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Du génie de l’interprétation musicale : l’élégance exemplaire de « maître » Gustav Leonhardt, par le brillant talent d’écriture (et perception) de Jacques Drillon

15mar

« Sur Leonhardt » de Jacques Drillon, aux Éditions Gallimard, ce mois de mars…

Soit un « Hommage à Gustav Leonhardt » _ à la façon de l' »Hommage à Rameau » de Claude Debussy _ de la part d’un très talentueux _ jusqu’à de petites « injustices », dirai-je, pour lui aussi ! (et nous allons le découvrir au passage) _ Jacques Drillon,

dont me manquent, tout personnellement, beaucoup _ je le mesure au plaisir fort de cette présente lecture ! _, l’incisivité et la voix, telle qu’elles pouvaient s’entendre, il y a de plus en plus longtemps, au fil des années, sur France-Musique : quelle qualité d’attention et d’écoute ; que de pertinence dans l’exploration des œuvres de musique ; avec aussi, quelquefois, quelques « sorties de route », quelques excès-emportements que l’on ne peut, ni ne doit partager : mais quel « jugement » _ pour ne pas être celui de Dieu ! _ est-il sans injustices ?.. Ce qu’on attend de la générosité d’un « critique »…

Probablement existe-t-il aussi,

de même qu’un « génie » de l’interprétation (musicale) _ dont Gustav Leonhardt nous offre un exemple (modeste : sans « vanité« , même si ce n’est pas sans « orgueil« , pour reprendre une formule de Danièle Huillet, page 109 : « Cet homme-là est d’un grand orgueil, mais est dépourvu de la moindre vanité masculine » : il est bien au-delà, en effet ; car sans « mépris » pour les autres, pour reprendre, cette fois, une expression de Jean-Marie Straub : « Je ne l’ai jamais vu montrer du mépris pour qui que ce soit. Mais du dégoût, face à certaines personnes, des haut-le-coeur, oui« , page 124…), parmi quelques autres _, un « génie » de la « critique » : inspirées… Merci, Jacques Drillon…

Et, forcément, de fait, juger, c’est nécessairement discriminer ; et élire : choisir et rejeter… Jacques Drillon _ qui retient fort justement l’expression nietzschéenne de « Grand style » (page 129) _, consacre aussi à « l’é-lection » quelques très belles pages (de 140 à 152) sur la « loi« , le »légal » et le « légitime« , le « legs« , le « relégué » et la « collégialité« … Avec la liberté de l' »improviser » que cela aussi implique… Et que doit enseigner _ et par l’exemple d’abord, et surtout : me voilà enfonçant des portes ouvertes… _ un vrai « maître« … La somme des notations sur « Gustav Leonhardt professeur » _ avec maints témoignages de ses élèves : Christopher Hogwood, Ton Koopman, Pierre Hantaï, Skip Sempé, Bernard Foccroulle, etc… _ est elle aussi d’une merveilleuse justesse… A part des enregistrements discographiques (qui demeurent !) et des souvenirs de concerts, aussi (qui dureront ce que dureront les mémoires qui les portent…), voilà _ l’enseignement (qui se transmet) _ ce qu’un interprète d’œuvres de musique peut en effet donner et laisser aux autres, à _ généreusement _ partager ; pour « rendre _ modestement et comme il se doit : au centuple !!! _ gloire » à la Création (dont celles des créateurs d’œuvres de musique, au premier, ou au second, chef…)…


Il s’agit ici _ je suppose que l’abrégé du titre (« Sur… » ; et « Leonhardt« , sans le prénom : au lieu de « A propos de Gustav Leonhardt » !!! _ la dédicace du livre est, aussi, « Pour Straub » !!! page 9) est du registre d’une pudeur un peu rogue : Jacques Drillon ne résistant pas toujours à jouer les chiens aboyeurs, ou les vilains petits garnements… _ du magnifique bijou d’analyse qu’est ce « Sur Leonhardt«  qui paraît ces jours-ci _ l’achevé d’imprimer est du 20 février 2009 _ dans la collection « L’Infini » des Éditions Gallimard.

C’est d’abord un éloge de l’élégance _ et des œuvres interprétées, d’abord (en faire une liste est dèjà un régal ! cf page 46) ; et de l’interprétation (de Gustav Leonhardt, donc) qui leur rend tout à la fois et justice et grâce !!! ainsi qu’on peut s’en rendre soi-même compte et au concert et à l’écoute des disques.


Pour cette liste de la page 46, je ne résiste pas au plaisir de la donner _ même si je puis m’empêcher d’y ajouter quelques noms _,

en l’intégrant dans le raisonnement où elle vient prendre place, le chapitre « L’Élégance«  ayant débuté page 43 :

« Pour avoir en relief une image du personnage _ « Leonhardt«  _, il faut superposer les deux photographies _ placées plus loin : aux pages 102 et 104 _ : hauteur et passion, mutisme et enthousiasme, solitude et transmission. Pose et sincérité. Orgueil et conviction. Élégance _ on peut encore y ajouter les devises en latin présentes (« deux cartouches en lettres d’or« ) sur le fronton de la demeure amstellodamoise du « maître », la maison dite de « Bartolotti, sur Herengracht« , citées page 162 : « Ingenio et assiduo labore«  et « Religione et probitate« 


