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Bernard Mounier : surmonter et survivre, réparer et pacifier : l’indispensable qualité de la relation vraiment humaine…

16mai

Dans mon évocation hier _  _

de la très remarquable personne de Bernard Mounier, le maire pacifiant des Plantiers,

je n’ai quasiment rien dit de son histoire personnelle,

accessible cependant en partie dans le portrait qu’a tracé de lui,

le jour _ c’était il y a plus de 21 ans, déjà, le 9 janvier 2004 ; Bernard Mounier (né le 6 février 1955), n’avait alors que 48 ans… _ de sa réception à l’Académie de Nîmes, le président de cette Académie, M. Roger Grossi _ lequel décèdera à Nîmes au mois de novembre 2011, à l’âge de 97 ans _ :

Bernard Mounier, en effet, est le fils et le petit-fils de deux mineurs de La Grand Combe, Francis Mounier (1932 – 1961) et François Mounier (décédé en 1972), tous deux décédés à la mine ; de même qu’est décédé lui aussi à la mine le grand-père maternel de Bernard Mounier, le père de sa mère Thérèse Dussert, Prosper Dussert.

En 1961, « le choc _ de la mort accidentelle si précoce de Francis Mounier à la mine : il a à peine 29 ans… _ est si destructeur que, sans autre raison apparente, votre jeune maman _ Thérèse Dussert, née en 1932 : elle aussi n’a que 29 ans… _ devient aveugle et sourde, comme si son corps fragile et son cœur meurtri refusaient de survivre au drame« , raconte le 9 janvier 2004 Roger Grossi _ les qualités profondes d’humanité de Bernard Mounier s’étaient donc déjà bien révélées, par ses actes…

« Les médecins cherchèrent en vain une cause biologique expliquant cette double fermeture au monde. Votre mère ira d’hôpital en hôpital, d’établissements médicaux en centres sociaux, toujours écrasée _ voilà _ par l’insupportable.

Vous allez, tout au long des années qui suivirent, tenter de trouver un chemin de dialogue _ voilà : « dialogue«  est plus juste que « communication«  : le dialogue est mutuel et réciproque ; il implique l’écoute attentive et la parole ouverte et confiante de l’autre ; il est fondamentalement ouvert ; et ne doit pas être instrumentalisé… _ avec votre mère, et vous le trouverez. Vous l’aimez tendrement, et elle n’a que vous à aimer. Vous trouvez les moyens de cette communion _ oui _ qui vous est indispensable à tous deux, vous inventerez _ une forme de ce je nomme une active « imageance » confiante _ ensemble le langage des doigts.

Plus tard, les autorité de tutelle, frappées par la qualité _ voilà ! à rebours de l’exclusivement quantitatif des statistiques, qui font fi de la si précieuse (et indispensable !) vraie singularité… _ de votre relation filiale, vous demanderont de devenir « son tuteur », le tuteur _ légal _ de votre mère.

Vous l’avez accompagnée jusqu’à sa mort en l’an 2000, elle avait alors 68 ans, et vous aviez 45 ans« .

(…)

« Votre grand-mère maternelle Antonia vous prend en charge _ en 1961. C’est elle qui règle les questions administratives de pension et toutes les questions _ à commencer par celles, bien sûr, d’éducation _ de votre enfance. Elle suit aussi, bien sûr, le devenir de sa belle-fille Thérèse. Antonia est une femme forte, une fidèle catholique, une chrétienne dont l’exemple _ oui _ marquera profondément _ voilà _ toute votre vie.

Vous auriez pu sombrer _ oui _ dans la révolte, le désespoir, la dépression _ voilà ce qu’il faut apprendre à bien vite surmonter. Il faut si peu pour détruire _ peut-être irréversiblement _ un enfant. Mais l’amour _ oui _  que vous trouvez chez votre mère, dans votre grand-mère, chez votre tante Viviane _ Andrée _ Dussert Lavigne _ qui décèdera au mois d’octobre 2013, à l’âge de 88 ans _, la sœur de votre mère, est la source et la racine de votre bonheur« .

Bernard Mounier : un homme de qualité humaine tout à fait remarquable…

Et dont la réalité tranche, bien cruellement pour nous, les citoyens de ce pays, avec les misérables squelettes (et fantômes) technocratiques cyniques _ tellement pauvres en humanité vraie, tout exclusivement numérisés et comptables (pour quels profits ? et de qui ?) qu’ils sont ! _ de la plupart, hélas, de notre personnel politique d’aujourd’hui ;

même si j’exclus de ce triste constat l’épaisseur humaine authentique de ces membres de la fonction publique dont l’action très délicate et efficace a accompagné avec un plein succès celle du maire des Plantiers, Bernard Mounier ;

je veux parler ici des très remarquables, eux aussi, Procureur Eric Morel, Général de Gendarmerie Arnaud Browaeÿs, et Préfète Marie-Françoise Lecaillon…

 

Ceux-ci font grand honneur à la fonction publique de notre République, que des générations de politiciens _ depuis les Thatcher et Reagans’acharnent hélas à de plus en plus affaiblir et ruiner…

Il nous manque probablement la vivissime lucidité de pensée et de plume d’un Machiavel _ ou d’un Nietzsche _ du XXIXe siècle

pour mettre pleinement à jour et dénoncer avec efficace le si misérablement mesquin et terriblement toxique _ suicidaire (« Après nous, le Déluge…« ) et nihiliste… _ machiavélisme endémique contemporain…

Ce dimanche 16 mai 2021, Titus Curiosus – Francis Lippa

L’anthropologie fondamentale _ à partir de la corporéité _ de Corine Pelluchon : une pensée très féconde

31mar

Ayant reçu mercredi 18 mars à la librairie Mollat

Corine Pelluchon

venue présenter à Bordeaux son très richeLes Nourritures _ Philosophie du corps politique (aux Editions du Seuil),

cf le podcast de notre entretienCorine Pelluchon Les nourritures : philosophie du corps politique, aux éditions du Seuil

Au « 91 », rue Porte-Dijeaux

EcouterTéléchargerPodcastiTunesExporter 

Cf aussi la vidéo de présentation de son livre :

https://youtu.be/3FFJh6UQZz0

j’ai aussi un très vif plaisir à signaler l’excellent article que Corinne Pelluchon vient de donner le 28 mars dernier au quotidien Libération :

Andreas Lubitz, en fermé dans le cockpit, sourd au monde et aux autres

http://liberationdephilo.blogs.liberation.fr/2015/03/28/lubitz-enferme-dans-le-cockpit-sourd-au-monde-et-aux-autres/

En voici le texte

qui donne excellemment à penser :

Ou la vulnérabilité au mal d’un sujet qui n’a que lui comme horizon 

par Corine PELLUCHON

SUICIDE ET MEURTRE

Le geste d’Andreas Lubitz qui, le 24 mars 2015, a volontairement précipité l’Airbus A-320 de la Germanwings sur une montagne, provoquant la mort de tous les passagers et de l’équipage, pourrait à première vue donner raison à Emmanuel Kant qui soulignait le lien entre le suicide et le meurtre.

Dans La Métaphysique des Mœurs, le philosophe affirme que celui qui est prêt à se donner la mort, parce que la vie ne lui apporte pas ce qu’il désire, se traite comme un moyen en vue d’une fin hétéronome, le bonheur. Le suicide est conçu comme une violation du devoir envers sa personne, qui est une fin en soi, et n’est donc pas relative à l’individu. Celui-ci ne peut donc faire n’importe quoi de sa vie, de son corps, de ses talents ; il a des devoirs envers lui-même, qui renvoient au respect de l’humanité dans sa personne. Or, Kant ajoute qu’un homme qui se détruit et se sert de sa personne comme d’un moyen au service de ses fins individuelles serait également prêt à faire la même chose avec la personne d’autrui.

