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Jeudi 25 mars à 18 h, dans les salons Albert Mollat, Emmanuelle Picard présente « La Fabrique scolaire de l’Histoire » (aux Edition Agone)

23mar

Après-demain jeudi 25 mars, dans les salons Albert-Mollat, 11 rue Vital-Carles à Bordeaux,

l’historienne Emmanuelle Picard viendra présenter l’important travail qu’elle a co-dirigé, aux Éditions Agone, avec Laurence De Cock, La Fabrique scolaire de l’Histoire _ ouvrage sous-titré « Illusions et désillusions du roman national« 

La fabrique scolaire de l’Histoire
Conférence suivie d’un débat autour de l’ouvrage du même nom, sous la direction de Laurence De Cock et d’Emmanuelle Picard (Marseille, Éditions Agone, 2009)
dans les Salons Albert-Mollat de la Librairie Mollat, 11 rue Vital-Carles, Bordeaux,
jeudi 25 mars 2010 à 18h.


A l’heure de la mise en place de la Réforme des lycées (qui poursuit celle entreprise au collège), et notamment autour de la détermination des programmes en Histoire,

plusieurs acteurs du système scolaire, historiens, chercheurs, enseignants, reprennent dans ce livre stimulant qu’est
La Fabrique scolaire de l’Histoire _ aux Éditions Agone, sous la direction de Laurence De Cock et Emmanuelle Picard _ le dossier des modalités de l’élaboration de l’enseignement de l’Histoire à l’école de la République.

L’enseignement de l’Histoire, comme construction et transmission d’un « récit historique » produisant un socle culturel partagé, a pour finalité importante la prise de conscience du « vivre ensemble ». Une difficulté présente est de répondre à la fois à ce postulat de départ, et aux grandes évolutions sociales dont les lois mémorielles récentes témoignent… D’autant que l’enseignement de l’Histoire doit faire avec les changements d’orientation politique et l’apparition de nouvelles sensibilités qui placent différents groupes en position d’attente vis-à-vis de « mémoires » particulières : ce qui pose la question de l’articulation entre Histoire (telle qu’elle « se construit » dans la recherche permanente des historiens), enseignement de l’Histoire et « mémoires » s’élaborant, elles aussi, au sein de la société…

De ces questions « sensibles » s’entrecroisant,  et de la prise en compte de l’ensemble des acteurs de la « fabrique » scolaire de l’Histoire _ concept décidément crucial _ les auteurs de ce livre s’emparent et le proposent à la connaissance et au débat public sans faux semblants, avec sérieux et pertinence.

Emmanuelle Picard, co-directrice avec Laurence De Cock de ce La Fabrique scolaire de l’Histoire _ Illusions et désillusions du roman national _ publié aux Éditions Agone, présentera ce travail collectif,
en une conférence animée par Francis Lippa
_ philosophe _, modérateur, avec Alexandre Lafon, professeur d’Histoire-Géographie au Lycée Bernard Palissy d’Agen, et Éric Bonhomme, président de l’Association des Professeurs d’Histoire-Géographie d’Aquitaine ;
suivie d’un débat.

En introduction à cette conférence et à ce débat _ avec pas mal de professeurs d’Histoire _,

Alexandre Lafon _ professeur d’Histoire-Géographie au Lycée Bernard-Palissy d’Agen, ainsi que doctorant en Histoire _ propose cette lecture-ci de ce recueil passionnant qu’est La Fabrique scolaire de l’Histoire :

Décidément, l’Histoire, et singulièrement l’Histoire comme discipline scolaire ne laisse pas de nourrir débats et controverses tant elle reste au carrefour d’attentes collectives fortes et complexes.

En ces temps de « Réforme » des programmes du lycée et devant les débats suscités par les différentes lois mémorielles et les velléités d’instrumentalisation actuelle de l’Histoire dans son usage public, ce petit livre dense apporte une saine et pertinente réflexion sur les enjeux de l’enseignement de l’Histoire dans le système scolaire français. Il ne se contente pas de proposer de penser superficiellement sa « fabrique » scolaire, à la fois au prisme des valeurs qu’elle est sensée porter dès l’origine et encore aujourd’hui, valeurs à la fois scientifiques, morales et civiques ; mais également en se tournant vers les acteurs concernés, décideurs de ses grandes orientations, groupes de pressions, manuels scolaires ou enseignants. Cette approche résolument socio-historique conduit le lecteur à prendre en compte l’ensemble des facteurs qui déterminent cet objet singulier.

Articulé autour de quatre parties centrées tour à tour sur les cadres réglementaires de la fabrique scolaire de l’Histoire, la place des acteurs historiques dans l’Histoire enseignée, les questions sensibles telles l’enseignement des génocides ou du fait colonial, et enfin sur la question de la mise en récit du « roman national » à l’école, l’ouvrage est lui-même construit, comme le souligne Laurence De Cock, sur le modèle d’un « aller retour entre plusieurs échelles d’analyse », de la synthèse des problématiques citées à l’étude de cas éclairant pertinemment chacune d’elle.

La première partie insiste sur la fabrique institutionnelle de l’Histoire scolaire à travers l’élaboration des programmes et le traitement du « temps » historique à l’école. L’Histoire en tant que discipline scolaire a pris dès l’origine dans la France républicaine une place essentielle : tout à la fois discipline pensée comme dispensatrice de connaissances permettant aux élèves de comprendre mieux le monde dans lequel ils vivent et doivent s’intégrer, elle fut aussi pensée comme une « fabrique » de la citoyenneté républicaine. Ce postulat originel permet de mieux comprendre les débats et questions qui agitent l’enseignement de l’Histoire aujourd’hui encore. L’article de Patricia Legris revient justement sur l’évolution de la rédaction des programmes scolaires depuis la Libération, notant sur les questions de fond le rapport de force quasi continu entre historiens, politiques et monde enseignant, avec pour point d’orgue la définition de l’Histoire comme « connaissance du passé » qui pose le problème de la conception du temps historique. La linéarité du temps de l’histoire scolaire permet-elle de rendre compte de l’enchevêtrement des temps qui devrait caractériser la démarche historienne ? Problème loin d’être anodin tant il met en lumière le sens même que l’on veut donner à la discipline enseignée et à ses effets pédagogiques, à court comme à long terme.

