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Le revival discographique des joyeux « Paladins » de Jean-Philippe Rameau (2)

31mar

Voici qu’après mon article «  » du 26 février dernier,

ResMusica, sous la plume de Jean-Luc Clairet, publie ce jour une chronique intitulée « Les Paladins de Rameau par la Chapelle harmonique : première intégrale discographique« , consacrée à ce marquant CD du label Château  de Versailles – Spectacles, par la Chapelle harmonique sous la direction de Valentin Tournet…

 

Valentin Tournet parachève le travail commencé par Jean-Claude Malgoire en 1990 (2 CDs Paul Vérany) et poursuivi par Konrad Junghänel en 2010 (2 CDs Coviello Classics) avec cette parution inespérée d’une véritable intégrale (3 CD Château de Versailles Spectacles) de l’avant-dernier opéra de Jean-Philippe Rameau.

« La musique est d’un ennui redoutable. Rameau a paru radoter, et le public lui dit qu’il est temps de dételer. » En 2022, l’on se désolidarise bien évidemment de cette critique de 1760 venue cueillir à chaud la première représentation des Paladins. Heureux fut-il que Rameau ne prît pas la mouche après cet avis assassin à l’endroit du dernier opéra qu’il présenta à son public, car c’eût été priver la postérité des géniales Boréades à venir. Si le succès délaissa bel et bien Les Paladins, supprimé de l’affiche après 15 représentations, ce fut pis pour Les Boréades, jamais représentées _ en effet… _ du vivant de son auteur, où pourtant (piqué au vif ?) il s’était de toute évidence dépassé. Certes, le pénultième opéra n’est pas irrigué de la même eau que l’ultime : pas un numéro des Paladins ne se hisse à la hauteur de l’Air pour les Saisons et les Zéphyrs, de l’Entrée de Polymnie des Boréades. Mais il dégage du déversoir de danses qu’il est une somme de trouvailles orchestrales, une énergie dont la très pop version Christie/Montalvo/Hervieu (DVD Opus Arte) fit une fête mémorable au Châtelet en 2004.

C’est dans ce maelström que plonge le jeune ensemble de Valentin Tournet. L’ambition affichée de sa Chapelle Harmonique (« renouveler l’approche de grandes œuvres… s’intéresser à des versions moins connues ») convainc davantage cette fois qu’à Beaune en 2019 (avec une version révisée, par Rameau soi-même, des Indes Galantes sans l’Entrée des Fleurs). Les Paladins version Tournet (deux heures cinquante au lieu des une heure trois-quarts de Malgoire) sont même plus qu’intégraux, puisque gratifiés de l’addendum de cinq pièces retirées par le compositeur avant la première et de l’Ouverture remplacée consécutivement à l’arrivée à Paris en 1759 de cornistes plus expérimentés. Une prise de son très aérée met en valeur le chœur haut en couleurs, les bois acidulés et joueurs, les cordes veloutées et fougueuses d’une phalange parfois tentée par la précipitation (péché mignon de jeunesse ?), ainsi qu’un arsenal percussif destiné, dixit Valentin Tournet, à « accentuer le caractère dynamique des danses…. une pratique selon toute apparence usuelle à l’époque. »

Les Paladins, en fait une comédie lyrique _ voilà _ , sont la réponse de Rameau à la Querelle des Bouffons (tenants du sérieux de la tragédie lyrique à la française, comme Rameau, versus ceux du bouffe à l’italienne – Rousseau). Le compositeur dijonnais, déjà visionnaire avec sa Platée de 1745, enfonce le clou de son indiscutable protéiformité. Rire ne lui fait pas peur. Choquer non plus : dans ses Paladins, sa version, adaptée par Duplat de Monticourt, du conte de La Fontaine inspiré de l’Arioste Le chien qui secoue de l’argent et des pierreries, le rôle de la fée Manto est confié, comme la plus célèbre des grenouilles, à un chanteur : l’intrigue convenue (un barbon amoureux d’un tendron amoureux d’un bellâtre) se teinte d’une ambiguïté qui interroge forcément lorsque ledit barbon, pour parvenir à ses fins, est contraint de jurer sa foi amoureuse à un homme.