On comprend que cet homme-là ait joué du clavecin. Son élégance le déplace brusquement. Il est un musicien, un musicien hollandais du XXe siècle. Parce qu’il est élégant, comme Mozart _ le fils _ était élégant, et Dürer, et Buñuel, et Matisse, et Hiroshige, et Spinoza _ j’ajouterai, plus loin, à propos de Spinoza, cet autre un peu notable amstellodamois, un mot de Gustav Leonhardt, lors d’une question que je lui posai lors d’échanges amicaux informels, à la suite d’un merveilleux de charme récital (privé) de clavicorde à Saint-Émilion, au château Soutard pour « inaugurer » le clavicorde de Maurice Darmon, très exactement _, et Debussy, et Fragonard, et Charles d’Orléans, et Pouchkine, et Nicolas de Staël, et Godard, et Pascal, et Moravia, et Poussin, et Soulages, et Josef von Sternberg, et Breughel, et Fouquet, et Lampedusa, Leonhardt intègre une sorte de confrérie, d’académie. L’élégance transcende les pays, les époques, les spécialités. L’élégance est une constellation : ses étoiles ont des noms, elles brillent, elles sont les unes à côté des autres et tournent sans fin _ du moins osons-nous l’espérer _ autour de la terre des hommes _ quand il y a (et demeure) de la civilisation… Il importe peu que Corneille ait écrit des pièces de théâtre et Le Nôtre dessiné des jardins. Il importe qu’ils aient été élégants. Gustav Leonhardt (…) est entré dans le monde de l’élégance par la porte du clavecin comme Madame de Lafayette par celle de la langue française _ il importe d’y être sensible… Beaucoup de portes, un seul monde _ faisant réellement (et vraiment !) « monde«  ; et pas faisant « désert«  ; et pas faisant vide ; et pas faisant rien ; « quand le désert (du nihilisme) croît«  Hokusai dessine un vieillard, François Couperin le fait entendre, Baudelaire le décrit, Visconti le filme. C’est presque le même vieillard, car le regard porté sur lui est pareillement élégant.


Voyez dans « Le Guépard« , lorsque le vieux prince _ Salina _ a un malaise au cours _ de la sublime scène, étirée et si dense et légère, à la fois, si intense et valsée : telle un moment d’éternité _ du bal, voyez la caméra qui refuse de s’approcher : n’est-ce pas Leonhardt vous refusant l’entrée d’une répétition : « Il ne faut pas montrer le travail, le travail est honteux ». L’élégance est une des « grandes attitudes humaines », aurait dit Mallarmé« , pages 46-47.

A cette liste d’« élégants« , j’ajouterai tout de suite, pour ma part, et Marivaux, et Ravel, et Antonioni, pour commencer… Vous y ajouterez les vôtres…

Je laisse au lecteur le soin de découvrir par lui-même l’analyse d’une merveilleuse finesse de précision à laquelle se livre, en ce chapitre, « L’élégance«  (de la page 43 à la page 101), Jacques Drillon. Je me limiterai à une seule notation, à partir de la remarque, page 53, que « c’est pourtant dans le rapport entre l’homme (ou l’œuvre) et l’Autre _ on notera la majuscule _ que se situe l’élégance _ comme la générosité, la politesse ou la séduction » _ ses très proches parentes… « Le grand point _ d’après l’article de Voltaire sur cet item dans « l’Encyclopédie » _, c’est que l’élégance ne fasse jamais de tort à la force » _ ou à l« autorité« , dirions-nous plutôt…

Page 56 : « Voltaire nous offre un terme intéressant : la force. Il dit que le discours doit avoir de la force _ celle de l’éloquence qui convainc _, et que l’élégance ne doit point l’affaiblir. L’art de Leonhardt est presque là. Non point que son élégance sache ne jamais nuire à la force de son discours : elle gît au contraire dans l’harmonie parfaite _ voilà le secret ; le si difficile à réussir _ de la  force et de la délicatesse, elle n’est point ajoutée à la force, elle la contient, elle est dans un passage _ tout musical ! _, dans une démarche, dans un rapport à l’Autre _ toujours avec la majuscule _, où force et délicatesse interviennent à parts égales, où il n’est pas permis de douter qu’elles peuvent s’ajouter, et même _ de fait ! et considérablement _ se multiplier ; de douter que l’auditeur peut le percevoir » _ avec jubilation !

« L’élégance _ de l’interprétation _ consiste à ne rien garder pour soi et à donner _ et pas seulement aux auditeurs _ tout ce que l’œuvre contient, par une juste évaluation _ oui ! celle de l’équanimité ! _ de la force et de la délicatesse qu’il faut y mettre« , page 56. C’est d’une justesse imparable.

Si Jacques Drillon rend _ au chapitre « Avec le temps » (pages 95 à 101) _ parfaitement justice à l’« évolution«  du jeu du « maître » _ qu’il détaille, au fil des ans, avec une belle précision _, il n’est toutefois pas tout à fait dénué d’injustice _ à la marge, cependant (et heureusement ! semble-t-il), nous ne manquerons pas d’aussi l’aborder… _ :

