à ta suractivité intellectuelle, au fait que ta vie disparaissait tout entière dans les livres que tu lisais avec boulimie, arrêtant ainsi _ rien moins ! _ ton développement physiologique. »

Et ce n’est qu' »une fois découvert _ un peu plus tard _ le plaisir sexuel » que « tu sus alors fort bien que ton désir te portait vers ceux de ton sexe, puisque c’étaient les seuls _ par contre-épreuve _ qui excitassent ta sensualité. Mais longtemps _ encore _ tu n’osas croire à la réalité et au caractère définitif _ voilà le principal point d’incertitude alors _ de ton propre désir. (…) Tu pensas longtemps _ encore, par conséquent _ que ton développement sexuel _ normal, attendu : selon les normes du manuel de sexualité qui faisait autorité ! _ ne se terminerait pas là et que tu finirais par aimer les femmes. »

en son important et trés intéressant chapitre « Scepticisme« ,

William Marx narre, en effet, alors, page 140-141, un épisode charnière de sa vie affective et sexuelle, survenu en 1988, alors qu’il avait 22 ans, et qui allait asseoir enfin la conviction de son orientation sexuelle :

« A l’âge de vingt-deux ans _ en 1988, donc _, je voulus voir ce que donnerait l’amour avec une femme : l’acte fut accompli, at par deux fois même, mais sans désir et sans plaisir particulier.

Ce fut la preuve que tu attendais : tu n’aimais et n’aimerais jamais que des hommes, et tu en pris ton parti. Tu crus enfin en ton désir _ au-delà de ce qui pouvait n’apparaître que comme un pur et simple fantasme.

Ta vision du monde en fut _ totalement _ changée. Quelques semaines plus tard _ en 1988, donc _, tu déclaras ta flamme à celui _ Erwann ? _ qui deviendrait le compagnon de ton existence _ pour un moment ? pour jamais ? l’auteur ne le précise pas _ et autour duquel tu tournais depuis de longs mois déjà.« 

Avec ces bien intéressantes déductions, à la page 141 :

« Pour toi, l’apprentissage de la sexualité gaie coïncida avec celui d’un scepticisme généralisé. 

Scepticisme à l’égard de mon propre désir, d’abord, auquel tu n’osais pas accorder ta confiance.

Scepticisme à l’égard des discours, ensuite. De tous les discours, de tous les maîtres, même les plus autorisés ou, plus exactement, surtout ceux-là, c’est-à-dire ceux qui prétendent dicter ta vie : maîtres et discours politiques, religieux, philosophiques, scientifiques, dont, même si certains peuvent t’attirer, tu te sens toujours séparé, comme par une cloison mince quoique infranchissable. A la base de tout discours sur le monde, tu perçois _ du fait de cet étrangement de cette homosexualité hors normes dominantes ? _ une illégitimité. Tu te méfies des autorités. Tu te méfies des théories, de toutes les théories.

Mais tu te méfies également de toi-même, de ce que tu peux penser _ réduit ainsi à l’incertitude foncière et sans fond et sans fin du croire : sans jamais parvenir à la légitimité d’un savoir objectivement assuré.

Tu n’es pas certain de détenir une vérité.

A chaque phrase que tu écris, tu voudrais apporter un correctif, une concession _ à la Montaigne (« tant qu’il y aura de l’encre et du papier au monde« ), à la Proust, à la Shakespeare _,

parfois même écrire la phrase inverse.

Ecrire, c’est s’engager dans une instabilité profonde : tu dois croire au moins un instant à ce que tu penses pour pouvoir l’écrire.

Or pour toi le moteur de l’écriture réside au contraire dans la méfiance _ oui : le doute actif _ à l’égard de ce qui est jeté sur le papier, dans le besoin d’ajouter _ voilà ! _ pour corriger et compléter _ les deux !! _ ; et ainsi avance _ en effet ! _ le texte _ la ligne, la phrase, la page _, parce que, tu en as le sentiment profond, aucune phrase ne dit jamais _ à elle seule _ la vérité _ même celle-ci.« 

Je veux aussi m’arrêter aux remarques du chapitre « Terreur » (aux pages 153 à 155),

rédigées à l’occasion d’un rêve, ou plutôt un cauchemar, la nuit du 29 novembre 2015 :

« la date importe« , souligne William Marx en ouverture du chapitre, page 153 _ rappelant, à la page suivante, les « terroristes du 13 novembre 2015, quinze jours plus tôt » que ce cauchemar : « les terroristes de novembre ont pris ton inconscient en otage : tu découvres qu’il y a, tapie au fond de toi, la peur d’être visé en tant que gai, parce que gai«  _ ;

en voici le détail :

« Rêve cette nuit (29 novembre 2015 _ la date importe). Dans un paquebot, avec les officiers du commandement. (…) Tu te rends compte que tout l’équipage est gai. Un sentiment de familiarité _ communautaire, William Marx y revient à d’autres reprises, notamment à propos des sentiments (à la fois rassurants et euphorisants) que suscite en lui la Gay Pride, en son chapitre « Communauté«  (pages 27 à 30) _, de connivence, de joie tendre, d’excitation t’envahit.

Mais tu n’as pas le temps de profiter de ce bonheur. Tout à coup, les lumières s’éteignent au fond de la salle, puis de plus en plus près de toi, comme si des rangées de néon étaient mises successivement hors circuit. Tu entends des cris angoissants. L’ombre s’avance vers toi.  Elle va bientôt tout recouvrir. Au dernier moment, sur le point d’être atteint par la nappe d’obscurité, tu vois dans le noir une silhouette masquée poignarder _ voilà _ chaque participant à la fête, l’un après l’autre. Elle se précipite sur le nouveau commandant et son copain, les assassine, avance vers toi et te donne un coup de couteau dans le ventre. Tu te réveilles.

Le récit de ce rêve, que tu te lis, te terrorise encore.


Tu y trouves beaucoup d’échos
_ en tant que « restes diurnes » du rêve… _ de la journée précédente, où tu avais écrit un texte comparant la Cité radieuse de Le Corbusier _ à Marseille : ville portuaire… _ à un paquebot sans commandement ni équipage ; tu y évoquais le souvenir d’un bal masqué organisé sur le toit-terrasse. La veille au soir, tu avais également aperçu au théâtre _ à Marseille, aussi ? _ le beau Tancrède avec son copain, assis juste derrière toi. Tout ce vécu du jour d’avant explique parfaitement le rêve _ jusqu’à la scène finale exclusivement.

A partir de ce moment,

le rêve a associé spontanément la vie gaie _ ainsi donc raisonne, en cet essai, William Marx ; à la différence, me semble-t-il, de René de Ceccatty, en ses récits autobiographiques ; qui sont en permanence seulement au singulier, eux ; à l’exclusion de considérations communautaristes de quelque sorte que ce soit, y compris sexuelles… _

à la menace homophobe _ très vivement ressentie par William Marx _,

aux terroristes du 13 novembre 2015, quinze jours plus tôt,

à la Troisième Intifada (celle des couteaux),

et il a tourné instantanément au cauchemar.

La perception d’un bonheur gai idéal a créé d’elle-même son négatif, cédant la place à un sentiment de terreur.

Ce songe effrayant te révèle une peur que tu croyais ignorer : sans que tu t’en rendes compte, tu as assimilé confusément l’idée d’une menace _ générale _ planant sur les gais _ pris en tant que communauté. La terreur a gagné à ton insu. Le sentiment d’insécurité triomphe alors même que tu ne te savais pas en danger. Les terroristes de novembre ont pris ton inconscient en otage : tu découvres qu’il y a, tapie au fond de toi, la peur d’être visé en tant que gai, parce que gai.

Tu te souviens d’un soir dans ton quartier _ je suppose à Paris, cette fois, et non plus à Marseille _, il y a quelques années, où tu rentrais du cinéma en compagnie d’Erwann _ le compagnon de William Marx. Il était tard, il n’y avait personne, croyiez-vous, et vous vous teniez par la main. Tout d’un coup, dans le noir, des cris, des insultes : c’était un groupe de jeunes au fond de la rue, que vous n’aviez pas vus. Vous vous êtes lâché la main, vous avez pressé le pas, vous vous êtes demandé s’ils allaient vous poursuivre. C’était en plein Paris _ voilà.

Il y a toujours pour les gais _ du moins identifiés et repérés comme tels : sortis du placard… _, dans le noir, une menace _ de mort ! _ qui rôde, invisible, prête à surgir au dernier moment, à l’instant où ils s’y attendent le moins« …

Avec ces remarques de conclusion du chapitre, page 155 :

« Au cas où vous l’oublieriez, il se trouve toujours des gens de haute moralité _ et d’extrême et totale et parfaite bonne conscience d’eux-mêmes, et d’un déchaînement de haine proprement hallucinant : les haineux sauvages bon chic bon genre de la manif pour tous ! Jamais je n’avais vu dans des regards et entendu proférer dans des cris tant de haine qu’en croisant, par hasard, leur manifestation, place Gambetta, à Bordeaux ! Cf aussi le merveilleux portrait du Tartuffe de Molière… _ pour vous rappeler que vous vivez sous un régime d’excessive _ pour la parfaite suffisance fermée de leur absolue bonne conscience ! _ tolérance : ils défilent parfois sous des bannières à la gloire de la famille dite traditionnelle.

Tu as presque hont d’écrire cela en France aujourd’hui, dans cette ville et ce pays où deux hommes ou bien deux femmes peuvent se marier devant madame ou monsieur le maire, où chacun peut vivre sa sexualité plus librement que presque partout ailleurs dans le monde. Tu l’écris comme soulagé d’avoir échappé _ provisoirement du moins ; mais le limes ressenti demeure ineffaçable : il fonctionne comme avertissentent envers la menace des haineux : ah les excellents paroissiens ! _ à la traque, avec l’espoir que le cauchemar ne reste qu’un cauchemar.

A ta grande surprise la peur t’a rattrapé« .

Un regard assurément très intéressant.

Je dois cependant encore un peu affiner, compléter, corriger à la marge mon commentaire de ce très intéressant essai de William Marx ;

notamment commenter son excellente expression de « myriade de décalages », à propos de ce qu’il nomme « l’existence gaie », aux pages 27 -28 (dans la rubrique « Communauté ») :
pour lui, « un gai » n’est pas « qu’un homme qui aime les hommes en lieu et place des femmes, et rien de plus. Comme si cette différence était du même ordre qu’une préférence alimentaire ou esthétique. (…) Comme si cela n’engageait pas une myriade de décalages _ voilà _ qui font de cette vie tout autre chose que la vie d’un amateur de polars, de jaune canari ou de poires conférence ».
 