Manto n’apparaît qu’au troisième Acte : de l’Ariette gaye Le Printemps des amants, ou encore le conquérant De ta gravité, Philippe Talbot s’empare avec l’assurance et la musicalité qui sont sa marque. Il aurait pu aussi bien incarner Atis, le jeune premier, attribué à l’impeccable ramiste qu’est une fois encore Mathias Vidal. L’amoureuse de ce dernier est Sandrine Piau, dont la ductilité vocale fait merveille en Argie. Elle délègue la suivante Nérine, qu’elle incarnait au Châtelet, à la pétillante Anne-Catherine Gillet. Nérine préfigure une certaine Blonde mozartienne, comme le garde-chiourme Orcan (impeccable Florian Sempey) un certain Osmin _ de « L’Enlèvement au Sérail« . Complétant cette excellente distribution française, Nahuel di Pierro croque d’une bonhomme noirceur Anselme, le barbon berné par les Paladins.

Moins expérimentés que Christie jadis, moins spectaculaires que Kossenko récemment _ en son superbe « Achante et Céphise« … _, Les Paladins de Tournet imposent la verdeur et l’enthousiasme de la jeunesse. Une jeunesse parfaitement accordée à celle d’un compositeur qui, même sous la surface d’intrigues rebattues, ne radote _ en effet _ jamais.

Jean-Philippe Rameau (1683-1764) : Les Paladins, comédie lyrique en trois actes sur un livret de Duplat de Monticourt.

Avec : Sandrine Piau, soprano (Argie) ; Florian Sempey, baryton (Orcan) ; Anne-Catherine Gillet, soprano (Nérine) ; Nahuel Di Pierro, basse (Anselme) ; Mathias Vidal, ténor (Atis) ; Philippe Talbot, ténor (Manto) ;

La Chapelle Harmonique, direction : Valentin Tournet.

3 CD Château de Versailles Spectacles.

Enregistrés dans la Galerie des Batailles du Château de Versailles en décembre 2020.

Livret de 160 pages trilingue (français, anglais et allemand).

Durée totale : 164:59

Ce jeudi 31 mars 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

 

Une excellente surprise discographique ramiste : « Les Paladins », par Valentin Tournet et La Chapelle harmonique : un enregistrement enfin intégral (et parfaitement réussi) …

26fév

C’est avec assez forte _ et excellente ! _ surprise que le public mélomane baroque français vient de découvrir la parution d’un enregistrement discographique enfin complet (!) des « Paladins » de Jean-Philippe Rameau,

une « comédie lyrique » en trois actes créée au Théâtre du Palais-Royal à Paris en 1760.

Le précédent enregistrement _ au Théâtre municipal de Tourcoing en date du mois d’octobre 1990 ; publié en un double CD (ARN 263660, d’une durée de 112′ 16) par Arion en 2006 _ des « Paladins » dont je disposais en ma discothèque, est celui de Jean-Claude Malgoire et la Grande Ecurie et la Chambre du Roy…

Or, voici que, ce mois de février 2022, le très actif label Château de Versailles – Spectacles publie un enthousiasmant triple CD (CVS 054, d’une durée de 160′ 47 ; enregistré dans la Galerie des Batailles du Château de Versailles au mois de décembre 2020) de ces « Paladins » de Rameau, par Valentin Tournet et La Chapelle Harmonique…

Voici l’article simplement intitulé « Les Paladins » par lequel avant-hier 25 février Jean-Charles Hoffelé s’en est fait l’écho sur son riche _ et décidément nécessaire _ site Discophilia :

LES PALADINS

Lorsque Les Paladins déboulèrent en 2004 sur la scène du Châtelet, avec force hip hop, rames de métro et bestiaire délirant (!), réinventés par William Christie et sa formidable bande, je ronronnais de contentement. Enfin le temps était venu pour l’autre ultime grand ouvrage lyrique de Rameau, dont la postérité aura été effacée par le destin plus tortueux _ dont la représentation entreprise, l’été 1764, a été brutalement interrompue par le décès de Jean-Philippe Rameau, le 12 septembre 1764 ! _ des Boréades. Las, le disque ne suivit pas, seul le spectacle fut documenté par un réjouissant DVD _ Opus Arte, sur la scène du Châtelet en 2004 _, mais Christie coupait un peu _ hélas ! _, scène oblige. Les Paladins en restèrent donc à l’enregistrement pionnier  _ de 1990, il a 32 ans… _ de Jean-Claude Malgoire, parcellaire _ voilà… _, une version plus complète _ sous la direction de Konrad Junghänel, enregistrée à Duisburg en avril 2010 _, parue récemment _ au label Coviello _, s’avérant décevante, malgré un bel Atis _ d’Anders J. Dahlin. Là encore, tout le texte n’y était pas _ trois fois hélas.

