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« Faire monde » face à l’angoisse du tout sécuritaire : la nécessaire anthropologie politique de Michaël Foessel

18jan

Pour présenter la conférence _ l’enregistrement dure 65 minutes _ de cet après-midi même,

mardi 18 janvier 2011, à 18 heures, dans les salons Albert-Mollat,

_ et dans le cadre de la saison 2010-2011 de la Société de Philosophie de Bordeaux _,

de Michaël Foessel :

« Les nouveaux modèles sécuritaires : vers une cosmopolitique de la peur ? »


Comment expliquer que l’affaiblissement des modèles de justice _ cf Mireille Delmas-Marty : Libertés et sûreté dans un monde dangereux (aux Éditions du Seuil) : un livre très important ! + mon article du 30 mai 2010 : Curiosité, inspiration et génie : splendeur de la conférence (artiste et rigoureuse) de Mireille Delmas-Marty au Festival Philosophia 2010 à Saint-Emilion _ s’accompagne de la montée en puissance des politiques sécuritaires ? Assiste-t-on aujourd’hui à un retour inattendu des États-nations et de leur souveraineté, comme semble l’indiquer le durcissement des politiques d’immigration ? Pourquoi la mondialisation libérale ne s’accompagne-t-elle pas d’une référence à un droit cosmopolitique ?

On montrera que le « monde » de la mondialisation se définit avant tout par la conscience du risque et la généralisation des peurs : un monde que l’on cherche seulement à préserver est aussi un monde que l’on a renoncé à transformer.

Ce renoncement pourrait bien être un écueil pour la démocratie…

voici, à nouveau

_ la première fois, ce fut le 22 avril 2010 : Le courage de “faire monde” (face à la banalisation esseulante du tout sécuritaire) : un très beau travail d’anthropologie à incidences politiques de Michaël Foessel _,

ma présentation de son _ excellentissime ! _ livre État de vigilance _ Critique de la banalité sécuritaire (aux Éditions Le Bord de l’eau) :

Comme pour poursuivre le questionnement (et l’analyse !) sur les manières de résister _ intelligemment et efficacement ! _ aux ravages civilisationnels de l’étroitesse utilitariste _ dictatoriale ! subrepticement totalitaire ! _ du néolibéralisme

_ cf mon article précédent « Penser le post-néolibéralisme : prolégomènes socio-économico-politiques, par Christian Laval«  à propos de la conférence de Christian Laval « Néolibéralisme et économie de l’éducation« , mercredi dernier à la librairie Mollat _,

voici que paraît ce mois d’avril 2010, sous la plume de l’excellent Michaël Foessel _ l’auteur du lucidissime, déjà, La Privation de l’intime, aux Éditions du Seuil en 2008 : le sous-titre en était : « mises en scènes politiques des sentiments«  : un travail déjà très important et magnifique !.. _ un passionnant et très riche (en 155 pages alertes, nourries et incisives !) État de Vigilance _ Critique de la banalité sécuritaire,

aux Éditions Le Bord de l’eau (sises _ après Latresne… _ à Lormont, sur les bords de la Garonne…),

et dans une collection, « Diagnostics« , que dirigent nos judicieux collègues bordelais Fabienne Brugère et Guillaume Le Blanc…

L’ouverture d’esprit ainsi que le champ d’analyse _ et de culture :

principalement philosophique : de Hobbes, excellemment « fouillé«  (entre Le Citoyen et Léviathan), à Hannah Arendt (La Crise de la culture) ou Hans Blumenberg (Naufrage avec spectateur, paru en traduction française aux Éditions de L’Arche en 1994) et Wendy Brown (Les Murs de la séparation et le déclin de la souveraineté étatique), ainsi que, et surtout, les dernières leçons au Collège de France de Michel Foucault (par exemple Naissance de la biopolitique, ou L’Herméneutique du sujet ; et aussi La Gouvernementalité, en 1978, disponible in Dits et écrits…) ;

mais pas seulement : cf, par exemple, la mise à profit par Michaël Foessel du tout récent et important travail de la juriste Mireille Delmas-Marty : Libertés et sureté dans un monde dangereux ; ou de celui du Prix Nobel d’économie Amartya Sen, in le rapport de l’ONU paru en 2003 La Sécurité humaine maintenant…) _

l’ouverture d’esprit ainsi que le champ d’analyse

de Michaël Foessel, n’ont, Dieu merci !, rien d’étroit ; ni de mesquin, d’avare 

Non plus que sa sollicitude _ passablement inquiète (sinon « vigilante«  !..), sans être excessivement dramatisée, voire hystérisée, cependant : à la différence des rhétoriques (sécuritaires) excellemment mises en lumière et critiquées ici, en leur banalisation même, à renfort quotidien, laminant, de medias et de communiquants, d’un « catastrophisme«  très complaisamment et non innocemment surjoué, lui !.. _

non plus que sa sollicitude, donc,

à l’égard de la santé de la démocratie et du « vivre ensemble » en notre histoire collective (sociale, économique, politique) désormais globalisée _ d’où l’expression du titre de cet article : « faire monde » !

La quatrième de couverture de État de Vigilance _ Critique de la banalité
sécuritaire
énonce ceci (avec mes farcissures ! si l’on veut bien…) :

« Nous vivons sous le règne de l’évidence _ à la fois matraquée par les medias et les divers pouvoirs ; mais aussi largement assimilée (et partagée) par bien des individus (je n’ose dire « citoyens« , tant ils se dépolitisent et « s’esseulent« …), qui y adhérent, donc, en nos démocraties… _ sécuritaire. Des réformes pénales _ telle « la loi sur la « rétention de sûreté » adoptée par le Parlement français en février 2008 » (cf page 51)… _ aux sommets climatiques en passant par les mesures de santé : l’impératif _ normé _ de précaution a envahi nos existences. Mais de quoi désirons-nous tant _ voilà la dimension anthropologique fondamentale que dégage magnifiquement le travail d’analyse, ici, de Michaël Foessel _ nous prémunir ? Pourquoi la sécurité produit-elle _ de fait, sinon de droit, en ces moments-ci de notre histoire contemporaine… _ de la légitimité _ socialement, du moins _ ? Et que disons-nous lorsque nous parlons _ ainsi que le relève aussi Mireille Delmas-Marty _ d’un monde « dangereux » ?

Le maître mot de cette nouvelle perception du réel est « vigilance » _ à laquelle sont expressément et en permanence « invités« , en leur plus grande « liberté«  (d’individus), et au nom du plus élémentaire « bon sens« , les membres de nos sociétés, au nom de leurs plus élémentaires (toujours : nous sommes là et demeurons dans le plus strict « basique«  ! du moins, apparemment !..), au nom de leurs plus élémentaires intérêts : « vitaux«  !.. Rien de plus « rationnel« , en conséquence !!!

L’état _ permanent : sans cesse (obligeamment !) rappelé : on s’y installe et on le réactive d’instant en instant le plus possible… _ de vigilance s’impose _ ainsi : avec la plus simple (et douce) des évidences ! « naturellement« , bien sûr ! _ aux individus non moins qu’aux institutions : il désigne l’obligation _ bien comprise ; mais non juridique ! _ de demeurer sur ses gardes _ apeuré _ et d’envisager le présent _ en permanence, donc _ à l’aune des menaces _ de tous ordres, et fort divers : Michaël Foessel en analyse quelques unes ; ainsi que l’effet (incisif) de leur conglomérat (pourtant composite : en réciproques contagions)… _ qui pèsent sur lui.

Cette éthique de la mobilisation _ apeurée, donc _ permanente _ voilà : à coup d’« alarmes«  et de « conseils de précaution«  (préventifs et réitérés) des plus aimable : du type « à bon entendeur, salut !«  _ est d’abord celle du marché _ tiens donc ! mais rien n’est gratuit en ce bas monde : tout a un « coût« , n’est-ce pas ?.. : la première évidence, et normative, est donc, par là, marchande ! _, et ce livre montre le lien entre la banalité sécuritaire et le néolibéralisme _ c’est là le point capital. Abandonnant le thème _ bien connu, lui ; et assez bien balisé _ de la « surveillance généralisée », il propose _ plus profondément et plus originalement _ une analyse des subjectivités vigilantes _ apeurées contemporaines : ce sont elles les acteurs-fantassins du premier « front«  On découvre la complicité _ politico-économico-sociétale _ secrète entre des États qui rognent _ oui ! en leur forme d’« État libéral-autoritaire«  : analysé dans le chapitre 1 du livre : « L’État libéral-autoritaire« , pages 27 à 55 : une analyse décisive !!! _ sur la démocratie _ voilà ! et l’enjeu est de taille !!! _ et des citoyens qui aiment _ voilà _ de moins en moins _ en effet _ leur liberté _ eh ! oui ! au profit du fantasme de leur « confort«  désiré, mis à mal (par toutes ces « inquiétudes«  !), mais encore moins satisfait ainsi : de plus en plus rabroué !!! au contraire…

L’équilibre (par définition instable : la dynamique de ce dispositif est conçue et voulue ainsi ! en spirale vertigineuse) des pratiques et de discours (rhétoriques) et de pouvoir bien effectif, lui (avec espèces bien sonnantes et bien trébuchantes à la clé !), des communiquants amplement mis à contribution et des détenteurs du pouvoir politique (ainsi qu’économique : mais ils sont en très étroite connexion, collusion) en direction du « public«  (des individus : chacun esseulé dans sa peur) ciblé se situe et se maintient (et cherche à s’installer et durer) en ce schéma mouvant et émouvant (affolant…) : dans la limite, à bien calculer-mesurer, elle, du supportable… Les élections et les sondages d’opinion (d’abord) en fournissant d’utiles indicateurs pour les pilotes décideurs et acteurs « à la manœuvre« 

L’État libéral-autoritaire produit _ ainsi _ des sujets _ assujettis, tout autant que s’assujettisant (d’abord, ou ensuite, ou en couple : comme on préfèrera), ainsi « manœuvrés«  en leurs affects dominants… _ et des peurs qui lui sont adéquats. C’est à cette identité nouvelle entre gouvernants et gouvernés qu’il faut apprendre à résister« 

_ par là, l’intention de ce livre-ci de Michaël Foessel rejoint le souci (de démocratie vraie !) qui animait aussi Christian Laval en sa conférence de mercredi dernier : Néolibéralisme et économie de la connaissance ; ou en son livre avec Pierre Dardot : La Nouvelle raison du monde

Personnellement, j’ai beaucoup apprécié le passage d’analyse de la curiosité, pages 127 à 131 d’État de Vigilance _ à l’ouverture du chapitre 4 et dernier, intitulé « Cosmopolitique de la peur ? » (et explorant de manière très judicieuse « l’hypothèse d’une historicité de la peur«  : l’expression se trouve page 123) _ à partir d’une lecture fine de l’article « Curiosité«   de Voltaire dans l’Encyclopédie : à contrepied de l’interprétation par Lucrèce, au Livre II de De la nature des choses, de ce qui va devenir, à partir de lui, le topos du « naufrage avec spectateur« …

« Aussi longtemps que la sécurité a été une caractéristique de la sagesse et non une garantie politique, la peur était définie comme une faute imputable à l’ignorance. Dans la célèbre ouverture du livre II de son poème, Lucrèce présente ainsi le plaisir qu’il peut y avoir à se sentir en sécurité lorsque tout, autour de soi, s’effondre :

« Douceur, lorsque les vents soulèvent la mer immense,

d’observer du rivage le dur effort d’autrui,

non que le tourment soit jamais un doux plaisir

mais il nous plaît de voir à quoi nous échappons. »

Le sage jouit de savoir que sa position n’est pas menacée. Devant le spectacle de la tempête, il ne ressent pas de peur, précisément parce que sa sagesse est ataraxie, tranquillité et constance de l’âme. Il n’y a rien dans ce sentiment du spectateur face à la violence des flots qui ressemble à la « pitié » des modernes : le philosophe antique n’éprouve aucune émotion à contempler les malheurs d’autrui. La pitié est une passion démocratique _ en effet ! _, puisqu’elle suppose l’égalité entre celui qui souffre et le témoin de sa souffrance.

A l’inverse, Lucrèce chante ici la hauteur _ d’âme _ du sage _ épicurien, matérialiste _ qui sait qu’il n’existe pas de Providence _ rien que le jeu de la nécessité et du hasard, avec le clinamen _, et que la colère des Dieux ne peut pas s’abattre sur la Terre. Le philosophe est préparé à l’agitation du monde parce que son savoir le prémunit _ en son âme : en ses affects _ des désordres _ du réel des choses _ qui se laissent expliquer par le mouvement nécessaire des atomes. Son rapport contre la peur est de nature scientifique, construit avec la théorie d’Épicure.

Hans Blumenberg _ en son Naufrage avec spectateur _ a montré que l’histoire de cette image _ du naufrage avec spectateur »  » _ était aussi celle des rapports entre la raison _ voilà : en ses diverses acceptions : plus ou moins calculantes ; plus ou moins utilitaristes… _ et ce qui, dans le monde, est inquiétant. « Le naufrage, en tant qu’il a été surmonté, est la figure d’une expérience philosophique inaugurale » _ écrit Blumenberg, page 15 de ce livre (paru aux Éditions de l’Arche en 1994). La force de cette métaphore réside dans l’opposition entre la terre ferme (où l’homme établit ses institutions _ à peu près stables _ et fonde ses savoirs _ avec une visée de constance _) et la mer comme « sphère de l’imprévisible ». L’élément liquide symbolise le danger puisqu’il échappe aux prévisions, en sorte que le voyage en pleine mer permet de penser la condition humaine dans ce qu’elle a d’effrayant _ dans l’augmentation du risque de mortalité effective. Dans tous les cas, surmonter l’expérience du naufrage suppose de le « voir » du rivage, et de ne pas craindre pour sa vie _ ainsi qu’on l’a évoqué plus haut _ ce fut pages 89 à 91 _, ce sera encore le modèle de Kant dans son analyse du sublime

_ au § 28, Ak V, 261-263 de la Critique de la faculté de juger :

« il importe à Kant que le sublime soit autre chose qu’une épreuve du désastre pour que le déchaînement de la nature devienne l’occasion d’une prise de conscience d’une faculté qui, en l’homme, excède toute nature : sa liberté« , page 90 d’État de Vigilance.

Et Michaël Foessel poursuit alors : « A l’abri de la violence qu’il contemple, le sujet découvre en lui « un pouvoir d’une toute autre sorte, qui (lui) donne le courage de (se) mesurer avec l’apparente toute-puissance de la nature« . La liberté est cette faculté qui situe l’homme à la marge _ voilà ! _ du monde, en sorte qu’il n’a rien à craindre des tumultes naturels. Mais pour que le sujet puisse s’apercevoir _ voilà encore ! _ de sa liberté, il faut qu’il se sente en sécurité et que sa peur ne se transforme pas en angoisse«  _ une distinction cruciale, que Michaël Foessel reprendra plus loin, page 143, à partir de la distinction qu’en fait Heidegger.