Ainsi, élargissant son éloge du jour de la Gay Pride, dit-il aussi, et là je tique un peu : « Tu ne diras jamais assez l’importance des amis gais. Tu en as d’hétérosexuels, bien sûr, et qui savent que tu es gai. Pourtant la communion _ voilà un terme qui me gêne _ ne sera jamais aussi complète _ quel étrange idéal ! _ qu’avec des gais, quand les sous-entendus et les implicites partagés autorisent la compréhension parfaite _ tiens donc ! _, celle qui n’a pas besoin de mots _ halte là ! _ et se contente d’un rire ou d’un regard complice _ c’est commode, mais c’est aussi assez superficiel, et ce peut être lourd de mé-compréhensions : pour ma part, je me méfie beaucoup de ce qui prétend faire l’économie du dicible et faire l’éloge de l’ineffable. Toute zone d’ombre a alors disparu : vous vivez alors, le temps d’une soirée, dans une transparence nouvelle _ vraiment ? _, celle-là même dont vous avez soif _ vraiment ? cette idée ne m’agrée pas du tout : ni l’amour vrai, ni l’amitié vraie n’ont pour but la transparence ou la fusion : seulement l’entente profonde de l’autre en son altérité (aimée et respectée, et en partie, mais dans la différence de l’altérité (aimée) de l’autre, partagée) _ le reste du jour et de la semaine. Ces moments-là sont délicieux. Les amis ont beau t’être chers, ce ne sont que des amis _ ah ! bon ! _, peu nombreux, triés sur le volet _ comme si faire nombre était ce qui importait ici à l’affaire ! Non ! La Gay pride, c’est la société tout entière. Elle en donne du moins l’illusion _ ici un éclair de lucidité… (…) Ce jour-là et lui seul, tu fais corps _ tiens donc ! _ avec autrui _ quelle illusion ! _, simplement, directement, totalement, comme le font _ tiens donc ! _ sans le savoir _ qu’est ce que cela peut-il donc être ? _ les hétérosexuels. (…) La vraie joie (…) est celle d’avoir aboli le limes qui te séparait du mondeComme s’il s’agissait d’être majoritaire… Cela me rappelle l’expérience forte et inoubliable (tout, et partout, dansait !!!) des fêtes de Pampelune (au terme de ma première année d’enseignement à Bayonne, au mois de juillet 1972, avec un ami basque, décédé depuis) : un très gai luron ! Sur la fête, lire les percutants et décapants Essais de Philippe Muray.
D’autre part, cette « myriade de décalages » de la part des écrivains qui me plaisent tout spécialement, et que je trouve chez certains écrivains ouvertement homosexuels, tels un Christopher Isherwood (par exemple en Un Homme au singulier) ou un E. M. Forster (par exemple en Maurice) ;  je la trouve aussi chez certains _ mais pas tous _écrivains juifs, tel un Joseph Roth (par exemple en La Marche de Radetsky ou La Crypte des Capucins), ou un Philip Roth (par exemple en Patrimoine, ou  Ma vie d’homme) ; et chez certains écrivains noirs, tel un Percival Everett (en Blessés ou Effacement). En chacun de ces regards d’écrivains, c’est la singularité de ces « myriades de décalages » qui est proprement irremplaçable à suivre et découvrir, et passionnante à partager…

Titus Curiosus – Francis Lippa, ce lundi 15 janvier 2018

Le courage de « faire monde » (face à la banalisation esseulante du tout sécuritaire) : un très beau travail d’anthropologie à incidences politiques de Michaël Foessel

22avr

Comme pour poursuivre le questionnement (et l’analyse !) sur les manières de résister _ intelligemment et efficacement ! _ aux ravages civilisationnels de l’étroitesse utilitariste _ dictatoriale ! subrepticement totalitaire ! _ du néolibéralisme

_ cf mon article précédent « Penser le post-néolibéralisme : prolégomènes socio-économico-politiques, par Christian Laval«  à propos de la conférence de Christian Laval « Néolibéralisme et économie de l’éducation« , mercredi dernier à la librairie Mollat _,

voici que paraît ce mois d’avril 2010, sous la plume de l’excellent Michaël Foessel _ l’auteur du lucidissime, déjà, La Privation de l’intime, aux Éditions du Seuil en 2008 : le sous-titre en était : « mises en scènes politiques des sentiments«  : un travail déjà très important et magnifique !.. _ un passionnant et très riche (en 155 pages alertes, nourries et incisives !) État de Vigilance _ Critique de la banalité sécuritaire,

aux Éditions Le Bord de l’eau (sises _ après Latresne… _ à Lormont, sur les bords de la Garonne…),

et dans une collection, « Diagnostics« , que dirigent nos judicieux collègues bordelais Fabienne Brugère et Guillaume Le Blanc…

L’ouverture d’esprit ainsi que le champ d’analyse _ et de culture :

principalement philosophique : de Hobbes, excellemment « fouillé«  (entre Le Citoyen et Léviathan), à Hannah Arendt (La Crise de la culture) ou Hans Blumenberg (Naufrage avec spectateur, paru en traduction française aux Éditions de L’Arche en 1994) et Wendy Brown (Les Murs de la séparation et le déclin de la souveraineté étatique), ainsi que, et surtout, les dernières leçons au Collège de France de Michel Foucault (par exemple Naissance de la biopolitique, ou L’Herméneutique du sujet ; et aussi La Gouvernementalité, en 1978, disponible in Dits et écrits…) ;

mais pas seulement : cf, par exemple, la mise à profit par Michaël Foessel du tout récent et important travail de la juriste Mireille Delmas-Marty : Libertés et sureté dans un monde dangereux ; ou de celui du Prix Nobel d’économie Amartya Sen, in le rapport de l’ONU paru en 2003 La Sécurité humaine maintenant…) _

l’ouverture d’esprit ainsi que le champ d’analyse

de Michaël Foessel, n’ont, Dieu merci !, rien d’étroit ; ni de mesquin, d’avare 

Non plus que sa sollicitude _ passablement inquiète (sinon « vigilante«  !..), sans être excessivement dramatisée, voire hystérisée, cependant : à la différence des rhétoriques (sécuritaires) excellemment mises en lumière et critiquées ici, en leur banalisation même, à renfort quotidien, laminant, de medias et de communiquants, d’un « catastrophisme«  très complaisamment et non innocemment surjoué, lui !.. _

non plus que sa sollicitude, donc,

à l’égard de la santé de la démocratie et du « vivre ensemble » en notre histoire collective (sociale, économique, politique) désormais globalisée _ d’où l’expression du titre de cet article : « faire monde » !

La quatrième de couverture de État de Vigilance _ Critique de la banalité
sécuritaire
énonce ceci (avec mes farcissures ! si l’on veut bien…) :

« Nous vivons sous le règne de l’évidence _ à la fois matraquée par les medias et les divers pouvoirs ; mais aussi largement assimilée (et partagée) par bien des individus (je n’ose dire « citoyens« , tant ils se dépolitisent et « s’esseulent« …), qui y adhérent, donc, en nos démocraties… _ sécuritaire. Des réformes pénales _ telle « la loi sur la « rétention de sûreté » adoptée par le Parlement français en février 2008 » (cf page 51)… _ aux sommets climatiques en passant par les mesures de santé : l’impératif _ normé _ de précaution a envahi nos existences. Mais de quoi désirons-nous tant _ voilà la dimension anthropologique fondamentale que dégage magnifiquement le travail d’analyse, ici, de Michaël Foessel _ nous prémunir ? Pourquoi la sécurité produit-elle _ de fait, sinon de droit, en ces moments-ci de notre histoire contemporaine… _ de la légitimité _ socialement, du moins _ ? Et que disons-nous lorsque nous parlons _ ainsi que le relève aussi Mireille Delmas-Marty _ d’un monde « dangereux » ?

Le maître mot de cette nouvelle perception du réel est « vigilance » _ à laquelle sont expressément et en permanence « invités« , en leur plus grande « liberté«  (d’individus), et au nom du plus élémentaire « bon sens« , les membres de nos sociétés, au nom de leurs plus élémentaires (toujours : nous sommes là et demeurons dans le plus strict « basique«  ! du moins, apparemment !..), au nom de leurs plus élémentaires intérêts : « vitaux«  !.. Rien de plus « rationnel« , en conséquence !!!

L’état _ permanent : sans cesse (obligeamment !) rappelé : on s’y installe et on le réactive d’instant en instant le plus possible… _ de vigilance s’impose _ ainsi : avec la plus simple (et douce) des évidences ! « naturellement« , bien sûr ! _ aux individus non moins qu’aux institutions : il désigne l’obligation _ bien comprise ; mais non juridique ! _ de demeurer sur ses gardes _ apeuré _ et d’envisager le présent _ en permanence, donc _ à l’aune des menaces _ de tous ordres, et fort divers : Michaël Foessel en analyse quelques unes ; ainsi que l’effet (incisif) de leur conglomérat (pourtant composite : en réciproques contagions)… _ qui pèsent sur lui.