« Le clavecin de Leonhardt a peu évolué. Il s’était trouvé lui-même très tôt. Tout son système était là, prêt au développement, parce que son système n’était pas un système, mais plutôt une aptitude, ce qu’il appelle _ en parfaite modestie, mais oui… _ un « don » _ reçu, sans mérite (Leonhardt dit aussi, page 126 : « Toutes les bonnes choses sont données, je crois«  Pourtant, les années passant, certains traits se sont imperceptiblement modifiés _ comme s’est modifié le répertoire qui a glissé de Bach vers le non-Bach… _ expression en raccourci assez délicieuse : et en particulier vers le style français : des Couperin (Louis et François) à Rameau et Duphly… Jacques Drillon accorde de très belles pages aux styles de François Couperin et de Jean-Philippe Rameau, en regrettant, d’ailleurs (et combien justement !), que Gustav Leonhardt ne leur ait pas assez consacré (à François Couperin, tout particulièrement) de concerts, ni d’enregistrements au disque…

Cette inflexion ne s’est pas produite dans le sens qu’on aurait attendu ; à l’encontre de tous les autres, Gustav Leonhardt a montré une expressivité _ non expressionniste, qu’on se rassure ! pas d’anachronisme chez lui… _ toujours plus accusée _ c’est-à-dire éloquente. Une fougue plus adolescente, une tendresse plus indulgente, une précision plus acérée, une rythmique plus bondissante _ au service le plus strict (c’est-à dire « service » tout à la fois libre et rigoureux, ou rigoureux et libre, comme on voudra : comme le demandent, l’exigent ! les œuvres de ce style « baroque » !) des œuvres ; et pas de l’ego (romanticisant) du « mauvais interprète » (faisant _ avec vulgarité (quelques noms sont même alors donnés) _ assaut de virtuosité gratuite) ; que sont tant : qui n’ont pas été, eux, ses élèves… Pour les « meilleurs » des élèves de Gustav Leonhardt, je place au premier chef Pierre Hantaï et Élisabeth Joyé…


Phénomène sans doute unique dans l’histoire de l’interprétation _ d’où ce livre ! Il a acquis aussi une voix nouvelle, méditative et chercheuse : en plus _ mais oui ! _ de cette nouvelle jeunesse _ parfaitement ! _ que l’âge _ grande richesse pour qui apprend à le faire fructifierlui a conférée, Leonhardt semble parfois un vieux héros cornélien, noble et souverain, délivré des passions élémentaires _ avec leur coefficient, peut-être inévitable, de bassesse _, tout entier préoccupé d’ombre et de lumière«  _ de la musique elle-même : on comprend que Jacques Drillon cite comme sommet de l’élégance (et de son incomparable charme) en musique, François Couperin, avec Wolfgang Amadeus Mozart et Claude Debussy ; ainsi peut-on lire, au particulièrement fin et juste chapitre « L’Élégance« , ceci, page 77 : « François Couperin, que Gustav Leonhardt n’a pas assez joué, et qui est un des trois grands mystères de la musique, avec Mozart et Debussy, retrouve son charme et son aisance sous ses doigts » _ écouter aussi ici, à côté du « maître », et Élisabeth Joyé (CD Alpha 062 « La Sultane« ) et, plus récemment encore au disque (CD Mirare 027 « Pièces de clavecin« ), Pierre Hantaï…

Jacques Drillon propose ici, page 96, un exemple dans Byrd (cf le CD 073 Alpha « William Byrd« ) : « Dans Byrd, il pousse son langage instrumental à des extrémités interdites ; les autres, qui pourtant s’arrêtent bien en deçà, sont déjà dans l’excès, dans l’effet _ qui, de facto, plombe ! Quand il s’agit d’inégaliser légèrement les notes d’une simple gamme, on les sent _ trop : leur travail (sur soi) de jeu n’est pas (encore) assez abouti, accompli… _ qui travaillent, qui se concentrent ; Leonhardt, lui, atteint à la plus délicate subtilité sans trace d’effort. Leur gamme est admirable, la sienne est souveraine. Dans les passages rapides, son absence de précipitation _ seulement la justesse : il faut y advenir… _ est un art _ de l’interprète : invisible, effacé, avec politesse ; rien que la grâce (de la musique, de l’œuvre) est perceptible ! _ à elle toute seule. Il a tous les tons _ qu’il faut _ : la tendresse, la vivacité, l’humour, la violence, la hauteur, la simplicité… _ cette musique-ci est oxymorique, bien sûr, ainsi que, ou comme (n’en déplaise aux comptables !) le principal de la vie ! Et, dans Byrd, la nostalgie« …

Jacques Drillon poursuit l’analyse de l‘ »évolution » de l’interprétation de Gustav Leonhardt par la « direction d’orchestre » (pages 96 à 101) : alors qu’au début, comme dans la « Chronique d’Anna Magdalena Bach » (des Straub, en 1967 _ disponible en DVD…), « il s’agit plus d’une mise en place que d’une direction véritable« , « aujourd’hui, malgré les années, Leonhardt dirige vraiment, comme le vrai chef qu’il est devenu » (pages 96-97). « Les tempi ne se sont pas ralentis avec le temps _ comme pour un Klemperer, évoqué la phrase d’avant, par Jacques Drillon. Ils ne se sont pas accélérés non plus : la musique n’a pas changé entre 1960 et aujourd’hui. La différence entre un chef que j’ai nommé élégant et les autres, c’est qu’il ne tire pas le tempo de soi-même ; que le tempo n’est pas _ non plus _ conditionné par son état physique ou psychique ; mais qu’il est propre à la musique«  _ ou le Credo de Gustav Leonhardt, avec l’humilité de l’interprète probe et loyal, que fondamentalement, il est ! 