Et pour montrer, page 145, avec Paolo Virno, en sa Grammaire de la multitude _ pour une analyse des formes de vie contemporaines, que « la ligne de partage entre peur et angoisse, crainte relative et crainte absolue, c’est précisément ce qui a disparu«  ; et que « c’est plutôt à l’« être au monde » dans son indétermination _ la plus vague qui soit : « Qu’est-ce que j’peux faire ? j’sais pas quoi faire…« , chantonnait en ritournelle la Marianne (confuse…) du Ferdinand de Pierrot le fou, de Godard, sur l’Île de Porquerolles, en 1965 _, c’est-à-dire à la pure et simple exposition à ce qui risque _ voilà _ d’advenir ou de disparaître _ les deux unilatéralement négativement… _, que renvoient les peurs angoissées _ voilà leur réalité et identité (hyper-confuses !) clairement déterminée ! _ du présent.« 

Avec cette précision décisive encore, toujours page 145 : « Les discours de la « catastrophe », une notion qui tend à se généraliser bien au-delà des phénomènes naturels, enveloppent nos craintes d’une aura de fin du monde. Apocalypse sans dévoilement _ et pour cause ! en une (hegelienne) « nuit où toutes les vaches sont noires«  _, la catastrophe devient la figure du mal sous toutes ses formes _ mêlées, emmêlées _ : injustice, souffrance et faute. Les théories de la « sécurité globale » se fondent précisément sur la généralisation _ indéfinie autant qu’infinie _ de ce modèle à toutes les formes d’insécurité, comme s’il n’y avait d’autre moyen d’envisager la résistance du réel qu’à l’aune de son possible effondrement« _ tout fond « cède« … : aux pages 145-146 ;

Michaël Foessel ne se réfère pas aux analyses de Jean-Pierre Dupuy ; par exemple Pour un catastrophisme éclairé

Fin ici de l’incise ouverte avec la référence au « sentiment de sécurité«  comme condition de l’expérience du « sentiment de sublime«  selon Kant ; et les remarques adjacentes sur l’opportunité de la distinction « peur« /« angoisse«  ; et le « catastrophisme« … Et retour aux remarques sur la « curiosité«  et la démarcation de Voltaire par rapport à Lucrèce, aux pages 125 à 128 du chapitre « Cosmopolitique de la peur ?« 

« C’est dans la modernité que l’on procède à une réinterprétation radicale de la métaphore du « naufrage avec spectateur » ; donc du statut anthropologique de la peur«  _ soit le centre de ce livre décidément important qu’est État de Vigilance _ Critique de la banalitésécuritairePour les penseurs des Lumières, il n’est plus question de valoriser la distance indifférente du spectateur, car celle-ci suppose une quiétude qui ressemble trop _ par son statisme, son inertie ; et son anesthésie doucereuse _ à la mort. Désormais, la vie est perçue comme ce qui reste _ bienheureusement ! _ en mouvement _ vital ! pardon de la redondance ! _ grâce à ce qui risque de lui être fatal : le danger devient une dimension positive _ dynamisante _ de l’expérience«  _ se construisant pour sa sauvegarde nécessaire : page 126. « En conséquence, il faut réhabiliter les passions qui, d’une manière ou d’une autre, ont toujours été la source _ nourricière, féconde, fertile _ de ce qui s’est fait de grand dans le monde«  ; et donc « il faut désormais s’intéresser à ce qui se passe sur le bateau afin d’éviter qu’un naufrage se reproduise _ le réel étant répétitif jusque dans ses accidents les plus rares (= un peu moins fréquents, seulement…) : commencent alors à prospérer les statistiques (par exemple dans la Prusse de Frédéric II) : Kant ne manque pas de le remarquer en ouverture de son article crucial Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, en 1784…

« C’est pourquoi Voltaire réinterprète l’image du naufrage avec spectateur dans l’article « Curiosité » de l’Encyclopédie » : « C’est à mon avis la curiosité seule qui fait courir sur le rivage pour voir un vaisseau que la tempête va submerger ! »

Le sentiment de sécurité du sage est contredit par un affect universel : le désir de savoir de quoi il retourne dans les catastrophes. Pour Lucrèce, un naufrage n’est jamais que le résultat d’un mécanisme naturel qui affectait par hasard les hommes. Pour l’éviter, il convenait donc surtout de ne pas prendre la mer _ liquide et mobile : éviter le risque de ce danger ; voire le fuir : en s’abstenant de courir le risque : « mieux vaut changer ses désirs que l’ordre du monde« , hésitait (et balançait…) encore un Descartes (avec un plus entreprenant « devenir comme maître et possesseur de la Nature« , en 1637 (en son « Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences« )… _, et de demeurer sur la terre ferme _ solide et davantage stable _ décrite par la physique épicurienne. A l’inverse, le penseur des Lumières s’intéresse aux naufrages parce qu’ils atteignent ce qu’il y a de plus noble _ voire héroïque _ en l’homme : son désir _ faustien (cf tout ce qui bouge entre le Faust de Christopher Marlowe en 1594, pour ne rien dire de celui de l’écrit anonyme Historia von D. Johann Fausten, publié par l’éditeur Johann Spies, en 1587, et le Faust de Goethe…) _ de dépasser ses limites en apprivoisant _ = « s’en rendre comme maître et possesseur« , dit, à la suite d’un Galilée (« la Nature est écrite en langage mathématique« ), un Descartes, en 1637, donc : les dates ont de l’importance… _ la nature. Dès lors, il faudra se demander comment prendre la mer (c’est-à-dire civiliser le monde _ sinon le coloniser et mettre en « exploitation«  _), sans courir de risques inutiles _ le pragmatisme utilitariste a de bien beaux jours devant lui ; pages 127-128…

Quel est le rapport entre cette valorisation de la curiosité _ à ce moment des Lumières et de l’Encyclopédie _ et l’histoire de la peur ?

Avant les Lumières, Hobbes est le premier _ ou parmi les premiers : cf un Bacon… _ philosophe à réhabiliter la curiosité contre sa condamnation chrétienne. (…) La curiosité n’est rien de plus que « le désir de savoir pourquoi et comment » _ énonce Hobbes dans Léviathan, au chapitre VI. (…) Être curieux, c’est être amoureux _ oui _ de la connaissance des causes : l’homme doit à cette passion _ voilà _ toute sa science et ses plus hautes œuvres de culture. La curiosité est donc l’opérateur _ tel un clinamen de très large amplitude et fécond _ de la différence humaine«  _ par rapport au reste du vivant (et du règne animal) : moins « déployé« 

Et « pourquoi cette réhabilitation de la curiosité est-elle en même temps _ dans l’œuvre de Hobbes _ une valorisation de la peur ?« , page 129.

« Pour les penseurs de la modernité (…), le désir de savoir qui mène le spectateur sur le rivage et l’incite à analyser les causes du désastre s’explique, tout comme la peur _ voilà ! _ par un rapport inquiet au futur.

« C’est l’inquiétude des temps à venir » qui « conduit les hommes à s’interroger sur les causes des choses » _ énonce Hobbes dans Léviathan, au chapitre XI. La curiosité n’est une passion aussi vivace _ c’est aussi une affaire de degrés _ que parce que les êtres humains se trouvent dans l’ignorance de l’avenir, et cherchent par tous les moyens à remédier _ = prendre des mesures préventives tout autant efficientes qu’efficaces (soit prévoir & pourvoir ! pragmatiquement ! _ à leurs craintes«  _ on pourrait citer aussi, ici, le très significatif chapitre XXV du Prince de Machiavel ; avec la double métaphore de la crue catastrophique (faute, aux hommes, d’avoir ni rien prévu, ni rien pourvu !) du fleuve et des « digues et chaussées«  (à concevoir & réaliser) qui, si elles n’empêchent pas la-dite crue d’advenir et se produire, évitent du moins ses effets ravageurs catastrophiques sur les hommes et leurs biens institués ou construits : en les « sauvant«  de la destruction. A cet égard, la « précaution«  (active et efficiente) est plus « moderne«  que la simple « fuite«  (passive) à laquelle recouraient les Anciens…

 

C’est alors que Michaël Foessel compare (et confronte) les peurs contemporaines aux peurs modernes ; et la place changeante qu’y prend, tout particulièrement, en chacune, le remède politique de l’État ; ainsi que ce qu’il qualifie, page 131, de « l’histoire de la rationalisation _ calculante _ de la peur« …

Avec la modernité de Hobbes, « au moment où elle devient raisonnable, la peur acquiert le statut de passion politique _ quand se construisent les États-Nations de la modernité. La banalité sécuritaire se fonde _ alors _ sur cette équivalence entre une peur _ citoyenne _ qui cherche à se dépasser dans la tranquillité _ d’une part _ et _ d’autre part _ un État qui répond _ voilà ! _ à cette exigence par les moyens de la souveraineté » _ voilà !

« Mais qu’en est-il de cette équivalence aujourd’hui ?«  _ en cette première décennie de notre XXIème siècle, page 132.

Les dix-sept pages qui suivent vont y répondre :

et selon « l’hypothèse«  d’« une dépolitisation de la peur » _ dans le cadre oxymorique (à déchiffrer !) des « États libéraux-autoritaires« _ ; c’est elle « qui explique pour une part _ au moins _ les évolutions sécuritaires auxquelles nous assistons« … 

Michaël Foessel alors résume les trois apports du modèle moderne (hobbesien) _ soient :

« passion du calcul rationnel,

rappel à la finitude,

affect qui ne peut se dépasser que dans l’institution :

voilà les trois principales caractéristiques qui font de la peur un sentiment politique à l’intérieur de l’anthropologie classique«  _, afin d’y confronter ce qui se passe à notre époque :

« ce modèle est-il encore le nôtre ?« , demande-t-il, page 136. 

« Il semble que les peurs actuelles empruntent surtout au premier élément : la vigilance prônée dans les sociétés néolibérales est un appel constant à évaluer les risques _ voilà ! _ pour les intégrer à un calcul _ de plus en plus strictement utilitaire _ en termes de coûts et de bénéfices«  _ faisant devenir chacun et tous et en permanence des comptables de leur existence (réduite à cela) !!!

« Il est déjà moins sûr que la peur fonctionne encore comme un correctif à la démesure _ ah ! ah ! la cupidité du profit, de l’appât du gain (d’argent) n’ayant guère, déjà et en effet, de « mesure«  Les mesures sécuritaires _ en effet _ s’inscrivent dans un projet qui est celui de la maîtrise aboutie _ voilà ! _ du monde _ dont les hommes, s’agitant sans cesse _, comme si des technologies électroniques devaient tendanciellement se substituer aux évaluations humaines _ subjectives : par l’exercice personnel du juger… _ de la menace.« 

Et Michaël Foessel de commenter excellemment : « Ainsi qu’on le voit avec la biométrie, le rêve _ un terme qui doit toujours nous alerter ! _ sécuritaire est un rêve d’abolition de la contingence _ voilà l’horreur : le « rêve«  d’une vie enfin sans « jeu«  ! sans la marge d’incertitude d’une « création » éventuelle (= indéterminée, forcément) de notre part ; ce que Kant nomme aussi « liberté » du « génie«  ; ou qui, aussi et encore, est la poiesis _ dans lequel les identités individuelles sont réduites _ voilà ; et drastiquement : telle une implacable peau de chagrin… _ à des paramètres constants et infalsifiables _ une réification (= choséification) de l’homme ! La crainte (…) est _ alors _ plutôt le titre d’un nouveau fantasme de perfection : celui d’un monde régulé _ tel un lit de Procuste ! on y coupe ce qui dépasse _ par des informations dont il n’est plus permis de douter puisqu’elles ont été avalisées par la science _ et ses experts patentés ! en fait l’illusion mensongère (et ici servile et stipendiée !) du scientisme… La peur n’est rationnelle que si elle fait parvenir ceux qui l’éprouvent à un plus haut degré de perception _ pré-formatée _ du réel _ pré-sélectionné et bureaucratiquement breveté, ainsi, par quelques officines monopolistiques !

Mais les peurs actuelles peuvent plutôt être interprétées comme des angoisses _ sans contour ni objets identifiables : re-voilà ce concept crucial _ face au réel _ méconnu, lui, en sa diversité et spécificité qualitative : hors numérisation et comptabilité ! _ et à ce qu’il comporte de hasards _ bel et bien objectifs ! lire ici Augustin Cournot ; ou Marcel Conche : l’excellent L’Aléatoire (paru aux PUF en 1999)… _ et d’incertitudes » _ ludiques et glorieuses… Aux pages 136-137…

« Mais c’est surtout sur le dernier point, celui qui associe la peur et l’institution de la souveraineté, qu’il nous faut admettre ne plus vivre dans un monde hobbesien.« 

Car « la peur qu’éprouvent les sujets à l’égard des institutions est différente de la crainte raisonnable éprouvée face au Souverain«  _ énoncée et décrite dans Léviathan. « Dans un monde globalisé, les craintes _ désormais _ sont transnationales : c’est pourquoi les frontières classiques ne sont plus perçues _ par les individus _ comme des protections suffisantes« 

Et « des peurs contemporaines, on peut dire qu’elles sont « socialisées » en ce sens qu’elles renvoient à des attitudes _ larges et floues : voilà _ plus qu’à des actes illégaux _ spécifiés. Les citoyens ne sont donc pas seulement tenus de craindre les appareils étatiques de contrainte, ils doivent d’abord être vigilants face à _ tout _ ce qui, dans leur environnement immédiat _ infiniment ouvert et mobile _, les met _ subjectivement _ en danger« , pages 137-138.


Avec ce résultat que « le bénéfice de la peur politique, qui est de permettre aux individus de s’abandonner à _ la douceur presque insensible d’ _ une certaine confiance mutuelle _ oui : cette « civilité«  (« pacifique ») était l’objectif politique escompté, au final, du modèle d’État hobbesien _, est alors perdu au bénéfice d’une défiance _ rogue et perpétuellement malheureuse ; plus qu’intranquille : perpétuellement sur le bord de verser dans l’humeur querelleuse et agressive _ généralisée« , page 139. 

Avec aussi ce résultat, terrible : « les peurs d’aujourd’hui isolent _ voilà _ les individus parce qu’elles ne désignent pas un « autre » comme danger, mais se défient _ et fondamentalementdu réel social même _ en son entièreté. Les murs contemporains _ ceux qu’analyse Wendy Brown en son très remarquable Les Murs de la séparation et le déclin de la souveraineté étatique _ montrent _ cruellement, en leur réalisme ! _ que la peur n’est plus à l’origine d’un désir communautaire _ celui de « faire monde« , ou « société«  _, mais qu’elle est une invitation à faire sécession _ voilà ! en une « forteresse assiégée«  isolée du reste par ses barbacanes, fossés et douves… _ d’un monde jugé globalement pathogène«  _ (= toxique) : page 139…

Par là, « le modèle de l’aversion _ et de la fuite : mais jusqu’où ?.. _ semble plus adéquat _ en notre aujourd’hui d’« apeurement«  généralisé… _ que celui de la peur classique pour aborder les refus du présent« , en déduit Michaël Foessel, page 142.