Coup de tonnerre, après de brillantes Indes Galantes (j’y reviendrai), Valentin Tournet entraine cette folle comédie-ballet jusqu’à l’ivresse _ cf cette courte vidéo de 2′ 36 Rameau y est prodigieux de verdeur dans son orchestre _ une facette en effet capitale du génie musical de Rameau ! _, le livret assaisonnant une intrigue toute simple d’humour, la piquant d’un ton souvent ironique, autorisant l’octogénaire à faire sa plume aussi légère que brillante _ voilà : d’après un conte leste du toujours délicieux La Fontaine.

L’orchestre des Paladins, avec ses couleurs poivrées _ oui ! _, n’est pas moins stupéfiant _ voilà ! _ que celui des Boréades, ses nombreuses danses _ un facteur bien entendu fondamental du génie de Rameau _ cumulent de savoureuses musettes (c’est la musique même des Paladins, en déguisement de pèlerin, menés par Atis), d’explosifs bruits de guerre. Il faut entendre comment Valentin Tournet emporte tout cela, quelle flamme _ oui ! _, quelle imagination de timbres, de rythmes, il imprime à ses musiciens, instrumentistes et choristes.

Distribution en or pur, mené par l’ardent Atis de Mathias Vidal dans sa meilleure voix, mais comment résister à l’Argie touchante de Sandrine Piau, à la Nérine mutine d’Anne-Catherine Gillet (qui fait entendre une qualité de diction, une couleur typique d’une certaine école de chant française _ et c’est en effet très important ! _ qui par elle perdure _ sur l’impeccable art du chant français d’Anne-Catherine Gillet, cf mon article du 24 octobre 2011 : ), les méchants formidables de Florian Sempey et Nahuel Di Pierro.

Tout cela sera démêlé par la bonne fée Manto, rôle de travesti que Philipe Talbot assume crânement de son ténor rossinien (même si je garde une petite préférence pour celle plus « queer » de François Piolino _ chez Christie en 2004 _), les ultimes danses pourront s’élancer, la fête ne sera pas finie pour autant, Valentin Tournet ajoutant _ en effet, pour 14′ 12 _ en appendice un air de Nérine et quelques pièces d’orchestre retirés avant les représentations de 1760. Abondant livret, note d’intention du chef, article éclairant de Loïc Chahine, intégralités du conte de La Fontaine et du livret de Duplat de Monticourt, décidément Les Paladins ont eu raison d’attendre si longtemps, les voici enfin, irrésistibles !

LE DISQUE DU JOUR

Jean-Philippe Rameau(1683-1764)


Les Paladins, RCT 51

Sandrine Piau, soprano (Argie)
Anne-Catherine Gillet, soprano (Nérine)
Mathias Vidal, ténor (Atis)
Florian Sempey, baryton (Orcan)
Nahuel Di Pierro, basse (Anselme)
Philippe Talbot (La fée Manto)

La Chapelle Harmonique
Valentin Tournet, direction

Un album de 3 CD du label Château de Versailles Spectacles CVS054

Photo à la une : le chef d’orchestre Valentin Tournet – Photo : © DR

Ainsi, un _ cruel _ manque discographique ramiste vient-il d’être très heureusement comblé !
Merci à Valentin Tournet… 

 

Ce samedi 26 février 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

Le Baroque musical français religieux : le flamboyant cas Rameau (1683 – 1764)…

19fév

Dans mon article de mercredi dernier 16 février _ _,

« de Henry Du Mont (1610 – 1684) et Pierre Robert (1622 – 1699) jusqu’à André Campra (1660 – 1744), Michel-Richard Delalande (1657 – 1726) compris ; sans oublier, bien sûr, ni Jean-Baptiste Lully (1632 – 1697), ni Marc-Antoine Charpentier (1643 – 1704)« ,

je choisissais pour bornes de mon évocation de la présente production discographique les réalisations d’oeuvres allant de Henry Du Mont (1610 – 1684) jusqu’à André Campra (1660 – 1744), dans l’intention de m’en tenir aux compositeurs principaux disons du règne de Louis XIV (1643 – 1715).