L’Histoire à l’école est conçue comme l’apprentissage d’une triple conscience : historique, critique et civique, contre les lieux communs de l’immédiateté et la surface des événements. La question du temps et de son apprentissage, complexe, enchevêtré,  se pose alors avec acuité. L’organisation des programmes et l’histoire scolaire dans notre république, certes, souvent téléologique et instrumentalisée, comme le rappelle Évelyne Héry, devrait offrir à partir de la lecture du passé, des clés du « vivre en semble » aujourd’hui et pour l’avenir. Mais confrontée à des attentes politiques, sociales lisibles dans la conception très conventionnelle et conservatrice, au final, des programmes, comment la « fabrique » de l’Histoire peut-elle s’affranchir de la continuité et de son instrumentalisation, afin de penser le passé dans toutes ses composantes (temps longs, temps court, passerelles) ? Vaste question qui demeure en suspens.

Dans une seconde partie, les auteurs s’intéressent logiquement à la traduction pratique des données institutionnelles à travers l’élaboration des manuels scolaires, domaine effectivement largement délaissé par la réflexion critique, alors même que les manuels, présents dans tous les cartables des élèves, constituent la traduction concrète la plus immédiate des programmes et le support logiquement essentiel de l’élaboration des séquences pédagogiques, du primaire au lycée. A cela près que, comme le rappellent les contributeurs à plusieurs reprises, « le manuel n’est pas le cours ». D’un côté, des logiques commerciales et pratiques pèsent sur son élaboration, alors même que les enseignants n’en font pas forcément un usage systématique. Depuis une vingtaine d’années, les manuels se sont construits autour de documents « incontournables », souvent reproduits d’une collection à l’autre, alors même qu’en parallèle le succès d’une histoire culturelle souvent réductrice et du retour dans son sillage de l’Histoire politique centrée sur l’individu et l’opinion publique appauvrissent la complexité des points de vue sur le passé. L’étude de Marie-Alban de Suremain met ainsi en lumière les évolutions du traitement du fait colonial, portant de plus en plus, en lien avec ce renouvellement historiographique, sur les représentations. Mais cette propension, sans doute au départ positive, à insister sur les représentations, s’ancre encore, en priorité, sur un point de vue européocentré, notamment à travers le choix des documents proposés. Il s’agirait alors pour l’auteur de « sortir d’une histoire des représentations fonctionnant pour elle-même » (p. 83), en travaillant davantage sur le statut des documents utilisés. Il reste à mettre à distance les « images », confrontées plus lucidement à la présentation des réalités, en particulier de celle des colonisés ; et à mieux rendre, également, la complexité de ces réalités, comme par exemple l’engagement de certains Africains dans l’armée coloniale par « tradition ». En quelque sorte, sortir des stéréotypes en analysant généalogie et circulation des représentations (p.92).

Le cas du traitement de la « Grande Guerre » dans les manuels apparaît de ce point de vue symptomatique, comme le montre avec justesse André Loez. Comme pour le fait colonial, les programmes et manuels reprennent de grands concepts clés en main, donc un peu trop séduisants, issus d’une historiographie culturelle dominante et pourtant contestée par bien des historiens, simplifiant à outrance les réalités : « consentement », « culture de guerre », « brutalisation » se retrouvent ainsi comme l’alpha et l’oméga de la « Grande Guerre » totalisante, les deux derniers termes ou expressions évoqués souffrant de définitions pourtant changeantes, témoignant d’un flottement entretenu au départ dans la sphère scientifique elle-même. Cette simplification scientifique à partir d’une histoire culturelle partant des représentations des élites et du discours officiels, qui laisse de côté la complexité des motivations, de la réception de ces discours dominants, aboutit donc à une simplification de l’événement, diffusée dans les manuels : simplification pratique qui évacue les « acteurs », d’autant que le temps imparti pour enseigner la « Grande Guerre » est court, le facteur temps étant particulièrement crucial, à l’heure de la tendance forte à la « réduction » des horaires d’enseignement pour les enseignés. La fabrique scolaire de l’Histoire, on le voit, laisse alors comme un goût de désenchantement, bien qu’elle puisse être armée pourtant pour produire tout à la fois un apprentissage de connaissances et d’esprit critique.

Il apparaît donc bien que l’école se trouve au carrefour de plusieurs enjeux contradictoires : les ressources produites par les historiens, le débat public sur lequel les communautés mémorielles pèsent avec plus de force aujourd’hui et le souci de l’institution de construire un « récit » historique, linéaire, sensible et politiquement partagé. Mais la connaissance de l’Histoire, son intelligence, est-elle de l’ordre du récit à assimiler ?