« A présent, toute l’énergie de Leonhardt chef d’orchestre va à la danse _ c’est ce qu’il faut, oui ! ce que cette musique commande ! Nul n’aurait pu prévoir _ sauf les oreilles les plus fines… _ que ce claveciniste calviniste _ presque une anagramme _ saurait faire danser un orchestre, ni même qu’il saurait trouver la danse partout où elle se cache, partout où on l’oublie. Partout où on la cache (« Ils ôtent de l’histoire que Socrate ait dansé », dit La Bruyère) » (pages 98-99).


« Leonhardt de ses angles rapides et raides _ il s’agit de sa gestuelle de chef, que Jacques Drillon vient de comparer, nous sommes page 100, à celle de Boulez _, fait respirer _ c’est essentiel ! _ tout le monde, monter et descendre le musicien comme un danseur décolle _ juste _ les talons dans les demi-pointes et se repose doucement _ tout est dans la délicatesse infinitésimale de la nuance. De ses yeux, de ses poignets, de ses doigts, il va chercher _ pour les donner à bien entendre : en relief _ tous les accents, et dans toutes les parties : il ne veut en manquer aucun, tout doit profiter _ ce n’est rien que son dû… _ à la danse. Son soin _ amoureux, oui _ du détail, qui fait de lui le claveciniste le plus dense _ Pierre Hantaï l’accompagnant sans doute ici en pareille « performance », en élève accompli de pareil maître (de clavecin), qu’il est, lui aussi… _, il le porte à l’orchestre : c’est une lecture polyphonique, articulée à l’extrême, propre à chaque voix. Bras vers l’avant, il ne cesse d’allumer ici et là des étincelles sonores _ la formule est d’une justesse brûlante _ que l’oreille perçoit aussitôt _ merci ! _, et ces impulsions minuscules soulèvent _ leibniziennement ; cf Gilles Deleuze : « Le Pli _ Leibniz et le baroque«  _ l’ensemble comme une respiration soulève _ en son rythme plus ou moins tranquille _ une poitrine« 

Jacques Drillon, « garnement » toujours juvénilement facétieux, laisse en blanc (!!!), page 95, le chapitre « L’Orgue » : « je ne comprends rien à l’orgue ; je ne dirai donc rien _ du tout ! _ du Gustav Leonhardt organiste« , indique-t-il seulement en note (de bas de page) ; ajoutant encore : « les spécialistes que j’ai pu consulter sur son art d’organiste sont tous restés tièdes, sceptiques ou hostiles. J’en ai donc conclu que Gustav Leonhardt devait sans discussion _ oh ! la jolie pirouette ! _ être considéré comme le plus grand organiste de son temps« 


Pourtant, il consacre de très belles pages à l’importance de la « non-rupture » de transmission de « leçons d’interprétation » par les organistes, familialement notamment, de cette musique dite « baroque » ; que Gustav Leonhardt a dû en partie par un travail de recherche infini, dans l’espace comme dans le temps, « re-créer » et « re-trouver », « re-constituer » ; ou, peut-être plus justement, « refonder«  _ la conclusion du livre met l’accent là-dessus : elle est intitulée : « le passé et la tradition«  ; avec ce mot magnifique, page 197, sur le « pouvoir » propre de la musique : « la musique est peut-être ce qui permet au rendez-vous _ avec la beauté (de l’ordre du kairos, ce « rendez-vous« ) _ de n’être pas manqué. Peut-être permet-elle _ d’abord à l’interprète, mais aussi à l’écouteur actif (en son « acte esthétique«  : cf Baldine Saint-Girons : « L’acte esthétique« …) _ de vivre aujourd’hui dans un passé _ avec ses beautés « à forces d’éternité », si j’ose pareille expression : et il le faut ! _ où l’on n’a pas vécu, et de fabriquer _ par ce biais de l’interprétation (tout artisanale ; et « soignée »…) de la musique _ un présent tout neuf _ éclatant de cette beauté radieuse, vive, et irradiante _, tandis que le présent des non-musiciens est _ lui, comparativement (mais « qui ne sait pas » _ « l’ignorant«  dit, quant à lui, Spinoza, face au « sage« _ est-il jamais « à même », seulement, de comparer ?) _ tout couvert de poussière et de moisissure. Peut-être que sa double inscription dans le temps _ vieille par l’âge _ de l’écriture du compositeur la notant à la volée, au jaillir de  son apparaître premier _ et actuelle par la production sonore _ de l’interprète « r-éveillant » par son interprétation l’œuvre écrite et héritée qui reposait, juste à peine assoupie… _ qui la fait exister _ et revivre _ ici et maintenant   _ donne à la musique ce _ magicien, thaumaturgique _ pouvoir-là« … On pénètre mieux par là le grand mot de Nietzsche (dans « Le Crépuscule des idoles« ) : « Sans la musique, la vie ne serait qu’une erreur«  : poussiéreuse et moisie…

« Dès lors que je joue, ou que je dirige _ dit Gustav Leonhardt, page 197 _, je ne suis plus ni dans le XXe siècle, ni dans le XVIIIe : je suis dans la musique. Telle est sa force, sa grandeur ; mais je n’y suis pour rien » _ c’est le dispositif qui le permet (et le nécessite). Il suffit de _ mais très activement ! seulement… _ s’y glisser.