Cette éthique de la mobilisation _ apeurée, donc _ permanente _ voilà : à coup d’« alarmes«  et de « conseils de précaution«  (préventifs et réitérés) des plus aimable : du type « à bon entendeur, salut !«  _ est d’abord celle du marché _ tiens donc ! mais rien n’est gratuit en ce bas monde : tout a un « coût« , n’est-ce pas ?.. : la première évidence, et normative, est donc, par là, marchande ! _, et ce livre montre le lien entre la banalité sécuritaire et le néolibéralisme _ c’est là le point capital. Abandonnant le thème _ bien connu, lui ; et assez bien balisé _ de la « surveillance généralisée », il propose _ plus profondément et plus originalement _ une analyse des subjectivités vigilantes _ apeurées contemporaines : ce sont elles les acteurs-fantassins du premier « front«  On découvre la complicité _ politico-économico-sociétale _ secrète entre des États qui rognent _ oui ! en leur forme d’« État libéral-autoritaire«  : analysé dans le chapitre 1 du livre : « L’État libéral-autoritaire« , pages 27 à 55 : une analyse décisive !!! _ sur la démocratie _ voilà ! et l’enjeu est de taille !!! _ et des citoyens qui aiment _ voilà _ de moins en moins _ en effet _ leur liberté _ eh ! oui ! au profit du fantasme de leur « confort«  désiré, mis à mal (par toutes ces « inquiétudes«  !), mais encore moins satisfait ainsi : de plus en plus rabroué !!! au contraire…

L’équilibre (par définition instable : la dynamique de ce dispositif est conçue et voulue ainsi ! en spirale vertigineuse) des pratiques et de discours (rhétoriques) et de pouvoir bien effectif, lui (avec espèces bien sonnantes et bien trébuchantes à la clé !), des communiquants amplement mis à contribution et des détenteurs du pouvoir politique (ainsi qu’économique : mais ils sont en très étroite connexion, collusion) en direction du « public«  (des individus : chacun esseulé dans sa peur) ciblé se situe et se maintient (et cherche à s’installer et durer) en ce schéma mouvant et émouvant (affolant…) : dans la limite, à bien calculer-mesurer, elle, du supportable… Les élections et les sondages d’opinion (d’abord) en fournissant d’utiles indicateurs pour les pilotes décideurs et acteurs « à la manœuvre« 

L’État libéral-autoritaire produit _ ainsi _ des sujets _ assujettis, tout autant que s’assujettisant (d’abord, ou ensuite, ou en couple : comme on préfèrera), ainsi « manœuvrés«  en leurs affects dominants… _ et des peurs qui lui sont adéquats. C’est à cette identité nouvelle entre gouvernants et gouvernés qu’il faut apprendre à résister« 

_ par là, l’intention de ce livre-ci de Michaël Foessel rejoint le souci (de démocratie vraie !) qui animait aussi Christian Laval en sa conférence de mercredi dernier : Néolibéralisme et économie de la connaissance ; ou en son livre avec Pierre Dardot : La Nouvelle raison du monde

Personnellement, j’ai beaucoup apprécié le passage d’analyse de la curiosité, pages 127 à 131 d’État de Vigilance _ à l’ouverture du chapitre 4 et dernier, intitulé « Cosmopolitique de la peur ? » (et explorant de manière très judicieuse « l’hypothèse d’une historicité de la peur«  : l’expression se trouve page 123) _ à partir d’une lecture fine de l’article « Curiosité«   de Voltaire dans l’Encyclopédie : à contrepied de l’interprétation par Lucrèce, au Livre II de De la nature des choses, de ce qui va devenir, à partir de lui, le topos du « naufrage avec spectateur« …

« Aussi longtemps que la sécurité a été une caractéristique de la sagesse et non une garantie politique, la peur était définie comme une faute imputable à l’ignorance. Dans la célèbre ouverture du livre II de son poème, Lucrèce présente ainsi le plaisir qu’il peut y avoir à se sentir en sécurité lorsque tout, autour de soi, s’effondre :

« Douceur, lorsque les vents soulèvent la mer immense,

d’observer du rivage le dur effort d’autrui,

non que le tourment soit jamais un doux plaisir

mais il nous plaît de voir à quoi nous échappons. »

Le sage jouit de savoir que sa position n’est pas menacée. Devant le spectacle de la tempête, il ne ressent pas de peur, précisément parce que sa sagesse est ataraxie, tranquillité et constance de l’âme. Il n’y a rien dans ce sentiment du spectateur face à la violence des flots qui ressemble à la « pitié » des modernes : le philosophe antique n’éprouve aucune émotion à contempler les malheurs d’autrui. La pitié est une passion démocratique _ en effet ! _, puisqu’elle suppose l’égalité entre celui qui souffre et le témoin de sa souffrance.

A l’inverse, Lucrèce chante ici la hauteur _ d’âme _ du sage _ épicurien, matérialiste _ qui sait qu’il n’existe pas de Providence _ rien que le jeu de la nécessité et du hasard, avec le clinamen _, et que la colère des Dieux ne peut pas s’abattre sur la Terre. Le philosophe est préparé à l’agitation du monde parce que son savoir le prémunit _ en son âme : en ses affects _ des désordres _ du réel des choses _ qui se laissent expliquer par le mouvement nécessaire des atomes. Son rapport contre la peur est de nature scientifique, construit avec la théorie d’Épicure.

Hans Blumenberg _ en son Naufrage avec spectateur _ a montré que l’histoire de cette image _ du naufrage avec spectateur »  » _ était aussi celle des rapports entre la raison _ voilà : en ses diverses acceptions : plus ou moins calculantes ; plus ou moins utilitaristes… _ et ce qui, dans le monde, est inquiétant. « Le naufrage, en tant qu’il a été surmonté, est la figure d’une expérience philosophique inaugurale » _ écrit Blumenberg, page 15 de ce livre (paru aux Éditions de l’Arche en 1994). La force de cette métaphore réside dans l’opposition entre la terre ferme (où l’homme établit ses institutions _ à peu près stables _ et fonde ses savoirs _ avec une visée de constance _) et la mer comme « sphère de l’imprévisible ». L’élément liquide symbolise le danger puisqu’il échappe aux prévisions, en sorte que le voyage en pleine mer permet de penser la condition humaine dans ce qu’elle a d’effrayant _ dans l’augmentation du risque de mortalité effective. Dans tous les cas, surmonter l’expérience du naufrage suppose de le « voir » du rivage, et de ne pas craindre pour sa vie _ ainsi qu’on l’a évoqué plus haut _ ce fut pages 89 à 91 _, ce sera encore le modèle de Kant dans son analyse du sublime

_ au § 28, Ak V, 261-263 de la Critique de la faculté de juger :

« il importe à Kant que le sublime soit autre chose qu’une épreuve du désastre pour que le déchaînement de la nature devienne l’occasion d’une prise de conscience d’une faculté qui, en l’homme, excède toute nature : sa liberté« , page 90 d’État de Vigilance.

Et Michaël Foessel poursuit alors : « A l’abri de la violence qu’il contemple, le sujet découvre en lui « un pouvoir d’une toute autre sorte, qui (lui) donne le courage de (se) mesurer avec l’apparente toute-puissance de la nature« . La liberté est cette faculté qui situe l’homme à la marge _ voilà ! _ du monde, en sorte qu’il n’a rien à craindre des tumultes naturels. Mais pour que le sujet puisse s’apercevoir _ voilà encore ! _ de sa liberté, il faut qu’il se sente en sécurité et que sa peur ne se transforme pas en angoisse«  _ une distinction cruciale, que Michaël Foessel reprendra plus loin, page 143, à partir de la distinction qu’en fait Heidegger.

Et pour montrer, page 145, avec Paolo Virno, en sa Grammaire de la multitude _ pour une analyse des formes de vie contemporaines, que « la ligne de partage entre peur et angoisse, crainte relative et crainte absolue, c’est précisément ce qui a disparu«  ; et que « c’est plutôt à l’« être au monde » dans son indétermination _ la plus vague qui soit : « Qu’est-ce que j’peux faire ? j’sais pas quoi faire…« , chantonnait en ritournelle la Marianne (confuse…) du Ferdinand de Pierrot le fou, de Godard, sur l’Île de Porquerolles, en 1965 _, c’est-à-dire à la pure et simple exposition à ce qui risque _ voilà _ d’advenir ou de disparaître _ les deux unilatéralement négativement… _, que renvoient les peurs angoissées _ voilà leur réalité et identité (hyper-confuses !) clairement déterminée ! _ du présent.« 

Avec cette précision décisive encore, toujours page 145 : « Les discours de la « catastrophe », une notion qui tend à se généraliser bien au-delà des phénomènes naturels, enveloppent nos craintes d’une aura de fin du monde. Apocalypse sans dévoilement _ et pour cause ! en une (hegelienne) « nuit où toutes les vaches sont noires«  _, la catastrophe devient la figure du mal sous toutes ses formes _ mêlées, emmêlées _ : injustice, souffrance et faute. Les théories de la « sécurité globale » se fondent précisément sur la généralisation _ indéfinie autant qu’infinie _ de ce modèle à toutes les formes d’insécurité, comme s’il n’y avait d’autre moyen d’envisager la résistance du réel qu’à l’aune de son possible effondrement« _ tout fond « cède« … : aux pages 145-146 ;

Michaël Foessel ne se réfère pas aux analyses de Jean-Pierre Dupuy ; par exemple Pour un catastrophisme éclairé

Fin ici de l’incise ouverte avec la référence au « sentiment de sécurité«  comme condition de l’expérience du « sentiment de sublime«  selon Kant ; et les remarques adjacentes sur l’opportunité de la distinction « peur« /« angoisse«  ; et le « catastrophisme« … Et retour aux remarques sur la « curiosité«  et la démarcation de Voltaire par rapport à Lucrèce, aux pages 125 à 128 du chapitre « Cosmopolitique de la peur ?« 

« C’est dans la modernité que l’on procède à une réinterprétation radicale de la métaphore du « naufrage avec spectateur » ; donc du statut anthropologique de la peur«  _ soit le centre de ce livre décidément important qu’est État de Vigilance _ Critique de la banalitésécuritairePour les penseurs des Lumières, il n’est plus question de valoriser la distance indifférente du spectateur, car celle-ci suppose une quiétude qui ressemble trop _ par son statisme, son inertie ; et son anesthésie doucereuse _ à la mort. Désormais, la vie est perçue comme ce qui reste _ bienheureusement ! _ en mouvement _ vital ! pardon de la redondance ! _ grâce à ce qui risque de lui être fatal : le danger devient une dimension positive _ dynamisante _ de l’expérience«  _ se construisant pour sa sauvegarde nécessaire : page 126. « En conséquence, il faut réhabiliter les passions qui, d’une manière ou d’une autre, ont toujours été la source _ nourricière, féconde, fertile _ de ce qui s’est fait de grand dans le monde«  ; et donc « il faut désormais s’intéresser à ce qui se passe sur le bateau afin d’éviter qu’un naufrage se reproduise _ le réel étant répétitif jusque dans ses accidents les plus rares (= un peu moins fréquents, seulement…) : commencent alors à prospérer les statistiques (par exemple dans la Prusse de Frédéric II) : Kant ne manque pas de le remarquer en ouverture de son article crucial Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, en 1784…

« C’est pourquoi Voltaire réinterprète l’image du naufrage avec spectateur dans l’article « Curiosité » de l’Encyclopédie » : « C’est à mon avis la curiosité seule qui fait courir sur le rivage pour voir un vaisseau que la tempête va submerger ! »

Le sentiment de sécurité du sage est contredit par un affect universel : le désir de savoir de quoi il retourne dans les catastrophes. Pour Lucrèce, un naufrage n’est jamais que le résultat d’un mécanisme naturel qui affectait par hasard les hommes. Pour l’éviter, il convenait donc surtout de ne pas prendre la mer _ liquide et mobile : éviter le risque de ce danger ; voire le fuir : en s’abstenant de courir le risque : « mieux vaut changer ses désirs que l’ordre du monde« , hésitait (et balançait…) encore un Descartes (avec un plus entreprenant « devenir comme maître et possesseur de la Nature« , en 1637 (en son « Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences« )… _, et de demeurer sur la terre ferme _ solide et davantage stable _ décrite par la physique épicurienne. A l’inverse, le penseur des Lumières s’intéresse aux naufrages parce qu’ils atteignent ce qu’il y a de plus noble _ voire héroïque _ en l’homme : son désir _ faustien (cf tout ce qui bouge entre le Faust de Christopher Marlowe en 1594, pour ne rien dire de celui de l’écrit anonyme Historia von D. Johann Fausten, publié par l’éditeur Johann Spies, en 1587, et le Faust de Goethe…) _ de dépasser ses limites en apprivoisant _ = « s’en rendre comme maître et possesseur« , dit, à la suite d’un Galilée (« la Nature est écrite en langage mathématique« ), un Descartes, en 1637, donc : les dates ont de l’importance… _ la nature. Dès lors, il faudra se demander comment prendre la mer (c’est-à-dire civiliser le monde _ sinon le coloniser et mettre en « exploitation«  _), sans courir de risques inutiles _ le pragmatisme utilitariste a de bien beaux jours devant lui ; pages 127-128…

Quel est le rapport entre cette valorisation de la curiosité _ à ce moment des Lumières et de l’Encyclopédie _ et l’histoire de la peur ?