Dans ce contexte, et alors que l’émergence de la figure de la « victime » dans l’espace civique, traduite à l’école par le succès d’une formule comme le « devoir de mémoire », semble renforcer l’émotion comme vecteur d’apprentissage, la question des « enseignements sensibles » prennent de plus en plus d’acuité sur le terrain de la classe. La question de la fragmentation des identités et du communautarisme est en jeu, et pose problème : une Histoire enseignée devant construire un « bien commun » compris comme tel et effectivement partagé. L’Histoire coloniale, si elle a connu une évolution certaine dans la manière dont elle est enseignée (place du point de vue des colonisés, référence à la torture pratiquée pendant la guerre d’Algérie, par exemple), laisse de côté des éléments pourtant essentiels à sa compréhension en terme de pratiques et de conséquences sur les sociétés, tout en s’appuyant sur des considérations plus morales qu’historiques. Françoise Lantheaume montre ainsi, en le contextualisant, le processus complexe qui sous-tend l’enseignement du fait colonial : intervention des associations d’historiens ou de militants œuvrant pour une politique de reconnaissance (mémoires négatives, discrimination des minorités), des gouvernants (loi de 2005), virulence du débat public ; et finalement intervention de l’enseignant qui tente simplement de « tenir » sa classe en lissant les sujets sensibles, tout en profitant d’un tel cours pour continuer à faire passer le message républicain essentiel de tolérance.  L’enseignement des génocides, et particulièrement du génocide des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale qui en constitue l’élément central, appelle lui aussi à s’intéresser à la genèse de son intégration dans les programmes scolaires, sa spécificité (en particulier cette « indicibilité ») qui en fait un objet d’émotion, comme si l’impératif mémoriel prenait le pas sur le devoir d’histoire. Benoît Falaize évoque les difficultés des enseignants à concilier autour de cet objet d’analyse justement l’impératif cognitif d’Histoire, alors que l’émotion suscitée surexpose l’événement et les victimes, attisant une « concurrence des mémoires » qui en relativiserait la portée. Sur cette question, on a du mal à comprendre le rapprochement entre le génocide arménien et la « brutalisation » des rapports humains dans les sociétés européennes proposé par les nouveaux programmes de collège, alors même que cette dernière affirmation est largement contestée. Ainsi donc, généralisation et pathos pèsent sur l’enseignement des sujets « sensibles », car conditionnés par des impératifs politiques et/ou émotionnels, transformant le cours et l’enseignant plus en commémoration qu’en apprentissage de l’Histoire.

Dans une dernière partie sous forme de conclusion, les auteurs reviennent sur la question du lien entre la fabrique scolaire de l’Histoire et le « roman national », lien organique revitalisé par les nouveaux programmes de collège qui remettent le récit au centre des apprentissages. Pourtant, le récit d’Histoire scolaire semble encore à inventer tellement il reste spécifique et marqué par ses postulats originels. Le cas des séquences dévolues à la Révolution française en classe montre « la remarquable persistance d’un modèle disciplinaire » fondé sur un récit à portée civique. La fabrique scolaire de l’Histoire navigue ainsi, de fait, entre vérité, subjectivité, analyse critique, devoir civique, mais toujours centrée principalement sur l’Histoire nationale, malgré quelques tentatives parfois intéressantes (le manuel franco-allemand d’Histoire), au résultat final bien maigre… Laurence De Cock et Emmanuelle Picard soulignent qu’il serait souhaitable de plonger, à l’école, dans une global history permettant aux élèves de penser tout à la fois le monde et l’Histoire en tant que science.

Au final, l’ensemble des articles, au contenu et au questionnement riches et stimulants, conforte le lecteur dans l’idée que l’Histoire, et l’Histoire comme discipline enseignée, apparaît comme nécessaire, comme apprentissage de savoir et comme apprentissage du regard critique des élèves, gage d’une citoyenneté bien comprise. Suzanne Citron, revenant dans la préface sur son parcours scolaire « singulier », ne fait pas autre chose, en enjoignant historiens et enseignants, comme s’y emploient tous les auteurs de La Fabrique scolaire de l’Histoire, à adopter eux aussi un regard critique sur leurs pratiques et le cœur de leur discipline.


Alexandre Lafon, Professeur d’Histoire-Géographie, au Lycée Bernard Palissy d’Agen

En post-scriptum un peu _ voire pas mal… _ décalé par rapport à cette belle recension par Alexandre Lafon de
La Fabrique scolaire de l’Histoire,

j’ajouterai ce courriel à Emmanuelle Picard,

lors de la correspondance qui a suivi notre rencontre à Marseille le vendredi 22 janvier :

De :   Titus Curiosus

Objet : Un texte assez opportun d’Eric Sartori dans Le Monde + Lanzmann sur le roman de Haenel…
Date : 30 janvier 2010 15:11:21 HNEC
À :   Emmanuelle Picard

Un texte à placer dans le débat

que cet article d’Éric Sartori ouvre dans Le Monde parmi les lecteurs…

L’apprentissage (de la complexité) et la réflexion (épistémologique sur la construction _ ou « fabrique«  _ des savoirs)
demandent du temps ; et une « école » réelle (avec assez de temps et d’argent !)…

Il faut aussi apprendre (= aussi enseigner à) à comparer les démarches des historiens _ soit une initiation effective à l’épistémologie.
Et cela vaut pour toute (!) démarche scientifique…

Cf aussi l’article de Claude Lanzmann sur le roman de Haenel, « Jan Karski » (dans Marianne, le 23 janvier) : « Jan Karski de Yannick Haenel : un faux roman« …

ainsi qu’un article d’Éric Sartori, le 28 janvier dans Le Monde : « Histoire, terminales scientifiques et identité nationale« …


Je recopie ce dernier en post-scriptum

J’ai lu le « Jan Karski » de Haenel,
mais n’ai pas encore écrit d’article sur lui…

Les arguments (sur le « roman » de Haenel) de Claude Lanzmann, après ceux d’Annette Wieviorka,
sont à verser au dossier…

Le problème _ voici où je veux en venir ! _ est celui de l’articulation entre l’imagination historienne et l’imagination poétique… Une chose d’importance !
En plus de l’articulation mémoire / Histoire !..


Je ne connais pas la position là-dessus (i.e. sur le « Jan Karski » de Haenel) de Georges Bensoussan _ avec qui je suis en relation de temps en temps.
En janvier 2008, j’étais allé accueillir le Père Desbois (à l’aéroport) venant à un colloque à Bordeaux… Etc…
C’est encore une autre histoire… Le dîner le soir avec lui, et Georges Bensoussan, m’a formidablement marqué…
C’est là que j’ai fait connaissance avec eux !