« Il ne fait pas de doute _ commente Jacques Drillon, page 198 _ que la tradition, qui unissait _ en cet âge « baroque » _ les hommes dans un art commun, s’est perdue. Un fil ténu a continué _ cependant _ de relier les organistes _ à part, en confrérie, de tous les autres _ à leurs pères _ ou à leurs maîtres _, et leur a permis _ et quasi seulement eux… _ de savoir comment jouait Grigny et Titelouze, interpréter les ornements et le code graphique propres aux XVIIe et XVIIIe siècles _ « baroques », donc _, improviser _ un facteur capital de vie ! de liberté au sein de (et par) la règle !.. _ sur des thèmes donnés, les conservant _ eux, organistes _ dans une bulle de culture comme une bactérie dans la glace, et cela en dépit des bouleversements qui ont affecté leur instrument et leur langage _ à eux aussi. Ce petit monde _ de l’orgue : faisant « monde« , poétiquement, c’est-à-dire musicalement (et poïétiquement ») aussi… _ a survécu miraculeusement, comme dans une diaspora protectrice ; l’orgue a vécu au milieu de la foule comme en exil, le public _ a fortiori celui qui ne vient plus aux offices ; et n’a plus cette foi-là… _ en était pratiquement exclu, les créateurs s’en sont presque tous détachés : l’élite et le vulgaire l’ont laissé s’entretenir _ vivant, encore _ lui-même, résister à l’aventure du romantisme, de l’électricité, du sérialisme, de la variété _ de l’entertainment _ et de tout ce qui aurait pu le corrompre _ et détruire définitivement _ ; l’étude _ oui ! le travail étant indispensable à toute vraie compréhension ! _ des textes (…), la transmission orale _ condition elle aussi indispensable de vie (= qui soit vraiment vivante !.. ; et pas « moisie« …) _ des Commentaires _ en des « leçons » _, l’ont préservé _ cet orgue (avec sa tradition d’interprétation) _ de ces dangers comme elle a toujours _ ou souvent _ préservé les minorités menacées _ acharnées à survivre… Le maître savait, parce que le maître du maître lui avait enseigné. » Vive l’enseignement vivant ! Et honte à l’ignominie de ceux qui le sapent, l’étranglent, l’étouffent et le détruisent !

Voilà énoncé le danger de perte sans retour (de savoir) qui nous _ aujourd’hui tout particulièrement, faute d’assez de souci pour le « soin«  _ pend au nez… faute d’un tel enseignement et d’exemples vivants… Et Jacques Drillon de citer Hannah Arendt (à propos de Walter Benjamin, in « Walter Benjamin«  aux Éditions Allia ; ou in « Vies politiques » (pages 244 à 306), en « Tel »-Gallimard : « Pour autant que le passé est transmis comme tradition, il fait autorité » _ voilà le mot important en une vraie culture (= vivante » !..) ; face à l’ignorance et l’irrespect crasses de la barbarie (tant déchaînée que rampante : cf ici Bernard Stiegler : « Prendre soin : de la jeunesse et des générations« )

Pour Jacques Drillon, « Leonhardt ne l’a pas renoué, ce fil«  _ page 199 _, mais « il a fondé une nouvelle tradition«  _ page 200. « Le prodige dont il s’est donc rendu capable _ et qui nous vaut ce livre-ci « Sur Leonhardt » en hommage _ : refonder, avant même de disparaître, et bien avant que de disparaître, une tradition _ de culture de beauté et de sens _ propre à être transmise _ et les effets (de beauté) ressentis, en une æsthesis _ comme si elle avait été millénaire, impérieuse comme une vérité révélée » _ comment l’interpréter ?.. Est-ce même héroïque, pour Jacques Drillon ?.. La conclusion du livre n’embouche certes pas les grandes trompettes ; mais est toute de discrétion et pudeur…

Et de conclure avec Hannah Arendt, page 201 : « La tradition transforme la vérité en sagesse, et la sagesse est la consistance _ le mot est assurément important _ de la vérité transmissible«  _ éprouvée en une émotion de beauté. Le reste n’étant qu' »inconsistance » : du côté de la poussière et du moisi (de tant de vies, cependant : sur quels autels sacrifiées ?..)…

Le livre de Jacques Drillon est riche d’aperçus « fouillés » tout à fait passionnants (!) sur des goûts de Gustav Leonhardt assez peu cultivés par lui, de facto, au disque, comme au concert (il en assure en moyenne une centaine par an !..) : en particulier ceux pour la musique de François Couperin et celle de Wolfgang-Amadeus Mozart (et le pianoforte) : le détail des analyses et de ces « aperçus » qu’ouvre ici Jacques Drillon est tout à fait remarquable ! Une mine !.. La lecture le découvrira avec jubilation. Mais le livre nous frustre aussi un peu en faisant un peu trop vite l’impasse sur le peu d’attraction du « maître » pour le répertoire _ qui me tient personnellement beaucoup à cœur ! _ des fils Bach (Wilhelm-Friedmann, Carl-Philipp-Emanuel, Johann-Christian) _ une question pourtant passionnante (au moment de ce que Gustav Leonhardt appelle, page 130, le stade de la « saturation«  d’un processus de « style » : il parle, plus précisément, de « sous-périodes«  d’une « époque stylistique« )… De même que le livre ne s’attarde pas assez, non plus, sur les réussites majeures (= éblouissantes !) du « maître » de l’interprétation « baroque », tant au concert qu’au disque : le répertoire (l’apparition _ aux « sous-périodes«  d’« origine«  et de « développement«  du Baroque, toujours page 130 _  des « Suites« ) allant de Girolamo Frescobaldi à Louis Couperin en passant par Johann-Jakob Froberger… Ou sur celui des maîtres allemands juste en amont de Johann-Sebastien Bach : Dietrich Buxtehude, Johann-Adam Reincken, Matthias Weckman, Georg Böhm, etc… Et qui a donné d’éblouissantes réussites _ tout particulièrement dans la récente production discographique du maître pour Alpha et Jean-Paul Combet… Si Jacques Drillon évoque fort bien le rôle tout à fait important de l’amitié de Gustav Leonhardt avec Wolf Erichson pour l’aventure de la production discographique des collections « Das Alte Werk«  et « Seon«  ; il se tait, c’est un peu dommage, sur le rôle tout aussi décisif de l’amitié de Gustav Leonhardt avec Jean-Paul Combet dans le devenir somptueux (d’accomplissement) de l’aventure discographique du « maître » _ « une rose d’automne est plus qu’une autre exquise« , a si justement chanté Agrippa d’Aubigné…  _ avec « Alpha« … C’est bien dommage : cette histoire reste donc à écrire…