Avant les Lumières, Hobbes est le premier _ ou parmi les premiers : cf un Bacon… _ philosophe à réhabiliter la curiosité contre sa condamnation chrétienne. (…) La curiosité n’est rien de plus que « le désir de savoir pourquoi et comment » _ énonce Hobbes dans Léviathan, au chapitre VI. (…) Être curieux, c’est être amoureux _ oui _ de la connaissance des causes : l’homme doit à cette passion _ voilà _ toute sa science et ses plus hautes œuvres de culture. La curiosité est donc l’opérateur _ tel un clinamen de très large amplitude et fécond _ de la différence humaine«  _ par rapport au reste du vivant (et du règne animal) : moins « déployé« 

Et « pourquoi cette réhabilitation de la curiosité est-elle en même temps _ dans l’œuvre de Hobbes _ une valorisation de la peur ?« , page 129.

« Pour les penseurs de la modernité (…), le désir de savoir qui mène le spectateur sur le rivage et l’incite à analyser les causes du désastre s’explique, tout comme la peur _ voilà ! _ par un rapport inquiet au futur.

« C’est l’inquiétude des temps à venir » qui « conduit les hommes à s’interroger sur les causes des choses » _ énonce Hobbes dans Léviathan, au chapitre XI. La curiosité n’est une passion aussi vivace _ c’est aussi une affaire de degrés _ que parce que les êtres humains se trouvent dans l’ignorance de l’avenir, et cherchent par tous les moyens à remédier _ = prendre des mesures préventives tout autant efficientes qu’efficaces (soit prévoir & pourvoir ! pragmatiquement ! _ à leurs craintes«  _ on pourrait citer aussi, ici, le très significatif chapitre XXV du Prince de Machiavel ; avec la double métaphore de la crue catastrophique (faute, aux hommes, d’avoir ni rien prévu, ni rien pourvu !) du fleuve et des « digues et chaussées«  (à concevoir & réaliser) qui, si elles n’empêchent pas la-dite crue d’advenir et se produire, évitent du moins ses effets ravageurs catastrophiques sur les hommes et leurs biens institués ou construits : en les « sauvant«  de la destruction. A cet égard, la « précaution«  (active et efficiente) est plus « moderne«  que la simple « fuite«  (passive) à laquelle recouraient les Anciens…

 

C’est alors que Michaël Foessel compare (et confronte) les peurs contemporaines aux peurs modernes ; et la place changeante qu’y prend, tout particulièrement, en chacune, le remède politique de l’État ; ainsi que ce qu’il qualifie, page 131, de « l’histoire de la rationalisation _ calculante _ de la peur« …

Avec la modernité de Hobbes, « au moment où elle devient raisonnable, la peur acquiert le statut de passion politique _ quand se construisent les États-Nations de la modernité. La banalité sécuritaire se fonde _ alors _ sur cette équivalence entre une peur _ citoyenne _ qui cherche à se dépasser dans la tranquillité _ d’une part _ et _ d’autre part _ un État qui répond _ voilà ! _ à cette exigence par les moyens de la souveraineté » _ voilà !

« Mais qu’en est-il de cette équivalence aujourd’hui ?«  _ en cette première décennie de notre XXIème siècle, page 132.

Les dix-sept pages qui suivent vont y répondre :

et selon « l’hypothèse«  d’« une dépolitisation de la peur » _ dans le cadre oxymorique (à déchiffrer !) des « États libéraux-autoritaires« _ ; c’est elle « qui explique pour une part _ au moins _ les évolutions sécuritaires auxquelles nous assistons« … 

Michaël Foessel alors résume les trois apports du modèle moderne (hobbesien) _ soient :

« passion du calcul rationnel,

rappel à la finitude,

affect qui ne peut se dépasser que dans l’institution :

voilà les trois principales caractéristiques qui font de la peur un sentiment politique à l’intérieur de l’anthropologie classique«  _, afin d’y confronter ce qui se passe à notre époque :

« ce modèle est-il encore le nôtre ?« , demande-t-il, page 136. 

« Il semble que les peurs actuelles empruntent surtout au premier élément : la vigilance prônée dans les sociétés néolibérales est un appel constant à évaluer les risques _ voilà ! _ pour les intégrer à un calcul _ de plus en plus strictement utilitaire _ en termes de coûts et de bénéfices«  _ faisant devenir chacun et tous et en permanence des comptables de leur existence (réduite à cela) !!!

« Il est déjà moins sûr que la peur fonctionne encore comme un correctif à la démesure _ ah ! ah ! la cupidité du profit, de l’appât du gain (d’argent) n’ayant guère, déjà et en effet, de « mesure«  Les mesures sécuritaires _ en effet _ s’inscrivent dans un projet qui est celui de la maîtrise aboutie _ voilà ! _ du monde _ dont les hommes, s’agitant sans cesse _, comme si des technologies électroniques devaient tendanciellement se substituer aux évaluations humaines _ subjectives : par l’exercice personnel du juger… _ de la menace.« 

Et Michaël Foessel de commenter excellemment : « Ainsi qu’on le voit avec la biométrie, le rêve _ un terme qui doit toujours nous alerter ! _ sécuritaire est un rêve d’abolition de la contingence _ voilà l’horreur : le « rêve«  d’une vie enfin sans « jeu«  ! sans la marge d’incertitude d’une « création » éventuelle (= indéterminée, forcément) de notre part ; ce que Kant nomme aussi « liberté » du « génie«  ; ou qui, aussi et encore, est la poiesis _ dans lequel les identités individuelles sont réduites _ voilà ; et drastiquement : telle une implacable peau de chagrin… _ à des paramètres constants et infalsifiables _ une réification (= choséification) de l’homme ! La crainte (…) est _ alors _ plutôt le titre d’un nouveau fantasme de perfection : celui d’un monde régulé _ tel un lit de Procuste ! on y coupe ce qui dépasse _ par des informations dont il n’est plus permis de douter puisqu’elles ont été avalisées par la science _ et ses experts patentés ! en fait l’illusion mensongère (et ici servile et stipendiée !) du scientisme… La peur n’est rationnelle que si elle fait parvenir ceux qui l’éprouvent à un plus haut degré de perception _ pré-formatée _ du réel _ pré-sélectionné et bureaucratiquement breveté, ainsi, par quelques officines monopolistiques !

Mais les peurs actuelles peuvent plutôt être interprétées comme des angoisses _ sans contour ni objets identifiables : re-voilà ce concept crucial _ face au réel _ méconnu, lui, en sa diversité et spécificité qualitative : hors numérisation et comptabilité ! _ et à ce qu’il comporte de hasards _ bel et bien objectifs ! lire ici Augustin Cournot ; ou Marcel Conche : l’excellent L’Aléatoire (paru aux PUF en 1999)… _ et d’incertitudes » _ ludiques et glorieuses… Aux pages 136-137…

« Mais c’est surtout sur le dernier point, celui qui associe la peur et l’institution de la souveraineté, qu’il nous faut admettre ne plus vivre dans un monde hobbesien.« 

Car « la peur qu’éprouvent les sujets à l’égard des institutions est différente de la crainte raisonnable éprouvée face au Souverain«  _ énoncée et décrite dans Léviathan. « Dans un monde globalisé, les craintes _ désormais _ sont transnationales : c’est pourquoi les frontières classiques ne sont plus perçues _ par les individus _ comme des protections suffisantes« 

Et « des peurs contemporaines, on peut dire qu’elles sont « socialisées » en ce sens qu’elles renvoient à des attitudes _ larges et floues : voilà _ plus qu’à des actes illégaux _ spécifiés. Les citoyens ne sont donc pas seulement tenus de craindre les appareils étatiques de contrainte, ils doivent d’abord être vigilants face à _ tout _ ce qui, dans leur environnement immédiat _ infiniment ouvert et mobile _, les met _ subjectivement _ en danger« , pages 137-138.


Avec ce résultat que « le bénéfice de la peur politique, qui est de permettre aux individus de s’abandonner à _ la douceur presque insensible d’ _ une certaine confiance mutuelle _ oui : cette « civilité«  (« pacifique ») était l’objectif politique escompté, au final, du modèle d’État hobbesien _, est alors perdu au bénéfice d’une défiance _ rogue et perpétuellement malheureuse ; plus qu’intranquille : perpétuellement sur le bord de verser dans l’humeur querelleuse et agressive _ généralisée« , page 139. 

Avec aussi ce résultat, terrible : « les peurs d’aujourd’hui isolent _ voilà _ les individus parce qu’elles ne désignent pas un « autre » comme danger, mais se défient _ et fondamentalementdu réel social même _ en son entièreté. Les murs contemporains _ ceux qu’analyse Wendy Brown en son très remarquable Les Murs de la séparation et le déclin de la souveraineté étatique _ montrent _ cruellement, en leur réalisme ! _ que la peur n’est plus à l’origine d’un désir communautaire _ celui de « faire monde« , ou « société«  _, mais qu’elle est une invitation à faire sécession _ voilà ! en une « forteresse assiégée«  isolée du reste par ses barbacanes, fossés et douves… _ d’un monde jugé globalement pathogène«  _ (= toxique) : page 139…

Par là, « le modèle de l’aversion _ et de la fuite : mais jusqu’où ?.. _ semble plus adéquat _ en notre aujourd’hui d’« apeurement«  généralisé… _ que celui de la peur classique pour aborder les refus du présent« , en déduit Michaël Foessel, page 142.