Avec cette conséquence éminemment pratique que « confronté à un marché et à des risques qui ne connaissent plus de frontières, les souverainetés étatiques blessées _ et qui demeurent encore _ ne peuvent répondre autrement que sur un mode _ c’est à bien relever ! _ à la fois métaphorique _ ou magique ! d’où les palinodies d’incantations… _ et réactif au désir de monde clos qui anime la peur _ = l’angoisse, en fait… A force de discours _ et pas seulement ceux des communiquants et publicitaires, et autres propagandistes stipendiés _ qui affirment que le danger est partout puisqu’il est le monde lui-même _ voilà ! _, la peur a perdu _ et c’est un comble ! _ sa vertu de circonspection. N’étant plus en mesure de distinguer _ ni évaluer, ou mesurer, non plus ! _ le menaçant de l’inoffensif, elle tend à envisager _ fantasmatiquement _ toute chose _ à l’infini, continument ! _ comme un danger en puissance« , page 143. « Les peurs contemporaines ne font plus monde«  _ par là même : en un « esseulement«  (anti-social) proprement affolant…


Et « l’angoisse advient dans l’effondrement de ces significations _ qui furent jadis familières _ lorsque plus rien ne répond à nos attentes _ devenues seulement mécaniques et réflexes _ ou ne s’inscrit dans un horizon maîtrisé _ mécaniquement, aussi _ par nos actes«  _ selon quelque chose dont Kafka semble avoir, avec beaucoup, beaucoup d’humour, lui, exprimé très lucidement quelque chose…

D’où « les discours de la catastrophe » contemporains… Et « dans les politiques de la catastrophe _ qui se déploient si complaisamment _, il n’y a plus de différence de nature entre un monde qui menace de disparaître à cause de l’insouciance des hommes et une vie qui déraille » _ carrément ; page 146.

Certes « une catastrophe possède des remèdes, mais ceux-ci _ massifs, forcément… _ empruntent toutes leurs procédures à la science _ calculante, ainsi qu’à la techno-science (son compère), à partir de probabilités envisageables selon des moyennes… _ et aux mesures préventives _ techniques, mécaniques et automatisées _ qu’elle permet d’anticiper.

Sciences du climat, mais aussi du comportement, du crime, de la gestion des risques sanitaires et de la conduite _ envisageable, grosso modo, statistiquement… : le raisonnement se fait sur des ensembles, des masses, des foules ; et pas sur des singularités : non ciblables… _ des hommes _ coucou ! les revoilà ! _ : autant d’édifices théoriques qui figent l’avenir _ on en frémit ! tels des papillons promis (et condamnés) au filet, au formol et à l’épingle qui les immobilise pour l’éternité ! _ dans les prédictions _ ou prévisions ? imparables ?.. _ qui en sont faites.


Il faut _ très concrètement _ que la catastrophe _ massive !!! donc… _ soit un horizon _ incitatif suffisant ! pour les individus comme pour les gouvernants, par l’incommensurabilité de son caractère épouvantable ! sinon, on demeure insouciant ; et imprévoyant ! anesthésié qu’on est par le désir de confort et de routine ordinaire… _ pour que le monde et les vies deviennent prévisibles _ ceux qui contrôlent et calculent en étant à ce compte-là seulement, rassurés ! On ne maintient pas _ voilà ! _ les citoyens et les gouvernants dans la prévoyance active pour les lendemains si ceux-ci ne sont pas menacés _ rien moins que _ du pire. En sorte que les discours de la catastrophe ont tout de la prophétie autoréalisatrice : ils suscitent les peurs angoissées auxquelles ils proposent _ bien fort _ d’apporter une solution« , page 146.


Et « cette circularité _ voilà : auto-alimentatrice du système _ entre la peur angoissée _ sans objet nettement déterminé _ et la vigilance productive qu’elle induit _ voilà _ ne se limite nullement aux rapports entre les individus et les États. On n’expliquerait pas, sinon, qu’elle ait pu investir les vies jusque dans leur intimité _ mais oui ! _, réduisant toujours les espaces de quiétude. La peur incertaine _ angoissée, kafkaïenne… _ s’est transformée en élément _ productif _ de mobilisation permanente _ d’où la polysémie du titre de l’ouvrage : « État de vigilance«  : dont le sens, aussi, d’un état perpétué en permanence d’attention inquiète, voire stressée, des individus ; en plus de l’« État libéral-autoritaire« , adjuvant (et complice : bras séculier !) de l’économie néolibérale… _ dans un système global, que faute de mieux, nous appelons « néolibéralisme » _ voilà !

La vigilance ne serait jamais devenue un _ tel _ ethos majoritaire _ et continuant de se répandre _ si les trois dernières décennies _ après la fin des « trois glorieuses«  et la première grande crise du pétrole, en 1974… _ n’avaient pas été celles de l’introduction des horaires flexibles _ la flexibilité tuant la plasticité ; cf les excellents ouvrages là-dessus de Catherine Malabou… _, de l’affaiblissement des garanties liées au contrat de travail ; et de la sous-traitance à des entrepreneurs indépendants et socialement fragilisés«  _ en effet ! voilà des procédures empiriques diablement efficaces sur le terrain pour créer, multiplier et entretenir l’anxiété…


Et « le « management par la terreur » _ oui ! _ fait système _ lui aussi : par le haut ! _ avec ce réel angoissé _ oui ! _ où le fait de se sentir nulle part « chez soi » _ une barbarie ! _ est considéré _ managérialement ! Michaël Foessel cite ici une déclaration en ce sens de Andrew Grove, ancien PDG d’Intel : « la peur de la compétition, la peur de la faillite, la peur de se tromper et la peur de perdre sont des facteurs de motivation efficaces«  _ comme une vertu cardinale« , page 147 _ au bénéfice d’une nomenklatura, qui, elle, de fait, sait fort bien s’en exempter : cf les « retraites automatiques« , « parachutes dorés«  et « autres primes extravagantes« , précise Michaël Foessel, pages 147-148…

Le résultat étant que « dans les sociétés libérales, la majorité des individus est _ et de plus en plus : à moins qu’on ne s’emploie à y mettre fin !.. à inverser le processus ! _ soumise à une variabilité permanente _ dite « flexibilité«  : le contraire de la « plasticité«  artiste ; et des démarches souples et ouvertes à l’accident de l’imprévisibilité du « génie«  _ des formes de vie _ Michaël Foessel reprend ici l’expression de Paolo Virno ; cf aussi son Opportunisme, cynisme et peur _ ambivalence du désenchantement_ qui favorise l’apparition des craintes angoissées« , page 148. « Étrange procédure que celle dont on attend _ les néolibéraux ! du moins… _ qu’elle produise de la stabilité psychologique et sociale _ systémiques : une induration de l’habitus… _ par l’exacerbation des inquiétudes » _ des individus (pire que stressés)…

Et Michaël Foessel de conclure son chapitre « Cosmopolitique de la peur ? » :

« Dans tous les cas, il nous faut renoncer à nos espoirs _ sic ! _ dans une cosmopolitique de la peur _ pour reprendre le concept kantien… : soit la perspective d’un tel affect qui « ferait monde«  ! pour la collectivité des humains que nous sommes… Le cosmopolitisme n’est possible que là où _ décidément _ il y a des institutions et là où il y a un monde _ se faisant par nos coopérations effectives et lucidement confiantes (de vraies personnes sujets, et non réduites au statut d’objets) :

on aura depuis longtemps compris combien j’applaudis à ce « diagnostic«  de Michaël Foessel _ pour reprendre le titre (au pluriel : « diagnostics« ) de cette « collection » du « Bord de l’eau« , que dirigent Fabienne Brugère et Guillaume Le Blanc !


Or, les peurs angoissées sont solitaires et acosmiques
_ hélas ! _ : elles n’ont pas d’autre horizon que celui de la catastrophe » _ et font mourir les individus (isolés, s’isolant les uns des autres, désocialisés ; et sans œuvres !) de mille morts avant la mort biologique définitive… Ce ne sont pas là des vies vraiment « humaines » ! mais « inhumaines » ! barbares !

« Mais _ et ce sont les mots de Michaël Foessel en sa conclusion, page 155 _, entre l’audace _ téméraire _ de l’aventurier et la prudence _ calculante, comptable _ de l’entrepreneur _ ainsi, aussi, que la lâcheté (veule) devant la peur ; ou la soumission (maladive) à l’angoisse _, il y a le courage de l’action qui se mesure _ sans opération de calcul comptable, cette fois ! et joyeusement ! _ à l’imprévisibilité _ ludique _ du monde. Cette vertu collective _ et pas seulement personnelle et individuelle, par là ; mais civique (et civilisatrice !) _ est nécessaire pour que nos désirs politiques _ authentiquement démocratiques : à rebours des populismes démagogiques (bonimenteurs) menteurs ! _ osent à nouveau se dire dans un autre langage que celui _ apeuré et apeurant, avare et mesquin, aveuglément cupide ! _ de la sécurité _ soit le langage de la liberté créatrice d’œuvres authentiquement (= qualitativement !) « humaines« 

Un défi exaltant…

Existent d’autres régimes d’attention _ ou « vigilance« , avec d’autres rythmes… _que cette mesquinerie réductrice utilitariste néolibérale « coincée » ! D’autres désirs que de sur-vivre (soi, tout seul) biologiquement, et à tout prix ! Ou seulement s’enrichir _ gagner plus ! _ !.. Quelle pauvreté d’âme ! Quelle bassesse ! Quelle porcherie que cette cupidité exclusive !

Une attention un peu plus généreuse (et ludique _ jouer…) à l’altérité amicale (ou l’altérité amoureuse _ il y a aussi l’altérité des œuvres) ; et non inamicale _ Michaël Foessel cite aussi à très bon escient Carl Schmitt, et cela à plusieurs reprises _ ou concurrentielle !

Quelles terribles restrictions (et appauvrissements _ qualitatifs ! _) de l’humanité voyons-nous se déployer sous nos yeux avec cette économie politique néolibérale conquérante, exclusive, totalitaire ! en plus du ridicule infantile de son exhibitionnisme bling-bling !..

C’est cette anthropologie joyeuse-là qu’il vaudrait mieux, ensemble, en une démocratie ouverte, réaliser, joyeusement, souplement, et les uns avec _ et pas contre _ les autres…

Aider à advenir et s’épanouir une humanité mieux « humaine » !..

Titus Curiosus, ce 22 avril 2010

Post-scriptum :

Avec un cran supplémentaire de recul,

je dirai que la pertinence de l’analyse de l’état contemporain de l’État

(ainsi que du Droit : ici la réflexion de Michaël Foessel s’inscrit dans la démarche d’analyse lucidement riche d’un Antoine Garapon, comme dans celle de Mireille Delmas-Marty)

me paraît tout particulièrement redevable à la démarche de Michel Foucault _ en ses leçons au Collège de France, tout spécialement : leçons dont la lucidité fut sans doute en quelque sorte « accélérée«  par le sentiment de l’urgence de ce qui lui restait de temps, terriblement « compté« , à « vivre«  ! _ quant à l’historicité et des réalités et des concepts _ ensemble : ils font couple ! _ afin de les penser et comprendre :

à l’exemple _ encourageant ! _ de ce qu’une Wendy Brown retire de la méthode foucaldienne.

Soit un refus de la « substantialisation«  _ le terme est employé au moins à deux reprises dans le livre _ des concepts, de même qu’une critique reculée des « thèmes«  _ ce terme aussi revient à plusieurs reprises : les deux font partie de l’épistémologie critique foesselienne, en quelque sorte… La compréhension du réel, en son historicité même, requiert donc une telle mise en perspective à la fois cultivée et critique. 

C’est ainsi que la philosophie de l’État, ainsi que l’anthropologie _ classiques, toutes deux, en philosophie politique _ d’un Thomas Hobbes, doivent être relues et corrigées afin de comprendre ce qui change, ce qui mue, ce qui devient autre et se transforme à travers l’usage (faussement similaire) des mots, des expressions, des concepts, même, pour « suivre » et saisir vraiment ce qui « devient » (et mue) dans l’Histoire :

ici, en l’occurrence, comprendre « l’État libéral-autoritaire » et les « peurs angoissées » contemporains.

Comment la peur est « utilisée » autrement aujourd’hui qu’hier par un État _ avec ses appendices idéologiques _ qui, lui non plus, n’est plus le même ; et selon des affects qui eux-mêmes ont « bougé« . Et qu’il importe absolument de comprendre, en ce « bougé » même, pour mieux saisir le sens de ce qui advient maintenant ; et mieux agir au service d’un « humain » qui lui-même change (et se trouve « malmené » !)…

Ce qui _ nous _ impose _ aussi _ d’autres modalités d’action, notamment politiques, au service des valeurs d’épanouissement des humains : au lieu d’une « guerre _ même sous d’autres formes _ de chacun contre tous« .

Voilà comment Michaël Foessel, en son travail d’analyse philosophique, en ses livres publiés, comme en son travail d’articles dans la revue Esprit, au courant des mois et des années, nous offre un travail au service de l’épanouissement de l’humain…

Et d’un « faire monde » courageux : les deux étant liés…

Grand merci à ces contributions !!! Elles sont importantes !

C’est aussi une mission _ d’une certaine importance ! en effet… _ du philosophe _ faisant ce que sa démarche (d’intelligence comme d’action : en intense corrélation…) lui permet d’effectivement faire _ que de s’inscrire, avec son effort d’intelligence critique du réel, dans une démarche d’aide à la lucidité de la cité _ et des citoyens : tant qu’il en demeure, du moins ; mais le pire (ou la « catastrophe« ) n’est pas toujours le plus sûr, heureusement, peut-être !..