Des élèves se retrouvent devant le lycée de Joseph-Koenig de Haltern am See, dans l’Ouest de l’Allemagne, le 25 mars, pour se recueillir après le crash du vol des Germanwings, dans lequel ils ont perdu des camarades. Photo Sascha Schuermann / AFP.

Cette manière de mettre sur le même plan les devoirs envers soi-même et les devoirs envers autrui, présente assurément des inconvénients, parce qu’elle ne tolère, comme l’a montré John-Stuart Mill, aucun vice privé et aboutit, selon la formule de Ruwen Ogien, à «criminaliser les crimes sans victimes», comme la gourmandise, l’onanisme, l’indécence, qui ne créent aucun dommage à autrui. Quand on s’interroge sur ce qui peut faire l’objet des interdictions et être considéré comme un délit, il est, en effet, nécessaire de séparer la morale du droit, et de n’interdire que les actes créant un dommage aux autres.

L’ESSENCE DU MEURTRE APPARAÎT DANS SA GRATUITÉ

Le fait qu’il n’y a pas, chez Kant, de différence de nature entre les devoirs envers soi-même et les devoirs envers autrui, ne permet pas non plus de comprendre l’essence du meurtre, qu’il est impossible de rapprocher moralement du suicide. Non seulement on ne peut pas estimer que l’individu suicidaire est un meurtrier en puissance, ni supposer que tous les meurtriers sont également désireux de se tuer, mais, de plus, le meurtre est le fait de mettre fin à la vie de quelqu’un d’autre sans le consentement de ce dernier. Il est, ainsi que le dit Levinas dans Totalité et Infini, la volonté d’exercer son pouvoir sur ce qui échappe à son pouvoir. La vie de l’autre ne m’appartient pas. Bien plus, la gratuité du meurtre, qui n’est pas motivé ici par la volonté de s’approprier les biens d’autrui, et se démarque de toute entreprise de domination, mais aussi du combat de deux individus engagés dans une lutte à mort pour la reconnaissance, fait ressortir son essence. Le fait qu’Andreas Lubitz ne connaissait pas personnellement les passagers de l’avion, est à prendre en compte si l’on veut analyser le type de violence qui est en jeu dans son acte.

Il y a bien une violence dans le suicide qui est, comme le meurtre, un acte définitif et irréversible. Quand il n’est pas lié à une maladie grave ou à la misère économique, ce geste est aussi une manière d’accuser la société, qui n’a pas été capable d’offrir à la personne ce à quoi elle pensait avoir droit, ou qui n’a pas entendu son appel. L’individu ne parvient pas à imaginer que la vie pourrait être autre chose que la répétition du même. Ce manque de possible souligne aussi sa difficulté à se défaire de la logique de la puissance pour lâcher prise et être disponible à ce qu’Henri Maldiney appelait la transpassibilité, le fait d’espérer l’inespérable, au-delà de toute attente. Le meurtre partage avec le suicide cette obsession de la maîtrise, mais c’est le sentiment d’impuissance qui conduit une personne à se tuer. Il suffit parfois de presque rien, comme cette belette qui, comme le raconte Ludwig Binswanger dans Manie et Mélancolie, surprend son patient, B. Wandt, parti dans la forêt avec l’intention de se pendre avec ses bretelles, lui signifiant qu’il a encore des choses insoupçonnées à découvrir et le poussant à revenir à l’hôpital.

TOUTE-PUISSANCE, ENFERMEMENT EN SOI ET LOGIQUE MEURTRIÈRE

Au contraire, le meurtre plonge ses racines dans la volonté de toute-puissance d’un sujet qui devient sourd au monde et aux autres, comme Andreas Lubitz, enfermé dans le cockpit et ne répondant pas à l’appel désespéré du pilote. Enfermé en lui-même, tout en exerçant le contrôle absolu sur l’avion, le meurtrier est séparé du reste du monde. De même que la gratuité du meurtre souligne son essence, de même l’ignorance des victimes qui sont des victimes innocentes, n’ayant jamais rien fait à Andreas Lubitz, témoigne de ce qui est en jeu dans cette logique meurtrière. On ne peut l’appréhender qu’en se plaçant du côté du meurtrier et en prenant la mesure du vide qui est le sien. Andreas Lubitz n’en veut pas aux passagers ni à son commandant de bord, mais il ne les voit pas. Il n’a que lui, et c’est pour cela qu’il est capable de commettre le mal.

Accepter de regarder en face l’énormité de l’acte d’Andreas Lubitz, c’est y voir quelque chose qui préfigure d’autres actes dictés par ce type de violence. Il s’agit d’une violence gratuite, qui implique que le meurtrier ne choisit pas ses victimes, mais qu’il veille cependant à ce qu’elles soient nombreuses, afin que son crime soit un crime de masse. Oui, nous sommes à l’ère du terrorisme. Oui, les cadavres de cinq nouveaux nés tués par leur mère ont été récemment découverts. Oui, certains traders et certains dirigeants de firmes transnationales sont capables de ruiner des millions de personnes, d’affamer des populations, simplement pour faire du profit. Mais on ne peut pas dire qu’il y a de nos jours plus de crimes que dans le passé. Ce qui a changé, c’est que la violence est gratuite. Elle procède de cet enfermement en soi, de ce vide qui fait de Lubitz, que nous le voulions ou non, notre contemporain. Il n’est pas (seulement) une exception ou un fou, mais un individu qui reflète la vulnérabilité au mal de tant d’autres individus dans une société ayant privé les êtres de tout horizon commun.

UN HORIZON AU-DELÀ DE NOTRE VIE INDIVIDUELLE

Nos grands-parents n’avaient pas que leur vie pour s’orienter: certains avaient vécu la guerre, des idéaux dictaient leur conduite ; et, parfois, ils croyaient en Dieu et en une vie après la mort. Leurs actions se déroulaient sur deux plans. Elles avaient lieu ici-bas et les intéressaient personnellement, mais elles avaient aussi un sens collectif. Ils avaient à rendre des comptes : ils seraient jugés par le Très-Haut ou par l’Histoire, par le tribunal des hommes. Dieu, le gaullisme ou le communisme…

Nous ne sommes plus dans ce monde. Les hommes d’aujourd’hui n’ont que l’argent, la réussite matérielle ou professionnelle, la reconnaissance, les ornements ou les haillons du moi. Parfois, la famille et l’amour sont investis comme des refuges dans ce monde désert, c’est-à-dire déserté par le commun. Beaucoup se sentent laissés pour compte, car la richesse, la gloire, la réussite, et même l’amour, sont des biens rares. D’où les frustrations vécues comme des échecs, le ressentiment, l’envie, la crispation de chacun sur soi-même. Même si tous les êtres ne deviennent pas comme Andreas Lubitz, beaucoup d’entre eux éprouvent ce vide. Ils sont ce vide, qui est leur moi, leur égo sourd aux autres, et orphelin de toute participation au monde commun. C’est pourquoi ils étouffent et connaissent ce désespoir d’un égo en proie avec lui-même, c’est-à-dire avec l’insatisfaction et le néant.

LE MONDE COMMUN, L’ÉTHIQUE ET L’ANTHROPOLOGIE

Cet état de choses n’est cependant pas une fatalité. Une autre société est possible parce que l’être humain n’est pas seulement l’égo, le moi qui ne mesure les choses qu’à l’aune de son être individuel, devenu l’unique point de départ et d’arrivée de sa vie et du sens. Cette crispation sur soi est même relativement récente, et reflète surtout un cadre de pensée occidental. Dans les sociétés traditionnelles et antiques, l’être humain compte par son appartenance à une communauté plus large qui donne un sens à son existence individuelle, même si elle l’écrase. Nous ne dirons jamais assez tout ce que nous devons à la tradition des droits de l’homme qui vont de pair avec la reconnaissance de la valeur intrinsèque de chaque être humain et avec la résolution de protéger sa liberté en le laissant vivre conformément à ses choix personnels, pourvu qu’il ne nuise pas à autrui. Cependant, nous ne pouvons pas nous épanouir ni construire un monde durable en pensant que notre existence individuelle est le seul horizon de nos actes. Exister seulement pour soi, c’est forcément mesurer sa réussite ou son échec, voire sa valeur, en fonction de ce que l’on a gagné, des avoirs que l’on a amassés. Un tel horizon conduit à la frustration et à l’amertume.