Mais je peux dire, pour en revenir au « roman » de Haenel, que j’avais été irrité par le modérateur de la conférence de Yannick Haenel (chez Mollat, le 20 octobre 2009), faisant du Karski historique une sorte de héros picaresque !
J’étais même intervenu !
Haenel m’avait paru, lui, bien plus « intelligent« …
Cependant, les « pensées » qu’il prête à Karski auprès de Roosevelt, ainsi qu’après 1945, aussi, font en effet problème !!!
Attention aux amalgames !

En cela la polémique qui se lève
n’est peut-être pas inutile !!!

De même que ne seront pas inutiles les éléments filmés de l’interview de Karski (non retenus dans le film « Shoah« ) que va présenter maintenant Claude Lanzmann _ en un nouveau film : Le Rapport Karski : diffusé sur Arte le mercredi 17 mars dernier ; je rajoute cette précision à mon courriel…

Et le « témoignage » de Karski _ Mon témoignage devant le monde _ Histoire d’un État clandestin _ sur sa résistance
va lui aussi enfin reparaître en sa traduction française ! _ c’est fait : il est reparu aux Éditions Robert Laffont ce mois de
mars, lui aussi…


Cet été (2009), j’ai écrit 7 articles sur Le Lièvre de Patagonie (qui m’a passionné à de multiples égards)
_ au passage, l’auteur du conte placé en exergue (La liebre dorada), Silvina Ocampo,
est l’épouse de mon cousin Adolfo Bioy Casares (ma mère est une Bioy, d’Oloron)…


Voici ces articles sur Le Lièvre de Patagonie :

La joie sauvage de l’incarnation : l’”être vrais ensemble” de Claude
Lanzmann _ présentation I

La joie sauvage de l’incarnation : l’”être vrais ensemble” de Claude
Lanzmann _ quelques “rencontres” de vérité II


La joie sauvage de l’incarnation : l’”être vrais ensemble” de Claude
Lanzmann _ la nécessaire maturation de son génie d’auteur III


La joie sauvage de l’incarnation : l’”être vrais ensemble” de Claude
Lanzmann _ dans l’imminence de la fulguration selon la “loi” et le
“mandat” de l’oeuvre IV


La joie sauvage de l’incarnation : l’”être vrais ensemble” de Claude
Lanzmann _ l’amplitude du souffle et le goût, toujours, du “bondir” V


La joie sauvage de l’incarnation : l’”être vrais ensemble” de Claude
Lanzmann _ le film “nord-coréen” à venir : “Brève rencontre à Pyongyang”
(VI)

La joie sauvage de l’incarnation : l’”être vrais ensemble” de Claude
Lanzmann _ dans l”écartèlement entre la défiguration et la permanence”,
“là-haut jeter le harpon” ! (VII)



Et maintenant,
la déclaration d’Éric Sartori :

LEMONDE.FR | 28.01.10 | 22h42

Histoire, terminales scientifiques et identité nationale par Éric Sartori

Un débat chasse l’autre, c’est la méthode Sarkozy. Alors, avant que passe, avec l’approbation de certaines associations de parents d’élèves, une réforme tendant à priver près de la moitié des élèves de la filière générale d’un enseignement d’Histoire en terminale, tentons un dernier baroud. L’historien des sciences que je suis ne peut évidemment se résigner à cet appauvrissement de notre enseignement : veut-on que les scientifiques dont nous avons tant besoin soient ces spécialistes idiots que dénonçait déjà Comte ?

HISTOIRE ET IDENTITÉ NATIONALE

Commençons par cette remarque d’un connaisseur : « Un peuple qui n’enseigne pas son Histoire est un peuple qui perd son identité « , François Mitterrand, 1982. Le débat sur l’identité nationale est l’occasion de relire le texte de Renan de 1882, Qu’est-ce qu’une nation ? Pour Renan déjà, la nation se construit contre le communautarisme : « Prenez une ville comme Salonique ou Smyrne, vous y trouverez cinq ou six communautés dont chacune a ses souvenirs et qui n’ont entre elles presque rien en commun. Or l’essence d’une nation est que tous les individus aient beaucoup de choses en commun, et aussi que tous aient oublié bien des choses. Aucun citoyen français ne sait s’il est burgonde, alain, taïfal, wisigoth« . La nation est construite par l’Histoire : « La nation moderne est donc un résultat historique amené par une série de faits convergeant dans le même sens… » Et la nation vit par l’Histoire et par la volonté de continuer l’Histoire : « Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel… L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs, l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis… Avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune dans le présent ; avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore. »

En France donc, l’identité nationale s’enracine dans la culture historique, comme le note Antoine Prost dans son ouvrage remarquable Douze leçons sur l’Histoire. Les républicains ont compté sur l’histoire pour développer le patriotisme et l’adhésion aux institutions _ c’était tout le projet magnifique de Lavisse. Ce fait _ l’importance de l’Histoire _ n’est peut-être pas aussi universel que le pensait Renan _ il semble par exemple que l’Angleterre se pense, se représente à elle-même davantage par l’économie politique. Mais en France, l’importance de l’Histoire est indiscutable ; c’est sans doute le seul pays où l’enseignement de l’Histoire est, au sens littéral, une affaire d’Etat, qui peut être évoquée en conseil des ministres… et provoquer de véritables passions.

Il faut donc sans doute que nos gouvernants actuels connaissent bien mal leur pays ou qu’ils s’en sentent bien détachés pour avoir pensé que la suppression des cours d’Histoire dans les terminales scientifiques, principalement pour des raisons d’économie maquillées en volonté de renforcer les filières littéraires, passerait sans provoquer de réactions.