Avec cette conséquence éminemment pratique que « confronté à un marché et à des risques qui ne connaissent plus de frontières, les souverainetés étatiques blessées _ et qui demeurent encore _ ne peuvent répondre autrement que sur un mode _ c’est à bien relever ! _ à la fois métaphorique _ ou magique ! d’où les palinodies d’incantations… _ et réactif au désir de monde clos qui anime la peur _ = l’angoisse, en fait… A force de discours _ et pas seulement ceux des communiquants et publicitaires, et autres propagandistes stipendiés _ qui affirment que le danger est partout puisqu’il est le monde lui-même _ voilà ! _, la peur a perdu _ et c’est un comble ! _ sa vertu de circonspection. N’étant plus en mesure de distinguer _ ni évaluer, ou mesurer, non plus ! _ le menaçant de l’inoffensif, elle tend à envisager _ fantasmatiquement _ toute chose _ à l’infini, continument ! _ comme un danger en puissance« , page 143. « Les peurs contemporaines ne font plus monde«  _ par là même : en un « esseulement«  (anti-social) proprement affolant…


Et « l’angoisse advient dans l’effondrement de ces significations _ qui furent jadis familières _ lorsque plus rien ne répond à nos attentes _ devenues seulement mécaniques et réflexes _ ou ne s’inscrit dans un horizon maîtrisé _ mécaniquement, aussi _ par nos actes«  _ selon quelque chose dont Kafka semble avoir, avec beaucoup, beaucoup d’humour, lui, exprimé très lucidement quelque chose…

D’où « les discours de la catastrophe » contemporains… Et « dans les politiques de la catastrophe _ qui se déploient si complaisamment _, il n’y a plus de différence de nature entre un monde qui menace de disparaître à cause de l’insouciance des hommes et une vie qui déraille » _ carrément ; page 146.

Certes « une catastrophe possède des remèdes, mais ceux-ci _ massifs, forcément… _ empruntent toutes leurs procédures à la science _ calculante, ainsi qu’à la techno-science (son compère), à partir de probabilités envisageables selon des moyennes… _ et aux mesures préventives _ techniques, mécaniques et automatisées _ qu’elle permet d’anticiper.

Sciences du climat, mais aussi du comportement, du crime, de la gestion des risques sanitaires et de la conduite _ envisageable, grosso modo, statistiquement… : le raisonnement se fait sur des ensembles, des masses, des foules ; et pas sur des singularités : non ciblables… _ des hommes _ coucou ! les revoilà ! _ : autant d’édifices théoriques qui figent l’avenir _ on en frémit ! tels des papillons promis (et condamnés) au filet, au formol et à l’épingle qui les immobilise pour l’éternité ! _ dans les prédictions _ ou prévisions ? imparables ?.. _ qui en sont faites.


Il faut _ très concrètement _ que la catastrophe _ massive !!! donc… _ soit un horizon _ incitatif suffisant ! pour les individus comme pour les gouvernants, par l’incommensurabilité de son caractère épouvantable ! sinon, on demeure insouciant ; et imprévoyant ! anesthésié qu’on est par le désir de confort et de routine ordinaire… _ pour que le monde et les vies deviennent prévisibles _ ceux qui contrôlent et calculent en étant à ce compte-là seulement, rassurés ! On ne maintient pas _ voilà ! _ les citoyens et les gouvernants dans la prévoyance active pour les lendemains si ceux-ci ne sont pas menacés _ rien moins que _ du pire. En sorte que les discours de la catastrophe ont tout de la prophétie autoréalisatrice : ils suscitent les peurs angoissées auxquelles ils proposent _ bien fort _ d’apporter une solution« , page 146.


Et « cette circularité _ voilà : auto-alimentatrice du système _ entre la peur angoissée _ sans objet nettement déterminé _ et la vigilance productive qu’elle induit _ voilà _ ne se limite nullement aux rapports entre les individus et les États. On n’expliquerait pas, sinon, qu’elle ait pu investir les vies jusque dans leur intimité _ mais oui ! _, réduisant toujours les espaces de quiétude. La peur incertaine _ angoissée, kafkaïenne… _ s’est transformée en élément _ productif _ de mobilisation permanente _ d’où la polysémie du titre de l’ouvrage : « État de vigilance«  : dont le sens, aussi, d’un état perpétué en permanence d’attention inquiète, voire stressée, des individus ; en plus de l’« État libéral-autoritaire« , adjuvant (et complice : bras séculier !) de l’économie néolibérale… _ dans un système global, que faute de mieux, nous appelons « néolibéralisme » _ voilà !

La vigilance ne serait jamais devenue un _ tel _ ethos majoritaire _ et continuant de se répandre _ si les trois dernières décennies _ après la fin des « trois glorieuses«  et la première grande crise du pétrole, en 1974… _ n’avaient pas été celles de l’introduction des horaires flexibles _ la flexibilité tuant la plasticité ; cf les excellents ouvrages là-dessus de Catherine Malabou… _, de l’affaiblissement des garanties liées au contrat de travail ; et de la sous-traitance à des entrepreneurs indépendants et socialement fragilisés«  _ en effet ! voilà des procédures empiriques diablement efficaces sur le terrain pour créer, multiplier et entretenir l’anxiété…


Et « le « management par la terreur » _ oui ! _ fait système _ lui aussi : par le haut ! _ avec ce réel angoissé _ oui ! _ où le fait de se sentir nulle part « chez soi » _ une barbarie ! _ est considéré _ managérialement ! Michaël Foessel cite ici une déclaration en ce sens de Andrew Grove, ancien PDG d’Intel : « la peur de la compétition, la peur de la faillite, la peur de se tromper et la peur de perdre sont des facteurs de motivation efficaces«  _ comme une vertu cardinale« , page 147 _ au bénéfice d’une nomenklatura, qui, elle, de fait, sait fort bien s’en exempter : cf les « retraites automatiques« , « parachutes dorés«  et « autres primes extravagantes« , précise Michaël Foessel, pages 147-148…

Le résultat étant que « dans les sociétés libérales, la majorité des individus est _ et de plus en plus : à moins qu’on ne s’emploie à y mettre fin !.. à inverser le processus ! _ soumise à une variabilité permanente _ dite « flexibilité«  : le contraire de la « plasticité«  artiste ; et des démarches souples et ouvertes à l’accident de l’imprévisibilité du « génie«  _ des formes de vie _ Michaël Foessel reprend ici l’expression de Paolo Virno ; cf aussi son Opportunisme, cynisme et peur _ ambivalence du désenchantement_ qui favorise l’apparition des craintes angoissées« , page 148. « Étrange procédure que celle dont on attend _ les néolibéraux ! du moins… _ qu’elle produise de la stabilité psychologique et sociale _ systémiques : une induration de l’habitus… _ par l’exacerbation des inquiétudes » _ des individus (pire que stressés)…

Et Michaël Foessel de conclure son chapitre « Cosmopolitique de la peur ? » :

« Dans tous les cas, il nous faut renoncer à nos espoirs _ sic ! _ dans une cosmopolitique de la peur _ pour reprendre le concept kantien… : soit la perspective d’un tel affect qui « ferait monde«  ! pour la collectivité des humains que nous sommes… Le cosmopolitisme n’est possible que là où _ décidément _ il y a des institutions et là où il y a un monde _ se faisant par nos coopérations effectives et lucidement confiantes (de vraies personnes sujets, et non réduites au statut d’objets) :

on aura depuis longtemps compris combien j’applaudis à ce « diagnostic«  de Michaël Foessel _ pour reprendre le titre (au pluriel : « diagnostics« ) de cette « collection » du « Bord de l’eau« , que dirigent Fabienne Brugère et Guillaume Le Blanc !


Or, les peurs angoissées sont solitaires et acosmiques
_ hélas ! _ : elles n’ont pas d’autre horizon que celui de la catastrophe » _ et font mourir les individus (isolés, s’isolant les uns des autres, désocialisés ; et sans œuvres !) de mille morts avant la mort biologique définitive… Ce ne sont pas là des vies vraiment « humaines » ! mais « inhumaines » ! barbares !

« Mais _ et ce sont les mots de Michaël Foessel en sa conclusion, page 155 _, entre l’audace _ téméraire _ de l’aventurier et la prudence _ calculante, comptable _ de l’entrepreneur _ ainsi, aussi, que la lâcheté (veule) devant la peur ; ou la soumission (maladive) à l’angoisse _, il y a le courage de l’action qui se mesure _ sans opération de calcul comptable, cette fois ! et joyeusement ! _ à l’imprévisibilité _ ludique _ du monde. Cette vertu collective _ et pas seulement personnelle et individuelle, par là ; mais civique (et civilisatrice !) _ est nécessaire pour que nos désirs politiques _ authentiquement démocratiques : à rebours des populismes démagogiques (bonimenteurs) menteurs ! _ osent à nouveau se dire dans un autre langage que celui _ apeuré et apeurant, avare et mesquin, aveuglément cupide ! _ de la sécurité _ soit le langage de la liberté créatrice d’œuvres authentiquement (= qualitativement !) « humaines« 

Un défi exaltant…

Existent d’autres régimes d’attention _ ou « vigilance« , avec d’autres rythmes… _que cette mesquinerie réductrice utilitariste néolibérale « coincée » ! D’autres désirs que de sur-vivre (soi, tout seul) biologiquement, et à tout prix ! Ou seulement s’enrichir _ gagner plus ! _ !.. Quelle pauvreté d’âme ! Quelle bassesse ! Quelle porcherie que cette cupidité exclusive !

Une attention un peu plus généreuse (et ludique _ jouer…) à l’altérité amicale (ou l’altérité amoureuse _ il y a aussi l’altérité des œuvres) ; et non inamicale _ Michaël Foessel cite aussi à très bon escient Carl Schmitt, et cela à plusieurs reprises _ ou concurrentielle !

Quelles terribles restrictions (et appauvrissements _ qualitatifs ! _) de l’humanité voyons-nous se déployer sous nos yeux avec cette économie politique néolibérale conquérante, exclusive, totalitaire ! en plus du ridicule infantile de son exhibitionnisme bling-bling !..