En écartant le cas, plus tardif, de Jean-Philippe Rameau (1683 – 1764) ;

dont j’avais un peu oublié, pour des raisons que j’ignore et qui m’étonnent, sa production de Motets…

Or, voici que vient se rappeler à mon attention la parution d’un superbe CD intitulé « Grands Motets«  _ le CD CVS 052 du label Château de Versailles – Spectacles _, consacré aux 4 Motets dont nous disposons aujourd’hui de Jean-Philippe Rameau :

« Quam dilecta tabernacula« , « In convertendo Dominus« , « Laboravi clamans » et « Deus noster refugium« ,

interprétés par le Chœur et l’Orchestre Marguerite-Louise, sous la direction de Gaétan Jarry…

Ainsi voici l’article, intitulé « Motets d’opéras« , que Jean-Charles Hoffelé, sur son site Discophilia, a consacré, avant-hier 17 février, à ce superbe CD de ces 4 Motets de Rameau

_ au lendemain de l’article intitulé, lui, « Pour le Roi-Soleil« , consacré par Jean-Charles Hoffelé au CD « Grands Motets » de Michel-Richard Delalande (1657 – 1726), de l’Ensemble Correspondances, sous la direction de Sébastien Daucé, le CD Harmonia Mundi HMM 902625 : une réalisation discographique plus décevante, à mon goût du moins ; et pour une fois, pour ce qui concerne Sébastien Daucé… _ :

MOTETS D’OPÉRAS

Rameau n’a pas pu se réfréner : l’air de soprano qui ouvre le sublime Quam dilecta tabernacula pourrait être chanté par Clarine, les longues phrases ornementées de l’Et enim passer où le ténor volute avec la flûte sont absolument opératiques _ presque trop ! _ ; tout cela est déjà un théâtre des sentiments et des émotions avant même le coup de tonnerre _ en 1733 _ d’Hippolyte et Aricie proclamant soudain le génie dramatique qui conduira la tragédie lyrique à son second apogée.

L’ensemble des motets écrits entre 1712 et 1721 _ soit à la toute fin du règne de Louis XIX et sous la Régence de Phikippe d’Orléans _, est fascinant, Rameau y opère une synthèse entre le modèle lullyste, les tentations italianisantes qui pénètrent par instants ceux de Lalande (l’influence maudite _ cela dépend de quel point de vue… _ de Charpentier) et le génie, illustratif jusqu’à la sensualité _ oui ! _, de ceux de Pierre Robert, qui pourrait être le modèle par quoi Rameau s’émancipe, préférant faire raisonner les mots des Ecritures par leur sensible plutôt que par leur fulgurance dont le chœur s’emparera.

Le geste si puissant que Gérard Jarry déploie au long de ce disque éclairant me semble renouveler le sujet, par l’émotion qu’il imprime dans les couleurs mêmes des notes, par l’éloquence du chœur, par le ton singulier qu’il donne à chacun des quatre grands motets, et par la présence si prégnante de ses solistes. Mathias Vidal, somptueux, ne devra pas vous faire négliger les dessus et les tailles, magnifiques d’incarnation elles aussi.

Album rayonnant, indispensable _ sans nul doute ! _ à toute discothèque Rameau.

LE DISQUE DU JOUR

Jean-Philippe Rameau(1683-1764)


Quam dilecta tabernacula, RCT 15
In convertendo Dominus,
RCT 14

Laboravi clamans, RCT 16
Deus noster refugium, RCT 13

Maïlys de Villoutreys, soprano
Virginie Thomas, soprano
Mathias Vidal, ténor
David Witczak, baryton
François Joron, baryton

Chœur & Orchestre Marguerite Louise
Gaétan Jarry, direction

Un album du label Château de Versailles Spectacles CVS5052

Photo à la une : © DR

Ce samedi 19 février 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

Un nouvel article consacré au tout premier enregistrement discographique du merveilleux « Achante et Céphise » de Jean-Philippe Rameau, par Alexis Kossenko et ses Ambassadeurs-La Grande Ecurie…

15fév

Le 18 décembre dernier, j’avais ici réagi à un premier article _ de Jean-Charles Hoffelé, sur son site Discophilia, un article intitulé « Révélation«  _ consacré au tout premier enregistrement discographique _ un double CD Erato 019029669394 _, par Alexis Kossenko et ses musiciens Les Ambassadeurs – La Grande Écurie, de l’ « Achanthe et Céphise » de Jean-Philippe Rameau.