L’HISTOIRE CONTRE LES MANIPULATIONS DE LA MÉMOIRE

Il faut aussi bien méconnaître l’Histoire pour confondre Histoire et mémoire et mettre celle-ci au service de médiocres manipulations politiques, comme le fait l’actuel président qui voudrait bien nous plonger dans une dictature quasi orwellienne de l’émotion. Dans un texte célèbre, Pierre Nora a bien démontré l’opposition profonde entre mémoire et Histoire : « La mémoire installe le souvenir dans le sacré, l’Histoire, parce qu’opération intellectuelle et laïcisante, appelle analyse et discours critique… La mémoire sourd d’un groupe qu’elle soude… il y a autant de mémoire que de groupes, elle est par nature multiple et démultipliée. L’Histoire, au contraire, appartient à tous et à personne, ce qui lui donne vocation à l’universel » (Les Lieux de mémoire). Lucien Febvre est même allé plus loin, retrouvant la fameuse nécessité d’oublier dont parlait Renan : « Un instinct nous dit qu’oublier est une nécessité pour les groupes, pour les sociétés qui veulent vivre. L’Histoire répond à ce besoin. Elle est un moyen d’organiser le passé pour l’empêcher de trop peser sur les épaules des hommes » (Vers une autre histoire). A trop et mal manipuler les « devoirs de mémoire« , on renforcera les communautarismes au détriment de la nation. Au contraire, l’Histoire doit permettre de préparer l’avenir. « On fait valoir sans cesse le devoir de mémoire, mais rappeler un événement ne sert à rien, même pas à éviter qu’il ne se reproduise, si on ne l’explique pas. Il vaut mieux que l’humanité se conduise en fonction de raisons que de sentiments« , note Antoine Prost (Douze leçons sur l’Histoire).


Il y a vraiment une méchante ironie à lancer un débat sur l’identité nationale et à supprimer en même temps l’Histoire en terminale pour les séries scientifiques, en cette année de terminale qui doit clore le socle commun de l’enseignement et permettre une réflexion plus approfondie sur le mode moderne grâce au savoir historique – que l’on pense au superbe programme exposé, rêvé par Braudel dans sa Grammaire des civilisations.

On a parfois reproché aux socialistes de vouloir par idéologie détruire les formations élitistes. Ils n’ont rien fait de tel, et les plus courageux ou les plus lucides ont défendu l’élitisme républicain. Il est paradoxal de voir aujourd’hui la droite, du moins celle qui est au pouvoir, s’acharner à dévaloriser la section S, ce qui, évidemment, ne fera aucun bien à la section L, qu’on n’aide d’ailleurs pas en raillant l’étude de La Princesse de Clèves. Faut-il chercher ici d’autres raisons que le faible intérêt porté à l’enseignement dans la famille présidentielle ? Qu’en pensent des électeurs de droite plus traditionnels ?

Il faut donc se battre, au nom de l’identité nationale, de l’intégration, mais surtout au nom de l’intelligence et même de l’efficacité économique pour que l’enseignement continue à former des têtes bien faites et harmonieusement remplies ; donc pour l’enseignement de l’Histoire en terminale scientifique et son rétablissement dans l’enseignement technique. Et aussi pour un enseignement scientifique dans les classes littéraires, un enseignement qui permette d’acquérir une bonne connaissance des principes, méthodes et résultats fondamentaux des sciences et qui pourrait être basé sur l’Histoire des sciences et des techniques.

Éric Sartori est l’auteur d’Histoire des femmes scientifiques, Plon 2006.

Bref,

un dossier

_ pour lequel je recommande aussi « La mémoire, l’Histoire et l’oubli« , de Paul Ricœur, auteur majeur sur les problématiques du « récit » ; ainsi que le « Régimes d’historicité _ présentisme et expériences du temps » de François Hartog : deux ouvrages majeurs sur la question ! _

et un questionnement

passionnants : jeudi prochain, 25 mars, à 18 heures, dans les salons Albert-Mollat, 11 rue Vital-Carles à Bordeaux,

autour d’Emmanuelle Picard _ historienne de l’enseignement de l’Histoire _ et de La Fabrique scolaire de l’Histoire (aux Éditions Agone)…


Titus Curiosus, ce 23 mars 2010

Sur la recollection dérangeante du « dossier » « Fumée humaine » : la contribution littéraire de Nicholson Baker à la curiosité historique sur la seconde guerre mondiale

25juin

Avant de me mettre à lire « Human smoke« 

que m’a chaleureusement recommandé dès sa parution, le 14 mai 2009, le toujours d’excellent conseil David Vincent,

voici, sur cet opus, un petit dossier d’articles mettant « l’eau à la bouche« …

En commençant, comme souvent, par un article d' »El Pais« , le 22 juin :

 « El mal estaba en todas partes« 


Nicholson Baker muestra en « Humo humano« 
_ qui vient de paraître aussi en traduction française (par les soins d’Éric Chedaille) aux Éditions Christian Bourgois le 14 mai dernier : le titre originel, « Human smoke« , a été conservé… _ cómo la pulsión destructiva de la II Guerra Mundial no era sólo de un bando _ El autor rinde homenaje al pacifismo

JOSÉ MARÍA RIDAO _ Madrid _ 22/06/2009

Desde que, con motivo de la conmemoración del medio siglo del final de la II Guerra Mundial, la investigación historiográfica empezó a confundirse con el denominado « trabajo de memoria« , la idea de que el conflicto más devastador de todos los tiempos revestía los caracteres de una lucha escatológica, de un combate contra el Mal Absoluto, ha ido ganando terreno. Poco a poco, la indagación sobre los procesos políticos, diplomáticos y económicos que condujeron a la guerra se fue abandonando en favor de una reflexión de otra naturaleza, a medio camino entre la filosofía y la teología, y en la que lo más relevante es responder a la pregunta de por qué el ser humano fue capaz de tantas atrocidades como tuvieron lugar entre 1939 y 1945. Podría tratarse, sin duda, de una reflexión interesante, incluso necesaria, pero a condición de que no parta del equívoco que Nicholson Baker denuncia en su ensayo _ sic ! _ « Humo humano« , que acaba de publicar en España Debate _ et en France les Éditions Christian Bourgois _ : ese genérico ser humano que se libró a la destrucción y el asesinato en masa no se encontraba únicamente en las filas del nazismo, sino también, en mayor o menor medida, en cada uno _ voilà... _ de los bandos enfrentados.