C’est cette anthropologie joyeuse-là qu’il vaudrait mieux, ensemble, en une démocratie ouverte, réaliser, joyeusement, souplement, et les uns avec _ et pas contre _ les autres…

Aider à advenir et s’épanouir une humanité mieux « humaine » !..

Titus Curiosus, ce 22 avril 2010

Post-scriptum :

Avec un cran supplémentaire de recul,

je dirai que la pertinence de l’analyse de l’état contemporain de l’État

(ainsi que du Droit : ici la réflexion de Michaël Foessel s’inscrit dans la démarche d’analyse lucidement riche d’un Antoine Garapon, comme dans celle de Mireille Delmas-Marty)

me paraît tout particulièrement redevable à la démarche de Michel Foucault _ en ses leçons au Collège de France, tout spécialement : leçons dont la lucidité fut sans doute en quelque sorte « accélérée«  par le sentiment de l’urgence de ce qui lui restait de temps, terriblement « compté« , à « vivre«  ! _ quant à l’historicité et des réalités et des concepts _ ensemble : ils font couple ! _ afin de les penser et comprendre :

à l’exemple _ encourageant ! _ de ce qu’une Wendy Brown retire de la méthode foucaldienne.

Soit un refus de la « substantialisation«  _ le terme est employé au moins à deux reprises dans le livre _ des concepts, de même qu’une critique reculée des « thèmes«  _ ce terme aussi revient à plusieurs reprises : les deux font partie de l’épistémologie critique foesselienne, en quelque sorte… La compréhension du réel, en son historicité même, requiert donc une telle mise en perspective à la fois cultivée et critique. 

C’est ainsi que la philosophie de l’État, ainsi que l’anthropologie _ classiques, toutes deux, en philosophie politique _ d’un Thomas Hobbes, doivent être relues et corrigées afin de comprendre ce qui change, ce qui mue, ce qui devient autre et se transforme à travers l’usage (faussement similaire) des mots, des expressions, des concepts, même, pour « suivre » et saisir vraiment ce qui « devient » (et mue) dans l’Histoire :

ici, en l’occurrence, comprendre « l’État libéral-autoritaire » et les « peurs angoissées » contemporains.

Comment la peur est « utilisée » autrement aujourd’hui qu’hier par un État _ avec ses appendices idéologiques _ qui, lui non plus, n’est plus le même ; et selon des affects qui eux-mêmes ont « bougé« . Et qu’il importe absolument de comprendre, en ce « bougé » même, pour mieux saisir le sens de ce qui advient maintenant ; et mieux agir au service d’un « humain » qui lui-même change (et se trouve « malmené » !)…

Ce qui _ nous _ impose _ aussi _ d’autres modalités d’action, notamment politiques, au service des valeurs d’épanouissement des humains : au lieu d’une « guerre _ même sous d’autres formes _ de chacun contre tous« .

Voilà comment Michaël Foessel, en son travail d’analyse philosophique, en ses livres publiés, comme en son travail d’articles dans la revue Esprit, au courant des mois et des années, nous offre un travail au service de l’épanouissement de l’humain…

Et d’un « faire monde » courageux : les deux étant liés…

Grand merci à ces contributions !!! Elles sont importantes !

C’est aussi une mission _ d’une certaine importance ! en effet… _ du philosophe _ faisant ce que sa démarche (d’intelligence comme d’action : en intense corrélation…) lui permet d’effectivement faire _ que de s’inscrire, avec son effort d’intelligence critique du réel, dans une démarche d’aide à la lucidité de la cité _ et des citoyens : tant qu’il en demeure, du moins ; mais le pire (ou la « catastrophe« ) n’est pas toujours le plus sûr, heureusement, peut-être !..

Balance de « l’humain » au stade gazeux du luxe : le diagnostic d’Yves Michaud

31déc

Pour continuer à réfléchir sur l’état présent de l' »humain« , tel que le présentent des phénoménes d' »aisthesis »  comme ceux qu’analyse Yves Michaud en son blog de Libération « Traverses« ,

et poursuivant lui-même sa réflexion de son opus de 2003 : « L’Art à l’état gazeux _ Essai sur le triomphe de l’esthétique« ,

voici

ces réflexions-ci,

en réponse à certains des « commentateurs« 

de son tout récent article « Le Luxe à l’état gazeux« , in Libération, en date du 29 décembre dernier, avant-hier :

Le luxe à l’état gazeux

Luxe et art ont une signification qui se recoupe(nt) sur certains points intéressants. Le luxe renvoie à l’idée d’abondance, de profusion, mais aussi de décoration et d’ornement, avec une connotation ambivalente de louange et de dénonciation. « Luxe » et « luxure » sont des doublets.

Il y a aussi, dans l’idée de luxe, celle d’un écart par rapport à la règle et à la ligne droite: le mot « luxation » vaut pour les articulations abimées et a la même étymologie. Or l’art et l’ornement ont aussi une origine étymologique indo-européenne qui en fait un écart et un ajout par rapport à la nature : l’art est ce qui se superpose et s’articule à la nature. C’est sur ce point qu’art et luxe se rejoignent : le luxe et l’art sont des ajouts décoratifs ou ornementaux, qui ne sont ni naturels ni indispensables, qui impliquent une déviation par rapport au naturel ; et souvent même un excès, avec la dépense somptuaire qui va de pair. Toutes les cultures associent art, dépense, artifice et excès non naturel.

De fait, toujours et partout l’art a été un luxe : non seulement parce qu’il va au delà du nécessaire, mais aussi parce qu’il met en œuvre des matériaux précieux, des habiletés techniques rares et coûteuses ; et qu’il est destiné à des usages précieux, qu’ils soient religieux ou séculiers. La fameuse « Salière » de Benvenuto Cellini fabriquée en 1542-1543 pour François Ier, coûta à l’époque 1000 écus d’or. On n’est pas très loin du crâne en platine de Damien Hirst (« For the Love of God« ) de 2007, avec ses 8601 diamants, vendu pour 74 millions d’euros.

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Ce lien d’excès et d’artifice entre art et luxe persiste aujourd’hui avec la corrélation entre nouvelles formes de l’art et nouvelles formes du luxe.

Pour ce qui est de l’art (au sens des arts visuels), il consiste de moins en moins en « œuvres« , pour  la bonne raison que se sont généralisées les stratégies « à la Duchamp » de production de ready-mades ; et que tout peut faire œuvre, y compris l’infime ou l’invisible. L’art consiste _ avec ou sans insister ? _, en fait _ c’est le cas de le dire ! _, de plus en plus, en expérience _ voilà : et de la part de qui ? de l’artiste qui le propose ? du public qui en fait l’« expérience » ?.. _ d’environnements et d’effets multi-sensoriels où sont réunis stimuli visuels, sonores, odeurs, ambiances et atmosphères dans des installations _ d’artistes (affirmés tels)…

Dans le même temps, la hiérarchie _ reconnue, grosso modo, socialement _ des arts a changé, avec un retour au premier plan de l’architecture, un développement du design, y compris comme design sonore, et le succès grandissant d’arts mineurs comme la cuisine, les parfums, la mode, le maquillage. L’art est devenu _ sociétalement ; sinon sociologiquement… _ un art d’environnement ou encore « ambiantal« .

Ces changements vont de pair avec une nouvelle forme d’expérience de l’art _ voilà ! _, distraite et flottante _ de la part du public, cette fois ; mais s’agit-il ici d’un « Homo spectator » (selon Marie-José Mondzain) ? et en un « Acte esthétique » (selon Baldine Saint-Girons) ?.. L’empirisme d’analyse d’Yves ici s’amuse, vraiment, beaucoup ! J’entends d’ici son rire empiriste ! La valeur principale au cœur de l’art est désormais _ sociétalement et sociologiquement : Pierre Bourdieu, l’inénarrable analyste de « La distinction _ critique sociale du jugement« , en 1979, éclate lui aussi de rire de dessous la tombe ! _ celle du divertissement _ « entertainment » ! dans le vocabulaire des entrepreneurs des studios de Hollywood, chaînes de télévision en pagaille, et autres vendeurs de « temps de cerveau humain » disponible… _ et du plaisir _ l’appât minimal et basique ; jusque dans le commerce de la pornographie… _ réunis dans un hédonisme _ voilà la philosophie qui a le vent en poupe : le plaisir est bien son carburant ! _ sans engagement _ surtout pas ! car alors, adieu Berthe !..  _ ni moral ni politique ; ou alors tellement léger _ quelques secondes : pas trop de temps à perdre, non plus, quand même… just for the fun _ qu’il n’est plus un engagement. L’expérience est celle d’une cénesthésie (complexe de sensations) débouchant éventuellement sur des partages _ tout de même : un minimum de connivences (langagières) comme « autorisation« , de fait, d’un minimum, cependant, de « légitimité » de l’éprouvé, même aussi « léger » et aussi peu « engageant » : les autres partagent-ils mon point de vue ? ouf ! me voilà rassuré ! la solitude (de l’éprouvé), ou « a-normalité« ,  étant rien moins que terrifiante : « monstrueuse«  !.. _ d’émotions. L’expérience esthétique contemporaine est une expérience diffuse, l’expérience d’un environnement saisi de manière inattentive et distraite, perçu _ juste _ « en passant«  _ dans la rue, par exemple ; et si possible « passante« , « passagère », la rue : sinon, pas de vérificateur (de conformisme) ! Quel effroi ! et quelle inutilité, aussi… Elle est fortement dépendante de moyens technologiques très avancés _ vive (et vivement, aussi !) la caution du « moderne« , de l’« up-to-date » ! _ et largement répandus, avec une base de production industrielle évidente _ l’invisibilité, la non-exhibition, n’ayant pas la moindre fonctionnalité ; et les exemples (les dits « people » : ils ont tellement besoin du regard populaire ! ainsi que de l’audimat : sinon ils seraient plus nus que nus…) venant de haut !

De ce point de vue, il devient difficile de faire la différence entre œuvre à proprement parler _ en dur ? durable ? et par quels facteurs, donc ?.. on doit se le demander aussi… _, décoration, environnement et expérience de consommation commerciale. Ceci va de pair dans nos sociétés de consommation et de plaisir avec une esthétisation _ soft, très soft… _ de la vie qui touche de plus en plus de domaines : la mode, le design, l’esthétique corporelle, la cuisine, la culture physique, la chirurgie esthétique, le secteur du luxe et jusqu’aux beaux sentiments _ affichés, sinon ça n’en mérite pas la peine ! _ qui sont devenus obligatoires sous peine d’incorrection politique ou morale _ car voilà le nouveau standard (d’intégration/exclusion) !