L’ami Patrick Florentin, éminentissime ramiste parmi les ramistes _ cf son importante contribution, avec le chapitre 17, « Rameau’operas on disc«, au très récent livre « The Operas of Rameau _ Genesis, Staging, Reception » de Graham Sadler, Shirley Thompson et Jonathan Williams, paru le 10 septembre 2021… _, m’avait prévenu un peu auparavant, le 29 octobre 2021, de l’imminence de l’événement de cette superbe sortie discographique ramiste.

Or, voici que ce mardi 15 février 2022, le site ResMusica, sous la plume de Jean-Luc Clairet, consacre à son tour un article, intitulé « Achante et Céphise : une Pastorale inédite de Rameau musclée par Alexis Kossenko« , à cette superbe première discographique.

Voici donc cet article :

Grande nouvelle : il reste _ encore : eh oui ! C’est assez incroyable… _ des œuvres de Rameau à découvrir, comme cette Pastorale héroïque enregistrée en grande pompe par Erato.

À l’instar des Fêtes de l’Hymen et de l’Amour (ballet héroïque), Le Temple de la Gloire (Fête), Zaïs et Naïs (Pastorales héroïques), Achante et Céphise est une œuvre de circonstance, destinée à saluer la naissance, le 13 septembre 1751, de Louis-Joseph-Xavier, petit-fils de Louis XV. Loin des grands chefs-d’œuvre du début (Indes Galantes, Castor et Pollux, Hippolyte et Aricie), Rameau sort de Zoroastre et va s’atteler aux Boréades. Acanthe et Céphise ou La Sympathie (en écho à un anneau magique au liant pouvoir) est l’œuvre d’un génie au sommet _ en effet ! _ de son art.

On retrouve, non sans sourire, le « bestiaire » ramiste (berger/bergère/déité malfaisante) plongé dans une tourmente amoureuse condamnée au triomphe de l’amour : la passion d’un ténor et d’une soprano contrariée par un baryton, comme chez Verdi, un scénario bien banal. Le méchant est cette fois un génie d’abord bienveillant, qui choisira néanmoins d’allonger la liste des méchants ramistes : Huascar, Anténor, Borée… Comme toujours, même quand Rameau délaisse les sentiers de la tragédie lyrique, c’est dans la musique que réside les plus grands motifs de satisfaction. Bien qu’Achante et Céphise, représenté quatorze fois et jamais repris, soit de moindre envergure que les chefs-d’œuvre sus-cités, on retrouve, tout au long de ses plages dialoguées, la réactivité indéfectible d’un orchestre prompt à empêcher la moindre velléité d’ascétisme récitatif _ hum, hum… _, de surcroît gâté par les retrouvailles avec d’autres « vieilles connaissances » : musettes, tambourins, gavottes, menuets, rigaudons, symphonies, airs, pantomimes, tonnerre, et même une ample contredanse chantée en guise de conclusion. Les amoureux des Boréades goûteront, dans la brève Ritournelle introductive à l’Acte I, l’annonce de certaine sublime Entrée de Polymnie.