Nous vivons pour nous et nos proches, mais nos actes ont aussi un sens lié au monde commun. Celui-ci nous accueille à notre naissance et survit à notre mort individuelle. Commun aux générations passées, présentes et futures, habité par d’autres vivants et constitué des œuvres des hommes et de la nature, ce monde, comme disait Hannah Arendt dans La condition humaine, nous confère une sorte d’immortalité terrestre. Il est une transcendance dans l’immanence, et nous permet également de mesurer la valeur de nos actes en fonction de leurs répercussions sur le monde commun.

Au lieu d’être enfermé en soi et de commettre un acte monstrueux afin que tout le monde connaisse son nom, le sujet qui vit cette double vie, sait que son existence est débordée par celle des autres. Il est conscient que, même ses gestes les plus humbles, comme le fait de manger, de prendre soin des autres hommes et des autres vivants, ont un impact sur le monde commun. Tout ce qu’il fait, tout ce qu’il dit, s’écrit dans le livre du monde, et est transmis aux autres. Vivre ainsi fournit des repères aux êtres en les aidant à poser des limites à leurs actions et à leurs désirs, et à relativiser leurs insatisfactions. Sans cet horizon du commun, le sujet est un sujet vide et total, un sujet-tyran, sans limites, aussi violent qu’il est désespéré.

LA TÂCHE DE LA PHILOSOPHIE AUJOURD’HUI

Nous ne sommes pas ici dans la morale, dans les conventions sociales, et les «il faut». Cette analyse relève de l’anthropologie philosophique. Aucun être humain ne peut se garder du mal et de la violence s’il n’a que lui comme référence. Seules la chance, la prospérité et la paix, l’empêcheront de commettre le mal. La pacification des relations humaines, la transformation de la société en une société conviviale, dans laquelle les êtres sont plus heureux et moins enclins à basculer dans l’inhumanité, ne sont possibles que si les individus, au lieu d’être enfermés dans leur égo, accueillent en eux-mêmes les autres hommes, passés, présents et futurs et les autres vivants.

L’éthique, qui désigne le rapport à l’autre que soi et donc la transformation du moi, qui est ainsi, non pas dissout, mais décentré, et d’autant plus fort ou responsable qu’il a abandonné le phantasme d’une souveraineté absolue sur lui-même et sur le monde, ne requiert pas de discours moralisateurs. N’ayant que faire des propos accusateurs dans lesquels s’enlisent les pourfendeurs de la modernité, elle exige de penser le sujet autrement qu’on ne l’a fait dans les philosophies modernes occidentales. Il s’agit d’installer l’intersubjectivité au cœur du sujet et de faire que le monde commun, même s’il n’est que terrestre, surtout s’il n’est que terrestre, ouvre un horizon d’espérance aidant les individus à s’abstenir de commettre le mal et leur donnant envie de faire le bien. Telle est la tâche de la philosophie aujourd’hui, une tâche résolument constructive.

Corine Pelluchon

Ma toute première réaction à cet article nourricier :

A comparer aussi avec les bunkers d’Hitler : celui de la toute fin, à Berlin, ainsi que les autres : la Tanière du loup, celui d’Ukraine, etc.

Nous sommes plus que jamais face à ce désert qui ne cesse _ hyper-technologie aidant _ de s’étendre,

que Nietzsche avait si bien identifié…

Titus Curiosus, ce 31 mars 2015

 

Le Pouvoir d’incarnation des images d’Isabelle Rozenbaum : son parcours de création dans « Les corps culinaires »

09déc

Le mardi 3 décembre dernier, j’ai eu le très grand plaisir de m’entretenir _ et ce fut passionnant ! le podcast dure tout juste une heure _ avec l’artiste photographe et vidéaste Isabelle Rozenbaum

à propos de son très riche et beau livre Les Corps culinaires, paru en juin 2013 aux Éditions D-Fiction _ une version numérique de ces Corps culinaires, comportant aussi 10 vidéos, était déjà parue en 2011.

C’est son (très riche !) parcours _ de trente années : depuis 1993, où elle créa son premier « studio photo avec Frédéric Cirou«  (page 14) _ de création d’images

que nous livre ainsi, en ce livre de texte (en 17 chapitres, développés sur 100 pages) et de photographies _ superbement prenantes !, au nombre de 43 (et la plupart en couleurs, auxquelles l’artiste prête une singulière et merveilleuse attention !!!) _, la photographe-vidéaste,

à partir d’un _ mais pas l’unique ! cf son tout dernier chapitre, intitulé « Comment sortir de table ?..« , pages 100 à 107… _ de ses sujets de prédilection _ et qui constitue, en effet, l’axe toujours porteur (disons principal) de sa carrière professionnelle _, la cuisine.

Et, en cela les corps culinaires en leur sublime matérialité.

La cuisine, entendue au plus large comme activité anthropologique complexe mettant très richement en jeu et interactions intensément vivantes, tant des corps cuisinés que des corps cuisinants

_ des corps, à la Lucrèce du De natura rerum, car « la cuisine (…) nous rappelle sans cesse que nous sommes faits de matière. C’est donc vraiment, là aussi, la vie et la mort : on tue du vivant, on le transforme, on l’absorbe, on le retransforme, on le rejette, et le cycle se perpétue. Ce qui est fascinant dans la cuisine qui constitue ce cycle chez l’homme, c’est cette boucle, ce mouvement continu. En photographiant ces sacrifices (d’animaux), je photographie aussi une autre approche de l’abattage que celui pratiqué par l’industrie. Le sacrifice entretient en effet un rapport consubstantiel entre l’homme et sa nourriture. L’homme doit faire face à l’animal pour le tuer, à l’opposé de l’industrie qui tue des animaux de manière mécanisée _ c’est-à-dire invisible pour ceux qui mangent après cette viande« , écrit Isabelle Rozenbaum page 61, en son chapitre « De la fête à la grenouille à la tue-cochon : sacrifice animal« … _ ;


et cela, selon des contextes « ethno-culinaires » _ le mot se trouve page 22 _ eux-mêmes extrêmement variés,

selon que l’on a à faire

à la « cuisine de chefs », tels Guy Martin _ cinq livres ont été ainsi réalisés par Isabelle Rozenbaum avec le chef du Grand Véfour, depuis 1995 _, Michel Guérard, Alain Passard, André Daguin et Arnaud Daguin

_ cf tout particulièrement Un canard et deux Daguin, aux Éditions Sud-Ouest, en 2010 ; à cet égard, page 33, Isabelle Rozenbaum note ceci : « Ce que j’ai réalisé avec Guy Martin se distingue fortement de ce que j’ai réalisé avec les Daguin. Pour Guy Martin, il s’agit d’une photographie de studio afin d’obtenir l’image du plat final.