Tout cela me paraissant assez bien résister à la re-lecture,

neuf mois plus tard que le 22 avril 2010

de sa rédaction…


Le contexte des « événements » _ courageux ! _ de Tunisie

en ce moment même (!),

donnant à tout cela

_ et face à l’océan qui paraissait en expansion irrésistible des mensonges et des lâchetés !.. _

une perspective (d’espérance démocratique)

_ peut-être : nous verrons… _ un peu ravivée…

Titus Curiosus, ce mardi 18 janvier 2011

Curiosité, inspiration et génie : splendeur de la conférence (artiste et rigoureuse) de Mireille Delmas-Marty au Festival Philosophia 2010 à Saint-Emilion

30mai

Hier, sur la foi de la satisfaction de ma découverte l’an passé du Festival « Philosophia » (à Saint-Émilion),

avec, notamment les conférences (superbes !) d’Olivier Mongin et Bernard Stiegler _ le « thème«  de cette cuvée-là était « le monde » (« à l’heure de la mondialisation« ) ; cf mon article (avec lien au podcast) de compte rendu, le 31 mai 2009 : « Très fortes conférences d’Olivier Mongin et Bernard Stiegler à propos de ce qu’est “faire monde”, à l’excellent Festival “Philosophia” de Saint-Emilion«  _,

j’avais hâte de renouveler l’expérience,

d’autant que le « thème » de cette année-ci était « l’imagination » _ un mets de choix pour qui s’intéresse à la poïétique ! à la création par l’esprit (en acte et à l’œuvre !) : artistique et autre…

Un dilemme, toutefois, se posait à moi :

à l’heure de 15 heures 30,

et l’anthropologue Franco La Cecla

et la juriste, professeur au Collège de France, Mireille Delmas-Marty

proposaient simultanément deux (très prometteuses) conférences :

le premier, au Clos Fourtet, sur le sujet de « L’Imagination au masculin » ;

la seconde, répondant aux questions de l’excellent Nicolas Truong _ l’animateur de rencontres dans le cadre du Festival d’Avignon : Le Théâtre des idées : 50 penseurs pour comprendre le XXIème siècle_, sur le sujet de « Imaginaire et rigueur : imaginer un droit mondial« …

De Franco La Cecla _ aujourd’hui professeur d’anthropologie culturelle à Milan et Barcelone, ce natif de Palerme a aussi enseigné à la faculté d’architecture à Venise et été « consultant » auprès de Renzo Piano… _, j’avais découvert avec beaucoup de plaisir et d’intérêt, en 2004, d’abord le passionnant et très incisif Je te quitte, moi non plus _ ou l’art de la rupture amoureuse, puis, dans la foulée, Le Malentendu _ sur une question que j’estime cruciale, au sein des rapports humains ! et sur les conseils d’Isabelle, libraire au rayon « Sciences humaines » de la librairie Mollat : le livre est paru en 1997 aux Éditions Balland _, et Ce qui fait un homme, paru aux Éditions Liana Levi en 2002 ;

ce mois-ci, je me suis plongé avec satisfaction encore _ et je dois en rédiger, pour ce blog, un compte-rendu _ dans le délicieusement incisif, lui aussi, Contre l’architecture (aux Éditions Arléa) : c’est-à-dire vis-à-vis de certaines dérives du « gratin » des architectes les mieux (!) reconnus internationalement (= sur le marché !) au détriment du souci (et de la qualité) de l’urbanisme ! un enjeu d’importance, on peut (et on pourra) en juger… ;

quant à Mireille Delmas-Marty,

pour goûter tout spécialement _ et c’est un euphémisme ! _ la diffusion, le matin entre 6 et 7 heures (quand je prends la route pour gagner mon lieu de travail), de ses splendides cours au Collège de France ; de même que sa participation, parfois, à l’excellent « Le Bien public« , d’Antoine Garapon, le mercredi de 11 heures à midi ; les deux sur l’antenne de France-Culture

_ une exception (pour combien de temps encore ?) que ce France-Culture ! dans un paysage audio-visuel se dégradant (= dégradé !) à vitesse grand V, parmi les effluves nauséabonds triomphants (= « l’air du temps » !) de l’affairisme et du populisme conjugués de la com’, dans tant de médias, ces temps-ci…

je me suis précipité dès sa parution, sur son tout récent Libertés et sûreté dans un monde dangereux (aux Éditions du Seuil) _ j’y consacrerai aussi un article ; j’ai déjà indiqué que Michaël Foessel le citait en son important État de Vigilance _ Critique de la banalité sécuritaire !

cf mon article du 22 avril dernier : « Le courage de “faire monde” (face à la banalisation esseulante du tout sécuritaire) : un très beau travail d’anthropologie à incidences politiques de Michaël Foessel«  _,

Mireille Delmas-Marty est, à mes yeux, un contemporain majeur !

Et sa conférence _ en la salle des Dominicains _ m’a comblé :

rien que pour des contributions de cette qualité-là, un Festival (de philosophie) tel que Philosophia se justifie !!!

Voici ce que, dès la première heure ce matin,

et pour remercier son remarquable interviewer _ les meilleures conférences étant les conversations vivantes !!! _

j’écrivais à Nicolas Truong :

De : Titus Curiosus

Objet : Philosophia hier à Saint-Emilion + des curiosités croisées
Date : 30 mai 2010 09:09:14 HAEC
À :   Nicolas Truong

Cher Nicolas Truong,

d’abord, j’ai plaisir à vous féliciter pour la qualité de votre « dialogue » avec Mireille Delmas-Marty,
même si l’
opération est, ici, éminemment facilitée _ et comment ! _ par la personnalité « d’exception » (= géniale ! tout bonnement ! cf le concept tel que le propose Kant en sa Critique de la faculté de juger) d’un interlocuteur tel que Mireille Delmas-Marty :
une personnalité
_ et un esprit ; et un auteur _ proprement admirable !

Avec et de l' »inspiration » et du « génie » (tout à la fois poïétique et conceptuel : mais les deux sont-ils, de fait, séparables ? _ peut-on séparer radicalement la métaphore du concept ? ce point a aussi été abordé, en la (très belle !) conférence, à 17 heures de Jean-Jacques Wunenburger : « L’Imagination au cœur de l’existence«  _),
car ils se sont fait parfaitement (= très clairement) « sensibles » _ au public hyper attentif ! _ cette heure et demie là, en la salle des Dominicains :

merci à elle ! et merci à vous de lui avoir permis

et d’en faire preuve, en son exposé en répondant à vos questions « centrales«  _ c’est important d’avoir su (si) bien préparer (sur le fond !) la rencontre _

et en sachant si bien en exposer quelques tenants et aboutissants « théoriques« , sinon « épistémologiques« , à l’œuvre en sa recherche juridique : toujours vivante ; continûment en chantier, ainsi qu’elle l’a elle-même indiqué à propos de nouvelles éventualités (= hypothèses, pistes, programmes) de recherche _ l’institution du Collège de France, par François Ier, en 1530, est une institution prodigieuse…


« Inspiration« , « Génie » : c’est d’ailleurs là
LA question de fond

(= LE fondamental !)

qui devait être « traitée » par une manifestation « philosophique » telle que « Philosophia« 

se donnant pour « thème«  (= matière à problématisations ! par les conférenciers invités : « à plancher » !) l’imagination…

Mireille-Delmas-Marty l’abordant, elle,

et à partir de vos excellentes questions, donc,
à partir de sa pratique propre _ particulière et empirique : juridique ! _

de ce qu’elle nomme les « forces imaginantes » du Droit ;

et pas « théoriquement » (ou philosophiquement, si l’on préfère),
ainsi qu’elle l’a précisé, en réponse à ma question _ à la fin _, de son « impasse« , en sa conférence, sur le « champ » plus spécifiquement « philosophique » (théorique ! voire épistémologique) de l’exploration _ c’est une dynamique ! _ de la faculté d’imagination :

le concept de « génie » tel qu’il est exploré par Kant en sa Critique de la faculté de juger,
L’Institution imaginaire de la société
, cet ouvrage majeur du XXème siècle, et l’exploration de Cornelius Castoriadis ;
mais aussi
, moins repérés, L’Invention intellectuelle de Judith Schlanger (aux Éditions Fayard, en 1983)

et La pensée vive _ essai sur l’inspiration philosophique de Marianne Massin _ la fille de Jean et Brigitte Massin, les musicologues…

Je pense aussi aux travaux (bien connus) d’Edgar Morin ;

ainsi qu’à ceux de Nicole Lapierre : Pensons ailleurs ;

ainsi que ceux d’un François Jullien : par exemple Penser d’un dehors (la Chine), en dialogue avec Thierry Marchaisse, ici : en 2000, un livre passionnant !..

J’étais d’autant plus « aux anges »
que je venais d’être déçu par le non professionnalisme de la conférencière que j’avais écoutée l’heure d’avant (en un exposé réduit à 40 minutes : à son plus grand soulagement !),
qui n’avait rien de vraiment senti, ni de personnel à « dire« ,
pas davantage que le (moindre) désir de susciter l’attention et la compréhension du public présent _ à un point caricatural d’égocentrisme (carriériste ? et germano-pratin ?) ! me suis-je dit en mon for intérieur : c’est ainsi que j’ai ressenti la « performance« …

Quelques ressucées _ à propos de Gaston Bachelard et d’Henry Corbin _ d’une thèse universitaire sienne (déjà ancienne, a-t-elle elle même avoué-proclamé) + quelques aperçus sur son dernier ouvrage publié (de plus fraîche mémoire, lui), lui suffisant apparemment !

D’ailleurs, ce dernier livre que je suis en train de lire est lui-même fort brouillon, à mon goût ; et je ne le recommanderai pas !

Heureusement,
la conférence à 17 heures de Jean-Jacques Wunenburger
(maîtrisant, lui, son sujet) fut tout à la fois et (bien plus) sérieuse (précise, éclairante) et (bien mieux) inspirée :

le conférencier non seulement avait « préparé« , lui, sa conférence _ et pas seulement « ramassé«  précipitamment (entre deux trains…) quelques anciennes « notes« , sans prendre la peine (ou si peu, de rien « situer » auprès d’un public non universitaire guère averti ni du bachelardisme, ni du soufisme décortiqué par Corbin !) : un défaut que ne se permettrait pas un professeur de Terminales de lycée!) _ mais il recherchait « vraiment » (et avec talent !) la compréhension réceptive du public (tel qu’il était) : il l’a trouvée ! en sachant « se faire pédagogique » et « vivant » ! _ encore faut-il au moins le désirer ! et désirer partager sa pensée, sa recherche, ses explications, ses lumières…

Au passage _ à propos de la sélection des intervenants à Philosophia _,
je regrette que les « décideurs » de Philosophia aient négligé de faire appel
à Marie-José Mondzain : sur l’image !


Bref,

vos questions

allaient à l’essentiel ;
et j’ai bien apprécié, déjà, votre question d’ouverture
de l’échange

invitant Mireille Delmas-Marty à présenter (= « situer » !!!)  ce qui dans son histoire personnelle avait pu l' »incliner » à ces (et ses) recherches _ quant à un « droit mondial« , tant « se construisant«  (de bric et de broc : très empiriquement ; et non sans dissensions, en son disparate !..), qu’« à essayer (de proposer) à construire«  ! _

et à leurs modalités idiosyncrasiques : assez originales (« artistes« ) dans le milieu juridique, en particulier…

Le faisceau du souci « protestataire«  (en faveur de la justice _ et à rebours des aspects de « conservation«  du Droit positif établi…) de l’héritage (familial) protestant,
et de la « curiosité » tous azimuts
_ et notamment en faveur de « singularités« , tout spécialement d’artistes ! en leurs gestes ! plus qu’en des « concepts » : d’artistes tels que Paul Klee (au Bauhaus), ou Vieira da Silva, parmi d’autres encore… _ de la personnalité propre de la conférencière

ainsi que sa « méthode » (bricolée « sur le tas« , et au fil des circonstances de ses rencontres, découvertes et « explorations« , surtout _ ainsi a-t-elle entamé, nous a-t-elle confié, des études de biologie, de médecine, de chinois (aux Langues Orientales : deux ans !), de même que de philosophie ; à côté de sa vive curiosité artistique ! _)

d’hypothèses de travail très « pratiques«  _ dans le champ du Droit (tant « fait« , que « se faisant« , et « à faire« , c’est-à-dire « à inventer« , « créer«  ! : dynamiquement !) et de son « analyse«  de tout cela _ résultant de « regards croisés« 


m’ont personnellement bien éclairé
quant au plaisir (passionné !) que j’éprouve chaque fois

à écouter les exposés de recherche de Mireille Delmas-Marty (au Collège de France) donnés sur France-Culture.

Mireille Delmas-Marty constituant pour moi, ainsi, un « contemporain majeur » !
….

Comme je vous l’ai dit très rapidement,
ma propre « curiosité« 

_ ainsi mon blog sur le site de la librairie Mollat a-t-il pour sous-titre : les « carnets d’un curieux » ;
cf son article de présentation, le 8 juillet 2008 :
« le Carnet d’un curieux »

voilà ! _

ma propre curiosité, donc,

est, elle aussi, « croisée » :
elle est née à la fois, les deux « se tissant« ,
du silence de mon père
, né le 11 mars 1914 à Stanislawow en Galicie (non loin de la Bolechow dont traite l’enquête _ superbe ! _ de Daniel Mendelsohn en ses Disparus),
ainsi que du tropisme argentin (éloigné : outremer) d’Adolfo Bioy Casares, cousin de ma mère (toujours vivante, elle : elle a 92 ans ; et une excellente mémoire !) ;
et nous avons de nombreux cousins passionnants en Argentine ;
tel Francisco Erize qui dirigea les Parcs Nationaux d’Argentine et est l’auteur de nombreux ouvrages sur la faune et la flore de son immense pays…
Sa mère, Jeannette Arata de Erize dirige encore (depuis les années 50) le Mozarteum Argentino, au Teatro Colon (qui vient de brillamment rouvrir) ;
elle connaît le « gratin » des musiciens-artistes, et pas seulement les Argentins tels que Marta Argerich ou Daniel Barenboim…

Mais mon côté Gascon, voisin de Montaigne _ j’ai vécu mon enfance à Castillon-la-Bataille, à moins de deux heures à pied de la tour de Montaigne) _
m’entraîne souvent vers la prolixité _ gaspilleuse du temps de qui me lit ou m’écoute : il me faut toujours mieux y veiller !!!

Aussi,
me contenterai-je à ce point de ce déjà bien trop long message
de vous adresser _ afin de donner à « pénétrer » un peu ma propre « curiosité«  _ les liens suivants d’articles de mon blog :

l’un concerne la session 2009 de « Philosophia » (avec les exposés d’Olivier Mongin et de Bernard Stiegler
_ dont le site « Ars Industrialis » a publié en avril 2008 mon article (je vous l’adresserai une autre fois !) « Pour célébrer la rencontre«  _ : « Très fortes conférences d’Olivier Mongin et Bernard Stiegler à propos de ce qu’est “faire monde”, à l’excellent Festival “Philosophia” de Saint-Emilion »

deux autres, les travaux très percutants du très remarquable Michaël Foessel :

« La Privation de l’intime » (au Seuil) : « la pulvérisation maintenant de l’intime : une menace envers la réalité de la démocratie »

et « Etat de vigilance _ Critique de la banalité sécuritaire » (au Bord de l’eau) : « Le courage de “faire monde” (face à la banalisation esseulante du tout sécuritaire) : un très beau travail d’anthropologie à incidences politiques de Michaël Foessel« .


La « poiesis«  _ clé des « forces imaginantes » : c’est le concept qu’a magnifiquement proposé hier Mireille Delmas-Marty _ m’intéresse tout particulièrement.