Churchill: « Estoy a favor de emplear gas tóxico contra tribus incivilizadas »

El abogado Roosevelt propuso reducir el número de judíos en la Universidad

El propósito declarado de Baker es saber si la II Guerra Mundial fue una « guerra buena » _ une « guerre juste« , disons-nous… _ y si, hechos todos los balances, « ayudó a alguien que necesitara ayuda« . Tal vez la sensación de que, al emprender esta tarea, se vería obligado a nadar a contracorriente de un relato historiográfico que consagra a Churchill y a Roosevelt como héroes haya llevado a Baker a plantear su obra, no como un volumen de historia al uso, sino como un texto coral _ polyphonique _ en el que son los protagonistas quienes toman la palabra. El autor, por su parte, se ha limitado a seleccionar _ en un dossier purement historiographique + un montage _ las declaraciones, los artículos de prensa, las cartas o los diarios en los que los protagonistas se expresan en primera persona, añadiendo de vez en cuando breves comentarios sobre el contexto y, siempre, la fecha de los documentos _ cf mon article du 14 avril 2009 sur le livre de Georges Didi Huberman, « Quand les images prennent position _ LŒil de l’Histoire 1« , à propos de l’extraordinaire (et trop méconnu encore !!!) montage de documents photographiques, principalement, par Brecht en son livre « L’ABC de la Guerre » : « L’apprendre à lire les images de Bertolt Brecht, selon Georges Didi-Huberman : un art du décalage (dé-montage-et-re-montage) avec les appoints forts et de la mémoire activée, et de la puissance d’imaginer«  El resultado es perturbador, como si, de pronto, hubieran sido convocados a escena todos los silencios _ oui ! cf sur ces silences, aussi, le plus que passionnant livre à paraître à la rentrée de Yannick Haenel, à propos du livre magnifique de Jan Karski : « Mon témoignage devant le monde (histoire d’un secret) » : « Jan Karski » !.. _, todos los equívocos imprescindibles para que la historia de la II Guerra Mundial se pueda seguir contando como hasta ahora.

Baker no expone una tesis, la ilustra _ par sa seule récollection (+ montage) de documents authentiques. Y para ello concentra la mirada _ le principal est dans la focalisation _ sobre dos de los dramas mayores del conflicto : el sistemático bombardeo de poblaciones civiles y las iniciativas, o mejor, la absoluta ausencia de iniciativas oficiales, para salvar a los judíos perseguidos por el nazismo. En realidad, la posición de Baker, la tesis que se propone ilustrar en « Humo humano« , sólo queda fijada en la dedicatoria con la que concluye un breve epílogo de apenas dos páginas : « Dedico este libro« , escribe Baker, « a la memoria de Clarence Pickett y otros pacifistas estadounidenses y británicos. Jamás han recibido realmente el reconocimiento que se merecen. Intentaron salvar refugiados judíos, alimentar a Europa, reconciliar a Estados Unidos y Japón e impedir que estallara la guerra _ cela, c’est sans doute une autre Histoire… Fracasaron, pero tenían razón« .

« Humo humano » establece un implícito paralelismo entre la guerra total que inspira la estrategia de todos los contendientes en la II Guerra Mundial y los ataques aéreos en los territorios coloniales. Es entonces cuando aparecen por primera vez protagonistas como el futuro jefe del Bombing Command, Arthur Harris, y el también futuro primer ministro británico, Winston Churchill. « Estoy decididamente a favor de emplear gas tóxico« , escribe Churchill al jefe de la Royal Air Force, « contra tribus incivilizadas« . La confianza del primer ministro en la eficacia del bombardeo contra civiles, aunque ya no con gas tóxico, que había sido prohibido, se mantiene intacta al iniciarse la II Guerra Mundial, sólo que ahora Churchill pretende que la lluvia de fuego que descarga sobre las ciudades de Alemania transmitan el mensaje de que los alemanes deben rebelarse contra Hitler. Con el implícito y aterrador corolario de que, si no lo hacen, se convierten en cómplices del dictador.

Los textos que reproduce Baker recuerdan que el antisemitismo no fue sólo un sentimiento alimentado por el nazismo, sino un clima general _ là-dessus, lire de Georges Bensoussan : « Europe, une passion génocidaire« , aux Éditions Mille et une nuits, en 2006… Cuando aún era un simple abogado, el futuro presidente Roosevelt se dirigió a la Junta de Supervisores de Harvard proponiendo que se redujera el número de judíos en la Universidad hasta que sólo representaran un 15%. Y Churchill, entretanto, publicaba en febrero de 1920 un artículo de prensa en el que decía que judíos « desleales » como Marx, Trotski, Béla Kun, Rosa Luxemburgo y Emma Goldman habían desarrollado « una conspiración mundial para el derrocamiento de la civilización« . Creía, sin duda, en la existencia de « judíos leales« , a quienes exigía en ese mismo artículo que vindicasen « el honor del nombre de judío« , pero la obsesión antibolchevique le jugó la mala pasada de elogiar, también en la prensa, a Mussolini, de quien se declaró « encantado por el porte amable y sencillo » y « por su actitud serena e imparcial« . E incluso a Hitler, de quien, dejándose influir por los comentarios de los que lo conocían, estima que era « un funcionario harto competente, sereno y bien informado de porte agradable y sonrisa encantadora« . En contraposición, Trotski « era un judío. Seguía siendo un judío. Era imposible no tener en cuenta este detalle« .