Pour Arnaud et André Daguin, il s’agit d’une photographie de reportage en cuisine, d’un process _ le mot est important ! Car la vie est très fondamentalement process ! _ qui suit deux chefs en train d’élaborer _ le mot est lui aussi important : toute culture est fondamentalement travail et invention, et même et surtout création, capacité de liberté par le faire, le poïen !.. _ un plat jusqu’à son résultat, mais où l’image même du plat finalisé n’est pas l’objectif principal, mais une photographie parmi d’autres » ; et dans ce dernier cas (et qui reçoit la faveur de la photographe !), nous lisons page 34, « ce type de reportage _ photographique, en sa propre élaboration factuelle effective _ est une sorte de danse avec le chef _ un mot, ce mot « danse« , que j’ai entendu maintes fois dans la bouche de mon ami Bernard Plossu, à propos de sa propre pratique éminemment dansante de la photographie ; et lui aussi en parfaite empathie (de rythme : de mouvement et de vie ! ; ou bien de calme, ou silence, voire immobilité, quand il s’agit d’espaces vides d’humains et de leurs actes : cf ce chef d’œuvre particulièrement cher à l’artiste du Jardin de poussière..), vibrante, avec ceux (et ce : dans le désert il peut y avoir du vent ; dans la ville, il peut y avoir aussi du vide d’hommes ; et des présences enfuies…) qu’il photographie ainsi…

Tout l’enjeu est _ poursuit Isabelle Rozenbaum, à propos des activités culinaires qu’elle photographie _ est de savoir se placer en fonction de la lumière et d’être à la bonne distance des personnes tout en suivant leur rythme sans les gêner«  dans leur faire cuisinant ; et « c’est toujours au photographe de comprendre et de suivre la danse du chef«  (cuisinier) : je suis revenu, de la chorégraphie de Plossu, à la chorégraphie d’Isabelle Rozenbaum.

Page 37, celle-ci dit encore : « Il me semble que la gestuelle des mains (en cuisine) illustre parfaitement la transformation _ à la fois vitale et culturelle : cf Le Cru et le Cuit de Claude Lévi-Strauss… _ en cuisine et représente une sorte de chorégraphie très hypnotique _ pour qui la regarde et la photographie. Ainsi le close-up sur des mains permet, dans une grande simplicité, de mettre en valeur leurs énergies et leurs élans«  _ de mains de cuisinants à l’œuvre… _ ;

ou bien à des « cuisines de femmes«  _ ainsi Maroc, avec Alain Jaouhari, en 2002 ; Cuisines de femmes, avec Cécile Maslakian, en 2003 ; et peu après Tunisie, avec Odette et Laurence Touitou ; Sénégal, en 2004 ; Thaïlande, en 2007 ; et Inde intime et gourmande, en 2009 _ ;

ou bien encore à de la street food : « La street food est une cuisine exclusivement ambulante, pratiquée en Asie, même si on peut également la trouver aussi en Amérique latine ou en Méditerranée » ; « La street food est magique pour la simple raison qu’elle est fraîche, personnelle et variée «  (page 77).

« Photographier cette cuisine est aussi une nouvelle façon de regarder la consommation culinaire«  ; et « du fait de cette attention (du photographe), je suis dans un état bizarre dû à cette excitation, mais également à la préoccupation que j’ai alors de parvenir à fixer _ en images qui soient le plus justes possible ! _ ces moments fugaces, inattendus, uniques » ;

la street food « traduit aussi un immense plaisir _ celui de cuisiner et manger, mais, surtout, celui de vivre, tout simplement, car la street food, c’est la vie même _ voilà ! _, c’est-à-dire de la sociabilité, du lien, de l’échange _ entre les cuisinants (et cuisinantes) et ceux qui vont se nourrir, dans la rue, de ces matières ainsi cuisinées et proposées. (…) De même, c’est une cuisine qui, en plus d’être délicieuse, est très belle à voir » ;

et avec elle « j’ai changé radicalement ma manière de photographier. (…) Avec la street food, j’ai développé dans mon travail (…) une photographie prise du « dessus », c’est-à-dire une photographie sans regarder dans le viseur «  (pages 78-79)…

Et « en prenant des photographies sans regarder dans l’œilleton, précisément en cessant de cadrer mes images à partir de celui-ci,

je me suis aperçue qu’une nouvelle photographie, intéressante, originale, parfois même très surprenante, pouvait surgir. Cette photographie me révélait des éléments _ soient des matières colorées magnifiques en leur (simple et riche à la fois) facticité même _ beaucoup moins alignés, moins limités dans le cadre«  (page 81) _ et ici la plastique d’Isabelle Rozenbaum (et sa particulière attention aux couleurs) se distingue de ce Plossu nomme, lui, « l’abstraction invisible« , à la Paul Strand, ou à la Corot, pour reprendre les filiations que lui-même, parmi d’autres, se donne. Même s’il faut, aussi, mettre à part, en l’œuvre photographique de Plossu, son usage enchanteur (voire sublime !) de ses sublimes couleurs Fresson… Et les matières culinaires colorées des images photographiques d’Isabelle Rozenbaum sont elles aussi de l’ordre du sublime !..

« En agissant ainsi, le photographe peut donc parvenir à inverser _ créativement, quand c’est juste ! _ les signes de son propre regard » _ et ainsi mieux voir, et mieux montrer…

Et « j’ai également changé la manière de me tenir, de positionner mon corps pour « shooter » _ autre propriété primordiale de l’acte de photographier. Je lève ainsi mon appareil pour viser de façon « aléatoire », et je shoote ainsi les images que je contrôle ensuite _ a posteriori seulement, donc _ sur l’écran de l’appareil. J’utilise donc mon corps autant que mon regard _ et ce point est crucial.

Photographier dans cette position, avec un appareil photo qui peut être très lourd, demande un véritable sens de l’équilibre. On doit être très stable, se reposer fermement sur son centre de gravité, et, à la fois _ voilà ! _, être très souple _ un autre point de convergence avec la poïétique de Plossu ! _ pour pouvoir s’excentrer _ voilà ! _, se tendre _ et les deux sont essentiels et consubstantiels à la poïesis même d’Isabelle Rozenbaum : il s’agit d’accéder à la saisie empathique puissante d’une essentielle altérité ! _, tout en étant évidemment chargé de l’appareil photo, tenu au bout des bras.

Réaliser de telles prises de vue fait appel à une sorte de stabilité variable _ oui ! mouvante… _ qui se modère _ chorégraphiquement _ à partir de la vision que l’on a _ à l’instant même ! _ de l’espace _ environnant enveloppant la scène culinaire ; et que celui-ci soit fermé ou ouvert… _, donc sans l’appareil devant l’œil.

Du coup, des éléments apparaissent _ en quelque sorte d’eux-mêmes, hors de la stricte conscience et volonté par rapport à l’événement même de ce qui advient, pour le regard de la photographe qui choisit, appareil à bout de bras, de pleinement s’y livrer, à la racine de ce qui va devenir très bientôt, instamment, l’acte même de son geste de prise de vue photographique… _ dans le champ

que je n’aurais jamais retenus si j’avais utilisé mon mental _ hyper-calculateur _ et ma visée _ hyper-cadrée. (…) Cette part d’incertitudes et de doutes _ en ce moment hyper-riche d’affects (et ultra-rapide, aussi, bousculant et bousculé émotionnellement) de la prise de la vue effective sur cette scène de plénitude de vie (et non « scène de crime«  ! Je pense ici aux scènes de crime de Weegee)… _ permet de créer du nouveau » (page 82) _ cf Nietzsche : « Il faut encore porter du chaos en soi pour donner naissance à une étoile lointaine«  ; il faut savoir se déprendre de bien de ses propres acquis, au-delà même des clichés, forcément…

« Généralement, quand je fais une image, c’est parce que quelque chose retient _ déjà, et hic et nunc, en la sollicitation de l’événement dans l’instant rencontré (et offert) _ mon attention _ et suscite un surcroît de curiosité du regard, une appétence photographique…

Ma problématique est alors de trouver comment retranscrire _ par l’image photographique à prendre en cet instant richement bousculant ! à la seconde même… _ ce que je ressens _ c’est-à-dire la qualité singulière même de cet émoi éprouvé ! en sa singularité, donc, face à l’altérité de l’objet neuf sollicitant… _, et, plus précisément, comment le retranscrire autrement que ce que ma vue première me donne _ primairement, donc, au départ, et de façon toujours quelque peu pré-formatée… _ à voir«  (page 82)

_ cela me rappelle les réflexions de Roland Barthes sur le punctus dans sa méditation (sur d’anciennes belles photos) de La Chambre claire… Et l’artiste a toujours à continuer à travailler, ne serait-ce que pour accéder toujours à davantage de justesse en son approche de l’altérité de l’objet.