Cf mes 2 articles sur le livre (puis la conférence chez Mollat, en compagnie de Michel Deguy) de Martin Rueff « Différence et identité«  (chez Hermann) à propos de la poétique de Michel Deguy :
« la situation de l’artiste vrai en colère devant le marchandising du “culturel” : la poétique de Michel Deguy portée à la pleine lumière par Martin Rueff _ deuxième parution »

et
« De Troie en flammes à la nouvelle Rome : l’admirable “How to read” les poèmes de Michel Deguy de Martin Rueff _ ou surmonter l’abominable détresse du désamour de la langue »


J’avais aussi, plus lointainement (= avant l’ouverture de mon blog : le 3 juillet 2008),
composé un article sur le livre majeur de mon amie Marie-José Mondzain « Homo spectator«  (chez Bayard),
en lui proposant de nommer « imageance » le processus (« imageant« ) qu’elle analyse…


Mon plus récent article porte sur l’admirable film « Copie conforme »
ainsi que sur l’essai de Frédéric Sabouraud « Abbas Kiarostami _ Le cinéma revisité« 
(aux Presses Universitaire de Rennes) :
« Jubilation de la déprise du cinéma d’Abbas Kiarostami : la question de l’amour du couple de “Copie conforme” ; et la profonde synthèse de la “lecture” de Frédéric Sabouraud en son “Abbas Kiarostami _ le cinéma revisité” »



Voilà.
J’espère ne pas trop vous importuner avec cette avalanche de lectures trop longues…

J’apprécie, cher Nicolas Truong, votre « regard croisé » !

Une autre fois,

je vous adresserai l’historique de mes curiosités : j’avais rédigé un CV pour France-Musique, à l’occasion d’une émission (de François Dru : « le kiosque des amateurs » _ pour le vingtième anniversaire du Centre de Musique Baroque de Versailles, en direct du Château de Versailles, le 22 septembre 2007) dont j’étais l’invité :
car je suis aussi passionné de musique ;
j’ai été « conseiller artistique » de La Simphonie du Marais (et Hugo Reyne) durant la décennie 90
(je suis le co-auteur (avec Hugo Reyne) du programme du CD « Un portrait musical de Jean de La Fontaine« , paru chez EMI en 1996 :
et à l’occasion des recherches duquel j’ai découvert un petit opéra de La Fontaine et Marc-Antoine Charpentier : « Les Amours d’Acis et de Galatée«  (donné à Paris en février 1678) ;
Catherine Cessac mentionne cette « découverte » en la seconde édition de son « Marc-Antoine Charpentier« , aux Éditions Fayard, parue en août 2004) ;

j’ai tenu une chronique d’esthétique pour l’éditeur de CDs Alpha (Jean-Paul Combet : un ami !) ;
ainsi que rédigé des livrets de CDs (« L’orgue Dom Bedos de Sainte-Croix de Bordeaux« , par Gustav Leonhardt : CD Alpha 017 ;
« Le Sermon sur la mort » de Bossuet, par Eugène Green : CD Alpha 920)
;

et donnerai les 19 et 20 février prochain (2011) 2 conférences au colloque « Lucien Durosoir 1878-1955 »
qui se tiendra à l’Institut de la musique française romantique (la Fondation Bru-Zane), à Venise

Cf mon article « Musique d’après la guerre »

à propos du CD des « 3 Quatuors à cordes » de Lucien Durosoir, par le Quatuor Diotima (CD Alpha 125 : admirable ! sublimissime ! de la hauteur des Quatuors de Debussy et de Ravel, tragique en plus !).

De même que j’ai écrit 2 essais (inédits) :
« Lire « Liquidation » d’Imre Kertész _ ce qui dure d’Auschwitz« 
_ Imre Kertész (génial !) n’est pas assez lu en France, en dépit de (la célébrité seulement nominale ! de) son Prix Nobel en 2002 ! _
et « Cinéma de la rencontre _ à la ferraraise« , sous titré « Un Jeu de halo et focales sur fond de brouillard(s) _ à la Antonioni« …
dont j’ai présenté une « synthèse » (avec projection de la séquence ferraraise de « Par delà les nuages« , en 1995) à la galerie La Non Maison à Aix-en-Provence, le 13 décembre 2008.

Je suis un ami de Michèle Cohen, la galeriste de La NonMaison,
et de
(l’immense) Bernard Plossu _ plus et mieux célébré (jusqu’ici) à l’étranger : États-Unis, Italie, Espagne, Belgique, qu’en France _ :
« L’énigme de la renversante douceur Plossu : les expos (au FRAC de Marseille et à la NonMaison d’Aix-en-Provence) & le livre “Plossu Cinéma” »


Enfin, il m’arrive aussi de « faire le modérateur » de conférences à la librairie Mollat :

cf ces podcasts récents :
avec mon ami Yves Michaud

(il a mis un lien vers mon blog sur son blog Traverses in Libération)
pour son « Qu’est-ce que le mérite ?«  (aux Éditions Bourin) :

pour la conférence d’Yves Michaud le 13 octobre 2009
« Où va la fragile “non-inhumanité” des humains ? Lumineux déchiffrage du “mérite” tel qu’il se dit aujourd’hui, par Yves Michaud le 13 octobre dans les salons Albert-Mollat »


et avec l’historienne Emmanuelle Picard

pour « La Fabrique scolaire de l’histoire«  (aux Editions Agone) :
pour la conférence d’Emmanuelle Picard le 25 mars 2010 

« De la latitude de faire comprendre la complexité de l’Histoire : l’éclairante conférence d’Emmanuelle Picard à propos de “La Fabrique scolaire de l’Histoire” »


De quoi vous noyer sous pareille avalanche !
J’ose espérer que vous aurez le temps d’y picorer si peu que ce soit…

Bien à vous,
et très heureux de vous avoir rencontré,
et ainsi « croisé » votre propre « curiosité« 
_ celle qui vous anime, aussi, à Avignon, dans le cadre d’un autre Festival…

Titus Curiosus


Voilà.

C’est dire si le dialogue de Mireille Delmas-Marty

sur l’invention (« se faisant » comme « à faire » : entre « technique du Droit » et « art du Droit » !)

d’un Droit mondial,

avec ses enjeux pour une humanité peut-être « moins inhumaine » _ ce fut un pan majeur de son intervention ! et ce qui anime et illumine son travail ! _

m’a passionné !


Démêler la complexité dans un esprit de justice et de justesse,

et en préservant (ou/et faisant progresser) les droits de l’indétermination et de la plasticité (= vraie liberté) de la singularité de la personne ! face à tant de pouvoirs _ cf Michel Foucault en la fécondité d’esprit de ses dernières années, luttant (en « pensant« …) contre la montre… _ qui les broient…


Voilà la flamme qui « inspire » Mireille Delmas-Marty en son œuvre d' »imageance«  _ je reprends ici le concept que j’ai proposé à Marie-José Mondzain : autre battante constructive et patiente !


Et quand le podcast de cette conférence sera disponible,

j’ajouterai un lien « en » cet article

afin de contribuer à sa plus large diffusion…


Titus Curiosus, ce 30 mai 2010

Améliorer la démocratie (en France) : une superbe contribution de Guy Carcassonne

04mai

Sans commentaires _ ou presque ! _, pour une fois, de ma part,

je répercute sur ce blog les très judicieuses propositions (au service d’une démocratie authentique !)

_ le diable se cachant durablement dans les détails ;

surtout quand on refuse obstinément de les « régler«  ! _

de ce constitutionnaliste éminentissime qu’est Guy Carcassonne :

contre le cumul des mandats électoraux en France,

publiées hier sur le site du Monde,

et parues dans l’édition papier du journal datée de ce mardi 4 mai 2010.

« Constitutionnaliste français réputé, Guy Carcassonne a été conseiller (Relations avec le Parlement) auprès de Michel Rocard, alors premier ministre (1988-1991). En 2007, il a participé au « Comité de réflexion sur la réforme des institutions » présidé par Edouard Balladur. Il est, notamment, l’auteur de « La Constitution«  (Points Seuil, dernière édition le 6 janvier 2009) »

_ précise aussi la rédaction du journal…

« Cumul des mandats, le piège« …

« Le cumul des mandats est une plaie. Il faut la cautériser _ d’urgence et enfin ! notre démocratie ne s’améliorant pas ! Rien n’interdit de le faire intelligemment _ certes ! Reprenons tour à tour chacune de ces trois affirmations. Que le cumul soit une plaie tient d’abord à cette évidence, que l’on connaît au moins depuis Goldoni : même Arlequin ne peut servir convenablement deux maîtres. La nation et les collectivités territoriales ont des intérêts qui peuvent être différents voire, à l’occasion, s’affronter. Celui qui est élu des deux penchera d’un côté et abandonnera l’autre. La confusion des genres nuit toujours à l’un d’entre eux au moins, quand ce n’est pas aux deux. Or représenter la nation est une occupation qui est bien digne d’un plein-temps _ en effet ! _ et qui s’exercera d’autant mieux _ eh oui ! _ que l’on n’aura que cela à accomplir, ce qui est déjà beaucoup. Ne pas l’admettre est intrinsèquement choquant.

Ensuite, s’il est vrai que le cumul n’est certes pas le seul motif de l’absentéisme, peut-être même pas le premier, il en reste un, puissant, et l’on mesure chaque jour la difficulté de renforcer une institution parlementaire que ses membres persistent à déserter quand trois jours de présence et de travail effectifs changeraient tout en bien _ voilà.

Si, à la rigueur, le cumul pouvait se comprendre dans la France centralisée de jadis, où il mettait un peu de liant entre le centre et la périphérie, il est tout à fait hors de saison depuis que la décentralisation a confié des responsabilités lourdes et éminentes aux élus locaux, lesquels, au demeurant, bénéficient, dans leurs relations avec l’État, des facilités de toutes sortes que leur offrent les techniques d’aujourd’hui : on peut contacter un bureau ministériel sans pigeon voyageur ou nuits passées dans un train à vapeur. Ce cumul, enfin, est un désastre politique puisqu’il bloque le renouvellement et la diversité d’un corps électif que menacent le vieillissement, l’homogénéité et, avec eux, la sclérose _ oui, oui…

Plusieurs centaines de parlementaires en situation de cumul, cela signifie plusieurs centaines de mandats, parfois importants, fermés aux femmes, aux jeunes, à la diversité, qui en auraient pourtant grand besoin et nous tous avec eux. Il y a davantage, presque plus grave encore. La tendance est assez naturelle _ hélas ; et bien difficile à « remonter«  _ qui conduit chaque élu à se méfier de tout nouveau venu de son propre parti, surtout s’il semble prometteur. Ne va-t-il pas chercher à prendre la place ? Le plus sûr est alors d’occuper soi-même tout le terrain disponible.

En cumulant, on s’épargne une concurrence interne qui pourrait se révéler dangereuse _ pour soi. Résultat ? On s’active à écarter les talents _ oui, oui _ menaçants, auxquels on tend à préférer la médiocrité _ mieux contrôlable _, celle qui ne peut pas faire d’ombre. Dans les autres pays, au contraire, l’arrivée de candidats jeunes et doués est encouragée, saluée. L’impossibilité du cumul diminue la menace et, pour tous les mandats, il devient de l’intérêt bien compris de chacun _ = tous ! _ de faire émerger le meilleur candidat, plutôt que de voir celui qui est déjà en place investir _ pour lui d’abord (cf Machiavel) _ tout l’espace.

La réforme intervenue en 1985 avait au moins eu le mérite de limiter le cumul à deux mandats, mettant fin au délire antérieur dans lequel le même, Jean Lecanuet ou Louis Mermaz par exemple, pouvait être simultanément conseiller municipal, maire, conseiller général, président du conseil général, conseiller régional, président du conseil régional, député ou sénateur et encore, pour faire bonne mesure, parlementaire européen ! Mais ce retour à moins de déraison s’est traduit _ par une spirale vicieuse _ par l’extension de cette déraison même, le cumul étant devenu quasi-systématique.

Il n’est pas un phénomène ancien. En gros, il concernait environ 30 % des députés sous la IIIe République, 40 % sous la IVe. Dans un premier temps, la Ve avait poursuivi cette tendance à la hausse avant, brutalement, de l’accélérer. Après les élections législatives de 1973, 30 % des députés encore ne détenaient que ce seul mandat. Mais un hasard allait _ hélas _ tout changer _ en pire…

Dans la foulée de la présidentielle manquée de peu en 1974, des élections cantonales eurent lieu, en 1976, auxquelles le Parti socialiste renaissant présenta des jeunes en très grand nombre. Le scrutin ayant été un succès, beaucoup furent élus et se trouvèrent alors candidats naturels aux élections municipales qui intervinrent en 1977.

Nouveau succès qui porta les intéressés, jouissant désormais de plus de notoriété, à représenter leur formation aux élections législatives de 1978. La gauche les perdit, mais tous ceux de ses membres qui étaient de nouveaux députés entrèrent au Palais Bourbon déjà lestés d’un autre mandat, voire deux ou plus. La victoire de 1981 paracheva le phénomène à gauche.

La droite, de son côté, avait compris la leçon _ de pragmatisme _ et la reprit à son compte dans les scrutins successifs de 1982, 1983 et 1986. Depuis, le cumul s’est installé à plus de 90 % _ voilà ! Et quand, passagèrement, son taux diminue, ce n’est pas l’effet d’une volonté, mais seulement de la défaite qu’ont subie les aspirants au cumul qui avaient le malheur d’appartenir au camp défait. A cela que les Français ressentent, si l’on en croit les sondages, les partisans du cumul opposent toutes sortes d’arguments _ rhétoriques…

Le premier serait celui du choix des électeurs rendus, par leur vote, premiers responsables du cumul. Mais quel choix ont-ils vraiment ? Lorsque le candidat qui représente leurs convictions détient déjà un mandat, ses électeurs n’ont d’alternative qu’entre se résigner au cumul ou voter contre leurs convictions. Est-ce un véritable choix ?

Le deuxième argument excipe du contact _ voilà ! _ que le cumul permet avec le fameux terrain, et ses réalités _ prégnantes. Ah bon ! Donc les députés français seraient ainsi nettement meilleurs que tous les autres au monde qui, eux, ne cumulent pas ? On ne sait s’il faut être ravi ou inquiet de l’apprendre. En réalité, nul besoin d’un mandat local pour rester proche des électeurs, en ressentir l’état d’esprit et les besoins. Le mode de scrutin, majoritaire et uninominal, interdit _ suffisamment, déjà _ au député qui souhaite sa réélection de négliger sa circonscription et la proximité avec ceux qui y vivent.

Le troisième argument tient à l’acquisition d’expérience que le cumul autorise. Il est un peu plus sérieux, mais guère. En France jadis, et partout ailleurs aujourd’hui, une sorte de cursus honorum classique conduit à des fonctions locales qui, plus tard, ouvrent la voie au mandat national. Cela produit ainsi des élus déjà expérimentés mais encore disponibles. Carrières locale et nationale peuvent se succéder, non se confondre ou se superposer.