Dans l’idée courante, l’industrie du luxe produit sous des noms _ magiques ! _ de marque prestigieux des objets _ de prix d’achat conséquent ! _ faits de riches matériaux travaillés par des artisans exceptionnels pour des élites _ mais qui « le valent bien » vraiment, elles ! Pas seulement au niveau du slogan à l’adresse de tout un chacun acheteur de produits seulement « dérivés« , selon le slogan (efficace !) de l’Oréal, la marque de Liliane Béttencourt… Il faut déjà réfléchir qu’une somme _ réunie, rassemblée, pas seulement amassée _ d’objets fait un décor et un décor une ambiance, comme celle que l’on trouve quand on visite les demeures des « grands collectionneurs«  _ type Pierre Bergé et Yves Saint-Laurent…

Les industriels du luxe poursuivent cette production, notamment à destination de leurs nouveaux marchés, ceux qui ont le mieux résisté à la crise, les marchés des pays émergents d’Extrême-Orient ou des Émirats arabes.

Il y a cependant un écueil très dangereux _ de banalisation ! _ pour les firmes comme pour les consommateurs, celui de la production industrielle de produits de luxe, qui deviennent en réalité ce qu’on appelle des « produits dérivés » et donc des produits de grande consommation _ la plus large possible : chiffre de vente oblige ! _, même si demeure le fétichisme _ sinon, pas d’achat ! _ de la marque.

Le secteur des parfums est, à cet égard, exemplaire, puisque les parfums sont pour la plupart produits par des maisons prestigieuses de haute couture dont les produits propres _ les vêtements _ sont inabordables _ of course ! et off course_ pour le consommateur moyen : la femme qui achète un parfum Saint-Laurent ne s’habille en général pas _ c’est ici un euphémisme _ de robes originales Saint-Laurent _ vivent (et prospèrent) les conduites magiques de « participation » imaginative…

Comme variante de cet écueil, il y a cet autre danger _ pour les finances des détenteurs de droit des « marques » ! pas pour ceux qui se parent des ersatz… _ qu’est la contrefaçon : elle se répand elle aussi de manière industrielle _ appât des gains obligent ! _ au même rythme que la production originale ; et elle ne peut guère être combattue qu’au nom de principes juridiques dès lors que tous les produits dérivés se rapprochent les uns des autres au point de se confondre _ aïe ! _ pour des raisons de production de masse _ il faut donc maintenir soigneusement les « distinctions » marquées dûment autorisées, labélisées…

Des enquêtes récentes sur les produits que les personnes de revenus supérieurs associent _ imaginativement sociétalement _ avec le luxe aux USA, en France et au Japon témoignent d’un changement significatif de la perception _ sociétale _ du luxe, et qui s’accorde avec ceux à l’œuvre dans les arts visuels _ dûment estampillés, eux, probablement, du moins : le doute s’y insinuerait-il donc ?..


Certes les Français comme les Américains associent encore l’idée du luxe à des objets comme les voitures, les bijoux, les œuvres d’art, les vêtements, les montres, mais ils associent aussi le luxe avec avions privés, yachts, hôtels, villas, voyages, parfums, clubs réservés, toutes choses qui renvoient à des expériences _ voilà ! _ comme celles du voyage, du tourisme, de l’évasion rapide et rare _ et chère. Le luxe, c’est en ce sens l’expérience de la vie légère et rêvée _ exotiquement _, une qualité d’expérience rare réservée à des happy few _ pouvant se les payer (ou faire offrir) ; jusqu’à en faire étalage ; cf le bling-bling des people au pouvoir dans ce que sont devenues nos malheureuses démocraties ! _, en échappant _ ouf ! vive la « distinction«  bourdieusienne… _ aux objets banals produits en masse pour les masses. La plupart des industriels du luxe confirment cette évolution : face à l’industrialisation de produits qui sont au bout du compte très proches, qui sont de toute manière banalisés et n’ont plus de luxe que la marque _ aïe ! _, il leur faut désormais soit vendre ces produits comme des expériences _ subtiles ! _ particulières, soit vendre des expériences luxueuses tout court.

La publicité du marketing expérientiel _ un concept bien intéressant ! _vend non pas des parfums pour parfumer, mais des expériences de parfums Dior, ou Saint-Laurent, ou Prada _ mazette !

On n’a pas été assez attentif à certains comportements en apparence seulement bizarres ou excentriques qui font entrer dans le monde de l’expérience tout court _ mais une expérience rare _ difficile d’accès _ considérée comme nouveau luxe, par exemple les premiers balbutiements du tourisme spatial. Seules quelques personnes peuvent s’offrir (et songent pour le moment à s’offrir) ces voyages en orbite qui coûtent des dizaines de millions de dollars. Le luxe ici, c’est celui d’une expérience réservée à quelques-uns seulement, comme dans le temps on s’achetait un « baptême de l’air » en avion ou en hélicoptère, voire, il n’y a pas si longtemps, une escapade en Concorde menant de Paris à Paris via le survol aussi rapide qu’absurde de la côte atlantique de la France.

La fascination pour les privilèges _ voilà : l’inverse de l’égalitaire ; cf le « Qu’est-ce que le mérite ? » d’Yves Michaud ; et mon entretien avec lui dans les salons Albert-Mollat le 13 octobre dernier ; ou mon article sur tout cela : « Où va la fragile non-inhumanité des humains ?«  _, pour les « listes« , pour les carrés réservés, les clubs exclusifs _ fermés aux autres ! renvoyés à leurs misérables pénates de ploucs ! _, pour les traitements différenciés des consommateurs selon leur pouvoir d’achat _ au niveau même des cartes bancaires _ relèvent aussi de ce transfert de la qualité de luxe sur des expériences rares et réservées _ qui en leur fond _ voilà un critère assez intéressant… _ peuvent être aussi inintéressantes _ tiens-donc : selon quels critères ? et quels « fondements » ?.. ah ! ah ! _ que l’expérience ordinaire _ trop « commune » ; pas assez « branchée«  _ ouverte à tous, mais dont la condition de rareté exclusive fait toute la précieuse différence _ rien que structurelle ; de comparaison strictement « idéelle«  : sans contenu ; et sans fond ! Voilà l’authentique misère se pavanant en transports et résidences « de luxe« … Quand ces rois-là _ cf le magnifique conte d’Andersen « Les Habits neufs du roi«  _ sont plus nus que nus !!!

Toujours selon ces enquêtes, les Japonais demeurent, en revanche, étonnamment traditionalistes, puisqu’ils continuent d’associer prioritairement le luxe aux montres, aux sacs à main, aux automobiles, aux bijoux, aux habits et aux chaussures. Il faudrait cependant prendre en compte qu’ils ont une conception de l’art et des expériences esthétiques fortement différente des nôtres, faisant depuis bien longtemps place à des qualités sensibles qui ne sont pas des qualités d’objets _ en dur _, mais d’expériences _ justement… _ et d’environnements (le vieux, le fragile, la beauté de l’âme intérieure ou celle de la nature en train de changer) _ de l’homo spectator ; et de l’actus aestheticus, si je puis dire ; en un contexte plus prégnant, in fine, que le seul objet envisagé en lui-même…

Au fond, de même que l’art est devenu gazeux, le luxe aussi se transforme ou, mieux, se vaporise en expériences _ gazeuses… Le parfum, si central dans l’esthétique de Baudelaire _ certes ! _, mérite de retrouver aujourd’hui la place pivot qu’il devrait tenir dans toute conception de l’expérience esthétique en général _ y compris authentique ; je renvoie ici aux œuvres-maîtresses de mes amies Baldine Saint-Girons, « L’Acte esthétique« , et Marie-José Mondzain, « Homo spectator » : des must !

Même si la formule est à l’emporte-pièce, on peut dire : «Finis les objets _ en dur _, bienvenue aux expériences _ gazeuses _ _ soit le statut de privilège du « singulier » jusque dans la sensation la plus évanescente : soigneusement présentée (à acheter : cher !) comme « hors-normes« 

Photo © AFP (La Salière de Benvenuto Cellini)
Photo © Reuters (Crâne de diamants de Damien Hirst)

Rédigé le 29/12/2009 à 12:34 dans Arts

Commentaires

« L’expérience » une fois morte et nous avec, il y a quelque chose de pathétique et de profondément morbide dans la recherche de différenciation des zombies parallèles que nous sommes, à travers le culte de qualités d’expériences qui ne doivent rien à l’attention que l’on y porte, comme la question de la dérive le proposait et l’engage, mais à une fuite en avant dans le calculable que l’on thésaurise, avec l’avidité de celui qui toujours inquiet de ce qu’il risquerait de manquer reste étanche aux effets de présences qui s’offrent à lui, dans le plus simple appareil et d’un splendide dénuement.

Rédigé par : bénito | 30/12/2009 à 14:03

C’est ce très remarquable « commentaire« -ci, de Bénito, que je souhaiterai « commenter » un peu en détail ici même, maintenant :

«  »L’expérience » une fois morte, et nous avec » : devons-nous nous résigner à ce « constat«   ? Que Georges Didi-Huberman qualifierait sans doute d’« agambien » ; mais estimerait d’un pessimisme excessif : « à mieux gérer« , selon une autre expression, encore, après celle de « destruction de l’expérience« , de Walter Benjamin, que cite Didi-Huberman.

« il y a quelque chose de pathétique et de profondément morbide _ = un symptôme de nihilisme ! parfaitement !!! et gravissime… _ dans la recherche de différenciation _ si dérisoirement vaines !

et il faut en effet, et très énergiquement, en éclater de rire !!! montrer le degré astronomique : kakfaïen (cf son immense  « Journal« ) ! bernhardien (cf son autobiographie si géniale, ainsi que le magnifique opus ultimum « Extinction«  ) ! kertészien (cf  ce chef d’œuvre absolu qu’est « Liquidation« ) ! de leur « ridicule«  ! _

il y a quelque chose de pathétique et de profondément morbide dans la recherche de différenciation

des zombies _ oui : il faut le proclamer sans cesse ; jusqu’à courir le crier sur tous les toits de la planète : ce ne sont rien que des « zombies« , ces pauvres fantôches qui se pavanent à « faire« , aux micros et devant les caméras des journalistes (complices pour la grande majorité d’entre eux ! des « chiens de garde« , dirait Nizan…), « les importants » ! _

des zombies 

parallèles _ qui ne se rencontrent jamais ; même et surtout en des fantômes de rapports amoureux ; cf le lacanien : « il n’y a pas de rapports sexuels » ; cf aussi le judicieux et très clair « Éloge de l’amour » d’Alain Badiou, ainsi que mon article récent sur cette conférence (donnée à Avignon, avec Nicolas Truong, le 14 juillet 2008), le 9 décembre dernier : « Un éclairage plus qu’utile (aujourd’hui) sur ce qu’est (et n’est pas) l’amour (vrai) : “L’Eloge de l’amour” d’Alain Badiou«  _

que nous sommes » :

que nous sommes, sinon déjà devenus,

du moins en train de devenir, bel et bien, en effet ; si nous n’y résistons pas si peu que ce soit ! un peu plus, davantage, en tout cas, que nous ne le faisons, bien trop mollement, pour la plupart d’entre nous !..