Dans, me semble-t-il, ce que Bernard Plossu appelle, page 126 de L’Abstraction invisible, l’understatement, au moins dans son cas à lui : « Le mot clé de tout ce que je pense, de tout ce que je crois en art, est anglais : understatement. Je n’arrive pas trop à le traduire en français, si ce n’est par l’expression « ne pas trop en dire », ou « le ton juste ». Understatement, c’est ce qui dit les choses discrètement, sobrement, le contraire de overstatement ».

Et à propos de ses propres pratiques d’expérimentation, Bernard Plossu dit aussi, page 151: « Dessiner est ma façon d’enclencher un processus de réflexion autour de l’image qui passe chez moi par le geste, par le jeu. Cela participe des expérimentations visuelles qui me rendent plus proches d’un artiste comme Patrick Sainton que d’un Sebastião Salgado. Salgado et moi avons la même étiquette de photographe mais on ne fait pas du tout le même métier. Je n’ai rien à voir avec lui. Ce qui me passionne, c’est la dimension expérimentale de la photographie«  ; et c’est aussi ce que développe Isabelle Rozenbaum en son dernier chapitre « Comment sortir de table ? Artwork in progress« … Fin des citations de Plossu. Et retour à l’aisthesis poïesis d’Isabelle Rosenbaum…

Et comme « je ne suis pas quelqu’un qui aime beaucoup la répétition _ écrit Isabelle Rozenbaum page 83 _, aussi j’essaie continuellement de trouver des espaces et des situations qui changent mon regard, qui vont titiller ma vision des choses _ voilà  le processus que se donne (et dans lequel se place et s’immerge pleinement), quant à elle, Isabelle Rozenbaum.

En fait, c’est un peu comme un jeu » : le jeu artistique, patiemment innovant et auto-bousculant _ je repense à la métaphore de la mise en danger par ne serait-ce que l’ombre de la corne du taureau, pour le torero, que convoque Michel Leiris en sa forte préface à son puissant L’Âge d’homme _, de l’invitation spatio-temporelle, face à l’altérité même de ses objets à percevoir, saisir et retenir par ses images prises, à un surcroît permanent de justesse de (et dans) l’acte photographique !

« Cela me permet de confronter mes photographies (successives : Isabelle shootant alors à plusieurs reprises) et voir _ c’est-à-dire, et très vite, à l’instant même, juger ; Hannah Arendt insiste sur cette fondamentale activité de l’esprit ; cf son ultime livre : Juger _ si j’ai mieux cerné mon objet ou pas la seconde fois. (…) Du coup, mon regard évolue _ et progresse : vers un surcroît de vérité dans la justesse de ce qu’il s’agit de percevoir (et puis faire voir, par la photo) _ et me maintient tout le temps en éveil » _ créateur : il y a péril aux endormis et engourdis… _ (page 84).

« La question primordiale est de savoir comment _ très matériellement, autant que mentalement et culturellement _ on se prépare à photographier.

Il me semble donc que pour être capable de capter l’autre _ tel est l’objectif de fond !!! Cf aussi le beau livre de Ryszard Kapuscinski : Cet autre  _, il faut déjà être capable soi-même d’écouter et de réceptionner _ le réel en son altérité, et en toute la justesse de pareille qualité de réception. La photographie, c’est une sorte d’émoi _ du photographe recevant pleinement et en vérité son objet : nous sommes en effet assez loin alors de l’hyper-hédonisme je dirais complaisant et vendeur d’un Sebastião Salgado.. Il faut ressentir ce qui se passe avec l’autre _ voilà ! Dans cet avec ! La qualité de la photo dépendant du degré de qualité de la justesse de cette réception émotionnelle de l’instant de la part du saisisseur-photographe ; lequel, instant vécu et ressenti par le saisisseur-photographe, n’est pas nécessairement seulement ce que Henri Cartier-Bresson a nommé « l’instant décisif » objectif, factuel... C’est cet « avec » qui est ici crucial et fondamental ; ce qu’Isabelle Rozenbaum nomme, quant à elle, et ô combien justement, « le lien » : entre le ressenti du photographe et l’altérité de l’objet à montrer le plus justement possible...

L’important, pour moi, est donc de toucher _ atteindre, lors de la prise de l’image ; et pouvoir faire ressentir au mieux, ensuite, en montrant, plus tard, la photographie telle qu’elle aura été tirée, puis exposée, au regardeur _ la beauté intérieure d’une personne,

toucher ce qui l’habite, ce qui l’anime«  (page 84).

« Tout est compréhension de l’espace de l’autre«  (page 85)

_ et je retrouve ici les réflexions de l’anthropologue Edward Hall, ami de Bernard Plossu à Santa-Fé (cf encore, de Plossu, le magistral et magnifique L’Abstraction invisible, paru en septembre dernier aux Éditions Textuel : je cite ce passage du discours de Plossu à la page 101 : « Edward Hall était un peu mon père spirituel à Santa-Fé. Il aimait mes photos, il avait écrit sur certaines d’entre elles dans la revue El Palacio du musée du Nouveau-Mexique, notamment celle de la fille au camion qui a inspiré le cinéaste Robert Altman pour son film Fool of Love. Edward Hall m’invitait souvent à dîner. Il était très cultivé, très marqué par l’Europe aussi. C’est l’inventeur de la proxémie, la distance juste aux choses _ voilà ! On est exactement dans le même discours que la caméra à l’épaule de Raoul Coutard dans les films de Truffaut et Godard. La distance juste, le non-effet et la proxémie, cette théorie de la bonne distance entre les gens. Donc évidemment, avec la photo au 50 je ne peux être que l’enfant d’Eward Hall« ) ; Edward Hall : l’auteur marquant, pour moi, de La Dimension cachée

Je voudrais aussi souligner les usages que fait Isabelle Rozenbaum du mot capital d' »incarnation » _ ce schibboleth de l’art si délicat de la justesse,

et ce, à quatre reprises :

_ page 37 : « Les mains incarnent la personne sans que l’on ait besoin _ dans la photographie _ de distinguer les autres parties du corps _ notamment le visage _ pour comprendre ce qui nous est transmis. En effet, les mains dégagent une expression de sensation pure (…) Ainsi le close-up sur des mains permet, dans une grande simplicité, de mettre en valeur leurs énergies et leurs élans » _ proprement vitaux.