Avant de conclure, deux (petits) motifs (personnels) de contestation, l’un à Jacques Drillon ; et l’autre à Gustav Leonhardt (extra musical : « philosophique », celui-là…) _ que je connais (un peu) personnellement tous les deux, pour les avoir rencontrés (un peu). Et j’attache beaucoup d’importance aux rencontres _ au point d’y avoir consacré un essai (« Cinéma de la rencontre ; à la ferraraise« …) ; et une conférence (à la galerie La NonMaison, à Aix-en-Provence, le 13 décembre dernier)…

Lors d’un salon « Musicora« , quand j’étais « conseiller artistique » un peu actif de La Simphonie du Marais (et Hugo Reyne), j’avais eu l’occasion de signifier en une bonne conversation (d’une demie-heure à peu près) à Jacques Drillon toute mon admiration tant pour ses émissions de France-Musique que pour ses livres :

il me semble aujourd’hui que la position de Gustav Leonhardt _ page 59 _ quant à ce qui est « admissible », ou pas, de la part des « metteurs en scène » d’opéra, cette profession parasite (qui n’existait pas à la période « baroque » _ là-dessus, on s’amusera bien à lire le plus que pittoresque « Théâtre à la mode » de Benedetto Marcello) _, aurait dû lui donner un peu plus à « penser » (= réfléchir) :

qualifier de « d’une violence inattendue«  la préface que Gustav Leonhardt offrit au très riche et très intéressant « Traité de chant et mise en scène baroques » de Michel Verschaeve (paru aux Éditions Zurfluh en 1997) ;

puis « expliquer » (!!!) par là « le panégyrique qu’il a pu faire d’un spectacle « à l’ancienne » (sic), avec quinquets, prononciation « restituée » (sic), ou plutôt « reconstituée » (re-sic), et acteurs face au public, « Le Bourgeois gentilhomme » monté par Benjamin Lazar _ et Vincent Dumestre ; et Mathilde Roussat pour la chorégraphie _ :

« C’était merveilleux et _ enfin ! _ normal _ déclare Gustav Leonhardt. C’est triste à dire, car ce spectacle était le fruit de beaucoup de travail, d’efforts, de connaissance ; mais le résultat était _ tout simplement _ normal = ce que les mises en scène d’œuvres de ce temps (ou « baroques ») devraient être ! selon Gustav Leonhardt et d’autres ; dont moi-même… Adapté _ avec probité et loyauté : à l’œuvre originale de Lully et Molière ; œuvre que connaît particulièrement bien Gustav Leonhardt, notamment pour en avoir réalisé un enregistrement discographique (avec « la Petite Bande », en 1988, pour Deutsche Harmonia Mundi). Une unité pour l’œil et pour l’oreille _ unité qui est un criterium absolu de toute œuvre d’art !

Ce qu’une note de bas-de-page de Jacques Drillon commente _ avec acidité _ comme un « jugement ahurissant » de Gustav Leonhardt : « Devant ce jugement ahurissant, à l’égard d’un spectacle dogmatique _ rien moins ! _, interprété par des comédiens entièrement mobilisés (!) par la prononciation, incapables de jouer (!) en même temps qu’ils parlaient, comme dirait Vialatte _ voilà l’autorité appelée en renfort _ : « on se frotte les yeux en se demandant des tas de choses »… Au lieu de citer ici Vialatte et de laisser planer on ne sait quels (un peu vilains) soupçons, Jacques Drillon ferait mieux de remettre en question son propre « ahurissement«  ; et ses origines : peut-être subjectives… La probité de Gustav Leonhardt souffrirait-elle de telles exceptions ?.. C’est peu vraisemblable, cher Jacques Drillon…

Pour ceux qui n’ont pas eu la chance _ de Gustav Leonhardt, Jacques Drillon (!), ainsi que moi-même _, d’assister, tous sens ouverts, à ce spectacle (au moins sa « générale »), il existe l’irremplaçable (et un peu durable, heureusement !) DVD Alpha 700 de cet « étonnant » « Bourgeois gentilhomme » ; ainsi que cet autre DVD, enregistré en janvier 2008, de « Cadmus et Hermione » (de Quinault et Lully ; toujours par l’équipe si heureusement pionnière de Benjamin Lazar et Vincent Dumestre : DVD Alpha 701) : chacun pourra en les découvrant se faire un peu mieux lui-même une idée de ce débat-ci ; et décider de ce que lui-même trouve « ahurissant«  et « normal«  quant à ces réalisations de spectacles complets (et unis : « pour l’œil et pour l’oreille« , selon la si juste expression de Gustav Leonhardt !) du « Baroque »…