A preuve,

cette incise :

hier même, à mon envoi de l’article commentant la belle et forte indignation de Henri Gaudin quant à l’indigne, en effet, « restauration » qui menace un des plus sublimes hôtels parisiens du règne de Louis-le-Juste (en 1640, ou 42), à l’étrave si belle de l’Île Saint-Louis : « Le courage d’intervenir d’un grand architecte, Henri Gaudin : le devenir de l’Hôtel Lambert dans une société veule« , que voici :

De :   Titus Curiosus

Objet : Un article à propos de l’Hôtel Lambert

Date : 28 décembre 2009 17:28:12 HNEC
À :   Barocco

Voici l’article
en hommage à l’Art du siècle de Louis XIII :
http://blogamis.mollat.com/encherchantbien/2009/12/26/le-courage-dintervenir-dun-grand-architecte-henri-gaudin-le-devenir-de-lhotel-lambert-dans-une-societe-veule/
Titus

Ps :
voici aussi _ il n’y a là rien de vraiment « personnel«  (à éviter de rendre public sur le blog)…  _ le mot que je viens de recevoir de Marie-José Mondzain _ à laquelle j’avais adressé ce même article _ :

merci cher Titus
grâce à vous je lis des livres que je ne penserais jamais à lire
j’écoute des musiques que je n’aurais jamais connues sans vous
oui je lis vos longues phrases et je m’y retrouve très bien !
plein de  vœux chaleureux et d’amitié fidèle

mjm

un ami,

très remarquable entrepreneur de produits artistiques de la plus haute qualité _ il s’agit de ce qui se fait de mieux aujourd’hui dans l’offre musicale _, a répondu ceci à l’envoi de cet article à propos de l’Hôtel Lambert » :

De :   Barocco

Objet : Rép : Un article à propos de l’Hôtel Lambert

Date : 30 décembre 2009 15:02:07 HNEC
À :   Titus Curiosus

Cher Titus,
Merci de ton envoi, toujours pertinent et impertinent. On y voit que tu n’as pas perdu l’espoir, ce qui n’est pas mon cas…
Le dicton de saison : meilleurs vœux !
Amitiés,

Barocco

Nous en sommes donc là en notre belle France… Fin de l’incise ;

et retour au commentaire mien du « commentaire » par bénito de l’article d’Yves Michaud !

« il y a quelque chose de pathétique et de profondément morbide dans la recherche de différenciation des zombies parallèles que nous sommes,

à travers le culte _ voilà _ de qualités d’expériences

_ des individus les ressentant, fugitivement, en leur subjectivité, seulement : ce qui fait le fond, rien moins de la thèse d’Yves Michaud _

qui ne doivent rien _ ni ces « expériences« -ci, ni leurs « qualités« -là… _ à l’attention que l’on y porte

_ et c’est là, ce point-ci de l’« attention«  !, tout le point décisif de l’analyse très fine de bénito ! _ ;

comme la question de la dérive _ qui intéresse Bénito sur son propre blog… _ le proposait

_ en marquant l’affaiblissement, précisément, de cette « attention« -ci en question : fuie ! esquivée ! voire anesthésiée, carrément, dès qu’elle engage à si peu que ce soit :

de l’ordre de ce qu’une Baldine Saint-Girons qualifie si justement d’un « acte » proprement « esthétique » !.. ;

et donneur, lui, « l’acte esthétique«  vrai,

non pas de « plaisir« ,

mais, proprement

_ à mille lieux de l’hédonisme et du dilettantisme (que dénonçait le grand Étienne Borne _ 1907 – 1993 _, en son lumineux « Problème du mal« , en 1963, aux Presses Universitaires de France… _,

donneur de « joie » :

« joie » où s’exprime, se déploie et s’épanouit, aussi _ et c’est même essentiel ! pour l’« humanité«  même de la personne !!! _, quelque chose des qualités propres (en expansion alors) du sujet singulier qui les vit, qui les sent et ressent (et les « expérimente« , ainsi que l’exprime superbement la langue précise et éclairante de Spinoza :

en ces occurrences, un peu rares, certes, là, mais il nous revient de le « découvrir » personnellement, et de l’« apprendre« , et « cultiver » _ cf ici aussi l’immense Montaigne, en ses « Essais« , tout spécialement le dernier, qui ne s’intitule pas tout à fait pour rien « de l’expérience« , au chapitre 13 de son livre III !… _ « découvrir« , « apprendre » et « cultiver » par nous-même : « nous sentons et nous expérimentons que nous sommes éternels«  ;

en ces « joies« -là ! où nous passons, on ne peut plus et on ne peut mieux effectivement, à une puissance supérieure ; ainsi que le détaille Spinoza en son « Éthique » (V, 23)…) ;

car c’est du « déploiement » même de nos « qualités » propres et singulières qu’il s’agit bien à l’occasion des joies de ces « expériences » épanouissantes de « rencontres« -là !  » ;

fin de l’incise sur la « joie » même de l’« acte esthétique«  _,

Je reprends donc le fil de la phrase de Bénito :

il y a quelque chose de pathétique et de profondément morbide dans la recherche de différenciation des zombies parallèles que nous sommes, à travers le culte de qualités d’expériences qui ne doivent rien à l’attention que l’on y porte

comme la question de la dérive le proposait

et l’engage _ on ne peut plus concrètement ; empiriquement _,

mais à une fuite en avant _ oui ! infinie… et pour rien… : dans la pure vanité du vide... _

dans le calculable que l’on thésaurise » _ voilà la fausse-piste et l’impasse proposée par la pseudo modernité capitalistique ; là-dessus lire Locke, qui, en père-fondateur de la « pensée libérale«  moderne, en « crache » carrément, et noir sur blanc, le morceau (en son « Essai sur l’entendement humain« , en 1689) à propos des astuces pour faire « travailler » (d’autres que soi) en (les) faisant « désirer » (quelque hypothétique, seulement fantasmée, « consommation«  du pseudo « objet du désir« ) en perpétuelle « pure perte« , ou insatisfaction empirique ! Lire donc un peu (et/ou un peu mieux) les philosophes pour comprendre mieux notre présent ; plutôt que bien des économistes qui vous embrouillent tout, au jeu du bonneteau… _,

« avec l’avidité de celui qui

toujours _ mais mal _ inquiet de ce qu’il risquerait de manquer _ c’est là le leurre du piège même si bien décrit par Locke _

reste étanche _ l’adjectif est superbe, bénito ! _ aux effets de présences _ mais, oui : cf ici le magnifique travail, en 1991, de George Steiner : « Réelles présences _ les arts du sens« … ; mais cf aussi les travaux de Georges Didi-Huberman sur la scintillance vibrante des images pour nous _ qui s’offrent à lui,

dans le plus simple appareil

et d’un splendide dénuement« 

_ c’est absolument superbe de justesse ; et me rappelle le plus éclairant des analyses les plus récentes de Georges Didi-Huberman, justement, tant dans « Quand les images prennent position« , à propos de Brecht, que dans « Survivance des lucioles« , que je viens juste de terminer de lire : à propos de Pasolini, notamment, outre Walter Benjamin et Giorgio Agamben _ Pasolini suivi tout au long du parcours de son œuvre, et d’écrivain comme de cinéaste. Un livre très intéressant en la finesse précise de ses éclairages !..

Voilà qui en une phrase unique dégage l’essentiel _ à mes yeux du moins : c’est cette position-ci  que j’estime (et à un rare point de perfection, même !) juste ; et partage !

Le reste des « commentaires » va probablement un peu moins, ou un peu moins bien, à l' »essentiel » !

Les voici, néanmoins :

Excellent !

Rédigé par : Newsluxe | 29/12/2009 à 19:19

Sur la tension « luxe » (gazeux) / « œuvre » (dure), cf mon article « http://blogamis.mollat.com/encherchantbien/2009/12/26/le-courage-dintervenir-dun-grand-architecte-henri-gaudin-le-devenir-de-lhotel-lambert-dans-une-societe-veule/ »

Titus Curiosus

Rédigé par : Titus Curiosus | 29/12/2009 à 18:09

A relier avec le concept de « destruction de l’expérience » chez Walter Benjamin ; puis Giorgio Agamben ;
ainsi que la « réplique » à cette expression _ en fait des « nuances« , plutôt… _ de la part de Georges Didi-Huberman en son tout récent « Survivance des lucioles » : afin d' »organiser le pessimisme« , comme il le présente…
Pour ma part, je « résiste » (à ces « faits de société« , sinon « de mode » ! de l’ordre du « gazeux« , cher Yves !) sur la « ligne« , voire la « pierre de touche« , plus « dure » _ est-ce là une illusion idéaliste ?.. _ de l’œuvre…
Suis-je en cela hors « empirisme » ?..
En tout cas, je renâcle…

Titus Curiosus

Rédigé par: Titus Curiosus | 29/12/2009 à 17:52

Intéressant. Je ne trouve guère toutefois d’allusion, dans cette longue réflexion, à l’art musical _ et donc au luxe musical, puisque selon YM les deux notions entretiennent des liens assez étroits.

Rédigé par : Sessyl | 29/12/2009 à 17:41

le luxembourg a surement la même racine.

Rédigé par : Salade | 29/12/2009 à 16:32

bravo! pour le texte, le luxe c’est surtout un mélange de style et d’intelligence, surtout d’intelligence

Rédigé par : romain | 29/12/2009 à 15:54

J’ai l’impression que les commentaires sur ce blog seraient un luxe : du simple fait de leur rareté.
La fosse d’aisance d’un bidonville suburbain serait-elle de l’art, un ready made ?

Rédigé par : JPL | 29/12/2009 à 14:10


Voilà !

Voilà de quoi méditer sur et le devenir des Arts, et le devenir de l’expérience esthétique _ en ses acceptions contradictoires, même !


Titus Curiosus, ce 31 décembre 2009

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