Es probable que quienes defienden la interpretación de la II Guerra Mundial como una « guerra buena« , como una lucha escatológica contra el Mal Absoluto, reprochen a Baker la selección de los textos que ha incluido en su provocador « Humo humano » . Pero, aun así, esos textos seguirán estando donde están, y obligan, cuando menos, a repensar _ oui ! _ la relación entre la historia y el tan traído y llevado « trabajo de memoria« .

JOSÉ MARÍA RIDAO

A l’inverse de cet éloge,

voici, maintenant, une « critique » de « Human smoke » par l’excellent Philippe Lançon, dans le cahier « Livres » du « Libération » de ce jeudi 25 juin,

en un article intitulé « Updike dans la peau« 

en « contrepoint » à un éloge, il est vrai, d’un (vieil) hommage d’il y a maintenant vingt ans, à ce maître d’écriture que fut pour lui John Updike,

« Updike et moi« ,

de ce même Nicholson Baker à John Updike, donc _ lequel vient de disparaître le 27 janvier 2009 _,

mais un Nicholson Baker plus jeune, lui aussi (forcément !) de vingt ans (il avait trente deux ans en 1989) :

en effet, cet « Updike et moi » fut écrit en 1989-90 ;

et s’il a paru aux États-Unis en 1991, et fut traduit assez tôt, ensuite, en français (par Martin Winckler),

l’éditeur Julliard renonça cependant alors à le publier ;

ce livre devant surtout, ou du moins d’abord, sa parution actuelle, dix-huit ans plus tard, en traduction française (aux Éditions Christian Bourgois)

d’abord, et hélas, à l’événement du décès de John Updike, le 27 janvier dernier.

Le jeune Nicholson Bake, né le 7 janvier 1957, avait, en 1989, trente-deux ans …

Voici ce que dit Philippe Lançon, donc, de ce « Human smoke » :

Ecot. Le nouveau livre de Baker, « Human smoke« , est surprenant mais moins intéressant _ que « Updike et moi« , pour Philippe Lançon… C’est une elliptique et édifiante anthologie parfaitement écrite, et une performance : 500 pages de faits et déclarations réels, inventoriés puis miniaturisés sans commentaire, à la manière des « Crimes exemplaires » de Max Aub, qui permettent de suivre, de 1917 à 1941, non pas seulement la remontée vers la guerre, mais le spectacle du goût des Etats pour le crime et la guerre. Baker cherche à montrer, par ses microrécits, que tout se tenait : les méchants hitlériens et les vilains staliniens sont aussi les produits d’une enchère dans laquelle les démocraties ont versé leur écot. Il n’a pas tort, mais on ne peut pas dire qu’on l’ignorait, et la démonstration, bien que composée avec le sens du contraste et de la progression, tourne à l’amas d’anecdotes _ j’en jugerai en le lisant… Ses sources sont citées, page par page, en particulier les journaux de l’époque. On y verra que, si la presse attisa bien des passions tristes, elle fit d’abord son travail : de l’anticolonialisme, de l’antisémitisme et des expériences meurtrières les plus imaginatives, tout fut aussitôt dit, écrit et relaté. Mais le monde ne voulait, simplement, pas le savoir _ c’est un point certes dirimant!

Dont acte.

Quant au début de l’article, consacré à « Updike et moi« ,

c’est un bijou d’article ! Qu’on en juge aussi :

« Updike dans la peau »

Critique

Mélange. Un hommage de Nicholson Baker à l’auteur de «Rabbit».

Par PHILIPPE LANÇON

Nicholson Baker : « Updike et moi«  Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Martin Winckler Christian Bourgois, 194 pp., 17 euros.

« Human smoke«   Traduit par Éric Chedaille Christian Bourgois, 574 pp, 26 euros.

Quiconque est intéressé par la vie d’un écrivain _ oui ! _ plutôt que par sa biographie lira avec plaisir « Updike et moi« . Il découvrira quels liens, d’admiration et de jalousie, de gratitude et de complexes, peuvent unir un auteur _ lecteur _ aux aînés (vivants ou pas) qui l’ont justifié. Parce que c’était eux, parce que c’était moi _ en leur singularité se révélant dans l’œuvre ouverte d’écriture.

A l’été 1989, Nicholson Baker apprend la mort de l’écrivain Donald Barthelme (1). Il a suivi ses cours à Berkeley, l’admire, se sent incapable d’écrire le moindre texte sur lui. Un écrivain mort peut en cacher un autre, qui ne l’est pas forcément : réfléchissant sur cet exercice à perspective faussée qu’est l’hommage nécrologique, il se souvient de celui que John Updike publia sur Nabokov (un écrivain que Baker aime également par-dessus tout _ et si je puis m’insérer modestement en cette « chaîne«  d’admirations, à mon tour…). Ainsi en vient-il à écrire, de digression en digression, la manière dont Updike, cet «ami imaginaire», vit en lui _ et « travaille » ainsi sa propre écriture. Il parle de son idée au rédacteur en chef d’une revue. On lui répond que le résultat pourrait aussi bien être excellent que «tout à fait sinistre».

Le livre est publié aux Etats-Unis en 1991. Baker est un jeune romancier _ de trente quatre ans, maintenant _, auteur de nouvelles et de « la Mezzanine » _ à découvrir, pour qui ne l’a pas encore fait… Updike a encore dix-huit ans à vivre : on ignore si et comment il a réagi. Martin Winckler, l’auteur de « la Maladie de Sachs« , amateur de George Perec et de séries télévisées, explique dans la préface qu’il a traduit « Updike et moi«  sur proposition d’un éditeur, Julliard, qui renonça _ cependant _ à le publier. Il a fallu qu’Updike meure pour qu’il finisse par paraître _ en forme d’hommage non plus à un vivant, mais à un disparu. L’amour des livres est plus patient _ oui : chez quelques uns… _ que les regrets qu’ils inspirent.