Quant au quatrième argument, celui selon lequel le mandat parlementaire permet d’obtenir plus _ ah ! ah ! _ pour la collectivité qu’on dirige, il est à la fois douteux et doublement honteux : d’une part, il place la fonction nationale au service exclusif _ hélas ! _ de la fonction locale, ce qui est une aberration théorique et pratique ; d’autre part, il créerait, s’il se vérifiait, une iniquité injustifiable au détriment des collectivités dont le premier responsable n’est pas parlementaire. Or comme il y a 920 parlementaires et près de 37 000 collectivités territoriales…

Mais, nous dit-on encore, la suppression du cumul ne serait envisageable qu’après l’adoption d’un statut de l’élu. Il n’y a plus alors qu’à chiffrer ce dernier en centaines de millions pour évacuer la réforme. Sauf que ce statut, s’il peut mériter d’être amélioré, n’est certes pas tel qu’il imposerait d’insoutenables sacrifices _ voyons…

Enfin, dernier argument, le cumul ferait partie de notre culture _ ou habitus installé… Mais de quelle culture _ un bien beau mot ! _ s’agirait-il donc ? Une culture nationale ? Nullement. Ni vous ni moi ne l’avons. Seuls l’ont ceux qui le pratiquent et leur nombre, quoi qu’excessif, ne suffit certes pas à rendre nationale une culture qui n’est donnée en partage qu’à quelques centaines de personnes.

Pour mettre fin à ces absurdités _ voilà ! _, l’idée est parfois avancée de n’interdire le cumul que touchant une fonction exécutive locale. Ainsi ne pourrait-on plus être député et maire, mais pourrait-on demeurer député et conseiller municipal. Ce compromis ne présente pas de mérites en lui-même. Il n’aurait de sens qu’à défaut d’une prohibition plus radicale, mais pourquoi donc faudrait-il renoncer à celle-ci ? De plus, dans un tel système, se développerait la pratique _ hypocrite _ du contournement par lequel un parlementaire confierait la municipalité à un prête-nom, tout en continuant à agir comme son véritable patron. Ni la démocratie ni l’efficacité n’ont rien à y gagner _ en effet.

Oui, donc, il faut cautériser la plaie. Mais seule la loi peut le faire car le cumul, aussi longtemps qu’il n’est pas juridiquement interdit, est politiquement _ = pragmatiquement : la norme dominante ces temps-ci… _ obligatoire. Il est vrai que le maire est souvent le meilleur candidat à la députation (et parfois vice-versa). De ce fait, le détenteur d’un seul mandat, même sincèrement acquis au non-cumul, subira des pressions de son parti, de ses militants, pour briguer un siège que, sans lui, ils craignent de ne pas conquérir. L’intéressé ne pourra se soustraire à ce qui devient une exigence _ de succès.

S’ajoute encore la volonté, compréhensible, de renforcer une position menacée _ Arnaud Montebourg a dû s’y résigner après avoir failli perdre, en 2007, son mandat de député _ soit dans le souci d’améliorer ses chances de réélection, soit, à défaut, dans celui de se prémunir contre une disparition complète en cas d’échec. L’on constate ainsi que tout _ ou presque _ milite, rationnellement, pour contraindre les élus au cumul, lors même qu’ils le réprouveraient.

C’est d’ailleurs pour cela qu’il n’est malheureusement pas au pouvoir d’un seul parti de donner le bon exemple, en escomptant sa contagion _ vertueuse. L’avantage concurrentiel qu’il pourrait tirer de sa vertu _ voilà _ ne pèserait guère au regard du handicap électoral qu’il s’infligerait à lui-même. Pis ! Le dommage qui en résulterait dissuaderait définitivement les autres de le suivre dans cette voie. Quelque sympathie que l’on puisse avoir pour une démarche courageuse, elle s’incline devant ce que cette même démarche pourrait avoir de suicidaire et, partant, de contre-productif _ en effet…

Cautériser la plaie implique donc de trancher définitivement _ si possible : sans tentation de repli et retour en arrière _ la relation incestueuse qu’ont entre elles les carrières nationale et locale. Seule la loi en a les moyens. Elle peut le faire intelligemment _ voilà où se situent les propositions ici du constitutionnaliste Guy Carcassonne…

Il existe un obstacle technique. En effet, seule une loi organique peut _ constitutionnellement, donc _  interdire le cumul aux parlementaires. Or celles des lois organiques qui sont relatives au Sénat imposent l’accord de ce dernier. Comme il est impossible de l’y contraindre et peu probable _ pragmatiquement _ qu’il le donne jamais, ne restent que soit un référendum, soit un interdit qui ne s’étende pas aux sénateurs.

Cette seconde formule pourrait être avantageuse. Lorsque le cumul existe à l’étranger, c’est toujours dans la seconde chambre. En outre, puisque celle-ci, constitutionnellement, « assure la représentation des collectivités territoriales », il n’est pas indécent qu’elle soit largement composée d’élus locaux. Signalons un autre avantage. Si le cumul, interdit à l’Assemblée, restait autorisé au Sénat, nombre de grands élus migreraient d’une chambre à l’autre, peuplant ainsi la seconde de personnalités de premier plan, en pleine activité et exerçant des responsabilités importantes. Si les présidents de conseils régionaux ou généraux et les maires n’ont pas leur place au Palais Bourbon, ils pourraient l’occuper au Palais du Luxembourg pour le plus grand bénéfice de tous _ voilà…

Comment les choses pourraient-elles se passer ? S’il faut s’en remettre à la « bénévolence » des premiers intéressés, on risque d’attendre quelques décennies encore _ = les calendes grecques. Lionel Jospin avait déjà fait une tentative que sa propre majorité avait réduite à néant puisqu’elle avait exigé que l’interdit s’appliquât aux sénateurs, sachant _ ah ! ah ! _ que ces derniers n’y consentiraient pas, ce qui advint.

Alors quel autre cheminement ? L’optimiste escomptera la répétition _ conjoncturelle _ du scénario qui avait conduit à l’adoption du quinquennat présidentiel : Jacques Chirac ne le voulait pas mais, sachant que les Français y étaient favorables et que son principal concurrent l’annoncerait, il n’avait pas voulu lui abandonner cet avantage.

De la même manière si, en 2012, l’un des finalistes présumés promet la fin du cumul et que le scrutin s’annonce disputé, alors l’autre se trouvera obligé de faire pareil. L’un et l’autre devront se prononcer clairement : soit le référendum et la prohibition pour tous, soit la voie parlementaire et l’interdit pour les seuls députés, lesquels ne pourront refuser de traduire ce sur quoi le président nouvellement élu et, sans doute, eux-mêmes se seront engagés.

Enfin, si cet espoir se révélait infondé, subsisterait la possibilité d’un référendum d’initiative minoritaire. Rappelons _ assez utilement ! _ qu’il y faut le soutien de 184 parlementaires et d’un dixième des électeurs. Plutôt que de persister dans la démarche masochiste qu’ils envisagent aujourd’hui, les socialistes, notamment, pourraient apporter les parrainages nécessaires et il est probable que les électeurs, même fidèles à d’autres formations, ne rechigneraient pas à apporter leur concours pour mettre fin à une pratique qui semble tous _ oui, oui ! _ les indisposer fort. Déjà, des étudiants, des citoyens, envisagent une mobilisation en ce sens.

Quant à la transition à ménager, elle sera assez simple. Aux élections municipales de mars 2013, puis aux cantonales et régionales, éventuellement fusionnées en 2014, les parlementaires qui seraient élus devraient, dans le mois suivant, opter entre leur mandat national ou local pour n’en retenir qu’un seul.

..

Ne restera plus à régler que cette autre loufoquerie _ mais oui ! _ par laquelle on voit des ministres exercer des responsabilités locales. Sa volonté avait suffi à Lionel Jospin pour l’interdire aux membres de son gouvernement. Cette volonté, hélas, n’a pas survécu à son départ et ses successeurs ont eu la faiblesse _ en effet _ de ne pas l’imposer. En droit, il y faudrait une révision non plus de la loi organique mais de la Constitution elle-même. Au moins les candidats à la prochaine élection présidentielle pourront-ils être appelés à se prononcer également sur cette question, et l’on est prêt à parier qu’ils feront alors surenchère de rigueur, ce qui devrait suffire à régler le problème en attendant que se présente l’occasion de retoucher à ce propos notre loi fondamentale.

La voie n’est pas encore dégagée, mais le cumul luit peut-être de ses derniers feux. Il serait plus que temps qu’ils s’éteignent et les Français seraient les premiers à s’en satisfaire ; ce qui, en démocratie, n’est _ certes ! _ pas tout à fait indifférent. Cumulatio delenda est.


Guy Carcassonne est professeur de droit public à l’université Paris-Ouest Nanterre-la Défense…….
Titus Curiosus, ce 4 mai 2010

La décidément obligeante question « Qu’est-ce que l’homme ? » dans le numéro de mars-avril 2010 de la revue Esprit : « L’Etat de Nicolas Sarkozy »

20mar

Un passionnant numéro de réflexion de philosophie et histoire (contemporaine !) politiques, que le numéro de mars-avril 2010 de la revue Esprit _ que dirige Olivier Mongin _, intitulé « L’État de Nicolas Sarkozy« 


J’y relève tout particulièrement les contributions du philosophe Michaël Foessel, l’auteur de « La Privatisation de l’intime« , aux Éditions du Seuil _ cf mon article du 11 novembre 2008 « la pulvérisation maintenant de l’intime : une menace envers la réalité de la démocratie«  _ :

outre

deux très remarquables entretiens _ passionnants et cruciaux ! _ l’un avec la philosophe Myriam Revault d’Allonnes et l’autre avec la juriste (et professeur au Collège de France, à la chaire d’études juridiques comparatives et internationalisation du droit, depuis 2002) Mireille Delmas-Marty :

« Le Sarkozysme est-il la « vérité » de la démocratie ?« , pour le premier de ces deux entretiens, pages 43 à 53 ;

« Détruire la démocratie au motif de la défendre« , pour le second, pages 145 à 162 (Michaël Foessel étant accompagné ici, aux questions, par Clémence Lalaut et Olivier Mongin),

ainsi que la présentation générale (avec Marc-Olivier Padis, rédacteur en chef de la revue) de ce numéro de mars-avril de la revue Esprit, intitulée, elle, « Les Nouveaux contours de l’Etat. Introduction« , pages 6 à 11 ;

Michaël Foessel présente une très remarquable contribution personnelle, aux pages 12 à 23, intitulée « La Critique désarmée« , et sous-titrée « L’Antisarkozysme qui n’ose pas se dire » ;

et dont voici les titres des étapes du cheminement :

_ après une présentation (sans titre) du « problème » à explorer (et formuler, penser, cerner, identifier), aux pages 12 à 14 ;

_ « L’Antisarkozysme qui ose se dire«  _ sur ce qui est le moins instructif, mais seulement superficiellement médiatique, journalistique : cf le livre récent de Thomas Legrand : « Ce n’est rien qu’un Président qui nous fait perdre du temps«  (paru aux Éditions Stock au mois de janvier 2010) que critique au passage Michaël Foessel… _, aux pages 14 à 16 ;

_ « Critique du sarkozysme et autocritique de la gauche«  _ probablement une contribution majeure ! qui m’a particulièrement impressionné ! et rencontre quelques unes de mes intuitions… _ :

« la gauche ne peut parvenir à retrouver son rôle d’opposition sans faire au préalable l’autocritique de ses propres conceptions du pouvoir, de l’économie et des réformes« , résume fort pertinemment l’auteur lui-même, page 1, au début du sommaire des articles ;

ajoutant : « Mais pourquoi est-ce si difficile ?«  Et il y répond ! ; cela, aux pages 16 à 21 ;

_ « Les Nouveaux horizons du conflit« , aux pages 21 à 23 ; dont je retiens surtout ceci :

« La crise de la social-démocratie dont on parle beaucoup est aussi une crise de ses élites qui s’étonnent de ne pas avoir perçu les effets néfastes de la globalisation, alors même qu’elles profitaient _ ces dites élites de la social-démocratie… _ de ses bienfaits. A cet égard, le devenir professionnel de Blair ou de Schröder (le premier dans la finance internationale, le second chez le géant russe de l’énergie gazière) est un peu plus qu’un détail _ comme c’est parfaitement jugé ! Même si une telle promiscuité avec les milieux d’affaires affecte moins _ à y regarder, tout de même, d’un peu près… c’est toujours dans les détails que le diable se cache… _ la gauche française, les pratiques hexagonales du « (rétro)pantouflage » ne garantissent pas un point de vue lucide sur le prix politique de la culture de marché« , page 22.

Le questionnement avance encore un pas plus loin, page 23, non sans s’être référé juste auparavant au travail (important !) de la philosophe américaine Wendy Brown (« Les Habits neufs de la politique mondiale« )… :

« Au-delà de la fausse alternative entre l’horreur économique et les vertus émancipatrices de l’individualisme, le débat se situe au niveau des normes que l’homo œconomicus fait peser sur la citoyenneté. Pour éviter la « mélancolie », la gauche réformiste devrait se pencher sur ce qui, dans le monde contemporain, s’est décidé sans elle en termes de valeurs » _ voilà bien le cœur du débat !!! comme c’est excellemment perçu, cher Michaël !

Et encore un peu plus loin,

après une réflexion sur « retrouver le sens de la conflictualité » _ la plus authentiquement démocratique ! le débat et la discussion véritablement informés : sur les fins et les moyens mis à leur service ; sans faire erreur sur leur hiérarchie ! à rebours des divers réalismes seulement machiavéliques ! _

et sur le caractère on ne peut plus « indésirable«  de « phénomènes indésirables«  tels que ceux que défend et promeut l’action du sarkozysme et des sarkozyens avec la mise en place d’un « système libéral-autoritaire« 

(avec « l’invocation de l’Etat en même temps que la culture de l’entreprise, le dirigisme régalien accordé à l’affaiblissement des institutions _ démocratiques _, le discours sécuritaire au service de la liberté _ débridée _ d’entreprendre : tous ces paradoxes s’éclairent lorsqu’on les confronte à la mise en place d’un système libéral-autoritaire« ),

ceci : « L’antisarkozysme conséquent devrait prendre la mesure des bouleversements que son adversaire exprime plus qu’il ne les cause. Cela veut peut-être dire inventer une nouvelle langue _ ou encore : problématiser à nouveaux frais… _ capable de traduire l’exigence de justice _ un point capital ! _ en d’autres termes que ceux de la maximisation des profits« .

Soit « à l’opposition, il revient désormais _ la tâche et le travail : c’est tout un ! _ de redécrire le réel _ = mieux le penser et ainsi mieux le faire comprendre ! toujours une affaire du mieux juger ! _ pour empêcher qu’une seule voix puisse s’en réclamer. Dans ce domaine aussi les territoires abandonnés sont irrémédiablement perdus ».


Michaël Foessel a on ne peut mieux raison de prendre à cet endroit-ci la question.

Je me permets de reprendre aussi ici la « présentation » (telle que la propose et résume le sommaire de la revue) des entretiens avec Myriam Revault d’Allonnes et Mireille Delmas-Marty,

dont les deux récents livres _ tout fraîchement parus, aux Éditions du Seuil, tous deux _ sont très importants, tout à la fois urgents et admirables, tous deux, chacun en son domaine :

« Pourquoi nous n’aimons pas la démocratie«  ;

et « Libertés et sureté dans un monde dangereux«  !