Quant à mon interrogation (lors d’un intime merveilleux récital de clavicorde au château Soutard à Saint-Emilion, chez François des Ligneris) à Gustav Leonhardt _ dont j’ai rédigé une part du livret du récital d’orgue du CD Alpha 017 « L’orgue Dom Bedos de Sainte-Croix de Bordeaux« _, elle concerne son relatif « défaut d’accointance » avec la personnalité et la philosophie de la joie de Spinoza, celle-là même, philosophie de la joie, que cite (et fait sienne) Jacques Drillon en ce « Sur Leonhardt« , à la page 144 : « le passage de l’homme d’une moindre à une plus grande perfection » (que Jacques Drillon commente comme « un trajet, jamais _ tout à fait, absolument _ accompli, vers un absolu dont on se fait une représentation fantasmatique : la loi » ; et à la page 152 : « Je reconnais donc seulement trois sentiments primitifs ou fondamentaux : à savoir la joie, la tristesse et le désir« …

Sans doute que l’élégance de Baruch Spinoza  _ qui conclut son « Ethique » sur ces mots : « Tout ce qui est beau, est difficile autant que rare«  _ et l’élégance de Gustav Leonhardt empruntent des chemins, à Amsterdam même, qui ne se croisent peut-être pas toujours ; même « sub specie æternitatis« Tous deux nous y faisant pourtant _ et c’est merveille ! _ accéder (= monter, voler, planer) !

A la suite de la lecture de ce « Sur Leonhardt« , en me procurant dare-dare le DVD du film de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub « Chronique d’Anna Magdalena Bach« , de 1967 _ je rappelle, au passage, que la dédicace de ce « Sur Leonhardt » est « Pour Straub«  (sic) _, j’ai pu découvrir _ et avec quelles délices _ comment « devait » se filmer la musique pour être vraiment écoutée, sans risquer de voir son attention, pour rien (des brimborions ! et le Rien !), « distraite »…

Page 111, Jacques Drillon cite ce mot de Jean-Marie Straub : « Pierre Vozlinsky, qui s’occupait de la musique à la télévision, nous a dit : « moi vivant, on ne diffusera jamais ce film à la télévision. Parce que tout ce qu’on fait passerait pour de la merde »« . Et Jacques Drillon de commenter ainsi : « Pour la première fois dans l’histoire, il devenait acceptable de voir de la musique filmée » _ « en dehors des films avec les Marx Brothers », ajoutera Danièle Huillet, « ou de « Gentlemen Prefer Blondes«  » (in « Chronique d’Anna Magdalena Bach » _ « Petite Bibliothèque Ombres« )… On jugera de l’humour, le plus souvent fortement présent, sous la plume délicieuse de Jacques Drillon…


En complétant la vision de ce DVD par le petit livre de Louis Seguin, à la « Petite bibliothèque des Cahiers du Cinéma«  :
« Jean-Marie Straub, Danièle Huillet _ « Aux distraitement désespérés que nous sommes »« , j’ai découvert, page 299, cette belle phrase de Jean-Pierre Vernant, extraite de « Entre mythe et politique » :

« Aller à l’extrême limite de ce qu’on est, c’est-à-dire jusqu’au divin ; et c’est cette extrême altérité qui est l’élément essentiel. C’est par là qu’on se retrouve soi-même ; mais ce « soi-même » n’est plus un ego, c’est le cosmos, l’univers, le tout, Dieu, qui est la perfection… On fabrique sa propre identité avec les autres ; et avec de l’autre ; mais pas n’importe quel autre. C’est là qu’intervient l’amitié« 

Existe aussi, en effet, une amitié via les œuvres… Et c’est parfois même _ tout « intempestive« , « inactuelle« , qu’elle puisse (ou peut) être… ; ou bien, justement, parce que cela !!! _ la plus importante, au milieu de la foule, émiettée (faute d’assez de « consistance« ) de tant de personnes, de nos contemporains…

Par là, ce que nous donne _ de beauté et de sens _ l’interprète qu’est Gustav Leonhardt _ et qui sans sans lui, sans sa médiation d’interprète-ci, serait perdu (= non re-trouvé ; non « refondé« , puisque tel le concept ultime _ et, de fait, « fondamental » ! _ de Jacques Drillon, en sa conclusion) _ a une immense valeur… Qu’on essaie _ un homme averti en valant deux… _ de s’en aviser…

Titus Curiosus, ce 15 mars 2009

La Société de philosophie de Bordeaux reçoit : Bernard Sève ; puis Fabienne Brugère…

10nov

La Société de philosophie de Bordeaux aura le plaisir d’accueillir,
ce jeudi 13 novembre à 18h à La Machine à Lire (salle annexe, rue du Parlement-Saint-Pierre),
et mardi 25 novembre dans les salons Albert-Mollat, de la librairie Mollat, 15 rue Vital-Carles,

les philosophes,
Bernard Sève
et Fabienne Brugère,

à l’occasion de deux conférences de philosophie,
auxquelles le public le plus large
est chaleureusement convié
non seulement à assister
_ par son écoute attentive _ ;

mais aussi à participer : par les questions au conférencier,
enrichissant ainsi, par le dialogue,
le questionnement
_ philosophique _ du philosophe-conférencier (de départ :
questionnement qu’il vient _ tout spécialement _ nous faire partager,
en venant nous livrer quelques une de ses pistes un peu « personnelles » de recherche…) ;

questionnement dont celui-ci vient nous donner, en quelque sorte, la continuation du cours, du flux, plus ou moins bouillonnant (de ce questionnement « in progress« ) :

« la bêtise serait _ Flaubert nous l’a appris _ de conclure« …

Ouvrant par là un débat dans les (= nos) esprits, dont la démocratie a aussi (bien) besoin : pour redevenir plus vivante…

Voici ces deux annonces de conférences :


pour le jeudi 13 novembre, à La Machine à Lire : Bernard Sève ;

et le mardi 25 novembre prochain, à la Librairie Mollat : Fabienne Brugère.