_ page 39 : « Pour ma part, je ne fais pas de step by step. Mon objectif est plutôt de photographier le geste qui retrace _ en sa pleine (et parfaite) effectivée captée _  un mouvement complet. J’essaie au sein d’une seule et même image, de saisir le savoir-faire d’une personne à partir d’un geste culinaire précis qui a la puissance de transcrire _ à lui seul _ la totalité du mouvement même _ ou process Pour y parvenir, j’en reviens à ces notions de « bonne distance » _ la proxémie, donc, d’Edward Hall et Bernard Plossu, ou encore Raoul Coutard… _, d’accompagnement, d’écoute de la personne. Ce sont des notions qui aident à percevoir le geste parfait sans être pour autant figé, celui que l’on peut considérer comme « professionnel », mais que, pour ma part, je qualifierais plus volontiers d' »incarné« . »

_ page 91 : « Le vin est une boisson qui s’incarne lorsqu’on est à table. Donner une direction au goût dans un ouvrage sur le vin amène ainsi à élaborer des correspondances pertinentes qui permettent de comprendre qu’on déguste mieux, par exemple, un Côtes-du-Rhône lorsqu’il est associé à un plat épicé. Aujourd’hui ce type d’approche semble aller de soi, mais, en 2006, ce n’était pas le cas ; et il n’existait aucun ouvrage comme Une promesse de vin sur le marché français, réunissant la vigne, les vignerons et leur cuisine. »

_ page 99 : « La vidéo offre la possibilité de faire décoller la réalité, de faire ressentir pleinement la présence d’un être et de son intériorité. À ce sujet, la vidéo que j’ai réalisée sur Michel Bettane, Wine spirit, en est un très bon exemple : on est directement en compagnie de Michel devant les vins qu’il doit déguster, on ressent nous-mêmes ce qu’il goûte, on est transporté dans son monde intérieur, par ses pensées. (…) La caméra est plus douce, plus fluide que l’appareil photo. Michel Bettane l’a d’ailleurs facilement acceptée dans son espace. Il parle ainsi sans problème face à elle. il est à l’aise avec moi ; ma caméra ne le bloque pas. Sur les vidéos que j’ai réalisées de lui, on remarque immédiatement que sa présence est juste, incarnée, touchante, car il se donne vraiment à l’image, il accepte complètement d’être pris par elle. Ce qui n’est jamais simple, jamais donné d’avance, jamais naturel. Être pris en photo et, a fortiori, en vidéo, demande que l’on accepte de se donner, c’est-à-dire d’être capté par l’image sans que l’on sache vraiment ce qu’il en adviendra.« 

On pourra aussi se reporter au site D-Fiction http://d-fiction.fr/category/d-doublement/isabelle-rozenbaum
sur lequel se trouve le travail personnel d’Isabelle Rozenbaum

pour accéder davantage, et visuellement, à son œuvre d’images…

Titus Curiosus, ce 9 décembre 2103

« Shame », de Steve Mac Queen, ou les ravages sado-masochistes de l’utilitarisme cupide anglo-saxon à New-York (et ailleurs)

10déc

En grande partie via la performance (magnifique !) de son interprète l’acteur (très troublant en la force de son peu de loquacité _ tout est dans l’économie (hyper-élégante et super-efficace !) de la posture et du regard : le plus possible réservés… _) Michaël Fassbender, filmé au plus près de son corps comme de son regard _ bleu délavé et assez triste en les impasses de son quant-à-lui pourtant très fortement campé : personnage de cadre (trentenaire) hyper-performant impose !… _,

mais aussi via son très grand art des images : du bleu glacé de brouillard new-yorkais au marron glauque des bas-fonds et back-rooms du final (à la Dostoïevski au XXIe siècle…),

ainsi que celui des séquences déployées et aboutées, sans trop de solution de continuité _ de l’intrigue du scénario : là n’est pas le principal du souci du cinéaste _, sinon les impasses d’une répétition quelque peu désespérante, en forme _ discrète : rien de souligné, ni d’hystérisé ! _ de « descente aux Enfers » (à la manière de Crime et châtiment…),

l’artiste cinéaste Steve Mac Queen nous offre, avec son très beau Shame, un fascinant et plus que lucide portrait de l’état de décomposition _ nihiliste _ avancé du monde,

à travers un portrait, à New-York, de l’incapacité d’aimer vraiment

d’un cadre (trentenaire, donc) performant, addict au sexe, mais sans rapport (ni liens), jamais _ nonobstant l’étendue et la variété des options de rapports (sexuels) pratiquées, pourtant, de l’auto-érotisme rapide aux toilettes ou dans la salle de bains (hyper luxueuses) chez soi, à la sodomie en cellules sordides de back-room ou sur le trottoir dans la rue : il est surtout hétérosexuel, mais les genres aussi perdent sens à ce degré d’aveuglement à l’être de l’autre, comme de soi, pour qui n’existe que l’agrément du confort de surface immédiat… _,

sans rapport (ni liens), jamais à l’autre _ le personnage est prénommé Brandon : un acronyme de Marlon Brando ? (qui n’était pas du tout, lui, cela, tout du moins au travers des personnages de sa filmographie, dont le sublime Kowalski d’Un Tramway nommé désir d’Elia Kazan d’après Tennessee Williams ; mais pas davantage en sa vie (d’homme) non plus, à ce qu’il semble…) _,

avec, en contraste, le portrait plus que blessé de la petite sœur paumée (aux veines du bras tailladées à plusieurs reprises : les stries de ces cicatrices formant presque des rails juxtaposés), Sissy _ qu’interprète tout aussi excellemment, en son volètement de moineau perdu, l’excellente, elle aussi, Carey Mulligan : son interprétation (superbe !) sur le fil de la voix au bord de se casser, de la chanson New-York, New-York, constituant un des temps forts les plus émouvants de ce film presque à la limite du froid-glacé le plus constamment : mais Étienne Borne nous a appris que l’Enfer (désert : vide de passion) était « de glace et non de feu« , en son Essai sur le mal…  _,

comme victimes _ Brandon, Sissy, ainsi que d’autres comparses : croisés au travail, ou dans des boîtes branchées ; mais il y a aussi le métro, ses couloirs, et quelques quartiers plus sordides _ du (si pauvre : misérabilissime !!!) nihilisme affairiste, du côté de Wall Street _ et des ex-tours du Worl Trade Center _, à Manhattan : que de sublimes vues sur les eaux embrouillardées de l’Hudson River l’hiver

Car c’est bien des dégâts humains (si peu « humains » : « in-humains« ) du nihilisme affairiste cupide _ jusque dans l’addiction au sexe sans autre (= sans amour vrai : sauf peut-être fraternel-sororal : mais si mal !) : réduit au modèle totalitaire de la consommation arnaqueuse : soit baiser le connard de client et ne pas être baisé par la vile « ressource humaine«  seulement bonne à passer à la caisse et se faire baiser-arnaquer… ; à la Hobbes et à la Locke (puis à la Adam Smith et Jeremy Bentham), qui font tant de dégâts, tant frontaux que collatéraux, à nouveau, depuis Margaret Thatcher et Ronald Reagan, et la kyrielle des Bush, depuis les années 80… : lire là-dessus Paul Krugman… _ qu’il s’agit bien ici…

Selon les modalités du sadisme et du masochisme, du jeu des pulsions de vie (Eros) et de mort (Thanatos), telles que magnifiquement mises à jour par Freud à partir de 1914 ; cf son magnifique Essais de psychanalyse

Sur New-York

au travers du prisme de ces cadres friqués qui manquent totalement l’autre

eu égard au modèle économique que l’ultra-libéralisme impose de plus en plus totalitairement (= sans nulle alternative et dans tous les compartiments des activités humaines),

cet excellent Shame de Steve Mac Queen en ce décembre 2011

n’a pas manqué de me faire beaucoup penser à une délicieuse comédie new-yorkaise de 1995-96 : Denise au téléphone,

qui m’avait et ravi ! et marqué ! en 1996…

Voulant remercier le critique de cinéma Mathieu Macheret de son excellent article La Furie du désir sur le site Critikat.com ,

voici le courriel que je lui ai adressé ce matin de bonne heure, juste avant de mettre à la rédaction de cet article-ci sur Shame :

De :   Titus Curiosus
Objet : A propos de « Shame » (et « Denise au téléphone ») : le poison du « lust » anglo-saxon
Date : 10 décembre 2011 06:58:56 HNEC
À :   Mathieu Macheret

A propos de votre article sur Shame

Un excellent article, comme toujours,
cher Mathieu.
Bravo !