Pour l’entretien de Michaël Foessel avec Myriam Revault d’Allones, cela donne ceci, page 1 :

« L’exercice actuel du pouvoir nous apprend-il quelque chose sur la démocratie ? Si le sarkozysme bouscule les équilibres instables de notre régime, n’est-ce pas vers celui-ci qu’il faut tourner les critiques? Les nouvelles formes de « gouvernementalité » et les conceptions sous-jacentes de l’individu qu’elles expriment vont-elles transformer, au-delà des pratiques du pouvoir, notre conception même de la démocratie ? Comment, dès lors, défendre notre attachement à ce régime ?«  ;

et pour l’entretien de Michaël Foessel, Clémence Lalaut et Olivier Mongin avec Mireille Delmas-Marty, ceci, encore, page 3, cette fois, du sommaire :

« En partant de l’analyse d’une décision troublante, la création d’une « rétention de sûreté », la juriste montre comment celle-ci témoigne d’une transformation internationale du rapport au droit et à la sûreté dans un monde plus dangereux. Si cette évolution est frappante dans le cas français, elle n’est néanmoins pas isolée et traduit une évolution plus large des grands régimes juridiques à travers le monde« 

_ ce qui n’excuse certes rien ; mais au contraire justifie les luttes et les résistances démocratiques, et sur tous les fronts, notamment celui du droit et celui de l’action politique dans les démocraties telles qu’elles existent encore…

Bref, comme on le constate, j’espère, à cette lecture de présentation rapide de ce numéro

« L’Etat de Nicolas Sarkozy« 

de la revue Esprit de mars-avril 2010,

une contribution particulièrement notable à la réflexion et au débat démocratique

de l’état présent et à venir (= à construire) de notre Etat, de notre république, de notre démocratie française !

L’enjeu de fond

étant de définir (sans réduction !!!) ce qu’il en est de l’homme.

Soit redéployer, pour aujourd’hui, une réflexion anthropologique ;

d’où la question « Qu’est-ce que l’homme ? » de mon titre…

Ici, je veux relever quelques mots particulièrement essentiels de l’analyse que mène Myriam Revault d’Allonnes, page 50 :

A la question de Michaël Foessel : « On a coutume d’interpréter le culte de la performance, la valorisation de la concurrence et du profit (« travailler plus pour gagner plus ») d’un point de vue économique ou moral. En quoi de telles pratiques jouent-elles aussi un rôle politique dans les formes contemporaines de « subjectivation » de l’homme démocratique ?« ,

voici ce que répond Myriam Revault d’Allonnes :

« Cette perspective va très loin. Certes elle tend à induire, comme je viens de le dire, un certain type de comportement économique et moral. Mais elle ouvre aussi la voie à l’élaboration d’une nouvelle anthropologie _ c’est cela qui me sollicite, et même passionnément ! _ où les notions d’intérêt et de concurrence régleraient aussi bien l’action individuelle que l’action collective, restreignant ainsi _ très gravement !!! mortellement ; c’est une régression barbare ! _ la pluralité des formes d’existence des individus.

Les modes de subjectivation des individus n’engagent pas seulement leur rapport au pouvoir, mais leur rapport à eux-mêmes, la façon dont ils se constituent _ rien moins ! nous touchons ici au fondamental de l’humanisation ! _ à travers ces rapports de pouvoir. Ce culte de la performance, de l’efficacité, de la rentabilité vise à instaurer un nouveau type de normativité morale et politique _ rien moins !

C’est ainsi que sous couvert de produire de la certitude, elle tend à effacer la figure du sujet-citoyen au bénéfice d’un sujet calculant, entièrement _ et pauvrement, misérablement même, par cette « réduction«  terrible et proprement terrifiante pour si peu qu’on se mette à y réfléchir… _ rationnel _ = comptable ! _, entrepreneur de lui-même, déconnecté de l’horizon du « commun » _ partagé.

Par exemple, la notion de « responsabilité » qui se caractérise classiquement par l’imputation d’un acte à son auteur _ encore un concept-clé ! _ est vidée de son sens au profit d’un calcul rationnel des conséquences (qu’ai-je _ moi, moi seul ; sans les autres, réduits, eux, à de stricts moyens ; ou concurrents ; voire ennemis ! voici venir un monde « sans autrui«  ; vide de « personnes » (et de ce qu’elles sont, les unes vis-à-vis des autres, et avec elles, et ensemble ; un monde sans amitié ni amour, donc ; qu’on y médite !.. _ à gagner ? qu’ai-je à perdre ?). Toute l’épaisseur morale _ ainsi qu’existentielle ; est-ce séparable ? _ de la responsabilité _ avec les dilemmes qui l’accompagnent _ disparaît au profit de choix purement stratégiques voire tactiques.

Cette tentative pour « conduire les conduites » est une rationalité globale qui vise à uniformiser _ voilà ! _ nos manières d’être et nos pratiques et à réduire la pluralité de nos expériences _ ici, on relira « L’Homme unidimensionnel » de Herbert Marcuse, écrit aux États-Unis en 1964 et paru en traduction française (aux Éditions de Minuit) en 1968 : une anticipation lucide de ce qui se profilait déjà ; il est vrai que Marcuse (Berlin, 19 juillet 1898 – Starnberg, 29 juillet 1979) avait été témoin de l’Allemagne sous le totalitarisme nazi…

Dans quel « monde » serions-nous si cette rationalité venait à s’accomplir : un tel « monde » _ à la Carl Schmitt (1888 – 1985 ; lui n’a pas quitté l’Allemagne nazie…) ; cf « Le Nomos de la Terre«   _ serait-il encore habitable ? « …

Myriam Revault d’Allonnes prend donc position, page 52, et au nom de « l’exigence démocratique« , en faveur d’« une anthropologie de l’indétermination _ souple face à la pluralité ouverte des possibles _, de la pluralité et du conflit«  _ de la discussion et du débat informés et pacifiques _ ;

une « exigence démocratique«  qui « ne s’épuise pas dans la forme procédurale«  _ avec ses dangers de pragmatisme utilitariste à courte vue _ ; même si cette dernière « est fondamentale, car, au-delà d’arguments strictement défensifs (défense des libertés individuelles, du principe de l’équilibre _ et d’abord de la séparation et de l’indépendance _ des pouvoirs) elle porte en elle le principe de l’affirmation des droits.« 

On ne peut donc certes pas « se débarrasser de la démocratie«  !

conclut Myriam Revault d’Allonnes cet entretien avec Michaël Foessel , page 53.

Les conclusions de l’entretien avec Mireille Delmas-Marty vont aussi dans ce sens :

« En somme, une communauté de destin, dans un monde imprévisible, c’est une communauté capable d’anticiper sans renoncer à l’indétermination _ voilà : celle de sujets existentiels libres et responsables… _ et de s’adapter _ mais aussi accommoder le réel à leurs projets  _ en innovant, dans le domaine technologique, mais aussi juridique _ et d’autres : je pense ici aux thèses de Cornelius Castoriadis en sa magnifique « Institution imaginaire de la société«  Dépasser la contradiction entre liberté et sûreté, entre anthropologie guerrière et anthroplologie humaniste, entre droits et devoirs, c’est le défi lancé aux « forces imaginantes du droit »« ,

comme aux autres « forces imaginantes » (et civilisationnelles), aussi, du génie humain…

Une lecture éminemment conseillée donc

en ce moment, ce samedi, de réflexion électorale aussi

que ce numéro de mars-avril 2010 de la revue Esprit : « L’État de Nicolas Sarkozy« 


Titus Curiosus, ce 20 mars 2010

Altermondialismes versus néolibéralisme : un passionnant état des lieux sur laviedesidees.com , par Geoffrey Pleyers

29jan

Afin de (un peu) comprendre (un peu mieux) l’état des « forces », « poussées » et « luttes » (actuelles)

_ soit altermondialisme(s) versus néolibéralisme _

sur notre planète (commune : partagée et divisée),

voici un passionnant « état des lieux »,

précis, détaillé et assez nuancé, me semble-t-il,

de Geoffrey Pleyers,

sur le toujours très remarquable site de laviedesidees.com :

l’article « Les défis du Forum Social Mondial 2009« 

Je surlignerai ce qui, personnellement, m' »interpelle » ;

et ponctuerai, légèrement, le texte de quelques remarques de « commentaire », à l’occasion ; selon la « méthode » que je me suis donnée ; et propose aux lecteurs de ce blog _ qui permet de ne lire, aussi, que l’article original, si on le préfère _ ;

telle une amorce, en quelque sorte, de « conversation » avec chaque lecteur…

Les défis du Forum Social Mondial 2009

par Geoffrey Pleyers [28-01-2009]

Domaine : International

Mots-clés : altermondialisme

Toutes les versions de cet article :

Alors que s’est ouvert au Brésil, mardi 27 janvier, le huitième Forum Social Mondial,

Geoffrey Pleyers dresse l’état des lieux _ c’est l’expression juste _ du mouvement altermondialiste :

en dépit d’un essoufflement apparent, les idées essaiment et de nouveaux terrains d’action sont déjà ouverts.

<!–

Voir en ligne : http://www.flickr.com/photos/haerin…

Vers le Forum Social Mondial 2009

Ce mardi 27 janvier s’ouvre le huitième Forum Social Mondial (FSM) à Bélem, au Brésil. [1] Bien des choses ont changé sur la planète altermondialiste depuis la dernière visite du Forum au Brésil il y a quatre ans, en janvier 2005. Le Forum qui s’était alors tenu à Porto Alegre reste considéré comme le plus réussi tant par la qualité et l’ouverture de nombreux ateliers qu’il a hébergés que par son ampleur : 200 000 manifestants pour la marche d’ouverture, un demi-million de personnes recensées par la police sur le site du FSM, 2 500 ateliers organisés de manière décentralisée par 5 700 associations et 6 923 journalistes accrédités pour couvrir l’événement. Le FSM achevait alors une phase de croissance impressionnante, passant en quatre ans de 15 000 à 170 000 participants [2]. Il était devenu un immense rassemblement qui avait permis aux activistes _ si l’on veut… _ venus de toutes les régions du monde d’échanger leurs expériences et de discuter d’alternatives locales et globales.

Depuis ce grand rendez-vous de 2005, la géographie de l’altermondialisme a été profondément modifiée. Le mouvement a considérablement décliné dans plusieurs de ses bastions historiques, à commencer par la France et l’Europe occidentale. Dans le même temps, il a connu des succès nouveaux dans des régions qui revêtent une importance symbolique et stratégique : l’Afrique et l’Amérique du Nord. Plus de soixante Forums Sociaux nationaux ou régionaux ont par exemple été organisés en Afrique depuis 2005. Bamako en 2006, puis Nairobi en 2007 ont accueilli le Forum Social Mondial, suscitant d’importantes dynamiques au sein de la société civile _ un acteur important du réél _ des pays de ces deux régions du continent. Plusieurs Forums ont également animé _ _ le Maghreb. En Amérique du Nord, les altermondialistes canadiens n’ont cessé d’être dynamiques depuis 2001 ; et le premier Forum Social des États-Unis, organisé à Atlanta en juin 2007, a réuni une dizaine de milliers de militants venus de différents courants de la société civile progressiste américaine et des minorités. Le Forum Social du Mexique qui tiendra sa seconde session en même temps que le Forum de Bélem est lui aussi parvenu à initier une nouvelle convergence dans une société civile nationale très fragmentée [3].

Les transformations qu’a connues l’altermondialisme depuis 2005 sont cependant bien plus profondes que sa seule recomposition géographique _ dont acte ! D’où cette « analyse »… Les querelles autour des objectifs des Forums Sociaux et des orientations politiques que certains souhaitent lui voir afficher [4] ; ou le déclin de l’impact médiatique dont jouissait le mouvement _ à noter _ constituent des symptômes d’une transformation profonde du mouvement ; qui a conduit à sa réorganisation autour de trois courants _ tel va être le point de focalisation de cette analyse de Geoffrey Pleyers. Elle s’est également traduite par certains aveux de faiblesse du mouvement _ dont acte _ en cette période de crise globale. La réaction des altermondialistes face à l’important sommet de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) qui s’est tenu à Genève en juin 2008 a constitué une illustration particulièrement claire à cet égard.

Le « paradoxe de Genève »

Du 22 au 29 juillet 2008, trente délégations des pays les plus influents de l’OMC se sont réunies à Genève à l’initiative de Pascal Lamy pour ce qui était alors présenté comme une « réunion de la dernière chance » destinée à remettre en piste le processus de libéralisation du commerce initié à Doha en 2001. Après l’échec des négociations à Seattle (1999), Cancun (2003) et Hong Kong (2005), la crédibilité même de l’organisation était en jeu. Or, malgré l’importance de l’enjeu, les associations et réseaux altermondialistes n’ont cette fois pas été capables _ _ de mobiliser leurs troupes comme elles l’avaient fait les années précédentes à Gènes, Gleaneagle ou Rostock. Genève n’a pas connu de mobilisations comme celles qui avaient animé la ville en 2003 lors du sommet du G8 d’Évian.

Pourtant, dans un même temps, le succès de certaines idées _ oui : ce sont aussi des « acteurs » de l' »Histoire » ; du « Réel »… _ altermondialistes connaissaient un succès sans précédant, bien au-delà des sympathisants du mouvement et même des clivages politiques. Alors qu’au cours des années 1990, l’ouverture d’un pays au commerce et aux investissements internationaux était considérée comme l’unique voie vers la croissance économique et la modernisation, N. Sarkozy, alors président en exercice de l’Union Européenne, et le premier ministre indien M. Singh affichaient clairement  _ c’est une « proclamation » _ leur « refus de sacrifier des centaines de milliers d’emplois dans l’agriculture sur l’autel du néolibéralisme » (Le Monde, 22 juillet 2008)Avec la crise financière de l’automne 2008, même Gordon Brown s’est transformé en nouveau leader _ proclamé, lui aussi _ d’une coalition internationale qui promeut une économie plus régulée et un nouveau Bretton Woods. Le nouveau président américain Barack Obama a lui aussi adopté certaines positions proclamé en public, du moins : à la date du 8 novembre 2008, il n’était que »président élu » ; pas encore en activité… _ qui tiennent particulièrement à cœur aux altermondialistes, notamment face à l’impunité des paradis fiscaux (Guardian, 08/11/2008). La crise financière globale de 2008 a constitué une théâtralisation d’un profond changement idéologique :

la fin de trois décennies d’hégémonie de la pensée néolibérale [5] _ une expression qui me paraît capitale !!!

Les institutions internationales qui avaient supervisé la libéralisation du commerce mondial et prônaient les mesures néolibérales auprès de leurs membres ou de leurs créanciers ont considérablement perdu de leur légitimité et de leur influence _ voilà le fait marquant ; et désormais incontournable. Les gouvernements latino-américains ont enterré le projet de Zone de Libre Échange des Amériques (ZLEA) et plusieurs ont payé anticipativement leurs dettes pour échapper aux diktats des institutions de Bretton Woods. Le processus de libéralisation du commerce s’est arrêté _ un tournant historique d’importance ! _ et les sommets de l’OMC se sont soldés par une série d’échecs. Le FMI de Dominique Strauss-Kahn est devenu inaudible _ mazette ! _ malgré l’ampleur de la crise mondiale. La Banque Mondiale est sans voix ; et fait désormais face _ les courants de pouvoir changent donc… _ à des projets alternatifs comme la Banque du Sud en Amérique Latine.