Bernard Sève, sur « Montaigne. Des règles pour l’esprit »

Montaigne est-il seulement un philosophe sceptique ? Il critique certes la raison, sa présomption, son impuissance. C’est le fameux « Que sais-je ? ». Mais la raison n’est pas la seule faculté intellectuelle, ni même la plus importante.

Les « Essais » sont d’abord une extraordinaire enquête sur la puissance de l’esprit, que Montaigne distingue soigneusement de la raison. Livré à lui-même, l’esprit invente, croit, divague… En somme, il imagine,

pour le meilleur (l’invention poétique) et pour le pire (le fanatisme religieux).

Comment « régler » cette puissance fantasque ?

Bernard Sève est professeur d’esthétique et de philosophie de l’art à l’Université Lille 3. Il est notamment l’auteur de « La Question philosophique de l’existence de Dieu« , P.U.F. 1994 et 2000) et de « L’Altération musicale, ou Ce que la musique apprend au philosophe » (Seuil, 2002) ; ainsi que de « Montaigne. Des règles pour l’esprit » (paru aux PUF, le 27 novembre 2007).

Ensuite,

la Société de philosophie de Bordeaux aura le plaisir d’accueillir, le mardi 25 novembre à 18 h, dans les salons Albert Mollat, 15 rue Vital-Carles,

Fabienne Brugère, sur « Le sexe de la sollicitude » :


Pourquoi les femmes restent-elles majoritairement des pourvoyeuses de soin et des mères dans presque toutes les sociétés, même dans celles où les mouvements féministes ont eu un impact certain dans la promotion d’une égalisation des devenirs des femmes et des hommes ? On répond ordinairement : parce que c’est une affaire de nature féminine.

Alors, la sollicitude, cette relation aux autres sur le mode de la protection, a-t-elle vraiment un sexe
, le « deuxième sexe » pour reprendre l’expression de Simone de Beauvoir ? Si tout ce qui porte les femmes aux tâches d’amour et de soin est largement culturel, comment déconstruire cette assignation sexuée injuste ; et sauver la sollicitude qui n’est ni la compassion, ni la charité ?

Pour y répondre, Fabienne Brugère défendra une conception de l’individu qui n’est pas celle de l’individu autonome, performant _ masculin généralement _, prônée par l’ultra-libéralisme économique. La sollicitude doit valoir comme une reconnaissance de l’individu dépendant et, plus généralement, de la vulnérabilité (des humains, des institutions, de la nature).

Fabienne Brugère est professeure de philosophie à l’Université Michel de Montaigne Bordeaux3. Elle est actuellement Présidente du Conseil de Développement de la Communauté urbaine de Bordeaux. Elle dirige (en collaboration avec Anne Sauvagnargues) la collection « Lignes d’art » aux PUF. Ses centres d’intérêt sont la réflexion sur l’art, la question des sentiments et du partage entre usage privé et public, le féminisme.

Ouvrages déjà publiés : « Théorie de l’art et philosophie de la sociabilité selon Shaftesbury« , Champion, 1999 ; « Le goût. Art, passions et société« , PUF, 2000 ; « L’Expérience de la beauté« , Vrin, 2006 ; « C’est trop beau« , Gallimard, Jeunesse giboulées, 2008 ; « Le sexe de la sollicitude« , Paris, Le Seuil, « non conforme », paru ce mois d’octobre 2008.


Je reprends ma parole :
j’ai personnellement présenté Bernard Sève, le 20 mai 2003, dans les salons Albert-Mollat, pour son _passionnant _ livre sur la musique, « L’Altération musicale, ou Ce que la musique apprend au philosophe » : c’est un ami…

Quant à Fabienne Brugère,
je n’ai pas besoin de la présenter aux bordelais
: elle enseigne à l’Université Michel-de-Montaigne-Bordeaux-3 depuis l’année 2001, en qualité de maître de conférences, et de professeur depuis septembre 2004… Elle aussi a focalisé sa réflexion, et une partie importante de son enseignement, sur l’Esthétique :
ce que je me permettrai d’interpréter comme un certain souci de l’altérité (du réel, comme de la personne _ ou « l’autre » ; « souci » quelque peu en crise ces derniers temps-ci _ d’ultra-libéralisme exacerbé, notamment, mais pas seulement…)…

Je reviendrai  très prochainement sur cette question, à propos du _ passionnant ! et urgent !_ livre de Michaël Foessel, dont je me permets de recommander d’ores et déjà très vivement la lecture : « La Privation de l’intime_ mises en scène politiques des sentiments« , paru ce mois d’octobre 2008, lui aussi, aux Éditions du Seuil…


Titus Curiosus, ce 10 novembre 2008

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