J’ai vu Shame mercredi, avec beaucoup de plaisir _ comme vous : la beauté des images et séquences déployées _,
et compte rédiger un article sur mon blog Mollat.

Shame, à New-York,
me rappelle personnellement _ sur un tout autre registre : celui de l’humour noir, cette fois _ l’excellent Denise au téléphone, à New-York aussi,
vu en 1996 :
pas de (impeccable Michaël Fassbender) héros principal suivi (de séquence en séquence) de très près : en gros-plan, corps comme visage _ dont le regard bleu délavé _, alors, en 1995,
et pas non plus de glauque marron dostoïevskien, à la fin, après le bleu glace de la plupart du film, comme en ce (beau) film de Steve Mac Queen en 2011,
mais un portrait de groupe (de cadres trentenaires branchés, mais moins friqués, eux), et un regard comique (à froid, cependant et uniquement dans la cervelle du spectateur : nul ne rit _ en l’indéfectible perpétuité de sa solitude de jeune cadre branché _ sur l’écran !),
avec final sur landau (de bébé par insémination)…

Mais déjà un éventail de séquences (se succédant comme battues de jeu de cartes),
comme vous le faites excellemment remarquer en cet article-ci, sur Shame,
en signalant, outre l’étrange éclat de la beauté froide des images, ce qui peut tout de même faire un peu question quant à la (dostoïevskienne) chute finale,
de même que ce titre, Shame, alors que la contrition n’est pas vraiment exprimée en mots par le héros, jamais loquace, il est vrai (« never explain, never complain » !) : juste la tuméfaction du visage…

Mais il y a bien une constante du « lust » et de sa culpabilité-honte
dans ces cultures anglo-saxonnes _ et nordiques (on peut penser aussi à Ingmar Bergman).

Anecdotiquement, cette petite (mais très grande de sens et de jubilation !) comédie new-yorkaise m’avait marqué en 1996
suite à des bugs de communication subis (sur un mode tragi-comique pour moi) avec des correspondants à joindre (quickly !) de par le monde
(Sidney, Tokyo, San Francisco, Saint-Louis et il me semble aussi New-York… :
un de mes deux correspondants _ musicien _ « tournant » dans l’Atys des Arts Florissants ; et l’autre _ traducteur _ (en région parisienne) ayant une panne informatique ! plus un bébé malade…)
auxquels je tentais de m’adresser (depuis mon domicile à Bordeaux) par fax et téléphone (sur répondeurs), sans retour : d’où la précision pour moi de ce repère dans le passé…

Bravo encore pour l’acuité si juste de votre regard, cher Mathieu :
c’est toujours un plaisir très fin de lire la justesse de votre vista cinématographique !

Titus Curiosus


P.s. : le mardi 10 janvier prochain, 2012, donc, la Société de Philosophie de Bordeaux, recevra (à la librairie Mollat) le philosophe Pierre-Henri Castel, à propos de son livre Âmes scrupuleuses : à relier à ce film, Shame, et à son actualité civilisationnelle ! Brûlante !

Bref, un film très vivement conseillé,

pour sa beauté

et ce qu’il donne aussi à penser

du devenir (nihiliste) de notre Histoire collective !

Je pense ici à la très incisive Parabole des Aveugles du grand Pieter Breughel…

Vers le gouffre…

Et je pense aussi au livre, récent, de Dany-Robert Dufour, L’Individu qui vient …après le libéralisme ;

et à ceux, plus que jamais d’actualité, de Michaël Foessel, État de vigilance _ critique de la banalité sécuritaire et La Privation de l’intime _ et que je cite assez souvent

Si la peur d’aimer est, aussi _ et en partie d’abord _, suicidaire,

ses dégâts sur les autres,

et sur tous,

sont terribles…

Titus Curiosus, ce 10 décembre 2011

En complément,

voici cet excellent article de Mathieu Macheret :

La Furie du désir

Shame

réalisé par Steve McQueen

6 décembre 2011

critique du film Shame, réalisé par Steve McQueen

Pour son second long-métrage, l’ex-prodige Steve McQueen signe une fable désolée et délicieusement prude sur la froide mécanique des relations amoureuses _ mais avares d’amour vrai ! _ à l’ère du néo-libéralisme décomplexé. Tours de verres, cols blancs, culte du corps, bars chics, nuits sans fin, frénésie sexuelle, petits matins blafards, nappes de violons glacées et cri dans le vide. Ou comment les morbides stratégies du capitalisme effréné infiltrent _ voilà ! _ jusqu’aux rapports sexuels _ quel excellent résumé !

 

On se souvient des réserves qui avaient suivi la révélation de Steve McQueen avec Hunger en 2008 à Cannes (Un Certain Regard). D’aucuns, à qui on ne la fait pas, avaient décelé en lui le vidéaste, lui reprochant, grosso modo, de ne pas être un pur cinéaste, et, ataviquement, de verser dans l’esthétisme arty. En abandonnant, avec Shame (son second long-métrage), toute distanciation historique, en se recentrant sur une cellule plus qu’intime (un frère, une sœur) _ oui _, il laisse affleurer encore plus crûment la nature de son style. Or, c’est justement dans ce qu’il insuffle _ c’est cela : une respiration intense _ à ses films de ses précédentes pratiques, de cette opportune impureté _ et son grain bien palpable, sensible _, que le style de McQueen puise sa force plastique, sa respiration et son inventivité, en un mot : sa beauté _ voilà ! Car Shame, après tout, ne dit pas grand-chose, si ce n’est l’affolante autophagie de la sexualité _ magnifiquement juste expression ! _, son resserrement sur la pignole individualiste _ voilà ! _, à l’ère du capitalisme hardcore et du porno environnemental _ tout à fait ! Rien de nouveau sous le soleil du scénario. Que le film en dise peu, franchement, on s’en fout, du moment qu’il nous parle et que sa voix _ musicalement silencieuse _ compte. Et, indéniablement, elle compte _ émotionnellement : en effet !

On retrouve, au centre de Shame, un Michael Fassbender qui donne encore vigoureusement de sa personne physique (quelques applaudissements en salle ont souligné sa saillante nudité). Le drame, c’est toujours celui d’un corps pris dans un dérèglement _ qui le tourneboule : en effet _ : après la raréfaction de ses forces vitales dans Hunger, il est ici soumis à un principe d’amplification, à une impérieuse ébullition _ voilà ! D’un coté comme de l’autre, c’est la même entropie _ en la puissance dévastatrice de sa dynamique contenue en ce corps _ qu’on retrouve, qu’elle soit engagée consciemment (la grève de la faim de Bobby Sands, pour tous les prisonniers de l’IRA) ou ici subie (le désir insatiable et consumant du salarié _ en proie lui-même aussi au système des addictions à la mise en place desquelles il collabore et participe à longueur de son travail…). Brandon est un trentenaire new-yorkais qui gagne très bien sa vie _ il en est fier et en jouit (et ne l’envoie pas dire à sa sœur) _ dans le bureau d’une tour vitrée. Son appétit sexuel débridé le requiert _ impérieusement _ à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Prostituées, coups d’un soir, backrooms, collègues de bureau se succèdent à son compteur et, quand il n’a rien de tout cela sous la main, il lui reste encore sa main, justement _ c’est commode _, pour une petite branlette frénétique dans les chiottes les plus proches. Les étagères de son appartement croulent sous les revues porno, son disque dur est vérolé par une somme écrasante de vidéos de cul. Partout, des culs, des culs, des culs, des orifices, des orifices, des orifices. Il ne faut pas plus à Brandon qu’un furtif échange de regards dans le métro, avec une demoiselle _ assez vite, ou pas à ce jeu du désir ou/et de l’offre et la demande _ consentante, qu’un léger frôlement de main sur la barre de soutien, pour tambouriner quelques instants plus tard sa proie _ celle-ci ou une autre _ contre la baie vitrée de son appartement.