Tout cela pourrait être seulement aimable. Ce serait compter sans l’interprétation d’Alexis Kossenko. La puissance des Ambassadeurs-La Grande Écurie, avec des cors d’une insolence sidérante, et l’ajout inédit de six clarinettes « reconstruites dans les tons nécessaires » par le Centre de Musique baroque de Versailles, explose dès l’invraisemblable Ouverture, une des pièces les plus stupéfiantes _ possiblement : établir un palmarès en cette matière demeurant assez risqué… _ du compositeur, dans le droit fil des_ éblouissants et marquantsElémens (1721) de Jean-Féry Rebel. Quatre minutes d’une pompe audacieuse en lieu et place d’un Prologue dont Rameau a décidé, pour la première fois, de se passer. Ce qui ne l’empêche pas de le réintroduire d’opportune façon dans un finale hybride en forme d’hymne au prince naissant (« Vive la race des rois ! ») venant se superposer à l’amour triomphant des héros éponymes, allégeance appuyée de surcroît par d’inquiétantes perspectives guerrière déposées « aux pieds des autels de la Paix » ! La prise de son, tout aussi ahurissante, déroule un tapis rouge à des Musettes qui ont rarement dispensé autant de trouble harmonique. Une interprétation conquérante _ du moins très vivante et très juste _ que rien ne semble pouvoir freiner, les trois actes, d’une quarantaine de minutes chacun, étant donnés dans le même souffle _ oui, la même vivacité.

Bergères, bergers, coryphées, prêtresses et chasseurs sont autant de cartes de visite de merveilleux nouveaux-venus (Jehanne Amzal, Marine Lafdal-Franc, Anne-Sophie Petit, Floriane Hasler) comme de gosiers _ hum, hum... _ déjà familiers (Artavazd Sargsyan, Arnaud Richard). Judith van Wanroijest une accorte Zirphile. Quant au fabuleux trio de tête (David Witczak, Oroès à l’ébène ciselé, Cyrille Dubois, Acanthe stylé aux accents déchirants, et Sabine Devieilhe, lumineuse, d’un volume presque inédit en Céphise), il embarque avec brio, avec les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles survoltés (des trilles à la française particulièrement réjouissants), dans le torrent _ mais jamais hystérique _ Kossenko.

Jean-Philippe Rameau (1683-1764) : Achante et Céphise ou La Sympathie, pastorale héroïque en trois actes sur un livret de Jean-François Marmontel.

Sabine Devieilhe, soprano (Céphise) ; Cyrille Dubois, ténor (Achante) ; David Witczak, baryton-basse (le Génie Oroès) ; Judith Van Wanroij, soprano (Zirphile) ; Jehanne Amzal, soprano (la Grande Prêtresse) ; Artavazd Sargsyan, ténor (Un Coryphée/Un Berger) ; Arnaud Richard, baryton-basse (Un Coryphée/Un Chasseur) ; Marine Lafdal-Franc, soprano (Une Fée/Une Bergère) ; Anne-Sophie Petit, soprano (la Deuxième Prêtresse) ; Floriane Hasler, mezzo-soprano (la Troisième Prêtresse) ;

Les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles (chef de chœur : Olivier Schneebeli) ;

Les Ambassadeurs-La Grande Écurie, direction : Alexis Kossenko.

2 CD Erato.

Enregistrés à l’Église Notre-Dame du Liban du 7 au 11 décembre 2020.

Livret bilingue (français/anglais).

Durée totale : 130:25

Un événement ramiste et musical à, en effet, bien signaler !!!

Ce mardi 15 février 2022, Titus Curiosus – Francis Lippa

Bravissimo au ravelissime CD Ravel de Clément Lefebvre

30déc

Pour enfoncer le clou de mon article  du 18 novembre dernier,

dans lequel je me référais au commentaire, excellent, de ce CD par Jean-Charles Hoffelé, en un article intitulé Ravel danse, de la veille,

voilà que je suis tombé hier sur un nouvel article de commentaire de ce ravélissime CD de Clément Lefebvre, sur le site ResMusica, et sous la plume de Stéphane Friédérich :

un article intitulé cette fois Le réjouissant Ravel de Clément Lefebvre

Que voici :

Le réjouissant Ravel de Clément Lefebvre

Après un splendide _ oui ! _ album consacré à Rameau et Couperin également chez Evidence Classics _ cf mon article du 9 juin 2018 : _, Clément Lefebvre nous offre, loin des pages les plus spectaculaires de Ravel, des interprétations marquantes de pièces composées à l’ombre du Grand Siècle.