Virus. John Updike, né en 1932, vit en Nicholson Baker, né en 1957, comme un virus enchanteur _ quelle belle formule ! On ne peut donc pas dire que Baker écrit sur Updike, mais plutôt sur lui-même révélé par Updike _ voilà ! le « génie », en plus de sa « singularité » atypique, a aussi la vertu d’une « exemplarité » forcément problématique : il ne se copie pas ! il « inspire » !!! L’envie concrète de le faire lui vient le jour où, «avec une stupéfaction jalouse», il voit sa mère se marrer en lisant la description par l’auteur de « Rabbit » d’un morceau décollé de gazon de golf : «Rien n’est plus impressionnant que le spectacle d’une personne complexe _ d’une grande capacité de sensibilité admirative _ éclatant de rire _ en ce que Baldine Saint-Girons appelle un « acte æsthétique« … _ à la lecture de quelques mots dans un livre ou un journal sérieux», surtout si cette personne est sa mère. Baker observe le virus que la sienne lui a peut-être refilé.

Son effet est permanent et sa victime, assez négligente. Permanence : «Au cours des treize dernières années écoulées, il ne s’est guère passé de jours sans qu’Updike occupe au moins une ou deux de mes pensées.» Négligence : quand Baker répertorie ses lectures d’Updike, il s’aperçoit qu’il n’a fini presque aucun de ses livres, et qu’il n’en a le plus souvent lu que quelques pages. C’est que l’écrivain est plus constant dans sa production que le lecteur dans ses assiduités : «De même que nous voyons rarement nos amis les plus proches parce que leur proximité nous ôte le pressant besoin de débarquer chez eux, de même la productivité constante de l’écrivain vivant émousse notre impatience de combler les lacunes de notre lecture» _ pas toujours, heureusement…

En revanche, Baker est intarissable lorsqu’il s’agit de se poser des questions comme : qu’aurait fait Updike à ma place dans ce Mac Donald’s où je m’humilie avec des centaines de pièces jaunes tout en lisant William Blake ? Comment aurait-il décrit cette histoire de bonbons passés au rayon X par peur des bombes pendant un Halloween ? Et quand l’écrivain Tim O’Brien lui apprend, l’air de rien, qu’il joue au golf avec Updike, mais qu’ils ne parlent jamais de livres, Baker n’en finit plus de décrire comment il jouerait, lui, au golf avec son héros. Il faut le consoler en pensant que, s’il l’avait fait réellement, jamais il n’aurait pu l’imaginer _ l’activité se déployant, à l’œuvre, de la faculté de « génie »…

Ce que Baker a lu d’Updike, des phrases, des bouts de phrases, un personnage par-ci, une manière de décrire par-là, tout cela vit en lui profondément et à tout moment _ l' »inspire », en toute légéreté… Il tient des fiches mais cite de mémoire, donc de travers, puis rétablit les vraies phrases entre crochets. Elles sont souvent moins bonnes que leurs déformations : Borges _ l’ami de mon cousin Adolfo (Bioy Casares) et de ma cousine Silvina (Ocampo) _ pensait qu’il fallait faire confiance aux torsions _ « inspirées », à leur tour _ de la mémoire ; et il avait raison _ la vertu se propage…

« Updike et moi » est une histoire d’amour et, comme toute histoire d’amour bien racontée, elle se suffit à elle-même : inutile d’avoir lu Baker ou Updike pour aimer ce que l’un dit sur l’autre. Julien Gracq se fichait des critiques comme étant ces animaux impossibles, des «experts en objet aimé». Un mérite secondaire d’« Updike et moi » est de montrer l’ineptie _ ouaf ! ouaf ! Gracq n’est pas très doué pour l’amour : cf son calamiteux « Les Sept collines » où il réussit le tour de force de s’insensibiliser à la beauté de Rome ! _ de cette affirmation : c’est justement _ et uniquement _ quand on aime un écrivain qu’on en devient l’expert, pas besoin de le lire entièrement pour ça _ l’amour (vrai) est tout le contraire d’aveugle : c’est lui la vraie (et unique) voie d’accès à la connaissance !.. Mais aujourd’hui on prend tout et n’importe quoi pour de l’amour authentique. Gare aux contrefaçons, chers lecteurs !

Baker finit par rencontrer Updike, dans un cocktail. Celui-ci se souvient d’avoir lu l’une de ses nouvelles, «une très jolie chose» _ dit-il alors _, et puis s’en va. Baker repart avec ces quatre mots comme une rosière déflorée par un chevalier. Plus tard, il croit retrouver une trace infime de sa nouvelle dans un texte postérieur d’Updike, un détail, la description du pouce d’un violoniste. Le meilleur hommage qu’on puisse rendre à un écrivain qu’on aime, c’est de l’avoir influencé» _ en retour…

John Updike est mort le 27 janvier 2009. Nicholson Baker n’aura plus à «trouver des preuves savantes _ universitaires, patentées _ de la grandeur d’Updike au lieu d’utiliser celles auxquelles je crois vraiment», les seules qui comptent, puisque ce sont _ plus « artistes », elles… _ des preuves d’amour.

(1) Dont Gallimard publie « La ville est triste » («l’Imaginaire», 184 pp., 6,50 euros)

Philippe Lançon

_ en un bien bel article, comme presque toujours : d’amour _ et désapprobation _ lucide(s)…

Nous irons y regarder d’un peu plus près…

Surtout sur la recommandation de David Vincent…

Cf aussi, de lui-même, le billet « Nicholson Baker n’est pas toujours drôle« , hier, 24 juin, sur le blog « Ces mots-là, c’est Mollat« …

Titus Curiosus, le 22 juin 2009

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