Au cours des quinze dernières années, le mouvement altermondialiste a activement contribué à miner la légitimité _ voilà… _ dont se paraient le Consensus de Washington et les institutions qui le promouvaient. Il est notamment parvenu à ouvrir les débats _ tiens… _ sur les politiques économiques et commerciales, jusqu’alors réservés _ voilà _ à quelques cercles restreints _ et discrets… _ d’experts et de technocrates des institutions internationales. Les altermondialistes ont demandé _ un peu plus haut et fort _ que les politiques néolibérales soient évaluées suivant leurs résultats, arguant qu’elles se sont révélées _ de fait _ contre-productives _ _ en termes de réduction de la pauvreté ou de stabilité économique, comme en avaient attesté les crises financières asiatique (1997-1998), argentine (2001), américaine (2007) et globale (_ at last, but not at least, en _ 2008). Les activistes et les experts altermondialistes avaient également insisté sur la légitimité des interventions des États _ coucou ! les revoilà ! _ dans le domaine économique, contrairement aux conceptions néolibérales _ eh oui ! _ qui jugeaient _ de très haut _ le marché et les experts indépendants plus rationnels _ ah ! la « ratio » économique ! _ et davantage orientés vers le long terme _ plus décisif et « réel » _ que les élus politiques [6] _ obnubilés, eux, par leur maintien au pouvoir, aux prochaines échéances électorales… Avec la crise globale _ telle on doit la nommer _, les positions altermondialistes sont désormais _ voilà la nouveauté dont il faut impérativement  tenir compte désormais ! _ hégémoniques _ du moins « dominantes » _ sur cette question. En mai 2008 déjà, l’ancien président brésilien F.H. Cardoso, qui fut l’une des cibles favorites des altermondialistes, expliquait que « très peu de pays qui ont adopté les recettes néolibérales ne se sont pas complètement effondrés, comme ce fut le cas de l’Argentine. Les pays qui ont réussi leur passage dans la mondialisation y sont parvenus parce qu’ils ont maintenu une capacité de décision de leur État  _ voilà ! _ dans le domaine économique » [7].

Le paradoxe est donc qu’au moment _ maintenant : janvier 2009 _ où quelques-unes des principales idées _ c’est de cela qu’il s’agit, pour le moment, du moins… _ altermondialistes sont reprises _ au moins en paroles _ par les décideurs politiques de tous bords _ mais oui !.. _ ; et que les institutions internationales qui furent les cibles des altermondialistes sont largement discréditées _ ah ! la confiance… _, l’avenir des associations et des événements qui ont le plus fortement incarné le mouvement semble pour le moins incertain _ du moins en balance, hésitant… Des réseaux qui furent au cœur du mouvement ont aujourd’hui disparu (comme le Mouvement de Résistance Globale de Barcelone ou de nombreux Forums Sociaux locaux) ou considérablement décliné (comme ATTAC). Les derniers Forums Sociaux continentaux à Malmö (17-21 septembre, 12.000 participants) et à Guatemala City (7-12 octobre 2008, 7.500 militants) n’ont plus attiré les foules des éditions précédentes. Plutôt que d’y célébrer la « fin du néolibéralisme » décrétée par J. Stiglitz en juillet 2008, _ à aller regarder d’un peu plus près… _ les activistes européens se sont inquiétés de l’avenir du mouvement sur leur continent. Deux semaines plus tard, le Forum Social des Amériques a surtout ressemblé à un « show politique bien orchestré » [8] plutôt qu’à un débat stimulant _ et fécond _ entre des organisations de base. Le mouvement a par ailleurs perdu beaucoup de l’aura médiatique qui le caractérisait entre 1998 et 2005. Les Forums Sociaux et des dizaines d’associations avaient développé d’impressionnants dispositifs d’ « éducation populaire » qui ont familiarisé des dizaines de milliers de citoyens avec les problématiques macroéconomiques et financière. Mais peu d’entre eux sont parvenus à faire entendre _ plus largement _ leurs visions de la crise dans les grands médias.

Vers des « résultats concrets »

Le mouvement aurait-il été victime de son succès ? Les grandes manifestations et les Forums Sociaux ont probablement perdu de leur utilité alors que certains slogans altermondialistes sont désormais repris _ mais avec quelle signification, impact et résultats effectifs ? _ par l’establishment politique et économique [9]. Cependant, si le mouvement a contribué à bloquer le processus de libéralisation du commerce _ ce qui n’est pas tout à fait rien _, les alternatives concrètes et constructives qui en sont issues demeurent encore limitées ; et le nouvel ordre mondial auquel en ont appelé les militants reste à construire. L’importance d’une régulation globale _ oui _ et des défis planétaires  _ pas moins ! _ rappelle chaque jour _ aux consciences des décideurs, comme de tout un chacun des citoyens _ l’urgence d’une coopération internationale [10]. La crise alimentaire et les conséquences de la crise économique n’ont fait que renforcer la nécessité de porter davantage d’attention _ et d’action ; et de « soins » _ à la cohésion sociale, à la pauvreté et aux inégalités. Aussi, après avoir remporté un certain succès au niveau des idées _ sur le terrain d’une certaine « opinion publique »… _, les altermondialistes estiment qu’il s’agit désormais de se focaliser sur des applications concrètes _ voilà ce qui peut se dégager d’une attention au « terrain »… Cependant, alors que les Forums Sociaux, les grandes manifestations et l’opposition claire au néolibéralisme fournissaient une large couverture médiatique et une image unifiée au mouvement _ un peu lisiblement, en quelque sorte _, les altermondialistes sont bien plus divisés lorsqu’il s’agit de promouvoir des alternatives et des politiques à mettre en œuvre. Le mouvement apparait dès lors fragmenté autour de trois grandes orientations _ et voici l’apport concret et précis de cette contribution de Geoffrey Pleyers…

1. Le changement à partir du niveau local

Plutôt que dans un mouvement global et des forums internationaux, les activistes de la « composante culturelle » du mouvement altermondialiste s’investissent dans des réseaux locaux. Ils considèrent qu’une transformation sociale profonde viendra d’une mise en œuvre des valeurs d’horizontalité, de participation, de convivialité et de respect de l’environnement dans les pratiques quotidiennes et les espaces locaux. Comme d’autres mouvements indigènes latino-américains, les zapatistes ont par exemple concentré leurs énergies depuis 2001 sur le développement de communautés autonomes gérées selon ces principes, développant notamment sur des pratiques de gouvernement participatif _ qu’est-ce à dire précisément ? _, un système d’éducation alternatif et une revalorisation de la place des femmes au sein des communautés [11].

Dans les villes occidentales, on assiste également à la multiplication des réseaux d’activistes qui prétendent apporter des alternatives concrètes à la mondialisation néolibérale, aux multinationales et à la consommation de masse à partir d’initiatives locales et conviviales. La « consommation critique » et les initiatives visant à promouvoir une sociabilité dans les quartiers semblent par exemple occuper la place laissée vacante par un déclin de l’altermondialisme dans les centres sociaux italiens [12]. Une vaste panoplie de réseaux urbains, généralement de taille modeste, se sont répandus au cours des dernières années dans les villes occidentales, depuis les « vélorutionnaires » qui promeuvent l’usage du vélo jusqu’aux jardiniers clandestins qui embellissent les ronds-points et autres espaces publics. Des « Groupes d’Achats Communs » (GAC) ou des « Associations Pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne » (AMAP) se sont multipliées en Europe occidentale et en Amérique du Nord. Leurs membres s’organisent pour acheter ensemble des produits biologiques aux agriculteurs locaux. Leur objectif est non seulement de permettre une alimentation de qualité à des prix abordables, mais aussi d’incarner une alternative _ civilisationnelle _ à l’ « anonymat des supermarchés » et de promouvoir les liens sociaux _ conviviaux, « non-inhumains » _ à l’échelle locale. Dans un registre similaire, la vaste mouvance pour une « décroissance conviviale » et ses « objecteurs de croissance et de vitesse » sont axés sur la mise en pratique de styles de vie _ un concept bien intéressant _ moins voraces en ressources naturelles.

2. Des lobbies altermondialistes et citoyens

Plutôt que des mobilisations massives et de grands forums, une autre composante de l’altermondialisme considère que le mouvement ne pourra parvenir à des résultats concrets qu’en organisant des réseaux thématiques capables de développer une argumentation solide et un lobbying efficace _ voilà la piste d’action _ auprès des décideurs politiques et des institutions internationales. Ils se sont organisés autour de thèmes comme « la souveraineté alimentaire« , « la dette du Tiers-Monde«  ou « les transactions financières« . À partir de questions spécifiques comme la gestion collective de l’eau [13], les militants entendent débattre de problèmes plus vastes comme la défense des biens publics ou la promotion de l’idée selon laquelle « le service public (!) est la forme de gestion de ces biens la plus efficace _ oui… _ sur le long terme » [14] _ un point levier décisif. Après plusieurs années de discussions autour d’une même thématique, le niveau des débats et la qualité de l’argumentation s’est considérablement élevé dans la plupart de ces réseaux. Quelques-uns d’entre eux ont d’ailleurs connu certains succès _ d’opinion ou médiatique, pour commencer ; puis très effectif… Le réseau de l’eau a par exemple contribué au « lobbying citoyen » qui a conduit la ville de Paris à décider de remunicipaliser la gestion de l’eau sur son territoire à l’automne 2008. De même, les experts des réseaux contre la dette du Tiers-Monde ont eu un impact important sur certaines politiques économiques adoptées par le gouvernement équatorien.

3. Soutenir des régimes progressistes

Les militants de la troisième composante du mouvement sont quant à eux convaincus qu’un grand changement social ne peut être atteint sans passer par les gouvernements progressistes _ et le niveau et la structure de l’Etat. Depuis les débuts du mouvement, les altermondialistes ont milité pour un renforcement de la capacité d’agir des décideurs politiques face aux acteurs économiques _ un point  très intéressant ; et décisif _ et aux défis sociaux et environnementaux. Maintenant _ c’est très récent ! _ que la légitimité de l’intervention des États n’est plus _ ou du moins, est un moins moins _ questionnée, _ c’est-à-dire « mise en question », « contestée »cette composante « plus politique » de l’altermondialisme estime qu’il est temps d’unir les efforts du mouvement à ceux des responsables politiques progressistes. Beaucoup ont ainsi manifesté leur soutien aux présidents Chavez au Venezuela ou Morales en Bolivie. Pour ces militants, l’État continue de constituer la base essentielle à partir de laquelle des politiques sociales et économiques différentes peuvent être mises en œuvre ; et des alliances internationales autour de projets progressistes nouées, comme c’est le cas pour la « Banque du Sud ». Pour des raisons historiques et de culture politique, les altermondialistes indiens et latino-américains sont généralement plus proches des partis et des leaders politiques. De tels rapprochements ont cependant également été observés dans les pays occidentaux. Une partie importante de la dynamique qui avait fait le succès du premier Forum Social des États-Unis en 2007 a par exemple été réorientée vers la longue campagne électorale _ avec succès ! _ de Barack Obama.

Au-delà du constat de la fin _ indéfinie ?.. _ du néolibéralisme et de la fin _ idem ?.. _ du modèle économique qu’il a promu _ des points nodaux majeurs ! _, les activistes de ces trois composantes de l’altermondialisme trouveront-ils des terrains communs de discussion ? Leurs divergences politiques  _ certes _ se sont étalées dans les nombreux débats qui ont émaillé le mouvement au cours des dernières années. Pourtant, à l’aune de la tâche qu’il reste à accomplir pour que la crise financière, économique et écologique débouche _ peut-être _ sur une nouvelle donne en terme de gouvernance globale, de régulations économiques et de styles de vie, c’est par la complémentarité des stratégies promues par ces trois composantes de l’altermondialisme que des alternatives constructives pourraient _ l’avenir se construit : cf Cornelius Castoriadis : « L’institution imaginaire de la société« , ce très grand livre _ émerger.

par Geoffrey Pleyers [28-01-2009]

Notes

[1] Une version longue de ce texte paraîtra dans Kaldor M., Anheier G., Glasius M., Schoolte J.A. eds. (2009), « Global Civil Society 2008/9« , Londres : Sage, mars 2009.

[2] Cf. Pleyers G. (2007) « Forums Sociaux Mondiaux et Défis de l’Altermondialisme« , Brussels : Academia.

[3] Voir à ce propos, déjà, l’article de Geoffrey Pleyers « L’altermondialisme : essoufflement, ou reconfiguration ? » sur ce même site de laviedesidees.fr le 21 mars 2008

[4] Sen J. and Kumar M. eds. (2007), « A Political Programme for the World Social Forum ? Democracy, Substance and Debate in the Bamako Appeal and the Global Justice Movements », New Delhi : CACIM et Durban : Centre for Civil Society ; Bello W. (2007), The Forum at the Crossroads ; Whitaker F. (2007), Crossroads do not always close roads (Reflection in continuity to Walden Bello) ; Cassen B., Ventrura C. (2008), Which alter-globalism after the « end of neo-liberalism » ? , 18 sept.

[5] Held D and McGrew A (2007) Globalization/Antiglobalization, 2nd ed., Cambridge : Polity Press ; Stiglitz J. (2008),  » The End of Neo-Liberalism ?« .

[6] Barro R. (1986), Recent Developments in the Theory of Rules Versus Discretion, The Economic Journal, V. 96, p. 23-37.

[7] Conférence à l’Institut d’Études Politiques de Paris, 12/06/2008. Voir aussi Cardoso F. H. (2008), A Surprising World, International Journal of Communication 2 (2008), Feature 472-514.

[8] Selon les termes de l’anthropologue américain J. Juris.

[9] Voir notamment sur cette question François Polet (2008), « Clés de lecture de l’altermondialisme« , Charleroi : Couleur Livres.

[10] Held D. (2007), Reframing Global Governance : Apocalypse Soon or Reform !, in : Held D. and McGrew A. eds. Globalization theory, Cambridge : Polity Press, 250-259.

[11] Cf. Raúl Ornelas Bernal (2007), « L’Autonomie, Axe de Résistance Zapatiste« , Paris, Rue des Cascades.

[12] Rebughini P and Famiglietti A (2008), Un consumo diverso è possibile : la via dei centri sociali, in L. Leonini and R. Sassatelli eds., Il consumo critico, Roma : Laterza, p. 85-112.

[13] Voir par exemple Dicke W. and Holland F. (2007), Water : a Global Contestation, in : Kaldor M., Albrow M., Anheier H., Glasius M. eds. Global Civil Society 2006/7, London : Sage, p. 122-143.

[14] Extrait du texte adopté par la « Water network assembly », Forum Social Européen 2008.

Pour essayer de s’informer (et un peu mieux comprendre _ au moins _ ce qu’il en est : des faits !)

quant à « la marche du monde »…

Titus Curiosus, le 29 janvier 2009

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