Classicisme et/ou modernité, précisément : la question est induite dans l’excellent texte de présentation _ de Clément lefèbvre lui-même ? _ qui offre la parole au compositeur placé devant le dilemme de rendre dommage à « ce XVIIIᵉ siècle de mes rêves » tout en demeurant pleinement lui-même dans l’effervescence des années 1890-1910. À la première mesure, la Sonatine naît sous les doigts du pianiste comme une évidence _ oui, tout simplement, en effet. Il est d’ailleurs impossible qu’elle ne soit pas “juste” et d’en relâcher une seule note, mais aussi de ne pas projeter le son vers le haut, de ne pas éviter “l’effet bibelot” ou, pire, le rachitisme analytique. La Sonatine n’est guidée que par une lumière à peine tamisée, jouant de « ce battement d’ailes » comme le décrivit si bien Vlado Perlemuter. Interpréter avec raffinement sans être précieux _ voilà ! _, voilà précisément ce que réussit Clément Lefebvre dans cette œuvre, puis dans l’élan du Menuet sur le nom de Haydn, moins “lent” que supposé, mais toujours ciselé dans le chant intime _ oui : ravélien. C’est, en effet, une musique que l’on joue pour soi et qui devrait être fortement déconseillée dans les grandes salles de concert. L’œuvre ne croît que par ses ambiguïtés, ses suggestions, une divine hypocrisie _ ou plutôt pudeur _ de styles bariolés. Elle s’amuse de ses indications « très vite mais pas précipité», mais aussi « sans prudence et sans merci ! ». Le superbe Yamaha CFX que l’on entend est réglé comme un cartel de Versailles avec juste ce qu’il faut d’or, de patine et de doux balancement.

Le cœur de l’album, ce sont les Valses nobles et sentimentales. Clément Lefebvre multiplie les modes d’attaques, les respirations brèves, les atmosphères qui naissent et disparaissent aussitôt, grâce à un toucher associant tendresse et robustesse _ voilà. C’est à la fois franc, élégant et suggestif _ oui : sans la moindre « hypocrisie« , par conséquent : le mot était un peu malheureux... Les ombres d’une chorégraphie et le pressentiment de l’orchestration déjà pensée par Ravel favorisent la prise de risques. Dans la cinquième danse, par exemple, l’interprète tire les rythmes “à lui”, dans un tempo un peu plus rapide que ce « presque lent », mais l’effet si bien calculé en devient… naturel _ comme il se doit, raveliennement… Les valses sont ce qu’on en attend : piquantes et aimables à la fois, des successions déroutantes de mouvements contraires et indansables.

Le Menuet Antique qui suit, frôle la parodie “chabriesque”. Peut-on imaginer, en 1895, soit deux ans avant la disparition de Brahms, une œuvre plus éloignée de l’écriture du viennois ? Quant à la partition à demi-reniée par le compositeur, la Pavane jouant sur les maux d’une infante, « ce morceau qui fait l’admiration des demoiselles qui ne jouent pas très bien du piano » écrit le critique Roland-Manuel, Clément Lefebvre ne se réfugie pas dans la distanciation affective ou, pire encore, dans un jeu la main sur la poitrine : il laisse les harmonies si délicates s’épanouir par elles mêmes. C’est amplement suffisant, et donc difficile à exécuter. D’une mourante feinte, à l’hommage aux disparus (eux, bien véritables), le Tombeau de Couperin clôt ce disque d’un néo-classicisme d’avant-garde. L’interprète nous a prouvé, en effet, que ces deux termes n’étaient pas tant des oxymores, que la nostalgie de faire revivre une Europe en paix _ probablement. Dans ce Tombeau de Couperin, imaginons que Clément Lefebvre nous convie au souvenir de promenades dans le Palais Royal, dans des jardins à la française. Le piano toujours aussi limpide et narratif ne rompt pas un instant avec le charme moqueur et la noblesse discrète _ oui _ des premières œuvres de ce disque. Rameau et Couperin, toujours _ oui.

Maurice Ravel (1875-1937) : Sonatine ; Menuet sur le nom de Haydn ; Valses nobles et sentimentales ; Menuet antique ; Pavane pour une infante défunte ; Le Tombeau de Couperin.

Clément Lefebvre, piano.

1 CD Evidence Classics.

Enregistré au Théâtre Elisabéthain du Château d’Hardelot, en avril 2021.

Notice en anglais et français.

Durée : 60:05

Un CD délectablement ravelissime en sa sveltesse raffinée

aux antipodes du moindre maniérisme…

Ravel, un musicien de l’intimité discrète, mais ferme.

Ce jeudi 30 décembre 2021, Titus Curiosus – Francis Lippa

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