À ce principe d’amplification se joint un motif de circularité _ en un motif infernal : sans sortie ; en un univers de vitres sans ouvertures de fenêtres sur le vent d’un dehors _, introduit par une ouverture rythmée, tranchante, presque scandée, à la fois plastique et musicale, typique du style de McQueen. Les journées se suivent, avec leurs rituels, le réveil, le métro, le boulot, les bars, le surf sur internet, et égrènent leur nombre variable de plans-cul, qui interviennent plus comme des irruptions _ soudaines chaque fois _ que comme une habitude _ envisagée, ou a fortiori programmée : tout à fait ! Le film, à ce stade, menace de sombrer dans la glaciation qu’il décrit, d’en rester à cet écrin lissé qui enveloppe ses images, à cette bande-son violoneuse qui chante le chic et sa désolation. Mais McQueen fait heureusement surgir, dans le plan, une paire de seins qui donne un pendant _ voilà : un volet en regard ! _ à sa logique de cyclotron, cette accélération circulaire des particules. Un soir, Brandon surprend sa sœur sous la douche : chanteuse en concert à New York, elle s’est invitée dans son appartement. Cette paire de seins, cette prise femelle, il ne sait pas vraiment quoi en faire, parce qu’autour d’elle, une relation (familiale, intime) se dessine hors de tout rapport de consommation _ -consumation : vierge de vraies suites : hors la mécanique de l’addiction à de non-objets strictement équivalents (en leur inconsistance à jamais vide et inénarrablement sans lendemains)… Il en va de même avec la secrétaire qu’il séduit au bureau : dès qu’il doit avancer _ et fouir vraiment _ au-delà de la _ minimale et minimaliste _ baise, Brandon ne sait plus bander. La belle machine de McQueen dispose ainsi d’un frein, d’un frottement, d’une gêne, d’un grain de sable _ un clinamen _, qui la sauve d’une certaine réversibilité de sa fonction critique.

Le film n’est pas exempt de défauts. On notera qu’il fonctionne bien mieux par scènes que dans l’ensemble _ mais c’est parce que ce nihilisme explose foncièrement, et fondamentalement, toute histoire ! _, que sa conclusion n’est pas à la hauteur de son cours _ elle consonne un peu trop avec quelque un peu trop arrangeante bien-pensance : mais est-ce là vraiment la position de l’auteur ?.. Mais il contient tant de scènes surprenantes _ oui ! _, exerce un tel galvanisme _ oui ! et, fascinés, nous en sommes littéralement enchantés ! _, répond si bien à son pari plastique – conduisant son personnage jusqu’aux cimes hagardes (oui) d’une animalité apeurée (voilà !), consumant dans le sexe l’angoisse de son extinction (oui, oui, oui !) –, que nous n’imposerons pas à McQueen de mesquins comptes d’apothicaire _ c’est parfaitement apprécié !

Mathieu Macheret

les humbles progrès en amour lents de Mathieu Lindon : l’admirable délicatesse de sa conférence-entretien avec Xavier Rosan

12fév

Mardi 8 février 2011, les salons Albert-Mollat ont été le théâtre d’une des plus belles _ par son intensité dans la délicatesse ! _ conférences auxquelles il m’a été donné d’assister _ je me souviens en particulier de celle très impressionnante par le poids du moindre mot et du moindre silence de Aharon Appelfeld… _ : la conférence-entretien _ d’une durée de 65′ pour le podcast _ de Mathieu Lindon, avec Xavier Rosan _ parfait de clarté chaleureuse en la relance toute simple et sobre de ses questions justes _ à propos du récit si vibrant de justesse de Mathieu Lindon, aux Editions P.O.L. : Ce qu’aimer veut dire.

Mathieu Lindon est d’une magnifique humilité : toute sa vie, il sera celui qui, fondamentalement, apprend _ voilà ! _ d’abord _ et cela en matière de sentiment et d’« intimité«  (il s’agit là d’un « rapport« , et « vectoriel« , vibrant ; ainsi que l’analyse admirablement l’ami Michaël Foessel en son très important La Privation de l’intime, aux Éditions du Seuil) _ des autres ;

aujourd’hui, en sa vie comme en ce livre (qui s’essaie humblement à y réfléchir _ en un merveilleux « tremblé«  de la phrase qui s’y livre : tel l’admirable « tremblement du temps«  que naguère Gaëtan Picon repéra dans les Mémoires d’Outre-tombe du dernier Chateaubriand ; le livre de Gaëtan Picon, admirable Admirable tremblement du temps, paru aux Éditions Albert-Skira, dans la collection si belle Les Sentiers de la création, mérite, et urgemment, une ré-édition ! _),

ces « autres » _ qu’il aime et qui l’aiment _  sont Rachid et Corentin ; comme hier, ce furent et Jérôme Lindon et Michel Foucault sur les liens affectifs avec lesquels ce Ce qu’aimer veut dire se penche admirablement humblement tout spécialement !

Toute vie est faite de rencontres,

et infiniment diverses en leur multiplicité, intensité, poids, conséquences.

Mais certaines aident considérablement à la formation-déformation _ déflagration jusqu’à la désintégration parfois même _ de notre identité de personne,

toujours, toujours en chantier.


C’est ce chantier-là de la formation de soi

que le discret et très humble (et magnifique d’humanité « vraie » !) Mathieu Lindon s’essaie ici,

en ce livre infiniment délicatement sensible _ la braise y chante en permanence sous la cendre _,

de cerner, tracer, retracer ;

et qui peut servir _ et Mathieu Lindon d’évoquer au passage une remarque à ce propos de Christine Angot : sur cet enjeu-ci pour le lecteur… _ d’amer (de repérage) à tout un chacun :

puisqu’il nous arrive à tous de croiser en nos vies

et un père,

et un ami un peu plus âgé,

et des amis plus jeunes,

et un ou quelques amours aussi :

encore faut-il, et chaque fois, en réussir _ c’est toujours à divers degrés ; et selon une gradation de nuances très complexe ! _ l’occurrence

_ j’avais d’abord écrit : « l’expérience«  : mais celle-ci n’a rien d’expérimental ; et c’est toujours, vulnérablement, et chacun, « à son corps défendant«  face à (et avec ! consubstantiellement ! les deux !) l’autre : c’est en cela qu’aimer « vraiment«  est absolument admirable…

J’entends, d’ailleurs, toujours ici, personnellement, le mot que Gilles Deleuze, dans Logique du sens, relève dans La Fêlure, de Francis Scott Fitzgerald :

« Toute vie est bien entendu un processus _ éperdument généreux ! _ de démolition« …

Bref :

le livre Ce qu’aimer veut dire

comme la conférence-entretien de Mathieu Lindon, avec Xavier Rosan, le 8 février dernier dans les salons Albert-Mollat,

sont une expérience

et de lecture

_ cf mon article du 14 janvier dernier : Les apprentissages d’amour versus les filiations, ou la lumière des rencontres heureuses d’une vie de Mathieu Lindon _

et d’écoute attentive

d’une intensité, délicatesse, humilité

et justesse d’intelligence de l’exister (et « aimer » !

_ mais qu’est-ce qu’« exister«  sans aimer « vraiment » ?..

Cela ne se faisant certes pas « sur commande«  ! L’« épreuve«  (lire ici la sublime pièce éponyme de Marivaux !) a toujours aussi quelque chose de terriblement « éprouvant«  ; ce que la joie (à ne pas confondre avec le plaisir ! qui la contrefait…) compense, récompense, si l’on veut, et à l’infini ! : sans le moindre calcul, cela va sans dire ! il n’y a de joie que passionnément et généreusement, ce sont des synonymes, éperdue ! _)

proprement admirables !

Titus Curiosus, ce 12 février 2011

 

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